Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891, by Various

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Title: L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891

Author: Various

Release Date: May 20, 2014 [EBook #45704]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 21 MARS 1891 ***




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L'ILLUSTRATION
Prix du Num�ro: 75 cent.

SAMEDI 21 MARS 1891
49e Ann�e--N� 2508

[Illustration: La b�n�diction des rameaux devant l'�glise
Saint-Germain-l'Auxerrois.]



[Illustration: COURRIER DE PARIS]

Causerie de car�me. Variations sur le concours hippique. Derni�res
pol�miques � propos l'Op�ra et de la direction nouvelle. Si nous
n'avions point le _Mage_, qui est une nouveaut�, et _Mariage Blanc_, qui
sera la primeur de cette fin de semaine, le Courrier de 1891
ressemblerait fort au Courrier de 1890 � pareille date, car on a tout
dit sur les pr�dicateurs du car�me, qui ne se renouvellent gu�re, et sur
les programmes du concours hippique, qui ne se renouvellent pas.

L'agonie du prince Napol�on a pr�occup� encore les esprits, et le drame
de l'h�tel de Russie, drame historique et drame de famille, a tenu
�veill�e l'attention du public. Je ne sais qui a rappel�, � propos de
cette lutte contre la mort, la fameuse _coquille_--malicieuse ou
involontaire--qui s'�tala en plein _Moniteur_ lors de la maladie supr�me
du roi J�r�me. Les m�decins avaient �crit sur leur bulletin: �Le _mieux_
persiste�; les typographes du Moniteur imprim�rent: �Le _vieux
persiste_.� Il y eut grande col�re aux Tuileries lorsque le premier
num�ro du journal officiel arriva. Vite, on exp�dia un aide-de-camp �
l'imprimerie du _Moniteur_ pour arr�ter le tirage, ce qui fut fait. Mais
de nombreux exemplaires �taient d�j� sortis de la presse. On les paya,
par curiosit�, jusqu'� cinq cents francs le num�ro. Un collectionneur
anglais alla jusqu'� mille francs.

On se racontait ces souvenirs d'un autre temps lundi dernier � l'Op�ra,
tout en causant de Varedha, pr�tresse de la Djaki, et d'Anahita, reine
du Touran. Cette premi�re repr�sentation du _Mage_ n'�tait en r�alit�
que la _seconde_, et tout le monde officiel avait assist� le samedi � la
r�p�tition g�n�rale. Ce sont les r�p�titions d�cid�ment qui deviennent
les _premi�res_. M. le pr�fet de police le sait si bien, qu'il donnait
une soir�e le lundi, pendant que le rideau se levait sur cet op�ra
touranien--et tr�s parisien de par ses auteurs, le musicien et le po�te.

N'y a-t-il pas une romance qui commence par quelque chose comme:

O beau pays de la Touraine...

Si je ne me trompe, c'est m�me dans les _Huguenots_ qu'on la chante. Eh
bien, avec le _Mage_ il ne s'agit plus de la Touraine, mais des
Touraniens, et on nous restitue � l'Op�ra le refrain d'une chanson
touranienne qui date de deux mille cinq cents ans _avant l'�re
chr�tienne_. Elle est d'ailleurs tout � fait pr�historique, cette
chanson-l�. Le refrain, imprim� dans la brochure, est:

L�, le��, le��, le��, �, �!

Relisez bien: c'est du touranien. M. Richepin, qui est un bon Touranien
et un bon po�te, a, pour nous, �voqu� ce refrain que je conserve comme
un bibelot antique et pr�cieux.

L�, le��, le��, le��, �, �!

En touranien, cela correspond-il � _Au clair de la lune_ ou � la
_Marseillaise?_ Je n'en sais rien, n'�tant pas tr�s vers� dans les
secrets de la Bactriane.

Mme Dieulafoy nous le dirait peut-�tre.

L�, le��, le��, le��...

Il y a d'autre vers, heureusement, dans le _Mage_, et des vers fran�ais,
d'une belle venue, d'un beau souffle. Il n'eut plus manqu� qu'apr�s les
vers d�cadents, les vers symbolistes, les vers d�liquescents, nous
fussions menac�s de vers touraniens.

                                                 *
                                               * *

Ce jour m�me o� le touranisme p�n�trait � l'Op�ra, les po�tes avaient
suivi le convoi d'un des leurs, un ma�tre, M. de Banville, qui m�ritait
bien un peu de soleil autour de son cercueil, lui si �pris de lumi�re et
de joie. H�las! il est parti par un jour humide et triste, cruel aux
nerveux et aux rhumatisants, un lugubre temps de car�me.

Mais les amis du mort ont r�par� l'injustice du temps.

Si jamais po�te fut enseveli sous des roses, c'est Th�odore de Banville.
Les fleurs qu'on a r�pandues sur son cercueil n'�taient pas des fleurs
de rh�torique. On l'aimait beaucoup, on l'a pleur� vraiment. Des po�tes
ont tenu les cordons du po�le, et ils ont ajout� des sonnets aux chants
de la ma�trise de Saint-Sulpice.

--_Fleurs sur fleur, flowers upon flowers_, comme dit le La�rte
d'_Hamlet_.

Th�odore de Banville �tait devenu pour les jeunes po�tes de ce temps le
p�re, depuis la disparition de Victor Hugo. On l'e�t profond�ment
outrag�, si on l'e�t compar� au ma�tre.

--Il y a tout dans Victor Hugo, disait-il, et je lis tous les matins
deux ou trois pages de ce grand homme, en l'admirant chaque jour
davantage.

Il n'e�t pas admis le moindre point de comparaison. Mais, si la
paternit� po�tique de Victor Hugo, si je puis dire, �tait faite
d'autorit� et de grandeur, celle de Banville �tait faite de tendresse.
Il r�gnait et rayonnait par une grande bont�. Oh! une bont� qui n'allait
pas sans quelque d�dain et ne se faisait point parfois faute de railler.
Mais une bont� vraiment bonne, souriante, avec une philosophie r�sign�e.

A soixante-huit ans, Th�odore de Banville est mort jeune. Il �crivait et
chantait encore la veille de sa mort. Sa sant�, chancelante autrefois,
si chancelante qu'on l'avait cru perdu un moment, il y a des ann�es,
s'�tait raffermie, et on pouvait esp�rer que ce jeune vieillard, si je
puis dire, deviendrait un a�eul.

Il y a vingt-cinq ou trente ans, on d�sesp�rait de le sauver. Il partait
pour le Midi, condamn� par la science, et c'est de l� qu'il rapporta son
joli volume, la _Mer de Nice_.

Comme il allait partir, l'imp�ratrice Eug�nie, qui aimait ses po�sies,
demanda pour lui la croix � je ne sais quel ministre.

L'Excellence r�pondit:

--Je la donne d'autant plus volontiers que c'est une croix sur un
tombeau.

Dieu merci, Banville devait survivre et vivre de longue ann�es encore
pour notre joie et nos oreilles, car sa muse chantait une chanson toute
particuli�re o� il y avait comme des tintements de rires et des bruits
de baisers.

C'�tait un Parisien du boulevard et c'�tait un Hell�ne du temps de
P�ricl�s. Il passait des Funambules � Ath�nes. Il entrait chez Debureau
eu sortant du Parth�non. Debureau! Pierrot, ce Pierrot que, depuis,
Willette a modernis� et rev�tu d'un habit noir. Th�odore de Banville
l'aimait et l'a �tudi� avec une joie particuli�re. Celle de ses oeuvres
qui fit sensation il y a trente ans, le livre des _Odes funambulesques_,
naquit de cet amour des mimes et des clowns. Il jongla avec les mots
comme l'�tonnant Schaffer jongle avec des tables au Nouveau-Cirque.
Passez, muscade! sautez, vocables! Ce fut, lorsque parut ce volume, un
�blouissement. Ces _Odes funambulesques_ ont marqu� une date dans
l'histoire de la po�sie. Depuis on a beaucoup abus� de ces fantaisies,
mais que c'�tait charmant lorsque Banville apparut, parmi les hommes
graves, avec la clochette de Puck et le rire ail� d'Ariel!

La fantaisie, c'�tait son domaine, � ce rimeur qui pourtant comprenait
le r�alisme de Champfleury et le naturalisme de Zola. Il passa dans la
vie comme s'il e�t travers� un th��tre, s'amusant si la com�die �tait
bonne, indulgent si elle lui paraissait m�diocre. Oh! le th��tre, il
l'adorait! ce monde de carton et de toiles peintes lui semblait plus
s�duisant et, je crois m�me, plus vrai que l'autre. �J'ai connu des
po�tes, a-t-il �crit quelque part. Vous croyez que le seul r�ve de ces
pa�ens est de gravir la montagne sainte o� Cypris � la chevelure rousse
boit avec les dieux ivres de calme? Non! il y a un monde cher � la
fantaisie qu'ils pr�f�rent encore peut-�tre aux lauriers-roses de cet
Olympe enchant� � la voix du rythme et des lyres! Il y a un univers cr��
par la pens�e qui est � eux seuls, et o� aucun bourgeois n'a jamais
p�n�tr�. Cet univers est immense et infini et il a pour horizon _un
chiffon de toile � raies roses..._

Ce chiffon de toile � raies roses--semblable au manteau de
Scapin--Banville l'a toujours suivi des yeux, comme un soldat suit le
drapeau dans la bataille. Il n'a voulu �tre rien que po�te et il l'a �t�
jusqu'aux moelles. Tout pour lui �tait un pr�texte � rimes exquises, �
rimes riches. Les vers, il les disait impassiblement--lui le
passionn�--en serrant les dents, avec un sourire �clairant sa figure
sans barbe, paterne et narquoise. Toujours original, il n'a pas voulu
qu'on pronon��t de discours sur sa tombe. Cet amoureux des mots avait
horreur des phrases. Il n'a pas voulu �tre de l'Acad�mie. Il en e�t �t�.
On lui avait, je crois, fait des ouvertures. Il r�pondait:

--Non. Trente-huit ou trente-neuf visites, je me fatigue facilement; il
y aurait trop d'�tages � monter.

--On vous donnera des ascenseurs, r�pliquait un de ses jeunes amis,
Copp�e ou Sully-Prudhomme.

--Eh bien, voil�: les ascenseurs, je les redoute. La nature nous a donn�
des jambes, ce n'est pas pour les �changer contre des machines. Je suis
superstitieux. Tout cela est mauvais.

Superstitieux, on l'a dit, au point qu'il n'e�t rien entrepris un
vendredi ou un 13. Or, voyez l'ironie des choses, Th�odore de Banville
est mort un vendredi et un 13.

Cette terreur du vendredi est tellement r�pandue que, ce jour-l� (on l'a
remarqu�), les omnibus font moins de recettes que les autres jours.
Avoir peur d'un accident, en omnibus, faut-il dire que voil� qui est
bien parisien? Eh non, c'est bien humain. L'humanit� aura toujours de
petites terreurs enfantines.

Un po�te, c'est un enfant par la vivacit� des impressions, c'est, par le
coeur, un homme �pris de tout ce qui est beau en ce monde. On a souvent
dit que Banville �tait un pa�en, dans le sens d�licat et �lev� du mot.
Ce pa�en est mort en chr�tien et les lettres de faire-part portaient que
sa mort (cependant subite) avait �t� b�nie par le pape. Peut-�tre, comme
les voyageurs qui savent que le d�part aura lieu � l'improviste,
Th�odore de Banville avait-il pris d'avance son passeport. Et ce n'est
pas peut-�tre, cela est certain. Il croyait.

--Ah! disait-il un jour � Victor Hugo, parlant de la mort, quelle belle
occasion vous avez d'affirmer votre immortalit�! que l'auteur de
Notre-Dame de Paris soit enterr� � Notre-Dame!

Ce nom de Hugo revient encore sous la plume comme une actualit� et il
est �crit qu'aujourd'hui nous ne parlerons que des po�tes, ou de leurs
petits-fils.

Le jeune Georges Hugo a dit adieu, pour un temps, � la vie parisienne et
s'est jet� bravement � la vie de devoir, dans la mer et le vent, parmi
les embruns dont Pierre Loti parle � son fr�re Yves. Du Cirque des
Champs-Elys�es passer � l'Oc�an, c'est bien. O� ai-je lu ce joli mot:
Victor Hugo dirait � son petit-fils: �Sois brave comme Gilliat, tue la
pieuvre et deviens, toi aussi, un travailleur de la mer!�

Le petit-fils l'a fait, cela, et c'est bien.

Les _premi�res_ y perdent un spectateur �l�gant et la patrie y gagne un
soldat qui porte le plus beau nom de la France. Maintenant--entre
nous--il serait bon qu'on ne parl�t plus des descendants de nos gens
illustres que quand ils auront fait eux-m�mes des oeuvres. Pour une
d�mocratie, ce pays semble aimer vraiment un peu trop les dynasties.

Il y a encore des oeuvres, du reste, en ce pays. M. Zola a donn�
l'_Argent_ cette semaine. Pour lui, l'argent est une force, et une force
respectable, malgr� les infamies qu'il fait commettre. Toute la th�se du
romancier est l�. Il ne s'incline pas devant le _Veau d'Or_, mais,
dirai-je volontiers, il trouve que le Veau d'Or n'est pas un Veau. Un
Taureau si l'on veut. Mais un veau, non pas. Une Force, vous dis-je. Et,
en cela, M. Zola est bien l'�l�ve de Balzac.

--�tre riche, disait l'auteur de la _Com�die humaine_, c'est �tre libre.
�tre libre, c'est �tre tout. Balzac e�t volontiers donn� le mot d'ordre
qu'on a tant reproch� � M. Guizot: �Enrichissez-vous!�

--Pourquoi faire porter � l'argent, dit Zola, la peine des crimes dont
il est la cause? L'amour est-il moins souill�, lui qui crie la vie?

C'est le dernier mot du livre et il est �loquent.

J'en ai lu un autre livre qui est bien curieux: c'est _Une ann�e de ma
vie_ par M. le comte de H�bner que nous avons connu baron de H�bner et
ambassadeur d'Autriche � Paris. Fin diplomate, causeur exquis, comme il
contait ses souvenirs! Aujourd'hui il les �crit. Il cite un bien joli
mot de Metternich--piquant � r�p�ter au lendemain du 18 mars qu'on vient
de f�ter:

--En comparant la R�volution � un livre, je dirais que nous en sommes
encore � l'avant-propos, tandis que la France est arriv�e � peu
pr�s--pas tout � fait--aux derni�res pages.

Les _mots_ de Metternich valaient ceux de Talleyrand.

Rastignac.



LES PIONNIERS DU SAHARA

On sait l'esprit et le but de l'Association fond�e sous ce titre par le
cardinal Lavigerie. Les documents, texte et dessins, que nous publions �
ce sujet, nous viennent en droite ligne des confins du Sahara et nous
sont fournis par un homme qui, accompagnant l'�minent cardinal dans
toutes ses p�r�grinations, travaillant lui-m�me sous ses yeux, �tait le
mieux plac� du monde pour donner de cette grandiose entreprise un
tableau empreint de tout le caract�re de v�rit� et de tout le relief
d�sirables.

Il n'est pas possible de r�ver plus belle promenade que la route de
Tuggourt au sortir de Biskra. Cette magnifique route ensoleill�e
traverse l'oasis dans toute sa longueur, elle est sillonn�e par les
caravanes apportant du sud les r�coltes de dattes sur le march� de
Biskra et par une foule de petits gamins, v�tus des oripeaux les plus
bariol�s, qui, chantant, jouant et courant, vivent presque uniquement de
la charit� des touristes, nombreux � cet endroit. Mais o� il faut les
voir, c'est sur le passage de Mgr Lavigerie.

Chaque jour, le cardinal se rend au monast�re qui s'ach�ve pour recevoir
les pionniers du Sahara, et c'est alors une bousculade g�n�rale parmi
tous ces petits n�grillots.

Sit�t que la voiture de Son Eminence para�t, ce sont des cris de joie et
des courses �chevel�es pour attraper au vol les sous que leur jette
monseigneur. �Sourdi, sourdi barca, monsieur le marabout!� (un sou, un
sou seulement!) Pauvres petits n�gros, se doutent-ils de ce que fait en
ce moment pour leur race le �Marabout K�bir�, comme ils l'appellent (le
grand Marabout)?

La M'Sallah (maison de pri�re), telle est l'inscription grav�e sur le
fronton de cette maison b�tie un peu dans le style florentin qui vient
si joliment r�veiller de sa tache blanche les bouquets de palmiers du
bord de la route. Il y a un an � peine elle commen�ait � sortir de terre
et d�j� toute cette population, si hostile pour nous, sait maintenant
que l� seront soign�s les plus pauvres, les plus d�sh�rit�s, les plus
humbles; aussi faut-il voir l'�tonnement de ces pauvres diables qui
n'attendent habituellement que des coups de b�tons de notre
civilisation. Que sera-ce quand bient�t de pareils asiles s'�l�veront
l�-bas, bien loin dans le sud, � El Golea, plus loin � Amguid, plus loin
encore, partout o� il y aura des malheureux, des martyrs!

