Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2518, 30 Mai 1891, by Various

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Title: L'Illustration, No. 2518, 30 Mai 1891

Author: Various

Release Date: June 11, 2014 [EBook #45935]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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L'ILLUSTRATION

Prix du Num�ro: 75 cent.

SAMEDI 30 MAI 1891

49e ann�e--N� 2518


LE VOYAGE DU PRESIDENT DE LA R�PUBLIQUE.--Toulouse:
arriv�e du cort�ge pr�sidentiel devant l'arc-de-triomphe de la Soci�t� de Gymnastique.--D'apr�s une photographie de M. Fachinetti (photographie du Sport).




ne partie du Paris qu'on appelle le tout Paris--le dessus du panier de ce Paris--devait avoir, cette semaine, et n'aura qu'un peu plus tard, son joujou, un joujou tr�s artistique et tr�s �l�gant. Il s'agit de cette repr�sentation donn�e au th��tre de Trianon, au b�n�fice de la statue du sculpteur Houdon, n� � Versailles et dont on inaugurera la statue dans un mois.

O� donc, o� donc

Mettra-t-on

Houdon?

C'est un refrain narquois dont s'amusent quelques Versaillais. Ce qui est certain, c'est que Houdon sera, pour les Parisiens et les Parisiennes, un motif de distraction. On avait demand� � M. le ministre des travaux publics de laisser rouvrir, pour un jour, ce d�licieux petit th��tre de Trianon ferm�, je crois, depuis un si�cle. Autorisation donn�e, puis retir�e, l'�tat voulant �tre ma�tre chez lui. Mais Houdon n'en souffrira pas et le comit� de sa statue restituera, comme il l'a promis, une repr�sentation trianonesque comme au temps o� la reine jouait (fort mal, dit-on) la com�die dans cette bonbonni�re.

Et alors, imaginez-vous l'empressement des mondaines � se rendre � cette matin�e d'une s�duction si particuli�re! Houdon ne sera qu'un pr�texte, le Devin de village m�me et la Gageure impr�vue ne serviront l� que d'�tiquette. Ce qui sera piquant, attirant et tentant, ce sera cette �vocation du petit th��tre de Marie-Antoinette, � deux pas du Temple de l'amour o� le Cupidon de marbre de Bouchardon semble r�ver, appuy� sur son arc.

Une Matin�e th��trale � Trianon! Par exemple, voil� une id�e! Et originale, et nouvelle. Personne ne le conna�t, ce petit th��tre, que Louis-Philippe avait fait r�parer, le malheureux, et qu'on a, Dieu merci, remis dans son �tat primitif. L'id�e d'assister � une repr�sentation du dix-huiti�me si�cle en chapeau de paille et en robe de linon fait tourner la t�te de nos mondaines et chacune d'interroger:

--Ai-je mon fauteuil?

--Aurai-je ma place?

--Comment faut-il s'habiller pour Trianon?

--Fera-t-on un go�ter sur l'herbe pendant un entr'acte?

--R�pondez-vous du temps?

--Et le Descampativos, y a-t-on song�?

Le Descampativos! Le bouquet de toutes ces f�tes champ�tres et qui divertissait tant le comte d'Artois, ce grand fou destin� � mourir dans la peau du pieux Charles X! Il y a, on le con�oit, dans l'annonce et les appr�ts de cette matin�e de Trianon un petit parfum de poudre � la mar�chale qui doit monter au cerveau de nos duchesses. Un spectacle royal en r�publique! Le Devin de village jou� devant M. Yves Guyot! Rien de plus piquant. Et puis, la route, le voyage, le mail-coach attel�, les grelots, les rires, le Dry, aux R�servoirs, tout l'accompagnement de la matin�e. Houdon sera bien oubli�. Sa statue en profitera sans doute. Mais comme on l'oubliera, sa statue!

On e�t souhait�, au lieu de la matin�e, une f�te de nuit, avec des cuirassiers faisant la haie et portant des torches pour �clairer le grand parc d�sert et noir de Versailles. Ce raffinement est impossible. Houdon devra se passer de cuirassiers. Qu'il se console: il les retrouvera lorsqu'on inaugurera la statue que M. Tony No�l a sculpt�e.

*
* *

Voila l'�v�nement bien parisien de la semaine. Le gros scandale du vol pr�sum� du secret de la m�linite est, lui, un �v�nement national. Mauvaise affaire, quoi qu'il y ait au fond, que cette affaire de la m�linite. L'id�e de trahison est faite de microbes moraux qui empoisonnent la confiance. Les pauvres petits soldats qui n'en savent pas plus long que leur nez, mais se disent tout simplement et tout na�vement qu'ils tiennent le sort de la patrie au bout de leur fusil, ont d� s'entre-regarder en se disant un peu effar�s:

--Est-ce vrai ce qu'on dit? Nous serions donc trahis?

Oh! cette id�e b�te et terrible de la trahison! Lorsqu'elle court � travers une foule, et surtout une foule fran�aise, elle est funeste. Ce sont de grands enfants, les soldats, je les connais. On en fait ce qu'on veut quand ils ont confiance, mais d�s qu'ils ont la crainte vague d'un danger myst�rieux--et la fameuse id�e de trahison est de ces dangers-l�--adieu le sang-froid.

On les rassure avec un rien.

Je me rappelle un coin de Gravelotte o� les balles pleuvaient serr�es. On se tenait � plat ventre, mais pas une motte de terre pour se d�filer.

--Mettez vos bidons devant vous, mes enfants!

Il y avait l� des gamelles.

--Mettez les gamelles devant.

Autant valait, contre les balles, une feuille de papier que ces morceaux de fer blanc. Qu'importe! Cela suffisait. Il se sentaient abrit�s, ils se croyaient abrit�s; ils se moquaient des balles allemandes.

Mais lorsqu'� la chambr�e ils vont se confier l'un � l'autre qu'on a pu lire sur le Petit Journal que le secret de la m�linite est vendu--ne le f�t-il pas--je vois d'ici le hochement de t�te des petits troupiers.

Ne craignez rien, mes enfants, ce n'est pas la m�linite, c'est votre bravoure gaie et bonne fille qui donne la victoire. En avant!

*
* *

J.-J. Weiss, mort la semaine derni�re, avait �t� enfant de troupe. Il connaissait et aimait les soldats et je n'oublierai jamais l'article qu'il �crivit bien avant la guerre et o� il nous montrait la sentinelle prussienne montant sa faction sur le pont de Kehl et regardant en r�vant--d'un r�ve plein d'envie--la fl�che ail�e de la cath�drale de Strasbourg. Weiss, qui savait l'Allemagne, nous avait avertis depuis longtemps sans qu'il ait �t� jamais �cout�. Il avait trop d'esprit, on ne le prenait pas au s�rieux. Cet homme, tr�s profond, d�testait les p�dants. Lorsqu'on le nomma � un poste des plus importants, sous le minist�re �mile Ollivier, je ne sais quel haut fonctionnaire s'�cria:

--Mais on m'a dit qu'il allait souvent au bal de l'Op�ra!

Plus tard, quand Gambetta appela J.-J. Weiss � la direction des affaires �trang�res, quel tolle! Weiss dut battre en retraite.

--Vous avez �t� en butte � bien des r�publicains imb�ciles, lui disait alors un jour un d�put� l�gitimiste.

--Oui, r�pondit Weiss, et ce qu'il y a de plus triste c'est que tous les partis ont leurs imb�ciles!

Avec cette opinion--qui faisait le fond m�me de sa philosophie--J.-J. Weiss n'�tait point pour r�ussir aupr�s des politiciens. Il alla s'enterrer � Fontainebleau, y v�cut parmi les livres classiques qu'il aimait et disparut, salu� par les journalistes comme un exemple du talent et de la probit� dans un m�tier qui a de ces figures d'�lite et d'exception.

Autre mort, qui, celui-l�, met le Midi en deuil. Roumanille, le fondateur du F�librige, avec Mistral et Aubanel, Roumanille dont l'Ind�pendance belge a annonc� la disparition par ces mots:

Mort d'un troubadour.

Un f�libre, sinon un troubadour, un vrai po�te qui remit en honneur la langue proven�ale et dont la boutique de libraire, l�-bas, non loin de l'h�tel Crillon, fut le nid de ces rossignols du Midi, qui ont si bien chant� depuis des ann�es. On s'assemblait chez Roumanille, on y causait, et le F�librige est n� l�. Mistral est loin et n'aura pu se rendre � Saint-R�my o� l'on a c�l�br� le service fun�bre du po�te catholique; mais les vers, les sonnets, les pleurs, les tristesses, n'ont pas manqu� derri�re le convoi de Roumanille, notre Roumanille, comme on dit en Avignon.

Pendant ce temps, � Paris, la prosa�que mais br�lante question des omnibus faisait verser beaucoup d'encre. Les employ�s, tous les employ�s de la Compagnie des omnibus ont d�cr�t� la gr�ve g�n�rale.

--Quoi! plus d'omnibus � Paris?

--Plus d'omnibus.

Voil� la nouvelle qui nous arrivait lundi matin par les journaux. Les pessimistes se disaient:

--La m�chante affaire!

--Ce n'est rien, r�pondaient les optimistes, tout s'arrange: ou la Compagnie c�dera ou les employ�s mettront les pouces.

Et les optimistes, en fin de compte, ont toujours raison.

La preuve, c'est que le monde dure, quelque cataclysme qu'il paraisse, ce tr�s vieux monde. Je sais d'ailleurs, depuis hier, un rem�de pour gu�rir du pessimisme. Rem�de que Schopenhauer ne connaissait pas.

On vend, en ce moment, � l'h�tel Drouot, la merveilleuse biblioth�que de M. Ricardo H�r�dia, comte de Benahavis, qui me parait �tre un fort millionnaire en m�me temps qu'un bibliophile �rudit. Il y a des tr�sors dans ces livres, un Don Quichotte extraordinaire, une J�rusalem d�livr�e du Tasse avec quarante-et-un dessins in�dits de Cochin, une collection de quarante aquarelles de Raffet, que sais-je? Mais ce qui m'a le plus frapp�, je l'avoue, dans ce mus�e, c'est un petit in-8� qui ne vaut pas tel Missel ou tel B�ranger extraordinaire, mais qui donne aux atrabilaires une recette pour gu�rir leur mauvaise humeur.

Titre: Le Royal Syrop de pommes, antidote des passions m�lancoliques, par Gabriel Dragu, docteur en m�decine. Paris, Jean Moreau (1615).

Vive Dieu! voil� un trait� utile, une œuvre originale, un livre de poche et de chevet. Vous �tes triste? Vous avez ces vagues frissons de terreur que M. M�terlinck a not�s dans l'Intruse? Vite, feuilletez le trait� de Gabriel Dragu. Votre �tat d'�me noircit � vue d'œil comme un fumeron qui s'�teint? Allons, un peu de ce Royal syrop de pommes, et toute m�lancolie est pass�e. C'est simple, agr�able, et souverain. On devrait publier ce trait� � l'usage des g�n�rations nouvelles et le mettre � la port�e des �coliers. Nous avons besoin de gaiet�, avec ou sans sirop de pommes.

Et c'est pourquoi on a pris gaiement la gr�ve des omnibus. Un omnibus! Ce mot veut dire: qui est � tout le monde. On pouvait bien sourire en se disant:

--C'est inattendu un omnibus qui n'est � personne!

D'ailleurs Paris sans omnibus a un aspect particulier. Un peu vide, Paris. Ces grosses machines lourdes, d�sagr�ables � l'œil, en principe--eh bien! elles nous ont manqu� sur le boulevard. Elles sont devenues pittoresques � la longue. On en a l'habitude. Les tapissi�res qui les rempla�aient faisaient tache, litt�ralement. Ce manque d'omnibus n'avait qu'un avantage: on redoutait moins d'�tre �cras�.

*
* *

Nous allons avoir une cause c�l�bre qui ne sera peut-�tre pas joyeuse, mais qui sera int�ressante. C'est le proc�s de cette Mme Weiss (le hasard rapproche ironiquement les m�mes noms) qui a tent� d'empoisonner son mari et qui se faisait apporter le poison souhait� dans les petites babouches turques de ses enfants. Une jeune femme �crivassi�re, comme Mme Lafarge. Une empoisonneuse bas-bleu. Quelque chose en elle de l'esprit poseur de Chambige. Mme Weiss tuait pour devenir libre, et libre d'aimer l'autre, naturellement. Mais elle ne tuait pas ou n'essayait pas de tuer sans phrase. Oh! non! Elle notait ses �tats d'�me. Elle tenait le journal de ses sensations. Oh! ces amours qui se sentent l'encre!

Voil� o� le vieux docteur de 1615 a raison. Elle ne passerait point par la cour d'assises, Mme Weiss, si elle e�t song� � faire, de ses mains de femme de lettres manqu�e, un peu de ce Royal syrop de pommes avec lequel Gabriel Dragu combattait et chassait les passions m�lancoliques! Dieu nous pr�serve des Bas-Bleus!

Ils ne versent pas tous--ou toutes--de la liqueur Foller et de l'arsenic dans les tisanes conjugales. Mais la phrase, l'amour de la phrase, les entra�ne � des sottises aussi insupportables parfois que des crimes.

Ce n'est pas pour les aimables correspondantes qui m'ont r�pondu sur la question des robes collantes ou flottantes que je dis cela. J'ai, parmi beaucoup de lettres, re�u de tr�s fins billets qui ne sentent ni le bas-bleuisme, ni l'arsenic. Mais vraiment la femme est mieux faite pour avoir des plumes sur la t�te qu'une plume � la main.

--Et madame de S�vign�, monsieur Rastignac, qu'en faites-vous?

Oh! celle-l�, c'est le contraire du bas-bleu. C'est la plus d�licieuse femme que je connaisse (parmi les ombres). Ayez l'esprit de Mme de S�vign�, ayez son cœur surtout--et �crivez, si vous voulez. Vous �tes pardonn�e et applaudie d'avance. Mais, pour une S�vign�, que de dames Weiss--h�las!

Rastignac.



FAMEUX CIERGE

Maintenant, � chaque fois que Giuseppe descendait de sa montagne vers Florence �la ville fleurie�--il Val d'Armo fiorentino--Giuseppe laissait � l'Albergo Palescapa son grand mulet noir Ch�rubino et, pendant qu'au fond d'une cour, sous l'ombre d'un m�rier, l'animal savourait son avoine � loisir,--une couverture rouge �carlate sur le dos, en secouant de temps en temps son haut collier charg� de grelots et de clous de cuivre--l'homme, avant toutes autres affaires, se dirigeait vers la chapelle de l'Annunziata o�, depuis des si�cles, le peuple v�n�re une image de la Vierge, peinte, dit-on, par les anges.

Et, apr�s avoir achet� et allum� un beau cierge de cire jaune, bosselant entre ses doigts son chapeau mou d'un gris verd�tre, � deux genoux sur les dalles de marbre, Giuseppe adressait � la madone cette na�ve et fervente pri�re:

�Santa Maria! je suis bien malheureux, depuis que, sous pr�texte d'admirer de plus pr�s nos montagnes, et de peindre--tr�s mal!--des paysages, un grand Anglais aux poils jaunes, au gousset toujours rempli de pi�ces jaunes, vient quotidiennement r�der et s'installer tout pr�s de ma maison; vous savez bien? l�-haut, presque au sommet du Monte Morello.

�Entre nous, buona Vergine! Je croirais plut�t que ce faux touriste et mauvais peintre n'en veut qu'� Bianca, ma femme; car il a une fa�on qui ne me pla�t gu�re de regarder jusqu'au fond des beaux yeux velout�s de ma Bianca avec ses vilains yeux couleur d'acier, � lui, cet h�r�tique!

Per Bacco! Santa Madr� di Dio! si je croyais... quelle belle coltellata je lui planterais dans le ventre ou entre les �paules! Mais, je vous en prie, accordez-moi la gr�ce de m'aider un peu. Il y a des choses qui feraient si bien l'affaire de ce maudit; tenez: quatre ou cinq membres de cass�s dans un pr�cipice, ou bien une bonne petite avalanche par dessus sa t�te, un coup de sang, une colique de plomb, le stylet d'un signor bandito...

�Ah! Vergine santisima! �coutez ma pri�re! �coutez le povero Giuseppe, et il vous offrira encore de beaux cierges et vous r�citera de pieuses �neuvaines!�

*
* *

Ces litanies, tr�s sinc�res, avaient beau procurer une consolation momentan�e au mari jaloux de la coquette Bianca; au retour pr�cipit� de ces p�lerinages, Giuseppe, r�confort�, plus calme, avait beau ressentir enfin le soulagement de pouvoir un peu se raisonner, se r�p�ter qu'en somme, si belle, si d�sirable qu'elle f�t, avec sa peau ambr�e, sa taille splendide, ses l�vres pourpres, Bianca, la rieuse, ne m�ritait pas d'�tre, � bon droit, soup�onn�e; qu'apr�s tout, elle avait plut�t raison de se montrer gracieuse et attrayante... vu que les �cus de l'Anglais, sortant tout seuls de leur gousset, pour le moindre service, pour quelques fruits, une tasse de lait de ch�vre, une hospitalit� momentan�e quand il faisait mauvais temps, n'�taient pas � d�daigner par cette �pid�mie toujours croissante de lourds imp�ts.

