Project Gutenberg's La fille du ciel, by Judith Gautier and Pierre Loti This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: La fille du ciel Drame Chinois Author: Judith Gautier Pierre Loti Release Date: October 6, 2014 [EBook #47062] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA FILLE DU CIEL *** Produced by Madeleine Fournier & Marc D'Hooghe at http://www.freeliterature.org (Images generously made available by the Internet Archive.) LA FILLE DU CIEL DRAME CHINOIS Par JUDITH GAUTIER & PIERRE LOTI CALMANN-L�VY, �DITEURS 3, RUE AUBER, 3 1911 AVANT-PROPOS Pour bien comprendre la Chine, il faut savoir qu'elle porte au coeur depuis trois cents ans une plaie profonde et toujours saignante. Lorsque le pays fut conquis par les Tartares Mandchous, l'antique dynastie des Ming dut c�der le tr�ne � celle des Tsin envahisseurs; mais la nation chinoise ne cessa ni de la regretter, ni d'attendre son retour. La r�volution est donc permanente en Chine; c'est un feu qui couve �ternellement, �clate en incendie dans quelque province, puis s'�teint pour se rallumer bient�t dans une autre. L'Empire Jaune est sans doute trop immense pour que les r�volt�s puissent s'entendre et, par un effort collectif, briser enfin le joug des Tartares. Plusieurs fois cependant, les Chinois de race furent tout pr�s de la victoire. Ainsi, il y a une vingtaine d'ann�es, des �v�nements que l'Europe n'a jamais bien connus, boulevers�rent la Chine. Les r�volt�s, victorieux pour un temps, proclam�rent � Nang-King un empereur de sang chinois et de la dynastie des Ming. Il s'appelait Ron-Tsin-Ts�, ce qui signifie: la Floraison d�finitive, et sa p�riode fut nomm�e par ses fid�les Ta�-Ping-Tien-Ko, ce qui signifie: l'Empire de la grande paix c�leste. Il r�gna dix-sept ann�es, concurremment avec l'empereur tartare de P�kin, et � peine dans l'ombre. Plus tard, on s'effor�a de supprimer m�me son histoire; les livres qui la contaient furent confisqu�s et br�l�s, et on d�fendit, sous peine de mort, de prononcer son nom. Voici cependant la traduction du passage qui le concerne, dans le volumineux rapport adress� par le g�n�ral tartare Tsen-Kouan-We� � l'empereur de P�kin: �Quand les r�volt�s se soulev�rent dans la province de Kouang-Tong, dit-il, ils s'�taient empar�s de seize provinces et de six cents villes. Leur coupable chef et ses criminels amis �taient devenus formidables. Tous leurs g�n�raux se fortifiaient dans les places qu'ils avaient prises, et ce n'est qu'apr�s trois ann�es de si�ge que nous f�mes de nouveau ma�tres de Nang-King. En ce moment, l'arm�e rebelle comptait plus de cent mille hommes, mais pas un seul ne consentit � se rendre. D�s qu'ils se jug�rent perdus, ils mirent le feu au palais et se br�l�rent vifs. Beaucoup de femmes se pendirent, s'�trangl�rent ou se jet�rent dans les lacs des jardins. Je parvins cependant � faire prisonni�re une jeune fille et je la pressai de me dire o� �tait leur empereur, �Il est mort, r�pondit-elle; vaincu, il s'est empoisonn�; mais aussit�t apr�s on a proclam� empereur son fils Hon-Fo-Tsen.� Elle me conduisit ensuite � sa tombe, que je donnai l'ordre de briser; on y trouva en effet l'empereur, qu'enveloppait un linceul de soie jaune brod� de dragons. Il �tait vieux, chauve, avec une moustache blanche. Je fis br�ler son cadavre et jeter sa cendre au vent. Nos soldats d�truisirent tout ce qui restait dans les murs; il y eut trois jours et trois nuits de tueries et de pillages. Cependant une troupe de quelques milliers de rebelles, tr�s bien arm�s, r�ussit � s'�chapper de la ville, apr�s avoir rev�tu les costumes de nos morts, et il est � craindre que leur nouvel empereur ait pu fuir avec eux.� Cet empereur Hon-Fo-Tsen, qui, en effet, avait pu s'enfuir de Nang-King, fut consid�r� par les vrais Chinois comme le souverain l�gitime, et sa descendance, secr�tement, lui succ�dera vraisemblablement sans interruption. Il y a quelques ann�es, un homme tr�s remarquable, qui semblait incarner la Chine nouvelle, r�va une r�conciliation pacifique et sinc�re entre les deux races ennemies. (Il avait bien d'autres r�ves encore, comme par exemple celui de fonder les �tats-Unis du monde.) Il con�ut le projet, presque irr�alisable, de gagner � ses id�es l'empereur de P�kin lui-m�me et, avec son concours, de r�former la Chine, sans verser de sang. Il s'appelait Kan-You-Wey. Pour se rapprocher de l'empereur, il ouvrit une �cole � P�kin en 1889. Des rumeurs, mais combien contradictoires, couraient sur la personnalit� de cet invisible empereur Kouang-Su, gard� en tutelle, comme captif au fond de ses palais, et si inconnu de tous. Les uns le disaient bienveillant, lettr�, curieux des choses modernes. Les autres le repr�sentaient comme faible d'esprit et de corps, livr� � tous les exc�s et incapable d'agir. Kan-You-Wey ne voulut croire que la version favorable; il savait d'ailleurs ce que valaient les ministres de la R�gente, ma�tres, avec elle, du pouvoir; il plaignait l'imp�riale victime, tout son coeur allait vers ce souverain, puisqu'il �tait malheureux. Mais comment l'atteindre, par del� ses quadruples murailles? Comment �veiller l'attention de la m�lancolique idole?... Kan-You-Wey renouvela dix fois la tentative, avec un z�le d'ap�tre, et r�ussit enfin, en 1898, gr�ce � l'un de ses disciples, � placer sous les yeux de l'empereur un m�moire qu'il avait pr�par�. Alors le souverain-fant�me se r�veilla; tr�s frapp� par ces id�es subversives, il voulut qu'elles lui fussent expliqu�es en d�tail et accorda une audience au novateur; tout de suite il subit l'influence de ce grand esprit; il fit de lui son ministre, son confident intime, et, soutenu par ses conseils, il parvint � ressaisir le pouvoir. C'est � ce moment du r�gne de Kouang-Su que se d�roule notre drame; l'empereur lui-m�me en est le h�ros, et Kan-You-Wey y figure sous le nom de Puits-des-bois.... JUDITH GAUTIER ET PIERRE LOTI. PERSONNAGES L'EMPEREUR DE P�KIN, de race tartare et de la dynastie des Tsin (30 ans) PUITS-DES-BOIS, conseiller de l'Empereur tartare. PORTE-FL�CHE } seigneurs chinois de la Cour de Nang-King PRINCE-FID�LE } PRINCE-AIL�. } FILS DU PRINTEMPS, petit empereur chinois de Nang-King (7 ou 8 ans). LUMI�RE-VOIL�E, conseiller de l'Imp�ratrice. LE GRAND ASTROLOGUE. UN G�N�RAL TARTARE. LE PEUPLIER, grand mandarin. LE ROC } PETIT-SAPIN } jardiniers du Palais de Nang-King. LE COURB� } LE FORT } DEUX ESPIONS TARTARES. DEUX BOURREAUX TARTARES. UN EUNUQUE. LA FILLE DU CIEL, imp�ratrice de race chinoise et de la dynastie des Ming (24 ou 25 ans). LOTUS D'OR } CINNAMOME } filles d'honneur de l'Imp�ratrice. TRANQUILLE-�L�GANCE } LA PERLE } LA GRANDE MAITRESSE DU PALAIS DE NANG-KING. LA GRANDE MAITRESSE DU PALAIS DE P�KIN. MARCHANDES DE BONBONS ET DE FLEURS, DES RUES DE P�KIN. GRANDS MANDARINS ET GENS DU PEUPLE. SOLDATS CHINOIS ET SOLDATS TARTARES. _L'action se passe de nos jours en Chine._ ACTE PREMIER PREMIER TABLEAU Les jardins du Palais de Nang-King. A gauche, le pavillon des filles d'honneur, pr�c�d� d'une v�randa enguirland�e. Entre les arbres et les buissons fleuris, on aper�oit des toitures de fa�ence jaune, aux angles retrouss�s et h�riss�s de monstres. Grands c�dres contourn�s. �tangs, ruisseaux, ponts courbes en marbre et en laque rouge. Pr�paratifs de f�te. Au fond, des serviteurs plantent des banni�res, des lances, des insignes de toutes formes. Plus pr�s, d'autres nettoient le jardin, balaient la pluie de fleurs tomb�e des arbres. Soleil levant. SC�NE PREMI�RE LE ROC, PETIT-SAPIN, LE FORT, LE COURB�, JARDINIERS. _On entend dans le lointain une cloche et un tambour._ LE ROC, _qui s'arr�te de travailler et pr�te l'oreille._ Entendez-vous la grosse cloche de bronze et le grand tambour?... Encore un prince qui passe sous le portail d'honneur, un de plus qui fait son entr�e dans notre palais de Nang-King. PETIT-SAPIN J'entends, oui.... Mais j'aimerais mieux voir.... LE FORT Les beaux spectacles ne sont pas faits pour nous. LE ROC Les c�r�monies n'ont pas besoin de nos regards. PETIT-SAPIN Oui, oui, on sait: notre fonction est de travailler � l'�cart, de pr�parer patiemment la beaut� de la f�te qui ne sera pas pour nos yeux. LE FORT Vas-tu te plaindre?... Chaque �tre doit accepter la place qui lui �choit dans la vie. LE ROC La loi est pour tous. Il y a des animaux fiers et superbes, des oiseaux qui ont un magnifique plumage. Et il y a aussi des rats et d'affreux insectes qui r�pugnent. LE FORT Il se trouve des rois parmi les arbres et des princesses parmi les fleurs. LE ROC Et beaucoup de pauvres plantes n'ont ni beaut� ni parfum. PETIT-SAPIN La pluie les arrose tout de m�me et le soleil les r�chauffe. LE COURB� Il arrive aussi que le hasard favorise le plus humble.... Tenez, moi, sans avoir m�rit� pour cela aucun reproche, j'ai vu ce qu'il m'�tait interdit de voir. LE FORT Toi! Tu as vu? PETIT-SAPIN Quoi? quoi? Oh! raconte-nous. LE COURB� Eh bien ... c'�tait hier, apr�s le coucher du soleil, les autres travailleurs venaient tous de partir; moi, qui n'avais pas fini, j'�tais rest� � polir un des grands lions de marbre, vous savez, au portail d'honneur. Je travaillais sans me m�fier, quand tout � coup voil� que le tambour bat, que la cloche tinte, que les veilleurs descendent de la tour du guet pour ouvrir la grande porte. Des gardes accourent, et des chefs, et des ministres. J'entends dire que celui qui arrive est le plus important de tous les invit�s, le vice-roi des provinces du Sud. Comment m'�chapper au milieu de tous ces beaux personnages?... Impossible!... Je me cache derri�re une des grosses pattes, je me fais tout petit, personne ne prend garde � moi ... et j'ai vu, j'ai vu, � travers le globe ajour�, vous savez, que le lion tient sous sa griffe.... PETIT-SAPIN Toi! tu as vu entrer le vice-roi avec son cort�ge?... LE COURB� Oui, moi!... Oh! tant de costumes de soie et d'or! tant de chevaux qui �taient tout brillants de pierreries! tant de banni�res! Et des visages terribles, et des regards effrayants d'orgueil!.... Mais quand il parut, lui, oh! comme j'ai compris que tout le reste ne comptait plus.... P�le, l'air tr�s las, sur un cheval maintenu par deux valets.... Un costume simple, mais qui avait l'air plus riche que ceux des autres.... Il �tait tellement imposant que mon coeur ne pouvait plus battre dans ma poitrine et il me sembla que si seulement il tournait vers moi ses yeux, qui ne regardaient rien, du coup je tomberais mort. PETIT-SAPIN Eh bien! vrai! Si rien que pour un vice-roi c'est � ce point-l�, que serait-ce donc, hein! si on �tait regard� par l'empereur m�me? LE COURB� Non, je vous assure, celui qui ne l'a pas vu, ne peut pas.... PETIT-SAPIN Chut! chut! Un officier du palais. SC�NE II LES M�MES, PORTE-FL�CHE, OFFICIER DU PALAIS. PORTE-FL�CHE Alors, c'est cela, votre travail! En vains bavardages, vous dissipez les pr�cieuses minutes qui nous restent. LE COURB� Le travail s'ach�ve, seigneur. PORTE-FL�CHE Il s'ach�ve? Et moi je vois le sol encore tout jonch� de p�tales et de fleurs mortes.... Ici, surtout, � l'entour du pavillon des filles d'honneur (_� part_), l� o� s'�panouit la fleur vivante que j'aime. LE COURB� A peine a-t-on fait la place nette que le vent malicieux secoue les branches, et c'est � recommencer. PORTE-FL�CHE Enlevez au moins l�, sur la mousse..., on dirait des taches, toutes ces fleurs fan�es.... SC�NE III LES M�MES, LOTUS-D'OR, CINNAMOME, LA PERLE, TRANQUILLE-�L�GANCE, FILLES D'HONNEUR. _Elles paraissent, furtivement, sous la v�randa du pavillon. Lotus-d'Or s'avance lentement et s'accoude � la balustrade. Porte-Fl�che la contemple avec �motion._ CINNAMOME, _� demi-voix_ J'ai cru reconna�tre la voix du seigneur Porte-Fl�che.... TRANQUILLE-�L�GANCE Lotus-d'Or l'a reconnue avant toi. LA PERLE Toujours ce jeune homme r�de par ici. TRANQUILLE-�L�GANCE On sait pourquoi. CINNAMOME Voyez, il salue notre compagne comme on salue une reine. TRANQUILLE-�L�GANCE N'est-elle pas la reine de son coeur? PORTE-FL�CHE La brise du printemps m'effleure et me grise du parfum des lotus. TRANQUILLE-�L�GANCE L'allusion est transparente.... CINNAMOME On sait que �brise du printemps� signifie amour.... LA PERLE Et elle s'appelle: Lotus-d'Or!... LOTUS-D'OR, _� Porte-Fl�che._ Seigneur! j'ai entendu que vous commandiez d'enlever ces fleurs.... Me suis-je tromp�e?... PORTE-FL�CHE J'ai os� �lever la voix pour donner cet ordre ... peut-�tre vous ai-je d�plu? LOTUS-D'OR Oh! non!... mais je veux vous demander gr�ce pour ces mortes charmantes: laissez-les quelque temps encore former un tapis au pied de notre pavillon. Arrach�es de leurs tiges elles sont belles cependant, et embaument. PORTE-FL�CHE Quelle gloire pour moi de vous ob�ir! J'envie ces fleurs qui seront foul�es par vos petits pieds. _Il fait signe aux jardiniers de s'�loigner._ TRANQUILLE-�L�GANCE, _tirant Lotus-d'Or par la manche._ Assez! Lotus-d'Or! Ce n'est pas convenable d'�couter de tels propos. PORTE-FL�CHE N'avez-vous plus rien � me dire? TRANQUILLE-�L�GANCE Allons! viens! Rentrons! LOTUS-D'OR, _� Tranquille-�l�gance._ Non, attends un peu.... (_A Porte-Fl�che._) Seigneur, vous le savez, les nouvelles sont lentes � parvenir dans le quartier des femmes ... et ma curiosit� est bien impatiente, en ce jour solennel entre tous, o� notre imp�ratrice va restaurer le tr�ne de la lumineuse dynastie des Ming et prendre la r�gence de l'Empire. A quelle heure exactement commence la f�te?... Savez-vous l'ordre des c�r�monies? PORTE-FL�CHE Quelle joie pour moi de pouvoir vous r�pondre. Les crieurs du Minist�re des Rites ont proclam� hier au soir l'ordre de la solennit�. J'ai not� ce que j'entendais. _Il tire de sa manche un petit rouleau de soie._ Je compte en �crire plus tard quelques po�mes. C'est une date si unique dans les annales de la Chine!... LOTUS-D'OR Oh! lisez-nous, seigneur! _Les jeunes filles, curieuses, se rapprochent._ PORTE-FL�CHE, _lisant._ �En cette journ�e magnifique, o� notre Imp�ratrice, quittant le deuil de son illustre �poux, va prendre le pouvoir au nom de son fils, en d�pit de l'usurpateur qui, depuis trois cents ans, tient la Chine sous le joug: �Ordre � tous les hauts fonctionnaires du palais, aux ma�tres des c�r�monies, aux grands secr�taires d'�tat, aux ministres, aux guerriers, aux princes, aux gardiens du Sceau Imp�rial, de se tenir pr�ts avant la derni�re veille de la nuit et de r�unir les objets pr�cieux dont ils ont la garde, afin de les disposer selon les rites, sur les six tables d'or, dans le Palais de la Grande Puret�. L'intendant de la musique placera les orchestres et les chanteurs sur les galeries et dans la salle du tr�ne. D�s que la derni�re veille aura sonn�, l'astrologue ira avertir l'Imp�ratrice que c'est l'heure choisie o� elle doit monter au temple de ses anc�tres pour faire aux M�nes augustes les offrandes prescrites. Sa Majest� ne sera accompagn�e que des princesses et des filles d'honneur.� TRANQUILLE-�L�GANCE Nous!... Alors, rentrons, il faut nous pr�parer bient�t. LOTUS-D'OR On nous pr�viendra quand il sera temps. PORTE-FL�CHE, _continuant de lire._ �Du temple des anc�tres au palais de la Grande Puret�, tous les fonctionnaires, officiers, gardes, secr�taires, feront la haie sur le passage de l'Imp�ratrice, qui sera port�e dans un palanquin orn� de dragons et de ph�nix, jusqu'au pied de l'escalier conduisant � la salle du tr�ne, o� aura lieu, la grande c�r�monie de l'investiture.� LOTUS-D'OR Est-ce que les femmes y assisteront? PORTE-FL�CHE Oui; les princesses et les filles d'honneur forment le cort�ge de l'Imp�ratrice et se groupent autour d'Elle. LOTUS-D'OR Ah! je n'�tais pas bien s�re.... C'est cela surtout que je voulais savoir.... PORTE-FL�CHE Le jeune empereur sera aupr�s de sa courageuse m�re qui va r�gner en son nom.... R�gner, vous savez comment! R�gner dans le myst�re, dans l'angoisse, � travers d'inextricables obstacles.... LOTUS-D'OR Tant de coeurs battent pour elle, tant de bras voudraient la d�fendre.... TRANQUILLE-�L�GANCE Tous les invit�s sont-ils arriv�s au palais?... PORTE-FL�CHE Je le crois.... On a log� le plus puissant d'entre eux, le vice-roi du Sud, pas bien loin d'ici, dans le pavillon des Sources Claires. Si les buissons n'�taient pas si touffus, de votre demeure on verrait l'angle de son toit. CINNAMOME, _� demi-voix._ J'aimerais apercevoir le prince!... LOTUS-D'OR Une question encore, seigneur: un danger prochain ne nous menace-t-il pas? Des rumeurs viennent sourdement jusqu'� nous.... Nos provinces reconquises sont-elles s�rement gard�es?... PORTE-FL�CHE H�las! m�me pendant les heures de joie l'inqui�tude nous mord; h�las! quand l'ar�me d�licieux d'une fleur nous caresse, il nous faut redouter l'orage qui toujours gronde � l'horizon!... La gazelle avait un peu de r�pit parce que le tigre �tait bless�. S'il gu�rit, il se rejettera aussit�t � la poursuite de sa proie. LOTUS-D'OR Quel est le sens de cette image? PORTE-FL�CHE C'est que l'empereur tartare, celui qui r�gne � P�kin, et nous consid�re, nous Chinois d�poss�d�s, comme des rebelles, vient d'�tre vaincu dans une guerre que lui ont faite les barbares formidables de l'Occident; � grand'peine il a obtenu la paix et n'est pas tout � fait remis de sa d�faite. LOTUS-D'OR Ah! oui, le bruit de cette guerre nous �tait venu; mais quelle en fut donc la cause? TRANQUILLE-�L�GANCE Comme la politique l'int�resse.... LA PERLE Quand c'est ce jeune homme qui renseigne.... PORTE-FL�CHE La cause en est singuli�re: un prince, parent de l'usurpateur tartare, a eu la folle id�e de r�unir une troupe de bandits, sous pr�texte de la jeter contre les sujets chr�tiens en ex�cration dans le nord de la Chine. Mais, la horde d�cha�n�e, on n'a pu la retenir; elle s'est ru�e aussi contre les barbares �trangers, dont la pr�sence �tait depuis longtemps tol�r�e autour des palais. Alors les arm�es des nations d'Occident sont venues saccager P�kin, d'o� l'empereur tartare, avec toute sa cour, s'�tait enfui. LOTUS-D'OR Sans doute, il est malheureux pour nous que l'usurpateur ait obtenu la paix.... PORTE-FL�CHE Qui sait? La Chine serait tomb�e peut-�tre sous une domination plus funeste encore.... TRANQUILLE-�L�GANCE La le�on n'est pas finie?... LOTUS-D'OR, _se retirant._ Il est temps, seigneur, de nous parer pour la f�te. PORTE-FL�CHE C'est vous qui embellirez la parure. LOTUS-D'OR Ne vous moquez pas.... Au revoir, seigneur. PORTE-FL�CHE, _qui voit venir quelqu'un vers la droite._ Oh! rentrez vite!... Votre illustre voisin, le vice-roi du Sud, se prom�ne dans les jardins et vient de ce c�t�-ci. TRANQUILLE-�L�GANCE, _baissant un store de bambou._ Si nous pouvions l'apercevoir � travers les stores!... PORTE-FL�CHE Adieu! Je dois c�der la place � un aussi noble promeneur. _Les jeunes filles rentrent, Porte-Fl�che sort rapidement._ SC�NE IV L'EMPEREUR TARTARE, _d�guis� en vice-roi du Sud_, PUITS-DES-BOIS, _son ministre._ PUITS-DES-BOIS Je ne vois personne.... Votre Majest� peut s'avancer. L'EMPEREUR �Votre Majest�.... Tu veux donc me perdre? PUITS-DES-BOIS Oh! Sire! L'EMPEREUR Encore! PUITS-DES-BOIS Quand nous sommes seuls, je ne peux m'emp�cher.... L'EMPEREUR Il le faut.... Derri�re ces stores, tr�s probablement, des espions nous surveillent. PUITS-DES-BOIS Des curieuses plut�t: c'est le pavillon des filles d'honneur. L'EMPEREUR Le pavillon des filles d'honneur!... Alors, il y a aussi des filles d'honneur! Non, vraiment, je crois r�ver! Je savais pourtant ce que je venais chercher ici. Qu'en trois si�cles de r�gne, les empereurs de ma dynastie n'ont jamais dompt� la sourde r�volte des vaincus, je le savais! Que dans les provinces du Sud les rebelles n'ont jamais courb� la t�te, oui, je le savais. Que Nang-King est leur centre et qu'ici m�me un descendant des Ming a r�gn� pendant plus de dix-sept ans avant d'�tre an�anti par nos arm�es, je n'ignorais rien de tout cela.... Mais je croyais que ce simulacre d'empire �tait plus myst�rieux, plus dans l'ombre.... Et voici que je trouve un palais aussi beau que le mien, des gardes, des fonctionnaires, des ministres, un c�r�monial r�gl� comme dans ma propre cour.... Notre empire est trop grand, vois-tu pour �tre gouvern� par une seule t�te.... J'ai voulu voir par mes yeux. J'�tais pr�par� � toutes les surprises et, cependant, ceci me d�passe! _Il s'assied sur un banc, au pied d'un arbre en fleur._ PUITS-DES-BOIS Ce qui est plus surprenant encore, c'est que vous soyez ici, vous, � l'insu de tous; ici, chez vos implacables ennemis, et v�tu � la mode d'il y a trois cents ans!... L'EMPEREUR Il est heureux que ce vice-roi du Sud, dont j'ai pris la place, soit de ma taille.... Que peut-il penser de cette aventure, dans le navire o� on me le garde prisonnier? Que se figure-t-il, hein?... PUITS-DES-BOIS Tout, plut�t que la v�rit�. L'EMPEREUR S'il s'�chappait pourtant, serais-je assez perdu? PUITS-DES-BOIS Mon coeur est comme pris dans un �tau.... Ne l'�tes-vous pas, de toutes fa�ons, perdu?... L'EMPEREUR Tais-toi. Apr�s tout, qu'est-ce que j'ai donc � risquer, moi? Ma vie? A l'ombre de ce tr�ne, dont on m'�carte, n'est-elle pas une interminable agonie? Ah! de quel poids m'�crasent les heures lentes qui tombent!... Qui dira l'horreur de cette stagnation molle, de cette solitude oisive? Oh! la rage qui d�vaste l'�me, quand on est le Ma�tre, et que l'on n'a aucun pouvoir!... Si je trouve ici la mort, je serai encore heureux mille fois d'�tre venu! Toute ma triste existence ant�rieure ne vaut pas ces quelques jours de fuite et de voyage, l'ivresse de m'�tre �chapp�, d'avoir rompu, pour un temps, toute cette trame grise et soyeuse qui m'emprisonnait. Oh! agir! Agir au soleil, agir comme un homme, entreprendre une action t�m�raire qui, si je meurs, au moins, restera pour honorer ma m�moire! PUITS-DES-BOIS Vous �tes grand, vous �tes noble, vous �tes intr�pide; mais moi, qui ne suis rien, j'ai le droit de trembler!... L'EMPEREUR C'est toi, pourtant, qui as �veill� mon esprit, qui l'as tir� de sa torpeur mortelle; c'est toi qui m'as insuffl� la volont� et la force. N'as-tu pas approuv� mon projet? N'as-tu pas trouv� noble, et digne d'un sage, le r�ve dont je m'enivrais? PUITS-DES-BOIS, _s'agenouillant aupr�s de l'Empereur._ J'ai cri� d'enthousiasme, j'ai pleur� d'�motion, quand j'ai compris votre sublime pens�e.... Mais c'est un r�ve impossible et, vouloir le r�aliser, est une folie, g�n�reuse autant que vaine! J'ai peur pour vous, Sire, mon bien-aim� ma�tre, j'ai peur!... L'EMPEREUR Peur de quoi?... Jusqu'� ce jour, tout ce que j'avais imagin� ne s'est-il pas accompli comme par enchantement? PUITS-DES-BOIS Jusqu'� ce jour, oui, je ne dis pas non! L'EMPEREUR Ma sortie du palais, qui semblait si p�rilleuse: aucun obstacle!... Toi, mon cher ministre, dans ton palanquin officiel, moi � tes c�t�s sous le costume de ton secr�taire! Je souriais, t'en souviens-tu? comme un �colier qui prend la clef des champs; j'avais l'air trop joyeux, cela te faisait peur.... Et lui, ton pauvre petit secr�taire, ton �l�ve, presque ton fils, consentant � prendre ma place, dans mon lit aux soies fun�bres, au fond de ma chambre s�pulcrale, grill�e, mur�e, remur�e, o� l'on �touffe � respirer des parfums trop suaves!... Si j'en r�chappe, que pourrai-je bien faire pour reconna�tre ce d�vouement prodigieux: s'�tre substitu� au martyr que j'�tais, �tre entr� dans la momie d'un Empereur