Nous croyions encore, il y a peu de temps, que l'esclavage et la traite
des n�gres �taient abolie depuis nombre d'ann�es. Malheureusement il
n'en est rien et les r�cits rapport�s par les missionnaires nous
affirment l'existence de ces horribles coutumes.

�Les villages paisibles des n�gres de l'int�rieur sont cern�s, tout d'un
coup, pendant la nuit, par ces f�roces aventuriers. Presque jamais ils
ne se d�fendent, ou ceux qui le font sont bient�t massacr�s par des
hommes arm�s jusqu'aux dents. Ces malheureux fuient dans les t�n�bres;
mais tout ce qui est pris est imm�diatement encha�n� et entra�n�,
hommes, femmes et enfants, vers des march�s lointains. On les y am�ne de
contr�es situ�es � soixante, quatre-vingts et cent jours de marche.

Alors, commence pour eux une s�rie d'�pouvantables mis�res. Tous les
esclaves sont � pied; aux hommes qui paraissent les plus forts et dont
on pourrait craindre une r�volte, on attache les mains et quelquefois
les pieds, de telle sorte que la marche leur devient un supplice, et sur
leur cou on place des cangues � compartiments, qui en relient plusieurs
entre eux.

On marche toute la journ�e au milieu des sables ou des terres br�lantes.
Les conducteurs barbares sont seuls � cheval ou sur leurs chameaux. Le
soir, lorsqu'on s'arr�te pour prendre du repos, on distribue aux
prisonniers quelques poign�es de sorgho cru, c'est toute leur
nourriture. Le lendemain il faut repartir.

Mais, d�s les premiers jours, les fatigues, la douleur, les privations,
en ont affaibli un bon nombre. Les femmes, les vieillards, s'arr�tent
les premiers. Alors, afin de frapper d'�pouvante ce malheureux troupeau
humain, ses conducteurs s'approchent de ceux qui paraissent plus
�puis�s, arm�s d'une barre de bois, pour �pargner la poudre. Ils en
ass�nent un coup terrible sur la nuque des victimes infortun�es, qui
poussent un cri et tombent en se tordant dans les convulsions de la
mort.

Le troupeau terrifi� se remet aussit�t en marche. L'�pouvante a donn�
des forces aux plus faibles. Chaque fois que quelqu'un s'arr�te, le m�me
affreux spectacle recommence.

C'est ainsi que l'on marche, quelquefois des mois entiers. La caravane
diminue chaque jour. Si, pouss�s par les maux extr�mes qu'ils endurent,
quelques-uns tentent de se r�volter ou de fuir, leurs ma�tres f�roces,
pour se venger d'eux, leur tranchent les muscles des bras et des jambes,
� coups de sabre ou de couteau, et les abandonnent ainsi le long de la
route, attach�s l'un � l'autre par leur cangue, et ils meurent de faim
et de d�sespoir. Aussi a-t-on pu dire, avec v�rit�, que si l'on perdait
la route qui conduit de l'Afrique �quatoriale aux villes o� se vendent
les esclaves, on pourrait la retrouver ais�ment par les ossements des
n�gres dont elle est bord�e!

On calcule que chaque ann�e, quatre cent mille n�gres sont les victimes
de ce fl�au!

Enfin, on arrive sur le march� o� on conduit ce qui reste de ces
infortun�s, apr�s un tel voyage. Souvent c'est le tiers, le quart,
quelquefois moins encore, de ce qui a �t� pris au d�part (1).�

Note 1: Lettre du cardinal Lavigerie au pape L�on XIII, mars 1888.

Il a fallu le z�le et le d�vouement infatigables de Son Eminence le
cardinal Lavigerie pour concevoir le rem�de � ces crimes et r�ver la
libert� pour ces esclaves. Il a fallu sa voix puissante pour �mouvoir le
monde entier et l'int�resser � la r�ussite de cette entreprise si pleine
de p�rils.

Mais, cette fois, ce ne sont plus des missionnaires, martyrs d�sign�s,
qu'il envoie, ce sont de vrais d�fenseurs arm�s, qu'il �l�ve pour rendre
� cette race opprim�e la vie avec la libert�. De cette id�e est n� un
nouvel ordre religieux rappelant en tous points l'ordre de Malte.

En effet, l'Association (c'est ainsi que le cardinal la d�signe) des
fr�res arm�s ou pionniers du Sahara, est compos�e de volontaires qui,
arm�s des meilleures armes modernes, iront cr�er au milieu des peuplades
sauvages du Sahara des centres de civilisation, d�fricher la terre,
creuser des puits, et employer toutes leurs forces � soulager de toute
fa�on les mis�res dont ils seront les t�moins.

Et c'est non seulement une oeuvre �minemment humanitaire, mais encore ce
sont les int�r�ts de la France sauvegard�s, notre commerce accru,
l'avenir de notre plus belle colonie assur�. L'est-il bien en ce moment,
si l'on r�fl�chit � l'issue terrible et habituelle de toutes les
tentatives de p�n�tration dans le Sud? Qui nous dit que ces Touaregs,
ces Snoussyas, si f�rocement r�put�s, encourag�s par leurs tristes
succ�s r�p�t�s, ne se l�veront pas bient�t en masse et ne viendront pas
entra�ner dans une insurrection g�n�rale des tribus toujours pr�tes � la
r�volte?

M�me, chose �trange, ce n'est pas � la pr�dication directe de l'�vangile
que Son Eminence compte recourir d'abord.

�..... L'exp�rience universelle des missions montre que le monde
mahom�tan est inaccessible aux inspirations diverses de la foi
chr�tienne et ferm� � la pr�dication imm�diate de l'�vangile. On peut le
changer � la longue, mais, pour cela, il faut n'employer que les
bienfaits, l'aum�ne, le soin des malades, et entra�ner ainsi
insensiblement les sectateurs de l'Islam, par une lente �volution, dans
le courant du monde chr�tien.

C'est ainsi que nous avons commenc�, chargeant nos missionnaires de
secourir les mis�res qui les entouraient, de soigner les malades, de
r�pandre autour d'eux les bienfaits de l'ordre et de la paix:
l'agriculture, l'industrie, tout ce qui constitue, en un mot, les
avantages ext�rieurs de notre civilisation, les seuls auxquels de
semblables natures, enflamm�es par une foi aveugle et farouche, puissent
se montrer accessibles.

C'est dans ces conditions que sont partis les premiers missionnaires.
Mais nous avons pu constater, d�s la premi�re heure, qu'il ne leur
suffisait pas de faire le bien autour d'eux, de gu�rir les malades, de
sacrifier m�me leur vie; nous avons vu que l'hostilit� implacable des
barbares n'�tait pas vaincue par ces sacrifices, et que, comme il arrive
aupr�s de certains furieux, avant m�me de pouvoir tenter de les gu�rir
par les secours de l'art, il fallait les mettre dans l'impossibilit� de
nuire et de se perdre eux-m�mes (2).�

               Note 2: Lettre du cardinal Lavigerie, 1891.

Pour r�ussir dans une entreprise aussi complexe, aussi pleine de
difficult�s, il importe de les pr�voir toutes, il importe que la troupe
mise en campagne soit aguerrie et puisse subvenir elle-m�me � tous ses
besoins. Aussi les d�tails de l'organisation int�rieure de l'ordre
sont-ils fort ing�nieusement �tablis.

Chaque compagnie des Pionniers du Sahara est s�par�e en quatre ou cinq
groupes de nombre in�gal concourant tous � la prosp�rit� de l'unit� qui
est de cinquante hommes. Ces groupes se d�nombrent ainsi: celui des
infirmiers, charg�s du soin des malades et de tout ce qui concerne la
propret�, l'hygi�ne, l'entretien des v�tements selon les r�gles de la
salubrit� et de la prudence; le groupe des artisans, charg�s de tout ce
qui concerne la construction et l'entretien des habitations et du r�duit
commun; le groupe des agriculteurs, des fr�res pr�pos�s aux soins de la
culture, des eaux, de la nourriture ordinaire, boulangers, cuisiniers et
servants divers; enfin, des chasseurs destin�s � trouver, dans le gibier
du Sahara, un suppl�ment n�cessaire aux troupeaux qui seront confi�s �
la garde des indig�nes.

Ces diff�rents groupes sont plac�s sous l'autorit� d'un commandant et de
deux lieutenants; des sergents et des caporaux se partageront les autres
fractions. Ces chefs sont choisis � l'�lection et nomm�s par Mgr le
vicaire apostolique du Sahara sous l'autorit� canonique duquel l'ordre
est plac�.

Ind�pendamment de cette hi�rarchie, des moniteurs sont charg�s de la
direction de chacun des divers groupes qui seront form�s selon la nature
des occupations de chacun.

Aucun de ces volontaires ne doit avoir plus de trente-cinq ans. Un an de
noviciat a �t� jug� n�cessaire pour les aguerrir aux difficult�s de la
vie qu'ils devront mener. Ils l'emploieront � apprendre la langue arabe,
� se perfectionner dans le r�le qu'ils auront demand� � remplir, et �
rompre leur corps aux fatigues d'un climat souvent p�nible et �
l'alimentation plus que frugale du Sahara.

A la fin de ce noviciat, ils seront appel�s, s'il y a lieu, � prendre un
engagement quinquennal, d'apr�s le vote, � la majorit� des voix et au
scrutin secret, de tous les membres de la communaut�. Cet engagement se
renouvellera tous les cinq ans.

Les Fr�res du Sahara auront trois tenues: la grande tenue, et la tenue
de combat, toute blanche, se composant d'une tunique longue serr�e � la
taille par un ceinturon, la croix rouge de Malte sur la poitrine, le
pantalon, un large burnous blanc, comme coiffure le casque blanc,
surmont� d'un plumet blanc et orn� de la croix.

La seconde tenue rappellera beaucoup le costume des Arabes, et aura
comme pi�ces principales la gandoura avec la croix rouge sur la
poitrine, et le burnous. Un d�tail qui va bien �tonner nos Parisiens. Le
chapeau sera de paille, pointu, et � bords tr�s larges, de fa�on �
pr�server les �paules. C'est le chapeau des Touaregs tel qu'ils l'ont
dans le d�sert.

Les Fr�res ne porteront ce costume que dans leurs marches, qu'ils feront
toujours � dos de chameaux.

La troisi�me tenue, la plus simple, celle de travail, se composera
presque uniquement d'une sorte de sarrau serr� � la taille, et du casque
blanc comme coiffure.

Tel est ce nouvel ordre si curieux, si sp�cial, et bien digne de tenter
les vocations, selon l'esprit religieux moderne. Comme l'�crivait
derni�rement, avec sa haute raison, Son Eminence le cardinal Lavigerie,
�la vie exclusive de m�ditation et de pri�re est au dernier point
respectable; mais elle n'est pas faite pour tous, et en particulier dans
les temps o� nous vivons, qui sont des temps d'agitation inqui�te, de
mouvement f�brile et perp�tuel, ce n'est qu'� l'exception qu'elle peut
convenir.

�L'homme de notre temps a surtout besoin d'action ext�rieure, par suite
de l'abaissement des caract�res.

�Le silence et la contemplation ne sont pas support�s par tous. Mais en
soi l'homme peut se sanctifier par l'action comme par la contemplation
et par la pri�re, surtout quand cette action est vivifi�e, purifi�e par
des vertus telles que la charit�, le d�sir d'expiation, le d�tachement
des choses terrestres, l'amour de la patrie chr�tienne, l'amour du
travail, le d�sir de procurer le bien des hommes et la gloire de Dieu.�

C'est ce but que se proposent les Fr�res du Sahara.

V.



[Illustration: Fantassins.]

[Illustration: Cavaliers.]

LES PIONNIERS DU SAHARA.--Uniformes de l'ordre, compos�s par M. Jean
Veber, sous l� direction du cardinal Lavigerie.

[Illustration: LES PIONNIERS DU SAHARA.--La M'Sallah (la maison de
pri�re), � Biskra.]

[Illustration: LES PIONNIERS DU SAHARA.--Le cardinal Lavigerie visitant
les travaux d'installation, � Biskra. Dessins d'apr�s nature de M. Jean
Veber.]



LES COURSES DE CHEVAUX EN SIB�RIE

[Illustration: Le public.]

Les courses ont �t� la grande pr�occupation de ces jours derniers.
Beaucoup m�me ont trouv� que cette question tenait une place beaucoup
trop pr�pond�rante dans la vie des Fran�ais de cette fin de si�cle. Il
nous a paru curieux, � ce propos, de rechercher si nous avions le
monopole de ce go�t qui va s'accentuant d'ann�e en ann�e. L'article que
nous publions ci-dessous et auquel le nom de son auteur donne un attrait
tout sp�cial, r�pond � ce sentiment de curiosit�.

Si les courses de chevaux ont pris en France les proportions que l'on
sait, on con�oit facilement quel succ�s doit avoir un sport de ce genre
dans un pays comme la Russie, la patrie par excellence des chevaux
infatigables et des hardis cavaliers. Nous nous doutions bien que rien,
dans l'organisation de ces courses, ne d�t rappeler le spectacle offert
par les hippodromes d'Auteuil et de Longchamp. Ce que nous en avions
entendu dire ne nous inspirait pas moins le vif d�sir d'en voir une de
pr�s, et c'est la description fid�le de la f�te � laquelle nous avons
assist� que je vais tenter pour les lecteurs de l'_Illustration._

Qu'ils veuillent bien me suivre un instant par la pens�e sur la carte
d'Asie. Le premier grand fleuve que nous rencontrons en Sib�rie, apr�s
avoir travers� les Monts Oural, de l'ouest � l'est, est l'Irtish. En
remontant son cours, nous trouverons Tobaisk, Orusk, et, quelques
centaines de kilom�tres plus au sud, Semipalatinsk. C'est l� que je veux
m'arr�ter.

La ville _des sept palais_ n'en a que le nom. Son titre m�me de ville
est usurp�; � dire vrai, ce n'est qu'un grand village, triste, d�sol�,
priv� de tout ombrage, enfouissant ses petites maisons de bois dans le
sable qui borde son fleuve. N'�tait sa situation au milieu d'un pays
peupl� de hordes nomades, on ne comprendrait gu�re ce que les Russes
sont venus faire ici.

Nous arrivons au bon moment. C'est demain le _Courban Ba�ran_, une des
grandes f�tes musulmanes. Des r�jouissances seront organis�es dans le
steppe par les Kirghises des environs. Leurs chefs ont appris l'arriv�e
de deux _Faranghis_. C'est ainsi qu'ils appellent les Fran�ais, dont le
nom, depuis un temps recul�, peut-�tre depuis les croisades, se trouve
toujours li� � une id�e de bravoure et est tr�s populaire parmi eux.
Aussi sont-ils heureux de nous prier d'assister � leurs jeux. Nous
sommes encore plus heureux d'accepter, car nous allons pouvoir �tudier
de pr�s ces populations aux moeurs si peu connues sur lesquelles
l'imagination des po�tes et des romanciers para�t s'�tre souvent exerc�e
dans des r�cits de seconde main pleins de d�tails suspects.

Nous nous mettons donc en route pour le steppe le 11 ao�t au matin. Le
soleil est d�j� haut et le sable que nous foulons br�lant. Nous nous
trouvons ainsi pris entre deux feux. Mais le supplice est de courte
dur�e, car nous arrivons rapidement au bord de l'Irtish, que nous
passons sur un bac mis en mouvement par le courant lui-m�me.

Sur la rive oppos�e, nous traversons des villages importants habit�s par
des kirghises pauvres qui ont renonc� � la vie nomade.

Au-del�, le steppe s'�tend � perte de vue, uni, sans verdure, couvert
d'un gazon ras, jaune, dess�ch�, sur lequel se d�tachent seulement
quelques amoncellements de pierres.

Au loin des _aouls_, villages mobiles de nomades, dressent leurs tentes,
ou _yourtes_ arrondies, rappelant par leurs formes et leur groupement
les huttes des Esquimaux ou les habitations des castors. De tous c�t�s
s'�l�vent dans la plaine des tourbillons de poussi�re enveloppant, comme
en des nuages de fum�e, les cavaliers qui accourent pour assister � la
f�te. Ils galopent par petites troupes, accroupis sur leurs chevaux.
Beaucoup portent au poing la lance que surmonte une banni�re: c'est
l'�tendard des tribus.

Bient�t la petite colline fix�e pour le rendez-vous est couverte et les
Kirghises continuent pourtant � venir. Sur quelque point que l'oeil se
porte, il voit de nouveaux cavaliers succ�der aux cavaliers. Ce sont les
flots d'une mer montante qui semble envahir la steppe et l'on se demande
o� elle s'arr�tera. Notre pens�e se reporte alors, malgr� nous, �
quelques si�cles en arri�re; nous nous repr�sentons ainsi les hordes des
Mogols, anc�tres de ces nomades, s'avan�ant comme des nu�es de
sauterelles, toujours plus nombreux, ins�parables de leurs chevaux et
marchant � la conqu�te du monde sous la conduite d'un Tchengis Khan.