... Giuseppe n'�tait plus... le Giuseppe d'autrefois!

--Ah! autrefois! jeune et joyeux, fort et beau, libre chez lui, amoureux naturellement artiste, il n'avait pas son pareil pour chanter, cheveux au vent, par la montagne.

Sa voix chaude et vibrante r�veillait tous les �chos.

On pouvait l'entendre jusqu'aux grands sapins noirs rigides dans les brumes balay�es des tourmentes, et m�me plus haut encore, tout � fait aux derni�res cimes o� la neige, sur les rochers sombres, ressemble aux blanches dentelles qui couronnent les fronts des veuves.

Maintenant tout cela �tait fini! Dans l'air pur, les �chos les plus proches, ceux du Monte Morello, du Poggio-Incontro, du Monte Pilli, de la cha�ne du Casentino, du Monte Sinario et des Monts de Pistoja, ne r�p�taient plus que des psalmodies de cloches plaintives, ou, tr�s lointaines, des sonneries militaires m�lancoliques aussi, comme toutes les musiques militaires d'Italie, pleines d'une vieille po�sie tr�s impressionnante... On n'entendait plus la voix de Giuseppe.

Maintenant m�me, si, parfois, le grand mulet noir avait la malencontreuse id�e de troubler, par ses braiements vigoureux, le silence des sentiers escarp�s et les sombres m�ditations de son conducteur; et pan! et v'lan! les coups de b�ton pleuvaient... comme si c'e�t �t� sur le dos d'un h�r�tique et s�ducteur anglais aux poils jaunes!

N'est-ce pas aussi que les Anglais �comme il faut�, qui veulent s'occuper s�rieusement de peinture, au pays des M�dicis, se trouvent et se rencontrent dans les mus�es Pilli et Uffizzi, et non pas comme au retour de Giuseppe, ce soir de d�cembre-l�, au fond de la modeste demeure de Giuseppe, en t�te � t�te, une fois de plus, avec Bianca... sous pr�texte qu'au dehors il commen�ait � pleuvoir? Allons donc!

Et, si,--d'un rire �pais et goguenard,--ces insolents buveurs de gin se mettent � vous rire au nez, lorsque, pour devancer une demande imminente d'explication, Bianca, tr�s rus�e, intervertit les r�les, se pose la premi�re en interrogatrice de mauvaise humeur, en m�nag�re �conome et jalouse:

--Giuseppe! Je n'aime pas que vous arriviez si tard!... Est-ce une femme qui vous retient ainsi, chaque fois, maintenant que vous allez � la ville? ou perdez-vous votre temps et votre argent � jouer et � boire?...

Si, surtout, au moment o� l'on ob�it humblement � la voix de la compagne aim�e, o� l'on s'excuse et rend franchement des comptes, au lieu d'en demander:

--Cara mia! eh bien, oui! j'ai fait des d�penses: j'ai fait br�ler un nouveau cierge, un cierge haut comme cela, devant l'autel privil�gi� de l'Annunziata, pour une intention particuli�re... pour notre bonheur!

Si, alors que Bianca, superstitieuse comme toute belle sinon bonne Florentine, se contente d'esquisser une moue silencieuse, ces protestants sacril�ges, install�s � califourchon sur une chaise au coin de votre foyer, vont jusqu'� vous prof�rer des outrages et des blasph�mes...

N'a-t-on pas le droit, en Italien toujours imp�n�trable, toujours souriant d'un myst�rieux sourire, et conservant, malgr� toute �motion, le m�me visage d'une p�leur mate, n'a-t-on pas m�me �le devoir� sacr� de regarder de tels hommes, � la d�rob�e, avec une flamme qui vous jaillit de la prunelle, pareille � l'�clair d'un diamant noir... et de murmurer sourdement entre ses dents serr�es:

�A la premi�re occasion, cela se paiera!�

*
* *

La bonne occasion pour Giuseppe se pr�senta trois jours apr�s.

Une fantaisie avait pris l'Anglais d'aller assister d'abord � un lever de soleil sur la pointe la plus �lev�e du Poggio; puis de visiter, l�-haut, entre ces pics neigeux, deux grottes connues seulement de quelques montagnards. Giuseppe, naturellement choisi pour guide, racontait des merveilles de ces cavernes; mais l'acc�s en �tait assez difficile; il fallait avoir bon pied, bon œil, et le m�pris du vertige: car elles �taient creus�es au flanc de rochers � pic au-dessus d'un ab�me... et on n'y pouvait descendre qu'� l'aide d'une corde � nœuds longue d'une trentaine de m�tres.

... Arriv�s de grand matin au sommet solitaire du Poggio, sous les �toiles p�lissantes, les deux hommes commenc�rent par jouir longuement du spectacle grandiose offert � leurs yeux: l'aurore sur les montagnes... C'�tait admirable, c'�tait sublime!

Plong�s, chacun, dans une contemplation religieuse et de graves r�veries, ils n'�chang�rent que tr�s peu de paroles, jusqu'au moment o�--le soleil d�j� un peu haut, le ciel toujours sans nuage,--Giuseppe installa solidement sa corde, et descendit le premier aux fameuses cavernes.

Qu'avait-il donc, Giuseppe? il �tait tout dr�le, � pr�sent... Frileusement drap� dans son manteau sous lequel, d'un geste brusque, il portait par instants la main, on e�t dit qu'il respirait avec peine, comme s'il e�t eu un poids �norme sur la poitrine, comme s'il e�t �prouv� le besoin de se rafra�chir tout le sang, � la fa�on dont, aux lendemains d'ivresses, les matelots hument les vents du large.

C'est que, lestement descendu � son tour, �l'autre� �tait alors si facile � �supprimer�, l'autre, l'Anglais ha�, qui poussait des �hurrah� d'enthousiasme sous ces excavations merveilleuses, hautes comme des vo�tes de cath�drale, illumin�es mieux que de reflets de vitraux, par des flamboiements de gla�ons, des �tincelles de givre, des stalactites miroitant dans une grande coul�e de blond soleil...

D'un coup de couteau! c'est si s�r, un bon couteau, bien emmanch� au bout d'un bras robuste: malheureusement cela a l'inconv�nient de se voir... sur un cadavre.

Une forte pouss�e au bord du pr�cipice vaudrait peut-�tre mieux? cela �l'aiderait� � se briser le cr�ne, en bas, sur les rochers: pourtant, aussi, on saurait qu'il �tait venu dans ces parages avec Giuseppe; il y aurait enqu�te sur enqu�te; or, Giuseppe, par suite de certains petits p�ch�s de contrebande, avait une sainte horreur des �carabiniers�.

Ces consid�rations, plus ou moins int�ress�es, le d�cid�rent � regrimper le long de sa corde � nœuds, � regret... sans s'�tre offert la satisfaction de remonter seul... C'�tait vraiment dommage!... Quel beau coup manqu�!... Soudain, au moment m�me o� il remettait le pied sur la terre ferme, une id�e de g�nie lui vint.

Il se pencha, s'agenouilla et tira son couteau.

L'Anglais qui remontait tranquillement, � la force des poignets, et se trouvait au milieu de son ascension, sentit une brusque secousse qui le fit osciller.

--Aoh! attention! cria-t-il rudement.

Le reste des paroles qu'allait prononcer le malheureux s'arr�ta dans sa gorge: en levant les yeux, il venait de voir Giuseppe darder sur lui des yeux f�roces, ricaner d'un rire mauvais, le couteau grand ouvert, � deux doigts de la corde.

--What?

--Ce qu'il y a! povero imb�cille! il y a que c'est mon tour de rire! s'�cria le montagnard. Tu t'es moqu� de moi, plusieurs fois, n'est-ce pas? eh bien, je te tiens maintenant!

--Giuseppe!

--Pas de Giuseppe! Oui, tu t'es moqu� de mes cierges � la madone, il n'y a pas longtemps; tu as blasph�m� comme un pa�en, comme un chien que tu es... Ici tu es pris!... Ne bouge pas ou je coupe!

Terrifi�, le pauvre excursionniste jeta un regard au-dessous de lui, et sentit que ses cheveux se dressaient d'effroi sur sa t�te... A une profondeur insens�e, comme en des lacs de brouillards ti�des, des roches noires surgissaient...

--Giuseppe! fit-il d'une voix qui devenait involontairement suppliante.

--Ah! tu as peur! tu as raison d'avoir peur; tiens, si je coupais, comme ceci, vois-tu?

--Gr�ce! je paierai...

--Je ne veux pas de tes �cus.

--Alors, quoi?

--�coute.

--Yes! j'�coute...

--Tu vas me jurer de faire br�ler, demain, devant la madone de l'Annunziata, le plus gros cierge qu'aura la vieille marchande assise � la porte de l'�glise.

--Mais je ne suis pas...

--Veux-tu que je coupe? Je sais bien, per Bacco! que tu n'es qu'un impie. N'essaie pas de monter, sinon...

Et le terrible couteau esquissait dans l'air une impitoyable entaille.

--Yes! yes! je jure!

--Et tu ne m'ennuieras pas apr�s, ni moi, ni ma femme, Bianca, ma femme... �... moi... � moi seul! comprends-tu, imb�cille. Tu ne te plaindras � personne... Jure sur ce que tu as de plus sacr�, ou bien...

--Je jure! Yes!

--Parole d'honneur?

--Parole d'honneur!

--C'est dit! Si tu me trompes... regarde!.... Je te retrouverai...

L'Italien fit le signe de la croix avec son couteau.

Le lendemain, vers huit heures du matin, les fid�les qui, tout en se tenant tr�s mal, �grenaient bruyamment des chapelets, dans l'�glise de l'Annunziata, regardaient avec quelque surprise un grand jeune homme, v�tu d'un complet � carreaux, ayant l'allure et la physionomie d'un Anglais, qui allumait, devant la statue miraculeuse de la Vierge, un cierge de cire jaune plus gros que le bras.

Non loin de l�, adoss� � la grille de la chapelle mortuaire des Falconieri, une main sous sa cappa, un grand Italien bronz� �changea avec ce pieux personnage un l�ger salut d'intelligence et d'approbation.

Le samedi suivant, le m�me Anglais �tait � Brindisi et prenait le paquebot pour le Caire.

Depuis, Giuseppe a recouvr� sa belle humeur et sa voix sonore... Il chante avec tant d'entrain que Cherubino, le mulet noir, en oublie la longueur des sentiers escarp�s, et bat all�grement la mesure sur les rochers avec ses fers termin�s en griffes recourb�es...

Pierre Duo.




LE VOYAGE DU PRESIDENT DE LA R�PUBLIQUE.--R�ception au
ch�teau de Pau: les Basques de la vall�e d'Ossau offrant � M. Carnot une paire de petits sabots enferm�s dans un �crin.--D'apr�s un croquis de notre envoy� sp�cial, M. Clair-Guyot.



LES F�TES UNIVERSITAIRES DE LAUSANNE
1. Le cort�ge des professeurs se rendant de la cath�drale au th��tre.--2. Le cort�ge des �tudiants.--3. Sur le Haut-Lac.--4.--La cantate ex�cut�e devant le palais f�d�ral. 5.--Sortie du banquet de la Halle-au-Bl�.--D'apr�s des instantan�s de M. Henriau, notre envoy� sp�cial.



LES BUREAUX DE PLACEMENT

(Suite et fin)

Il y a peu de chose � dire au sujet de la petite bourgeoisie et du petit commerce qui cherchent des bonnes � faibles gages, entre 20 et 25 francs par mois.

Ceux-l� s'adressent de pr�f�rence � une cat�gorie de bureaux de placement interm�diaires, dont nous pr�sentons ici un des directeurs.

Nous sommes rue du Jour, chez le p�re Lambinet, directeur d'un bureau honn�te et tranquille. Pendant une accalmie le p�re Lambinet a laiss� le bureau seul et il descend lui-m�me, le pinceau � colle d'une main, le papier gribouill� de l'autre, coller sur sa t�le rouge une petite modification, une bonne ph�nix dont on a imm�diatement besoin dans une maison bien du quartier Mouffetard!


                     Une modification.

La bonne ph�nix, on peut la voir un peu plus loin. C'est la femme de confiance, entre deux �ges, un peu alourdie d�j�, mais robuste encore, et honn�te; souhaitons-lui d'entrer en place, � la grande satisfaction du p�re Lambinet.

Celle-l� n'appartient pas seulement � la cat�gorie des bonnes proprement dites, mais bien plut�t � celle des femmes de m�nage, milieu curieux encore celui-l�, mais plus mobile, moins saisissable, l'esp�ce �tant nombreuse aussi, et plus diss�min�e.

Elle ne fait pas, en effet, partie int�grante d'un m�nage; cheval de renfort plut�t que bonne, elle fait les gros ouvrages dans deux ou trois maisons et est pay�e � l'heure et non au mois.

Elle n'est pas non plus du ressort absolu du bureau de placement, mais se place surtout par interm�diaires, racontars et recommandations de voisinage, et confine par instants � la garde-malade dont, pendant les nombreux ch�mages auxquels elle est sujette, elle prend la place et l'emploi.

C'est un type de transition comme la gouvernante dont nous parlerons tout � l'heure.

Mais nous n'avons pas fini, et il nous faut encore dessiner quelques silhouettes aper�ues au vol dans les bureaux de placement. Fixons-les:

D'abord la fille fra�chement arriv�e de sa province et dont le d�ballage, comme dit le prospectus d'une agence, a lieu le vendredi.


              Femme de confiance.

Pourquoi le vendredi? Myst�re et cuisine apparemment.

Voyez-la, elle vient pour se placer d'abord comme bonne � tout faire, � 10, 15 ou 20 francs par mois, pour apprendre le m�tier.

Notre dessin nous la montre rougeaude et poupine, les dents blanches derri�re de grosses l�vres rouges, le nez camard, l'air ahuri, avec de petits yeux enfonc�s dans la graisse des joues; les cheveux drus sont plant�s bas sur le front.

Qui sait ce qui se passe dans ce peu de cervelle? C'est la b�casse, proie facile qui fournira la victime des drames passionnels de bas �tage. Plusieurs motifs ont pu la pousser � venir � Paris: d'abord une vague curiosit�, un app�tit de la grande ville; peut-�tre aussi pour y oublier des peines de cœur; � moins que dans une situation d�j�... compromettante, elle ne soit venue pour se soustraire � la col�re des siens. Tels sont, en effet, les trois raisons qui d�cident en g�n�ral les filles � quitter leur pays; quelques-unes cependant le quittent avec l'id�e d�lib�r�e de mal tourner et de s'amuser; le plus petit nombre avec celle de ramasser de l'argent et d'�conomiser.

A c�t� de la fille nouvellement d�barqu�e et b�te, nous voyons le valet de pied depuis longtemps d�j� arriv� et dans le bateau.

La v�ritable ficelle du m�tier. Monsieur avait un caract�re stupide: de quel air d�daigneux ne laisse-t-il pas tomber du bout de ses l�vres bl�mes cette phrase qui renferme tout un monde de m�pris de caste et de rancœurs! pourquoi n'est-ce pas lui qui est le ma�tre au fond?

Et il va, de maison en maison, toujours fier, d�daigneux et ficelle. C'est le coq de la profession.

Dans les immenses casernes du boulevard Malesherbes o� les filles sont nombreuses, il r�gne en ma�tre dans le poulailler du sixi�me �tage sous les combles.


Fra�chement arriv�e de province.                         --Monsieur avait un caract�re stupide.

Un bon type maintenant, pour finir: le cordon bleu.


                          Cordon bleu.

C'est la femme arriv�e du m�tier. On a vu, plus haut, la fili�re qu'elle a suivie. Elle est � la cuisine ce que le vieux brisquard est au r�giment, elle en conna�t tous les �fourbis�. Trente-cinq ans de gratte ou d'anse du panier ont arrondi son p�cule, son but maintenant est de rentrer chez elle, et d'instinct elle �pousera un gendarme, lui aussi cantinier retrait�.

Qui de nous ne l'a pas rencontr�e endimanch�e? reconnaissable � ses moustaches, � sa figure cuite par le coup de feu, au nez �pais, hypertrophi�, variqueux, gr�ce � la chaleur et au vin? Bonne femme au fond, sensible, et qui rendra s�rement heureux l'�lu de son cœur.

Nous avons � dessin omis de parler de la gouvernante; elle est en effet une esp�ce � part et n'appartient que de loin au personnel domestique avec lequel elle est d'ailleurs en perp�tuelle rivalit�. Ni chair ni poisson, tient le milieu entre l'institutrice et la femme de chambre, mal vue au reste par les deux. Sujet perp�tuel de discussions entre le ma�tre qui veut l'imposer � l'office et ce dernier qui la repousse avec �nergie.