de Chine! PUITS-DES-BOIS Ce r�le, saura-t-il le tenir? L'EMPEREUR Ah! c'est un r�le ais�, que celui de souverain, dans ma triste chambre close: dormir, lire ou m�diter; se garder de rien faire de plus.... J'ai employ� l'arme dont on se sert si souvent contre moi: on m'accuse d'�tre malade, quand je ne le suis pas; cette fois je pr�tends l'�tre, qui osera ne pas le croire? PUITS-DES-BOIS Et le m�decin, qui soigne ce faux empereur, �tes-vous s�r au moins de sa fid�lit�? L'EMPEREUR Mon m�decin? quel int�r�t aurait-il � trahir? Il croit � quelque exp�dition galante et je lui ai promis une province si mon absence n'est pas d�couverte. Il veille sur son malade et interdit s�v�rement � quiconque de l'approcher. PUITS-DES-BOIS C'est admirable!... L'EMPEREUR M�me dans ma ville de P�kin, qui donc risquait de me reconna�tre, puisque aucun de mes sujets n'a jamais aper�u mon visage.... Ah! cela rend la fuite ais�e, d'�tre un empereur invisible!... Et une fois sur le vaisseau, fr�t� par tes soins, te rappelles-tu, quelle ivresse de s'envoler dans l'espace, l�gers comme les nuages de fum�e que d�roulait notre course!... PUITS-DES-BOIS C'est vrai, l'enl�vement du vice-roi et de ses compagnons �tait un point plus dangereux encore, mais nos matelots s'en sont tir�s comme � miracle! Les immortels sont avec vous, Majest�! L'EMPEREUR Pauvre petit vice-roi! Et l'escorte qui venait � sa rencontre, ne l'ayant jamais vu non plus, rien d'aussi simple que d'�tre pris pour lui. Je te dis, Puits-des-Bois, tout cela ne pouvait qu'�tre d'une facilit� enfantine! PUITS-DES-BOIS Sire, vous auriez compos� des romans d'aventure mieux encore que l'illustre Lo-Kouan-Tson. L'EMPEREUR Que veux-tu! on ne m'a laiss� que deux choses dans ma solitude magnifique: l'amour et l'opium. L'opium exalte l'imagination, et j'ai eu tout le loisir d'�chafauder des projets. PUITS-DES-BOIS Moi, je construis l'avenir dans des �crits, proph�tiques peut-�tre, mais je laisse aux g�n�rations prochaines le soin d'accomplir l'oeuvre. Tandis que vous, c'est votre propre sang que vous offrez en sacrifice, pour fl�chir la haine invincible. Les immortels se pencheront vers vous, comme vers leur �gal; mais ceux-l� m�mes que vous voulez combler de vos bienfaits, vous serez d�chir� par eux! L'EMPEREUR Qui sait! La haine souvent c�de � l'amour.... PUITS-DES-BOIS Pas celle-l�, pas cette haine s�culaire, que rien n'a pu amollir et qui, pendant ces trois cents ans, n'a pas connu m�me une faiblesse amoureuse: jamais un Tartare ne s'est uni � une Chinoise, jamais un Chinois n'a aim� une femme tartare et, voyez, depuis trois ans, que, par un d�cret, vous avez autoris� les mariages entre les deux races, personne n'a us� de la permission. L'EMPEREUR Si! Il y a eu un mariage.... PUITS-DES-BOIS Un mariage! Un de vos courtisans pour vous plaire a �pous� la fille d'un de vos ministres, et rappelez-vous de combien de faveurs vous avez d� payer un acte aussi m�ritoire. L'EMPEREUR Toi, pourtant, tu es Chinois et je veux croire que tu m'aimes un peu. PUITS-DES-BOIS Pour moi seul, vous avez laiss� rayonner la lumi�re de votre �me, et j'ai d'ailleurs rejet� tous les pr�jug�s qui entravent la vie: je vous aime et je vous admire. L'EMPEREUR Eh bien! c'est d�j� ma r�compense.... PUITS-DES-BOIS On vient par l�! Prenons garde.... SC�NE V _De l�gers palanquins, port�s chacun par deux hommes, s'arr�tent devant le pavillon. Deux intendants les accompagnent et montent l'escalier._ PUITS-DES-BOIS Des eunuques qui, sans doute, viennent chercher les filles d'honneur. L'EMPEREUR Je croyais qu'il �tait interdit d'employer des eunuques, hors de mon palais de P�kin. PUITS-DES-BOIS On se permet tout, dans le palais de Nang-King. _Ils s'�cartent un peu, tandis que les jeunes filles descendent._ SC�NE VI LES M�MES, LOTUS-D'OR, TRANQUILLE-�L�GANCE, LA PERLE, CINNAMOME, LES EUNUQUES. TRANQUILLE-�L�GANCE, _bas � Lotus-d'Or._ Ces seigneurs sont l� encore. LOTUS-D'OR Ils ont grand air. LA PERLE Ils nous regardent � la d�rob�e. CINNAMOME Feignons de ne pas les voir. L'EUNUQUE L'Imp�ratrice va sortir de son palais. Vous bavarderez demain. TRANQUILLE-�L�GANCE Si nous sommes en retard, c'est ta faute. LA PERLE Il fallait nous pr�venir plus t�t. L'EUNUQUE Vite, vite; la derni�re veille va sonner.... _Elles montent dans les palanquins, qui s'�loignent � la file, pr�c�d�s et suivis d'un eunuque._ SC�NE VII L'EMPEREUR, PUITS-DES-BOIS. PUITS-DES-BOIS Elles sont gentilles. L'EMPEREUR Et si gracieusement v�tues! Cela me donne � regretter que mes anc�tres conqu�rants aient impos� au peuple le costume tartare. Ces v�tements chinois sont tellement plus jolis! PUITS-DES-BOIS Ils rendent la femme plus souple et plus fine. L'EMPEREUR Est-ce que dans la ville tous les habitants ont repris la mode antique? PUITS-DES-BOIS Dans leurs maisons, c'est tr�s probable; en public, dans les rues, ils dissimulent encore. L'EMPEREUR Le vice-roi, que j'entretiens ici, ne doit rien ignorer de tout cela; comment ne sommes-nous pas mieux avertis? PUITS-DES-BOIS Votre vice-roi, Sire, n'est pas un Tartare, mais un Chinois, autant dire qu'il fait cause commune avec les rebelles. Cependant � P�kin, en dehors de votre palais d'�ternel silence, on sait � peu pr�s ce qui se passe. Tandis que vous r�vez la paix d�finitive, on pr�pare la guerre. L'EMPEREUR H�las!... _On entend sonner, alternativement, la trompe, le claquebois et le gong, frappant chaque fois cinq coups. Bient�t les sonneurs passent, lentement._ PUITS-DES-BOIS La cinqui�me veille. L'EMPEREUR Faut-il rentrer? PUITS-DES-BOIS Pas encore. L'Imp�ratrice va se rendre au temple de ses anc�tres, cela nous donne du temps. L'EMPEREUR L'Imp�ratrice!... Dans quelques instants je la verrai! L'image que je m'en suis faite sera d�truite par la figure r�elle.... Ah! elle ne se doute gu�re, cette femme, pour qui je dois �tre l'�pouvantail supr�me, elle ne se doute pas que, depuis des mois, elle emplit toutes mes pens�es, qu'elle seule hante mes veill�es solitaires. Oh! si elle savait que l'Empereur-fant�me, s�questr� l�-bas dans le palais de P�kin, �crivait chaque nuit des po�mes en son honneur.... PUITS-DES-BOIS On la dit belle et charmante; mais ce sont, peut-�tre, paroles de courtisans. L'EMPEREUR Si elle ne l'est pas, mon sacrifice n'en deviendra que plus m�ritoire.... PUITS-DES-BOIS Oh!... Venez l�, c'est elle! Elle traverse les jardins et, comme il n'y a personne, son palanquin est grand ouvert. L'EMPEREUR Ah! (_A travers les buissons en fleurs il regarde ardemment. On entend la musique d'une marche._) Mais je la reconnais, ami, cette femme!... belle et touchante, majestueuse et fragile, fleur rare, fleur imp�riale.... Ami, que penses-tu de ce pr�sage: elle est telle, absolument, que je l'avais vue, refl�t�e dans le miroir des songes.... PUITS-DES-BOIS Les regards du dragon traversent l'espace. L'EMPEREUR _regagne le banc, appuy� sur Puits-des-Bois, et s'y laisse tomber, presque d�faillant._ Vois comme l'�motion brise mes forces.... PUITS-DES-BOIS Vous �tes comme la lyre sacr�e dont les cordes fr�missent au moindre souffle. SC�NE VIII LES M�MES, LE PETIT EMPEREUR DE NANG-KING, _un enfant de sept � huit ans, qui entre en jouant au volant avec ses mains, ses pieds, ses coudes, en de tr�s gracieux gestes. Des femmes suivent. Deux serviteurs restent au fond._ PREMI�RE FEMME, _qui veut reprendre le volant._ Sire, prenez garde de trop vous �chauffer. L'ENFANT Non, non, donne! Je veux jouer encore! DEUXI�ME FEMME, _s'approchant respectueusement de l'Empereur tartare._ Seigneur, il n'est pas convenable de demeurer en la pr�sence de Sa Majest�, notre jeune Empereur. L'EMPEREUR C'est lui!... _Le volant du petit Empereur de Nang-King vient tomber sur les genoux du grand Empereur, qui le prend entre ses doigts._ L'ENFANT, _� la deuxi�me femme._ Laisse-le assis l�, je le veux. Tu vois bien qu'il est malade! (_A l'Empereur._) Pourquoi es-tu si p�le? Tu t'es fait mal? L'EMPEREUR Non.... Sire.... C'est une �motion qui m'a fait p�lir. L'ENFANT Laquelle? L'EMPEREUR Celle de vous voir, peut-�tre. L'ENFANT C'est pour rire.... Trouves-tu que je joue bien au volant? L'EMPEREUR Avec une gr�ce infinie. L'ENFANT Tout � l'heure, pendant la c�r�monie, il va falloir se tenir bien tranquille; alors je me remue beaucoup, pour avoir de la patience apr�s.... Tu comprends? L'EMPEREUR, _lui tendant le volant._ Voulez-vous continuer le jeu? L'ENFANT Non, garde-le. Tu le donneras, de ma part, � ton fils. L'EMPEREUR Je n'ai pas de fils. L'ENFANT Oh! que c'est triste! Eh bien! garde-le tout de m�me, en souvenir d'un enfant qui, lui, n'a plus de p�re.... L'EMPEREUR Merci! (_D�tachant un bijou de sa ceinture._) Prenez, en �change, ce bijou, en m�moire d'un homme dont le plus grand d�sir serait de vous avoir pour fils.... L'ENFANT Oh! merci!... PREMI�RE FEMME Venez, Sire, il est temps. L'ENFANT C'est un petit dragon, un dragon imp�rial, je le connais mal.... Mais comment l'avais-tu sur toi? Tu n'as pas le droit de le porter?... Sois tranquille, je ne dirai rien. Au revoir!... L'EMPEREUR Au revoir!... _L'enfant s'en va en courant, suivi des femmes. L'Empereur remonte un peu, pour le voir plus longtemps._ SC�NE IX L'EMPEREUR, PUITS-DES-BOIS. PUITS-DES-BOIS Vous voil� encore tout vibrant.... L'EMPEREUR C'est un trouble plein de douceur.... Ne dirait-on pas que le ciel m'approuve et veut me seconder? Cet enfant, qui vient � moi, prend ma d�fense, s'inqui�te de ma p�leur, qui me donne son jouet!... Ah! qu'il m'est pr�cieux, ce l�ger cadeau!... PUITS-DES-BOIS Oui, je l'ai subie comme vous, l'�motion impr�vue de cette rencontre.... Mais laissez le calme descendre dans votre �me. Vous avez besoin de tout votre sang-froid, pour ne pas vous trahir, pendant cette c�r�monie de l'investiture, o�, cette fois, vous ne jouez pas le premier r�le. Songez aux trois agenouillements, aux neuf prosternations; vous n'�tes gu�re accoutum� � vous y soumettre. L'EMPEREUR Mais j'en connais les nuances mieux que personne, moi qui suis condamn� � voir toujours l'homme prostern� � mes pieds, et battant le sol du front.... _Des officiers, des gardes, des h�rauts d'armes, commencent � s'agiter, au fond de la sc�ne, et � se ranger en haie. On d�ploie les banni�res. Les chefs crient des ordres._ PUITS-DES-BOIS Rentrons! Il est temps, puisque vous voulez repasser votre discours.... Surtout, Sire, n'y changez rien; je crains tant que vous vous trahissiez par quelques paroles imprudentes. L'EMPEREUR Je le trouve trop banal, ce discours ... depuis que je l'ai vue, Elle!... J'en improviserai un autre.... PUITS-DES-BOIS Oh! non, je vous en supplie! Vous pourriez vous troubler, rester court, ou plut�t vous laisser entra�ner plus qu'il ne serait raisonnable.... L'EMPEREUR Tu me pr�pareras une pipe d'opium, alors tout sera clair et facile pour mon esprit. PUITS-DES-BOIS Oh! vous aviez promis de renoncer � ce poison! Vous pavez pourtant qu'il a �t� le grand destructeur de vos �nergies et de votre volont�! L'exaltation qu'il vous communique, vous savez bien de quel accablement il faut la payer apr�s! L'EMPEREUR Viens, viens! Une bouff�e seulement. Je te jure que ce sera la derni�re. _Ils s'�loignent. Des appels de trompettes, des cris de commandement, tandis que le rideau se ferme._ DEUXI�ME TABLEAU La salle du tr�ne, au palais de Nang-King, vue de biais. L'Imp�ratrice et le tr�ne, sur lequel elle est assise, se pr�sentent de profil. Le petit Empereur est assis pr�s d'elle. Le tr�ne est sur�lev� de plusieurs marches; les filles d'honneur sont derri�re l'Imp�ratrice, tenant au bout de hampes les grands �crans de plumes. Les gardes du corps sont rang�s sur les marches du tr�ne et portent des encensoirs o� fume de l'encens du Thibet. Tous les mandarins, tous les dignitaires et officiers sont rang�s en ordre et debout. Au fond de la sc�ne, � travers une colonnade, on aper�oit, sur des galeries ext�rieures, des instruments de musique, des musiciens et des choristes; on aper�oit aussi le palanquin � dragons d'or de l'Imp�ratrice. Au dehors, des foules que l'on doit deviner et vaguement apercevoir. En face du tr�ne, sur une estrade, des danseurs, costum�s en guerriers et arm�s, se tiennent immobiles. Toute l'assistance est debout, sauf l'Imp�ratrice et le petit Empereur son fils. SC�NE PREMI�RE LA FOULE, L'EMPEREUR TARTARE _et_ PUITS-DES-BOIS, _d�guis�s toujours, mais en grand costume_. PRINCE-FID�LE. LA FOULE, _cri chant�._ Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! Qu'il vive heureux notre roi! Qu'il vive heureux et longtemps! Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! _La musique continue au fond de la sc�ne._ L'EMPEREUR TARTARE, _sur le devant de la sc�ne, bas � Puits-des-Bois._ Ce vieux palais est infiniment plus joli que le mien, d'un art plus exquis et plus pur. PUITS-DES-BOIS, _bas aussi._ Notre art chinois, Sire, dans toute sa puret� ancienne. L'EMPEREUR, _souriant._ Vous �tes rest�s nos ma�tres en toutes choses; aupr�s de vous, nous ne sommes toujours que des barbares, nous les conqu�rants et les envahisseurs.... Que ce soit l'unique gloire de mon r�gne, de restaurer la noble tradition chinoise, en fusionnant nos deux peuples pour jamais.... PUITS-DES-BOIS Ne parlons pas trop, � mon bien-aim� ma�tre; on nous observe.... Et puis n'oubliez pas qu'il va falloir vous prosterner.... L'EMPEREUR Devant Elle! Oh! cela me sera bien facile. PUITS-DES-BOIS Et votre discours, de gr�ce, faites-le tout � l'heure correct et banal.... Le charme, qu'Elle semble exercer sur vous, d�j� m'�pouvante.... CHOEUR, _chant� au fond de la sc�ne._ Du haut du ciel tournez les yeux[1], Vers ce palais, � mes a�eux! Moi, votre fils, �lu des dieux, Je monte au tr�ne glorieux. _Les danseurs ex�cutent trois �volutions de la danse rituelle dite: danse de la plume et de la fl�te._ CHOEUR, _chant� au fond de la sc�ne._ Que votre esprit, votre valeur Et vos vertus guident mon coeur! Je triompherai du malheur Et des m�chants serai vainqueur. _Les danseurs �voluent encore trois fois._ CHOEUR, _chant� au fond de la sc�ne._ Sur l'�tendard, dans le ciel pur, Le dragon d'or baigne en l'azur, Sous son abri, puissant et s�r, Je ferai grand le temps futur! _Les danseurs ex�cutent les trois derni�res �volutions._ _Musique._ _Le ma�tre des c�r�monies s'approche du garde des Sceaux, le salue et du geste l'invite � le suivre. Il le conduit � une table d'or plac�e au fond. Le garde des Sceaux, apr�s avoir ploy� le genou, prend sur cette table, pos� dans un plateau, le grand sceau de l'Empire. Le ma�tre des c�r�monies le conduit jusqu'au pied du tr�ne, puis se retire. Le garde des Sceaux ploie un genou et offre le sceau � Prince-Fid�le. Quand Prince-Fid�le l'a pris, le garde des Sceaux s'agenouille devant le tr�ne, fait trois prosternements, se rel�ve et se retire � reculons. Prince-Fid�le ploie un genou et �l�ve � deux mains vers l'Imp�ratrice le grand sceau d'or, puis il se rel�ve._ _La musique cesse._ PRINCE-FID�LE, _� l'Imp�ratrice._ Au nom de tous les princes ici assembl�s, au nom du peuple fid�le et de l'arm�e pr�te � mourir pour la Dynastie Lumineuse, je pr�sente � Votre Majest� le tr�sor sacr� entre tous, le d�p�t sans prix que vos anc�tres se sont transmis de g�n�ration en g�n�ration, le symbole de la Toute-Puissance, le grand Sceau de l'�tat. En vous le remettant, nous vous reconnaissons comme souveraine de l'Empire, pendant la minorit� de votre fils bien-aim�. Acceptez le mandat du ciel avec recueillement et pi�t�.... _Deux filles d'honneur descendent les marches du tr�ne, viennent prendre le plateau et vont le d�poser sur une autre table toute proche de l'Imp�ratrice._ PRINCE-FID�LE O fille du Ciel, que nous jurons de fid�lement servir! Pour achever l'oeuvre de vos anc�tres d�ifi�s, n'oubliez jamais les dix pr�ceptes, qui sont la r�gle de conduite des souverains. Tels qu'ils furent grav�s, ici, dans le jade pr�cieux, mon devoir est de vous les relire en ce jour et devant tous. _Lisant sur un bloc de jade qu'on lui pr�sente._ Craindre le ciel. Aimer le peuple. �lever l'esprit. Cultiver les sciences. Honorer le m�rite. �couter les conseils. Diminuer les imp�ts. Adoucir les lois. �pargner le tr�sor Fuir l'entra�nement des sens. En ob�issant � ces commandements, on est assur� de suivre la voie droite; mais il faut s'y avancer sans distraction ni d�faillance. O notre souveraine, soyez attentive et anxieuse, comme si, � toutes les heures de votre vie, vous portiez une coupe trop emplie d'eau, dont pas une goutte ne doit se perdre. Faites ainsi, alors votre oeuvre sera juste et votre dynastie ne finira jamais.... TOUS Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! _L'orchestre joue. Prince-Fid�le s'agenouille, fait trois prosternements, se rel�ve, puis retourne � sa place. La musique cesse, un grand silence s'�tablit, l'Imp�ratrice se l�ve._ SC�NE II L'IMP�RATRICE, LA FOULE. L'IMP�RATRICE �claire-moi, � divine Raison! Esprits de mes anc�tres, descendez en mon esprit, soutenez ma faiblesse, fortifiez mon coeur!... Ce sceptre, trop lourd encore pour les mains fr�les de mon bien-aim� fils, mes mains de femme auront-elles la force de le porter assez haut?... Du moins elles ne trembleront pas; elles le tiendront d'une �treinte constante, que la mort seule pourra desserrer. Et vous m'aiderez, tous, mes fid�les, vous m'aiderez de vos conseils, de vos sagesses et de vos courages. Le nom indiqu� par le Livre des Si�cles pour le r�gne du dernier descendant de la Dynastie Lumineuse est: la Grande Concorde d�finitive. Mais qu'elle semble encore lointaine, h�las! cette concorde, annonc�e depuis les vieux temps de notre histoire, et que nos coeurs meurtris appellent de tous leurs voeux! Au lieu de ce r�ve de l'avenir, nous avons le pr�sent terrible, l'incertitude, l'instabilit�, la guerre! Et cet Empire dont vous me proclamez souveraine, il faudra, chaque jour, en refaire la conqu�te; lambeau par lambeau, l'arracher au ravisseur.... Oh! que de sang, depuis trois si�cles! C'est un flot empourpr� de sang, qui soutient le navire charg� de nos nobles espoirs!... Il est ballott�, il fuit devant la temp�te, ce navire aux flancs rougis, mais il ne peut pas faire naufrage, car il porte la justice et le droit; un jour, il jettera l'ancre dans le port pacifique, la Dynastie Lumineuse sera r�tablie � jamais,--et tous nos morts, dont les d�bris jonchent la terre, dont les �mes emplissent au-dessus de nous les nuages, nos innombrables morts auront ainsi leur vengeance magnifique et recevront le prix de leur martyre. Comme vous tous qui �tes ici, je voue ma vie � cette cause sacr�e; mais il ne suffit pas de mourir sans regret, il faut combattre � outrance, nous d�fendre jusqu'au dernier souffle, afin que notre mort soit f�conde. Pour reconqu�rir notre patrie, pour briser le joug qui la d�shonore, faisons notre coeur intr�pide, notre �me implacable. Ni piti�, ni merci pour le Tartare; que jamais ne s'apaise notre h�ro�que col�re, notre sainte haine!... Envers tous les autres vivants, nous connaissons nos devoirs: bienveillance, compassion, charit�. Quels que soient les hommes, d'o� qu'ils viennent, du Midi, du Nord, de l'Occident avide, � tous ceux qui se diront amis, tendons des mains fraternelles, selon l'imm�moriale tradition que, seuls, nos envahisseurs ont viol�e! Je jure, devant vous, � M�nes de mes anc�tres, et devant vous, � mes sujets bien-aim�s, je jure de veiller s�v�rement sur moi-m�me, de m'appliquer � ne manquer � aucun de mes devoirs, d'�tre attentive et anxieuse comme si je portais entre mes mains une coupe trop remplie, dont l'eau ne doit pas �tre renvers�e; je jure d'affronter la t�te haute les menaces de l'avenir, de subir avec r�signation la destin�e cruelle et de ne pas ciller des paupi�res m�me devant le glaive lev� sur moi! _Elle se rassied sur le tr�ne._ TOUS Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! _La musique reprend au fond de la sc�ne. Sur un signe du ma�tre des c�r�monies, les mandarins quittent leurs places et viennent se ranger en plusieurs lignes au pied du tr�ne._ DEUX H�RAUTS Agenouillez-vous! D'AUTRES H�RAUTS, _sur les portes, r�p�tant le m�me ordre � la foule qui est sur les terrasses et dans les cours_ Agenouillez-vous! _Tous les mandarins s'agenouillent en m�me temps._ LES H�RAUTS Prosternez-vous! LES H�RAUTS DES PORTES Prosternez-vous! _Tous les mandarins se prosternent par trois fois en approchant leur front du sol trois fois par chaque prosternement._ LES H�RAUTS Relevez-vous! LES H�RAUTS DES PORTES Relevez-vous! _Tous les mandarins se rel�vent et regagnent leur places._ UN H�RAUT Que le vice-roi du Sud, au nom de tous, r�ponde � Sa Majest�. _Le ma�tre des c�r�monies s'approche de l'Empereur tartare et le guide vers le tr�ne. Le petit Empereur de Nang-King �change des signes avec l'Empereur tartare; il lui montre le dragon d'or, suspendu � son cou, tandis que l'Empereur tartare lui fait voir un coin du volant, cach� sur sa poitrine. L'Imp�ratrice, surprise, interroge son fils du regard. L'enfant sourit myst�rieusement, et se presse contre elle. L'Empereur tartare contemple d'abord l'Imp�ratrice, puis, lentement se prosterne. Il se rel�ve. La musique cesse._ L'EMPEREUR O divine Majest�! Moi, votre esclave, et en ce moment l'un des premiers dignitaires de votre cour, pourquoi donc suis-je si peu de chose? Pourquoi est-elle st�rile, ma volont� fervente de cr�er sous vos pas une route unie et triomphale?... Oh! devant mon impuissance � dompter le sort mena�ant, quel tumulte de d�sirs et de col�re bouleverse mon �me!... Et pourtant, voici que le c�leste rayonnement de votre pr�sence m'illumine et m'inspire. Une lumi�re �clatante, qui �mane de Votre Majest�, semble traverser les nuages des horizons, percer les t�n�bres ... et je vous vois, l�-bas, dans la grande ville des Tsins!... je vous vois assise et toute-puissante, sur le tr�ne m�me de l'Empereur tartare; l'immense empire, indivis et calm�, �tendu sous vos pieds comme un tapis de gloire!... Non, la destin�e ne pourra pas vous �tre cruelle; devant votre personne sacr�e, ses armes se briseront. Pour certains �tres, � ce point sup�rieurs au niveau commun, les lois du ciel et du monde ne semblent-elles pas toujours fl�chir?... Souvenez-vous de cette favorite, si belle, qui jadis subjugua l'un des souverains vos a�eux: quand vint le jour o�, d�chue de la faveur imp�riale, elle fut livr�e aux bourreaux, tranquille, elle les regarda, et d�s qu'ils brandirent leurs sabres, pour toute d�fense elle sourit. Alors, ils jet�rent leurs armes � ses pieds, car aucun ne se sentit le courage d'�teindre ce radieux sourire. _Une rumeur d'�tonnement contenu parcourt la foule qui s'agite._ Ainsi vous d�sarmerez le destin, et vos plus redoutables adversaires ploieront le genou devant vous.... _Ce disant, il s'agenouille._ L'IMP�RATRICE, _apr�s un instant de stupeur et de silence, sans se lever du tr�ne._ Merci, mon noble sujet. Vos paroles audacieuses nous ont surprise, mais nous ont aussi charm�e. Les tragiques circonstances de notre investiture excusent d'ailleurs les pens�es ardentes, les discours exceptionnels; et votre vision proph�tique nous a �mue ... tr�s profond�ment.... Merci � vous, merci � tous! _L'Empereur tartare se rel�ve et regagne sa place. Musique. Marche. L'Imp�ratrice descend lentement de son tr�ne, le cort�ge se forme � sa suite et traverse la sc�ne; Elle atteint l'ouverture de la terrasse o� l'attend son palanquin � dragons d'or. Tous les assistants, sans quitter leurs places, s'agenouillent et se prosternent._ CHOEUR, _chant� au fond de la sc�ne._ Que le bonheur et la paix[2]. Ici r�gnent � jamais O ciel, exauce nos souhaits! Accorde-nous tes bienfaits: La douce pluie, le vent frais. Que jusqu'au s�jour des dieux S'�l�vent nos chants pieux.... TOUS, _interrompant le choeur chant�._ Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! _Le grand tambour et la cloche sonnent alternativement. Le rideau tombe._ [1] Ces vers qui ont la longueur voulue pour �tre chant�s avec la musique traditionnelle, sont une traduction de l'hymne chinois. [2] Traduction de l'hymne chinois. ACTE DEUXI�ME D�cor tout en blancheurs de marbre, au clair de lune. Au milieu de la sc�ne, tr�s en recul et sur�lev� par des terrasses de marbre blanc, le pavillon de l'Imp�ratrice: toits courbes, orn�s de monstres et de clochettes. On monte � ces terrasses par un �sentier imp�rial� qui occupe le centre du d�cor et qui se compose d'un plan inclin� en marbre blanc sur lequel un immense dragon est sculpt� en bas-relief. On y monte aussi par deux escaliers de marbre blanc, sym�triques de chaque c�t� du sentier imp�rial; ces escaliers sont bord�s de b�tes en bronze et en jade, et de grands br�le-parfums sur des socles de marbre blanc. Kiosques lat�raux et sym�triques de chaque c�t� de la sc�ne; toits courbes, comme celui du pavillon, orn�s de clochettes et de monstres. Au lever du rideau, la sc�ne est vide; la brise fait tinter les clochettes, suspendues aux angles des toits. SC�NE PREMI�RE L'IMP�RATRICE ET QUATRE SUIVANTES. _L'imp�ratrice sort du pavillon et s'avance lentement au bord de la terrasse, les yeux lev�s � la lune. Quatre suivantes sortent apr�s elle, mais restent en arri�re._ L'IMP�RATRICE, _arr�t�e en haut du sentier imp�rial._ O nuit enchant�e! Pure lumi�re! Frais silence!... �toiles diamantines, enveloppez-moi de vos scintillements, et toi, lune p�le, prends-moi dans tes rayons bleus; calmez mon �me, �teignez ma fi�vre!... (_Elle commence de descendre par le sentier imp�rial deux des suivantes descendent aussi, l'une par l'escalier de gauche, l'autre par l'escalier de droite, r�glant leur marche sur l'Imp�ratrice, qui reste isol�e au milieu._) Le r�ve, l'�trange r�ve qui me chasse de ma couche j'en subis encore l'�pouvante ... (_Baissant la voix._) l'�pouvante et le charme. (_A ses suivantes._) Qu'on �veille en h�te l'astrologue, qu'il d�couvre le sens d'un tel songe, et l'explique sans rien feindre. �coutez bien mes paroles: j'allais �tre la proie d'un serpent aux �cailles brillantes; d�j� il m'enla�ait, m'�touffait lentement de ses anneaux froids. Et, fascin�e par ses yeux fixes, je n'avais pas la force de lutter; engourdie, inerte, je m'abandonnais, sans redouter de mourir; � la terreur et � la souffrance, une langueur presque d�licieuse �tait m�l�e.... Un effort supr�me de volont� cependant me d�gagea de l'�treinte, et, rejet�e soudain hors du r�ve, hors du sommeil, je me pris � regretter ces anneaux mortels qui m'enserraient.... Quel peut �tre ce pr�sage? (_Aux femmes._) Rapportez ce que j'ai dit � l'astrologue: qu'il interroge l'inconnu, et, sans tarder, qu'il me donne sa r�ponse, ici m�me. Allez! (_Deux des suivantes sortent � ce commandement. L'Imp�ratrice continue de lentement descendre. Elle est seule au milieu du sentier imp�rial, qui est tr�s large et dont la blancheur est comme sem�e de petites paillettes brillantes._) Comme la ros�e brille sur le sentier de marbre! Il me semble fouler un tapis d'�toiles. Mais mon passage �teint leur lumi�re, et mon v�tement qui tra�ne change les gouttelettes �tincelantes en un peu d'eau quelconque, dont le bas de ma robe est tremp�. (_Elle descend encore._) Pourquoi est-elle toujours devant mes yeux, l'image de cet homme que j'ai vu ce matin pour la premi�re fois?... Pourquoi, de cette journ�e, o� de si lourds devoirs sont �chus � ma faiblesse, n'ai-je retenu qu'un regard ardent et profond, plongeant dans le mien avec une audace souveraine? Comment n'�tais-je pas offens�e par ce regard-l�, pas plus que par les rayons du bienfaisant soleil, lorsqu'ils violent ma demeure?... Il me trouvait belle, et son admiration fut, pour moi, une parure plus pr�cieuse que le ph�nix imp�rial de ma coiffure. Ah! j'ai bien compris, quand il s'est enfin prostern�, quel sentiment le jetait � mes pieds.... Et mon fils, qui �changeait avec lui des signes d'intelligence! D'o� le conna�t-il donc? Et pourquoi n'ai-je m�me pas os� le lui demander, comme si, de moi � mon enfant, parler de cet homme �tait d�j� criminel?... O Puissances bienfaisantes de la nuit, Esprits des anc�tres d�ifi�s qui m'entourez dans l'air, M�nes augustes � qui j'ai rendu hommage au fond de vos temples d'or, descendez sur moi, assemblez-vous autour de votre fille indigne et d�faillante!... Cet homme, cet �tranger sur ma route, en un tel jour!... O divinit�s dont je suis descendue, �cartez de mon �me jusqu'� son souvenir. Dans un serment solennel, j'ai d�pouill� ma personnalit� terrestre. Rien de moi n'est plus � moi. Fille du Ciel, imp�ratrice et r�gente, j'appartiens toute � ma mission surhumaine.... Faites que je triomphe des faiblesses qui �taient le charme de la vie. Faites que je ne sache plus qu'il y a des fleurs, des perles et des parfums; accordez-moi d'oublier � jamais que l'amour est l'unique royaume de la femme, et la beaut� sa vraie puissance. Que ma poitrine d�sormais ne soit que la prison de marbre de mon coeur glac�; s'il se r�volte et veut battre encore, que ma volont� lui devienne un ge�lier inflexible!... Aidez-moi, descendez, purs Esprits de l'air! Faites-moi rigide comme les d�esses de jade, qui tiennent les paupi�res baiss�es pour ne rien voir des choses de ce monde!... _Les deux suivantes reviennent par le jardin au bas du sentier imp�rial, et se prosternent._ PREMI�RE SUIVANTE L'astrologue est pr�t � r�pondre � Votre Majest�. L'IMP�RATRICE Qu'il vienne. (_Les suivantes se rel�vent et s'�loignent._) Ce serpent qui m'enla�ait. Ah! ce ne peut pas �tre lui!... Son regard dominateur, riv� au mien, restait noble et clair, pourquoi me serait-il apparu sous cette forme hostile et affreuse? Non, dans une �me qui a ces yeux-l�, aucune trahison ne saurait germer.... Ce ne peut pas �tre lui.... Et cependant ... je m'enivrais de cette �treinte glac�e: alors, quel autre au monde?... SC�NE II LES M�MES, L'ASTROLOGUE. _Il a cent ans. Il a une barbe blanche, raide et �bouriff�e. Il est aveugle et conduit par un jeune gar�on. Il veut se prosterner, mais l'Imp�ratrice l'arr�te._ L'IMP�RATRICE Reste debout, v�n�rable vieillard; ton �ge et tes yeux �teints te dispensent des formules. L'ASTROLOGUE Mes yeux �teints voient dans l'invisible; mon esprit, qui m�dite depuis tant de jours obscurs, est clairvoyant et proph�tique. L'IMP�RATRICE Comment explique-t-il le myst�re de ce r�ve qui m'obs�de? L'ASTROLOGUE Sous l'apparence d'un serpent, le Dragon lui-m�me est venu vers le Ph�nix pour l'enlever et lui livrer des tr�sors; mais le Ph�nix n'a pas compris, il a battu des ailes et s'est �chapp�. Qu'il s'abrite � pr�sent de l'orage terrible que, sans le vouloir, le Dragon tra�ne � sa suite. L'IMP�RATRICE Ces paroles sont plus imp�n�trables encore que le songe. L'ASTROLOGUE C'est cela que les chiffres ont r�pondu. L'IMP�RATRICE Ne peux-tu �clairer ces t�n�bres? L'ASTROLOGUE Le voile qui couvre l'avenir ne saurait �tre arrach�! En soulever un coin, tout au plus, nous est permis. L'IMP�RATRICE Mais par l�, du moins, devrait-on entrevoir quelque lueur. L'ASTROLOGUE Que l'on s'abrite de l'orage terrible; que le pr�cieux flambeau, qui �clairera l'avenir, soit mis hors des atteintes du vent. Tel est l'arr�t. Rien de plus. L'IMP�RATRICE C'est bien. Je m�diterai ces �nigmes. Va en paix, noble vieillard. L'ASTROLOGUE Que le ciel propice verse tous ses bienfaits sur la dynastie lumineuse. _Il se retire. Le jour commence � para�tre. Les plates-bandes de fleurs qui sont au premier plan, pr�s de la rampe, d�j� s'�clairent: ce sont des fleurs jaune imp�rial._ L'IMP�RATRICE, _aux suivantes._ Par gr�ce, une fois dans ma vie, qu'on me laisse seule; aucun soin ne m'est n�cessaire. Allez! _Les servantes remontent et rentrent dans le pavillon._ SC�NE III L'IMP�RATRICE, _seule._ L'IMP�RATRICE, _au bas du sentier imp�rial, appuy�e aux balustres de marbre._ L'�orage� a dit le vieillard.... L'orage, il viendra du Nord comme toujours.... Nu�es noires � l'horizon, les arm�es qui s'avancent contre mon simulacre d'empire; nu�es noires, les arm�es de l'Empereur tartare.... Mais ce �flambeau qui �clairera l'avenir�, quel est-il?... Ah!... Mon fils sans doute!... Oui, c'est cela: mon fils.... L'�abriter�, a-t-il dit, le cacher, l'�loigner, peut-�tre, de ce palais menac� de toutes parts; me s�parer de lui, dans le danger supr�me: c'est cela qu'on me demande encore.... Toujours l'angoisse, toujours le sacrifice.... Et c'est � moi de guider tout un peuple, quand la force me manque pour me guider moi-m�me.... Oh! celles qui peuvent s'appuyer sur un bras robuste! Oh! celles qui ont pour les aider les conseils d'un esprit viril et clairvoyant! Oh! les �pouses qui trouvent dans le coeur de l'�poux un refuge � leur faiblesse!... Mais je suis l'Imp�ratrice, moi, et l'Imp�ratrice veuve, seule et trop haute, n'ayant m�me plus d'�gal � qui confier mes anxi�t�s et mes d�faillances.... (_Elle s'avance au milieu des fleurs du parterre._) Eh bien! entendez la confession qui m'�touffe, � vous fleurs du matin, humides de ros�e fra�che!... Esprits l�gers qui planez sur les parterres � l'aube du printemps, �coutez-moi, puisqu'il faut que je parle et que quelqu'un m'entende: cet homme, vous savez, celui d'hier, dont le regard tyrannique et caressant ne ressemble � aucun autre, il a troubl� la triste souveraine, et voici qu'� l'heure du grand p�ril, elle ne s'appartient plus.... Il n'est qu'un de ses sujets, et elle aimerait lui ob�ir.... SC�NE IV LES M�MES, LA GRANDE MAITRESSE DES C�R�MONIES, DEUX SUIVANTES. LA GRANDE MAITRESSE, _se prosternant._ Je dois avertir Votre Majest� que l'heure matinale, fix�e pour les audiences de cong�, est proche. L'IMP�RATRICE C'est bien. Je rentre. LA GRANDE MAITRESSE Tout est pr�t pour la toilette de l'Imp�ratrice. Quels sont les ordres? L'IMP�RATRICE Je recevrai ici et en simplifiant, le plus possible, le fastidieux c�r�monial. LA GRANDE MAITRESSE, _toujours prostern�e._ Les devoirs de ma charge m'obligent � faire observer � Votre Majest� que ceci est contraire aux rites: les audiences doivent avoir lieu dans la salle du tr�ne, et s'accomplir d'apr�s toutes les r�gles de l'�tiquette s�culaire. L'IMP�RATRICE Nous sommes au-dessus des rites et des r�gles: j'ai dit ma volont�. LA GRANDE MAITRESSE Les ordres de Votre Majest� vont �tre transmis aux officiers du palais, qui aviseront les princes et les grands. L'IMP�RATRICE C'est bien. _La grande ma�tresse se rel�ve et sort._ SC�NE V L'IMP�RATRICE. _Sortie du parterre, elle s'arr�te avant de monter par le sentier de marbre, et se retourne vers les fleurs._ Gardez-le-moi, � fleurs du matin, ce secret que je vous ai confi�. Maintenant il s'est �chapp� de mon �me!... Pour qu'il n'y rentre jamais, enfermez-le, � fleurs, dans vos calices. (_Elle monte de quelques pas._) Et vous, Ombres ancestrales, que j'implore une derni�re fois, secourez votre fille impuissante � triompher de soi-m�me. Rendez invuln�rable mon coeur, puisque vous m'avez appel�e � la mission souveraine; donnez-moi la force de repousser tout ce qui n'est pas ma noble t�che. Oh! faites que je ne songe plus qu'� �la coupe trop pleine qu'il faut porter sans qu'elle d�borde!� _Elle continue de remonter._ SC�NE VI PORTE-FL�CHE, DES SERVITEURS. _Ils entrent pr�cipitamment par le parterre qui est au pied des escaliers. Porte-Fl�che, levant la t�te, reconna�t l'Imp�ratrice qui s'�loigne par le sentier imp�rial; il fait un signe d'alarme � ceux qui le suivaient, et tous se jettent terrifi�s la face contre terre. D�s qu'Elle a disparu, Porte-Fl�che fait signe aux serviteurs de se relever_ PORTE-FL�CHE _aux serviteurs._ Mettez le tr�ne ici, et placez ce si�ge tout aupr�s, pour le cas o� l'Imp�ratrice accorderait � quelque privil�gi� la faveur de s'asseoir. (_A d'autres._) Disposez les parfums dans les cassolettes et que les filles d'honneur n'aient plus qu'� les allumer. _Entrent les gardes. Il les place au pied des escaliers_ SC�NE VII LES M�MES, PRINCE-FID�LE, _ministre et g�n�ral en chef_, PRINCE-AIL�, _g�n�ral et grand secr�taire_, LE PEUPLIER, _ministre,_ LUMI�RE-VOIL�E, _conseiller_, CHAMBELLANS, CONSEILLERS, MANDARINS, _etc. Ils entrent successivement, puis_ L'EMPEREUR TARTARE _et_ PUITS-DES-BOIS. LE PEUPLIER, _� Prince-Fid�le._ Si Votre Excellence voulait dire un mot pour moi � l'Imp�ratrice, mes d�sirs seraient combl�s et j'obtiendrais le globule rouge, que j'ai gagn� par mes services. PRINCE-FID�LE Je connais vos m�rites et je sais ce que vous valez. Mais, croyez-moi, la vraie grandeur est au-dessus des grandeurs. Nous vouons notre vie � une noble cause, pour la joie de la voir triompher, et non dans l'espoir d'un salaire. Si nous mourons � la t�che, notre nom brillera d'un �clat plus durable, je vous assure, que celui d'un rubis au sommet de votre chapeau.... Cependant, soyez tranquille, je m'emploierai � vous le faire obtenir, puisque vous l'ambitionnez. LE PEUPLIER Je vous en serai reconnaissant jusqu'� mon dernier jour. _Il salue et s'�loigne._ PRINCE-AIL�, _� Prince-Fid�le qui salue._ Puis-je m'enqu�rir de votre sant� si pr�cieuse? PRINCE-FID�LE, _saluant._ Que vous �tes bon de vous inqui�ter d'une si n�gligeable chose! Ma sant� est bonne, merci. J'ose esp�rer que la v�tre, d'un prix infiniment, sup�rieur, se maintient excellente, pour notre joie � tous. PRINCE-AIL�, _resaluant._ Vous me voyez confus d'une sollicitude que je m�rite si peu. Merci, je suis bien. J'atteins sans trop de peine le chiffre, encore bien mis�rable, il est vrai, qui marque le nombre de mes ann�es. PRINCE-FID�LE Avez-vous pu voir ce serviteur de nos ennemis, qui est le vice-roi de Nang-King?... PRINCE-AIL� Je l'ai vu et je lui ai dict� le rapport qu'il convenait d'envoyer � P�kin, mais j'ai d� payer ch�rement sa discr�tion. PRINCE-FID�LE Si nous gagnons par l� quelques jours de r�pit, il ne faut pas regretter l'app�t jet� dans la gueule du Tigre: les tr�sors des Ming, heureusement, sont loin d'�tre �puis�s et les souterrains, inconnus des Tartares, en rec�lent encore, plus qu'il n'en faut pour soutenir la guerre. _Ils s'�loignent en causant._ LUMI�RE-VOIL�E, _causant avec un conseiller._ C'est la mani�re d'obtenir des calebasses d'un rouge magnifique: on greffe le jeune plant avec des cr�tes de coq.... UN CONSEILLER Des cr�tes de coq!... Se peut-il? LUMI�RE-VOIL�E On les enfouit � c�t� des racines et il faut faire passer les tiges � travers la chair.... UN SECR�TAIRE Je connais aussi un proc�d� pour obtenir des courges d'un bleu c�leste. LE CONSEILLER, _� Lumi�re-Voil�e._ D'o� tenez-vous la recette? LUMI�RE-VOIL�E Je l'ai lue dans le Tou-Tien-Chan, un ouvrage en vingt volumes qui contient vraiment les plus curieux secrets de l'horticulture. _Ils passent._ UN OFFICIER Que notre Imp�ratrice est bonne de nous donner audience en plein air, au milieu des fleurs!... UN GROS MANDARIN Et de nous dispenser des prosternements; � mon �ge, avec ma corpulence, cet exercice est tr�s p�nible, et l'on est, vous ne l'ignorez pas, si facilement ridicule!... PRINCE-AIL�, _� Prince-Fid�le, en regardant de loin l'Empereur Tartare et Puits-des-Bois._ J'ai rencontr� une fois le gouverneur du Sud, mais je dois le confondre avec un autre, car je me souviens d'un personnage tout diff�rent de celui-ci. Cependant, si j'avais d�j� vu ces yeux-l�, il me semble qu'ils seraient rest�s dans ma m�moire. PRINCE-FID�LE En effet, il a une expression de visage et une dignit� peu ordinaires. L'EMPEREUR, _� Puits-des-Bois._ Pourquoi sembles-tu si inquiet? PUITS-DES-BOIS, _bas._ Pourquoi?... Je suis certain d'avoir reconnu, ici, dans le palais, deux officiers de P�kin, d�guis�s, comme nous le sommes nous-m�mes. L'EMPEREUR Vraiment?... Sans doute des espions lanc�s � ma poursuite. PUITS-DES-BOIS Je ne le crois pas.... Plut�t les chefs d'un complot, dirig� contre Nang-King peut-�tre pour surprendre la ville.... Il faut la quitter au plus vite. Tout est pr�t, les chevaux sell�s, le navire sous vapeur.... Vous vouliez vous rendre compte par vos propres yeux; vous avez r�ussi, maintenant partons. L'EMPEREUR Partir avant d'avoir revu une derni�re fois l'Imp�ratrice! Oh! non, rien ne pourrait me faire renoncer � cette faveur, qui est devenue, pour moi, la chose la plus enviable qui soit au monde. PUITS-DES-BOIS A chaque minute, ici, nous jouons notre t�te.... Au moins, d�s que vous aurez votre cong�, je vous en supplie, ne vous attardez pas un instant.... L'EMPEREUR Je te le promets. PUITS-DES-BOIS Le Prince-Fid�le a tourn� plusieurs fois ses regards vers nous, et vous ne pouvez vous dispenser de le saluer. Il est premier ministre et g�n�ral en chef, le plus important personnage d'ici: un grand coeur et un beau caract�re. Son grade le place au-dessus d'un Vice-Roi. L'EMPEREUR Que pourrai-je bien lui dire? PUITS-DES-BOIS Quelques banalit�s courtoises. L'EMPEREUR Saurai-je?... (_Il s'approche de Prince-Fid�le et le salue._) Illustre Prince! puissiez-vous vivre de longs jours heureux!... C'est une largesse du ciel que d'�tre admis � contempler votre noble face, et � croiser du regard le feu de vos yeux.... PRINCE-FID�LE, _rendant le salut._ En v�rit�, je pourrais vous dire de m�me.... Mais, je vous en prie, laissons les compliments. �tes-vous satisfait de votre gouvernement du Sud. L'EMPEREUR Cette r�gion est la plus fid�lement rebelle de tout l'empire et elle est si lointaine que les ordres de r�pression se perdent en route. Les habitants refusent de payer l'imp�t aux Tartares et le versent spontan�ment dans nos caisses. PRINCE-FID�LE Vous n'omettez pas de n'en accepter que la moiti�, et de le refuser compl�tement, dans les mauvaises ann�es?... L'EMPEREUR Je n'ai garde de n�gliger ce soin, qui porte � son comble notre popularit�. PRINCE-FID�LE Peut-�tre aimeriez-vous � vous rapprocher du tr�ne, � obtenir un grade sup�rieur, plus digne de vos m�rites. Usez de mon cr�dit, pour appuyer votre demande.... L'EMPEREUR Je suis l'esclave de Sa Majest�, pr�t � la servir dans le poste o� elle voudra bien m'employer, mais je ne demande rien, et la bonne opinion que Votre Excellence a de mes m�rites est pour moi la plus belle r�compense. PRINCE-FID�LE Je vous f�licite d'�tre sans ambition et de ne pas fixer le prix de votre d�vouement.... Notre souveraine va para�tre. L'EMPEREUR, _� Puits-des-Bois._ M'en suis-je bien tir�? PUITS-DES-BOIS Avec des mots bien dangereux. Ah! que je voudrais vous voir hors d'ici. L'EMPEREUR Que ne puis-je y rester toujours!... Elle vient! SC�NE VIII LES M�MES, L'IMP�RATRICE, _maintenant en costume d'apparat._ _D�s qu'Elle para�t en haut de la terrasse, les parfums fument dans les cassolettes. Les gardes d�ploient les banni�res qu'ils tenaient � la main. Les chambellans et les grands �cuyers font la haie sur les marches de l'escalier en ployant un genou. Devant Elle on porte le parasol jaune � trois volants, � manche courb� en cou de cygne; derri�re, deux suivantes tiennent les hauts �crans de plumes, embl�mes de la souverainet�._ TOUS LES ASSISTANTS, _� voix basse et les yeux baiss�s._ Dix mille ann�es! dix mille ann�es! dix mille fois dix mille ann�es!... L'IMP�RATRICE Le bonheur avec vous, mes fid�les: puissiez-vous vivre de longs jours!... _Elle descend, Prince-Fid�le et Prince-Ail� la re�oivent au bas des marches._ PRINCE-AIL� Les fleurs p�lissent d'envie � l'approche de notre souveraine. PRINCE-FID�LE Sa pr�sence double l'�clat du jour. PUITS-DES-BOIS, _bas � l'Empereur._ Il est vrai qu'elle est aussi belle que la pivoine rose. L'EMPEREUR Dis plut�t que la fleur est � peine jolie comme elle. L'IMP�RATRICE, _s'arr�tant aux derni�res marches, entre les deux princes agenouill�s._ Il est des heures o� la nature para�t plus splendide, la lumi�re du ciel plus rayonnante, o� toutes les choses de ce monde semblent transfigur�es et nouvelles, et l'�me alors se dilate comme dans la joie d'exister.... Oh! mes fid�les, malgr� nos lendemains charg�s de menaces, l'heure pr�sente est, pour votre souveraine, une de ces heures si rares.... (_Plus � part et plus bas._) En moi la vie tout � coup est comme doubl�e: les ivresses et les espoirs inconnus emplissent �perdument mon coeur. L'EMPEREUR, _� Puits-des-Bois._ Ce que j'�prouve moi-m�me, elle vient exactement de l'exprimer.... Avant cette heure qui rayonne, ami, je ne savais pas ce que c'�tait que vivre.... L'IMP�RATRICE _s'avance avec lenteur, s'arr�tant pour dire quelques mots aux personnages inclin�s sur sa route;--� Lumi�re-Secr�te._ Vous d�siriez le gouvernement de la forteresse de Tang-Men. L'Empereur vous accorde ce titre, et les apanages qu'il comporte. LUMI�RE-SECR�TE, _s'agenouillant._ Je redoublerai de z�le pour �tre digne d'une telle gr�ce. L'IMP�RATRICE Faites ainsi.... (_Elle passe. Le Grand �cuyer remet un rouleau de satin jaune � Lumi�re-Secr�te qui le re�oit toujours � genoux. A un officier._) L'Empereur vous nomme au grade sup�rieur, que vous avez su m�riter si bien. L'OFFICIER Ma vie appartient � Vos Majest�s, mon seul d�sir est de pouvoir la sacrifier utilement. L'IMP�RATRICE Conservez-la pour notre service. (_On donne � l'officier un rouleau jaune._) J'offre � chacun de vous un l�ger cadeau, comme gage de ma bienveillance et souvenir de mon av�nement.... TOUS Dix mille ann�es! Dix mille fois dix mille ann�es! _Des pages distribuent les pr�sents._ PRINCE-FID�LE, _pr�sentant Le Peuplier._ Votre serviteur d�vou� ambitionne de voir le corail de sa coiffure se changer en rubis. J'ose appuyer sa requ�te aupr�s de Votre Majest�. L'IMP�RATRICE Recommand� par vous, le m�rite est certain. J'accorde le grade avec plaisir. LE PEUPLIER Mon coeur d�borde de reconnaissance. L'IMP�RATRICE, _� l'Empereur Tartare._ Et vous, Prince, ne d�sirez-vous rien? �tes-vous trop fier, pour d�signer la faveur qui vous plairait? L'EMPEREUR Oh! j'en demande une au ciel, une seule! C'est qu'il retarde la fuite du temps et prolonge cette heure enivrante. L'IMP�RATRICE, _d'abord surprise et comme bless�e, le regarde longuement. Mais son regard s'attendrit et s'ach�ve dans un sourire._ Est-ce que cela d�pend uniquement du ciel? _Elle s'assied sur le tr�ne._ UN H�RAUT, _criant._ L'Imp�ratrice accorde le th�! TOUS Dix mille ann�es!... _Des �chansons servent le th�, les fruits et les g�teaux. Chacun re�oit la tasse en ployant le genou._ L'IMP�RATRICE, _faisant signe � l'Empereur tartare de s'asseoir sur le tabouret, aupr�s du tr�ne._ Venez l�, Prince: il y a aussi un pr�sent pour vous. UN GRAND SECR�TAIRE, _bas � un conseiller._ D'un mot, elle l'a cr�� Prince, et maintenant, elle lui permet de s'asseoir!... LE CONSEILLER Il n'a pas l'air surpris d'un tel honneur. LE GRAND SECR�TAIRE C'est le favori de demain.... Il va falloir compter avec lui. L'IMP�RATRICE Vous avez donn� � mon fils un bijou