Les yeux brid�s, les pommettes saillantes, le nez large, le front
fuyant, la barbe rare, � poils rudes, c'est bien l� l'ancien type mogol.
Ces Kirghises sont forts, bien muscl�s, �nergiques. Ils portent tous un
costume semblable: un bonnet conique de peau de mouton, entour� d'un
bourrelet de fourrure qu'ils rabaissent l'hiver. Quelques-uns ont le
_malakai_, sorte de capuchon � trois pans qui pr�serve les oreilles et
le cou. Leur v�tement est un long manteau, g�n�ralement de couleur
sombre, serr� � la taille par une ceinture. Ils ont des bottes, mais pas
d'�perons.

Les chefs seuls portent une tenue plus luxueuse. Ils se reconnaissent �
une toque de velours et � une tunique que borde une frange d'or ou
d'argent. Pour para�tre civilis�s, ils emprisonnent leurs jambes dans de
vulgaires pantalons. Ceux qui ont la fonction de juges portent comme
insigne une cha�ne d'or suspendue au cou et ferm�e par une m�daille.

Les _Aksahals_ (chefs) nous re�oivent et nous conduisent � une tente
dress�e � notre intention.

Apr�s les saluts d'usage et les souhaits de bienvenue, les chefs nous
demandent la permission de proc�der aux appr�ts de la Ba�ga--c'est le
nom de la course de chevaux--qui sera le principal attrait de la
journ�e.

Tandis qu'on nous apporte des bols de _koumis_ (lait de jument
ferment�), la foule des spectateurs est �cart�e � coups de b�tons; ils
se rangent tant bien que mal en cercle autour du comit� des courses, les
uns sur des charrettes, d'autres � pied ou � cheval, et l'on proc�de �
l'appel des chevaux engag�s.

Tout cheval peut concourir sans distinction d'�ge ni de sexe. Tout
propri�taire peut engager le nombre de chevaux qui lui pla�t; il doit
seulement verser quatre roubles par cheval engag�; ces mises sont
destin�es � constituer le prix. Comme on le voit, ce n'est qu'une simple
poule. En pr�sence des commissaires de la course, un officier de police
se servant du dos d'un khirghise comme de pupitre, �crit au fur et �
mesure les noms du propri�taire, ceux du jockey, le num�ro d'ordre qui
est assign� � celui-ci, et qu'il portera attach� sur sa blouse, enfin le
caract�re distinctif du cheval.

Ce dernier est petit, il a les formes �l�gantes, les jambes d�li�es, le
poitrail fort des arabes; la t�te est moins fine; le chanfrein est
busqu� au lieu d'�tre droit. Il conna�t peu la fatigue, passe avec
beaucoup d'adresse par toutes les routes. On lui met seulement un mors
court que retiennent deux minces lani�res, et auquel est fix� un simple
bridon. On l'a dress� tout jeune � ob�ir, surtout � la voix.

Pour la course on lui divise la queue en deux tresses enserr�es chacune,
� la partie sup�rieure, dans une gaine de soie; un cordon, �galement de
soie, entoure la moiti� de la crini�re qui est ramen�e et dress�e entre
les oreilles en forme de toupet. L'animal n'est pas ferr�: dans le
steppe les Kirghises ne ferrent leurs montures que lorsqu'ils ont un
tr�s long voyage � entreprendre.

La selle est en bois et pos�e sur une pi�ce de feutre; deux pans en
cuir, de forme rectangulaire, souvent brod�s, sont suspendus aux c�t�s,
descendant sur les flancs du cheval. Le panneau est petit, droit,
parfois recouvert d'une plaque cisel�e; l'�trivi�re est courte; le
cavalier a les jambes hautes, et semble agenouill� sur sa selle, ce qui
ne l'emp�che pas d'y �tre tr�s solide.

On peut dire en effet que ces nomades vivent de cheval, � cheval et pour
le cheval. Une fois en selle, ils en descendent rarement; parfois ils ne
quittent pas leur monture pour dormir; on s'explique ainsi qu'ils y
restent des journ�es enti�res sans para�tre s'en apercevoir.

Aussi ne nous �tonnons-nous pas devoir prendre pour jockeys dans la
course de jeunes gar�ons de huit � quatorze ans. Ils portent une blouse
blanche et ont un mouchoir rouge attach� sur la t�te. La cravache qu'ils
tiennent � la main est une simple lani�re de cuir fix�e � l'extr�mit�
d'un b�ton.

[Illustration: L'inscription des chevaux engag�s.]

Les chevaux engag�s viennent se ranger en demi-cercle l'un � c�t� de
l'autre, par ordre de num�ros. Les jockeys s'�tant pass� � la ronde un
pot de koumis, le signal est donn�. Les cavaliers vont � la station de
poste voisine (� 25 verstes d'ici). Ils s'y rendent au galop: leur
allure est r�gl�e par deux cavaliers commissaires qui les accompagnent.
Arriv�s � la station, ils feront volte-face et se rangeront dans l'ordre
du d�part; les commissaires compteront jusqu'� trois, et l'on reprendra
la course.

Pendant ce temps le comit� rest� au point de d�part d�lib�re et fixe le
montant des prix: ils seront attribu�s aux six premiers arrivants; le
premier de tous aura 16 roubles (environ 40 francs), les autres
r�compenses iront en diminuant progressivement.

On ne voit gu�re ici de prix d�passant cent roubles. Cependant il n'en
est pas partout de m�me. En 1874, chez les Karakirghises de l'Issyk
Koul, � l'occasion de la mort d'un riche propri�taire, ses h�ritiers
organis�rent une course dont le prix �tait de 1,000 chevaux, 100
chameaux, 100 peaux de loutre et 100 tilda (pi�ces d'or valant environ
10 francs). Si l'on prend pour valeur moyenne d'un cheval 10 roubles,
d'un chameau 40, d'une peau de loutre 5, on trouvera comme valeur
absolue 40,000 francs. Mais, comme l'argent a ici une valeur relative au
moins quadruple de celle qu'il a chez nous, c'�tait en r�alit� une
r�compense d'une importance au moins �gale pour le pays � celle du
Grand-Prix de la ville de Paris pour la France. Dans cette course, la
distance �tait de 60 kilom�tres environ, en terrain accident�; plus de
deux cents chevaux entr�rent en ligne. Les trois premiers arriv�s
�taient des ambleurs.

On n'a pas gard�, il est vrai, le souvenir d'une autre course aussi
importante dans ces contr�es. Mais il arrive parfois de voir assigner un
prix de 2,000 brebis ou de 1,000 pi�ces d'or.

Pendant que les chevaux courent au loin, les spectateurs se livrent �
des luttes. Ils sont group�s en deux camps: d'un c�t� les Kirghises du
village, de l'autre ceux de la plaine. Dans chaque parti, un chef arm�
d'un b�ton maintient l'ordre et d�signe les combattants. Ceux-ci gardent
leurs v�tements et s'en servent m�me pour se saisir les uns les autres;
ils ne s'empoignent pas � bras le corps, mais se tiennent les bras
tendus, de sorte que tout l'effort est support� par les reins. La
victoire reste � celui qui a renvers� son adversaire sur le dos. Les
Kirghises, tr�s amateurs de ce genre de combat, excitent les champions
par leurs cris.

Mais tout � coup les assistants, oubliant la lutte, rompent le cercle,
se poussant, se bousculant, s'�crasant, pour se porter d'un m�me c�t�.
Tandis que ceux qui sont � pied cherchent leurs chevaux, ceux rest�s en
selle partent au triple galop. C'est qu'on a annonc� l'arriv�e des
cavaliers. Les commissaires de la course vont avoir alors fort � faire
pour emp�cher certaines tricheries, car les jockeys portent, fix�es �
leur selle, des cordes qu'ils lancent � leurs amis. Ceux-ci, arrivant
mont�s sur des chevaux frais, rel�vent ainsi l'allure du coursier dans
le dernier effort, tout en paraissant simplement courir � c�t� de lui;
puis ils l�chent la corde au bout de quelques centaines de m�tres.

Les gens du steppe ont sans doute la vue plus per�ante que la n�tre, car
c'est seulement quelques minutes apr�s eux que nous commen�ons �
apercevoir quelque chose comme un nuage de poussi�re d'abord, puis un
point noir qui va grossissant et finit par nous montrer la forme d'un
cheval. Le premier arrivant a une avance de 150 m�tres. Il passe avec
peine au milieu de la foule des cavaliers qui se pressent sur son
passage pour le f�liciter. La monture ne semble pas trop fatigu�e et
pourrait aller encore quelque temps. Elle vient pourtant de fournir 53
kilom�tres 200 m�tres en deux heures quatre minutes. Les cinq ou six
suivants arrivent assez pr�s les uns des autres. Quelques-uns ont
franchi, trois jours auparavant, une distance de 300 � 600 kilom�tres
pour venir prendre part � la course. Un cheval tombe foudroy�, quand son
cavalier l'arr�te; les autres sont conduits aux tentes voisines o� on
les pansera. Quant aux jockeys, ils ne paraissent pas se ressentir de
l'effort qu'ils viennent de faire: ils ont l'habitude de ces exercices.

Le gagnant frappe sur sa cuisse, en signe de remerciements pour une
r�compense personnelle que nous lui remettons. Il l'a bien m�rit�e, car
sa part personnelle du prix acquis en principe par sa tribu est des plus
minimes.

La _ba�ga_ est termin�e. Les chefs viennent partager avec nous le plat
favori des Sarthes, le _palao_ compos� de mouton cuit en morceaux dans
son jus avec du riz et des oignons. D�daignant les cuillers de bois qui
nous sont offertes, ils le mangent, selon la coutume, avec la main.

Le _Koumis_ coule � flots; les gagnants c�l�brent leur triomphe; les
vaincus se consolent de la d�faite. Tout le monde s'amuse. La foule se
presse autour d'un barde accroupi devant la tente; celui-ci, les jambes
crois�es, accompagne, en remuant la t�te, son chant sur une sorte de
guitare � trois corde. D'une voix forte il improvise des louanges des
deux �trangers venus de si loin, du beau pays de France. Nous sommes
sous le charme de cette voix m�le et pure qui se fait entendre sur un
rythme si doux. Puis la nuit vient; elle couvre d�j� la plaine de son
ombre et chacun songe au retour.

L'heure o�, selon le commandement du proph�te, on ne distingue plus un
fil blanc d'un fil noir est pass�e, sans, cependant, que le nom d'Allah
ait �t� invoqu�. C'est pourtant la f�te du Courban Ba�ran qui nous a
amen�s tous ici. Mais ils ne croient plus, ces gens qui ont conquis le
monde. Avec leur foi guerri�re ils ont perdu la foi religieuse. Ils
n'aiment plus que leurs chevaux, leur femmes et le steppe, le steppe
immense.



Henri d'Orl�ans.

[Illustration: L'arriv�e. D'apr�s des photographies du prince Henri
d'Orl�ans.]



[Illustration: DE PARIS A MOSCOU SUR DES �CHASSES.--Le d�part de Sylvain
Dornon.]



[Illustration: TH��TRE DE L'OP�RA.--Le �Mage�, op�ra en cinq actes,
paroles de M. J. Richepin, musique de M. J. Massenet. Le Camp: La sc�ne
d'amour du 1er acte entre Zarastra (M. Vergnet) et Anahita (Mme
Lureau-Escala�s).]

[Illustration: TH��TRE NATIONAL DE L'OP�RA.--Le �Mage�, op�ra en cinq
actes, paroles de M. Jean Richepin, musique de M. J. Massenet. Le
Temple: d�livrance d'Anahita par les Touraniens, au 4e acte.]



[Partition musicale.]

LE MAGE
OP�RA EN CINQ ACTES

J. MASSENET

JEAN RICHEPIN

CANTABILE chant� par M. Vergnet.

        Heureux celui dont la vie
        Pour le bien aura lutt� toujours!
        Car son �me est ravie
        Au bonheur �ternel des c�lestes s�jours.

         Les douleurs qu'il eut sur la terre
         Lui deviendront l�-haut des volupt�s sans fin.
         S'il eut soif, c'est le vin qui toujours d�salt�re;
         Et c'est le pain servi pour jamais, s'il eut faim.

         O sort divin de celui qui sans tr�ve, sans tr�ve
         Contre Ahriman aura nourri le feu,
         Il va, joyeux, au ciel conquis, vivre son r�ve,
         V�tu de gloire et d'or comme son Dieu!



[Illustration: HISTOIRE DE LA SEMAINE]

La semaine parlementaire.--La Chambre a vot� la semaine derni�re la
proposition de M. M�line tendant � venir en aide aux agriculteurs dont
les r�coltes ont �t� perdues par suite de la persistance de la gel�e.
Cette proposition, on se le rappelle, avait rencontr� une assez vive
opposition, un grand nombre de d�put�s estimant qu'elle �tait � la fois
inefficace et contraire aux principes sur lesquels repose notre
organisation sociale. Mais ceux-l� m�mes qui l'avaient combattue � ce
double point de vue pensaient qu'il y avait des mesures � prendre en
faveur de l'agriculture, et M. Rivet s'est fait leur interpr�te en
d�posant � son tour un projet de loi ayant pour but �l'organisation
d'une caisse nationale d'assurance agricole, laquelle serait aliment�e
par les ressources des communes.� M. Rivet demandait l'urgence; mais
elle a �t� repouss�e conform�ment � la d�claration du ministre des
Finances. M. Rouvier estimait en effet qu'on ne pouvait discuter au pied
lev� une question aussi grave, puisque la proposition aurait pour effet
d'engager le principe de l'assurance obligatoire qui n'existe pas dans
notre l�gislation. Cependant le sujet vaut d'�tre �tudi� et il est
probable que l'auteur de la proposition fera en sorte que le rejet de
l'urgence ne constitue pas un ajournement ind�fini de la discussion.

--La Chambre n'a pas voulu laisser au S�nat le monopole de l'�tude des
questions qui se rattachent � la situation de l'Alg�rie. Deux
propositions int�ressant notre grande colonie ont �t� d�pos�es par M.
Martineau: la premi�re concerne le service militaire des indig�nes
musulmans; la seconde, leur naturalisation progressive. Ces deux
propositions ont �t� renvoy�es � une commission sp�ciale de onze
membres.

--Le projet de loi portant modification du r�gime fiscal en mati�re de
successions et de donations entre vifs est venu en premi�re
d�lib�ration. Il s'agit de savoir si les droits du fisc continueront �
porter sur l'ensemble de la succession, comme le veut la l�gislation
actuelle, ou seulement sur le montant de la succession diminu�e du
passif, ce qui semble plus �quitable. Un long d�bat juridique s'est
engag� � ce sujet entre MM. Dumas, Raiberti, Borie et le rapporteur, M.
Jamais; apr�s quoi la Chambre a d�cid� de passer � une deuxi�me
d�lib�ration dans laquelle seront discut�s les divers amendements
pr�sent�s.

--La Chambre a vot� une r�solution en vertu de laquelle tous les vins de
fabrication ou pl�tr�s devront porter une �tiquette apparente indiquant
leur nature, de fa�on � pr�venir le public.

--Quand la Chambre veut se d�barrasser d'une interpellation inopportune
ou g�nante, elle profite de la latitude que lui laisse le r�glement, et
elle la renvoie � un mois. Un mois, c'est l'�ternit� quand il s'agit
d'un d�bat que l'interpellateur a voulu provoquer le plus souvent sur un
fait dont l'actualit� constitue le principal int�r�t. C'est ce qui �tait
arriv� pour l'interpellation d�pos�e par M. Francis Laur, au lendemain
de la faillite Mac�-Berneau, dans le but de demander au ministre de la
justice �les mesures qu'il comptait prendre pour emp�cher les
escroqueries publiques par prospectus promettant un revenu
invraisemblable et garantissant le capital.� Le mois s'est �coul� et,
par exception, le temps n'a pas amorti l'int�r�t du sujet, car M.
Francis Laur a tr�s habilement profit� de la crise qui vient de frapper
le march� financier, en rattachant � son interpellation l'affaire de la
Soci�t� des d�p�ts et comptes courants.

Le ministre de la justice aurait pu s�parer les deux causes, qui n'ont
aucun rapport entre elles, mais il a tenu � s'expliquer sur l'une et sur
l'autre. En ce qui concerne l'affaire Mac�, il a fait remarquer que pas
une des victimes du banquier en fuite n'a port� plainte, preuve �vidente
que ses nombreux clients avaient accept� d'avance le caract�re al�atoire
de ses op�rations. Au sujet de la Soci�t� des D�p�ts, M. Falli�res s'est
appliqu� d'abord � justifier l'intervention de l'�tat et des banques de
cr�dit; mais le point int�ressant de son discours est celui relatif aux
mesures pr�par�es par le gouvernement pour pr�venir autant que possible
de pareilles catastrophes. Le ministre a annonc� en effet un projet de
loi destin� � sauvegarder les int�r�ts des d�posants.

Aux termes de cette loi les Soci�t�s de cr�dit ne pourront employer les
d�p�ts qu'en papier commercial rev�tu de deux signatures, ou en avances
sur titres, compris parmi ceux que la Banque de France admet elle-m�me
au b�n�fice de ses avances.