Nous en avons fini avec les bureaux de placement et les figures que l'on y rencontre. Un mot encore pour classer le monde de l'antichambre par ordre de m�rite et par nationalit�.

La Fran�aise, tr�s recherch�e, tr�s demand�e partout, tr�s vive, intelligente, propre et honn�te, n'a qu'un d�faut: ch�re, et puis, en g�n�ral, c�libataire et sans enfants qu'elle n'aime pas et ne sait pas soigner. Tr�s demand�e, avons-nous dit: une exception cependant pour la Bretonne et la Proven�ale, toutes deux d'une propret� intermittente, et pour la Parisienne, � l'index � cause de sa coquetterie.

Puis viennent: l'Alsacienne, archi-travailleuse, un vrai cheval, probe et honn�te, mais au cœur trop tendre malheureusement. A bient�t autant de pays que de places, sans compter trois cousins et un fianc�, tous militaires d'ailleurs, en souvenir de l'Alsace, pays de garnison; l'Allemande, que l'on prend en g�n�ral � cause de la langue et surtout pour soigner les enfants, ce qu'elle fait � la perfection; l'Anglaise, que par contre l'on refuse partout avec obstination, d'un placement ultra-difficile; c'est la bonne de luxe que l'on ne prend que par chic et par genre, mais qui, paresseuse comme un loir, ne rend aucun service dans la maison quand elle n'a pas la pr�tention de se faire servir; la Suissesse enfin, la reine, la perle des domestiques, le ph�nix qui r�unit toutes les qualit�s, la joie du bureau de placement qui en �coule toute l'ann�e tant qu'il en veut; c'est le plus beau fleuron de sa couronne, celle qui lui rapporte le plus.

Hacks.



LA GR�VE DES EMPLOY�S D'OMNIBUS


Ceux qui ont profit� de la gr�ve.                             Les r�les renvers�s.


        Cocher r�glementaire.                         Cocher improvis�.                         Conducteur.


        Souvenir de l'Exposition universelle.                                         En d�tresse.


                        Mme WEISS


                        M. ROQUES



L'AFFAIRE D'A�N-FEZZA

Les annales judiciaires ne renferment pas beaucoup de causes c�l�bres comme celles que la cour d'assises d'Oran examine en ce moment.

L'empoisonneuse d'A�n-Fezza, Mme Weiss, est digne de rester l�gendaire.

On conna�t les faits: Mme Weiss, femme de l'administrateur de la commune d'A�n-Fezza, est accus�e d'avoir vers� � son mari du poison que lui fournissait son complice, un ing�nieur du chemin de fer de Bel-Abb�s � Tlemcen, M. Roques.

Elle a essay� de s'empoisonner elle-m�me quand on est venu la chercher pour la conduire en prison; puis elle a song� � se d�fendre. Elle dit maintenant quelle a c�d� � sa passion fatale pour son amant. On sait que, lorsque tout fut d�couvert, celui-ci �tait en Espagne. C'est l� qu'il fut arr�t� et qu'il se fit justice pour �chapper � la cour d'assises.

Lui mort, Mme Weiss a beau jeu pour rejeter la responsabilit� du crime sur le s�ducteur. Elle n'y manque point. Elle a r�dig� des m�moires et des notes, o� brillent de r�elles qualit�s litt�raires � c�t� d'une rare inconscience morale. Elle a racont� ses ant�c�dents, sa jeunesse cahot�e dans une �ducation douteuse, parmi des compagnons ou des compagnes que pr�occupait surtout le plaisir.

Les psychologues ne perdront rien aux d�bats de cet int�ressant proc�s qui met toute l'Alg�rie en �moi. Mme Weiss attend le verdict avec une cr�nerie qui ne se d�ment point. Son mari s'est retir� en France avec ses enfants.




Le barrage de Venette, pr�s Compi�gne, o� a eu lieu
l'accident du yacht �le Ryssel�.--Phot. Beno�t.



L'�pave du torpilleur �Edmond-Fontaine�, abord� par le
�Surcouf� � l'entr�e de Cherbourg. D'apr�s une photographie
de M. Jules Desrez, de Cherbourg.


LE V�LOCIP�DE

Dans l'hygi�nique �volution sportive � laquelle nous assistons en France depuis quelques ann�es, le v�locip�de tient une place de plus en plus importante que ses d�tracteurs eux-m�mes sont oblig�s de lui reconna�tre.

Aucun sport n'a grandi plus soudainement, tout en ayant eu � lutter pied � pied comme lui contre la routine et le parti-pris. Il n'en est pas non plus dont les premiers adeptes aient plus courageusement travaill� en vue de la victoire finale, sous les railleries parfois acerbes d'un public toujours port� � trouver ridicule ce qui est nouveau.

Tout le monde sait ce qu'est un v�locip�de, en a vu au moins un, � un parent ou � un ami qui a �os� devenir cycliste; et ceux qui ne v�locent pas encore se demandent souvent, en voyant passer une de ces �l�gantes machines modernes ou en lisant un fait-divers v�locip�dique � sensation, pourquoi eux aussi ne deviendraient pas v�locip�distes.

Ce qu'on ignore, � moins d'�tre un sportsman pratiquant et bien au courant des choses du cycle, ce sont les c�t�s quasi-techniques de la v�locip�die, les plus int�ressants � mon avis. Autant de sujets divers sur lesquels on pourrait �crire des volumes et que je vais essayer de r�sumer le plus bri�vement possible dans le cadre restreint de cet article.

Contrairement � ce qu'on pourrait supposer, le v�locip�de est d'origine assez ancienne, et fut invent� chez nous.

Le premier parut en France, sous le Directoire; il y aura donc bient�t un si�cle. On l'appelait c�l�rif�re ou draisienne, du nom de son inventeur, le baron Drais de Sombrun.


     C�l�rif�re ou Draisienne.

Construit en bois, il se composait de deux roues basses, reli�es entre elles par une pi�ce horizontale sur laquelle s'asseyait le cavalier, L'instrument, tr�s lourd dans sa grossi�re simplicit�, n'avait point de p�dales. Le cavalier l'enfourchait et, du bout des pieds, frappait le sol en arri�re, alternativement � droite et � gauche, ce qui faisait avancer l'appareil.

Il eut une vogue r�elle quoiqu'il ne serv�t que sur plaine ou en descente et dut faire surtout le bonheur des savetiers de l'�poque, gr�ce � l'usure des semelles de ceux qui le montaient.

En r�alit�, c'�tait le premier pas--le seul qui co�te, assure-t-on.

Au premier engouement succ�da une assez longue p�riode de marasme.

On pouvait croire le vieux c�l�rif�re � tout jamais disparu, lorsqu'en 1855 le serrurier Michaux--sujet de statue pour l'avenir!--un Fran�ais encore celui-l�, eut l'ing�nieuse id�e d'adapter deux p�dales � la roue de devant.


     Le v�locip�de en bois.

Le v�locip�de moderne �tait enfin trouv� dans sa forme encore rudimentaire mais d�finitivement pratique.

Les perfectionnements furent d�s lors incessants.

Ce n'est toutefois qu'en 1867, apr�s l'Exposition, que la nouvelle v�locip�die fit un pas s�rieux en avant. A Paris, la vogue reprit; le prince imp�rial v�lo�a aux Tuileries, plusieurs �ath�n�es� de location v�locip�dique furent ouverts en province, notamment � Marseille.

Puis vint la guerre de 1870-71 qui permit aux Anglais de s'emparer de l'invention fran�aise et de la perfectionner � leur profit.

Le r�sultat de ces perfectionnements ne se fit pas longtemps attendre et d�s 1872 apparurent, venant d'Angleterre, les premiers bicycles en fer plein, � roues d�j� tr�s in�gales de diam�tre.

L'ann�e suivante, un fabricant de Paris les copia et en 1874 un autre fabricant fran�ais �tabli � Tours inventa la fameuse jante creuse en acier. Il r�ussit � construire ainsi un grand bicycle de 1 m,40 du poids extraordinaire de 0 kil. 500 que les Anglais s'empress�rent de lui acheter, dit-on, mille francs.

Le merveilleux principe, non brevet�, de la jante creuse passa ainsi, � son tour, chez nos voisins.

Les lourds bicycles de 25 � 30 kilog. � roues presque �gales, � frottement mal ajust�s et grin�ants, �taient d�s lors d�mod�s et les jantes, apr�s avoir �t� successivement entour�es de corde tress�e ou de cuir pour amortir la tr�pidation, �taient maintenant garnies de caoutchouc, de ce fameux caoutchouc qui r�volutionne toute l'industrie v�locip�dique depuis quelques mois, ainsi qu'on le verra plus loin.

La grande roue prit des proportions gigantesques; la petite roue de derri�re devint lilliputienne. Le bicycle--v�locip�de le plus �l�gant de tous--fut le roi du jour.

Il restait cependant un grand progr�s � accomplir encore. Le bicycle, tr�s �l�gant dans ses formes esth�tiques, �tait dangereux et difficile � monter � cause de sa hauteur. Le tricycle d'alors, tr�s lourd et tr�s disgracieux, �tait trop fatigant.

On chercha un moyen terme et on le trouva.

C'est vers 1885 qu'apparut la fameuse bicyclette � cha�ne horizontale et � roues �gales, instrument merveilleux de l�g�ret� et d'�l�gance qui sillonne par milliers nos routes aujourd'hui.

Le d�veloppement de la v�locip�die fut alors immense.

On peut dire que l'invention de la bicyclette a compl�tement r�volutionn� le cyclisme en permettant aux personnes de tous les �ges de pratiquer le sport sans les dangers du grand bi ni les fatigues de l'ancien tri.

A vrai dire, ce grand succ�s a �t� aid� dans une certaine mesure par les perfectionnements consid�rables du tricycle devenu aujourd'hui beaucoup plus l�ger et gracieux.

Enfin, derni�re transformation, toute r�cente celle-l�, qui provoque presque une crise dans la fabrication des cycles, les caoutchoucs ont �t� compl�tement modifi�s depuis le commencement de l'an dernier.

Au lieu des minces bandes de gutta couvrant � peine des jantes tr�s �troites, on voit surgir depuis quelques mois des v�los � caoutchoucs �normes qui ressemblent parfois � des bou�es de sauvetage!

Caoutchoucs pneumatiques et caoutchoucs creux ou coussins (en anglais cushion tyres), tels sont les noms des nouveaux syst�mes, tous les deux d'invention anglaise.


     Coupe du caoutchouc
          pneumatique.

Le caoutchouc pneumatique Dunlop (du nom de l'inventeur, M. Dunlop de Belfast) est le premier et le plus connu. C'est un tube flexible de caoutchouc pur (D) �pais de 2 millim�tres, d'environ 37 millim�tres de diam�tre et coup� d'une longueur �gale � la circonf�rence de la roue � laquelle il doit �tre appliqu�. Ce tube est fix� dans un second tube de toile (C) pourvu d'ailes (C') qui permettent de le fixer � la jante (G).

Une soupape � air (E) ayant �t� adapt� et les extr�mit�s du tube ayant �t� r�unies, une enveloppe ext�rieure de caoutchouc (A) de 10 millim�tres d'�paisseur vers son milieu et de 2 millim�tres sur les c�t�s est ciment�e avec la toile qui enferme le tube et s'�tend sur ses bords. Enfin, une autre couche de toile est coll�e � la jante pour assurer le tout et lui donner un aspect convenable.


     Bicyclette � caoutchoucs
               pneumatiques.

Le cycliste gonfle le caoutchouc pneumatique au moyen d'une petite pompe � air ad hoc qu'il porte avec lui et qui s'adapte � la soupape.

Le caoutchouc creux dans sa forme primitive la plus simple se compose d'un tube de caoutchouc travers� dans toute sa longueur par un canal plus ou moins circulaire.


     Bicyclette � caoutchoucs
                         creux.

Ce vide int�rieur permet au caoutchouc de se d�placer rapidement sous une charge, particuli�rement lorsqu'il passe sur les in�galit�s de la surface d'une route; il le rend plus �lastique que le caoutchouc plein.

Le caoutchouc creux est moins gros et, partant, moins disgracieux que le pneumatique. Sa moyenne est de 25 � 40 millim�tres.

Les opinions des cyclistes sont fort partag�es sur les avantages et les inconv�nients des deux syst�mes, et il est bien �vident qu'on en est encore � la p�riode des t�tonnements.

Au pneumatique para�t appartenir l'avenir, mais lorsqu'il aura subi certains perfectionnements qui l'emp�cheront de crever--inconv�nient qui a d�j� disparu dans une notable mesure, surtout pour les pneumatiques de route, plus solides que ceux de course. Actuellement, le pneumatique est le meilleur caoutchouc pour la course, et le creux pour la route, tout bien consid�r�.

Le poids de la machine se trouve forc�ment augment� par l'adaptation de ces nouveaux caoutchoucs; mais on peut presque enti�rement regagner la diff�rence en construisant la partie m�tallique avec plus de l�g�ret� et, somme toute, l'ensemble du v�loce est beaucoup plus prot�g� contre les tr�pidations--cause principale d'usure--que dans les anciennes machines.

Les r�sultats obtenus avec les caoutchoucs creux ou pneumatiques sont d'ailleurs magnifiques.


               Le grand bicycle.

Sur de bons terrains, ils donnent, � effort �gal, une augmentation de vitesse sensible, mais o� leurs avantages sont inappr�ciables, c'est sur les routes mal pav�es o� le v�locip�diste �tait le plus souvent oblig� de mettre pied � terre et o� il peut aujourd'hui rouler confortablement.

La forme des cycles modernes varie � l'infini. Elle peut cependant se ramener aux principaux types suivants:

Le grand bicycle, cit� plus haut, le plus beau de tous, mais qui dispara�t de jour en jour depuis l'apparition de la bicyclette.


     Bicyclette � cadre.

La bicyclette, dont le corps est form� d'un cadre ou d'un tube droit, et dont les roues ont en moyenne de 65 � 85 centim�tres de diam�tre.


     Bicyclette � corps droit.

Le tricycle perfectionn� � roues basses et de diam�tre �gal ou � peu pr�s (70 � 90 centim. environ).

Le tandem, machine � deux places situ�es l'une derri�re l'autre, comme le nom l'indique. Le tandem remplace tr�s avantageusement le vieux sociable � places lat�rales. C'est le cycle familial.


     Le tricycle perfectionn�.

La triplette, machine � trois places, �galement longitudinales. La triplette a 4 roues; mont�e par trois hommes bien entra�n�s, elle peut atteindre sur route de tr�s grandes vitesses.


               Tricycle tandem.

Enfin, le monocycle a une seule roue, instrument de pure adresse qui n'a rien de sportif, mais sur lequel certains acrobates font des merveilles d'�quilibre.

En somme, la bicyclette et le tricycle sont de beaucoup les mod�les les plus en usage.

On monte beaucoup plus celle-l� que celui-ci; mais le tricycle qui est chaque jour perfectionn� ne para�t pas devoir compl�tement dispara�tre comme est en voie de le faire le grand bicycle.

Tous les deux ont leurs qualit�s et leurs d�fauts.

La bicyclette est pr�f�rable pour les promenades et les petites excursions rapides, c'est-�-dire dans les neuf dixi�mes des cas. Le tricycle vaut mieux pour les longs voyages qui exigent un bagage important et une allure r�guli�re.

Leur marche est fort diff�rente; mais � la fin d'une longue journ�e de route bicyclettiste et tricycliste arriveront ensemble � l'�tape, sans plus de fatigue l'un que l'autre.

*
* *

La bicyclette et le tricycle sont munis d'une cha�ne Vaucanson engrenant deux pignons d'in�gal diam�tre. Le grand pignon est actionn� directement par les p�dales et le petit actionne � son tour la ou les roues motrices, de sorte que pour un tour de p�dale on fait plus d'un tour de roue.

Cette diff�rence entre les deux rotations s'appelle multiplication de la machine.

Une bicyclette multipli�e par exemple � 1 m. 50 et qui a une roue motrice de 70 centim�tres de diam�tre avance donc en r�alit� comme si cette roue avait 1 m. 50 de diam�tre.

On croit g�n�ralement qu'il suffit d'augmenter le d�veloppement de la roue motrice pour accro�tre la vitesse de marche: ce serait vrai si la force humaine n'�tait pas limit�e de telle sorte que plus l'espace parcouru par tour de p�dale augmente, plus l'effort � exercer s'accro�t, au point de d�passer bient�t les forces musculaires du v�locip�diste.

En pratique, on ne multiplie g�n�ralement pas une machine de course au-del� de 1 m. 70 et une machine de route au-del� de 1 m. 60, c'est-�-dire que la machine avance de 5 m�tres environ � chaque tour de p�dales, le d�veloppement de la circonf�rence �tant d'un peu plus de trois fois le diam�tre.