merveilleusement cisel�: un dragon, embl�me du pouvoir imp�rial. Il en est ravi, et veut que je vous offre, en son nom, l'embl�me des imp�ratrices: un Ph�nix, aux ailes de saphirs et de rubis, _Lotus-d'Or s'approche et pr�sente l'�crin sur un plateau._ L'EMPEREUR Je veux le recevoir � genoux, et jurer qu'il ne me quittera jamais. _Il ploie un genou._ L'IMP�RATRICE, _� Lotus-d'Or._ Lotus-d'Or, as-tu fait mettre, comme je te l'avais recommand�, un anneau pour le suspendre. LOTUS-D'OR Oui, Majest�! L'EMPEREUR, Jusqu'� ce jour je n'avais vu que des nids d'oiseaux vulgaires, et l'oiseau incomparable, le Ph�nix, je n'y croyais pas. C'est aujourd'hui seulement que son existence m'est r�v�l�e par le t�moignage de mes yeux charm�s. _Il suspend le bijou � sa ceinture._ L'IMP�RATRICE H�las! le Ph�nix et le Dragon portent aujourd'hui des cha�nes et ne peuvent s'�lever aussi haut qu'ils le voudraient dans les nu�es, dans les airs.... L'EMPEREUR Ah! que je souhaiterais �tre l'Empereur tartare qui r�gne � P�kin!... L'IMP�RATRICE Quelle sombre et �trange id�e! Vous souhaiteriez �tre mon plus mortel ennemi? Pourquoi donc? L'EMPEREUR Pour tenter de mettre la Chine enti�re � vos pieds, vous rendre votre bien, et devenir, apr�s, votre sujet le plus fid�le. L'IMP�RATRICE, _souriant._ Quel r�ve!... Mais de cet Empereur-l�, je ne pourrais rien accepter ... que la mort. Ne d�sirez pas �tre un autre que vous-m�me, car nul, jamais, ne m'a inspir� une aussi subite et profonde sympathie. Ne quittez pas encore le palais.... Attendez mes ordres: puisque vous n'avez pas d'ambition, je veux en avoir � votre place, et vous garder, peut-�tre, plus pr�s de moi.... Au revoir. L'EMPEREUR _se l�ve et s'incline._ De pr�s ou de loin, ma pens�e demeure prostern�e aux pieds de Votre Majest�. (_Il s'�loigne, bas � Puits-des-Bois._) Ami, sous mon d�guisement, je triomphe! Pour la premi�re fois, depuis trois cents ans, une Chinoise donne son amour � un Tartare! PUITS-DES-BOIS Oui, emportez-la, cette glorieuse joie; mais, de gr�ce, partons vite!... _On offre le th� � l'Empereur; peu � peu il se d�robe, entra�n� par son ministre._ LE CONSEILLER, _au secr�taire._ Il ne s'agenouille m�me pas pour recevoir le th� imp�rial. LE SECR�TAIRE Il comprend qu'il peut d�j� tout se permettre. L'IMP�RATRICE, _� part, r�veuse._ Je ne suis plus ma�tresse de ma volont�.... Les mots s'envolaient de mes l�vres, comme des oiseaux captifs qui retrouvent le ciel.... Je me suis trahie ... avec bonheur!... _Une rumeur, des cris, tous les assistants effray�s. Des officiers du palais entrent pr�cipitamment. La main sur la garde de leur sabre, Prince-Fid�le et Prince-Ail� s'approchent, comme pour la d�fendre, de l'Imp�ratrice qui s'est lev�e du tr�ne._ SC�NE IX LES M�MES, _moins_ L'EMPEREUR _et_ PUITS-DES-BOIS, DES OFFICIERS DU PALAIS, PORTE-FL�CHE. L'IMP�RATRICE Qu'y a-t-il? UN OFFICIER Un complot! UN AUTRE Il est d�jou�! PORTE-FL�CHE, _s'agenouillant._ Notre jeune Empereur est sauf! L'IMP�RATRICE, _avec un cri._ Mon fils!... C'�tait contre mon fils!... O� est-il, mon fils?... SC�NE X LES M�MES, L'ENFANT, _avec ses femmes et ses gardes._ L'ENFANT, _court vers sa m�re et ploie le genou._ Me voici, m�re!... L'IMP�RATRICE Ah!... toi!... (_Elle le rel�ve et l'entoure d'un de ses bras._) Maintenant j'ai la force d'entendre.... Parlez! PORTE-FL�CHE Divine souveraine, deux espions tartares se sont introduits dans le palais avec le monstrueux dessein d'enlever notre jeune empereur. Comme des tigres aux aguets, ils s'�taient cach�s dans les buissons. Ils en sont sortis, � l'improviste, et ont os� porter la main sur la personne sacr�e de votre fils. L'ENFANT M�re! ils m'ont jet� un voile sur la t�te, en me serrant la gorge.... L'IMP�RATRICE Oh!... L'ENFANT Je ne pouvais pas crier, mais je me suis bien d�battu. Oh! c'est que je suis fort, moi!... PORTE-FL�CHE Nous faisions bonne garde. Les femmes, avec des cris d'horreur, ont appel� au secours; nous sommes accourus et nous avons saisi les criminels. L'IMP�RATRICE Ah! vous les tenez!... Qu'on me les am�ne! _Porte-Fl�che se rel�ve et s'�loigne. L'Imp�ratrice se rassied._ PRINCE-AIL� Leur proc�s ne sera pas long. PRINCE-FID�LE Le ciel veillait sur son jeune fils, et l'a sauv�. TOUS Dix mille ann�es, dix mille fois dix mille ann�es. SC�NE XI LES M�MES, DEUX ESPIONS, _les mains attach�es, chacun tenu par deux gardes. On les pr�cipite � genoux devant le tr�ne._ PRINCE-AIL� Qui �tes-vous? PREMIER ESPION Les serviteurs fid�les de la dynastie des Tsin. PRINCE-AIL� D'o� venez-vous? DEUXI�ME ESPION De l'unique capitale du grand et pur Empire. PRINCE-AIL� Votre crime est flagrant, et n'a pas besoin de preuves, qu'avez-vous � dire? PREMIER ESPION Rien. DEUXI�ME ESPION Eh bien, oui! Nous voulions enlever l'enfant pour avoir un otage et vous tenir mieux � notre merci. Nous ne dirons rien de plus. Bouche close. PRINCE-AIL� Nommez vos complices. DEUXI�ME ESPION Nous ne parlerons pas. PRINCE-AIL� Oh! oh! oh! on en a fait parler d'autres, (_A l'Imp�ratrice._) La torture, tout de suite, n'est-ce pas? L'IMP�RATRICE La torture, non. La mort. Qu'ils meurent � l'instant. PRINCE-FID�LE, _� l'Imp�ratrice._ J'ose faire observer � Votre Majest� qu'il vaudrait mieux, peut-�tre, garder ces hommes dans un cachot. Nous ne savons pas qui ils sont, ni de quelle importance aux yeux de l'ennemi. Quels secrets, sans doute, on pourrait tirer de ces deux t�tes!... L'IMP�RATRICE Quoi! apr�s ce qu'ils ont fait, vous voulez qu'ils voient encore la lumi�re du jour?... Songez qu'ils ont port� la main sur l'�tre sacr� en qui vit tout votre espoir; qu'ils ont meurtri ce cou fr�le comme la tige d'une fleur. L'enlever comme otage, disent-ils! Est-ce que je sais, moi, s'ils n'allaient pas plut�t tuer mon enfant! TOUS Oh! oh! � mort! � mort!... L'IMP�RATRICE Oui! � mort! Et qu'ils soient jet�s aux b�tes mangeuses de cadavres; pour s�pulture, le ventre des corbeaux et des chiens! Faites! _Prince-Fid�le fait un signe, on rel�ve les condamn�s._ PREMIER ESPION Nous avions jou� notre vie, nous avons perdu, nous acceptons la mort. DEUXI�ME ESPION Nous serons promptement veng�s par l'arm�e formidable qui marche contre vous et sera demain sous vos murs. TOUS A mort! � mort! _On entra�ne les condamn�s._ SC�NE XII LES M�MES, _moins_ LES ESPIONS, PORTE-FL�CHE ET LES GARDES. L'IMP�RATRICE, _� l'enfant._ O mon bien-aim�! O vous, qui portez le doux nom de Fils du Printemps, j'ai donc failli vous perdre?... L'ENFANT Dis; on va faire mourir ces hommes? L'IMP�RATRICE C'est la moindre punition qu'ait m�rit� leur crime. L'ENFANT Non, c'est trop, puisqu'ils ne m'ont pas tu�. L'IMP�RATRICE Mais ils voulaient votre mort: la peine est trop douce. Et voyez, je leur ai pourtant �pargn� la torture.... Maintenant, je n'oserai plus m'�loigner de vous; non, m�me pour une minute, � mon diamant sans prix, vous ne serez plus jamais hors de ma vue. PRINCE-FID�LE O ma souveraine! Qu'il me co�te d'�tre contraint de d�chirer votre coeur en vous indiquant ce que nous croyons �tre votre cruel devoir, nous dont Votre Majest� daigne �couter les conseils. Depuis bien des jours, nous avions r�solu de parler, et nous reculions devant cette p�nible t�che. Mais aujourd'hui, l'heure est trop grave.... L'IMP�RATRICE Oh! qu'allez-vous dire? _Elle descend du tr�ne._ PRINCE-FID�LE H�las! mes paroles vont �tre comme la bise de neige qui en automne fait tomber les fleurs. L'IMP�RATRICE J'ai d�j� froid jusqu'� l'�me. PRINCE-FID�LE Il faut pour un temps, vous s�parer de votre fils! L'IMP�RATRICE, _baissant la t�te._ J'avais compris! PRINCE-FID�LE L'Espoir de tous, la Victoire future, notre jeune Empereur!... Il doit �tre � l'abri des hasards de la guerre, en s�ret�, loin d'ici dans quelque province inaccessible. L'IMP�RATRICE �Que le pr�cieux flambeau qui �clairera l'avenir soit mis hors des atteintes du vent,� ainsi l'astrologue a parl�. Oui, l'aveugle a vu dans l'invisible. Voici que l'�nigme de ses paroles est expliqu�e!... PRINCE-FID�LE Il faut ob�ir � l'oracle: le malheur, lorsqu'il est pr�vu, peut �tre �vit� encore. Prince-Ail�, et vous Lumi�re-Voil�e, sages conseillers, votre avis est-il pareil au mien? PRINCE-AIL� Il est pareil de tous points. PRINCE-FID�LE Et vous tous, nobles chefs, savants lettr�s, dignitaires, votre pens�e est-elle aussi qu'il faut �loigner le jeune Empereur? (_Tous inclinent la t�te en silence._) Et non pas demain, non pas ce soir, h�las! car chaque minute aggrave le p�ril!... D�s maintenant, si Votre Majest� consent au sacrifice. L'IMP�RATRICE Oh! vous me prenez dans un cercle de fer, que vous resserrez, que vous resserrez trop vite.... Mais o� donc sont-elles, les arm�es du Tartare?... Pas sous nos 'murs encore, nous ne sommes pas investis! Les routes sont ouvertes.... (_Elle serre son fils contre elle-m�me._) Laissez-le moi encore un jour. Au moins, donnez-moi le temps de trouver de la force, pour accepter le d�sespoir.... Je suis l'Imp�ratrice, oui; mais je suis aussi une m�re!... A une m�re, on n'enl�ve pas son enfant comme on arrache une fleur de sa tige.... Attendez!... PRINCE-FID�LE Attendre, � ma souveraine! Mais votre chagrin ne serait-il pas infiniment plus affreux si un malheur arrivait par la faute d'une tendre faiblesse? Songez au d�sordre d'un si�ge, � l'horreur et aux risques des combats! Remercions le ciel d'avoir le temps encore d'y d�rober notre jeune ma�tre. D�s que le danger sera conjur�, il vous reviendra. L'IMP�RATRICE Ah! non, ne parlez pas de retour, pour leurrer ma d�tresse, comme on fait aux enfants!... Laissons l'avenir, qui est n�buleux et noir ... Mais la sagesse a parl�, et ma r�volte est pass�e, j'aurai la force de me soumettre. (_A l'enfant, qu'elle tient toujours serr� contre elle-m�me._) Mon fils! il faut, pour quelque temps, vous �loigner de moi.... Ah! les larmes noient mes yeux � cette id�e. Mais si je pense � vous garder en ce palais au milieu de si terribles dangers, l'angoisse broie mon coeur dans ses serres.... Mon bien-aim�, il faut partir.... L'ENFANT, _l'entourant de ses bras._ Quoi! A cause des Tartares, partir? Mais je n'ai pas peur, moi!... Est-ce que vous le croyez, que j'ai peur?... Vous restez bien, vous, ma m�re, et, o� vous restez, je resterai aussi.... A cause des Tartares, quitter ma m�re? Je ne veux pas! Vous m'entendez tous: non, je ne veux pas! L'IMP�RATRICE Mon fils!... Votre courage sera plus grand encore de me dire adieu. Et il faut vous montrer digne, d�j�, de votre mission haute et surhumaine. Songez que vous n'�tes pas un enfant ordinaire. Sous votre chair de fleur, dans le d�licat r�seau de vos veines, une s�ve divine est enferm�e; la dynastie de la Lumi�re aboutit � vous seul. O mon bien-aim�! Vous �tes le Fils du Ciel. _L'enfant, tr�s pensif, baisse la t�te._ PRINCE-FID�LE Levez le front, ne le courbez pas devant l'�blouissement du nom lumineux de vos anc�tres. D�j� il vous faut ma�triser vos sentiments. Votre coeur, vous le devez � ce peuple innombrable, qui est vaincu, et opprim�, qui attend de vous sa d�livrance; � lui seul appartiennent vos pens�es, vos actions, votre vie m�me. L'ENFANT, _triste et grave._ Je partirai.... Je ne pleurerai pas.... L'IMP�RATRICE A qui le confierons-nous, notre bien supr�me? car vous y avez pens� d�j�, je devine que vos plans sont faits. PRINCE-FID�LE Notre jeune Empereur a montr�, sans le conna�tre, de la sympathie au vice-roi du Sud, qui est justement le mieux situ� pour lui offrir un inviolable asile. Mon avis est qu'il lui soit confi�. L'IMP�RATRICE, _� l'enfant._ Cela vous plairait?... L'ENFANT Oui. L'IMP�RATRICE C'�tait aussi ma pens�e. Ce vice-roi est certainement encore au palais, attendant mes ordres. (_A Porte-Fl�che._) Faites-le appeler. _Porte-Fl�che sort._ PRINCE-FID�LE, _aux femmes._ Pr�parez tout pour un d�part imm�diat. Vous ne quitterez pas votre ma�tre. L'IMP�RATRICE, _� l'enfant._ Je les envie. Je voudrais �tre, aujourd'hui, seulement votre servante. PRINCE-FID�LE, _aux gardes._ Une escorte de cinq cents hommes, choisis et bien arm�s. (_Les gardes sortent. A Prince-Ail�._) Prince, vous accompagnerez l'Empereur, et d�s qu'il sera en s�ret�, vous reviendrez prendre votre place dans nos rangs. PRINCE-AIL� Je m'efforcerai d'�tre digne de votre confiance; mes pr�paratifs seront brefs. _Il sort._ PRINCE-FID�LE, _aux assistants._ A vos postes, maintenant, nobles d�fenseurs des Fils du Ciel. Nous sommes toujours pr�ts � la guerre, je le sais, mais fortifions-nous encore. Et �levons nos courages, pr�parons aussi nos �mes.... Que des �missaires soient d�tach�s � l'instant m�me pour d�terminer exactement la position et l'importance de l'arm�e qui marche sur nous. (_L'Imp�ratrice fait un geste._) Vous avez votre cong�. _Les assistants sortent successivement, apr�s une g�nuflexion._ L'IMP�RATRICE, _� l'enfant._ Je vous contemple, pour graver dans ma m�moire vos traits ador�s; j'en emplis mes yeux, comme si je n'en connaissais pas intimement la moindre inflexion, la moindre ligne; mais ils vont m'�chapper.... Je voudrais les sculpter dans le marbre, et le souvenir est inconsistant comme l'eau.... SC�NE XIII LES M�MES, PRINCE-AIL�, _revient pr�cipitamment._ PRINCE-AIL�, _� Prince-Fid�le._ Un courrier vient d'arriver, qui apporte une singuli�re nouvelle. L'IMP�RATRICE Qu'y a-t-il encore? PRINCE-AIL� Le vice-roi du Sud envoie dire � Votre Majest� que, s'il n'a pu arriver au palais pour la c�r�monie � laquelle il �tait convi�, c'est qu'il a �t� fait prisonnier au moment o� il allait entrer � Nang-King. L'IMP�RATRICE Mais le vice-roi �tait ici. PRINCE-AIL� Ce n'�tait pas le v�ritable. L'IMP�RATRICE Ce n'�tait pas le v�ritable! PRINCE-AIL� On l'a gard� sur un navire, mais sans lui faire aucun mal, et m�me en l'entourant d'�gards.... Comment il s'est �chapp�, sa lettre le raconte.... PRINCE-FID�LE En l'entourant d'�gards? Que veut dire encore cela? Les espions des Tsin sont moins g�n�reux!.. PRINCE-AIL� Le vice-roi exp�die ce courrier en toute h�te; il attend des ordres pour venir se prosterner au pied du tr�ne et demander son pardon. L'IMP�RATRICE Alors, cet homme, qui �tait ici?... Oh! de quelle trame effrayante sommes-nous donc envelopp�s?... Et j'allais moi-m�me livrer mon fils � cet inconnu!... Je lui avais donn� l'ordre de rester encore: courez! peut-�tre n'est-il pas parti. PORTE-FL�CHE, _revenant._ Le pavillon est vide: ce rouleau de soie, � l'adresse de Votre Majest�, �tait plac� de fa�on � attirer les regards. L'IMP�RATRICE, _vivement._ Donnez!... (_Porte-Fl�che remet le rouleau � Prince-Fid�le, qui le donne � l'Imp�ratrice. A part._) Dans mon r�ve ... ce serpent venu pour m'enlacer.... Alors, c'�tait lui! (_Elle s'�carte un peu pour lire._) Des vers!... Dans mon trouble, j'aurai peine � les lire. Et puis le sens en para�t si myst�rieux!... (_Aux officiers les plus proches._) Vingt cavaliers, lanc�s au galop, dans toutes les directions, � sa poursuite ... Et qu'on fouille aussi la ville dans nos alentours. Cent mille ta�ls � qui me ram�ne cet homme. Allez! (_Deux officiers s'inclinent et sortent en courant. � Prince-Fid�le, en lui tendant le rouleau de soie._) Lisez, vous, Prince-Fid�le. PRINCE-FID�LE, _lisant:_ Masque inconnu de tous, guettant votre passage. Vous m'avez regard� sans voir mon vrai visage Vous m'avez �cout� sans entendre mon coeur; Mais vienne le triomphe, alors jetant le voile, Je vous prot�gerai comme une s�re �toile, Quand tout s'inclinera sous le Dragon vainqueur. Le tra�tre est un fin lettr�, mais il ne se d�masque pas. PRINCE-AIL�, _� l'enfant._ Votre Majest� ne va plus garder, pendu � son cou, comme une relique, ce pr�sent qu'il tient d'un imposteur. L'ENFANT, _vivement._ Si! je le garderai. J'ai pens� � mon p�re mort, en voyant cet homme, et, quand il m'a dit qu'il voudrait m'avoir pour fils, il retenait des larmes. L'IMP�RATRICE L'instinct des enfants ne les trompe pas.... Moi, non plus, je ne peux croire que cet inconnu nous voulait du mal.... Attendons encore, pour le ha�r.... _Elle tend la main et reprend le po�me, qu'elle place sur sa poitrine, dans l'entre-croisement de sa robe._ SC�NE XIV LES M�MES, LES FEMMES, PORTE-FL�CHE. PREMI�RE FEMME Nos pr�paratifs sont termin�s. PORTE-FL�CHE L'escorte est pr�te. L'IMP�RATRICE, _attirant son fils._ Oui! Mais � qui maintenant confiez-vous votre Empereur? Prenons le temps de penser, au moins!... Ou alors, pour qu'il y ait une telle urgence, c'est que vous m'avez tromp�e, nous sommes investis?... O� est-elle, l'arm�e tartare? Je ne suis pas une idole enferm�e dans un tabernacle: qu'on me dise la v�rit�!... O� est-elle? PRINCE-FID�LE Tout pr�s, et formidable!... Les �missaires nous fixeront mieux ce soir.... Pour ne pas assombrir le front de Votre Majest�, pendant les journ�es radieuses de l'investiture, nous avions dissimul�, c'est vrai. Pardonnez-nous. L'IMP�RATRICE C'est bien.... Et maintenant, mon fils, � qui?... PRINCE-FID�LE Au vice-roi du Sud, toujours, au v�ritable, nous le confierons; son d�vouement de dix ann�es est � l'�preuve de tout. Donc, il s'agit de marcher � sa rencontre, et que, sans perdre une heure, il rebrousse chemin vers le Yun-Nam avec son pr�cieux d�p�t. Pour cela, partir � l'instant m�me, afin que la jonction des deux escortes ait lieu avant la tomb�e de la nuit. (_A Prince-Ail�._) Prince, jusqu'� nouvel avis, restez aupr�s de l'Empereur. �tablissez une communication constante avec la fronti�re, et, � la premi�re alerte, emmenez l'enfant hors de l'Empire. L'IMP�RATRICE Et que, chaque jour, un courrier m'apporte des nouvelles ... aussi longtemps du moins que les routes seront libres autour de nos murs et nos portes ouvertes. PRINCE-AIL� Je veillerai � tout, ne me fiant qu'� moi-m�me. PRINCE-FID�LE Et nous savons tout le prix de votre vigilance.... _Un des officiers, qui �tait parti tout � l'heure sur un signe de l'Imp�ratrice, arrive en h�te._ L'OFFICIER Les cavaliers sont rentr�s.... On les a vus, les deux fuyards, l'homme et son complice; ils avaient des chevaux qui d�voraient l'espace.... Un de ces navires rapides, comme en ont les barbares d'Occident, attendait au bord du fleuve; il les emporte � cette heure, avec la vitesse de la foudre. Toute poursuite serait vaine. L'IMP�RATRICE Je m'y attendais.... Lui, se laisser reprendre comme un fuyard vulgaire!... Non! Je savais qu'il emporterait avec lui le myst�re qu'il lui a plu de garder. PRINCE-FID�LE, _� l'Imp�ratrice._ Majest�, l'heure est venue, l'heure presse.... L'IMP�RATRICE Oui, je suis pr�te.... Rien qu'un instant, une supr�me minute encore. (_Elle conduit le petit Empereur jusqu'au tr�ne, o� elle le fait asseoir._) Laissez-moi rendre au Fils du Ciel l'hommage qui lui est d�. (_Elle s'agenouille._) Que votre vie soit heureuse et longue! Votre r�gne paisible et prosp�re. (_Elle s'incline trois fois._) Que votre dynastie dure �ternellement. _Les hommes et les femmes se sont prostern�s._ L'ENFANT, _qui retient ses larmes._ J'ai promis de ne pas pleurer. L'IMP�RATRICE Puissent le triomphe et la gloire vous ramener ici bient�t. _Elle se rel�ve. L'enfant descend du tr�ne, s'approche de l'Imp�ratrice et s'agenouille � son tour._ L'ENFANT Dis, m�re, ce n'est pas pour longtemps que je m'en vais?... L'IMP�RATRICE, _se penchant vers son fils pour l'embrasser d�sesp�r�ment._ Non, mon bien-aim�, non.... Pour peu de jours, s'il pla�t � nos Dieux que j'implore!... Aie du courage, ch�re petite fleur!... (_Aux femmes._) Allez, maintenant. _Les femmes entra�nent le petit Empereur. Il sort, les regards toujours fix�s sur sa m�re._ SC�NE XV L'IMP�RATRICE, PRINCE-FID�LE, QUELQUES FILLES D'HONNEUR. _L'Imp�ratrice le regarde s'�loigner, puis monte les marches de la terrasse pour le voir encore et, quand il a disparu, jette un grand cri, en se tordant les bras._ PRINCE-FID�LE Bonne souveraine, prenez courage. L'IMP�RATRICE Ah! non, laissez, je suis � bout de force!... J'ai bien fait ma souveraine, n'est-ce pas, tant qu'il �tait l�, mon enfant?... A pr�sent qu'il est parti, laissez-moi �tre une femme, laissez-moi �tre sa m�re!... Je ne le reverrai jamais, lui, que vous venez de m'enlever, jamais, entendez-vous!... Je le sens, je le sais!... Puisque nous sommes au-dessus des hommes, que le Ciel pour nous soit juste et nous donne une force surhumaine!... Pourquoi avons-nous un coeur comme les autres et des sanglots qui le brisent?... Ah! celles qui mendient, en haillons, dans les rues, sont moins mis�rables!... Il ne leur vient pas un bel espion charmeur, pour faire chanceler leur �me, et puis s'enfuir ... et, apr�s, on ne leur arrache pas leur enfant!... Votre Imp�ratrice, tenez, elle voudrait �tre la mendiante, qui a faim, qui a froid, mais qui serre son petit sur sa poitrine..., oui, la mendiante, je vous dis, qui tend la main aux passants, assise sur les marches d'un temple!... _Elle se jette en sanglotant sur les marches de la terrasse.