Sur ces d�clarations, l'ordre du jour pur et simple a �t� vot� par assis
et lev�.

Elections s�natoriales.--Les trois �lections s�natoriales qui ont eu
lieu dimanche dernier ont donn� les r�sultats suivants:

Calvados: M. Turgis, conseiller g�n�ral, r�publicain, �lu par 788 voix
contre 370 � M. Thomine-Desmazures, maire de Mouen, monarchiste.

Eure: M. le docteur Guindey, conseiller g�n�ral, r�publicain, �lu par
558 voix, contre 497, � M. Pouyer-Quertier.

Seine-et-Marne: M. Benoist, r�publicain, �lu par 513 voix, contre 408, �
M. Chazal.

Les catholiques, les monarchistes et la r�publique.--L'opinion publique
suit avec une attention justifi�e l'�volution qui se produit depuis
quelque temps dans une partie du monde catholique fran�ais et qui a eu
pour point de d�part le fameux discours prononc� par Mgr Lavigerie, �
Alger. On se rappelle qu'� cette �poque, si le langage du cardinal n'a
pas re�u la confirmation officielle du Saint-P�re, de nombreux indices
permettaient aux partisans de l'�volution de croire que L�on XIII ne la
d�sapprouvait pas.

Depuis, M. d'Haussonville a trac� de son c�t� le programme des
monarchistes intransigeants, en laissant entendre clairement qu'il
existait une puissante fraction du parti royaliste parfaitement d�cid�e
� n'accepter aucun compromis. Or, on a fort remarqu� qu'un journal, qui
passe pour un organe officieux du Vatican, le _Moniteur de Rome_, a
vivement protest� contre les doctrines de l'orateur et lui a reproch�
notamment �d'avoir fait le proc�s de la politique de l'�piscopat, qui
veut le salut de la France et la fin des regrettables malentendus.

Faut-il voir dans les d�clarations que vient de faire le cardinal
Richard, archev�que de Paris, la confirmation de celles qu'a publi�es le
_Moniteur de Rome?_ Ce serait aller un peu loin, car l'archev�que de
Paris se tient dans la r�serve que lui commande sa haute situation dans
l'�piscopat. Toutefois, en raison m�me de cette r�serve, son langage a
une importance toute particuli�re.

Un certain nombre de catholiques lui ayant demand� son avis sur la fa�on
dont ils devaient comprendre leur �devoir social�, l'illustre pr�lat
leur a donn� une sorte de consultation qui contient un passage du plus
haut int�r�t. Il y est dit: �D'abord faisons tr�ve aux dissentiments
politiques. Quand la foi est en p�ril, redirons-nous avec L�on XIII, tous
doivent s'unir d'un commun accord pour la d�fendre. Le pays a besoin de
stabilit� gouvernementale et de libert� religieuse... Apportons un loyal
concours aux affaires publiques, mais demandons aussi que les sectes
anti-chr�tiennes n'aient pas la pr�tention d'identifier avec elles le
gouvernement r�publicain et de faire d'un ensemble de lois
anti-religieuses la constitution essentielle de la R�publique.� Ce sera
l�, en effet, tout le fait pr�voir, que portera principalement l'effort
de ceux qui, parmi les catholiques, se r�signent � accepter le r�gime
actuel: plus d'opposition syst�matique contre la forme de gouvernement,
mais propagande constante dans le but de faire r�former les lois qui
touchent aux int�r�ts religieux, c'est-�-dire celles qui concernent
l'enseignement, le service militaire et les congr�gations.

Puisque nous parlons du parti monarchiste, nous devons signaler un fait
important, la retraite de M. Bocher, le confident et le repr�sentant du
comte de Paris en France. M. Bocher a exerc� ces d�licates fonctions
pendant de longues ann�es et, dans ce r�le souvent difficile, il a su se
concilier l'estime g�n�rale. Il a invoqu�, pour r�signer son mandat,
l'�ge et la fatigue caus�e par un travail incessant. Son droit au repos
est trop �vident pour qu'il soit permis de chercher un autre mobile �
cette d�cision, qui peut amener une modification nouvelle dans
l'attitude du parti dont il �tait le repr�sentant.

M. le comte d'Haussonville, l'orateur de N�mes, que l'on supposait
d�sign� pour remplacer M. Bocher, a �t� en effet appel� par le comte de
Paris, qui se trouve en ce moment en Espagne.

Les courses et les paris.--On continue � occuper militairement les
champs de courses et, jusqu'ici, le public s'est en g�n�ral soumis aux
dispositions prises pour emp�cher le fonctionnement des paris. C'est �
peine si quelques arrestations ont �t� op�r�es pour infraction aux
arr�t�s minist�riels. Mais on sent que les choses ne peuvent durer ainsi
et on devine que cette patience apparente est motiv�e par l'attente de
la loi sp�ciale qui doit r�gler la question une fois pour toutes.

En vertu de cette loi, seront seules autoris�es les courses ayant pour
but l'am�lioration de la race chevaline et organis�es par des Soci�t�s
dont les statuts auront �t� approuv�s par le ministre de l'agriculture.

Les Soci�t�s de courses auraient la police de leurs hippodromes. Elles
organiseraient donc sous leur surveillance le fonctionnement des paris
et s'entendraient avec les municipalit�s pour la redevance � payer au
profit d'oeuvres de bienfaisance.

Mais, comme on le voit, d'apr�s ce projet, le point sp�cial relatif � la
l�galit� du pari mutuel n'est pas tranch�. Aussi, pour pr�venir les
difficult�s qui ne manqueraient pas de se produire de nouveau, certains
d�put�s voudraient-ils que la question f�t nettement pos�e et ils
demandent une modification cat�gorique � la loi de 1836 sur les
loteries, loi � laquelle celle qui concerne le pari mutuel serait
assimil�e.

Allemagne: _les passe-ports en Alsace._--A la suite des mesures prises
par l'administration allemande, dans le but de rendre plus rigoureuses
encore que par le pass� les prescriptions relatives aux passe-ports, une
d�l�gation de la repr�sentation d'Alsace-Lorraine s'est rendue aupr�s de
l'empereur pour essayer de le faire revenir sur sa d�cision. Guillaume
Il a re�u les d�l�gu�s en grand apparat; il avait pris place sur le
tr�ne, entour� des dignitaires de la couronne, et il �tait rev�tu de
l'uniforme des gardes du corps. Dans le discours qu'il leur a adress�,
l'empereur a fait entendre que, pour le moment du moins, il n'�tait
dispos� � faire aucune concession. En revanche, il a saisi l'occasion
qui lui �tait offerte pour proclamer hautement les droits de l'Allemagne
en Alsace-Lorraine.


N�crologie.--Le g�n�ral de Narp, commandeur de la L�gion d'honneur.

M. Kornprobst, ancien ing�nieur en chef des ponts-et-chauss�es.

M. Viguier, conseiller � la cour d'appel.

Mme Fourneret, femme de l'ancien secr�taire et neveu de M. Gr�vy.

M. Stephany Poignant, ancien pr�fet de l'Empire.

Le colonel du g�nie en retraite Goulier, professeur de topographie �
l'�cole de Fontainebleau.

M. L�on Aubineau, �crivain catholique.

Le g�n�ral Campenon, s�nateur inamovible, ancien ministre de la Guerre.

La princesse Marianne Bonaparte, veuve du prince Lucien Bonaparte,
s�nateur du second empire.

Le prince Napol�on.



NOTES ET IMPRESSIONS

J'aime la libert� sous toutes ses formes, mais la libert� de tous.

(_Discours au S�nat._) Le prince Napol�on.

                                                *
                                              * *

Un peuple libre doit se composer d'individualit�s ind�pendantes, avec
leur entier d�veloppement, et non de grains de sable qui ne sont agr�g�s
que par l'administration.

(_Ibid._) Le prince Napol�on.

                                                *
                                              * *

L'homme est passionn� pour une cause parce qu'il ne voit pas l'ensemble
des choses humaines.

Ernest Renan.

                                                *
                                              * *

Peu de nations ont une conception assez haute de la justice pour oser,
par un acte solennel de bl�me, se d�livrer d'un remords.

Edm. Adam.

                                                *
                                              * *

Le bonheur tient aux affections plus qu'aux �v�nements.

Mme Roland.

                                                *
                                              * *

Le plus souvent on cherche son bonheur comme on cherche ses lunettes,
quand on les a sur le nez.

Gustave Droz.

                                                *
                                              * *

Une grande �me est une source d'amertume et de peine: voil� pourquoi
tant de gens s'accommodent si bien d'en avoir une petite.

Ernest Serret.

                                                *
                                              * *

Un peu de niaiserie accompagne toujours la v�ritable innocence.

H. Rabusson.

                                                *
                                              * *

L'esprit n'excuse rien et il fait tout pardonner.

                                                *
                                              * *

La probit� est, de tous les biens, celui que nous appr�cions le plus
chez les autres.

G.-M. Valtour.



[Illustration: M. TH�ODORE DE BANVILLE D'apr�s une photographie de la
maison Pirou.]



[Illustration: LE G�N�RAL CAMPENON D'apr�s une photographie de la maison
Barenne.]



M. WINDTHORST

L'homme qui a dirig� pendant vingt ans le parti catholique allemand n'a
gu�re eu d'histoire que celle de ses actes publics. Il est vrai qu'une
telle activit�, dans des circonstances si diverses de lutte et de
victoire, suffit � remplir une vie et � marquer une �poque.

Ce petit homme, court et bas sur jambes, � d�marche incertaine de myope,
au vaste front chauve, aux yeux d�biles toujours couverts de grosses
lunettes bleues, avait l'enveloppe d'un personnage hoffmannesque, d'un
vieux biblioth�caire ou d'un antique juriste oubli� dans les archives
d'un tribunal tr�s ancien. Tel on l'imaginait quand on le rencontrait,
rentrant � petit pas dans son pied-�-terre de Berlin, au fond d'une rue
tranquille, � l'ombre de la coupole et des arbres du jardinet de
l'Observatoire. Or, il ne fut pas dans le parlement du nouvel empire
d'esprit plus agile, de coup d'oeil plus prompt, de manoeuvrier plus
f�cond en ressources, de strat�giste plus ferme en sa marche et plus
conscient en son but! Il fut le Moltke des batailles int�rieures de
l'Allemagne.

Le r�le de cet homme d'�tat dans sa patrie hanovrienne n'est rien aupr�s
de celui qu'il a jou� depuis 1870 sur le th��tre plus vaste du Reichstag
allemand.

[Illustration: M. WINDTHORST Chef du parti catholique en Allemagne,
r�cemment d�c�d�.--Phot. Schneider.]

Lors de la constitution du nouvel empire allemand, Guillaume Ier l'avait
baptis� du mot �d'empire �vang�lique�, c'est-�-dire d'empire protestant,
et son chancelier montrait des dispositions non �quivoques � faire
passer dans les instituions cette parole imp�riale. Les pays catholiques
du nouvel empire s'�murent du caract�re protestant qu'on semblait
attribuer � l'empire constitu� par les efforts et les luttes de tous.
Les Bavarois, les Hanovriens, les Prussiens catholiques des bords du
Rhin et de Sil�sie, form�rent rapidement le noyau d'un nouveau parti, le
Centre, dont le nom marquait assez l'esprit. Il ralliait en effet, pour
la d�fense des institutions catholiques, les �l�ments les plus divers:
depuis le bas clerg� � tendances d�mocratiques et presque socialistes
des pays d'industrie, jusqu'aux grands propri�taires terriens
aristocrates des pays d'agriculture. Ce fut le grand m�rite, le tour de
force renouvel� pendant vingt ans par M. Windthorst, de tenir unis des
esprits si divers, de les amener, sinon � des votes unanimes sur toutes
les questions, du moins � une coh�sion que rien ne d�mentit, dans toutes
celles o� l'int�r�t catholique �tait engag�.

C'est ainsi qu'� la t�te de sa phalange de cent d�put�s il soutint, sans
rien rel�cher de son opposition, les dix ans d'assaut de M. de Bismarck.
Le chancelier et les ex�cuteurs de sa politique expulsaient les ordres
religieux, emprisonnaient les �v�ques, suspendaient les traitements de
centaines de cur�s et desservants, for�aient les pr�tres qui n'allaient
pas chercher l'investiture administrative � abandonner leurs paroisses.
Contre cette force, il y avait une r�sistance: la parole de M.
Windthorst dans les grands congr�s r�gionaux, et, dans l'enceinte du
parlement, le vote en bloc de cent d�put�s catholiques contre les
projets gouvernementaux les plus essentiels: les projets �conomiques.

Quand cette insurrection l�gale eut enfin convaincu M. de Bismarck qu'il
ne pouvait pas faire de �finances imp�riales�, celui-ci dut d�sarmer, en
face du centre toujours arm�, et r�voquer ou laisser tomber en d�su�tude
l'une apr�s l'autre les lois de combat qu'il avait dress�es contre
l'�glise catholique et les ordres religieux en Allemagne.



[Illustration: EN ESPAGNE.--La procession de la Vierge noire au
monast�re de Montserrat.--D'apr�s une photographie de notre
correspondant, M. H. Lyonnet.]



[Illustration: LES TH��TRES]

Op�ra: _Le Mage_, op�ra en cinq actes, par M. Jean Richepin, musique de
M. J. Massenet.

En pla�ant l'action de son drame lyrique dans le Bactriane, � l'�poque
l�gendaire o� s'est fond� le Mazd�isme, 2,500 ayant l'�re chr�tienne, M.
Richepin a confiance dans l'�rudition du public. Je ne doute pas que le
spectateur soit au courant des luttes des Touraniens et des Iraniens,
mais pour moi, je l'avoue, il m'a fallu quelques lectures pr�liminaires
pour me transporter dans ce milieu l�gendaire, un peu �loign� de nous.
Par bonheur, le fait humain est l�, et, malgr� ce recul, nous assistons
� un drame, qui, pour s'expliquer, n'a pas besoin du Mazd�isme, et qui
se d�velopperait tout aussi bien dans une autre �poque, en dehors de la
Djaki, la d�esse des volupt�s. Donc, les Iraniens, ou, si vous aimez
mieux, les peuples de la Perse, ont vaincu les Touraniens, c'est-�-dire
les peuples Tartares: Zarastra, le g�n�ral triomphateur, va faire son
entr�e solennelle � Bakhdi, lorsque Varedha, la pr�tresse de la Djaki,
vient lui d�clarer sa folle ardeur, et cela, sans beaucoup de
pr�cautions, comme il convient � une pr�tresse d'une religion qui ne
reconna�t que la passion pour puissance. L'aveu de cette �nergum�ne de
l'amour effraye un peu Zarastra, lequel adore Anahita, la reine des
Touraniens, qu'il a d�faits.

Amrou, le grand-pr�tre des D�vas, et dont Varedha est la fille, a
entendu les confidences faites � Zarastra par la princesse, et, t�moin
des d�dains du g�n�ral pour sa fille, il la console en lui promettant
son appui; et il assiste, cach�, aux aveux d'amour et aux promesses
qu'�changent Zarastra et Anahita. Le vainqueur implore son pardon de la
reine vaincue. Ce n'est pas pour l'amour de la gloire que Zarastra a
soumis un peuple, c'�tait pour monter jusqu'au rang o� il pouvait �tre
aim� d'une reine; et le voil� qui demande en suppliant la piti� de la
reine dans un baiser. Dans le coeur de la jeune fille la passion est
plus grande encore que le regret de la patrie perdue, et, en entendant
les lamentations des Touraniens qui passent charg�s de cha�nes �
l'horizon, Anahita se d�fend en vain contre le vainqueur et contre
elle-m�me; ils s'en vont, eux, mais elle, reste: son peuple est captif
et son coeur aussi.

Au second acte, Amrou tente de relever le courage de sa fille,
d�sesp�r�e � ce point que, dans les souterrains du temple de la Djaki,
elle s'enfonce de plus en plus dans les t�n�bres pour �viter les cris de
la f�te nuptiale qui se pr�pare, et elle cherche la mort. Amrou lui
apporte la vie. Il la vengera. L'�me de Varedha se refuse � une
vengeance qui doit atteindre celui qu'elle aime encore, mais Amrou
vainc facilement sa r�sistance en lui montrant Zarastra heureux dans
son amour pour la reine qu'il �pouse, et en lui r�p�tant les paroles
enflamm�es de passion qu'ils �changent. Ce grand-pr�tre manque de
grandeur morale; mais attendez, nous allons assister � bien d'autres
�v�nements.

Pendant la solennit� du triomphe de Zarastra, quand le peuple entoure le
g�n�ral et que les ennemis d�filent devant la foule, Zarastra fait
hommage au roi des Iraniens de cette troupe prisonni�re et de leurs
biens. De tous ces tr�sors pris sur l'ennemi, il n'en veut garder qu'un
seul, le plus pr�cieux de tous: la reine. Anahita, dont le vainqueur
soul�ve le voile qui cache sa merveille beaut�, accepte cet hommage
rendu en face de tout un peuple, et, dans les bras de celui quelle aime,
oublie un tr�ne perdu, lorsque la voix imposante et terrible d'Amrou se
fait entendre. Le grand-pr�tre s'oppose � ce mariage.