Quant � la vitesse de marche, elle est extr�mement variable, selon la force du veloceman, son degr� d'entra�nement, l'�tat des routes, le profil du terrain, etc., etc. En course, on est arriv� � soutenir pendant trois heures une vitesse de 32 kilom�tres � l'heure, mais il s'agit ici de pistes sp�ciales, et sur route ordinaire la vitesse des velocemen, m�me les plus exerc�s, se r�duit sensiblement. Cependant, nous venons de voir Mills, vainqueur de la grande course de Bordeaux � Paris, effectuer en 26 h. 35 m. le trajet de 577 kilom�tres entre ces deux villes, soit une vitesse de 21 kilom. 750 m. � l'heure, obtenue sur un terrain d�tremp� et malgr� une pluie presque continuelle.

H�tons-nous d'ajouter que ce sont l� des vitesses extraordinaires, obtenues � la suite d'un entra�nement tout sp�cial, auquel peuvent seuls se soumettre de v�ritables bicyclistes professionnels. L'amateur qui croirait pouvoir obtenir d'embl�e de tels r�sultats s'exposerait aux m�mes m�comptes qu'un cavalier qui voudrait voyager au train d'un cheval de course. Dans les conditions ordinaires, on obtient facilement douze � quinze kilom�tres � l'heure et l'on peut, � cette allure, faire sans fatigue exag�r�e soixante � cent kilom�tres par jour, ce qui est d�j� un r�sultat suffisant pour assurer au v�locip�de une sup�riorit� consid�rable sur le cheval attel� ou mont�.

C'est l� qu'est l'avenir r�el du cyclisme. C'est le c�t� du sport vers lequel inclinent d�j� avec raison les neuf dixi�mes des v�locip�distes.

Le tourisme v�locip�dique a, lui aussi, ses difficult�s, et, si les bons coureurs sont rares, les vrais touristes le sont �galement.

Marcher devant soi, pendant quelques heures, voire m�me quelques jours, sur des routes connues et faciles, est assur�ment fort agr�able. C'est m�me ce qui motive le succ�s �norme du v�loce, et ceux qui n'ont jamais go�t� ce plaisir de l'excursion v�locip�dique ne sauraient en deviner tous les charmes.

Mais partir pour un long voyage qui doit durer des semaines ou des mois, en pays qui ne sont gu�re fr�quent�s que par les paysans qui les habitent; emporter avec soi armes et bagages; savoir voyager intelligemment au lieu de manger aveugl�ment de la route, si j'ose m'exprimer ainsi: tout cela demande des qualit�s sp�ciales au moins aussi m�ritoires que celles du coureur sur piste.

Nous citerons, parmi les voyages qui ont eu le plus de retentissement dans le monde du sport par le choix et les obstacles naturels de l'itin�raire, celui que M. Maurice Martin, du journal fran�ais Le V�loce-sport, fit l'�t� dernier pour ce journal � travers les montagnes du Cantal, des C�vennes, de la Savoie, de la Suisse et des Vosges.

M. Maurice Martin a ainsi parcouru en pays constamment accident� 3,126 kilom�tres, soit en ligne droite � peu pr�s la distance v�locip�dique de Paris � Saint-P�tersbourg. Le voyage a dur� 73 jours, dont 38 jours de marche effective, soit une moyenne quotidienne de 81 kilom�tres, chiffre le plus recommandable pour le tourisme qui veut �tre intelligemment pratiqu�.

Le v�locip�de est un merveilleux instrument, un courrier fid�le et rapide, presque a�rien dans sa gracieuse l�g�ret�, et, depuis la disparition des diligences d'antan, c'est bien le seul explorateur de nos belles routes de France si d�laiss�es aujourd'hui.

Tr�s critiqu� jadis au point de vue m�dical, il l'est beaucoup moins aujourd'hui, depuis que de nombreux m�decins n'ont pas craint de le pratiquer eux-m�mes et de le conseiller comme un excellent exercice de plein air.

Ainsi que je le disais au d�but de cet article, il y est d�sormais d�finitivement implant�, et ceux qui croyaient � un engouement passager, � une mode, s'aper�oivent qu'il y a mieux au fond de ce succ�s.

En Angleterre, on �value � 500,000 le nombre des cyclistes, en Allemagne � 200,000, aux �tats-Unis � 150,000, en Hollande � 10,000, en Belgique � 10,000, sans compter les autres pays v�locip�diques principaux, tels que l'Australie, l'Autriche, l'Italie, la Suisse, le Danemark, etc.

En France, on estime � 100,000 environ leur nombre actuel; mais, de tout les pays, c'est celui o� l'accroissement para�t prendre les plus grandes proportions, car c'est lui qui poss�de les routes les plus nombreuses, les meilleures et les mieux entretenues, de l'aveu des �trangers eux-m�mes. C'est, de plus, un de ceux o� l'on commence � comprendre le mieux la valeur pratique du v�locip�de, et o� il est le plus employ�, surtout dans les campagnes, par les m�decins, eccl�siastiques, notaires, huissiers, percepteurs, voyageurs de commerce, etc.

La presse v�locip�dique universelle ne comprend pas moins de 40 ou 45 organes sp�ciaux, dont quelques-uns sont tr�s importants.

Parmi les plus connus, je citerai en Angleterre The Cyclist et Wheeling qui tirent chaque semaine � 60, 70 pages, et m�me davantage, et en France le V�loce-Sport �galement hebdomadaire.

On voit quelle est l'importance de ce nouveau sport tout moderne.

Aucun autre ne saurait mieux r�aliser que lui la fameuse formule de l'agr�able dans l'utile.

Course, tourisme, hygi�ne et patriotisme, tel est son vaste domaine.

L'avenir est au v�locip�de.

Paul Verlin.



DE BORDEAUX A PARIS EN BICYCLE


M. MILLS Vainqueur du voyage   
en bicycle de Bordeaux � Paris.
D'apr�s une photographie de
M. Nadar.

Nous ne pouvions pas rester indiff�rents � l'�v�nement qui a passionn�, ces jours derniers, le monde v�locip�dique et nous donnons ci-contre le portrait de M. Mills, le champion anglais qui a accompli le tour de force extraordinaire de fournir une course de 577 kilom�tres en 26 h. 31 m.

Parti de Bordeaux le 23 courant � 5 heures du matin, il est arriv� le lendemain matin � 7 h. 35 � la Porte-Maillot sous une pluie battante qui l'avait du reste accompagn� durant toute la seconde moiti� de son parcours et la photographie que nous reproduisons a �t� prise d�s son arriv�e dans sa tenue de voyage et sur la bicyclette Humber qu'il montait.

Quoique le champion anglais n'ait voulu convenir d'aucune fatigue physique, il �tait visible que cette course de r�sistance faite dans des conditions exceptionnelles avait alt�r� ses traits et qu'il n'aurait pas pu continuer plus longtemps.

M. Mills n'a pris pendant le voyage que le temps d'avaler quelques bouch�es de viande crue et quelques gorg�es de bouillon et ces haltes n'ont pas d�pass� chacune trois minutes. Des entra�neurs qui se relayaient de distance en distance l'ont accompagne pendant tout le chemin. Ce sont eux qui devaient, lui aplanir les difficult�s de la route, l'�clairer pendant la nuit, lui c�der leur machine en cas d'accident.

Les nombreuses c�tes que l'on rencontre, surtout en approchant de Paris, ont �t� gravies � toute vitesse et descendues, � ce qu'il parait, avec une rapidit� vertigineuse, 40 � 50 kilom�tres � l'heure, et, � cet effet, il avait �t� ajout� � la p�dale de la bicyclette un fer recourb� destin� � maintenir le pied et � l'emp�cher de glisser, la machine n'ayant pas de frein.

Sur les trente-huit coureurs engag�s, dix-sept seulement sont arriv�s, le second en 27 h. 50 m., le dernier en 61 heures.




              M. TURPIN.
              Phot. Tourtin.

L'AFFAIRE TURPIN

C'est une figure curieuse que celle de l'auteur de Comment on a vendu la m�linite. S'il �tait n� au pays d'Edison, sans aucun doute son nom serait depuis longtemps dans toutes les bouches et il serai archi-millionnaire comme son illustre confr�re am�ricain. N� en France, il est aujourd'hui sous les verrous, au secret, au D�p�t!

Rien du type commun de l'inventeur rat�. Quarante-cinq ans, de caract�re doux et gai, tel nous le repr�sentent ses amis qu'il a conserv�s nombreux et chauds. Fils d'un industriel, licenci� �s-lettres, Eug�ne Turpin s'adonna d'abord � la fabrication des jouets en caoutchouc. C'est alors qu'il d�couvrit les couleurs inoffensives dont l'emploi fut impos� aussit�t aux fabricants de jouets. Cette importante d�couverte lui fit d�cerner par l'Acad�mie le prix Montyon. Mais avec ce premier succ�s commenc�rent ses d�boires. Les marchands de jouets obtinrent que les proc�d�s nouveaux de fabrication tombassent dans le domaine public. Il abandonna la fabrication des jouets: son importante d�couverte profita � tout le monde, except� � lui-m�me.

Entr� comme chimiste charg� des mati�res explosibles dans une usine de Saint-Denis, il s'adonna tout entier � des recherches sur les explosifs. Allant � rencontre des th�ories scientifiques universellement profess�es et admises, il se convainquit bient�t de la fausset� de certaines donn�es et fut ainsi amen� successivement � la d�couverte de la panclastite et de la m�linite. Sollicit� de toutes parts, M. Turpin, ainsi qu'il l'affirme dans son livre, voulut conserver � son pays tout le b�n�fice de sa d�couverte. En 1885, il entra en relations avec le minist�re de la guerre--relations pleines de d�boires qu'il expose dans cette œuvre de rage: Comment on a vendu la m�linite.

La m�linite, rapporte-t-il, devait, dans les intentions du g�n�ral Campenon, alors ministre de la guerre, et les siennes propres, �tre achet�e et assur�e exclusivement � la France. Le g�n�ral Boulanger qui arriva ensuite au minist�re se borna � traiter avec lui pour une dur�e de dix mois. A l'expiration de ce d�lai l'inventeur reprenait possession de son proc�d�.

Les exp�riences officielles, qui eurent un retentissement si grand et si opportun au moment de l'affaire Schnaebel�, furent concluantes, puisqu'elles valurent � l'inventeur la croix de la L�gion d'honneur.

Le d�lai de dix mois expir�, continue M. Turpin, le trait� d�finitif ne fut pas conclu. Apr�s plusieurs ann�es d'attente, il se d�cida � entrer en n�gociations avec la maison Armstrong. C'est au cours de ses n�gociations qu'il d�couvrit le scandale qu'il d�nonce dans la seconde partie de son livre: �La Trahison�.

Le d�tonateur et la fus�e invent�s par lui pour adapter la m�linite aux projectiles (dont le minist�re de la guerre, seul, avait eu communication) auraient �t� livr�s d�s 1888 � la maison anglaise par un M. Tripon�.

On offrait � M. Turpin 750,000 francs et des int�r�ts sur toutes les affaires d'armement qui seraient faites avec ses inventions. Il n'h�sita pas, et rentra en France pour d�noncer la trahison.

Une commission d'enqu�te fut nomm�e d'urgence. Elle fonctionna jusqu'en f�vrier: M. de Freycinet a d�clar� � la tribune de la Chambre que M. Turpin �se d�roba� aux convocations de la commission. Tripon� �tait toujours libre. C'est alors que M. Turpin publia le livre qui l'a conduit au D�p�t.

Cette grave et myst�rieuse affaire est aujourd'hui entre les mains de la justice. C'est � celle-ci de faire la lumi�re, et il est sage, croyons-nous, avant de prendre parti, d'attendre qu'elle ait prononc�.

Ajoutons qu'en ces derniers temps M. Turpin avait entrepris d'importantes �tudes sur la dirigeabilit� des ballons en collaboration avec un de nos principaux ing�nieurs a�ronautes, M. Gabriel Yon. Il �tait sur la voie de nouvelles piles �lectriques, plus l�g�res que celles connues jusqu'� ce moment, et qui devaient faire faire un pas d�finitif � la question de la direction des a�rostats.

F. D.




LA STATUE DE BORDA
Inaugur�e � Dax par
le pr�sident de la
R�publique le 24 mai.
D'apr�s une photogra-
phie de M. Soubaign�.




L'INAUGURATION DE LA STATUE DE BORDA

Le 21 mai, on a inaugur� � Dax, en pr�sence de M. Carnot, de ses invit�s et des d�l�gu�s de l'Institut de France (MM. l'amiral Paris et Bouquet de la Grye), la statue de Borda, le savant marin que Dax honore comme un de ses illustres enfants et qui v�cut de 1733 � 1799. La statue est l'œuvre du sculpteur Aub�. Elle montre Borda en uniforme de lieutenant de vaisseau, debout, dans une attitude pensive. Il tient dans la main gauche le sextant dont il est l'inventeur. Des acclamations ont retenti de toutes parts quand, le voile tomb�, le bronze est apparu aux yeux de tous. On a salu� le vaillant marin que tous les officiers de la flotte sont accoutum�s � v�n�rer puisque le vaisseau-�cole o� se forme leur jeunesse porte le nom de Borda.


Le voyage du pr�sident de la R�publique ne pouvait avoir de meilleur couronnement que cette solennit� patriotique.




LE CŒUR DE SITA

Grand, ballet en trois actes et six tableaux, repr�sent� � l'�den-Th��tre.

VALSE LENTE

LIVRET DE M. DE BARRIGUE DE FONTAINIEU.

MUSIQUE DE M. CHARLES DE SIVRY.

[Partition musicale.]


(Agrandissement)



La semaine parlementaire.--Les tarifs douaniers.--La discussion g�n�rale est close et, il faut le reconna�tre, elle a �t� tr�s brillante. Les orateurs qui se sont succ�d� � la tribune ont fait preuve de comp�tence, et se sont montr�s pour la plupart fort �loquents dans la d�fense de leurs id�es, au point que protectionnistes et libre-�changistes triomphaient tour � tour. Mais quand on est arriv� � l'examen de l'article 1er, celui qui, en r�alit�, contient toute la loi, les choses se sont g�t�es et on a constat� encore une fois combien il �tait plus facile de parler sur des g�n�ralit�s que d'aborder le terrain pratique. Ce fameux article premier sp�cifie que, dans ses relations commerciales, la France aura deux tarifs: un tarif minimum au-dessous duquel le gouvernement ne pourra pas traiter et un tarif maximum qui ne pourra �tre d�pass� en aucun cas.

Mais � ce propos a �t� soulev�e une question des plus graves, car il ne s'agit de rien moins que de savoir si toute la loi pr�sent�e en ce moment au parlement ne constitue pas une violation flagrante de la Constitution.

En effet, la constitution �tablit que le pouvoir ex�cutif a tout pouvoir pour traiter avec les puissances au mieux des int�r�ts du pays, sous sa pleine responsabilit� et sous cette r�serve seulement qu'il devra faire ratifier par les deux Chambres les conventions pass�es avec l'�tranger. Or si la loi sur les tarifs douaniers �tait adopt�e sans modifications dans les termes o� elle est pr�sent�e, il en r�sulterait que le gouvernement, li� par le tarif minimum, n'aurait plus la libert� d'action que la constitution a voulu lui assurer.

M. F�lix Faure, d�put� du Havre, a signal� cette difficult� d�s que l'article premier est venu en discussion. M. Ribot, qui �tait plus particuli�rement en cause en sa qualit� de ministre des affaires �trang�res, puisqu'il sera charg� de conclure les trait�s, a r�pondu au nom du gouvernement. Dans un discours tr�s diplomatique, le ministre a dit en substance que le gouvernement tiendra compte des chiffres du tarif minimum et qu'il en fera la base de ses n�gociations, mais cependant sans abdiquer les pr�rogatives qu'il tient de la constitution. Et comme les Chambres devront toujours homologuer les trait�s conclus par nos n�gociateurs, le droit du parlement restera entier et sa politique commerciale pourra toujours pr�valoir.

M. Peytral a pris alors la parole et, dans une courte harangue tr�s substantielle et tr�s logique, il a d�montr� ce qu'avait de sp�cieux le syst�me du double tarif. Il n'est pas douteux, a-t-il dit, que d�s les premi�res n�gociations du premier trait� de commerce qu'il nous faudra conclure, le gouvernement, en face des int�r�ts consid�rables qui se trouveront en jeu, n'h�sitera pas � descendre, pour quelques articles, au-dessous du tarif minimum, et il n'est pas douteux non plus que les chambres ratifieront les concessions faites par le gouvernement. Il en sera de m�me pour les trait�s suivants, si bien qu'au bout de quelques mois, par suite de toutes ces modifications successives, le tarif minimum sera mis en pi�ces et on se trouvera ramen� � la situation actuelle: c'est-�-dire au maintien du tarif g�n�ral avec les nations qui ne nous font aucune concession, et au tarif conventionnel, sans minimum sp�cifi� � l'avance, avec les nations qui nous accordent un r�gime de faveur � titre de r�ciprocit�.