--Rideau._ ACTE TROISI�ME Avant le lever du rideau, on a entendu des coups de feu sur la sc�ne. A la tomb�e de la nuit, l'int�rieur de la citadelle imp�riale de Nang-King � moiti� d�mantel�e par les Tartares. Haute muraille � cr�neaux, derri�re laquelle on entend sonner des trompes et hurler des soldats qui s'�loignent. Au fond et � gauche, une porte de bronze dont les battants sont arc-bout�s par des madriers, et qui est surmont�e d'un donjon noir, � trois �tages de toits cornus. Au milieu de la sc�ne, un b�cher en bois de charpente et en fagots. Au fond et vers la droite, la muraille cr�nel�e se prolonge; on aper�oit des terrasses et, tout au loin, la silhouette du palais qui se d�tache sur le ciel encore jaune du couchant. Du haut de la muraille, au-dessus de la porte, des soldats chinois tirent les derniers coups de feu contre les assi�geants invisibles. SC�NE PREMI�RE L'IMP�RATRICE, PRINCE-FID�LE, PORTE-FL�CHE, LES FILLES D'HONNEUR, DES SOLDATS CHINOIS. _Des bless�s sanglants gisent �� et l� parmi les d�combres. L'Imp�ratrice est au milieu de la sc�ne, v�tue en guerri�re, casqu�e, tenant une arme dans sa main qui saigne. Prince-Fid�le est sur le haut du rempart avec les soldats. Porte-Fl�che, bless� � mort, g�t � gauche, sur le devant de la sc�ne._ PRINCE-FID�LE, _du haut du rempart, arr�tant le feu._ Assez, mes braves amis!... Ne tirez plus sur des fuyards.... Gardons la poudre pour l'assaut supr�me. (_Les soldats cessent de tirer._) Ils s'en vont!... Une fois encore nous voici d�livr�s!... L'IMP�RATRICE, _haletant._ Ah! d�livr�s, oui!... D�livr�s pour quelques minutes du moins ... le temps de nous recueillir avant la mort. (_Elle s'assied sur une pierre. Aux filles d'honneur qui s'empressent autour d'elle._) Voyez plut�t � ceux qui souffrent trop, par terre. Je n'ai rien, moi: une main qui saigne, cela ne compte pas.... Voyez ce qu'ils demandent, allez � leur secours.... Le poison, les buires, vous les avez, n'est-ce pas? LES FILLES D'HONNEUR, _montrant des buires d'or qu'elles portaient dans les plis de leurs v�tements, et � chacune desquelles est encha�n�e une petite tasse de jade._ Nous les avons, bonne souveraine.... L'IMP�RATRICE Ce qu'ils veulent, sans doute, c'est mourir.... Aux plus bless�s, vous verserez la liqueur de la Grande D�livrance.... �pargnez-la cependant, car, h�las! nous n'en avons pas pour tous.... Le contenu de la petite tasse de jade encha�n�e au flacon, pour un homme, c'est la dose qu'il faut.... Allez, mes ch�res filles, leur porter le sommeil: l� est votre devoir � cette heure.... (_A Cinnamome._) Toi, Cinnamome, reste aupr�s de moi, et tu me verseras de tes mains le breuvage.... Sur cette pierre, ici, tout pr�s, pose ta buire, avec ma coupe imp�riale. _Cinnamome ob�it. Les autres filles d'honneur se r�pandent parmi les bless�s, se penchent sur eux, et � voix basse leur offrent le breuvage. On continue d'entendre au lointain des coups de feu._ LOTUS-D'OR, _tr�s douce � Porte-Fl�che dont elle s'est tout de suite approch�e._ Seigneur, voulez-vous mourir?... Et aussit�t apr�s vous, je viderai moi aussi la coupe.... Voulez-vous mourir, seigneur? PORTE-FL�CHE, _apr�s un silence, et comme en extase._ Non, ma belle fleur tremblante, ma belle fleur des lacs!... Avant que vous soyez venue l�, je le voulais.... A pr�sent, je ne le veux plus.... Laissez-moi rester un peu encore parmi les vivants, pour m'enivrer de cette parole d'amour que vous venez de dire.... Secourez ceux qui souffrent plus que moi, sans une amie ... et puis vous reviendrez, j'appuierai ma t�te sur vos genoux, avant de m'en aller chez les Ombres.... LOTUS-D'OR Qu'il soit fait tout ce que vous commanderez, cher seigneur.... Pr�s de vous, oui, je vais revenir.... _Elle va se pencher sur d'autres bless�s, suivie des yeux par le mourant. Les soldats, au fond, agrandissent le b�cher, apportant des poutres, des fagots, des branches. Une rumeur � droite, dans la coulisse, par o� de nouveaux soldats arrivent._ L'IMP�RATRICE Qu'est-ce, l�-bas? LE CHEF DES SOLDATS C'est notre envoy� Ouan-Tsi, qui a pu se rapprocher de nos murs, et nous rapportera les nouvelles du dehors.... Nous lui avons jet� les cordes, et le voici de retour. L'IMP�RATRICE Ah!... Qu'il vienne!... (_Aux soldats qui, derri�re elle, chargent toujours le b�cher._) Reposez-vous, mes amis!... C'est bien plus qu'il ne faut, allez, pour consumer mon corps.... Pourquoi donc faire le b�cher si grand? LE CHEF DES SOLDATS Pourquoi nous voulons tant de flamme.... Le Prince-Fid�le vous le dira, Majest�, en vous pr�sentant notre requ�te supr�me. SC�NE II LES M�MES, L'ENVOY� OUAN-TSI, _qui s'approche de l'Imp�ratrice. Ses souliers, le bas de sa robe sont pleins de sang. Il se prosterne._ L'IMP�RATRICE, _� Ouan Tsi prostern�._ Rel�ve-toi, va!... Plus de prosternements. Nous voici tous �gaux. Il n'y a plus qu'une seule et m�me grandeur, celle que nous donne, pareillement et � tous, la noblesse du sacrifice.... (_Ouan-Tsi se rel�ve._) Maintenant, parle.... N'att�nue rien.... D'ailleurs, je devine.... OUAN-TSI Eh bien! oui, c'est fini, � ma souveraine!... Votre palais seul tient encore. L'IMP�RATRICE Oh! pas pour longtemps ... OUAN-TSI Les abords de vos murailles sont �vacu�s.... Jusqu'� la fin de la nuit peut-�tre, ils nous laisseront vivre.... L'IMP�RATRICE Le reste de la ville, les citadelles de l'Ouest?... OUAN-TSI Aux mains des Tartares, tout!... Cette d�froque d'un ennemi, seule, m'a sauv�.... Dans les rues, on br�le, on pille, on �gorge.... Quelques milliers de femmes ont r�ussi � se jeter dans le fleuve.... Les autres, on les viole, en m�me temps qu'on les �trangle.... Le sang coule sur les pav�s, autant que l'eau du ciel apr�s l'orage.... Chaque ruisseau d�verse au fleuve comme un grand �ventail rouge.... Tout le long des rues, les morts, les torses encore chauds, se vident de leur sang, par l'entaille du cou tranch�.... Bonne souveraine, pour venir, j'ai enjamb� mille cadavres.... Mes pieds s'embarrassaient dans les longues chevelures, tra�nant apr�s elles des t�tes coup�es.... O Majest�, c'est la fin!... (_Il s'agenouille � nouveau._) Et maintenant pardonnez-moi d'�tre le messager de malheur. L'IMP�RATRICE, _tr�s calme._ Un brave et fid�le messager, que je remercie.... Rel�ve-toi, t'ai-je dit, et, parmi mes derniers soldats, reprends ton poste supr�me.... (_Ouan-Tsi se rel�ve et se m�le aux soldats, qui, au fond de la sc�ne, continuent de dresser le b�cher. A Cinnamome, en lui indiquant la buire et la tasse d'or_:) Allons, Cinnamome, c'est l'heure. CINNAMOME Oh! Majest�, pas encore. _Les autres filles d'honneur, qui �taient diss�min�es parmi les bless�s, ont entendu et reviennent en silence se grouper autour de la souveraine._ L'IMP�RATRICE Aimes-tu mieux qu'ils me prennent vivante?... L'homme qui �tait l�, tu as entendu ce qu'il vient de dire. �L�GANCE Mais le palais tient toujours! LA PERLE L'arm�e du Sud peut venir nous d�livrer. L'IMP�RATRICE Nous venger peut-�tre ... plus tard.... Mais nous d�livrer.... Enfant, qui veux-tu qui nous d�livre? (_A elle-m�me._) Ah! le secours myst�rieux, que si follement j'esp�rais.... �_L'�toile,_ avait dit le bel espion trompeur, _l'�toile qui devait si bien veiller sur moi, quand tout fl�chirait devant le triomphe du Dragon._� Enfant, qui veux-tu qui nous d�livre?... Plus de poudre, plus de vivres, plus d'eau, plus rien; nous avons jet� les pierres de nos cr�neaux; les portes c�dent, les murailles croulent.... (_A Cinnamome._) Donne, va, c'est l'heure!... �L�GANCE Parfois, quand on croit tout perdu, le destin change. LA PERLE O notre souveraine bien-aim�e, ne h�tez pas l'irr�parable. L'IMP�RATRICE L'irr�parable serait de trop tarder. (_Elle fait un signe imp�rieux � Cinnamome, qui verse le poison dans la coupe. Mais on entend une rumeur, au faite du rempart o� vient de remonter le Prince-Fid�le, au-dessus de la porte barricad�e. Le jour continue de baisser._) Qu'est-ce encore? PRINCE-FID�LE Un petit groupe de Tartares, venus t�m�rairement sans armes, l�, jusqu'au pied des murs.... L'un d'eux, l'air tranquille et superbe, se dit envoy� par leur Empereur.... Une communication supr�me � Votre Majest�.... Sur un rouleau de soie jaune, � la lueur d'une torche qu'on vient d'allumer, il montre le sceau imp�rial des Tsin. L'IMP�RATRICE Une communication? De l'Usurpateur � votre souveraine, une communication?... Mais l'id�e seule n'en est-elle pas une insulte? Qu'on leur fasse gr�ce de la vie, � ces audacieux, mais que, sur l'heure, ils se retirent! _Cinnamome insensiblement s'est recul�e avec sa coupe de poison._ PRINCE-FID�LE, _qui est redescendu de la muraille et s'approche avec un air de myst�re._ Celui qui a si haute mine, il me semble l'avoir d�j� vu.... L'IMP�RATRICE D�j� vu? O� cela donc? PRINCE-FID�LE, _plus pr�s et baissant la voix._ Souveraine, il me semble.... Cet inconnu qui vint le jour du sacre.... J'en suis s�r, c'est lui.... L'IMP�RATRICE, _se levant �gar�e._ Pourquoi parler bas?... Prince, vous m'offensez presque, avec ce ton de confidence, lorsqu'il s'agit de cet homme.... Vous voulez dire celui qui se pr�senta par imposture comme notre vice-roi du Sud ... celui-l�, n'est-ce pas? PRINCE-FID�LE Oui! L'IMP�RATRICE Eh bien, qu'on l'am�ne alors.... Jetez-lui les cordes nou�es, et qu'il comparaisse ici devant moi.... (_On jette du haut du mur les �chelles de corde._) Cache le poison, Cinnamome, et la buire d'or.... Il n'a pas besoin de savoir, celui qui arrive.... Est-ce que la fum�e n'a pas noirci mon visage?... CINNAMOME Votre Majest� est p�le et belle.... Et ses yeux en ce moment resplendissent comme des astres.... _Les nouveaux venus �mergent au-dessus du rempart, l'Empereur tartare d'abord, ensuite Puits-des-Bois et trois autres personnages v�tus comme eux en guerriers tartares, mais sans armes._ SC�NE III L'EMPEREUR TARTARE, L'IMP�RATRICE. _L'Empereur s'avance tandis que les quatre guerriers de sa suite restent en arri�re. Sur un signe de l'Imp�ratrice, les filles d'honneur et les autres assistants reculent jusqu'au fond de la sc�ne._ L'EMPEREUR, _ployant le genou devant elle comme le jour du sacre._ O souveraine, � guerri�re! Puissent, un jour, s'�claircir pour vous les destins noirs! _Il se rel�ve_ L'IMP�RATRICE, _tremblante._ Ah! laissons les formules vaines! Les minutes nous sont avarement compt�es.... Bas les masques, et parlons vite: qui �tes-vous? Un Tartare, h�las! n'est-ce pas?... Sans cela, vous n'auriez pu franchir leur cercle de fer.... Un Tartare, dites? L'EMPEREUR Oui! L'IMP�RATRICE Un espion, alors, quand vous v�ntes le jour du sacre? Rien qu'un espion, h�las! L'EMPEREUR Non! Un qui jouait sa vie, ce jour-l�, comme � pr�sent, pour sauver la v�tre. L'IMP�RATRICE Ah! ma vie n'importe plus, et le droit de la sauver n'appartient � personne.... Aupr�s de l'Usurpateur qui r�gne � P�kin, quel r�le est le v�tre?... Ministre secret pour les aventureuses besognes? Non, grand dignitaire plut�t, dites? L'EMPEREUR Oui. L'IMP�RATRICE Et prince? L'EMPEREUR Eh! qu'importe qui je suis! C'est de Votre Majest� qu'il s'agit, non de moi-m�me. Daignez entendre ce que l'Empereur.... L'IMP�RATRICE, _interrompant._ O� est-il votre Empereur? A la t�te de ses arm�es? L'EMPEREUR, _avec embarras._ Mais ... non, dans son palais, l�-bas.... Les rites, je ne vous l'apprendrai point, ne lui permettent pas d'en sortir. _Pendant tout ce dialogue, on ne cesse d'entendre, dans les lointains de la ville, le canon de la bataille._ L'IMP�RATRICE Les rites, ah! les rites!... Vous voyez ce que j'en fais, des rites, moi qui suis la fille des Ming, la fille du Ciel et l'Invisible.... Je parais au milieu de mes soldats, je me bats comme eux!... Et c'est lui, votre Empereur-fant�me, qui ose m'envoyer un message? L'EMPEREUR Un message de gr�ce, on ose toujours.... L'IMP�RATRICE Dites plut�t qu'un message de gr�ce, c'est ce que l'on devrait oser le moins, lorsqu'on est lui et qu'il s'agit de moi!... Ah! en effet, ils s'y entendent, les Tartares, � faire gr�ce!... Vous venez de traverser ma ville de Nang-King, et vous avez vu? C'est beau, n'est-ce pas, leur oeuvre?... L'EMPEREUR H�las! J'ai vu, oui, avec horreur ... Mais, je puis l'attester sur ma vie, tels n'�taient pas les ordres qu'il avait donn�s, mon souverain.... L'IMP�RATRICE Ah!... Un souverain alors qui n'a m�me pas la force de se faire ob�ir!... D'autres que vous, en effet, me l'avaient dit.... Je le ha�ssais d�j�, de cette ind�racinable haine de race que vous savez; � pr�sent le m�pris s'y ajoute. Oh! cet Empereur, qui fume l'opium dans son palais de momie, tandis que ses hordes de soldats vont � leur gr�, � travers les provinces, laissant des tra�n�es rouges et des charniers pour les vautours!... Et si, par impossible, je m'humiliais jusqu'� l'accepter, sa gr�ce, qui me la garantirait apr�s tout, puisqu'on ne lui ob�it pas?... Contre cette arm�e de b�tes fauves, qui �tait l� tout � l'heure, et va revenir hurler la mort derri�re cette muraille, qui donc le ferait respecter, l'ordre de gr�ce de votre Empereur-fant�me?... Mais qui? L'EMPEREUR Moi! L'IMP�RATRICE Vous! (_Plus douce et plus troubl�e._) Vous! Peut-�tre en effet, car vous ne semblez pas de ceux � qui l'on ose d�sob�ir.... Du reste, votre superbe audace, de repara�tre � cette heure!... Mais, si elle ne trompe pas, la loyaut� que je lis dans vos yeux, cessez le jeu que vous faites, et, cette fois, r�pondez: Qui �tes-vous? L'EMPEREUR Qui je suis? Jusqu'ici rien; inexistant comme une fum�e dans de l'ombre; rien, mais demain tout, peut-�tre si vous vouliez ... demain tout, et rayonnant � vos c�t�s comme un soleil dans de l'�ther bleu.... L'IMP�RATRICE, _reculant._ Ah! vous vous souvenez trop de mon indulgence, nagu�re, � tol�rer vos �nigmes. Dans le parfum de l'encens, dans la pompe et les atours, j'avais la faiblesse d'une femme. Aujourd'hui, non, vous me retrouvez plus haute et plus inaccessible, pr�cis�ment parce que je suis vaincue et que je vais mourir. L'EMPEREUR, _s'inclinant devant elle._ Oh! souveraine, jamais vous ne me f�tes plus sacr�e.... Ne vous offensez pas de mes paroles et pour un temps encore laissez-moi mon masque et mon myst�re. �coutez seulement ceci: �chapp� de ce m�me palais o�, il y a quinze jours � peine, vous m'�tiez apparue dans la splendeur imp�riale, je courais vers P�kin, pour demander � l'Empereur, que vous ha�ssez tant, d'arr�ter l'horrible guerre. En route, j'ai su qu'elles marchaient comme la foudre, nos arm�es tartares, et j'ai rebrouss�, de toute la vitesse de mon navire et de mes chevaux, pour les donner de moi-m�me, les ordres d'apaisement et de tr�ve; j'en avais le droit, tenez: voici le sceau qui m'accorde, au nom des Tsin, les pleins pouvoirs. Vous l'avez dit, je ne suis pas de ceux � qui l'on ose d�sob�ir ... du moins en face, quand c'est moi-m�me qui parle.... J'ai appris maintenant comment on ordonne et comment on impose.... Daignez seulement permettre aux v�tres de faire les signaux qui demandent gr�ce ... rien qu'un pavillon hiss� l� sur une tour ... et pas une de leurs t�tes ne tombera, je le jure.... L'IMP�RATRICE Pour m'offrir cela, prince, il faut que vous ne soyez pas de sang imp�rial.... La Fille du Ciel n'accepte point la merci d'un Tartare!.. SC�NE IV LES M�MES, PRINCE-FID�LE, UN VEILLEUR, _puis_ LE CHEF DES SOLDATS, _et_ LES SOLDATS. UN VEILLEUR, _criant du haut d'un mirador d�mantel� qui est au fa�te des remparts._ Une arm�e, l�-bas, l�-bas!... Ils reviennent, les Tartares! Des milliers, des milliers.... Dans le cr�puscule, au loin, c'est, comme une tra�n�e noire.... PRINCE-FID�LE La distance? LE VEILLEUR Au tournant du fleuve, leur avant-garde arrive.... Ils remontent par la longue avenue de Sitche-Men. PRINCE-FID�LE Allons, leur dernier assaut.... Au tournant du fleuve seulement.... Donc, il nous reste une demi-heure.... LE VEILLEUR Ils allument des torches.... Et maintenant j'entends sonner leurs trompes de guerre. PRINCE-FID�LE C'est bien!... Nous serons pr�ts ... L'EMPEREUR, _implorant � mains jointes._ Souveraine! L'IMP�RATRICE, _comme pr�te � c�der._ Pour moi, non!... J'ai dit ma volont�. Il suffit!... (_D�signant les soldats._) Mais tous ces braves-l�, qui tombent d'�puisement, de faim et de soif.... (_A Prince-Fid�le._) Eh bien! oui, pour eux, qu'on les fasse, les signaux qui demandent gr�ce. PRINCE-FID�LE, _avec stupeur._ Les signaux qui demandent gr�ce?... L'IMP�RATRICE Oui, j'ai bien dit cela, � mon noble sujet! Je l'ai bien dit!... Ma mort doit suffire aux vainqueurs. Puisqu'il n'y a plus d'espoir, � quoi bon ce carnage de la fin?... Les signaux, qu'on les fasse. PRINCE-FID�LE Pas un seul des combattants ne se rendra. L'IMP�RATRICE Cependant, si je l'ordonne!... Ne suis-je d�j� plus l'Imp�ratrice? PRINCE-FID�LE Soumis en toutes choses � votre volont�, � cet ordre-l� seulement vos soldats n'ob�iront pas. L'IMP�RATRICE, _aux soldats._ Est-ce vrai?... Est-ce vrai?... Mes amis, � pr�sent, je l'exige, vous m'entendez!... Oh! vous m'�pargnerez cet exc�s d'angoisse, vous, mes chers r�volt�s!... Vous ne voudrez pas que je sois emport�e dans l'autre monde sur les flots de votre sang.... _Les soldats baissent la t�te et restent immobiles, tenant toujours leurs armes._ LE CHEF DES SOLDATS, _apr�s un silence._ Majest�, le Prince a d�j� r�pondu pour nous tous! Non, nous ne voulons pas de gr�ce. L'IMP�RATRICE, _revenant vers l'Empereur dans une exaltation soudaine de triomphe._ Ah! vous le voyez, me voici comme votre Empereur tartare: on ne m'ob�it pas!... Allez le lui dire, � votre ma�tre.... Et en m�me temps, vous lui conterez comment on sait mourir dans le palais des Ming.... Allez, Seigneur, vous avez votre cong�. L'EMPEREUR, _implorant avec plus d'instance._ Souveraine!... Et si c'�tait moi, � pr�sent, qui l'implorais la gr�ce ... la gr�ce de rester ici et de tomber � vos c�t�s.... L'IMP�RATRICE L'honneur de tomber aux c�t�s de l'Imp�ratrice, je ne l'accorde qu'� ces braves,--qui sont de ma race, entendez-vous,--et qui ont prodigu� leur sang pour me d�fendre. Allez, Seigneur, j'ai dit. (_Se rapprochant de lui, parlant tr�s bas et vite, cette fois, comme une affol�e._) Un seul mot encore pourtant.... Mon fils, autour de qui l'arm�e du Sud tient toujours.... Mon fils ... puisque vous semblez tout oser et tout pouvoir ... essaieriez-vous de le d�livrer, lui?... Mais non ... quand c'est la m�re qui parle en moi, je d�raisonne et ne sais plus.... Essayer cela, ce serait trahir le ma�tre que vous devez servir ... L'EMPEREUR Je ne sers point de ma�tre, je suis au-dessus des trahisons, libre comme les Dieux et seul devant ma conscience.... J'essaierai.... Je vivrai pour essayer.... L'IMP�RATRICE Faites ainsi!... Et, � ce prix-l� ... plus tard, dans les nuages o� tous les morts se retrouvent et se fondent ... mes M�nes ne seront point hostiles aux v�tres.... Maintenant, allez, Seigneur.... Nos derni�res minutes nous sont n�cessaires.... (_A Prince-Fid�le en lui faisant signe d'emmener l'Empereur tartare._) Prince, l'audience est close. PRINCE-FID�LE, _� l'Empereur qui h�site � s'�loigner, comme sur le point de faire quelque r�v�lation d�cisive._ Venez, Seigneur. Vous avez entendu notre souveraine vous donner cong�. _Il veut l'entra�ner vers la partie des murailles par o� il �tait descendu._ L'IMP�RATRICE, _d�signant la porte de bronze barricad�e par des madriers._ Non, ouvrez cette porte: nous en avons le temps. Une derni�re fois, je veux que l'on sorte de mon palais comme si j'avais encore la libert� et la puissance.... Ouvrez! (_Des soldats se pr�cipitent, font tomber les madriers et ouvrent � deux battants la porte._) Rendez les honneurs au messager de gr�ce!... _Les soldats mettent un genou en terre, le gong et les trompettes sonnent._ L'EMPEREUR Oui, messager de gr�ce, malgr� vous et quand m�me!... (_Se retournant sur le seuil et parlant comme un illumin�._) Du haut des nu�es de l'orage sombre, le Dragon saura descendre.... Et dans ses serres, il recueillera doucement, malgr� lui, le beau Ph�nix qui avait voulu mourir.... _Il sort suivi des quatre guerriers tartares. Les soldats barricadent � nouveau la porte avec des madriers et des pierres._ SC�NE V LES M�MES, _moins_ L'EMPEREUR. _et_ LES TARTARES. L'IMP�RATRICE, _tandis que les filles d'honneur reviennent l'entourer._ Quel est cet homme ... qui ressemble � un Dieu? LA PERLE En tremblant nous le regardions de loin ... �L�GANCE Ses yeux rayonnaient d'amour sublime...! CINNAMOME Mais Votre Majest�, si bonne envers tous, semblait hautaine envers lui. L'IMP�RATRICE, _sans r�pondre, r�p�tant comme en r�ve la phrase du sacre._ �Soyez attentive et anxieuse comme si vous portiez dans vos mains un vase trop rempli d'eau, dont pas une goutte ne doit tomber.� LE VEILLEUR, _criant du haut du donjon qui surmonte la porte._ Les torches de leur avant-garde arrivent au tournant de l'avenue de l'Est.... On commence d'entendre rouler les chariots de leur artillerie.... L'IMP�RATRICE D�j�, au tournant de l'avenue de l'Est!... Pour venir � nous, la mort a des ailes.... (_Elle prend elle-m�me la coupe emplie de poison que Cinnamome avait cach�e derri�re une pierre._) Allons, c'est l'heure!... (_Aux filles d'honneur qui l'entourent, d�signant le b�cher._) Quand le breuvage aura fait son oeuvre, vous m'�tendrez ici, et, d�s que la flamme montera, bien haute et claire, alors, votre service � jamais termin� aupr�s de votre souveraine, vous viderez aussi le bol d'or, pour me suivre.... (_Elle laisse redescendre le bol de poison qu'elle avait commenc� d'�lever jusqu'� ses l�vres._) Prince-Fid�le ... j'aurais voulu lui dire adieu.... Qu'il vienne!... _Pendant le dialogue pr�c�dent, Prince-Fid�le, au fond de la sc�ne, une torche � la main, dirigeait un groupe de soldats arm�s de leviers et de pioches._ CINNAMOME L�-bas, n'est-ce pas lui? _Prince-Fid�le fait signe aux soldats de d�placer un rocher, qui d�masque une �troite porte de bronze._ L'IMP�RATRICE Ah! j'ai compris.... LA PERLE Que fait-il?... L'IMP�RATRICE Ce qui devrait �tre fait.... Jugeant, lui aussi, que l'heure est venue pour moi de m'endormir, il pr�parait ma couche; ces galeries souterraines abritent mon tombeau. (_La porte de bronze s'ouvre. La Perle se jette � genoux et cache son visage. Lotus-d'Or, rest�e un peu en dehors du groupe, s'est agenouill�e pr�s de Porte-Fl�che et lui parle bas, en lui soutenant le front._) Inutile � pr�sent, ce tombeau orgueilleux, d�s longtemps �difi� dans le myst�re.... L� plut�t, l� parmi la belle flamme et la tumultueuse fum�e, mon �me s'envolera vers les nuages.... Rien de moi ne restera, que les mains d'un Tartare puissent profaner; ils m'auront cern�e vainement, je leur �chappe dans l'air.... �L�GANCE, _s'agenouillant aussi._ Mais, souveraine, puisqu'il est cach�, ce tombeau, puisqu'il est inviolable, laissez au moins vos filles vous ensevelir l�, dans la magnificence.... Laissez, de gr�ce, bien-aim�e souveraine!... Cette flamme, pourquoi cette flamme?... Non, c'est trop horrible. L'IMP�RATRICE Enfant, ignores-tu donc l'histoire de notre race?... Mon anc�tre, vaincu ici m�me, vaincu comme je le suis, et qui s'�tait donn� la mort.... Une heure apr�s, sa tombe viol�e, son corps dans la rue, jet� en p�ture aux chiens et aux vautours.... Allons, j'ai dit ma volont�.... Prince-Fid�le, va l'appeler; il s'�puise � d'inutiles besognes; son sang tiens, coule ... inondant sa robe.... Sa blessure s'est rouverte, il n'y prend pas garde. Au moins qu'il ait le temps de recevoir mon adieu.... Va! je le veux.... _�l�gance se rel�ve et fait quelques pas vers le Prince. Pendant le dialogue pr�c�dent, Prince-Fid�le a fait allumer d'autres torches et les soldats qui les portent sont entr�s dans le souterrain._ �L�GANCE, _s'avan�ant vers Prince-Fid�le._ Prince!... L'Imp�ratrice.... _Prince-Fid�le s'approche aussit�t de l'Imp�ratrice._ SC�NE VI L'IMP�RATRICE, PRINCE-FID�LE, LUMI�RE-VOIL�E, LE CHEF DES SOLDATS, LE VEILLEUR. L'IMP�RATRICE, _� Prince-Fid�le._ Prince, je voulais vous dire adieu, et que ma derni�re parole f�t pour vous, avec mon remerciement supr�me. _Sa main �l�ve la coupe empoisonn�e._ PRINCE-FID�LE, _avec un geste comme pour l'arr�ter._ Non, ma divine Imp�ratrice, non!... L'heure du repos, h�las! n'est pas venue, ni pour vous, ni pour moi.... Non! votre lourde t�che n'est pas achev�e encore!... L'IMP�RATRICE Ma t�che, dites-vous, n'est pas termin�e?... Mais le palais n'est plus que ruines, les portes c�dent, les murailles croulent ... Cette fois, nous ne tiendrons pas dix minutes.... C'est la fin!... PRINCE-FID�LE Eh! je ne le sais que trop, qu'il n'y a plus d'esp�rance!... L'IMP�RATRICE Alors, laissez!... Puisqu'ils reviennent, les Tartares!... Tenez, je commence � les entendre sonner, moi aussi, leurs trompes de guerre!.. Qu'elle soit prise vivante, votre Imp�ratrice, ou seulement qu'on trouve encore son cadavre pour le jeter aux corbeaux, ce n'est pas ce que vous voulez, je pense? PRINCE-FID�LE �coutez, de gr�ce!... (_Il fait signe d'approcher � Lumi�re-Voil�e qui venait d'appara�tre au fond de la sc�ne. L'Imp�ratrice a d�pos� la coupe sur une pierre._) L'h�ro�que et dernier effort que nous comptions vous demander, nous avions diff�r� de vous le faire conna�tre.... Souffrez que votre conseiller vous le dise, de notre part � tous. LUMI�RE-VOIL�E, _apr�s avoir ploy� le genou._ O Majest�, deux cent mille soldats sont morts pour vous.... Ces quelques centaines, qui restent ici dans nos murs, tout � l'heure vont encore sacrifier leur vie. Voulez-vous donc qu'ils meurent pour une cause perdue. ... (_Il fait signe au chef des soldats de s'approcher._) Daignez permettre � leur chef de vous implorer avec nous. LE CHEF DES SOLDATS, _apr�s s'�tre agenouill�._ Fi�rement et sans regret, nous la donnons, notre vie, pour la souveraine ... qu'Elle fasse aussi ce que nous attendons de