Zarastra ne peut �pouser la reine; un autre serment l'engage et Varedha,
qui s'avance en d�signant le g�n�ral du geste, dit que cet homme a �t�
son amant. Zarastra se d�fend contre un pareil mensonge. Il crie � la
calomnie; la pr�tresse lui rappelle en vain leurs amours pass�es; le
malheureux a beau se gendarmer contre cette inqualifiable trahison,
Amrou en appelle aux pr�tres qui jurent que le grand-pr�tre et sa fille
ont dit la v�rit�. Devant un tel serment, la foi d'Anahita est �branl�e;
son amour est atteint � ce point que la reine retire sa parole et
renvoie son fianc� � ses anciennes amours. A ces mots, la col�re de
Zarastra ne conna�t plus de bornes, il est pris de fureur et contre les
dieux qui ne le d�fendent pas, et contre ces pr�tres menteurs, et contre
le roi ingrat, et contre le peuple qu'il a sauv� et qui oublie ses
services; il maudit ces imposteurs dans leurs trahisons et dans leurs
blasph�mes; il maudit leurs divinit�s mensong�res et, chass�, fl�tri par
les impr�cations de la foule, irrit� par une telle folie, il en appelle,
en la bravant du regard, � Mazda, le dieu de la v�rit�.

C'est sur la montagne sainte qu'il se retire: pendant que les mages et
le peuple sont en pri�re au pied du mont sacr� et que la foudre sillonne
les nues amoncel�es, Zarastra, face � face avec Dieu, re�oit la parole
divine pour la rapporter � son peuple. L'�lu du Seigneur r�pand sur la
foule la parole c�leste, mais, rest� seul, l'homme devenu dieu un
instant par sa communication avec l'�tre supr�me souffre maintenant de
toutes les faiblesses, de toutes les douleurs humaines. Il combat contre
le souvenir troublant d'Anahita, il demande � son coeur la force de
l'oubli, lorsque Varedha appara�t envoy�e, sans doute, par Ahriman,
l'esprit du mal. Le mage la repousse et dans ses pri�res et dans ses
tentations de la chair. Il lui pardonne le l�che mensonge qu'elle avoue.
Mais il a compt� sans la m�chancet� de la femme qui, ulc�r�e de ses
m�pris, l'atteint dans la jalousie et ravive les amours mortes. Varedha
lui apprend que Anahita a un autre amant et que cette ma�tresse ador�e
va �pouser le roi de l'Iran; sur cette parole elle abandonne le mage,
certaine de le revoir bient�t � Bakhdi.

Les noces du roi se c�l�brent contre la volont� d'Anahita; mais
l'infernale politique d'Amrou qui tient � venger sa fille veut les
choses ainsi. Mise en face des ordres du roi, Anahita veut, avant tout,
sa libert�; elle pleure la patrie absente; elle se d�fend, le roi
enjoint au grand-pr�tre de les marier, m�me sous les reproches, sous les
menaces d'Anahita indign�e qui fait appel � des retours de fortune; au
moment o� la parole sacr�e d'Amrou se prononce, au moment o� Varedha
ivre de haine voit les �poux unis et attend l'arriv�e du mage pour jouir
de sa vengeance � un tel spectacle, on entend des cris f�roces: ce sont
les Touraniens qui ont repris l'offensive. Ils arrivent la torche � la
main; ils ont envahi la ville, ils envahissent le temple, dans une m�l�e
horrible, dans un affreux massacre. Ils tuent le roi, ils tuent Amrou.
Varedha veut se jeter sur Anahita et la poignarder; les Touraniens
entourent et prot�gent leur reine et Anahita, le sabre � la main,
triomphante et f�roce, se prom�ne, comme une folle, au milieu de cette
tuerie.

Avec M. Richepin nous �tions s�r d'avance que nous irions jusqu'aux
extr�mes du drame. L'acte qui suit est plus terrible encore. P�le-m�le
dans les d�combres, �clair�s par les reflets sinistres de l'incendie
lointain, les cadavres gisent �pars, parmi lesquels celui du roi et
celui d'Amrou. Le corps de Varedha, raide, les yeux fixes, est adoss� �
un tron�on de colonne du palais tomb�. Zarastra, que l'amour a ramen� �
Bakhdi, marche lentement � travers les ruines de sa patrie. Il retrouve
Anahita, mais victorieuse. Ils s'aiment toujours, le mage sert un dieu
complaisant qui permet ces amours. Le r�ve de bonheur de Zarastra et
d'Anahita va s'accomplir, quand Varedha revient � la vie, et, toujours
irrit�e, invoque le Djaki contre eux. L'incendie se rallume soudain et
les enveloppe; ils sont pr�s de p�rir, lorsque Zarastra fait appel � son
dieu qui entend la voix de son messie: les flammes s'�teignent, et,
tandis que Varedha meurt dans un dernier cri de rage impuissante, le
mage et sa bien-aim�e passent d'un pas triomphant � travers les ruines.

Un livret aussi tourment�, aussi violent, demandait au compositeur un
�clat, une force toute particuli�re. Cette puissance d'exception
�tait-elle dans M. Massenet, le musicien par excellence de la tendresse
et de la gr�ce? Voil� la question que se posait le public anxieux de
l'oeuvre d'un ma�tre dont l'autorit� est si grande et si m�rit�e. Il m'a
sembl� qu'� certains moments, ce public regrettait son compositeur
favori entra�n� trop avant dans le drame. Cette sc�ne du mage sur la
montagne sacr�e, ce Mo�se face � face avec le Seigneur sur le mont
Sina�, au milieu du tonnerre et de la foudre, et rapportant les tables
de la loi � son peuple en pri�res, entra�nait le musicien � des hauteurs
de l'art qui ont �t� entrevues, mais qui n'ont peut-�tre pas �t�
atteintes. Cette passion furieuse de Varedha, la pr�tresse de la Djaki
tout enti�re � sa proie attach�e, ce fanatisme du grand-pr�tre Amrou,
f�roce dans ses volont�s, imposait � l'art ses exigences. M. Massenet
n'a pas de ces intransigeances. Il a trait� un peu � l'amiable avec ces
grandes col�res; au fond la salle, qui le sentait, ne lui en voulait
qu'� moiti� de ne pas aller jusqu'au bout dans les violences du drame;
il lui suffisait de retrouver le jeune ma�tre dans les qualit�s
sup�rieures de son g�nie, dans l'�l�gance, dans la tendresse et dans la
passion amoureuse. Elle �tait sous la s�duction de cette inspiration
p�n�trante et de cette habilet� de l'artiste, dont la conscience et le
soin font de chacune des pages de sa partition, soit dans les parties
vocales, soit dans les parties de l'orchestre, des pages magistrales.

Rien, dans une oeuvre de M. Massenet, ne passe indiff�rent. Aussi _Le
Mage_ a-t-il �t� �cout� d'un bout � l'autre religieusement, car le
talent s'imposait partout, du premier au dernier de ces cinq actes. Le
premier a �t� accueilli avec enthousiasme. Il est complet avec son chant
des prisonniers Touraniens et avec le choeur qui l'accompagne de ses
lamentations; avec le duo qui le suit entre Varedha et Zarastra, et
surtout avec le duo entre Zarastra et Anahita qui, vaincue par l'amour,
entend les plaintes de son peuple conduit en exil. L'acte suivant a des
pages exquises dans les accents d�sesp�r�s de Varedha. La phrase de
Zarastra soulevant les voiles de la captive est ravissante; c'est une
des plus heureuses inspirations du ma�tre dans son oeuvre si multiple.
Si l'acte sur le mont sacr� manque de puissance, il est trait� dans un
go�t parfait orchestral. La salle a salu� un solo de cor de ses
applaudissements. La pri�re de Varedha: �Sous tes coups tu peux briser�
est d'un effet dramatique irr�sistible. Le chant d'Amrou au quatri�me
acte: �Fais fleurir, � sainte ivresse� a fait merveille; mais le
triomphe de la soir�e �tait r�serv� aux strophes d'Anahita: �Vers la
steppe aux fleurs d'or� qui rappelle la m�lodie des prisonniers
Touraniens du premier acte, m�lodie exquise que le public a voulu
entendre une seconde fois et que Mme Lureau-Escala�s chante avec un
sentiment po�tique adorable.

Le succ�s du _Mage_ �tait assur� d�s ce moment et le cinqui�me acte tout
entier avec la sc�ne de Zarastra et le duo entre le mage et Anahita:
�Ah! parle encor, encor!� n'a fait que le confirmer. Le ma�tre de
_Manon_, du _Roi de Lahore_, d'_Esclarmonde_ et du _Cid_ sortait
triomphant encore de cette nouvelle �preuve.

Je ne sais ce que les �v�nements prochains d�cideront de la direction
actuelle de l'Op�ra, peut-�tre MM. Ritt et Gailhard ne seront-ils plus
alors � la t�te de l'Acad�mie de musique, mais nous leur devons au moins
cette justice de dire que, depuis plus de vingt ans, depuis les jours de
l'_Africaine_ et de _Hamlet_ nous n'avions vu une pareille
interpr�tation et si digne de ce grand et noble th��tre. Ce sont: MM.
Vergnet, Delmas; ce sont Mmes Fierens et Lureau-Escala�s qui chantent le
_Mage_ avec une virtuosit� et un ensemble incomparables. Les masses
chorales sont superbes; les costumes de toute richesse et de toute
beaut�. Les d�cors surpassent tout ce qui nous a �t� donn� de voir
jusqu'ici. Les masses orchestrales ont toujours leur ex�cution
magistrale et l'Op�ra n'a rien perdu de sa splendeur, je parle de celle
de ses plus belles �poques.

Savigny.



LES LIVRES NOUVEAUX

L'_Argent_, par Emile Zola. 1 vol. in-12,

3 fr. 50 (Biblioth�que Charpentier).--Le nouveau roman de M. Zola se
rattache � la s�rie des Rougon-Macquart: c'en est le dix-huiti�me, pas
un de moins, et ce n'en est pas le dernier. Il s'y rattache, entendons
nous; comme il est arriv� d�j� pour le _R�ve_, par un fil blanc, qu'on
aper�oit de loin dans la couture de l'habit. Mais M. Zola n'y va pas par
quatre chemins. Saccard, le h�ros du livre, est le fr�re m�me du grand
ministre de l'empire, de Rougon, dont il a quitt� le nom pour prendre
une importance personnelle de grand premier r�le. Il est donc bien de la
famille, de cette famille dont M. Zola �crit avec tant de z�le et tant
de suite l'histoire naturelle et sociale, de cette famille qui a v�cu,
qui n'a pu vivre que sous le second empire. Car on sait que les
personnages de M. Zola sont d'une telle v�rit� que lorsqu'il les a
baptis�s d'un nom, il n'est pas possible de leur en donner un autre, et
que si quelqu'un de vraiment en chair et en os objecte qu'on lui a pris
le sien, eh bien, c'est � celui-ci d'en changer, les autres ne
pourraient pas. Cela laisse � penser quelle exactitude doit r�gner dans
les faits. C'est du document au premier chef et certes on ne pourrait
supposer que M. Zola fit passer sous l'empire des �v�nements qui n'ont
pu se produire que quinze ans plus tard: c'est pourtant l� ce qu'il a
fait, si l'on sait lire _Union g�n�rale_ o� il a mis _Banque
universelle_: car c'est tout un. �videmment la passion qui pousse le
financier de 1867 est la m�me qui animera plus tard celui de 1882. Cela
pourrait peut-�tre suffire � un romancier psychologue; mais, quand
l'�crivain se pique de faire l'histoire naturelle et sociale d'une
�poque, n'est-on pas autoris� � lui demander de ne pas faire celle d'un
autre?

Donc Saccard, ruin� vers la fin de l'empire, est � la recherche d'une
id�e qui lui permette d'�difier une nouvelle fortune. Cette id�e lui est
fournie par un honn�te ing�nieur qui a imagin� de refaire le royaume de
Palestine et d'installer le pape � J�rusalem, tout simplement. Elle est
peut-�tre un peu forte, mais, apr�s tout, dans le monde des affaires on
en a vu bien d'autres, et celle-ci a l'avantage de s'adresser � des gens
particuli�rement na�fs, qui ne manquent pas de s'en �prendre et qui se
font un devoir pieux de verser leurs capitaux dans la caisse de
l'_Universelle_. Mais le banquier qui, une premi�re fois, a d�j� ruin�
Saccard, ne l�che point sa victime. Il laisse grandir et se d�velopper
l'affaire, tout en la minant sourdement, avec une certitude d'arriver �
ses fins que l'�v�nement confirme. Et la chute est d'autant plus
profonde, l'effondrement d'autant plus complet. Tout le drame est l�,
tout le roman. Mais, malgr� la force des peintures, est-ce assez pour
l'int�r�t du lecteur?

Il est certain que lorsqu'on a commenc� ce livre, c'est comme un
engrenage et que le monstre vous prend tout entier. Mais, est-il un seul
de ses nombreux personnages auquel on puisse s'int�resser? Tout ce monde
d'affaires est vraiment triste � voir et il est permis de supposer que
c'est un de ceux auxquels M. Zola fait le moins de tort en le d�crivant.
Si l'auteur de la _Terre_ a calomni� le paysan, l'auteur de l'_Argent_ a
�videmment moins charg� le financier. Nous ne dirons rien du r�le de la
femme dans cette derni�re oeuvre, sinon qu'il est, � son ordinaire chez
M. Zola, assez r�pugnant. Quant � la valeur, nous avouons ne pas la
saisir tout enti�re. On parlera une fois de plus de la puissance du
talent de l'auteur. Cette puissance est �vidente: elle fait penser au
marteau-pilon du Creusot; quant � �veiller l'id�e d'un ma�tre peintre de
l'�me humaine, c'est autre chose.

L. P.



[Illustration: NOS GRAVURES]


LA B�N�DICTION DES RAMEAUX

Y a-t-il rien de plus charmant dans la liturgie catholique, rien de plus
adorable que cette f�te de P�ques-Fleuries, o� tout rena�t pour nous
charmer!

A Paris, autant qu'en province, la coutume est tr�s suivie par les
chr�tiens m�me incroyants d'acheter du buis b�ni. Le saint rameau se
trouve dans toute les familles. Il nous a paru curieux de montrer la
touchante c�r�monie qui pr�lude aux pri�res de la matin�e, et pour cela
la ravissante �glise de Saint-Germain-l'Auxerrois nous a fourni le plus
charmant des cadres.

C'est � peine si l'aube pointe et d�j�, devant les grilles de la vieille
�glise, se d�m�ne tout un petit monde de vieillards, de femmes et
d'enfants. Parmi les voussures ouvrag�es, o� depuis des temps s�culaires
ils ont fait leur nid, les pierrots tendent leur t�te curieuse. Ravis de
voir l'ample moisson de feuillage, dont rapidement le sol se couvre, ils
piaillent gaiement en se lissant de leur bec. Une odeur d�licieuse
d'herbe et de terre mouill�es monte vers eux. Sous le ciel blanchissant
et d�j� plus l�ger toute la fra�cheur et toute la joie du printemps
chantent l�.

Le moment solennel de la b�n�diction du buis est proche.

Faibles d'abord, venant du fond de la nef de pierre, puis plus vibrants,
les sons d'une clochette d'enfant de choeur se sont fait entendre. Sans
bruit, la porte du clo�tre a roul� sur ses gonds: elle livre passage au
suisse de corpulente stature, dont la haute canne scande la marche.

Derri�re lui, entre les fines colonnettes du seuil, le pr�tre est
apparu.

Il n'a pas rev�tu encore tous les insignes dont il se couvrira bient�t
pour la messe de six heures. En aube simplement et l'�tole retombant �
droite et � gauche sur la poitrine, il tient d'une main sa barrette et de
l'autre un livre de pri�re. Entre sainte Clotilde et sainte Radegonde,
reines de France, dont la na�ve effigie semble sourire, il passe et
descend les marches du parvis pour ne s'arr�ter qu'� la grille. Devant
lui, sur le sol, la foule des marchands s'est prostern�e. Un couple
matinal, en fra�che toilette, d�j� s'approche avec respect. Tout le
monde a fait silence. Ce petit marchand de rameaux qui, il n'y a qu'une
seconde, caquetait de concert avec les moineaux, s'est lui-m�me tu.

Alors, l'officiant prend un goupillon des mains du servant qui
l'accompagne et lentement, avec toute l'onction sacerdotale, son bras
s'�l�ve pour asperger d'eau lustrale les branches entass�es � ses pieds.
De ses l�vres s'�chappent, press�es, les paroles consacr�es.

Le buis des rameaux est b�ni.

Il fait grand jour maintenant. Une admirable matin�e se pr�pare. Au
fronton du Louvre s'allume de roses clart�s; sur la place, les
vieillards, les enfants et les femmes vont et viennent.

--Achetez-moi, disent-ils, un joli rameau de buis.

P.  A.


DE PARIS A MOSCOU SUR DES �CHASSES

Une �trange fantaisie, assez inattendue dans un si�cle qui se pique de
marcher � toute vapeur, pousse certains de nos contemporains � employer,
pour leurs d�placements, les moyens de locomotion les plus bizarres,
sinon les plus rapides.