Cette argumentation solide a fait grande impression sur la Chambre et M. M�line a si bien senti l'effet produit sur la majorit� qu'il a cru n�cessaire d'intervenir: son discours� avait pour but d'�tablir que le gouvernement devait �tre li� par le tarif minimum, en sorte que, s'il croyait n�cessaire d'y d�roger, il serait tenu de demander au parlement une sorte d'autorisation pr�alable. Sur ce, de nombreuses protestation se sont fait entendre et M. Floquet lui-m�me s'est fait leur interpr�te en d�clarant qu'il ne laisserait pas mettre en discussion une motion qui aurait pour effet de limiter les pr�rogatives conf�r�es au gouvernement par la constitution.

Le pr�sident du conseil, M. de Freycinet, ne pouvait garder le silence dans un pareil d�bat. Sa d�claration, formul�e en termes assez habiles pour m�nager le tout-puissant M. M�line sans rien abandonner des droits constitutionnels du pouvoir ex�cutif, tend � �tablir que le minist�re consid�rera le tarif minimum comme une base d'indication pour n�gocier, mais qu'en r�alit� il se croira autoris� � le laisser de c�t�, quand l'int�r�t national semblera le commander.

On aurait pu croire qu'apr�s ce long d�bat la question devait �tre �lucid�e pour tout le monde. Nullement, et, en fin de compte, la majorit� manifestement embarrass�e s'est d�cid�e � remettre � une date ult�rieure le vote d�finitif sur ce fameux article premier qui contient toute l'�conomie de la loi. S'il est vot� tel qu'il a �t� r�dig� par la commission, il constituera une violation de la constitution et le gouvernement aura la facult� de n'en tenir aucun compte. On a dit que toute cette proc�dure aboutissait � une v�ritable incoh�rence. Le mot n'est pas trop fort. Le parlement consacrera peut-�tre la th�orie du double tarif. En r�alit�, il n'y en aura qu'un: le tarif g�n�ral, car le tarif minimum sera celui que d�cidera le gouvernement suivant les int�r�ts commerciaux ou politiques du moment.

En pareille mati�re, d'ailleurs, la Chambre elle-m�me est appel�e � se d�juger. Elle a vot� nagu�re un droit de cinq francs par cent quintaux sur l'importation du bl�. Or, elle a d� suspendre les d�bats sur les tarifs pour examiner une proposition de M. Viger tendant � r�duire ce droit de deux francs, en raison du mauvais �tat de la r�colte. Cette r�duction a �t� vot�e par 319 voix contre 136, preuve que les circonstances sont plus fortes que les convictions protectionnistes, m�me les plus ardentes.

Notre armement.--La discussion �conomique a �t� interrompue par une question pos�e par M. Le H�riss� au ministre de la marine au sujet de notre artillerie de marine. Il s'agissait d'une accusation formul�e par M. Gerville Reache et d'apr�s laquelle l'administration de la marine aurait achet� des canons � une maison anglaise et lui aurait en m�me temps livr� une certaine quantit� de notre poudre sans fum�e. M. Rarbey a formellement d�clar� qu'aucune quantit� de poudre sans fum�e sortant de nos arsenaux n'a �t� donn�e � une usine ou � un arsenal �tranger. Quant aux canons, il reconna�t que l'administration en a achet� deux � la maison Armstrong pour faire des exp�riences. Comme on ne se saurait reprocher � la marine de se mettre au courant des progr�s faits � l'�tranger, la Chambre n'a pu que se borner � prendre acte des d�clarations faites par le gouvernement et elle a vot� l'ordre du jour pur et simple qu'avait r�clam� le ministre.

Mais sur cette affaire est venue s'en greffer une autre beaucoup plus grave. M. Turpin, inventeur d'un explosif auquel il donne le nom de m�linite, a fait para�tre r�cemment une brochure dans laquelle il a accus� cat�goriquement un officier, M. Tripon�, d'avoir livr� � l'Angleterre le secret de cet explosif. A la suite de ces r�v�lations, la justice a mis en �tat d'arrestation non seulement M. Tripon�, mais M. Turpin lui-m�me, pour avoir d�voil� dans sa brochure certains proc�d�s de fabrication. Cette double arrestation a produit l'�motion la plus vive et l'opinion en a �t� profond�ment affect�e, bien que le gouvernement ait fait savoir, pour rassurer le public, que l'explosif dont il s'agit avait �t� refus� non seulement par l'Angleterre, mais aussi par l'Italie, � qui l'offre en a �t� �galement faite.

D'ailleurs M. de Freycinet, interrog� � ce sujet � la Chambre par M. Letellier, a fourni les explications les plus d�taill�es avec l'intention visible d'apporter dans le pays cette persuasion que les r�v�lations de M. Turpin, m�me reconnues exactes, ne compromettaient en rien notre d�fense nationale.

Belgique: l'agitation ouvri�re et la r�vision.--Malgr� l'�nergie dont ils �taient dou�s, les nombreux ouvriers belges qui s'�taient mis en gr�ve souffraient cruellement de leur r�solution. Les fonds commen�aient � manquer et les mis�res �taient grandes. Aussi la plupart ont-ils �t� fort heureux d'apprendre la d�cision prise par la commission de la Chambre charg�e d'examiner la question de la r�vision.

Cette commission, dite section centrale, ne s'est pas prononc�e, il est vrai, pour le suffrage universel, comme le r�clamaient les gr�vistes. Elle s'est born�e, d'accord avec le gouvernement, � d�clarer qu'il y avait lieu de proc�der � la r�vision de la constitution, dans le sens d'une extension du droit �lectoral. Mais, avec une sagesse dont il faut les louer, les ouvriers ont profit� de cette satisfaction donn�e, m�me sous une forme r�duite, � leurs revendications, et ils ont presque partout repris le travail.

Ce vote de la section centrale, pr�lude d'une grande r�forme pacifique, aura probablement pour effet de consolider le minist�re catholique � la t�te duquel se trouve M. Beernaert, bien qu'il se soit donn� l'apparence de c�der � la menace de gr�ve g�n�rale qu'avaient formul�e les chefs du parti ouvrier. Mais, en somme, on ne pourra pas lui savoir mauvais gr� d'avoir abr�g� une crise qui n'avait d�j� que trop dur�.

Portugal: le nouveau minist�re.--Les diverses tentatives faites par le roi pour trouver un homme politique qui voulut bien se charger de constituer un nouveau minist�re ayant successivement �chou�, le g�n�ral d'Abreu de Sousa, pr�sident du dernier cabinet, a �t� pri� de rester aux affaires.

Celui-ci a accept�, mais aucun de ses ancien coll�gues ne reste au pouvoir. Les affaires �trang�res sont attribu�es au comte de Valbom, � qui incombe le devoir de signer la convention avec l'Angleterre et de la faire agr�er par les Chambres. M. Mariano Carvalho prend le portefeuille des finances et, entrant imm�diatement en fonctions, il est venu imm�diatement � Paris afin de s'entendre avec un groupe de financiers fran�ais en vue de certains arrangements � conclure.

Les autres ministres sont: M. Lopa Vaz, portefeuille de l'int�rieur; M. Mora�s Carvalho, justice; Julio Nilhena, marine et colonies; Franco Castellobranco, travaux publics.

Les �v�nements de Serbie.--La reine Nathalie, qui �tait retourn�e � Belgrade, malgr� une convention en vertu de laquelle il lui �tait interdit, comme � son mari d'ailleurs, de s�journer en Serbie, a d�clar� par une lettre rendue publique qu'elle ne quitterait la capitale que contrainte par la force. Elle a tenu parole, et c'est avec l'intervention de la gendarmerie et d'une partie de l'arm�e, car la garnison �tait sur pied, que les r�gents ont fait ex�cuter l'ordre d'expulsion rendu contre la reine. Mais ce n'a pas �t� sans peine. Bien qu'il soit toujours d�licat de se prononcer sur des querelles de m�nage, surtout quand il s'agit d'�poux royaux, la sympathie g�n�rale va naturellement � la femme, et plus encore � la m�re qui est surtout en jeu ici et qui ne peut se r�signer � se s�parer de son fils. Il n'est donc pas surprenant que la jeunesse de Belgrade se soit enflamm�e pour sa cause et ait tent� de r�pondre � la force par la force, en sorte que le sang a coul� et qu'on s'est demand� un moment si cette petite �meute n'allait pas �tre une r�volution.

L'ordre mat�riel a �t� cependant r�tabli, mais l'inqui�tude n'en subsiste pas moins dans le gouvernement de la r�gence, et la cause de cette inqui�tude est tout simplement que la reine a dit en partant: �Au revoir, et � bient�t!� Or, �tant donn� le caract�re de la reine Nathalie, cette formule de politesse famili�re prend les proportions d'une v�ritable d�claration de guerre. Il est permis de pr�voir de nouveaux �v�nements en Serbie.

Le conflit Italo-Am�ricain.--La solution � laquelle s'est arr�t� le gouvernement des �tats-Unis, dans l'affaire du lynchage de la Nouvelle-Orl�ans, est loin de constituer une satisfaction pour l'Italie.

Apr�s une enqu�te qui a dur� six semaines sur l'assassinat du chef de la police, M. Hennessy, et sur celui des Italiens, le grand jury a r�sum� ses travaux dans un rapport, qui est en somme la justification non dissimul�e des lyncheurs. D'apr�s ce rapport, le rassemblement du 14 mars �tait compos� de plusieurs milliers de personnes, et les citoyens les plus influents y ont pris part, �usant de leur droit de discuter les graves questions qui int�ressent la ville� et plus loin: �Vivement impressionn� par un d�sir de justice d� au parjure et � la subordination, le peuple, dans un �lan spontan�, a agi de telle fa�on qu'il serait difficile de d�terminer le degr� de responsabilit� de chacun. L'enqu�te d�taill�e ne r�v�le aucun fait qui puisse autoriser la mise en accusation des personnes d�nonc�es.�

Le gouvernement de Washington s'est donc trouv� dans un grand embarras, pris entre les obligations que lui cr�ent les principes du droit international et la constitution des �tats qui ne lui permet pas d'intervenir � la Nouvelle-Orl�ans. Il y a l� une situation anormale et il n'est pas �tonnant que le gouvernement italien ait r�ellement l'intention qu'on lui pr�te d'adresser prochainement � toute les puissances une circulaire sur cette question. Cette circulaire aurait pour but de d�montrer la n�cessit� d'une action solidaire, et d'une entente en vue d'obtenir du gouvernement des �tats-Unis qu'il trouve le moyen de garantir aux �tats europ�ens la protection de leurs sujets, sur quelque point que ce soit du territoire de l'Union.

En attendant, le consul d'Italie � la Nouvelle-Orl�ans a �t� rappel� � Rome pour donner des explications d�taill�es sur les incidents qui se sont produits dans cette ville depuis le mois d'octobre dernier. On n'a pas manqu� de voir dans cette r�solution du gouvernement italien le parti-pris de rompre d'une fa�on presque absolue toutes relations diplomatiques avec le gouvernement des �tats-Unis. Aussi le bruit a-t-il couru que M. Porter, ministre des �tats-Unis � Rome, allait �tre � son tour rappel�. Mais celui-ci a fait aussit�t d�mentir ce bruit et a d�clar� publiquement qu'il ne songeait nullement � quitter l'Italie, par la raison que son gouvernement consid�re comme certaine la conclusion d'un r�glement amiable du diff�rend. D'apr�s M. Porter, il se pourrait que, si les deux gouvernements ne r�ussissent pas � se mettre d'accord, l'affaire f�t soumise � un arbitrage.

N�crologie.--M. J. J. Weiss, homme de lettres.

M. Champigny, pr�sident du tribunal de Meaux.

M. Jean Pierre Bonafont, m�decin principal des arm�es de terre.

Le g�n�ral de division Charles-Claude Munier.

M. Adrien du Sommerard, ancien directeur du Cr�dit foncier de France, descendant du fondateur du Mus�e de Cluny.

Le po�te proven�al Joseph Roumanille.



LES LIVRES NOUVEAUX

Cinq ann�es de s�jour aux �les Canaries, par le docteur R. Verneau, ouvrage couronn� par l'Acad�mie des sciences. (A. Hennuyer, �dit., 1 vol in-8, gr. pl. et cartes.)--Faut-il voir dans les Canaries l'Atlantide de Platon, les Gorgades d'H�siode, les Hesp�rides de Diodore de Sicile? On l'a pr�tendu. Mais Platon, H�siode, Diodore, croyaient-ils bien eux-m�mes � l'existence de ces mythiques r�gions dont le si�ge reculait toujours devant les progr�s de la g�ographie? Ce qui parait probable, c'est que Pline et Ptol�m�e connurent les Canaries et en firent les Iles Fortun�es; ce qui est certain, c'est qu'elles furent authentiquement d�couvertes et acquises � la carte du monde, au treizi�me si�cle, par un Fran�ais, devenu G�nois, Lancelot Maloisel, qui a laiss� son nom � l'une des �les, Lancelotte; c'est que leur premier conqu�rant fut un baron normand, Jean de B�thencourt, qui s'en fit donner, en 1402, l'investiture par le roi de Castille, et dont les h�ritiers furent d�pouill�s un demi-si�cle plus tard. Depuis lors, l'Espagne n'a cess� de les poss�der. Sept �les constituent l'archipel canarien: Lancerotte, Fortaventure, la Grande Canarie, la Gom�re, la Palme, l'�le-de-Fer. Pendant cinq ann�es, le docteur Verneau les a parcourues dans tous les sens, en sa multiple qualit� de m�decin, de g�ologue, d'anthropologiste, de g�ographe; sans parler ici du r�sultat scientifique de ses recherches, ce qui ressort de la lecture de son livre, c'est que les Canariens n'ont rien de sauvage, que leur hospitalit� est affable, que leur climat est doux. Pourquoi l'Europe poitrinaire n'irait-elle pas, comme le propose l'auteur, y cr�er des stations hivernales? De Bordeaux, il n'y a que 3,000 kilom�tres!

L. P.


Id�al, par Mme Marthe Sti�venart. 1 vol. in-12. 3 fr. (Alphonse Lemerre). Est-ce un retour vers l'id�al qui se traduit par les chants des po�tes? Est-ce une protestation isol�e et courageuse contre des tendances dont le but n'est que trop conforme au r�sultat, et qui nous rabaissent au niveau de v�ritables brutes dont l'intelligence est au service de leurs sens? Protestation, � coup s�r, mais pas isol�e, croyons-nous, et signe de ce retour dont les gens trop bien intentionn�s veulent aussi trouver la preuve dans les manifestations confuses des symbolistes et des d�cadents. Avec l'auteur d'id�al nous n'avons pas � craindre une manifestation de ce genre. Nous avons de la po�sie claire et parfaitement compr�hensible, des sentiments tout unis qui n'en sont pas moins forts, d'autant plus forts qu'ils sont accessibles � tous. Comme il le dit, ses vers il les a �crits tout simplement avec son cœur. Et il se demande si cela est bien prudent. Eh bien, oui, nous croyons pouvoir le rassurer, ou la rassurer, puisque l'auteur est une femme: Id�al sera tr�s bien accueilli par un public las du r�alisme et du naturalisme, comme il m�rite de l'�tre par tous ceux qui restent persuad�s que c'est encore au fond du cœur que g�t la meilleure source de po�sie.

L. P.


Bas-bleus, par Albert Cim. 1 in-12, 3 fr. 50. (Savine, �diteur).--Quelqu'un qui ne m�nage pas les femmes de lettres, c'est notre confr�re Albert Cim, car il ne faut pas s'attendre � trouver dans Bas-bleus un dithyrambe en leur honneur. Bien plut�t prendrait-il pour �pigraphe le mot de R�tif de la Bretonne, qu'il cite d'ailleurs: �La femme de lettres, c'est la femme monstre�, ou celui de Sainte-Beuve: �La femme qui se fait auteur, si distingu�e quelle soit, et m�me plus elle l'est, perd son principal charme qui est d'�tre � un et non � tous�. La satire de son livre est impitoyable, et nous voyons d'ici se former contre lui toute une ligue de bas plus ou moins bleus et d'un bleu plus ou moins tendre. Il nous montre d'ailleurs qu'il sait � quoi s'en tenir, mais surtout qu'en fait d'am�nit�s, c'est vis-�-vis les unes des autres que les femmes de lettres sont le moins en reste. Tr�s document�, comme on dit, et vif de forme, le roman de M. Albert Cim vient � son heure, lorsque la question du r�le de la femme dans la soci�t� pr�occupe le plus les esprits et que nous sommes expos�s � un danger beaucoup plus grand que la femme bas-bleu, � la femme savante.