son courage, plus grand mille fois que celui de ses humbles d�fenseurs.... LUMI�RE-VOIL�E O Majest�, il faut les envier, ces hommes, qui vont mourir si glorieusement et si vite.... Notre devoir, � nous, est autre; il est plus long, il est plus terrible. L'IMP�RATRICE Notre devoir, plus long et plus terrible?... Alors, qu'attendez-vous de moi?... Dites-le, ce qu'il faut faire; l'Imp�ratrice vous ob�ira, mais dites-le, je ne comprends plus.... _Elle repose la coupe d'or._ PRINCE-FID�LE Ce qu'il faut faire, � ma souveraine bien-aim�e, il faut s'enfuir et vivre!... L'IMP�RATRICE, _avec violence._ Ah! non!... Tout ce que vous me demanderez.... Mais l�chement prendre la fuite, non! LUMI�RE-VOIL�E S'enfuir, h�las! oui.... �chapper � l'ennemi, lui enlever l'enjeu de la guerre.... Et ainsi, la partie qu'il gagne ne lui fait rien gagner; la victoire n'est plus la victoire; bient�t le sang de nos h�ros enivre d'autres h�ros; une nouvelle arm�e se groupe autour de la Fille du Ciel, et la guerre recommence. L'IMP�RATRICE Et le sang coule encore.... Et la Terre d�sert�e peuple le royaume des Ombres.... Non, assez de morts.... J'ai peur, � la fin, peur d'�tre une souveraine meurtri�re et fatale.... Tout ce sang, tout ce sang vers� pour moi, il me semble que j'ai les mains rouges.... PRINCE-FID�LE Il est in�puisable, le sang de vos sujets ... et leur d�vouement est sans limite.... L'IMP�RATRICE, _tout � coup tr�s douce, et comme implorant._ Mais mon courage est � bout.... (_D�signant les soldats, qui entassent toujours le bois du b�cher._) Prince, j'aimerais mourir avec ceux-ci.... PRINCE-FID�LE Vivez, pour que leur mort ne soit point st�rile.... Vivez pour ramener notre jeune Empereur, que l'arm�e du Sud nous garde; vivez pour nous tous et pour lui.... L'IMP�RATRICE Mon fils!... Ah! ne prononcez pas ce nom-l�.... Pour m'entra�ner, n'essayez pas de faire jouer cette corde, c'est la seule que je vous d�fends de toucher. A l'instant pr�cis o� vous me l'avez arrach�, j'ai eu la certitude que je ne reverrais jamais, jamais le cher petit visage, jamais les chers yeux.... Je trouve la force de tout entendre, except� si l'on me parle de lui..., car, alors, voyez-vous, je redeviens une m�re, rien qu'une m�re, comme les autres femmes ... et je ne peux plus, je ne peux plus.... (_Elle d�tourne la t�te, et sa phrase finit par des sanglots._) Oh! ne pas s'appartenir, ne pouvoir m�me pas laisser sur le chemin le fardeau de sa vie!... �tre l'idole impersonnelle, dont tout un peuple dispose � son gr�; �tre le triste f�tiche que chacun veille des yeux comme les tablettes de ses anc�tres sur l'autel familial!... PRINCE-FID�LE Vous �tes la banni�re �tincelante, la d�esse toujours radieuse, vers qui nous tournons les yeux dans la d�tresse supr�me.... Et vous ferez ce que des millions de sujets vous demandent, par la bouche de ces quelques braves qui vont mourir. LE VEILLEUR, _criant du haut du donjon._ Il se jette contre leur avant-garde, l'homme qui �tait ici tout � l'heure, le messager de gr�ce.... Avec les trois autres qui l'accompagnaient, il se jette contre leur avant-garde, comme pour les arr�ter!... Oui ... il veut les arr�ter, c'est bien cela. Et il semble commander en ma�tre, et semer parmi eux l'�pouvante.... L'IMP�RATRICE, _au veilleur._ Bien!... Qu'on ne me parle plus de cet homme. Et toi, tu pourras bient�t descendre, pauvre veilleur dont la t�che est finie, et te joindre � tes fr�res d'armes pour mourir. Que nous importe � pr�sent ce qu'ils font, les Tartares?... Nous ne sommes d�j� plus de ce monde.... (_A Prince-Fid�le._) Mais encore faut-il que ce soit possible, ce que vous demandez!... De toutes parts investis!... Fuir par o�, fuir comment?... O� se cacher? O�? _Les soldats qui ont descell� le rocher sont rest�s devant la porte de bronze, tenant toujours les pioches et les leviers, et ils ont l'air d'attendre._ PRINCE-FID�LE L�, dans ce tombeau!... Et, sur le ciment tout pr�par� qui scellera les roches, nous jetterons de la poussi�re ... quand vous serez entr�e.... L'IMP�RATRICE, _apr�s un silence, lentement, soumise et morne._ Dans mon tombeau, mur�e vivante.... Soit! Et apr�s? PRINCE-FID�LE Il y a ce couloir souterrain qui passe par les caveaux o� dorment votre p�re et votre �poux; vous le savez comme moi, il va d�boucher parmi les broussailles, dans la campagne, au pied de la colline des Supplices.... L'IMP�RATRICE, _tr�s vite et haletant._ S'il n'est pas obstru� d�j� par la terre, oui!... Et, tout autour de la colline des Supplices, les Tartares sont camp�s. PRINCE-FID�LE Nous attendrons qu'ils n'y soient plus ... L'IMP�RATRICE Et de l'air pour nos poitrines, de l'air dans ces caveaux des morts, en trouverons-nous? PRINCE-FID�LE Je le crois, oui.... Mais emportons toujours ce breuvage, que tout � l'heure vous vouliez boire. L'IMP�RATRICE, _toujours tr�s vite._ Et s'ils nous prennent l�, les Tartares, s'il nous prennent comme des b�tes de nuit forc�es dans leur terrier?... Rappelez-vous, ils avaient viol� la tombe de mon a�eul.... PRINCE-FID�LE Elle n'�tait pas cach�e comme la v�tre. L'IMP�RATRICE, _toujours tr�s vite._ Et des v�tements ensuite, pour fuir dans la campagne o� l'ennemi r�de. (_Touchant sa robe de guerri�re._) Pas avec ceux-l�? PRINCE-FID�LE Des d�pouilles d'ennemis nous serviront � souhait.... La terre doit en �tre jonch�e.... L'IMP�RATRICE Pour v�tir votre Imp�ratrice, des loques arrach�es � quelque cadavre qui se d�compose.... Soit! m�me � cela je consens.... Mais, pour vivre, dans ces couloirs de tombeau, pour durer, quand on n'est pas encore des ombres, il faut manger, vous savez bien!... Les derniers grains de riz, je les ai partag�s ce matin avec vous et mes soldats!... Alors, quoi?... PRINCE-FID�LE, _indiquant le tombeau._ Les g�teaux sacr�s, l�, sur la table des morts. L'IMP�RATRICE Horreur et sacril�ge! LUMI�RE-VOIL�E Il n'y a pas de sacril�ge, quand il s'agit de sauver la Dynastie Lumineuse.... Les M�nes augustes viendront eux-m�mes vous convier au repas; notre sacrifice nous les rendra indulgents et favorables. L'IMP�RATRICE, _lente, tout � coup._ Ainsi, je serai celle qui vivra dans les froides t�n�bres, avec l'incertitude d'en sortir jamais; je serai celle qui se tra�nera comme une larve dans les souterrains peupl�s de fant�mes, mangeant � t�tons les offrandes pieuses qui se dess�chent sur les autels des morts.... Oh! oui, c'est plus �pouvantable que de mourir ici.... Alors, j'accepte.... Emmenez-moi, je suis r�sign�e!... LE VEILLEUR, _du haut du mur._ Ils ont arr�t� leur marche, les Tartares.... Un petit groupe seul s'avance en courant, sans armes, portant des �criteaux sur des hampes.... Malgr� l'obscurit�, on dirait les signes qui accordent gr�ce. L'IMP�RATRICE Ah! la gr�ce impos�e ... serait plus insultante encore.... Dans ma tombe emmurez-moi, prince, avant qu'ils soient ici!... PRINCE-FID�LE, _d�signant Lumi�re-Voil�e._ Votre conseiller et moi-m�me, nous vous suivrons dans ces demeures (_D�signant les filles d'honneur_), et peut-�tre deux de ces jeunes filles, si elles se sentent assez fortes pour l'�preuve. SC�NE VII LES M�MES, LES FILLES D'HONNEUR. L'IMP�RATRICE C'est cela ... Ma suite, ma fun�bre cour et sans doute mon dernier cort�ge: quatre personnes.... (_Aux filles d'honneur._) Quelles seront les deux d'entre vous, mes filles, qui auront le courage de me suivre dans les noirs sentiers, l�-bas?... LES FILLES D'HONNEUR, _s'inclinant._ Toutes, nous sommes pr�tes.... Que Votre Majest� daigne prononcer deux noms. L'IMP�RATRICE, _apr�s un silence._ El�gance, Cinnamome.... (_El�gance et Cinnamome s'approchent de l'Imp�ratrice._) Toutes, vous m'�tes ch�res, mais j'ai appel� celles qui, dans l'adversit�, m'ont montr� un coeur plus viril. (_Aux autres._) Et vous, mes fra�ches fleurs si t�t fauch�es, que l'eau de la Grande D�livrance vous m�ne hors de ce monde, tr�s doucement, � travers la paix d'un sommeil. LA PERLE Aux bless�s nous l'avons toute vers�e. UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR Nos buires sont vides. LA PERLE Le b�cher nous effraie.... Mais nous savons comment mourir, bonne souveraine. UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR Le lac du jardin est profond, au pied de l'�le des Jades. LA PERLE Quand nous aurons conduit Votre Majest� jusqu'au seuil du sentier noir, en nous donnant la main, nous irons au bord du lac. UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR Sur la vase o� nous dormirons tranquilles, les lotus nous enlaceront de leurs racines, et nous revivrons dans leurs fleurs.... L'IMP�RATRICE, _� Lotus-d'Or qui est assise un peu � l'�cart, tenant toujours sur ses genoux la t�te mourante de Porte-Fl�che._ Et toi, Lotus-d'Or? LOTUS-D'OR O Majest�, acceptez ici m�me mon supr�me salut.... M'�loigner de lui, laisser retomber son front, pardonnez-moi si je n'en ai pas le courage.... _On commence d'entendre au dehors les trompes des Tartares, leurs gongs et une clameur qui se rapproche._ L'IMP�RATRICE, _� Porte-Fl�che et � Lotus-d'Or._ Tenez, pauvres fianc�s sans lendemain, voici le cadeau de noces de votre Imp�ratrice. (_Elle verse du breuvage empoisonn� plein sa coupe d'or et le leur donne._) Adieu! Soyez unis par del� les nuages.... (_A Prince-Fid�le._) Allons, Prince, montrez-moi le chemin.... Me voici tout � fait pr�te. LE CHEF DES SOLDATS, _s'avan�ant, � Prince-Fid�le._ Prince, parlez pour nous. PRINCE-FID�LE Vos soldats, Majest�, implorent une derni�re gr�ce.... L'IMP�RATRICE Il est donc encore en mon pouvoir d'accorder une gr�ce.... Oh! tout, tout ce qu'ils voudront. PRINCE-FID�LE Vous demandiez pourquoi tant de bois qu'ils accumulaient: c'�tait pour eux-m�mes. Ils veulent mourir l� avant l'entr�e des Tartares.... Et cette gr�ce supr�me qu'ils implorent, c'est que vous allumiez vous-m�me leur b�cher. _Le chef des soldats s'agenouille et tend � l'Imp�ratrice une torche enflamm�e._ L'IMP�RATRICE, _aux soldats, acceptant la torche._ O mes bien-aim�s soldats! Sachez tous que votre Imp�ratrice vous suivra bient�t dans la mort! Elle n'accepte de vous l'ordre de fuir que pour essayer de vous venger; mais si des temps meilleurs surviennent pour la Dynastie Lumineuse, elle refusera de les vivre; devant vous tous, elle en fait ici le serment: sa t�che implacable une fois termin�e, elle se h�tera de vous rejoindre chez les Ombres.... O victimes surhumaines! O vaincus aur�ol�s de gloire! O mon h�ro�que arm�e!... Un jour viendra o� l'histoire de votre fin sublime sera grav�e dans le jade imp�rial, en lettres d'or, pour que la post�rit� pleure sur vous. (_Elle jette la torche dans le b�cher_) et que l'�clat de votre b�cher �blouisse le monde, �ternellement!... _Le b�cher prend feu. Les soldats se jettent en chantant dans les flammes._ LES SOLDATS, _chantant:_ Qu'il vive, notre Roi! Qu'il vive heureux et longtemps! _Un nuage de fum�e noire commence de les envelopper. On entend se rapprocher un gong qui r�sonne � coups espac�s et la voix d'un h�raut tartare._ LA VOIX DU H�RAUT TARTARE, _du dehors et de tr�s loin._ Ordre de l'Empereur. Respectez ceci! PRINCE-FID�LE, _en h�te, au chef des soldats._ Le rocher, replac� comme nous avons dit! Murez vite! Et beaucoup de terre jet�e sur le ciment frais, beaucoup de poussi�re.... _Le chef des soldats va rejoindre les quelques hommes qui attendent devant le tombeau, tenant les pioches et les leviers. L'Imp�ratrice, Prince-Fid�le, Lumi�re-Voil�e, El�gance et Cinnamome se dirigent vers la porte de bronze. Les autres filles d'honneur suivent en se donnant la main, elles s'agenouillent en arrivant pr�s de la porte._ L'IMP�RATRICE, _arriv�e � la porte du tombeau, aux quatre personnes qui doivent y entrer avec elle._ Entrez d'abord. Je passe la derni�re: ce sont mes fun�railles!... Et puis, je veux encore une fois les regarder, mes h�ros, et l�-bas, mon beau palais qui se dessine toujours. (_Aux filles d'honneur agenouill�es._) Vous, mes filles ch�ries, relevez-vous, ne vous attardez pas, le lac o� vous allez n'est pas proche d'ici.... _Les filles d'honneur s'en vont, en se donnant la main, et on entend leurs sanglots. L Imp�ratrice franchit la porte et puis se retourne sur le seuil comme une hallucin�e, regardant la flamme du b�cher qui commence de monter, et levant les bras en grands gestes extasi�s._ Ah! la belle flamme rouge!... Ah! la belle fum�e qui tourbillonne!... Il fait clair dans mon palais, pour le dernier soir. Et je les vois, leurs nobles �mes, qui montent, qui montent, dans le tournoiement des spirales brunes!... LES SOLDATS, _chantant dans la flamme._ Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! L'IMP�RATRICE, _aux soldats._ Allez, mes braves!... Montez, montez, volez, vers le ciel des anc�tres, planez l�-haut chez le Dieu des nuages!... LES SOLDATS, _plus faiblement._ Dix mille ann�es! Dix mille ann�es! _On entend plus proches les coups de gong des Tartares au dehors._ L'IMP�RATRICE, _aux soldats._ Et moi, je suis une morte comme vous, sachez-le bien! C'est plus tard seulement que je prendrai mon essor; mais d�j� je suis une morte,--morte � tout ce qui ne sera pas vengeance, fureur de bataille, haine sans merci!... Et je referme sur moi ma porte de bronze! (_Aux soldats proches qui tiennent les leviers._) Scellez-la bien, mes amis, sur votre Imp�ratrice! Roulez le grand rocher!... Murez-la bien dans son tombeau, la morte vivante!... _Elle referme sur elle-m�me le battant de la petite porte de bronze. Le chef des soldats, avec quelques hommes qui restent, replacent le rocher, jettent en h�te le ciment et la poussi�re._ LA VOIX CHANTANTE DU H�RAUT TARTARE, _arriv� au pied de la muraille._ Ordre de l'Empereur! Respectez ceci: � tous, sans condition, gr�ce de la vie et de la libert�!... Ouvrez et n'ayez point de crainte!... A tous l'Empereur fait gr�ce!... UN DES SOLDATS _qui cimentent le rocher._ Trop tard, l'insulte de votre pardon!... Avant que vous ayez enfonc� nos portes, il n'y aura plus ici que des morts! LA VOIX DU H�RAUT TARTARE, _chantant au dehors._ Ouvrez et n'ayez point de crainte!... A tous, notre Empereur accorde la vie. UN AUTRE DES SOLDATS Non, pas m�me des morts pour la recevoir votre gr�ce! Plus rien que des cendres. LE CHEF DES SOLDATS, _achevant de cimenter le rocher sur la porte du tombeau imp�rial._ Et notre beau Ph�nix, faute de pouvoir d�ployer ses ailes, se sera d�rob� � vous sous la terre!... LA VOIX DES SOLDATS, _s'affaiblissant toujours dans la flamme et la fum�e._ Dix mille ann�es � la Dynastie Lumineuse!... Dix mille ann�es! _La flamme et la fum�e envahissent tout._ ACTE QUATRI�ME PREMIER TABLEAU Avant le lever du rideau, on a commenc� d'entendre les vocif�rations de la foule, m�l�es � des bruits de gongs et de sonnettes. Le lieu des ex�cutions au pied des remparts de P�kin. Une colossale muraille grise, � cr�neaux, occupe tout le fond de la sc�ne, et, vers la gauche, s'en va � perte de vue dans le lointain. Le long de cette muraille, les prisonniers chinois sont attach�s � des poteaux, d'autres sont � la cangue, sous un �criteau rouge. �� et l� des t�tes coup�es et saignantes sont pendues � des clous. Il y a des taches de sang partout sur le sol. Une foule loqueteuse se presse sur le devant de la sc�ne; les gens portent le costume de P�kin de nos jours, longue natte, robe de coton bleu, savon de peau de bique; des femmes tartares, du peuple aussi, sont coiff�es de deux cornes de cheveux, avec de grossi�res fleurs artificielles. En avant et � gauche, la grande tente, largement ouverte, d'un g�n�ral tartare: elle est en cuir verd�tre, avec toiture jaune, surmont�e d'un clocheton d'argent; l'int�rieur est tapiss� de peaux de b�tes; autour du m�t central, une table circulaire: tapis, pliants, petite table, un drapeau carr� avec le nom du g�n�ral. Gardes, soldats, sabre au clair. Des chameaux sont couch�s alentour, parmi des ballots et des armes. Voitures, palanquins. Au lever du rideau, la foule continue de vocif�rer tumultueusement. Des marchands de boissons chaudes se prom�nent avec des urnes de cuivre sur le dos; des barbiers agitent des sonnettes; des sorciers aveugles jouent de la fl�te; des marchands de bonbons frappent sur des gongs. Des bourreaux, au premier plan, essuient les lames saignantes de leurs sabres. SC�NE PREMI�RE LES BOURREAUX, LA FOULE. PREMIER BOURREAU, _essuyant son sabre, � deux jeunes femmes qui l'entourent._ C'est que nous avons les bras fatigu�s, mes petites belles.... UNE DES FEMMES Ah!... Ils ont pourtant l'air solides, vos bras, monsieur le bourreau. LE BOURREAU Solides, je ne dis pas. Mais tout de m�me.... UN MARCHAND DE FLEURS Pivoines imp�riales, lotus vari�s, toutes les Heurs de la saison! UN MARCHAND DE FRUITS Doux comme le miel, le fruit rouge des montagnes! UN ENFANT TARTARE, _s'approchant du bourreau._ Dites, monsieur le bourreau, il faut frapper fort pour couper? _Des hommes, portant un baquet plein d'eau pendu � l'�paule, arrosent le sol avec une grande cuiller de bois._ LE BOURREAU C'est de l'adresse, mon petit agnelet ... trouver juste la place ... de l'adresse et de la force aussi, bien entendu... Ah! �a n'est pas en un jour, tu penses, que notre m�tier s'apprend.... UN MARCHAND DE BONBONS, _frappant sur un petit gong._ Elle a le go�t de la canne � sucre, la gourmandise que je vends! UN MARCHAND DE FRUITS Ay! Ay! Blanc comme la graisse, blanc comme le jade, le melon frais! DES MENDIANTS, _jouant de la guitare._ �coutez la l�gende du roi des Dragons: _Ils chantent d'une voix suraigu�._ Aupr�s du lac des bambous, Trois hiboux, hiboux, hiboux! DEUXI�ME BOURREAU, _� d'autres femmes, d�signant des gens attach�s aux poteaux._ Le deuxi�me groupe, l�?... Tout � l'heure, son tour. Le ma�tre des ex�cutions nous accorde un temps de repos, et nous l'avons bien gagn�, hein?... _Il appelle un marchand de boisson chaude et se fait servir._ UNE MERCI�RE, _frappant sur un timbre._ Tous les caprices de la coquetterie dans mon �talage.... Voyez, jeunes femmes; voyez, jeunes filles! UNE FEMME TARTARE, _� une autre._ Oh! regarder couper les t�tes, moi je ne suis pas de celles qui s'y complaisent.... Et puis, n'est-ce pas un spectacle toujours pareil?... Non, mais c'est leur D�esse que j'aurais d�sir� voir.... DEUXI�ME FEMME TARTARE Leur D�esse?... Leur Imp�ratrice?... Tiens, et moi de m�me, et nous toutes aussi; voir leur D�esse, c'est cela qui nous int�resserait le plus!... TROISI�ME FEMME TARTARE Et on va te la montrer, comptes-y! DEUXI�ME FEMME TARTARE Pourquoi donc pas?... On nous montre bien leurs g�n�raux, et leurs princes, et tous les autres.... Les prisonniers, c'est fait pour �tre vus, c'est pour �a d'ailleurs qu'on nous les a amen�s jusqu'� P�kin. TROISI�ME FEMME TARTARE Oh! mais elle.... Il para�t que, pour nous la conduire ici, c'�tait tout le temps des �gards en route comme pour une reine.... Et l'Empereur l'a fait mettre dans la Ville Interdite, vous savez, dans son palais m�me.... PREMI�RE FEMME TARTARE On dit qu'elle a des yeux, des yeux dont les petites gens comme nous ne peuvent pas supporter le regard.... FLEUR-DE-JASMIN Oh!... Et puis, j'aurais peur, moi!... Une femme qui a �t� morte ... car elle a �t� morte la dur�e d'au moins deux lunes, vous savez!... DEUXI�ME FEMME TARTARE D'abord Fleur-de-Jasmin croit tout ce qu'on lui dit. FLEUR-DE-JASMIN Dame! chacun le sait bien, qu'elle a �t� morte.... Deux lunes, je vous dis, elle est rest�e pendant deux lunes dans son tombeau.... LE MARCHAND DE FRUITS Ay! Ay! Blanc comme la graisse, blanc comme le jade, le melon nouveau! PREMI�RE FEMME TARTARE On sait bien aussi que les balles, la mitraille, tout cela passait au travers d'elle, comme au travers d'une ombre.... (_Avisant un chef des soldats qui est l�._) Tenez, demandez plut�t � Lee-Phuang, qui �tait l� quand on l'a prise; n'est-ce pas, Lee-Phuang? LEE-PHUANG Ah! pour �a oui, et j'en ai �t� t�moin.... Les balles ne l'arr�taient gu�re, leur D�esse.... DEUX SOUS-OFFICIERS, _amenant au supplice un nouveau groupe de prisonniers chinois, les mains li�es de cordes, parmi lesquels, et fermant la marche, Prince-Fid�le, en v�tements souill�s et d�chir�s._ Place!... Faites place!... _Les prisonniers passent pour aller rejoindre les autres, qui attendent d�j� leur tour d'ex�cution au pied de la muraille._ LEE-PHUANG, _aux femmes qui l'avaient interpell�._ Le dernier qui arrive l�! Regardez! regardez!... Celui qui marche la t�te si fi�re: le plus grand chef des rebelles de Nang-King. Il se nomme Prince-Fid�le, c'�tait le bras droit de la D�esse; au milieu de la bataille, tout le temps � ses c�t�s.... LA MERCI�RE, _frappant sur son timbre._ Tous les caprices de la coquetterie dans mon �talage! Voyez, jeunes femmes voyez, jeunes filles!... SC�NE II PRINCE-FID�LE, LE G�N�RAL TARTARE LE G�N�RAL TARTARE, _sortant de sa tente et saluant Prince-Fid�le, qui passe et ferme la marche du dernier groupe des condamn�s._ Entrez ici, noble vaincu. Ne regardez pas l�-bas. Chaque homme ne doit mourir qu'une fois, et vous, vous mourrez � chaque t�te qui tombera. Ce supplice ne vous suffit donc pas, de devoir �tre la derni�re victime?... PRINCE-FID�LE Ma pr�sence, peut-�tre, les soutient, mes pauvres soldats, si simplement h�ro�ques. LE G�N�RAL TARTARE Plut�t votre souffrance s'ajoute � leur peine.... Accordez l'honneur � un loyal ennemi de passer sous sa tente les derni�res minutes de votre vie glorieuse.... Vous �tes d�j� au-dessus des petitesses du monde et des rancunes implacables. PRINCE-FID�LE Le glaive n'est pas responsable, ni m�me bourreau. LE G�N�RAL TARTARE Pas m�me le g�n�ral. _On attache les nouveaux prisonniers � des poteaux._ PRINCE-FID�LE Je n'ai pas de rancune.... _Il entre sous la tente avec le g�n�ral tartare._ LE G�N�RAL TARTARE Et moi, je n'ai pas d'orgueil. Je sais que les sages r�prouvent la guerre et estiment que l'oeuvre du vainqueur se r�sout en la poussi�re de dix mille squelettes.... PRINCE-FID�LE Et qu'on ne doit, aux triomphateurs, que des honneurs fun�bres. LE G�N�RAL TARTARE Oui, la gloire des armes n'est, vraiment, que la fum�e d'un incendie.... _Ils se sont assis sur des pliants, et on leur sert du vin de riz. Pendant le dialogue suivant, les ex�cutions recommencent au fond de la sc�ne, au milieu d'un remous de la foule. A chaque minute, on voit le sabre d'un bourreau d�crire une courbe en l'air, et aussit�t apr�s une nouvelle t�te coup�e, saignante, est accroch�e � la grande muraille de P�kin qui ferme le tableau. Cris et tumulte, un peu assourdis, pendant la conversation des deux hommes sous la tente._ LE G�N�RAL TARTARE Avant de quitter ce monde, n'avez-vous pas quelque mission, envers vos proches, qu'il vous serait pr�cieux de voir accomplir?... Je m'en chargerais avec respect. PRINCE-FID�LE Ils ont p�ri, sans nul doute, tous ceux qui m'�taient chers. Je vous remercie de votre offre bienveillante. LE G�N�RAL TARTARE N'avez-vous pas quelque d�sir?... PRINCE-FID�LE Un seul: celui de conna�tre le sort de notre Imp�ratrice. Dans cette bataille funeste o� j'ai �t� fait prisonnier, elle combattait aussi. Est-elle vivante ou morte, libre ou captive?... LE G�N�RAL TARTARE Elle est vivante, captive depuis une demi-lune seulement et, depuis hier, gard�e � P�kin, non loin d'ici, dans la Ville Interdite. PRINCE-FID�LE Non loin d'ici, ma souveraine!... Ah! si les Dieux, las de nous frapper, pouvaient permettre.... Savoir qu'elle est l� tout pr�s!... LE G�N�RAL TARTARE Sur la fin de ce combat, qui fit tant d'honneur aux vaincus, elle a pu s'�chapper avec un millier de soldats. Mais la retraite �tait coup�e et depuis longtemps l'imp�riale guerri�re aurait �t� prise, si des ordres contradictoires, entravant nos mouvements comme � plaisir, ne lui avaient donn� la facult� de retarder de jour en jour sa captivit�. On e�t dit que quelqu'un de puissant veillait sur elle avec une singuli�re sollicitude, l'avertissait des dangers ou s'effor�ait de les �carter de sa route. PRINCE-FID�LE Que celui-l� vive de longs jours heureux et que sa renomm�e soit imp�rissable!... LE G�N�RAL TARTARE Ah! quand donc finira cette guerre toujours renaissante qui impr�gne le sol de la patrie du sang de ses fils? PRINCE-FID�LE Elle ne finira, je le crains bien, que par l'extermination d'une des deux races.... Pourtant la haine serait moins farouche peut-�tre, si les vainqueurs, apr�s la victoire, traitaient les vaincus avec plus de cl�mence.... Pas tant d'ex�cutions! Pas tant de sang!... Tout soldat qui ne peut plus d�fendre sa vie devrait �tre sacr�. LE G�N�RAL TARTARE On offre aux v�tres la vie sauve, s'ils se soumettent; tous refusent. PRINCE-FID�LE Leur h�ro�sme devrait �tre une raison de plus de les �pargner. LE G�N�RAL TARTARE Que faire?... Notre devoir est d'ob�ir. PRINCE-FID�LE Pas jusqu'au crime. Une petite pierre peut quelquefois enrayer un lourd chariot. Nous, les chefs, en sacrifiant seulement notre vie, nous pouvons sauver des foules. LE G�N�RAL TARTARE Comment cela?... PRINCE-FID�LE En r�sistant � l'iniquit�.... Vous souvenez-vous?... Une autre guerre, toute pareille � celle-ci, le sac d'une ville, l'ordre au bourreau de faucher toutes les t�tes comme � pr�sent; alors, un jeune chef, fou de douleur � l'id�e d'un pareil carnage, trouve de tels accents pour supplier le g�n�ral de faire gr�ce, ou tout au moins de restreindre les ex�cutions, que celui-ci consent � limiter la tuerie au temps que pourra mettre � se consumer une baguette de parfum. Le parfum s'allume, la premi�re t�te va tomber; mais le jeune chef, fr�missant d'horreur, saisit la baguette, la r�duit en poussi�re, et court au bourreau en criant: �C'est fini! c'est fini! on fait gr�ce!