Il y a un an, un tailleur autrichien assoiff� de r�clame nous arrivait
enferm� dans une cage en bois, et deux amoureux espagnols, d�sireux de
trouver � Paris un refuge contre la tyrannie paternelle, s'y faisaient
transporter par le chemin de fer, cach�s ensemble dans une �norme
caisse, sous les �tiquettes _fragile_ et _c�t� � ouvrir_. De Vienne deux
originaux venaient visiter en brouette l'Exposition de 1889, et la
Russie nous envoyait, tour � tour, un officier � cheval, un autre �
pied, et un jeune touriste en v�locip�de; avant-hier enfin une tro�ka
attel�e de trois chevaux amenait de Saint-P�tersbourg un voyageur pas
trop press�.

Sylvain Dornon, un ancien berger, actuellement boulanger � Arcachon, a
voulu se placer � un point de vue plus �lev�, et rendre � la Russie une
visite de politesse.

Il est, en effet, parti jeudi 12 courant � neuf heures et demie du matin
de la place de la Concorde, mont� sur des �chasses landaises de 1 m�tre
20 de hauteur, et s'est engag� � arriver en 42 jours � Moscou pour
assister � l'inauguration de l'Exposition fran�aise, parcourant ainsi
quelque 60 kilom�tres par jour.

Deux mille personnes environ assistaient � son d�part. A l'entr�e de la
rue Royale o� notre gravure le repr�sente, les gardiens de la paix
avaient �t� forc�s de lui frayer un passage parmi la foule des pi�tons �
laquelle se m�laient des bicyclettes, des tricycles, et bon nombre de
gamins qui, mont�s sur des petites �chasses, l'accompagnaient au cri de:
�A Moscou! � Moscou!� sur l'air des lampions. Surtout le parcours, le
long des boulevards, devant le Figaro, rue Lafayette, les passants
�taient fort intrigu�s en voyant �merger au-dessus d'eux, de toute une
hauteur d'homme, la figure fantastique de l'�chassier, qui se baissait
complaisamment, distribuant des poign�es de main � droite et � gauche.

Servi par la vitesse de son �norme compas, Dornon est sorti bien vite
par la porte de Pantin, et il a couch� le soir m�me � la Fert�-Milon.
Son itin�raire est Reims. Sedan. Luxembourg. Coblentz, Berlin, Wilna. On
a d�j� revu de ses nouvelles de Sedan. A Moscou l'attend une �norme
paire d'�chasses sur lesquelles il compte faire une entr�e triomphale.

A.


�LE MAGE�

On sait avec quel soin la direction de l'Op�ra a mont� l'oeuvre de MM.
Richepin et Massenet, le _Mage_. Les d�corateurs, au reste, avaient de
quoi donner carri�re � leur imagination: cette reconstitution d'une
�poque ancienne, pr�historique, ne pouvait que les s�duire.

Entre les nombreux et int�ressants tableaux que comporte le _Mage_, nous
choisissons, tout d'abord, le premier, qui est repr�sent� par la plus
petite de nos gravures. Nous sommes dans le camp de Zarastra. La tente
du guerrier s'�l�ve � droite: � gauche, un c�dre aux larges ramures se
dresse: le fond nous ouvre une perspective souriante sur la ville de
Bakdi et ses pittoresques monuments... C'est l� que Zarastra, vainqueur
des Touraniens r�volt�s, apr�s avoir repouss� l'amour de Varehda, la
belle pr�tresse de Djaki, d�esse des volupt�s, d�clare son amour � sa
royale prisonni�re, la belle Anahita, souveraine des Touraniens. Anahita
se laisse aller aux bras de Zarastra: dans la nuit, on entend la chanson
plaintive des prisonniers, et la reine s'�crie:

        H�las! ils s'en vont et je reste ici:
        Mon peuple est captif et mon coeur aussi.

Notre grande gravure nous transporte dans la salle du sanctuaire, dans
le temple de la Djaki. Un large d�me est soutenu par d'immenses
pilastres incrust�s de pierreries �clatantes... Au fond, s'�l�ve l'autel
et la statue aux proportions colossales de la d�esse de la Volupt�... On
c�l�bre les myst�res de la d�esse. Les pr�tresses en tunique de gaze
travers�es de guirlandes de fleurs, les tourneuses aux torses nus avec
jupes transparentes et des coiffures de perles bleu-paon, accomplissent,
les danses du rite... Ces myst�res pr�c�dent le mariage de la reine
Anahita avec le loi de l'Iran. Anahita a cru, en effet, le mensonge
invent� contre Zarastra par la pr�tresse Varedha: son coeur est chagrin,
elle pense bien � l'absent, mais, r�sign�e ou non, elle va c�der � la
loi qui lui est impos�e et devenir la femme du roi de l'Iran... Mais
voici qu'une rumeur, d'abord sourde, se fait entendre. Les cris se
rapprochent, des sonneries de trompette �clatent. Ce sont les
Touraniens. Ils envahissent le temple, la torche et le fer � la main...
Notre gravure repr�sente le moment pr�cis o� les Touraniens, d�livrant
leur reine, lui tendent une �p�e, qu'elle brandit en signe �le joie et
de triomphe, et o� ils se pr�cipitent, pour les tuer, sur les deux
imposteurs: Varedha, la pr�tresse, et son p�re Amrou, le grand-pr�tre de
Djaki.

Outre ces deux gravures, nous publions une page de la belle partition de
M. Massenet, que nous devons � l'obligeance de ses �diteurs, MM.
Hartmann et. Cie 20, rue Daunou.. C'est la large et puissante invocation
religieuse de Zarastra, que chante au troisi�me acte M. Vergnet.

Ad.  Ad.


TH�ODORE DE BANVILLE

C'�tait une physionomie attachante et curieuse que celle du ma�tre et du
po�te Th�odore de Banville. Il avait l'aspect doux, placide, inoffensif,
d'un bon bourgeois de Paris, et son bon regard apaise ne trahissait plus
les col�res truculentes du �romantique� ardent, novateur,
r�volutionnaire, qui avait suivi vers la vingti�me ann�e la banni�re de
Victor Hugo. Il �tait n� en 1823; il avait lu dans son adolescence les
premiers chefs-d'oeuvres des nouveaux po�tes, il en avait savour� le
suc, et, comme la muse l'avait dou�, lui aussi, ce n'est pas une simple
adh�sion qu'il apporta � la nouvelle pl�iade; ce furent des oeuvres: les
_Stalactites_ d'abord, puis les _Cariatides_, recueils de po�sies
charmantes o� les rythmes retrouv�s ou invent�s �taient comme parfum�s
d'un ar�me attique.

D�s lors, il �tait enr�l� et proclam� po�te romantique: l'inspiration
divine lui donnait ses lettres de grande naturalisation. Attir� vers le
th��tre, il chercha la langue comico-lyrique et la trouva. Ses premi�res
com�dies: le Feuilleton d'Aristophane (1852), le Beau L�andre (1856),
comme plus tard _Diane au bois_ (1861), et r�cemment encore _Socrate et
sa femme_, le _Baiser_, r�v�laient une virtuosit� surprenante, et les
ressources les plus rares du verbe et de la forme. Un volume de po�sies,
les Odes funambulesques (1857) avait, du reste, consacr� et popularis�
sa r�putation de ma�tre-ouvrier de la langue po�tique: depuis, trente
ann�es de production incessantes, un nombre prodigieux de
rimes--r�pandues dans les journaux, dans les recueils p�riodiques, ou
ench�ss�es et serr�es sous la brochure d'un volume--ont montr� quelle
r�serve et quelle veine intarissable nourrissaient la production
incessante de cet �crivain.

La prose ne lui paraissait pas indigne de sa plume, et tel de ses
contes, telle page de ses romans, peuvent passer pour de purs
chefs-d'oeuvre.

N'oublions pas que Th�odore de Banville, �crivain, ne d�daigna pas
d'�tre journaliste: il a collabor� � un grand nombre de revues, �crit le
feuilleton dramatique de trois ou quatre feuilles quotidiennes; dans ces
derni�res ann�es, il donnait r�guli�rement des nouvelles � des journaux
litt�raires. Il �tait bienveillant et indulgent, sans pr�tention ni
morgue hautaine; les �jeunes� �taient toujours bien accueillis aupr�s de
lui pourvu qu'ils eussent foi dans les deux symboles pour lesquels il
avait v�cu: l'art et la po�sie.


LE G�N�RAL CAMPENON

Le g�n�ral Campenon �tait, dans toute l'acception du terme, un soldat.
Au parlement dont il suivit les d�bats sur les choses militaires comme
ministre de la guerre d'abord, et ensuite comme s�nateur inamovible, il
apportait cette rondeur famili�re et un peu �pre, cet air martial, cette
brusquerie d'allures, que donne l'habitude du commandement.

Il �tait n� � Tonnerre en mai 1819; il entra � Saint-Cyr; il �tait
capitaine au moment de la r�volution de f�vrier 1818. Le capitaine
Campenon �tait imbu d'id�es lib�rales et d�mocratiques: le nouveau
r�gime �tait fait pour lui convenir: il ne s'en cacha point. C'est ainsi
qu'il se trouva d�sign� pour encourir la s�v�rit� du gouvernement, que
le coup d'�tat �tablit en 1851. Arr�t� avec Charras et avec d'autres
officiers suspects de r�publicanisme, Campenon fut d�port�.

Nous le retrouvons peu apr�s, contraint par la proscription d'entrer au
service du bey de Tunis, dont il organisa les troupes jusqu'� l'heure o�
vint l'autorisation de rentrer en France et de reprendre son rang dans
l'arm�e nationale. C'�tait l'heure de la campagne d'Italie: brave au
feu, comme il �tait loyal citoyen, le capitaine Campenon conquit les
�paulettes de chef d'escadron d'�tat-major.

Ce n'est qu'au d�but de la guerre de 1870 que le lieutenant-colonel
Campenon fut promu colonel.

A la bataille de Rezonville o� notre cavalerie sut, dans un effort
h�ro�que, d�monter l'artillerie ennemie et chasser du terrain la
cavalerie allemande, le colonel Campenon, cribl� de blessures, fut
laiss� pour mort sur le champ de bataille.

A la paix, Campenon re�ut enfin les �toiles de g�n�ral: il commandait la
cinqui�me division d'infanterie � Paris quand Gambetta lui offrit le
minist�re de la guerre. C'est lui--il ne faut pas l'oublier--c'est ce
r�publicain de la veille qui eut le courage, sur l'inspiration de
Gambetta, de passer outre aux pol�miques des partis pour songer
seulement aux v�ritables int�r�ts de l'arm�e en prenant le g�n�ral de
Miribel comme chef d'�tat-major.

Apr�s la chute de Gambetta, le g�n�ral Campenon a �t� � deux reprises
encore ministre de la guerre: dans le cabinet Jules Ferry en 1883: puis
dans le cabinet Brisson. Il a pu ainsi donner tous ses soins aux oeuvres
de reconstitution militaire entreprises depuis l'av�nement de la
R�publique.


LA VIERGE NOIRE DE MONTSERRAT

On a tout dit sur la semaine sainte en Espagne. On a d�crit cent fois
les processions moyen-�ge de S�ville, les tableaux vivants de la Passion
de Tol�de, les myst�res en plein vent de Murcie. Cette ann�e, c'est dans
un lieu bien plus �trange, bien plus pittoresque encore que nous allons
chercher de nouvelles impressions: c'est au couvent de la Vierge-Noire
du Montserrat, au coeur m�me des montagnes abruptes de la vieille
Catalogne, � mille m�tres d'�l�vation.

C'est sur la ligne de chemin de fer de Barcelone � Saragosse, � distance
� peu pr�s �gale de Barcelone et de Manresa, qu'il nous faut tout
d'abord descendre.

A pr�sent commence la mont�e: oh! cette mont�e en patache antique,
tra�n�e par quatre mules auxquelles le conducteur pousse son �ternel:
�harri!� Mais tout le monde n'a pu prendre place dans la patache. Alors
ce sont, par les chemins, de longs d�fil�s de formes humaines, sonores �
mantilles noires �grenant leurs rosaires, vieux paysans catalans coiff�s
du bonnet phrygien en laine rouge, Aragonais coiff�s de leurs foulards,
tous la mante jet�e sur l'�paule et un long b�ton � la main.

A mesure que nous montons, voici toute la Catalogne qui se d�roule
devant nous, les Pyr�n�es, le Canigout, et, au-del�, une partie de la
France, du c�t� de Perpignan. De cet autre c�t�, la M�diterran�e � perte
de vue, les Bal�ares et Saragosse, une partie de la province de Valence.
De cet autre encore, l'Aragon. Le panorama est admirable, sans pareil.
Et, sur le ciel d'un bleu fonc�, se d�tache la blancheur des Pyr�n�es,
dont les pics couverts de neige �tincellent brillants au soleil.

Cependant nous voici parvenu au couvent, dont les b�timents sont situ�s
au pied d'un bloc �norme de granit, dans une position analogue � celle
du couvent de la Grande-Chartreuse. Voici l'entr�e du monast�re, qui
ressemble plut�t � l'entr�e d'une caverne. La foule s'accro�t toujours,
et il y a autant de mendiants que de fid�les, ce qui n'est pas peu dire.
La seule auberge est prise d'assaut. Les moines, fort obligeants,
donnent des chambres aux visiteurs. Ils nous font tout voir, le
r�fectoire en forme de rotonde, le jardin potager fort beau, le clo�tre
d'un grand effet artistique, l'�glise enfin o� tous les fid�les
p�le-m�le sont entass�s � genoux sur les dalles. La Vierge noire,
splendidement v�tue d'or et de satin, nous regarde avec ses grands yeux
sans vie, tandis qu'autour d'elle les cierges br�lent par centaines.

Port�e par quatre enfants de choeur, suivie de pr�tres officiant dans
leurs costumes des grandes solennit�s, elle fait le tour de la chapelle
d'abord, du monast�re ensuite, au milieu de la foule des p�lerins et des
moines qui font la haie sur son passage.

Il faudrait des journ�es enti�res pour visiter en d�tail le Montserrat
et ses treize ermitages qui ont abrit� 392 c�nobites. Mais nous
rapportons de notre excursion une impression profonde. Les c�r�monies �
coup s�r y ont moins de mise en sc�ne qu'� S�ville, mais la foi y est
plus sinc�re, et le d�cor merveilleux.

H. L.



[Illustration.]

ANIE

Roman nouveau, par HECTOR MALOT

Illustrations d'�MILE BAYARD

Suite.--Voir nos num�ros depuis le 21 f�vrier 1891.


Barincq continua:

--Alors cette hypoth�se de la suppression du testament est peu
vraisemblable?

--Sans doute; mais cela ne veut pas dire qu'il faille l'�carter
radicalement. Je t'ai expliqu� que Gaston avait toujours eu des doutes
sur sa paternit�, ce qui fait que, dans ses rapports avec l'entant de
L�ontine Dufourcq, il a vari� entre l'affection et la r�pulsion; en
certains moments plein de tendresse pour son fils, dans d'autres ne
regardant qu'avec horreur ce fils d'Arthur Burn. Qui sait si, le jour o�
il m'a redemand� le testament, il n'�tait pas dans un de ces moments
d'horreur? Une disposition morale peut aussi bien avoir provoqu� cette
horreur qu'une d�couverte d�cisive par t�moignage, lettre ou toute autre
information � laquelle il aurait pu ajouter foi.

--Mais ses relations avec le capitaine ne permettent pas cette
supposition, me semble-t-il?

--Le capitaine n'est pas venu au ch�teau depuis que Gaston m'a redemand�
son testament; et, ce jour-l�, pendant les quelques minutes que ton
fr�re est rest� dans ce cabinet d'o� il semblait press� de sortir, je
l'ai trouv� tr�s troubl�: tu vois donc qu'il faut admettre cette
supposition, si peu s�rieuse qu'elle puisse para�tre; comme il faut
admettre tout; m�me que le capitaine va nous arriver avec un bon
testament en poche.

--J'admets cela tr�s bien.

--En tout cas, nous serons bient�t fix�s. Pour plus de s�ret�, j'ai
fait, � ta requ�te, apposer les scell�s; nous les l�verons dans trois
jours, et alors nous trouverons le testament, s'il y en a un. En
attendant, en ta qualit� de plus proche parent, tu vas �tre le ma�tre
dans le ch�teau. C'est en ton nom que j'ai tout ordonn�, depuis le
service � l'�glise jusqu'au d�jeuner command� pour recevoir
convenablement ceux des invit�s qui, venant de loin, n'auraient rien
trouv� � Ourteau, particuli�rement vos parents d'Orthez, de Maul�on et
de Saint-Palais qui, certainement, vont arriver d'un moment � l'autre.

--Laisse-moi te remercier encore une fois; tu as agi dans ces tristes
circonstances comme un parent.

--Simplement comme un notaire.

--Il n'y en a plus de ces notaires.