L. P.


La confession d'un amant, par Marcel Pr�vost, 1 in-12, 3 fr. 50 (Alph. Lemerre, �diteur).--C'est � M. Alexandre Dumas, ce grand directeur de conscience litt�raire, que M. Marcel Pr�vost a d�di� son volume, et le confesseur �tait bien choisi, car il a parl�, r�pondu, et, comme la confession �tait faite � haute voix, la voix du directeur s'est aussi fait entendre urbi et orbi, comme il convient � un grand �v�que de lettres. C'est pour M. Pr�vost une bonne fortune, que le talent justifie. Tout le monde a lu maintenant le livre favoris� d'une critique si haute et l'analyse en serait superflue. L'action, d'ailleurs, en serait vite cont�e. L� n'est pas son int�r�t, mais dans l'�tude du sentiment dans une �me neuve, un peu craintive, qui s'abandonne et se retire, aime dans la douleur et souffre dans la joie, � la recherche d'un id�al qu'elle s'effraie d'effleurer... Au fond, beaucoup de m�lancolie, une sentimentalit� maladive; mais, � la fin, la gu�rison, puisque la confession finit sur une r�solution virile bannissant les �motions de l'amour �go�ste, pour la vie de sacrifice et les joies de l'action, pour la piti� active et l'effort utile.

L. P.


M. P. Farine, avocat � la Cour d'appel, vient de publier � la librairie Marpon et Flammarion une nouvelle �dition de son: Guide du divorce, de la s�paration de corps et de la s�paration de biens. L'ouvrage a obtenu un grand succ�s � l'apparition, preuve qu'il a sa raison d'�tre et son utilit�. La nouvelle �dition qui para�t aujourd'hui a �t� remani�e, augment�e, et mise au courant de toutes les d�cisions que la jurisprudence a apport�es sur cette question � peu pr�s neuve en France.

Dans la Biblioth�que des Grands �crivains fran�ais (Hachette), � lire le Bernardin de Saint-Pierre, par Arv�de Barine, un livre d'une tr�s fine analyse et d'une grande �l�gance de style. L'hommage �tait bien d� � cet �crivain un peu oubli� de ses successeurs de lettres qui lui doivent tant, mais vivant encore aupr�s de ce public bien autrement fid�le, le peuple, qui n'oublie jamais ce qui l'a profond�ment touch� et � ce titre conservera la m�moire �ternelle de Paul et de Virginie.




LE VOYAGE DU PR�SIDENT DE LA R�PUBLIQUE.

Le voyage du pr�sident de la R�publique dans le Sud-Ouest a conserv� jusqu'au bout son caract�re d'enthousiaste cordialit�. Nous ne pouvons relever ici tous les �pisodes de cette excursion si int�ressante � tous �gards; contentons-nous de souligner les sc�nes qui avaient, � c�t� de leur signification patriotique, un cachet de pittoresque tout particulier.

D'abord, � Toulouse, au moment o� le cort�ge pr�sidentiel est arriv� devant l'arc-de-triomphe des gymnastes. La foule accourue de toutes parts, pour rendre hommage au chef de l'�tat, se tenait dans les rues et les places trop �troites pour une telle affluence. Et rien n'�tait plus joli que la vue des gymnastes agiles accrochas de tout c�t�s � l'arc-de-triomphe lui-m�me: c'�taient de v�ritables grappes humaines qui formaient, autour du monument, de singuliers festons.

Nous arrivons � Pau. M. Carnot a couch� au ch�teau qui garde le souvenir d'Henri IV; il a dormi dans la chambre m�me de Jeanne d'Albret, la m�re du B�arnais. Les populations d'alentour viennent lui souhaiter la bienvenue pendant son s�jour rapide. Voici la d�l�gation de la vall�e d'Ossau que l'on se montre avec curiosit�. Ils sont vraiment curieux � voir ces montagnards r�bl�s, � l'œil vif, � la d�marche fi�re. Un jeune gar�on, rev�tu lui aussi du costume national, se d�tache du groupe et offre � M. Carnot deux charmants petits sabots couverts de cuir noir, dans une bo�te en velours rouge.


LES F�TES UNIVERSITAIRES DE LAUSANNE

Lausanne, la vieille cit� vaudoise si pittoresquement assise au penchant des derniers contreforts du mont Jorat, conviait la semaine derni�re � une r�union toute internationale les plus c�l�bres repr�sentants du haut enseignement en Europe, et la brillante jeunesse des �tudiants suisses et �trangers. Il s'agissait de f�ter dignement la transformation de son Acad�mie en Universit�, et si le soleil, premier invit� aux r�jouissances, a mis peu d'empressement � r�pondre aux pressantes sollicitations qui lui ont �t� faites, il n'en a pas �t� de m�me des professeurs et �tudiants �trangers qui se sont rendus en tr�s grand nombre � ces solennit�s: l'accueil si cordial qui leur a partout �t� fait leur laissera pour longtemps un charmant souvenir de l'hospitalit� suisse.

Le lundi tous les professeurs et �tudiants, arriv�s de la veille, assistaient � un service religieux d'inauguration dans la vieille cath�drale, et se formaient ensuite en cort�ge pour se rendre au th��tre o� devaient �tre prononc�s les discours officiels. Peu apr�s les invit�s prenaient place � un grand banquet organis� � la Grenette, halle aux bl�s qui, pour la circonstance, avait �t� agrandie d'une tente pavois�e aux couleurs f�d�rales et cantonales.

Rien aussi n'�tait plus pittoresque que l'aspect de la place Montbenon le lendemain, au moment o� 2,000 enfants des diff�rents pensionnats et �coles de Lausanne, group�s sur les degr�s et sur une estrade devant le beau monument du tribunal f�d�ral, unissaient leurs voix fra�ches et argentines pour chanter la cantate Pestalozzi. Enfin, un des clous de cette f�te a �t� la promenade sur le Haut-Lac � l'aide de trois grands bateaux qui transport�rent � Montreux tous les invit�s.

La f�te v�nitienne du soir sur le lac et le d�jeuner champ�tre du lendemain ont �t� gravement compromis par le mauvais temps, mais la belle humeur des �tudiants n'a pas une minute abdiqu� devant le d�sesp�rant ent�tement du ciel et l'on peut, dire que les f�tes universitaires de Lausanne resteront pour ceux qui les ont vues un des meilleurs parmi les bons souvenirs qu'on classe soigneusement dans sa m�moire; personne n'oubliera chez nous les marques de profonde sympathie et de franc enthousiasme qui ont accueilli partout le nom fran�ais dans ce petit pays de la libert�.

M. J.-J


LA GR�VE DES EMPLOY�S D'OMNIBUS

Cela ne faisait de doute pour personne: une gr�ve guid�e par des cochers et conduite par des conducteurs de profession devait rouler � fond de train. En 48 heures, en effet, sans cahots, elle arrivait � destination, la Compagnie seule, peut-�tre, un peu malmen�e le long du chemin.

Montrons-en d'abord les acteurs: le cocher r�glementaire et le conducteur.

Le conducteur a l'air perplexe; quant au cocher, regardez-le, son bout de cigare � la bouche, l'attitude bonasse, mais l'œil malin; lui, il se sait le pivot de la gr�ve, irrempla�able; il a le permis, lui, sans lui pas d'omnibus possible! et moi, a-t-il l'air de dire, moi, on ne m'aura qu'avec des concessions; on-ne-me-rem-pla-ce-ra-pas!

Et de fait il a raison, voyez son rempla�ant, le cocher improvis�; non vraiment, ce n'est pas �a et franchement, je vous le demande, confieriez-vous votre t�te et vos trois sous � un pareil guide? Poser la question, c'est la r�soudre.

Il faut maintenant d�truire une l�gende: on a parl� d'encombrement, de files innombrables de gens furieux attendant en maugr�ant devant les bureaux d'omnibus, de Paris troubl�, que sais-je encore! Eh bien, de tout �a, regardez notre dessin et voyez ce qu'il en reste. Ne se croirait-on pas revenu au temps de l'Exposition universelle, o� les carrioles et tapissi�res suppl�aient au service des omnibus absolument insuffisant? Voyez: tout y est, l'inscription � la craie sur les panneaux, ou au charbon sur la tente blanche, tout, jusqu'au gamin du premier plan qui nous assourdit de son cri: Montrouge! Montrouge! comme jadis: Exposition! Exposition! Et comme jadis on s'entasse en riant. Trop spirituel le Parisien pour se f�cher.

Voulez-vous maintenant la note triste? Voyez, sur le boulevard S�bastopol, ces quatre grands d�bris qui se consolent entre eux.

Quatre voitures de tramways d�tel�es, abandonn�es sur la voie publique, m�lancoliques et tristes: elles regardent l'espace devant elles de leurs lanternes comme de deux grands yeux vides, et ne voient pas de chevaux venir; c'est en vain que leurs timons se dressent, en l'air comme des bras �plor�s se tendant vers la force publique qui, sous la forme de deux agents, les garde; ils ne rencontrent partout que l'indiff�rence et l'abandon, malheureuses victimes de la gr�ve qui ont pay� les pots... je veux dire les vitres cass�es.

A la Chapelle c'est un autre tableau: on pourrait l'appeler le cauchemar d'un actionnaire. L'omnibus est d�tel�, sans chevaux, mais il marche, gr�ce � la pente, omnibus-fant�me, sans voyageurs, sans conducteur, avec l'imp�riale bond�e de cochers en gr�ve qui ont voulu s'offrir le r�gal de jouer au voyageur.

Au fond de tout cela qu'y a-t-il en d�finitive? Une gr�ve s�rieuse qui s'est gaiement d�roul�e, non sans quelque bruit, devant un public plut�t sympathique qu'indiff�rent, qui a enfin eu cette originalit�, ayant �t� faite par des hommes, de profiter d'abord � des animaux.

Voyez-les, � l'�curie, s'en donner � cœur joie: � vous les ruades, bienheureux chevaux, de l'avoine � discr�tion et rien � faire, n'est-ce pas l�, pour vous, le comble du bonheur?


L'ACCIDENT DE VENETTE

Vendredi dernier, vers 10 h. 1/2 du matin, une petite embarcation � vapeur, de plaisance, le Ryssel, sous la conduite d'un pilote et d'un m�canicien, descendait l'Oise, un peu au dessous de Compi�gne. Il y avait � bord sept personnes, dont quatre dames; tout le monde ignorait qu'� Venelle, � 1,500 m�tres environ en aval de Compi�gne, se trouve un barrage contigu � l'�cluse. Ce barrage, tr�s visible de l'aval de la rivi�re dans laquelle il produit une chute de 2 m., est au contraire invisible de l'amont, ou, du moins, ne peut se voir que lorsqu'on en est tr�s rapproch�. Aucun ouvrage ext�rieur, aucun signal n'en indique d'ailleurs la pr�sence.

Aussi le Ryssel arrivait-il, confiant, sur le barrage de toute la vitesse de sa machine, accrue encore par la rapidit� du courant. Les riverains, voyant le danger, poussaient de grands cris qui ne furent pas compris, et ce n'est qu'� une dizaine de m�tres du barrage que le pilote aper�ut l'obstacle.

A ce moment, la catastrophe �tait in�vitable; peut-�tre pouvait-elle �tre att�nu�e par une manœuvre hardie, c'est-�-dire en conservant toute sa vitesse et attaquant le barrage tout, droit; le Ryssel pouvait r�ussir, gr�ce � son faible tirant d'eau, � escalader la cr�te du barrage sur les 10 ou 50 centim�tres d'eau qui la couvrent; au contraire, le m�canicien renversa la marche et le pilote poussa toute la barre d'un bord; le bateau se mit en travers, le courant le dressa sur le barrage, le renversa par dessus, en semant sa cargaison humaine, neuf personnes en tout, qui, pr�cipit�es dans le rapide, roul�es, contusionn�es, furent entra�n�es au loin, et pour la plupart noy�es avant qu'on put leur porter secours. Trois personnes seulement, Mme A. Cr�py et R. Bommart, et M. G. Toussin, furent sauv�es.


LE TORPILLEUR �EDMOND-FONTAINE�

L'Edmond-Fontaine �tait un torpilleur de haute mer de 41 m�tres de longueur, d�pla�ant 66 tonnes et mont� par un �quipage de 21 hommes. Il a coul� dans la nuit du 6 au 7 mai, � l'entr�e de Cherbourg, au cours d'un simulacre d'attaque de la division cuirass�e de la Manche contre ce port, qui �tait d�fendu par six torpilleurs de la d�fense mobile. Cette fois, c'est aveugl� par la lumi�re �lectrique d'un cuirass�, le Surcouf, que le torpilleur, qui appartenait � la division assaillante, a �t� abord�.

Tout le monde sait l'impression que l'on ressent lorsqu'on passe de l'obscurit� � une lumi�re �blouissante. Il faut alors quelques minutes pour que la r�tine per�oive les objets qu'elle distingue tr�s bien en temps ordinaire. On con�oit donc que si le projecteur �lectrique d'un cuirass� frappe � l'improviste un torpilleur, il aveugle compl�tement le capitaine et l'homme de barre. C'est ce qui est arriv� pour l'Edmond-Fontaine. Or, celui-ci �tait lanc� � toute vitesse, et lorsque le capitaine a pu se rendre compte de sa position, il reconnut que son unique et tr�s probl�matique chance de salut �tait de passer � l'avant du cuirass�, qui faisait machine en arri�re. C'�tait l� une manœuvre hardie et qui a failli r�ussir � quelques secondes pr�s. Malheureusement le torpilleur ne put franchir compl�tement l'obstacle, et son arri�re fut atteint.

L'Edmond-Fontaine a coul� par 13 m�tres d'eau � mer basse. On vient de le ramener � terre, et notre dessin montre les graves avaries qu'il a subies.



                                        M. J.-J. WEISS

J.-J. WEISS.

J.-J. Weiss vient de mourir dans sa paisible retraite de Fontainebleau, loin de la politique, au milieu des livres. Ceux-ci l'ont consol� des d�ceptions de celle-l�.

Weiss se pr�parait � l'�cole de Saint-Cyr quand de brillants succ�s dans les lettres, un prix d'honneur de philosophie au concours g�n�ral, d�termin�rent sa v�ritable vocation. Il entra � l'�cole normale sup�rieure. Il arrivait � la vie active sous le second empire, au moment du r�veil des id�es lib�rales. Il prit part aux luttes que l'opposition entreprenait dans le Courrier du Dimanche, dans le Journal de Paris, contre le r�gime de 1852. Aussi, lorsque les id�es de lib�ralisme l'emport�rent dans les conseils du gouvernement, Weiss fut nomm� secr�taire g�n�ral du minist�re des Beaux-Arts.

La R�volution du 4 septembre vint clore brusquement ce r�ve de fonctionnarisme � peine esquiss�. Mais l'Assembl�e nationale fit de Weiss un conseiller d'�tat.

Gambetta, qui voulait que la R�publique accueillit tous ceux qui honoraient la patrie sans leur demander un passeport d'origine, prit Weiss comme directeur des affaires politiques, � son arriv�e au minist�re des affaires �trang�res. Les radicaux reproch�rent vivement � Gambetta cette marque d'intelligent �clectisme: ils n'eurent pas � la reprocher longtemps.

Rendu � la litt�rature, Weiss a re�u, il y a trois ans, le viatique des litt�rateurs que les caprices de la chance n'ont point favoris�s: une place de biblioth�caire. Il en a v�cu ses derniers jours.

Nous devons � l'obligeance de l'�diteur de la partition du Cœur de Sita le morceau de musique que nous publions aujourd'hui. La valse lente est une des plus charmantes pages que M. de Sivry ait �crite pour le ballet que l'�den-Th��tre repr�sente en ce moment avec succ�s.



ANIE

Roman nouveau, par HECTOR MALOT

Illustrations d'�MILE BAYARD

Suite.--Voir nos num�ros depuis le 21 f�vrier 1891.


Cependant, si l'avenir �tait assur�, le pr�sent n'en �tait pas moins assez difficile, et quand, au milieu des embarras contre lesquels il avait � lutter chaque jour, survenait une demande de plus de soixante mille francs, � laquelle il fallait faire droit sans retard du jour au lendemain, il ne le pouvait que par un nouvel emprunt.

Ce fut ce qu'il expliqua � son gendre en se rendant chez le notaire, et, comme Sixte confus exprimait tout son chagrin du trouble qu'il apportait dans sa vie si tranquille, il ne permit pas que la question se pla��t sur ce terrain.

--Je vous ai dit, mon cher enfant, que je vous consid�rais comme copropri�taire de l'h�ritage de Gaston. Ce n'�tait pas l� un propos en l'air, un engagement vague qu'on prend dans l'esp�rance de ne pas le tenir. Je ne veux donc pas de vos excuses. Et m�me j'ajoute que jusqu'� un certain point je ne suis qu'� moiti� f�ch� de ce qui arrive, puisque cela me permet de vous prouver la sinc�rit� de ma parole.

--Je n'avais pas besoin de cela.

--J'en suis certain. Mais, puisque les choses sont ainsi, il vaut mieux les envisager � ce point de vue, et ne consid�rer que le rapprochement que cet incident am�nera entre nous.