� Puis, comme il a d�sob�i, il va se briser la t�te contre un rocher.... A ce h�ros, le peuple �leva un temple, qui se dresse aujourd'hui encore sur une haute colline et dont les marches, depuis des si�cles, n'ont cess� d'�tre jonch�es de fleurs fra�ches. LE G�N�RAL TARTARE, _r�veur._ A ce h�ros, le peuple �leva un temple!... SC�NE III LES M�MES, LA FOULE, _puis_ UN OFFICIER. _Depuis quelques instants, la foule, plus turbulente, commence � murmurer contre le carnage. Devant une nouvelle troupe de condamn�s que l'on am�ne, des cris �clatent._ LA FOULE Oh! oh! assez! assez! UNE VOIX Les ministres de l'Empire sont des bouchers! UN HOMME, _montant sur les �paules de ses voisins._ Assez! assez!... Mort aux tigres!... PRINCE-FID�LE, _sous la tente, voyant que le g�n�ral tartare se l�ve._ Sans doute, c'est mon tour?... LE G�N�RAL TARTARE Non, non. Restez encore, nous serons avertis. UN AUTRE HOMME, _sur la place._ Oui! Mort aux tigres!... (_Il se baisse et trempe le bout de sa ceinture dans le sang._) Et je vais l'�crire, moi, tenez, sur cette muraille: Mort aux tigres! _Il monte sur une pierre et commence, avec le bout de sa ceinture, � tracer des caract�res sur un pan de muraille. Le g�n�ral est sorti de la tente._ UN OFFICIER Des hommes par ici!... Qu'on disperse cette foule insolente!... Arr�tez celui qui �crit ... LE G�N�RAL TARTARE, _s'avan�ant pr�cipitamment._ Qui donc commande sans mon ordre?... L'OFFICIER Seigneur, un commencement d'�meute ... n'est-ce pas mon devoir?... LE G�N�RAL TARTARE Vous n'avez d'autre devoir que d'ob�ir.... (_Il renvoie d'un geste les soldats qui s'�taient avances pour saisir l'homme._) Les bourreaux doivent �tre las: une seconde fois, que le chef des ex�cutions leur donne l'ordre de se reposer. L'OFFICIER Pendant combien de minutes? LE G�N�RAL TARTARE Aussi longtemps que mon sabre restera fix� ici. _Il l'enfonce dans le sol._ PRINCE-FID�LE, _bas au g�n�ral._ Prenez garde, mon g�n�reux ennemi! Peut-�tre va-t-on croire que vous avez peur. LE G�N�RAL TARTARE Des vivants, non.... Mais des spectres, c'est vrai oui, j'ai peur des spectres.... _Ils entrent ensemble sous la tente. La foule, dont la rumeur va croissant, s'�carte de la place des ex�cutions, laissant voir les corps sans t�te qui gisent � terre, et les mares de sang. Les marchands reprennent leurs cris et leurs musiques._ LE MARCHAND DE FLEURS Pivoines royales, lotus vari�s, toutes les fleurs de la saison! LE G�N�RAL TARTARE, _dans la tente, � Prince-Fid�le._ Vous le voyez, je me compromets, comme le h�ros de votre l�gende, et cependant on ne m'�l�vera point de temple. PRINCE-FID�LE Mais vous n'esp�rez pas les sauver, ceux des miens qui restent encore?... LE G�N�RAL TARTARE Qui sait!... Tant que les t�tes ne sont pas d�tach�es des �paules.... Vous entendez dehors: le flot du peuple irrit� grossit toujours.... Souvent une courte �meute a d�livr� bien des victimes.... Je puis �tre d�bord�, avoir la main forc�e: le ciel le veuille!... PRINCE-FID�LE Votre noble g�n�rosit� m'encourage � vous demander une gr�ce. LE G�N�RAL TARTARE Ce sera une joie pour moi de l'accorder. PRINCE-FID�LE Avant de m'agenouiller l�-bas, contre la muraille sanglante, je souhaiterais obtenir une heure de libert�, sur ma parole.... LE G�N�RAL TARTARE La parole d'un homme tel que vous est plus solide qu'une cha�ne de fer � ses jambes ou qu'une cangue de bois de c�dre � ses �paules.... Une heure oui, m�me une heure et demie, nous pouvons attendre.... L'emploi que vous voulez en faire, peut-�tre le devin�-je: c'est la grande captive, n'est-ce pas, que vous r�vez de revoir.... L�, je ne puis, h�las! en rien vous servir.... Les Dieux vous viennent en aide!... (_Pr�sentant une robe brod�e d'or qui est accroch�e au m�t de la tente._) Une seule chose: consentez � rev�tir une de mes robes; elle vous sera toujours une sauvegarde. PRINCE-FID�LE Comment oserais-je?... LE G�N�RAL TARTARE Je vous en prie.... Ce v�tement me deviendra pr�cieux, au contraire, pour vous avoir prot�g�. (_Il passe la robe � Prince-Fid�le, qui ne r�siste plus, et puis il soul�ve une porti�re au fond de la tente._) Par l�, Prince, fuyez!... Exit _Prince-Fid�le._ SC�NE IV LE G�N�RAL, UN COURRIER DE L'EMPEREUR, UN OFFICIER, LES PRISONNIERS, LA FOULE. _Un grand mouvement dans la foule, qui vocif�rait toujours. Et on entend, au fond de la sc�ne, les trompettes sonner._ LE G�N�RAL TARTARE, _sortant de sa tente, � un officier qui est l�._ Qu'est-ce donc?... Le salut rituel!... Qu'arrive-t-il encore? L'OFFICIER Un courrier de l'Empereur. _Des soldats se rangent en haie sur le passage du courrier et mettent un genou � terre. Le courrier est � cheval et porte sur l'�paule un petit paquet envelopp� de soie jaune._ LE COURRIER, _mettant pied � terre._ Ordre de l'Empereur. _Deux soldats apportent aussit�t une table sur laquelle on pose la lettre, puis on allume des parfums: le g�n�ral met en h�te sa veste de c�r�monie, salue trois fois le message et le prend enfin._ LE G�N�RAL TARTARE, _au courrier, apr�s avoir examin� l'enveloppe._ Pourquoi cet ordre arrive-t-il si tard? il est parti au point du jour de la Ville Interdite, et la distance n'est pas longue. LE COURRIER C'est vrai; seigneur, mais des gens malintentionn�s �taient post�s � plusieurs endroits sur ma route. J'ai d� faire un d�tour, et mon cheval a renvers� bien du monde avant de d�passer les obstacles. LE G�N�RAL TARTARE, _� demi-voix._ Que le ciel d�livre notre Empereur des m�chants qui oppriment sa volont�! LE COURRIER, _de m�me._ Que le ciel vous exauce pour le bonheur du peuple!... LE G�N�RAL TARTARE. _Il ouvre la lettre. A part, apr�s l'avoir lue._ Voil� qui sauve bien des existences, sans compter la mienne.... (_A la foule._) Ordre de l'Empereur, �coutez tous: �Telle est mon expresse volont�; je fais gr�ce de la vie, sans condition, � tous les captifs de la guerre, chefs et soldats, et je leur accorde la libert� enti�re. Respectez ceci.� _Il montre le sceau de l'Empire._ LA FOULE Dix mille ann�es! Dix mille ann�es � notre Empereur! _On commence � d�tacher les prisonniers._ LE G�N�RAL TARTARE, _� la foule._ �coutez encore. L'ordre devait arriver � temps pour sauver tous les condamn�s. Des obstacles, sem�s sur la route du messager, sont la cause d'irr�parables malheurs dont le ma�tre, mal ob�i, n'est pas responsable. LA FOULE Malheur aux ministres infid�les! Mort aux tigres! _Les femmes s'empressent aussi � d�tacher les prisonniers qui s'approchent du g�n�ral._ L'OFFICIER, _bas � un autre._ Notre g�n�ral laisse pousser de tels cris s�ditieux.... DEUXI�ME OFFICIER Dites m�me qu'il les provoque! LE G�N�RAL TARTARE, _aux prisonniers._ Mes amis, �coutez un sage conseil: ne vous attardez point en ce lieu maudit. Autour du grand Dragon qui fait gr�ce, hurlent des fauves, toujours exasp�r�s de l�cher leur proie.... Allez! ne perdez pas une minute. Mais ne fuyez point par la campagne; trop facilement on vous rejoindrait. Dispersez-vous, �garez-vous dans la ville immense, dans les quartiers purement chinois o� la foule ne saurait vous trahir.... LES PRISONNIERS Nous suivrons vos avis. Le ciel �pande sur vous ses faveurs.... _Ils saluent et se dispersent. Le g�n�ral reprend son sabre, fich� en terre, et le remet lentement au fourreau._ LA FOULE Mort aux tigres! Dix mille ann�es � notre Empereur!... _Pendant que le rideau descend, ou que la nuit se fait sur le th��tre pour un changement instantan�, on entend encore les cris des marchands._ LE FLEURISTE Pivoines royales! Lotus vari�s, toutes les fleurs de la saison! LA MERCI�RE Tous les caprices de la coquetterie dans mon �talage! Voyez, jeunes femmes; voyez, jeunes filles! DEUXI�ME TABLEAU La grande salle du tr�ne au Palais de P�kin, immense, enti�rement rouge et or: le tr�ne, au milieu sur une estrade o� l'on monte par trois escaliers bord�s de br�le-parfums et d'embl�mes. Colonnes de laque rouge, soutenant un plafond tr�s �lev�, o� d'�normes dragons d'or se tordent parmi des nuages rouges; le plus grand, comme d�tach�, pr�t � tomber du ciel, tient dans sa gueule une boule d'or, juste au-dessus du tr�ne. Par terre, tapis jaune o� se contournent des dragons de vingt m�tres de longueur. Sur le c�t� de la sc�ne, un carillon: il est fait de plaques de marbre align�es et suspendues par des cha�nes d'or � un immense ch�ssis dont les pieds d'or repr�sentent des monstres, et dont les angles sup�rieurs sont orn�s de ph�nix d'or d�ployant leurs ailes vers le plafond. Pr�s de l'entr�e principale, deux eunuques tiennent des chasse-poussi�res en queue de rhinoc�ros. On pr�pare une grande audience solennelle, � l'occasion du triomphe des arm�es tartares. Des blocs de porcelaine, repr�sentant des monstres, sont pos�s en rang sur les tapis; ils marquent les places o� doivent se tenir et se prosterner les diff�rents groupes de dignitaires. Des personnages en robe de gala vont et viennent avec agitation. On parle bas, on marche en silence. Attitude respectueuse. On s'incline en passant devant le tr�ne. SC�NE PREMI�RE OFFICIERS DU PALAIS, DIGNITAIRES, ET MAITRES DES C�R�MONIES. PREMIER MAITRE DES C�R�MONIES, _mettant en ligne un des derniers blocs de porcelaine._ L�; le dix-huiti�me groupe des grands lettr�s s'arr�tera l�, face au tr�ne, mais tourn� un peu de biais. DEUXI�ME MAITRE DES C�R�MONIES. Tout me semble ainsi r�gl� pour le mieux.... Nous serons pr�ts. UN OFFICIER L'Empereur, pr�tend-on, est extr�mement f�brile depuis ce matin.... DEUXI�ME OFFICIER On l'affirme en effet.... Lui si sombre et abattu depuis quelques jours ... tellement que chaque victoire de ses arm�es paraissait l'accabler comme un d�sastre. TROISI�ME OFFICIER Oui, qui e�t dit qu'il exigerait un tel apparat pour c�l�brer son triomphe?... QUATRI�ME OFFICIER Et vous savez la nouvelle?... La prisonni�re doit y para�tre. TROISI�ME OFFICIER Laquelle?... QUATRI�ME OFFICIER Laquelle!... Voyons, est-ce que cela se demande? La grande, bien entendu, l'unique, celle dont tout le monde ... l'ex-imp�ratrice des rebelles. CINQUI�ME OFFICIER, _ironiquement._ Ah! la D�esse!... Alors on va la voir. SIXI�ME OFFICIER Et on pourra juger de sa puissance surnaturelle, � moins qu'elle l'ait perdue. QUATRI�ME OFFICIER Oh! pour de la puissance, elle en a toujours.... Hier au soir, par ordre de l'Empereur, on a d�capit� deux eunuques, coupables seulement de lui avoir annonc� la mort de son fils, sans y mettre les formes.... TROISI�ME OFFICIER Et moi, je sais des d�tails, par la Grande Ma�tresse.... Ce matin, elle a daign� parler, la D�esse, pour demander des v�tements de deuil.... Alors, dans les r�serves de feu l'imp�ratrice-m�re on est all� chercher ce qu'il y avait de plus magnifique, en fait de robes blanches et de souliers blancs. SC�NE II LES M�MES, LE GRAND CHAMBELLAN. LE GRAND CHAMBELLAN, _entrant par une porte du fond._ Ordre de l'Empereur!... (_Tous �coutent en courbant la t�te._) Que les membres du conseil priv�, les ministres, les dignitaires, rev�tus de leur costume d'apparat, se r�unissent en silence dans les galeries voisines de la salle du tr�ne, pr�ts � entrer quand Sa Majest� frappera TROIS FOIS sur ce gong. (_Il d�signe le grand gong plac� au pied des marches du tr�ne._) Personne ici. Et des gardes � toutes les portes. _Tous saluent et s'appr�tent � sortir._ SC�NE III LES M�MES, UN H�RAUT ET LE GRAND MAITRE DES C�R�MONIES. LE H�RAUT, _paraissant � une porte et tenant � la main un grand �criteau de laque au bout d'une hampe d'or._ Faites silence. LE GRAND MAITRE, _entrant avec Puits-des-Bois._ Sortez tous! Fermez les portes! Voici l'Empereur! _Tous sortent effar�s. Le grand ma�tre et Puits-des-Bois restent seuls; ils se prosternent, et l'Empereur para�t._ SC�NE IV L'EMPEREUR, PUITS-DES-BOIS, LE GRAND MAITRE DES C�R�MONIES. L'EMPEREUR, _sombre, en grand costume._ Combien de t�tes, dites-vous, �taient d�j� tomb�es? LE GRAND MAITRE Cinquante � peine, sire!... Votre g�n�ral, comme par un pressentiment de la cl�mence de Votre Majest�, avait men� les choses avec une audacieuse lenteur.... L'EMPEREUR Il en sera r�compens� par le ciel et par moi.... Quant aux grands de ma cour qui os�rent arr�ter mon courrier de gr�ce, ceux-l�, oui, qu'on me les trouve, et que le bourreau les fauche demain.... Comment les Dieux permettent-ils qu'au sommet o� je suis, le bien soit presque irr�alisable, tandis que le meurtre est si ais�!... Maintenant, allez!... (_Indiquant Puits-des-Bois._) J'ai besoin de m'entretenir avec mon conseiller.... _Le grand ma�tre sort._ SC�NE V L'EMPEREUR, PUITS-DES-BOIS. L'EMPEREUR, _� Puits-des-Bois, toujours prostern�._ Rel�ve-toi, ami, nous sommes seuls.... Mon projet, n'est-ce pas, tu l'as devin�: je veux qu'elle vienne l�, elle, aupr�s de moi. (_Montrant le tr�ne._) P�le et dans la blancheur de son deuil, peu importe, je veux qu'elle vienne l�, � mes c�t�s, sur ce tr�ne.... Aujourd'hui, la faire reconna�tre par mon peuple comme mon �pouse; que les grands de ma cour se prosternent devant leur Imp�ratrice, en m�me temps que devant leur Empereur.... Sans elle, vois-tu, il n'y a pour moi ni empire ni triomphe ... PUITS-DES-BOIS Elle a consenti?... L'EMPEREUR H�las! le sais-je, si elle acceptera?... Je me suis d�rob� jusqu'ici � cette entrevue de charme et d'�pouvante.... C'est maintenant, c'est ici m�me, que nous nous reverrons pour la premi�re fois.... Le ciel me soit en aide!... Tu diras que je suis toujours un enfant: j'ai voulu entourer de magnificence notre heure d�cisive.... Ah! s'il n'y avait pas entre nous cette mort de son fils, je tremblerais moins.... PUITS-DES-BOIS Son fils! Mais vous avez fait tout au monde pour le sauver.... Puisque votre conscience ne vous reproche rien, Sire, il convient mieux � vos projets que cet enfant soit en paix chez les Ombres.... L'imposer � vos Tartares e�t �t� bien dangereux.... Tandis qu'une dynastie m�l�e, un autre fils qui na�trait de votre sang et du sien.... L'EMPEREUR Un fils qui me viendrait d'elle!... Oh! ami, tais-toi!... Les r�ves trop beaux, il ne faut pas les formuler.... (_Il frappe sur le gong un seul coup l�ger._) Allons, va!... Voici l'instant terrible de la revoir.... Va!... (_A un officier qui se pr�sente, appel� par le gong._) Qu'on am�ne ici la captive, avec les �gards que j'ai command�s. Allez! (_Rappelant l'officier qui s'en va._) Attendez encore.... (_A Puits-des-Bois qui s'en allait aussi._) Non, sa fiert� pourrait s'offenser d'�tre ainsi amen�e en ma pr�sence. Plut�t, qu'elle soit ici la premi�re au rendez-vous; et c'est moi ensuite qui aurai l'air de compara�tre devant elle, comme un vaincu demandant gr�ce. (_A l'officier qui attend._) D�s que je serai sorti, faites introduire ici l'Imp�ratrice, et qu'on la laisse seule.... Allez, cette fois!... _L'officier sort par le fond._ PUITS-DES-BOIS, _en s'en allant avec l'Empereur._ Elle vous aime, sire!... Ayez confiance.... Quelle est la femme, m�me presque d�esse, qui ne c�derait pas? L'EMPEREUR Elle, justement!... Elle seule. PUITS-DES-BOIS Mais puisqu'elle vous aimait.... L'EMPEREUR Et aujourd'hui, ne doit-elle pas me ha�r?... Tant de sang, que des tra�tres ont fait couler malgr� moi.... Partout, mes ordres de gr�ce, intercept�s ou chang�s en arr�ts de mort.... La haine, l'implacable haine de nos deux peuples, toujours triomphante.... PUITS-DES-BOIS Mais vous avez cependant sauv� tant d'existences.... Et elle doit le savoir.... L'EMPEREUR, _en s'�loignant._ Oh! cette heure, dont le souvenir encore enchante ma vie!... Cette heure, l�-bas, dans le jardin de son palais, au milieu de cette foule ou nous �tions si seuls, quand elle m'avait pris dans son regard, et que nos �mes se sont unies en une �treinte souveraine.... Mais maintenant, voici qu'� l'id�e de la revoir, je tremble comme un coupable. _L'Empereur sort avec son conseiller par une porte lat�rale. Deux eunuques et deux suivantes am�nent aussit�t l'Imp�ratrice, jusqu'au pied du tr�ne, et, apr�s s'�tre prostern�s, se retirent, la laissant seule. Elle est en grand deuil tout blanc, les mains li�es par une corde de soie._ SC�NE VI L'IMP�RATRICE, _puis_ PRINCE-FID�LE. L'IMP�RATRICE, _bas � elle-m�me._ Tant d'�gards dont ils m'entourent ... m'�pouvantent ... plus que le supplice et la mort. Pourquoi son palais, � lui, au lieu d'un cachot.... Lui, lui, qu'ose-t-il esp�rer? Lui, que me veut-il?... PRINCE-FID�LE, _v�tu de la robe du g�n�ral tartare, entre en courant par une porte du fond et se prosterne aux pieds de l'Imp�ratrice._ Oh! le ciel est encore cl�ment, puisqu'il permet qu'avant de mourir je me prosterne une derni�re fois devant mon Imp�ratrice ador�e. L'IMP�RATRICE, _avec calme et �garement._ Vous? C'est vous qui �tes ici?... Cher prince!... Alors, sommes-nous donc partis de la Terre, est-ce d�j� notre r�union plus haut que la vie?... Sans cela, par o� seriez-vous venu, comment, par quel sortil�ge, � travers tous ces murs qui font peur?... PRINCE-FID�LE, _toujours prostern�._ L'audace ne co�te pas, quand on n'a plus rien � perdre.... Et puis les Dieux, sans doute, �taient avec moi.... Oui, j'ai pass�, comme par sortil�ge, ainsi que vous dites, j'ai pass� les murs, les portes gard�es.... Un de ses soldats, � lui, m'a guid� aussi, pour ce qui me restait d'or.... Pardonnez-moi, voici que je pleure: est-ce de joie ou de d�tresse, je ne sais plus.... De joie, oui ... car je ne souhaitais que cette gr�ce: avoir revu Votre Majest�, lui avoir dit une fois, � genoux, ma v�n�ration passionn�e ... qui, si pr�s de la mort, n'offense plus, n'est-ce pas.... Et surtout, lui offrir le pr�sent magnifique, le pr�sent qui d�livre de tous les outrages du vainqueur.... Elle est donc accomplie jusqu'au bout, ma mission de sujet fid�le, car ce pr�sent, je l'ai apport� � mon Imp�ratrice. L'IMP�RATRICE Le poison! (_Comme un cri de d�livrance et de triomphe._) Ah!... PRINCE-FID�LE, _offrant un poignard._ Le poison.... H�las! je n'ai pas pu.... Rien que cela, tenez. L'IMP�RATRICE Eh bien! mais cela suffit.... Frappez-moi, avant qu'il paraisse, lui! PRINCE-FID�LE, _se relevant et se jetant en arri�re._ Oh! ma bien-aim�e souveraine!... Ne commandez point � votre serviteur, qui vous a toujours ob�i ... ne lui commandez point ce qui est trop au-dessus de ses forces.... L'IMP�RATRICE Non, vous ne voulez pas?... Alors donnez!... Je frapperai moi-m�me.... J'essaierai.... Je pourrai.... PRINCE-FID�LE, _apercevant les mains attach�es._ Mais, vos mains.... Oh! moi qui n'avais pas vu!... L'IMP�RATRICE Ah! c'est vrai.... PRINCE-FID�LE Dois-je les d�lier? Avons-nous le temps? L'IMP�RATRICE Non, trop long.... L�, dans les plis de ma robe, cachez l'arme.... (_Le Prince h�site encore._) Vous n'osez pas?... C'est vrai, toucher la souveraine!... Oh! vous pouvez; c'est comme une morte � pr�sent, votre Imp�ratrice. PRINCE-FID�LE, _cachant le poignard dans le corsage._ Mais, avec ces liens, comment?... L'IMP�RATRICE Ah! il les fera d�lier, celui devant qui je vais compara�tre.... Et puis,--on est excusable, n'est-ce pas, de changer d'id�e, si pr�s de la mort,--je voulais que vous me frappiez avant qu'il vienne.... A pr�sent, j'aime mieux le revoir, lui, l'Empereur. PRINCE-FID�LE Le revoir?... Vous le connaissez donc? L'IMP�RATRICE Oui ... Restez jusqu'� ce qu'il soit l�. PRINCE-FID�LE Oh! non, que l'on ne me trouve pas ici! L'IMP�RATRICE Qu'importe? au point o� nous en sommes.... PRINCE-FID�LE C'est que.... L�-bas, les derni�res t�tes tombent.... On fait l'appel de ceux qui restent.... Il est temps ... mon tour vient.... Ils m'avaient laiss� libre une heure sur ma parole.... Je ne voudrais pas avoir eu l'air de fuir.... L'IMP�RATRICE Alors, oui, partez, prince.... Adieu ... Je vous rejoindrai bient�t, tous, mes fid�les!... A ceux qui restent dites-le, que je vais vous rejoindre.... _Prince-Fid�le part en courant._ SC�NE VII L'EMPEREUR, L'IMP�RATRICE. _L'Empereur entre et s'approche. L'Imp�ratrice demeure impassible les yeux � terre._ L'EMPEREUR Fille du Ciel, daignez lever les yeux vers le vainqueur d�sol� qui s'incline devant vous; daignez le regarder et vous souvenir; sans doute, vous le reconna�trez, mais puissiez-vous le regarder sans haine! L'IMP�RATRICE, _comme absente et les yeux toujours baiss�s._ Pour le reconna�tre, je n'ai besoin ni de r�entendre sa voix, ni de revoir son visage. Dans mon esprit, la lumi�re s'est faite pendant les heures de ma captivit�: avant d'entrer ici, je savais en quelle pr�sence j'allais �tre amen�e.... (_Un silence pendant lequel l'Empereur reste inclin�._) A la fille des Ming, que peut avoir � dire l'empereur des Tartares?... L'EMPEREUR, _regardant les mains de l'Imp�ratrice, qu'attache une corde de soie._ Oh! vos mains li�es!... C'�tait pour vous d�fendre contre vous-m�me, que j'avais ordonn� cela.... Mais, � pr�sent.... (_Il s'approche, mais avec h�sitation, pour les d�lier. L'Imp�ratrice recule, en le regardant pour la premi�re fois._) Oh! pardon.... Devant vous, dans mon trouble infini, je ne sais plus.... C'est vrai, j'allais oser les toucher, vos mains meurtries.... Et cependant vous m'�tes plus sacr�e encore, ici, que l�-bas, dans la splendeur.... (_Il