--Aux environs de Paris on dit cela, peut-�tre, mais je t'assure que
chez nous il s'en trouve qui sont les amis de leurs clients. Puisque ce
mot est dit, veux-tu me permettre d'en ajouter un autre?

Il parut embarrass�.

--Parle donc.

--Le voil�, dit-il en ouvrant un des tiroirs de son bureau, c'est que si
pour tenir ton rang tu avais besoin d'une certaine somme, je suis � ta
disposition.

--Je te remercie,

--Ne te g�ne pas; cela peut �tre facilement imput� au compte de la
succession.

--Je suis touch� de ta proposition, mon cher R�b�nacq, mais j'esp�re
n'avoir pas � te mettre � contribution.

--En tout cas, tu ne refuseras pas de prendre une tasse de caf� au lait
avec moi; apr�s une nuit pass�e en chemin de fer, tu es venu � pied de
Puyoo, pense que la c�r�monie se prolongera tard.

La tasse de caf� accept�e, le notaire voulut que le petit clerc port�t
la valise de son ancien camarade.

--Si je ne t'accompagne pas, dit-il, c'est que je pense que je serais
importun; l'exp�rience m'a appris malheureusement qu'� vouloir distraire
notre chagrin, le plus souvent on l'exasp�re. A bient�t.


XI

Un peu apr�s dix heures on vint pr�venir Barincq que les invit�s
commen�aient � arriver, et il dut descendre au rez-de-chauss�e.

Il avait eu le temps de s'habiller, et, quand il entra dans le grand
salon, ce n'�tait plus le pauvre dessinateur de l'_Office cosmopolitain_
ploy� et d�prim� par vingt ann�es d'un dur travail; sa taille s'�tait
redress�e, sa t�te lev�e, et, si son visage portait dans l'obliquit� des
sourcils et l'abaissement des coins de la bouche l'empreinte d'une
douleur sinc�re, cette douleur m�me l'avait ennobli: plus de soucis
imm�diats, plus d'inqui�tudes aga�antes, mais des pr�occupations plus
hautes, plus dignes.

C'�tait des parents qui l'attendaient, des cousins du pays basque et du
B�arn, les uns de Maul�on et de Saint-Palais portant le nom de Barincq;
les autres les P�debidou d'Orthez. Autrefois ses camarades d'enfance,
ses amis de jeunesse, ils ne l'avaient pas vu depuis vingt-cinq ou
trente ans; mais ils connaissaient l'histoire de sa vie et de ses
luttes; aussi, quand ils avaient appris par les domestiques sa pr�sence
au ch�teau, n'avaient-ils pas �t� sans �prouver une certaine inqui�tude
aussi bien dans leur fiert� de personnages consid�r�s que dans leur
prudence provinciale de gens int�ress�s, ce qu'ils �taient tous les uns
et les autres.

--Avait-il seulement des souliers aux pieds, le pauvre diable?

--Et, d'autre part, � quelles demandes d'argent n'allaient-ils pas �tre
expos�s?

Les plaintes si souvent r�p�t�es de Gaston pendant ces vingt derni�res
ann�es n'�taient pas oubli�es; et, en se rappelant comme il avait �t�
exploit� par son fr�re, on s'�tait invit�, r�ciproquement, � se tenir
sur la r�serve et la d�fensive; cousin, on l'�tait, sans doute; mais
c'est une parent� assez �loign�e pour qu'elle ne cr�e, Dieu merci, ni
devoirs ni liens.

Il y eut de la surprise quand on le vit entrer dans le salon les pieds
chauss�s comme tout le monde et non des bottes �cul�es de Robert
Macaire. A la v�rit� les volets ne laissaient p�n�trer qu'une clart�
douteuse, mais celle qui tombait des impostes suffisait cependant pour
montrer que son habit n'�tait pas honteux, et qu'il portait des gants
avouables. Alors un changement de sentiments se produisit
instantan�ment; sans qu'on se f�t entendu, m�me consult� du regard, on
fit quelques pas au-devant de lui; et toutes les mains se tendirent pour
serrer les siennes.

--Comment vas-tu?

--Et ta femme?

--N'as-tu pas une fille?

--Elle s'appelle Anie.

--Alors tu as gard� les traditions de la famille.

--Et le souvenir du pays.

De nouveau, les mains s'�treignirent.

Le revirement fut si complet, qu'apr�s avoir exprim� des regrets pour la
brouille survenue entre les deux fr�res, on en vint � bl�mer Gaston qui
avait persist� dans sa rancune.

--C'�tait l� une des faiblesses de son caract�re, dit l'un des Barincq
de Maul�on.

--Les relations de famille doivent reposer sur l'indulgence, dit un
autre.

--Cette indulgence doit �tre r�ciproque, appuya l'a�n� des P�debidou.

Ce n'est pas seulement sur l'indulgence que ces relations doivent
reposer, c'est aussi sur la solidarit�. En vertu de ce principe, deux
des cousins, ceux � qui leur �ge et leur position donnaient l'autorit�
la plus haute, l'attir�rent dans un coin du salon.

--Tu sais les relations qui existaient entre ton fr�re et un certain
capitaine de dragons?

--J'ai vu R�b�nacq.

Tous deux, en m�me temps, lui prirent les mains, l'un la gauche, l'autre
la droite, et les serr�rent fortement.

--Qu'on �tablisse ses b�tards, dit l'un, rien de plus juste; je bl�me
les p�res qui, dans notre position, laissent leurs enfants naturels
devenir, les fils des vagabonds, les filles des gueuses, mais qu'on
fasse cet �tablissement au d�triment de la famille l�gitime, c'est ce
que je n'admets pas.

--C'est ce que nous bl�mons, dit l'autre.

--Crois bien que nous sommes avec toi, et que nous te plaignons.

--Sois certain aussi que tu peux compter sur nous, pour montrer � cet
intrigant le m�pris que nous inspire ses manoeuvres.

De nouveaux arrivants interrompirent cet entretien intime, il fallut
revenir � la chemin�e, et les recevoir, leur tendre la main, trouver un
mot � leur dire.

C'�tait la troisi�me fois qu'� cette place il assistait � ce d�fil� de
parents, d'amis, de voisins ou d'indiff�rents, qui constitue le
personnel d'un bel enterrement: la premi�re pour sa m�re quand il �tait
encore enfant; la seconde pour son p�re, � la gauche de son fr�re, et
maintenant tout seul, pour celui-ci: m�me obscurit�, m�me murmure de
voix �touff�es, m�me tristesse des choses dans ce salon, o� rien n'avait
chang�, et o� les vieux portraits sombres qui faisaient des taches
noires sur les verdures p�lies, et qu'il avait toujours vus, semblaient
le regarder comme pour l'interroger.

Parmi ceux qui passaient et lui tendaient la main, il y en avait peu
dont il retrouv�t le nom: il est vrai que, pour la plupart, ces
physionomies �voquaient des souvenirs; mais lesquels? c'�tait ce que sa
m�moire h�sitante et troubl�e ne lui disait pas assez vite.

Il lui sembla qu'un mouvement se produisait dans les groupes form�s �a
et l�, et que les t�tes se tournaient de ce c�t�; instinctivement il
suivit ces regards, et vit entrer un officier.

--C'est le capitaine, dit un des cousins.

Apr�s un regard circulaire jet� rapidement dans le salon pour se
reconna�tre, le capitaine s'avan�a vers la chemin�e; en grande tenue, le
sabre au crochet, le casque dans le bras gauche, il marchait sans
para�tre faire attention aux yeux ramass�s sur lui.

--Tu vois, aucune ressemblance, dit � voix basse le m�me cousin qui
l'avait annonc�.

Mais cette non-ressemblance ne lui parut pas du tout frappante comme le
pr�tendait le cousin; au reste, il n'eut pas le temps de l'examiner:
arriv� devant eux, le capitaine s'inclinait, et il allait se retirer
sans qu'aucun des parents eut r�pondu � son salut autrement que par un
court signe de t�te, quand, dans un mouvement de protestation en quelque
sorte involontaire, Barincq avan�a la main; le capitaine alors avan�a la
sienne, et ils �chang�rent une l�g�re �treinte.

--Tu lui as donn� la main, dit un des Barincq quand le capitaine se fut
�loign�.

--Comme � tous les invit�s.

--Tu n'as donc pas vu ses pattes d'argent?

--Quelles pattes?

--Sur son dolman; ses �paulettes, si tu aimes mieux.

--Eh bien, qu'importent ces pattes!

Ce cousin, qui avait quitt� l'arm�e pour se marier, et qui �tait au
courant des usages militaires, haussa les �paules:

--On ne porte pas la grande tenue � l'enterrement d'un ami, dit-il, mais
simplement le k�pi et les pattes noires. S'il l'a rev�tue aujourd'hui,
c'est pour afficher ses droits et crier sur les toits qu'il se pr�tend
le fils de Gaston.

Bien que ces observations se fussent �chang�es � voix basse, elles
n'avaient pas pu passer inaper�ues, et, tandis que les uns se
demandaient ce qu'elles pouvaient signifier, les autres examinaient le
capitaine avec curiosit�; on avait vu l'accueil plus que froid des
cousins, la poign�e de main du fr�re, et l'on �tait d�rout�. L'entr�e du
notaire R�b�nacq amena une diversion. Puis de nouveaux arrivants se
pr�sent�rent, et ce fut bient�t une procession. Alors, le salon
s'emplissant, ceux qui �taient entr�s les premiers c�d�rent la place aux
derniers, et l'on se r�pandit dans le jardin o� l'on trouvait plus de
libert�, d'ailleurs, pour causer et discuter.

--Vous avez vu que M. Barincq a tendu la main au capitaine Sixte?

--Pouvait-il ne pas la lui donner?

--Dame! �a d�pend du point de vue auquel on se place.

--Justement. Si le capitaine est le fils de M. de Saint-Christeau, il
est, quoi qu'on veuille, le neveu de M. Barincq, et, d�s lors, c'est
bien le moins que celui-ci tende la main au fils de son fr�re; s'il ne
l'est pas, et ne vient � cet enterrement que pour s'acquitter de ses
devoirs envers un homme qui fut son protecteur, il me para�t encore plus
difficile que la famille de celui � qui onrend un hommage lui refuse la
main.

--M�me s'il s'est fait l�guer une fortune dont il frustre la famille?

--Alors je trouverais que M. Barincq n'en a �t� que plus cr�ne.

--Ses cousins l'ont bl�m�.

--A cause de la patte blanche.

Et ceux qui connaissaient le c�r�monial militaire eurent le plaisir d'en
enseigner les lois � ceux qui les ignoraient; cela fournit un sujet de
conversation jusqu'au moment o� le clerg� arriva pour la lev�e du corps.

--Quelle place allait occuper le capitaine dans le convoi?

Ce fut la question que les curieux se pos�rent; si la tenue du capitaine
�tait une affirmation, cette place pouvait en �tre une autre.

Tandis que la famille prenait la t�te, le capitaine se m�la � la foule,
au hasard, et ce fut dans la foule aussi qu'il se pla�a � l'�glise, sans
que rien dans son attitude montr�t qu'il attachait de l'importance � un
rang plut�t qu'� un autre: les parents occupaient dans le choeur le banc
drap� de noir qui, depuis de longues ann�es, appartenait aux
Saint-Christeau, lui restait dans la nef confondu avec les autres
assistants.

Mais, comme il �tait au bout d'une trav�e et faisait face � ce banc,
d'autre part comme son uniforme tranchant sur les v�tements noirs tirait
les regards, chaque fois que Barincq levait les yeux, il le trouvait
devant lui, et alors il ne pouvait pas ne pas l'examiner pendant
quelques secondes, sa pens�e �tait obs�d�e par le mot de son cousin:
�aucune ressemblance�.

Si le capitaine �tait moins grand que Gaston, comme lui il �tait de
taille bien prise, bien d�coupl�e, �l�gante, souple; et comme lui aussi
il avait la t�te fine, r�guli�re, avec le nez fin et droit; enfin comme
lui aussi il avait les cheveux noirs; mais, tandis que la barbe de
Gaston �tait noire et son teint bistr�, la barbe du capitaine �tait
blonde et son teint ros�; c'�tait cela surtout qui formait entre eux la
diff�rence la plus frappante, mais cette diff�rence ne paraissait pas
assez forte pour qu'on put affirmer qu'il n'existait entre eux aucune
ressemblance; assur�ment il n'�tait pas assez pr�s de Gaston pour qu'on
s'�cri�t: �C'est son fils!� mais d'un autre c�t� il n'en �tait pas assez
loin non plus pour qu'on s'�cri�t qu'il ne pouvait y avoir aucune
parent� entre eux; l'un avait �t� un �l�gant cavalier dans sa jeunesse,
l'autre �tait un bel officier; l'un appartenait au type franchement
noir, l'autre m�lait dans sa personne le noir au blond; voil� seulement
ce qui, apr�s examen, apparaissait comme certain, le reste ne signifiait
rien; et franchement on ne pouvait pas l�-dessus s'appuyer pour b�tir ou
d�molir une filiation.

Depuis l'incident de la main donn�e au capitaine, une question
pr�occupait Barincq; devait-il ou ne devait-il pas inviter le capitaine
au d�jeuner qui suivrait la c�r�monie? Et s'il trouvait des raisons pour
justifier cette invitation, celles qui, apr�s le bl�me de ses cousins,
la rendaient difficile, ne manquaient pas non plus.

Heureusement au cimeti�re, c'est-�-dire au moment o� il fallait se
d�cider, R�b�nacq lui vint en aide:

--Comme la pr�sence du capitaine � votre table serait g�nante pour vous,
autant que pour lui peut-�tre, veux-tu que je l'emm�ne � la maison? Cela
vous tirera d'embarras.

C'�tait �nous tirera d'embarras� que le notaire aurait d� dire, car sa
position au milieu de ces h�ritiers possibles �tait d�licate pour lui
aussi.

Si l'amiti�, de m�me qu'un sentiment de justice, lui faisaient souhaiter
que l'h�ritage de Gaston revint � son ancien camarade, d'autre part les
int�r�ts de son �tude voulaient que ce f�t au capitaine. H�ritier de son
fr�re, Barincq conserverait sans aucun doute le ch�teau et ses terres
pour les transmettre plus tard � sa fille comme bien de famille. Au
contraire, le capitaine qui n'aurait pas des raisons de cet ordre pour
garder le ch�teau, et qui m�me en aurait d'excellentes pour vouloir s'en
d�barrasser, le vendrait, et cela entra�nerait une s�rie d'actes
fructueux qui, au moment o� il pensait � se retirer des affaires,
grossirait bien � propos les produits de son �tude. Dans ces conditions,
il importait donc de manoeuvrer assez adroitement entre celui qui
pouvait �tre l'h�ritier et celui qui avait tant de chances pour �tre
l�gataire, de fa�on � conserver des relations aussi bonnes avec l'un
qu'avec l'autre; de l� son id�e d'invitation qui d'une pierre faisait
deux coups: il rendait service � Barincq dans une circonstance d�licate;
et en m�me temps il montrait de la politesse et de la pr�venance envers
le capitaine, qui certainement devait �tre bless� de l'accueil qu'il
avait trouv� aupr�s de la famille.


XII

Ce fut seulement � une heure avanc�e de l'apr�s-midi que les derniers
invit�s quitt�rent le ch�teau; et les cousins ne partirent pas sans
�changer avec Barincq de longues poign�es de mains accompagn�es de
souhaits chaleureux:

--Nous sommes avec toi.

--Compte sur nous.

--Jamais je n'admettrai que Gaston ait pu t'enlever un h�ritage qui
t'appartient � tant de titres.

--C'est au moment de la mort qu'on r�pare les faiblesses de sa vie.

--Si Gaston a pu � une certaine heure faire le testament dont parle
R�b�nacq, certainement il l'a d�truit.

--C'est pour cela et non pour autre chose qu'il l'a repris.

--A la lev�e des scell�s ne manque pas de nous envoyer des d�p�ches.

--Tu nous am�neras ta fille.

--Nous la marierons dans le pays.

Enfin il fut libre de s'occuper des siens et d'�crire � sa femme une
lettre pour compl�ter son t�l�gramme du matin, dans lequel il avait pu
dire seulement qu'il �tait retenu au ch�teau par des affaires
importantes. Dans sa lettre il expliqua ce qu'�tait cette affaire
importante, et, sans r�p�ter les esp�rances de ses cousins, il dit au
moins les suppositions de R�b�nacq; un fait �tait certain: pour le
moment il n'y avait pas de testament; l'inventaire en ferait-il trouver
un? c'�tait ce que personne ne pouvait affirmer ni m�me pr�voir en
s'appuyant sur de s�rieuses probabilit�s; pour lui, n'ayant pas
d'opinion, il ne concluait pas; c'�tait trois jours � attendre.

Quand il eut achev� cette longue lettre, le soir tombait, un de ces
soirs doux et lumineux propres � ce pays o� si souvent la nature semble
s'endormir dans une po�tique s�r�nit�, et n'ayant plus rien � faire il
sortit, laissant ses pas le porter o� ils voudraient.