--Vous �tes trop bon pour moi, mon cher p�re, trop indulgent.

--Qui peut sonder l'entra�nement auquel vous avez c�d�!

Il le sondait au contraire parfaitement, cet entra�nement, qui chez Sixte �tait un fait d'h�r�dit�. Est-ce que Gaston n'avait pas plus d'une fois subi cette ivresse du jeu, lui d'ordinaire si calme, si ma�tre de soi? Quoi d'�tonnant � ce que Sixte la subit � son tour? Tel fils, tel p�re. S'il �tait heureux que sur beaucoup de points Sixte ressembl�t � Gaston, il fallait accepter la ressemblance compl�te, celle pour le mauvais comme celle pour le bon, celle pour les d�fauts comme celle pour les qualit�s. En tout cas, il y avait cela d'heureux dans cette aventure, qu'elle s'�tait produite avant que Sixte e�t trouv� le testament de Gaston. Que serait-il arriv�, et jusqu'o� ne se serait-il pas laiss� entra�ner, si cette f�cheuse partie s'�tait engag�e quelques mois, quelques semaines plus tard, alors que, se sachant seul l�gataire de la fortune de Gaston, il n'aurait point �t� retenu par l'inqui�tude d'avoir � demander la somme qu'il perdrait? Tandis que, dans les circonstances pr�sentes, cette perte pouvait, et m�me, semblait-il, devait �tre une le�on pour l'avenir, celle dont profite le chat �chaud�; il se souviendrait.

R�b�nacq n'avait pas les soixante-cinq mille francs chez lui, mais il promettait de les verser d�s le lendemain � Bayonne; seulement, au lieu de pouvoir faire un emprunt au Cr�dit Foncier et de b�n�ficier de conditions mod�r�es, il faudrait subir la loi d'un pr�teur dur, qui profiterait des circonstances pour exiger un int�r�t de cinq pour cent, avec premi�re hypoth�que sur la terre d'Ourteau tout enti�re, non seulement pour cette somme de soixante-cinq mille francs, mais encore pour celles pr�c�demment emprunt�es par Barincq, c'est-�-dire pour un total de cent-dix mille francs, de fa�on � �tre seul cr�ancier.

Comme il n'y avait pas moyen d'attendre, il fallut bien en passer par l�, et, de nouveau, Sixte en revenant au ch�teau exprima � son beau-p�re toute sa d�solation de l'entra�ner dans des affaires si p�nibles.

--Laissez-moi vous dire que je consid�re ces sacrifices que je vous impose comme un pr�t, dont je vous demande de vous rembourser en diminuant de dix mille francs tous les ans la pension que vous nous servez.

--Vous n'y pensez pas, mon cher enfant.

--J'y pense beaucoup, au contraire, et je suis s�r que ma femme se joindra � moi pour vous demander qu'il en soit ainsi; cette suppression ne sera pas une privation bien dure pour nous, et elle sera une le�on utile pour moi.

--Ne parlons pas de �a.

--Et moi je vous prie de me permettre d'en parler.

--Non, non, dix fois non. Je sais, je sens pourquoi vous me faites cette proposition, que j'appr�cie comme elle le m�rite, croyez-le; c'est votre r�ponse au langage que ma femme vous a tenu tout � l'heure. Je comprends qu'il vous ait bless�, profond�ment pein�... Mais persister dans votre id�e serait montrer une rancune peu compatible avec un caract�re droit comme le v�tre. Voyez-vous, mon ami, quand il s'agit de gens d'un certain �ge, c'est d'apr�s ce qu'ils ont souffert qu'on doit les juger, et vous savez que pour tout ce qui est argent la vie de ma femme n'a �t� qu'un long martyre.

--Soyez certain que je n'en veux pas � Mme Barincq; elle n'avait que trop raison dans ses reproches.

--Ce qui n'emp�che pas qu'elle e�t mieux fait de les taire, puisqu'ils ne servaient � rien.

Bien que Sixte n'en voulut pas � sa belle-m�re, il n'en persista pas moins dans son id�e de rembourser ces soixante-cinq mille francs au moyen d'une retenue sur la pension qu'on leur servait. Ce fut ce qu'il expliqua le soir � sa femme en rentrant � Bayonne.

--Tu serais le mari pauvre de Mlle Barincq riche, dit-elle, que je trouverais tes scrupules exag�r�s, tu comprends donc que je ne peux pas partager ceux d'un mari riche, qui a �pous� une fille pauvre, et qui n'aurait qu'un mot � dire pour prendre ce qu'il veut bien demander. Mais, enfin, il suffit que tu tiennes � ce remboursement pour que je le veuille avec toi. Je t'assure que d�penser dix mille francs de plus ou de moins par an est tout � fait insignifiant pour moi: nous nous arrangerons pour faire cette �conomie.

En rentrant, Sixte trouva une lettre de d'Arjuzanx arriv�e en leur absence, et il la donna tout de suite � lire � sa femme:

�Mon cher camarade,

�Je pars pour Paris, d'o� je ne reviendrai que dans huit jours; ne te g�ne donc en rien pour moi; prends ton temps, ces huit jours et tous ceux que tu voudras. Amiti�s,

�D'Arjuzanx�

--Tu vois, dit Sixte.

--Quoi?

--Que d'Arjuzanx n'est pas ce que tu crois.

--Je vois que cet ami a jou� contre toi d'autant plus gros jeu que tu �tais moins en veine.

--A sa place tout joueur en e�t fait autant.

--Donc, c'est en joueur qu'il faut le traiter, non en ami.


VIII

En faisant cette observation, Anie avait une intention secr�te, qui �tait d'envoyer tout simplement au baron les soixante-cinq mille francs, le jour de son retour � Biarritz. Mais Sixte n'accepta pas cette combinaison:

--En me pr�tant vingt-cinq mille francs d'Arjuzanx a agi en ami, dit-il, � ce titre je lui dois des �gards, auxquels je manquerais en lui envoyant s�chement son argent.

Il n'y avait pas � r�pliquer; tout ce qu'elle put obtenir, ce fut que Sixte, au lieu d'aller � Biarritz dans la soir�e, y all�t dans l'apr�s-midi, avant le d�ner, ce qui abr�gerait sa visite.

Il n'�tait pas cinq heures quand Sixte arriva chez d'Arjuzanx qu'il trouva assis devant une table d'�cart�, ayant pour vis-�-vis un des Russes avec lequel il avait d�n� huit jours auparavant; deux des convives de ce d�ner �taient assis pr�s d'eux.

Ce fut seulement quand d'Arjuzanx quitta sa chaise que Sixte put l'attirer dans une pi�ce voisine.

--Je t'apporte ce que je te dois, dit-il.

Et il d�posa sur une table plusieurs liasses de billets de banque qu'il tira de sa poche gonfl�e.

--Qu'est-ce que c'est que tout �a? demanda d'Arjuzanx.

--Les soixante-cinq mille francs que je te dois.

--Tu me dois vingt-cinq mille francs que je t'ai pr�t�s.

--Et quarante mille que tu m'as gagn�s.

D'Arjuzanx prit trois liasses, deux grosses et la plus petite, les mit dans la poche de son veston et repoussa les autres.

--Reprends cela, dit-il.

Sixte le regarda �tonn�.

--As-tu pu penser que j'accepterais ces quarante mille francs? dit d'Arjuzanx.

--Tu me les as gagn�s.

--Et j'ai eu tort. Un emballement de joueur m'a troubl� la conscience. J'ai subi le vertige du gain comme toi tu subissais celui de la perte. Mais, le calme me revenant, je me suis reproch� ces quelques instants d'erreur.

--Tu ne peux pas me faire un cadeau, qu'il ne m'est pas possible d'accepter.

--Je n'en ai pas la pens�e; mais tu peux me regagner ce que tu as perdu et nous serons quittes. N'est-ce pas ainsi que les choses se sont pass�es entre nous, quand au coll�ge je t'ai gagn� cent vingt francs que tu aurais eu plus de peine � trouver � ce moment, sans doute, que tu n'en as maintenant pour ces quarante mille francs. Je t'ai donn� alors ta revanche. Faisons-en autant.

--C'est impossible.

--Pourquoi?

--Parce que...

D'Arjuzanx lui coupa la parole:

--Tu sais que je suis obstin�, dit-il, je me suis mis dans la t�te que je ne prendrais pas ton argent, je ne le prendrai pas.

Et, le laissant seul, d'Arjuzanx retourna dans le salon.

Sixte remit les liasses dans sa poche et rejoignit d'Arjuzanx; la discussion ne pouvait pas se continuer dans ces termes, il lui enverrait les quarante mille francs par un ch�que.

Pendant leur entretien d'autres convives du d�ner de la semaine pr�c�dente �taient arriv�s, entre autres de la Vigne, la partie continuait.

Pendant un certain temps Sixte resta debout aupr�s de la table regardant le jeu machinalement, ayant en face de lui d'Arjuzanx debout aussi; puis il fit un pas en arri�re pour s'en aller discr�tement; mais � l'instant m�me d'Arjuzanx, qui avait vu son mouvement, l'interpella:

--Fais-tu vingt-cinq louis contre moi? dit-il.

Sixte eut une seconde d'h�sitation; une nouvelle partie commen�ait, les adversaires allaient relever les cartes donn�es; Sixte crut sentir que tous les regards ramass�s sur lui l'interrogeaient.

--Pourquoi non? dit-il.

Au fait, pourquoi n'accepterait-il pas la revanche que d'Arjuzanx lui offrait? Cinq cents francs, s'il les perdait, n'�taient pas pour le g�ner, et s'il les gagnait, ce serait un commencement de remboursement; quelques coups heureux abr�geraient d'autant les mois de privation qu'il allait imposer � sa femme.

Il perdit.

--Quitte ou double, n'est-ce pas? dit d'Arjuzanx.

--Soit.

Il perdit encore.

Si cinq cents francs n'avaient pas grande importance pour lui, il n'en �tait pas de m�me de mille; il fallait donc t�cher de les regagner.

--Nous continuons? dit-il.

--Avec plaisir, continua d'Arjuzanx.

--Sixte va s'emballer, dit de la Vigne � son voisin.

--C'est fait.

En effet, il n'�tait pas difficile de remarquer, pour qui connaissait les joueurs, les changements caract�ristiques qui de seconde en seconde se produisaient en lui: tout d'abord, quand d'Arjuzanx l'avait interpell�, il avait rougi comme sous une impression de fausse honte, puis instantan�ment p�li en r�pondant: �Pourquoi non?� maintenant cette p�leur s'�tait accentu�e, ses l�vres fr�missaient et ses mains �taient agit�es d'un l�ger tremblement; pench� sur la table de jeu, il semblait qu'il pr�t avec ses yeux les cartes dans les mains de celui qui les tenait, et les abatt�t lui-m�me, exactement comme au cochonnet le joueur accompagne de la t�te, des �paules et des bras, par un mouvement symbolique, la boule qui roule.

Les cartes n'ob�irent point � cette suggestion magn�tique; pour la troisi�me fois elles furent contre lui.

�videmment la veine devait changer.

--Toujours? demanda-t-il.

--Parbleu!

Il gagna.

Raisonnable, il eut d� s'en tenir l�, heureux d'en �tre quitte ainsi; mais quel joueur �coute la raison quand il voit la fortune lui sourire! ne serait-il pas fou de la repousser si elle venait � lui?

--Continuons-nous? demanda-t-il.

--Tant que tu voudras.

--Cent louis?

--Tout ce que tu voudras.

Il gagna encore.

D�cid�ment la chance �tait pour lui; son heure avait sonn�: encore quelques coups et il pouvait rendre � sa belle-m�re cet argent qu'il lui avait �t� si dur de demander.

--Doublons-nous? dit-il.

--Assur�ment, r�pondit d'Arjuzanx.

La p�leur de Sixte avait disparu sous l'afflux d'une bouff�e de chaleur qui du cœur �tait mont�e au front et aux joues; il respirait plus largement, ses mains ne tremblaient plus.

On s'�tait group� autour d'eux; et chacun �tait plus attentif � leur duel qu'� la partie elle-m�me, insignifiante compar�e � leurs paris.

--Le baron voudrait perdre expr�s qu'il ne s'y prendrait pas autrement, dit de la Vigne � son voisin.

--Croyez-vous?

Qu'il le voulut ou ne le voul�t point, toujours est-il que d'Arjuzanx perdit encore.

--Je crois bien que tu as pass� un engagement avec la veine, dit-il � Sixte.

A ce moment un domestique entra dans le salon.

--Il est entendu que vous restez � d�ner, dit d'Arjuzanx en s'adressant � Sixte et � de la Vigne en m�me temps.

Ils voulurent refuser.

--Sixte, d�cide M. de la Vigne par ton exemple, dit d'Arjuzanx, et vous, M. de la Vigne, gagnez Sixte par le v�tre.

On insista de divers c�t�s.

D'Arjuzanx avait ouvert un petit bureau:

--Voici ce qu'il faut pour �crire, dit-il, on portera imm�diatement vos d�p�ches au t�l�graphe.

D�j� de la Vigne avait pris place au bureau; quand il quitta la chaise, Sixte le rempla�a:

�Retenu � d�ner avec de la Vigne; � ce soir.

�Valentin.�

Comme il remettait sa d�p�che � d'Arjuzanx, celui-ci lui dit:

--Crois-tu maintenant qu'en refusant d'accepter ton argent j'avais le pressentiment que tu me le reprendrais bient�t? �a me semble bien vouloir recommencer notre fameuse partie du coll�ge de Pau.

Cette insistance frappa Sixte; pourquoi donc d'Arjuzanx mettait-il un empressement si peu d�guis� � le pousser au jeu?

Ce fut la question qu'il se posa: d'Arjuzanx voulait-il lui infliger une nouvelle perte? ou bien, honteux de la somme qu'il avait gagn�e, ne cherchait-il que des occasions de la perdre?

C'�tait de cette fa�on qu'il avait agi autrefois au coll�ge; pourquoi n'en serait-il pas de m�me maintenant? rien en lui ne permettait de supposer qu'il f�t devenu un homme d'argent, �pre au gain, capable d'employer des moyens peu loyaux � l'�gard d'un camarade. N'avait-il pas reconnu lui-m�me qu'il �tait dans son tort en subissant une sorte de vertige qui le faisait jouer gros jeu contre un ami malheureux?

Cependant, quoi qu'il se dit, il ne put pas pendant le d�ner ne pas regretter de n'�tre pas rentr� � Bayonne, et ne pas trouver bien nulle, bien vide, la conversation de ses voisins: assur�ment cette salle � manger ne le reverrait pas souvent; qu'il s�t profiter de sa soir�e pour regagner une partie de ce qu'il avait si b�tement perdu huit jours auparavant, et elle serait la derni�re qu'il passerait dans cette maison. S'il vivait retir� quand il �tait gar�on, ce n'�tait pas maintenant qu'il avait un int�rieur si charmant avec une femme jeune, jolie, intelligente, ador�e, qu'il allait l'abandonner pour ces r�unions banales.

Bien qu'il n'e�t pas l'exp�rience du jeu, il savait, pour l'avoir entendu dire, de quelle importance est un r�gime s�v�re pour le joueur; ce n'est pas quand on est congestionn� par une digestion difficile ou �chauff� par des vins largement d�gust�s, qu'on est ma�tre de soi, et qu'on garde en pr�sence d'un coup d�cisif la s�ret� du jugement ou le calme de la raison; or, dans la partie qu'il voulait engager pour profiter de la veine qui semblait lui revenir, il fallait qu'il e�t tout cela, et ne subir pas plus l'influence de son cerveau surexcit� que de son estomac trop charg�; il mangea donc tr�s peu et but encore moins, malgr� l'insistance de d'Arjuzanx dont l'amabilit� ne r�ussit pas mieux que la raillerie � l'arracher � sa sobri�t�.

Quand de la salle � manger on passa dans le salon, il ne s'approcha pas tout d'abord des tables de jeu qui avaient �t� pr�par�es: une grande pour le baccara, deux petites pour l'�cart�; il voulait choisir son moment et ne pas commettre les folies de ceux qui courant apr�s leur argent se jettent � l'aveugle dans la m�l�e. C'�tait d'un pas ferme et s�r qu'il devait y descendre; puisqu'une heureuse chance lui avait permis de rattraper trois cents louis, il devrait manœuvrer avec cette somme de fa�on � regagner ses quarante mille francs sans se d�couvrir jamais.

Comme il se tenait � la fen�tre, d'Arjuzanx vint le rejoindre:

--Tu ne me donnes pas ma revanche? dit-il.

--Est-ce que ce n'est pas � toi plut�t de me donner la mienne?

--Je suis � ta disposition.

--Tout � l'heure; le temps de finir ce cigare.