frappe un coup l�ger sur le gong. Un officier para�t. A l'officier._) La grande ma�tresse! Qu'elle vienne � l'instant m�me. (_A la grande ma�tresse, qui entre aussit�t et se prosterne._) D�liez les mains de l'Imp�ratrice, et laissez-nous. (_La grande ma�tresse ob�it et sort. Un silence._) Votre voix n'est plus votre voix. Vos yeux ne sont plus vos yeux. Vous �tes devant moi, et votre �me semble rest�e dans l'inappr�ciable lointain. Je ne vous attendais pas ainsi et vous me faites peur. La majest� de la mort est en vous. L'IMP�RATRICE On m'appelle au pays des Ombres. Permettez-moi bient�t d'en franchir le seuil; de vous, je ne puis accepter d'autre gr�ce. Mes fid�les, mes guerriers s'�tonnent que je tarde � les rejoindre, et mon fils �coute s'il n'entend pas derri�re lui dans le sentier obscur, venir le bruit de mes pas. L'EMPEREUR Votre fils!... Oh! votre fils!... Qui donc, apr�s vous, l'a pleur� comme moi?... Dix courriers ont �t� lanc�s, mes plus rapides cavaliers, nuit et jour au galop, crevant leurs chevaux, jalonnant les routes de cadavres �poumon�s, pour essayer d'arriver � temps, de d�tourner l'irr�m�diable malheur.... L'IMP�RATRICE Qu'en a-t-on fait?... Le corps de mon fils, o� est-il?... L'EMPEREUR A cette heure, dans un grand char imp�rial, il s'achemine lentement vers le Nord, pr�c�d� de musiques fun�bres, suivi de mille dignitaires en v�tements de gala, avec tout le faste d'un jeune souverain. L'IMP�RATRICE Et o� le conduit-on, mon fils? L'EMPEREUR Vers les for�ts inviolables o� reposent les Empereurs tartares. L�, dans une vall�e o� jamais l'homme n'a creus� la terre, deux lieues de c�dres sombres jetteront leur silence autour de son mausol�e de porcelaine.... L'IMP�RATRICE M'accorderez-vous de dormir aupr�s de lui? L'EMPEREUR, _tr�s doux, comme un enfant._ Mais ... suivant l'usage des Imp�ratrices, c'est vous-m�me qui, dans la for�t, choisirez le site, les perspectives, et tracerez les longues avenues de marbre ... pour quand votre heure sonnera.... L'IMP�RATRICE Elle a sonn�, mon heure, et depuis bien des jours.... Je l'ai entendue, mais j'avais les mains li�es, et vos gardes, sans tr�ve, autour de moi.... A pr�sent, vous me la donnez, n'est-ce pas, ma libert� supr�me, et je m'en vois rejoindre tous ces morts qui m'attendent? Me retenir, serait indigne de vous, mon noble ennemi, vous ne ferez pas cela!... L'EMPEREUR, _apr�s un silence._ Vous retenir?... Oh! moi, non ... mais, le devoir.... Fille des Ming, au devoir vous �tes incapable de faillir ... L'IMP�RATRICE, _s'animant enfin._ Le devoir!... Quel devoir?... Ah! d�j� une premi�re fois on m'a leurr�e avec ce mot-l�, et on m'a conduite � fuir, comme une femme vulgaire que la peur talonne; pendant qu'ils savaient mourir comme des braves, tous, mes guerriers, mes princes, jusqu'� mes filles d'honneur, je m'en allais, moi, l�chement, par les souterrains de mon palais ... pour ob�ir au devoir!... Tenez, c'�tait � l'heure o� mes soldats tombaient par milliers, frapp�s par les v�tres, o� mes murailles croulaient sous le heurt de vos arm�es ... on m'avait apport�, dans une coupe d'or, le breuvage de la Grande D�livrance ... et j'�tais l�, tranquille comme en ce moment ... plus souriante toutefois, pr�te � porter la coupe � mes l�vres; j'allais �chapper � tout, m'en aller fi�re et intangible, dans ma parure imp�riale; les demeures souterraines o� dorment mes anc�tres s'ouvraient l� tout pr�s, non connues de vos Tartares, et on avait le temps encore de m'y emporter.... Mais le devoir!... Oh! le devoir, para�t-il, �tait de fuir, et j'ai c�d�.... Et, jusqu'au jour o� vos soldats m'ont prise, j'ai tra�n� longuement dans la campagne, aux avant-gardes de mes arm�es toujours vaincues, moi, l'Imp�ratrice et l'Invisible, me profanant au milieu des hommes, marchant devant eux comme une sorte de fille exalt�e!... L'EMPEREUR Dites que vous avez �t� l'h�ro�ne sublime, la grande imp�ratrice guerri�re, la d�esse des combats qui d�fiait les fl�ches et la mitraille, celle qui revivra �ternellement dans les po�mes et l'histoire! L'IMP�RATRICE J'ai cherch� � racheter ma fuite, voil� tout; j'ai fait ce que j'ai pu, mais une action l�che ne se rach�te pas. C'�tait dans mon palais qu'il fallait mourir, dans l'autodaf� allum� de mes mains et qui a consum� tant de braves.... Ma cendre m�l�e aux leurs, c'�tait cela qu'il fallait.... Le devoir, dites-vous?... Mais, j'appartiens donc encore � la Terre, vous croyez?... Mes villes sont d�truites, mes arm�es sont an�anties, mon fils est mort.... Et � cette heure, tenez, je le sais, l�, au pied de votre grande muraille tartare, les t�tes une � une tombent dans la poussi�re, les t�tes de mes derniers fid�les.... Alors, quel devoir je vous prie?... (_Elle retire le poignard de sa robe et tend le bras pour se frapper._) Celui-ci, rien que celui-ci.... (_L'Empereur se jette sur elle avec un cri, l'arr�te en lui saisissant le poignet et jette le poignard � terre._) Ah! vous portez les mains sur moi, � pr�sent! L'EMPEREUR, _inclin�, tr�s bas._ Pardon!... �coutez-moi seulement; vous mourrez apr�s si vous voulez, je vous le promets ... mais d'une fa�on plus douce..., pas comme cela avec du sang.... M�me je vous en fournirai les moyens, si vous voulez toujours.... L'IMP�RATRICE, _avec douceur tout � coup._ D'une fa�on plus douce!... Cela, je le veux bien.... Le breuvage de la Grande D�livrance, nous autres souverains, nous n'allons point sans cela. Vous l'avez aussi, n'est-ce pas? L'EMPEREUR Nuit et jour � port�e de main, depuis surtout que vous avez commenc� de jouer votre vie � chaque heure, au plus fort des batailles. J'avais tant de crainte de ne pouvoir le prendre vivant, mon beau ph�nix de guerre!... Soyez rassur�e, nous l'avons avec nous, la D�livrance: parmi les bijoux de ma ceinture, l�, dans cet �tui d'or. L'IMP�RATRICE Et vous m'en donnerez? L'EMPEREUR Oui. L'IMP�RATRICE Vous le jurez? L'EMPEREUR Oui! Apr�s que vous m'aurez �cout�, j'aurai ce supr�me courage. Vous le refuser serait indigne de vous et de moi.... Mais, apr�s que vous m'aurez entendu, seulement apr�s.... L'IMP�RATRICE Eh bien! parlez, sire. En �change de votre serment, prenez les derni�res minutes o� il sera donn� � mes oreilles d'entendre, � mes yeux de voir.... SC�NE VIII LES M�MES, UN OFFICIER. L'EMPEREUR. _Il frappe un coup l�ger sur le gong, un officier para�t. A l'officier._ Doublez les gardes aux portes! Et la mort imm�diate � qui, pour n'importe quelle raison, oserait entrer avant que j'aie frapp� de nouveau sur ce gong, frapp� TROIS COUPS. C'est compris? Allez! (_Mouvement de l'officier pour sortir._) Attendez! (_Montrant les br�le-parfums sur les marches du tr�ne._) De l'encens, des baguettes, vite, rallumez!... Je veux des parfums dans l'air. (_L'homme allume en h�te des faisceaux de baguettes et la fum�e monte._) Bien. Sortez! _L'homme sort � reculons et presque prostern�._ SC�NE IX L'EMPEREUR _� l'Imp�ratrice, appuy�e aux rampes des escaliers du tr�ne._ H�las! je lis dans vos yeux la r�solution obstin�e.... Vous allez mourir, je le sais.... Je parlerai sans espoir.... Une gr�ce � vous demander encore me l'accorderez-vous? L'IMP�RATRICE Sans doute, oui.... Mais d'abord, qu'est-ce donc? L'EMPEREUR, _montrant le tr�ne._ Notre entretien supr�me, je voudrais qu'il e�t lieu l�-haut. Une fois dans votre vie, ne f�t-ce qu'une seule fois sans lendemain, je voudrais vous avoir vue assise sur ce tr�ne des conqu�rants tartares. L'IMP�RATRICE, _tr�s tranquille et d�tach�e._ N'est-ce que cela? S'il vous pla�t ainsi, je le veux bien. (_Elle commence � monter les marches du tr�ne._) Je monte lentement: je suis bris�e et d�faillante.... Ce breuvage que vous allez me donner, c'est celui qui endort, n'est-ce pas?... On ne verra point mes traits douloureusement se contracter? Le Ph�nix, m�me agonisant, aimerait conserver un peu de gr�ce. L'EMPEREUR, _de m�me._ C'est mieux encore que ce que vous souhaitiez; cela vient des Barbares de l'Ouest: des perles brillantes sous une mince feuille d'or.... On passe � n�ant � travers un sommeil soudain, dans un vertige tr�s doux.... L'IMP�RATRICE, _de nouveau comme absente._ Ah!... dans un vertige.... (_Ils sont arriv�s en haut. Elle s'assied � demi couch�e sur le tr�ne, qui est presque large comme un divan. L'Empereur reste debout._) Eh bien! maintenant, ne tardez plus, parlez.... L'EMPEREUR Ce n'est pas seulement pour un vain caprice que j'ai voulu vous voir assise l�.... Ce que nous avons � nous dire est si solennel! Entretien d'Empereur � Imp�ratrice, de puissance � puissance.... Ici, mieux qu'en bas, abstraits l'un et l'autre de nos personnalit�s terrestres, nous saurons prendre conscience de nos missions surhumaines. L'IMP�RATRICE De puissance � puissance?... Mais je ne suis plus rien, moi, qu'une captive qui ne compte pas. L'EMPEREUR Vous �tes toujours souveraine et doublement souveraine, ma�tresse des destin�es de la Chine, arbitre de tout.... (_L'Imp�ratrice l'arr�te d'un regard, comme offens�e._) Ma�tresse des destin�es de la Chine, oui!... Et, ne vous offensez pas, je n'entends point l� parler de votre pouvoir sur son Empereur.... Mais, vaincue, captive, peu importe, n'�tes-vous pas toujours la fille des Ming? Des coeurs, par centaines de millions, vous appartiennent secr�tement.... La r�volte, un moment dompt�e par mes soldats, rena�tra demain, rena�tra toujours.... Vous seule au monde auriez le pouvoir de l'apaiser � jamais ... et cela ne vous laisse plus le droit de mourir.... L'IMP�RATRICE, _interrompant._ Les morts m'attendent.... Je suis des leurs, maintenant.... J'entends leurs voix qui me pressent de venir.... L'EMPEREUR Je voudrais vous dire en peu de mots.... Je vous sens d�j� partie, d�j� glac�e.... Je me h�te et je me perds.... Il me semble que je parle � la pierre d'une tombe.... Des puissances, vous et moi, disais-je, oh! oui, de grandes puissances!... Deux lign�es rivales d'empereurs fabuleux, de h�ros d�ifi�s, qui allaient s'�tiolant depuis des si�cles, sous l'oppression des rites et des formules, dans des prisons trop magnifiques; deux dynasties qui semblaient vou�es � la dur�e poussi�reuse des momies, ont par miracle abouti � vous et � moi, qui sommes vivants et jeunes; de notre union pourrait surgir une Chine nouvelle, qui serait vivante aussi et dominerait le monde; ensemble nous accomplirions cette t�che sainte, pour le bonheur de nos peuples et la gloire �ternelle de nos deux noms unis.... Mais sans vous, non, je ne puis plus rien, je retombe dans l'isolement dor�, l'oisivet� maladive, les fumeries endormeuses.... Si vous saviez ce qu'a �t� mon enfance, enferm�e, solitaire, au fond d'un appartement d'�b�ne noire!... Dans l'obscurit� de ce palais, j'ai �bauch�, comme un enfant qui r�ve, ce projet de m'unir � vous, dont mon imagination �tait hant�e ... et votre fils e�t �t� mon fils.... C'est comme un enfant encore que je suis parti pour cette aventure, d'aller vous voir dans votre palais de Nang-King. Et je vous ai vue, et ma volont� d'homme, qui flottait encore dans les songes, s'est concentr�e soudain vers le but pr�cis et unique.... Oh! tant d'obstacles j'ai d�j� surmont�s!... D'abord m'�chapper de vos palais; rentrer sans encombre ici, entre ces terribles murs de la Ville Jaune,... et puis arracher le pouvoir aux mains des sombres malfaiteurs, qui avaient �t� longuement les tortionnaires de ma jeune volont� et de ma raison.... La guerre d�j� battait son plein; les haines d�cha�n�es, l'odeur de sang dans l'air, Chinois et Tartares hurlaient comme des fauves.... Tout cela, vous le savez bien, je ne pouvais plus l'arr�ter.... L'IMP�RATRICE Je le sais. L'EMPEREUR Que j'aie fait tout au monde pour sauver votre fils, le croyez-vous? L'IMP�RATRICE Maintenant, je le crois. L'EMPEREUR Si je dis ces choses, c'est pour qu'au moins vous ne me ha�ssiez pas. L'IMP�RATRICE, _toujours calme et absente._ Je n'ai contre vous aucune haine. L'EMPEREUR Les t�tes de vos fid�les, qui tout � l'heure tombaient encore l�, pr�s de nous, c'est contre ma volont�: j'avais donn� l'ordre de gr�ce. Quant � celui qui sort d'ici (_souriant_),--car je vois tout, moi, l'Empereur-fant�me, comme vous m'appeliez,--oui, celui qui vous parlait � cette place m�me et qui, si h�ro�quement, se figure courir � la mort, il aura la vie sauve, et vous le reverrez! L'IMP�RATRICE Je vous tenais d�j� pour un ennemi g�n�reux et grand.... L'EMPEREUR De mon amour, je n'ai m�me pas os� vous parler. L'IMP�RATRICE Je vous sais gr� d'avoir maintenu plus haut que cela notre entretien. L'EMPEREUR Chacune de vos paroles tombe sur moi, tranquille et glaciale comme les gouttelettes d'une lente pluie d'hiver.... Et cependant j'aurai la force d'aller jusqu'au bout.... �coutez bien ceci, c'est la fin, vous serez libre apr�s: malgr� cette guerre � outrance que nous nous sommes faite, malgr� ce cort�ge de deuil, qui d�file l�-bas, emportant votre fils vers les for�ts du Supr�me Repos, je poursuivais encore ce r�ve, d'�teindre les haines s�culaires en m'unissant � vous, de fondre en une seule nos deux dynasties rivales, pour laisser le grand empire � jamais apais�.... L'IMP�RATRICE, _interrompant._ Depuis que vous m'avez fait asseoir l�, j'avais compris.... L'EMPEREUR, _apr�s silence._ Et votre r�ponse? L'IMP�RATRICE Ma r�ponse: ni vivante ni morte je ne permets que l'Empereur des Tartares fr�le seulement ma main.... Il est trop tard; entre nous deux, il y a trop de sang qui coule en ruisseau.... L'EMPEREUR Encore un mot, un dernier.... Nous ne sommes pas seuls, � cette heure solennelle de l'histoire, dans ce lieu qui nous para�t vide et plein de silence.... Des Ombres de guerriers et d'Empereurs des M�nes illustres s'assemblent de tous les points de l'air, descendent autour de nous et pr�tent l'oreille, anxieux de la d�cision que vous allez prendre. Vos morts sont l� tous, unis � pr�sent aux miens, dans la concorde haute et c�leste; vous vous trompez, ils ne vous appellent pas; ils vous ordonnent avec moi de demeurer quelques ann�es encore, pour m'aider dans cette oeuvre de la grande pacification que je r�ve et que sans vous, assise � mes c�t�s sur ce tr�ne, je serais impuissant � accomplir. Vous n'avez pas le droit de vous d�rober � la t�che. Au nom de ces milliers d'invisibles qui nous entourent, je vous adjure: Fille du Ciel, restez!... (_Un silence._) J'ai dit tout ce qu'il �tait en mon pouvoir de dire.... J'attends votre arr�t.... J'ai fini de parler. L'IMP�RATRICE, _de plus en plus glaciale et absente, indiquant de la main le bijou d'or suspendu � la ceinture de l'Empereur._ Alors, maintenant, donnez! L'EMPEREUR, _dans une soudaine exaltation de d�sespoir._ Non! non!... De mes propres mains, vous donner.... Je ne peux pas!... Ayez piti�!... Je ne peux pas! Je ne peux pas! L'IMP�RATRICE, _durement._ Ah! votre serment, sire, votre parole imp�riale.... Donnez, voyons!... _L'Empereur, apr�s un silence encore, s'agenouille devant elle, arrache de sa ceinture la bo�te d'or et la lui pr�sente lentement, le visage cach� contre terre._ L'IMP�RATRICE, _apr�s avoir ouvert la bo�te d'or, parlant doucement, et comme un enfant qui r�ve._ En effet ... de tr�s petites perles qui brillent.... Et la mort, c'est cela!... La paix, le n�ant, c'est cela!... (_Elle porte les perles � ses l�vres, puis jette � terre la bo�te d'or, et se l�ve exalt�e. Triomphante, debout et dominant la salle, aux Invisibles qui sont dans l'air:_) O mes anc�tres, regardez moi tous: ne suis-je pas glorieuse? Me voici � cette place d'o�, pendant des si�cles, vous avez domin� le monde, et c'est sur le tr�ne, usurp� par le Tartare, que je vais mourir! Votre fille est rest�e digne de sa race; malgr� la tentation surhumaine, elle a tenu sa parole. Ouvrez toutes grandes devant elle les portes fun�bres: la voici, elle vient!... (_Souriante et douce tout � coup, � l'Empereur rest� agenouill�._) Et maintenant que tout est accompli, approchez-vous, sire. (_Elle le prend doucement par la main, pour lui indiquer de se relever et de s'asseoir._) Une seconde fois dans sa vie, l'Imp�ratrice vous invite � vous asseoir ... comme jadis l�-bas, vous souvenez-vous, un matin, dans mon palais qui n'est plus. ... _Elle se rassied sur le tr�ne._ L'EMPEREUR, _en r�ve._ Comme jadis l�-bas, dans vos jardins, l'inoubliable matin�e.... Autour de nous, ces grandes fleurs des lointains climats qui s'ouvraient, humides encore des ros�es de la nuit.... Et ce beau Ph�nix imp�rial, qui rayonnait dans toute sa gloire.... _Il se laisse tomber sur le tr�ne aupr�s d'elle, la t�te cach�e contre le dossier._ L'IMP�RATRICE Aujourd'hui, sur ces fleurs, la flamme des incendies a pass�.... Et il agonise, le Ph�nix, qui a br�l� ses ailes � tous les feux de la guerre.... Mais, au seuil de la mort, il vous dira son secret le plus profond; � votre tour, entendez-le!... (_L'Empereur redresse la t�te et la regarde._) Tout � l'heure, vos paroles de noble et magnifique sacrifice ... oh! sous mon masque impassible, avec quel trouble ne les ai-je pas �cout�es!... Et j'aurais c�d� peut-�tre, si ce devoir que vous me pr�sentiez n'avait d� �tre qu'un p�nible devoir; mais il m'e�t �t� trop ais� et trop doux ... car je vous aimais.... (_L'Empereur se l�ve._) Et, vivante, je n'ai plus droit au bonheur, puisque ce grand b�cher humain dans mon palais, c'est moi qui.... L'EMPEREUR, _interrompant avec exaltation._ O ma souveraine!... O ma belle fleur fauch�e!... Entendre cela de vos l�vres, au moment o� elles vont se glacer pour jamais.... Oh! �tre aim� de vous, je n'y croyais plus, moi.... Et pas un secours possible, ni des hommes, ni des dieux, rien!... L'IMP�RATRICE Un secours!... Est-ce que je l'accepterais?... Je n'ai parl� que parce que je vais mourir.... Un secours!... Mais, puisque c'est moi, je vous dis, qui ai allum� le b�cher ... puisque c'est cette main-l�, tenez, qui a port� la torche enflamm�e.... Et, pendant qu'ils se jetaient tous dans la fournaise, mourant pour mon fils et pour moi, je leur criais mon serment: je viens bient�t, au pays des Ombres, je viens, je vous suis.... Apr�s cela, vous me voyez, demeurant vivante � vos c�t�s, vivante et heureuse.... Je me ferais horreur!... (_Pr�s d'elle, toujours assise, l'Empereur se jette � genoux, la t�te appuy�e sur les coussins du tr�ne._) En p�n�trant dans ce palais, c'�tait de moi-m�me que j'avais peur, rien que de moi-m�me ... car l'imposteur �trange, apparu dans mon palais un jour, jamais, m�me quand je ne savais pas, m�me quand je ne comprenais pas, jamais je n'ai pu le ha�r. Et, dans la liti�re si close qui m'amenait � P�kin, � chaque �tape du lugubre voyage, grandissaient mes �pouvantes et mes angoisses ... � mesure que ce pressentiment s'affirmait, jusqu'� la certitude, que l'Empereur, ce serait vous! (_Se levant dans un sursaut d'�pouvante._) Vous ne m'avez pas tromp�e, au moins?... C'est bien la mort que vous venez de me donner?... Oh! non, vous n'auriez pas fait cela.... Vous �tes trop noble pour m'avoir tendu ce pi�ge.... L'EMPEREUR Non, ma souveraine, non, je ne vous ai pas tromp�e; la mort, oui, elle est bien l�, dans votre sein, toute proche et in�luctable.... L'IMP�RATRICE Ce sera long?... Combien de minutes encore? L'EMPEREUR Des minutes?... Oh! des secondes � peine.... C'est tout de suite que vous allez m'�chapper dans le n�ant.... La fr�le enveloppe dor�e, qui brillait, vous prot�ge encore.... D�s quelle se dissoudra.... L'IMP�RATRICE Je souffrirai! L'EMPEREUR Non! L'IMP�RATRICE Comment passerai-je, dites? L'EMPEREUR L�, dans vos tempes, vous croirez entendre comme si l'on sonnait pour vous la grande cloche d'honneur.... Et puis, un vertige ... et soudain ce sera l'�ternelle paix.... (_Il se rel�ve et d�chire ses v�tements._) O dieux, si vous �tes capables de mis�ricorde, abaissez sur moi vos regards, ayez piti�!... L'IMP�RATRICE, _d'abord tr�s lentement, marchant sur l'estrade du tr�ne, comme en r�ve._ O� vais-je?... Qui me dira o� je vais, o� je serai tout � l'heure?... Les Morts, les Ombres, que peut leur importer l'emploi de ce dernier lambeau de ma vie, qui n'aura pas de dur�e?... A pr�sent que j'ai tenu ma parole, qu'au moins il m'appartienne, ce supr�me instant, qui pour nous vaut l'�ternit�.... (_A l'Empereur._) Qu'il m'appartienne ... et que je vous le donne! (_Elle se rassied sur le tr�ne._) Viens pr�s de moi, mon �poux, mon ma�tre, mon Dieu.... (_L'Empereur s'assied pr�s d'elle, d'abord comme avec une sorte de crainte religieuse._) Viens, je veux appuyer ma t�te sur ton �paule, pour mourir.... (_L'Empereur l'enlace de ses bras_). Vois-tu, nous �tions comme deux astres, s�par�s par l'incommensurable ab�me, mais qui se jetaient �perdument leur lumi�re.... Et � pr�sent, l'ab�me est franchi, et mon mortel ennemi pleure d'amour entre mes bras.... Approche aussi ta poitrine, plus pr�s, tout ton �tre, que je m'en aille comme en toi! L'EMPEREUR, _resserrant l'�treinte._ En moi, et avec moi, car je te suivrai, va, mon beau Ph�nix qui m'�chappe et s'envole.... L'IMP�RATRICE Non!... Reste sur la terre, reste pour garder l'amour que je t'ai donn�.... Qui donc se souviendrait de moi et rendrait un culte � mes M�nes?... Dans la vall�e d'�ternel silence, par les avenues de marbre, sous l'ombre des c�dres obscurs, qui donc viendrait r�ver aux gr�ces �vanouies de ma forme d'un jour.... Dis, tu resteras.... Mais, viens plus pr�s encore.... Si tu n'as pas peur du dernier souffle d'une mourante, approche aussi tes l�vres, mon �poux, que j'aie au moins connu ton baiser.... L'EMPEREUR, _appuyant les l�vres �perdument sur les siennes._ Oh! m�me ta poussi�re me serait d�sirable, m�me la d�composition de ton corps.... Peur, tu demandes si j'aurai peur!... Le respect seul desserrera mon �treinte ... quand je sentirai que tu ne vis plus.... L'IMP�RATRICE, _�gar�e, se d�gageant � demi._ Ah! oui ... je l'entends, la grande cloche qui sonne.... C'est le signal, alors?... Et je sombre.... Retiens-moi, mon �poux.... Emp�che que je sombre ainsi ... que je m'ab�me ... dans le vide.... _Pendant un instant de silence, ils restent enlac�s. Et puis l'Empereur se rejette en arri�re en poussant un cri, et la morte s'affaisse sur le dossier du tr�ne._ SC�NE X L'EMPEREUR, _seul, puis_ LA FOULE. _L'Empereur descend les marches en courant et frappe trois profonds coups d'appel sur le gong. Les portes s'ouvrent. Les dignitaires et les officiers paraissent aux seuils._ L'EMPEREUR, _montrant la morte � la foule qui entre en habits de f�te._ Venez tous, dignitaires, grands de l'Empire!... Des parfums dans les cassolettes, des fum�es d'ambre!... Qu'on sonne le Carillon de Marbre ... comme pour les Dieux!... Venez rendre hommage � votre Imp�ratrice!... A genoux! tous, devant la Fille du Ciel!... _Il se jette lui-m�me � genoux sur les marches. On sonne le Carillon de Marbre._ _La foule magnifique envahit la salle et se prosterne devant la morte.--Rideau._ End of Project Gutenberg's La fille du ciel, by Judith Gautier and Pierre Loti *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA FILLE DU CIEL *** ***** This file should be named 47062-8.txt or 47062-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/4/7/0/6/47062/ Produced by Madeleine Fournier & Marc D'Hooghe at http://www.freeliterature.org (Images generously made available by the Internet Archive.) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.