Ce fut simplement dans le parterre joignant imm�diatement le ch�teau, et
il y demeura, prenant un plaisir m�lancolique � rechercher les plantes
qui avaient �t� les amies de ses ann�es d'enfance, et qu'il retrouvait
telles qu'elles �taient cinquante ans auparavant, sans qu'aucun
changement e�t �t� apport� dans leur culture ou dans leur choix par des
jardiniers en peine de la mode; dans les bordures de buis taill�es en
figures g�om�triques c'�tait toujours la m�me ordonnance de vieilles
fleurs: primev�res, corbeilles d'or et d'argent, juliennes, ancolies,
ravenelles, girofl�es, jacinthes, an�mones, renoncules, tulipes; et en
les regardant dans leur �panouissement, en respirant leur parfum
printanier qui s'exhalait dans la douceur du soir, il se prenait �
penser que la vie qui s'�tait si furieusement pr�cipit�e pour lui en
luttes et en catastrophes s'�tait arr�t�e dans cette tranquille maison.

Que n'�tait-il rest� � son ombre, uni avec son fr�re, ainsi que celui-ci
le lui proposait! Ah! si la vie se recommen�ait, comme il ne referait
pas la m�me folie, et ne courrait pas apr�s les mirages qui l'avaient
entra�n�!

Jeune, c'�tait sans regret qu'il avait quitt� cette maison, se croyant
appel� � de glorieuses destin�es; maintenant allait-il pouvoir reprendre
place sous son toit, et jusqu'� la mort la garder? quel soulagement, et
quel repos!

Jusqu'� une heure avanc�e de la soir�e, il suivit ce r�ve, plus hardi
avec lui-m�me qu'il n'avait os� l'�tre en �crivant � sa femme, se
r�p�tant sans cesse les derniers mots de ses cousins, et se demandant
s'il n'�tait pas possible qu'au moment de la mort Gaston e�t r�ellement
r�par� ce qu'il avait reconnu �tre une erreur.

Toute la nuit il dormit avec cette id�e, et le matin, au soleil levant,
il �tait dans les prairies, pour prendre possession de ces terres d�j�
siennes.

On a souvent discut� sur les excitants de l'esprit; � coup s�r, il n'en
est pas qui provoque plus fortement l'imagination que l'espoir d'un
h�ritage prochain. Bien que peu sensible au gain, Barincq n'�chappa pas
� cette fi�vre, et, pendant les trois jours qui s'�coul�rent avant la
lev�e des scell�s, on le vit du matin au soir passer et repasser par les
chemins et les sentiers qui desservent le domaine: les terres arables,
il les amenderait par des engrais chimiques; les vignes mortes ou
malades, il les arracherait et les transformerait en prairies
artificielles; les prairies naturelles, il les irriguerait au moyen de
barrages dont il dessinait les plans; ce serait une transformation
scientifique, en peu de temps le revenu de la terre serait certainement
doubl�, s'il n'�tait pas tripl�: c'est surtout pour ce qu'il ne conna�t
pas, que l'esprit d'invention se r�v�le in�puisable et g�nial.

Pour suivre le double jeu qu'il avait adopt�, le notaire R�b�nacq
s'�tait mis � la disposition de Barincq afin de proc�der � l'inventaire
au jour que celui-ci choisirait, mais, ce jour fix�, il s'�tait empress�
d'�crire au capitaine Sixte pour l'avertir qu'il e�t � se pr�senter au
ch�teau, �s'il croyait avoir int�r�t � le faire�.

A cette communication, le capitaine avait r�pondu qu'il �tait fort
surpris qu'on lui adress�t pareille invitation: en quelle qualit�
assisterait-il � cet inventaire? pourquoi? dans quel but? c'�tait ce
qu'il ne comprenait pas.

Aussit�t que le notaire eut re�u cette lettre, il la porta � son ancien
camarade.

--Voici le moyen que j'ai employ� pour demander au capitaine s'il avait
un testament, sans le lui demander franchement; sa r�ponse prouve qu'il
n'en a pas, et, me semble-t-il, qu'il ignore s'il en existe un; c'est
quelque chose cela.

--Assur�ment; cependant le bureau et le secr�taire de Gaston n'ont pas
livr� leur secret.

--Ils le livreront demain.

En effet, le lendemain matin, � neuf heures, le juge de paix, assist� de
son greffier, se rendit au ch�teau avec R�b�nacq pour proc�der � la
lev�e des scell�s ainsi qu'� l'inventaire, et, bien que les uns et les
autres dussent �tre, par un long usage de leur profession, cuirass�s
contre les �motions, ils avaient �galement h�te de voir ce que le
bureau-secr�taire et les casiers du cabinet de travail de M. de
Saint-Christeau allaient leur r�v�ler.

Renfermaient-ils ou ne renfermaient-ils point un testament en faveur du
capitaine Sixte?

Cependant, ce ne fut pas par l'ouverture de ces meubles qu'on commen�a,
la forme exigeant qu'on proc�d�t d'abord � l'intitul�; mais, comme il
�tait des plus simples, il fut vite dress�, et le juge de paix put enfin
reconna�tre si les scell�s par lui appos�s sur le bureau �taient sains
et entiers; cette constatation faite, la cl� fut introduite dans la
serrure du tiroir principal.

--J'estime que, s'il existe un testament, dit le notaire, il doit se
trouver dans ce tiroir o� Gaston rangeait ses papiers les plus
importants.

--C'�tait l� aussi que mon p�re pla�ait les siens, dit Barincq.

--Proc�dons � une recherche attentive, dit le juge de paix.

Mais, si attentive que f�t cette recherche, elle ne fit pas trouver le
testament.

Sans se permettre de toucher � ces papiers Barincq se tenait derri�re le
notaire et pench� par dessus son �paule il le suivait dans son examen,
le coeur serr�, les yeux troubles; personne ne faisait d'observation
inutiles, seul le notaire de temps en temps �non�ait la nature de la
pi�ce qu'il venait de parcourir: quand elle �tait compos�e de plusieurs
feuilles, il les tournait m�thodiquement de fa�on � ne pas laisser
passer inaper�u ce qui aurait pu se trouver intercal� entre les pages.

A la fin, ils arriv�rent au fond du tiroir.

--Rien, dit le notaire.

--Rien, r�p�ta le juge de paix.

Ils lev�rent alors les yeux sur Barincq et le regard�rent avec un
sourire qui lui parut un encouragement � esp�rer en m�me temps qu'une
f�licitation amicale.

--Il se pourrait qu'il n'exist�t pas de testament, dit le notaire.

--Cela se pourrait parfaitement, r�p�ta le juge de paix.

--Je commence � le croire, dit le greffier qui ne s'�tait pas encore
permis de manifester une opinion.

--Voulez-vous examiner les autres tiroirs? demanda Barincq d'une voix
que l'anxi�t� rendait tremblante.

--Certainement.

Le second tiroir, vid� avec les m�mes pr�cautions et le m�me soin
m�ticuleux, ne contenait que des papiers insignifiants, entass�s l� par
un homme qui avait la manie de conserver toutes les notes qu'il payait
aussi bien que toutes les lettres qu'il recevait, alors m�me qu'elles ne
pr�sentaient aucun int�r�t. Il en fut de m�me pour le troisi�me et le
quatri�me.

--Rien, disait R�b�nacq avec un sourire plus approbateur.

--Rien, r�p�tait le juge de paix.

Et, de son c�t�, le greffier r�p�tait aussi:

--J'ai toujours cru qu'il n'y aurait pas de testament.

Si l'on avait �cout� l'impatience nerveuse de Barincq, l'examen se
serait fait de plus en plus vite, mais R�b�nacq, qui ne savait pas se
presser, ne remettait aucun papier en place sans l'avoir parcouru, palp�
et feuillet�.

--Nous arriverons au bout, disait-il.

En attendant on arriva au dernier tiroir du bureau; � peine fut-il
ouvert que le notaire montra plus de h�te � tirer les papiers.

--S'il y a un testament, dit-il, c'est ici que nous devons le trouver.

En effet ce tiroir semblait appartenir au capitaine: sur plusieurs
liasses le nom de Valentin �tait �crit de la main de Gaston, et sur une
autre celui de L�ontine.

--Attention, dit le notaire.

Mais sa recommandation �tait inutile, les yeux ne quittaient pas le tas
de papiers qu'il venait de sortir du tiroir.

Toujours m�thodique, il commen�a par la liasse qui portait le nom de
L�ontine: n'�tait-ce pas la logique qui exigeait qu'on proc�d�t dans cet
ordre, la m�re avant le fils?

La chemise ouverte, la premi�re chose qu'on trouva fut une photographie
� demi-effac�e repr�sentant une jeune femme.

--Tu vois qu'elle �tait jolie, dit le notaire en pr�sentant le portrait
� Barincq.

--Son fils lui ressemble, au moins par la finesse des traits.

Mais le juge de paix et le greffier ne partag�rent pas cet avis.

--Continuons, dit le notaire.

Ce qu'il trouva ensuite, ce fut une grosse m�che de cheveux noirs et
soyeux, puis quelques fleurs s�ch�es, si bris�es qu'il �tait difficile
de les reconna�tre; puis enfin des lettres �crites sur des papiers de
divers formats et dat�es de Peyrehorade, de Bordeaux, de Royan.

Comme le notaire en prenait une pour la lire, Barincq l'arr�ta:

--Il me semble que cela n'est pas indispensable, dit-il.

R�b�nacq le regarda pour chercher dans ses yeux ce qui dictait cette
observation: le respect des secrets de son fr�re, ou la h�te de
continuer la recherche du testament.

[Illustration.]

--Ces lettres peuvent �tre d'un int�r�t capital, dit-il, mais je
reconnais qu'il n'y a pas urgence pour le moment � en prendre
connaissance; passons.

La liasse qui venait ensuite contenait des lettres du capitaine class�es
par ordre de date, les premi�res d'une grosse �criture d'enfant qui,
avec le temps, allait en diminuant et en se caract�risant.

--Ces lettres aussi peuvent avoir de l'int�r�t, dit le notaire, mais
comme pour celles de la m�re on verra plus tard.

Les autres liasses �taient compos�es de notes, de quittances, de lettres
qui prouvaient que pendant de longues ann�es, au coll�ge de Pau, �
Sainte-Barbe, � Saint-Cyr, plus tard au r�giment, Gaston avait
enti�rement pris � sa charge les frais d'�ducation du fils de L�ontine
Dufourcq, et aussi d'autres d�penses; mais nulle part il n'y avait trace
de testament, ni m�me de projet de testament.

--L'affaire me para�t r�gl�e, dit le notaire.

--Il n'y a pas eu, il n'y aura pas de testament, dit le greffier qui ne
craignait pas d'�tre affirmatif.

--Si nous allions d�jeuner, proposa le juge de paix, chez qui les
�motions ne suspendaient pas le fonctionnement de l'estomac.

Bien qu'on voul�t se tenir sur la r�serve pendant le d�jeuner devant les
domestiques, quelques mots furent prononc�s, assez significatifs pour
qu'on s�t, � la cuisine, qu'il n'avait pas �t� trouv� de testament, et
alors la nouvelle courut tout le personnel du ch�teau.

Jusque-l�, la domesticit�, convaincue qu'il ne pouvait pas y avoir
d'autre h�ritier que le capitaine, avait trait� Barincq en intrus. Que
faisait-il au ch�teau, ce fr�re ruin�? qu'attendait-il? de quel droit
donnait-il des ordres? Comment se permettait-il de parcourir les terres
en ma�tre? Ce qui serait amusant, ce serait de le voir d�guerpir.

Quand on apprit qu'il n'y avait pas de testament, la situation changea
instantan�ment, et un brusque revirement se produisit, qui se manifesta
aussit�t: au moment o� on servit le caf�, le vieux valet de chambre qui
pendant vingt ans avait �t� l'homme de confiance de Gaston apporta sur
la table une bouteille toute couverte d'une poussi�re v�n�rable, �
laquelle il paraissait t�moigner un vrai respect:

--C'est de l'Armagnac de 1820, dit-il, j'ai pens� que monsieur en
voudrait faire go�ter � ces messieurs.

Quand il eut quitt� la salle � manger, les trois hommes de loi
�chang�rent un sourire que R�b�nacq traduisit:

--Voil� qui en dit long, et ce n'est assur�ment pas pour boire � la
sant� du capitaine que Manuel nous offre cette eau-de-vie.

L'inventaire ayant �t� repris, les recherches dans le cartonnier et dans
le secr�taire, ainsi que dans la table de la chambre de Gaston,
rest�rent sans r�sultat. A cinq heures de l'apr�s-midi tout avait �t�
fouill�, aussi bien dans le cabinet de travail que dans la chambre, et
il ne restait pas d'autres pi�ces o� l'on p�t trouver des papiers.

--D�cid�ment il n'existe pas de testament, dit le notaire en tendant la
main � son camarade.

--M. de Saint-Christeau portait trop haut le respect de la famille, dit
le juge de paix, pour ne pas l'observer.

--Ce qui n'emp�che pas qu'il y a eu un testament, r�pliqua le notaire.

--Ne peut-il pas avoir �t� d�truit?

--Il faut bien qu'il l'ait �t�, puisque nous ne le trouvons pas.

--En vous reprenant le testament qu'il vous avait confi�, dit le
greffier, M. de Saint-Christeau a montr� que ce testament ne r�pondait
plus � ses intentions.

--�videmment.

--Donc il a voulu le d�truire.

--Ou le modifier.

--S'il avait voulu le modifier, trois hypoth�ses se pr�sentaient: ou
bien il vous confiait ce testament modifi�; ou bien il le remettait au
capitaine; ou bien il le pla�ait dans son bureau. Puisqu'il ne vous l'a
pas confi�, puisqu'il ne l'a pas remis au capitaine, puisque nous ne le
trouvons pas, c'est qu'il n'existe pas, et, pour moi, il est prouv�
qu'apr�s la destruction du premier testament, il n'en a point �t� fait
d'autres; d'o� je conclus qu'en sa qualit� de seul h�ritier, M. Barincq
doit �tre envoy� en possession de la succession de son fr�re.


XIII

En attendant que les formalit�s pour l'envoi en possession fussent
accomplies, Barincq, qui restait � Ourteau, �crivit � sa femme et � sa
fille de venir le rejoindre, et, quand elles arriv�rent � Puyoo, elles
le trouv�rent au-devant d'elles, avec la vieille cal�che pour les
emmener au ch�teau.

Elles �taient en grand deuil, et, pour la premi�re fois, Anie portait
une robe l'habillant � son avantage, sans avoir eu l'ennui de la tailler
et de la coudre elle-m�me, apr�s mille discussions avec sa m�re.

Il les fit monter on voiture, et prit la place � reculons:

--Tu verras les Pyr�n�es, dit-il � Anie.

--A partir de Dax, j'ai aper�u leur silhouette vaporeuse.

--Maintenant tu vas vraiment les voir, dit-il avec une sorte de
recueillement.

--Voil�-t-il pas une affaire! interrompit Mme Barincq.

--Mais oui, maman, c'en est une pour moi.

Son p�re la remercia d'un sourire heureux qui disait sa satisfaction
d'�tre en accord avec elle.

--Voil� le Gave de Pau, dit-il quand la cal�che s'engagea sur le pont.

--Mais c'est tr�s joli un gave, dit Anie, regardant curieusement les
eaux tumultueuses roulant dans leurs rives encaiss�es.

--C'est une rivi�re comme une autre, dit Mme Barincq, il n'y a que le
nom de chang�.

--C'est que, pr�cis�ment, le nom peint la chose, r�pondit Barincq, gave
vient de cavus, qui signifie creux.

--Et cette propri�t�, demanda Mme Barincq, que vaut-elle pr�sentement?

--Je n'en sais rien.

--Que rapporte-t-elle?

--Environ 40,000 francs.

--Trouverait-on acqu�reur pour un million?

--Je l'ignore.

--Tu ne t'es pas inqui�t� de cela?

--Comment, � quoi bon?

--Cherche-t-on un acqu�reur quand on n'est pas vendeur?

--Tu voudrais la garder?

--Tu ne voudrais pas la vendre, je pense?

--Mais...

--Tout nous oblige � la conserver et � l'exploiter pour le mieux de nos
int�r�ts; si elle rapporte 2% en ce moment, elle peut en rapporter 10 ou
12 un jour.

Stup�faite, elle le regarda:

--Certainement, dit-elle, je ne te fais pas de reproches, mon pauvre ami,
mais, apr�s vingt ann�es comme celles que je viens de passer, il me
semble que j'ai droit � un changement d'existence.

--Passer de notre bicoque de Montmartre au ch�teau d'Ourteau, n'en
est-il pas un en quelque sorte f�erique?

--Est-ce � Ourteau que tu trouveras � marier Anie?

--Pourquoi pas?

(_A suivre._)

Hector Malot.

[Illustration.]







End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891, by Various

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and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
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This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
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1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
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with the permission of the copyright holder, your use and distribution
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to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
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     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
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     License.  You must require such a user to return or
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     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
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1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

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defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
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written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
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providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation information page at www.gutenberg.org


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at 809
North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887.  Email
contact links and up to date contact information can be found at the
Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit:  www.gutenberg.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For forty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.