Son cigare achev� il alla r�der autour de la table de baccara, mais sans s'y asseoir; il voulait rester frais pour sa partie contre d'Arjuzanx, et, d'ailleurs, il craignait d'�puiser sa veine dans des coups insignifiants, s'imaginant, par une superstition de joueur, qu'il ne pouvait pas faire grand fond sur elle, et qu'il ne fallait pas lui demander plus d'une courte s�rie heureuse; quand il l'aurait obtenue il s'en tiendrait l�.

Enfin, une des tables d'�cart� n'�tant plus occup�e, il fit un signe � d'Arjuzanx, voulant, cette fois, tenir lui-m�me les cartes qui allaient d�cider de cette lutte.

--Combien? demanda d'Arjuzanx en s'asseyant vis-�-vis de lui.

--Veux-tu cent louis?

--Parfaitement.

En prenant ce chiffre Sixte se croyait prudent, puisque, sur les trois parties qu'il lui permettait de jouer avec son gain, il ne devait pas les perdre toutes: il pourrait se d�fendre si la chance tournait d'abord contre lui, et � un moment quelconque attraper la s�rie sur laquelle il comptait.

En prenant ses cartes Sixte eut la satisfaction de constater que ses mains ne tremblaient pas et de se sentir ma�tre de son cœur comme de son esprit: il voyait, il savait, il jugeait ce qu'il faisait.

D'Arjuzanx, au contraire, paraissait �mu, et, en le regardant, on voyait clairement qu'il n'�tait plus le m�me homme; sa nonchalance, son indiff�rence, avaient disparu et dans ses yeux noirs brillait une flamme qui leur donnait une expression de duret� que Sixte n'avait jamais remarqu�e.

Mais ce n'�tait pas le moment de se livrer � des observations de ce genre; c'�tait � son jeu comme � celui de son adversaire qu'il devait donner toute son attention.

La chance, au lieu de tourner contre lui, continua � lui �tre fid�le.

--Nous doublons, n'est-ce pas? demanda d'Arjuzanx.

--N'est-ce pas entendu?

--Alors cela est dit une fois pour toutes.

--Sans doute; au moins jusqu'� ce que nous soyons d'accord pour changer cette convention.

--Nous serons d'accord.

Lentement ils avaient relev� leurs cartes.

--J'en demande? dit d'Arjuzanx.

--J'en refuse.

D'Arjuzanx avait un jeu d�testable, Sixte le roi et la vole assur�e.

--Tu ne vas pas �tre long � regagner tes quarante mille francs, dit d'Arjuzanx.

--Je n'en serais pas f�ch�.

--Tu vois donc que j'ai bien fait de te garder � d�ner.

Quelques-uns des convives, en les voyant s'asseoir � la table d'�cart avaient quitt� le baccara qui ne se tra�nait que mis�rablement, et les entouraient, attentifs, silencieux.

A son tour d'Arjuzanx fit trois points:

--Je commence � me d�fendre, dit-il.

Cependant il perdit; mais la partie suivante fut pour lui, et ils recommenc�rent avec un enjeu de cent louis qu'il gagna de nouveau.

--Faisons-nous quitte ou double? dit-il.

Sixte eut un �clair d'h�sitation pendant lequel il se demanda si sa veine n'�tait pas �puis�e; mais, comme il avait eu quatre points contre cinq, il crut que la fortune �tait h�sitante et qu'il pouvait la retenir.

--Oui, dit-il.

Il eut encore quatre points contre cinq, et cette fois il n'h�sita pas; il �tait � d�couvert, il devait au moins s'acquitter: puisque d'Arjuzanx consentait � faire quitte ou double, il n'y avait qu'� continuer jusqu'� ce qu'il gagn�t, alors il s'arr�terait et ne toucherait plus aux cartes; il �tait d�raisonnable, impossible, absurde, contraire � toutes les r�gles d'admettre que ce coup ne lui viendrait pas aux mains; le jeu n'est-il pas une bascule r�gl�e par des lois immuables?

--Toujours, dit-il.

Maintenant tout le monde se pressait autour d'eux, mais personne ne parlait, ne les interrogeait directement, et c'�tait par des regards muets qu'on se communiquait ses impressions.

Sixte fut surpris de sentir des gouttes de sueur lui couler dans le cou et il s'en inqui�ta; �videmment il n'�tait plus ma�tre de ses nerfs; cependant il n'eut pas la force de mettre cette observation � profit; certainement l'�motion ne lui enl�verait pas son coup d'œil.

Au moins lui enleva-t-elle la d�cision: par prudence, par exc�s de conscience, il demanda des cartes et il en donna, quand il aurait d� en refuser, et jouer hardiment.

Trois parties successives, perdues avec ce syst�me, l'en firent changer: ce n'�tait pas la chance qui le battait, mais sa propre maladresse, et aussi le calme de d'Arjuzanx, attentif � se d�fendre et � profiter des fautes de son adversaire, sans que la grandeur de l'enjeu par�t exercer sur lui la moindre influence. Ne pourrait-il donc pas retrouver lui-m�me ce calme pour quelques minutes, quelques secondes peut-�tre?

Mais le changement de m�thode ne changea pas la veine, au contraire; les fautes qu'il avait commises par trop de timidit�, il les commit maintenant par trop d'audace. Et, chaque fois qu'il perdait, il r�p�tait son mot:

--Toujours.

Ceux qui �taient attentifs aux nuances pouvaient saisir dans sa prononciation une diff�rence qui en disait long sur son �tat; en m�me temps son visage et ses mains s'�taient d�color�s.

A mesure que l'enjeu grossissait, l'attitude de la galerie se modifiait: on avait commenc� par regarder ce duel avec une curiosit� recueillie; mais, maintenant, s'�chappaient de sourdes exclamations ou des gestes, qui �taient un rel�vement et une excitation pour Sixte: puisque tout le monde �tait stup�fi� de sa d�veine, cette unanimit� prouvait quelle ne pouvait pas durer: un coup heureux, et il s'acquittait.

Deux se suivirent malheureux encore, et comme Sixte r�p�tait:

--Toujours.

Pour la premi�re fois, d'Arjuzanx ne r�pondit pas:

--Parfaitement.

Il posa ses deux bras sur la table, et regardant Sixte en face:

--Comment toujours? dit-il d'une voix nette et dure.

--N'est-il pas entendu, r�pondit Sixte, que nous doublons toujours?

--Entendu jusqu'� ce que nous changions cette convention...

Il y eut un moment de silence saisissant.

--... Et j'estime, continua d'Arjuzanx, de la m�me voix nettement articul�e, que le moment est venu de la changer. O� en sommes-nous?

Il compta les jetons rang�s devant lui.

-Voil� sept parties que je gagne. Est-ce exact?

-Oui, dit Sixte la gorge �trangl�e.

-Nous avons commenc� � cent louis, qui doubl�s font quatre mille francs, puis huit mille, puis seize mille, puis trente-deux mille; puis soixante-quatre mille, puis cent trente-huit mille, et enfin deux cent soixante-seize mille o� nous sommes.

Il s'arr�ta et, du regard, parut prendre ses invit�s � t�moins de la justesse de son compte, qu'il avait fait sans aucune h�sitation; mais personne ne pensa faire un signe affirmatif, chacun �tant tout entier au drame qui se d� roulait, et qu'on sentait terrible, sans comprendre comment il s'�tait engag� et o� il allait.

--Jouons-nous comme des enfants ou comme des hommes? continua d'Arjuzanx.

Sixte ne r�pondit pas, il voyait maintenant combien �tait faux son sentiment sur les intentions de d'Arjuzanx qui, au lieu de chercher � lui faire regagner ses quarante mille francs, n'avait eu d'autre but, au contraire, que de l'entra�ner � perdre une somme beaucoup plus consid�rable; en m�me temps il �tait frapp� d'un fait, en apparence insignifiant et cependant d�cisif:--le soin que d'Arjuzanx mettait � ne pas s'adresser � lui directement, et surtout � ne pas employer le tutoiement.

Le baron reprit:

--Si notre argent n'est pas sur cette table, notre parole y est; je peux jouer cent mille francs, et m�me deux cent soixante-seize mille sur parole, non cinq cent cinquante mille, qui exc�deraient peut-�tre l'engagement qu'on pourrait tenir.

Il se tut, et chacun �vita de se regarder pour ne pas livrer ses impressions; quelques convives prudents s'�loign�rent m�me de la table, mais sans sortir du salon; de la Vigne ne fut pas de ces derniers: une place �tant libre aupr�s de son camarade, il s'avan�a pour la prendre.

Mais rien n'indiquait que Sixte dut se laisser entra�ner � un �clat; son attitude �tait plut�t celle d'un homme qui vient de recevoir un coup sous lequel il est tomb� assomm�.

Cependant, apr�s quelques secondes, il se leva:

--Il est �vident, dit-il, que je n'ai m�me pas ces deux cent soixante-seize mille francs sur moi.

--N'est-il pas admis par les honn�tes gens qu'on a vingt-quatre heures pour d�gager sa parole?


IX

Comme Sixte mettait le pied sur le trottoir dans la rue, il sentit qu'on lui prenait le bras; il se retourna: c'�tait de la Vigne.

--Comment t'es-tu laiss� entra�ner? demanda celui-ci.

Ah! comment...

--Tu n'as pas vu que c'�tait un coup mont�?

--Trop tard.

--Nous rentrons?

Sixte ne r�pondit pas.

--Nous prenons une voiture?

--Non; j'ai besoin d'�tre seul, de marcher.

--Tu descendras en arrivant � Bayonne.

--Ne me laisseras-tu pas tranquille?

--Ah!

Sixte, malgr� son d�sarroi, eut conscience de ses paroles:

--Sois assur� que j'ai �t� sensible au mouvement qui t'a fait prendre place aupr�s de moi pendant que le baron parlait!

--C'�tait naturel.

--Tu as cru � une altercation; elle �tait impossible puisqu'il �tait dans son droit, et que j'�tais, moi, dans mon tort. Merci.

Et Sixte lui tendit la main.

Cependant de la Vigne ne bougeait pas.

--Adieu, dit Sixte en s'�loignant.

Mais il n'avait pas fait trois pas qu'il s'arr�ta:

--De la Vigne!

Il revint vers son camarade.

--Tiens, dit-il en lui tendant des liasses de billets de banque.

--Qu'est-ce que c'est que �a?

--Quarante mille francs que je te prie de me garder; comme tu montes en voiture ils sont mieux dans tes poches que dans les miennes; tu me les donneras demain.

Cette fois il quitta son camarade au milieu de la rue, et de la Vigne fut abasourdi de voir qu'au lieu de se diriger vers Bayonne il prenait une direction pr�cis�ment oppos�e, comme s'il voulait gagner la c�te des Basques.

C'est qu'en effet telle �tait l'intention de Sixte; son parti �tait pris: se jeter � la mer du haut de la falaise noire et ruisselante qui, � pic, s'�l�ve au-dessus de la gr�ve.

Et, par les rues d�sertes de la ville, il descendit vers le Port-Vieux, courant plut�t que marchant, le visage fouett� par le vent froid qui soufflait du large avec un bruit sinistre que dominait le mugissement rauque de la mar�e montante d�j� haute.

C'�tait quand d'Arjuzanx avait dit: �Si notre argent n'est pas sur cette table, notre parole y est�; que sa r�solution s'�tait form�e dans son esprit: son honneur engag�, il n'avait que sa vie � donner pour payer sa dette, il la donnait.

Il avait d�pass� les bains du Port-Vieux et constat� que l'heure de la pleine mer ne devait pas �tre �loign�e; quand il se laisserait tomber de la falaise, la vague le recevrait et l'emporterait.

C'�tait sans aucune faiblesse qu'il envisageait sa mort; ce serait fini; fini pour lui, fini pour les siens qu'il n'entra�nerait pas dans son d�sastre.

Mais cette pens�e des siens, celle de sa femme l'amollit; ce n'�tait pas seulement sa vie qu'il sacrifiait, c'�tait aussi le bonheur de celle qu'il aimait. Quel d�sespoir, quel �croulement, quel vide pour elle! ils n'�taient mari�s que depuis deux mois; elle �tait si heureuse du pr�sent; elle faisait de si beaux projets! Elle ne l'aurait m�me pas revu. Il ne l'aurait pas embrass�e une derni�re fois d'un baiser qu'elle retrouverait.

Il s'arr�ta, et apr�s un moment d'h�sitation revint sur ses pas pour prendre la route de Bayonne: il avait vingt-quatre heures devant lui, ou tout au moins il avait jusqu'au matin avant qu'on appr�t ce qui s'�tait pass�.

Que de fois il l'avait parcourue � cheval avec sa femme, cette route qu'il suivait maintenant � pied, seul, dans la nuit! cette �vocation eut cela de bon qu'elle l'arracha aux angoisses de l'heure pr�sente et du lendemain, pour le maintenir dans ce pass� si plein de souvenirs qui l'encha�naient, doux ou passionn�s, tendres ou joyeux.

Comme il approchait de Bayonne, il entendit dans le silence deux heures sonner au clocher de la cath�drale: au lieu d'entrer en ville, il longea le rempart et descendit aux all�es Marines.

Cette fois sa maison �tait sombre: Anie ne l'avait pas attendu. Il ouvrit les portes sans faire de bruit, et alluma une bougie, qui �tait pr�par�e, � la veilleuse de l'escalier.

Arriv� � la porte de leur chambre, il �couta et n'entendit rien; assur�ment Anie s'�tait endormie. Alors, au lieu d'entrer dans la chambre, il tourna avec pr�caution le bouton de la porte de son cabinet de travail, qu'il referma sans bruit.

Une glace sans tain s'ouvrait au-dessus de la chemin�e dans le mur qui s�parait la chambre du cabinet, masqu�e par un store � l'italienne � ce moment � demi baiss�: dans la chambre deux lampes et une statuette garnissaient la tablette de cette chemin�e; dans le cabinet c'�tait un vase avec une foug�re et deux flambeaux.

D'une main �cartant les frondes de la foug�re, et de l'autre approchant son bougeoir de la glace, Sixte regarda dans la chambre. Tout d'abord ses yeux se perdirent dans l'obscurit�. Mais, s'�tant fait un abat-jour avec sa main de fa�on � projeter la lumi�re en avant, il aper�ut dans le lit lui faisant face la t�te de sa femme se d�tachant sur la blancheur du linge.

Puisqu'elle ne bougeait pas, puisqu'elle ne l'appelait pas, c'est qu'elle dormait: cela lui fut un soulagement; il avait du temps devant lui.

Dans ses deux heures de chemin, il n'avait pas uniquement pens� � Anie, il avait encore arr�t� son plan, dont ce sommeil facilitait l'ex�cution: ce n'�tait pas seulement l'embrasser, qu'il voulait, c'�tait aussi qu'elle e�t sa derni�re pens�e: il s'assit � son bureau plac� devant la chemin�e et se mit � �crire:

�Tes pressentiments ne te trompaient pas: devenu notre ennemi inexplicable, le tien, le mien, il a voulu se venger de toi, de moi; aveugl�, entra�n�, j'ai jou� et j'ai perdu deux cent soixante-seize mille francs, en plus de ce que j'avais d�j� perdu. En revenant, j'ai r�fl�chi; j'ai vu la situation comme on voit dans la solitude et dans la nuit, d'une mani�re lucide, sans mensonge; et de cette froide vision est r�sult�e la d�cision qui fait l'objet de cette lettre--un adieu. Un adieu, ma belle et ch�re Anie. Oh! si ch�re, si aim�e! plus que dans le bonheur encore, et que je vais quitter pour mourir. Mais ce n'est pas mourir qui m'effraie; c'est briser notre vie amoureuse; c'est ne plus voir Anie; c'est aussi lui laisser le doute d'avoir �t� aim�e comme elle le pensait. Comprendra-t-elle que je veux dispara�tre, parce que je l'aime plus que moi-m�me, et que je pr�f�re--cherchant le meilleur pour elle--la savoir veuve, tragique, plut�t que femme amoindrie par un mari coupable?

�Je ne puis pas payer ma dette, et je ne veux plus rien demander � ton p�re que je ruinerais. Il n'y a donc qu'� m'arracher de toi, avec la pens�e que je laisse presqu'intacte une fortune doublement tienne, qui te gardera ind�pendante et fi�re.

�Comprends-tu que mon amour est tel que tu pouvais le d�sirer et que je ne t'abandonne pas?

�Dis-toi, au contraire, que c'est serr� contre toi, mon �me m�l�e � la tienne, que je me suis arr�t� � la r�solution de ne plus te voir, et de te laisser dans ta fleur de jeunesse et de beaut� vivre sans moi.

�Je n'ai song� qu'� ton repos, et j'ai d� oublier combien ont �t� courtes nos heures d'amour. J'ai d� oublier aussi qu'une femme ador�e m'�chappe dans la premi�re �motion de notre existence fondue, et qu'ivre de toi, je me d�tourne de toi, vibrant, soud� de cœur et de chair, r�vant l'�ternit� de mon amour alors qu'il n'a plus de lendemain.�

(A suivre.)

Hector Malot.







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harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.