Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891 Author: Various Release Date: May 20, 2014 [EBook #45704] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 21 MARS 1891 *** Produced by R�nald L�vesque L'ILLUSTRATION Prix du Num�ro: 75 cent. SAMEDI 21 MARS 1891 49e Ann�e--N� 2508 [Illustration: La b�n�diction des rameaux devant l'�glise Saint-Germain-l'Auxerrois.] [Illustration: COURRIER DE PARIS] Causerie de car�me. Variations sur le concours hippique. Derni�res pol�miques � propos l'Op�ra et de la direction nouvelle. Si nous n'avions point le _Mage_, qui est une nouveaut�, et _Mariage Blanc_, qui sera la primeur de cette fin de semaine, le Courrier de 1891 ressemblerait fort au Courrier de 1890 � pareille date, car on a tout dit sur les pr�dicateurs du car�me, qui ne se renouvellent gu�re, et sur les programmes du concours hippique, qui ne se renouvellent pas. L'agonie du prince Napol�on a pr�occup� encore les esprits, et le drame de l'h�tel de Russie, drame historique et drame de famille, a tenu �veill�e l'attention du public. Je ne sais qui a rappel�, � propos de cette lutte contre la mort, la fameuse _coquille_--malicieuse ou involontaire--qui s'�tala en plein _Moniteur_ lors de la maladie supr�me du roi J�r�me. Les m�decins avaient �crit sur leur bulletin: �Le _mieux_ persiste�; les typographes du Moniteur imprim�rent: �Le _vieux persiste_.� Il y eut grande col�re aux Tuileries lorsque le premier num�ro du journal officiel arriva. Vite, on exp�dia un aide-de-camp � l'imprimerie du _Moniteur_ pour arr�ter le tirage, ce qui fut fait. Mais de nombreux exemplaires �taient d�j� sortis de la presse. On les paya, par curiosit�, jusqu'� cinq cents francs le num�ro. Un collectionneur anglais alla jusqu'� mille francs. On se racontait ces souvenirs d'un autre temps lundi dernier � l'Op�ra, tout en causant de Varedha, pr�tresse de la Djaki, et d'Anahita, reine du Touran. Cette premi�re repr�sentation du _Mage_ n'�tait en r�alit� que la _seconde_, et tout le monde officiel avait assist� le samedi � la r�p�tition g�n�rale. Ce sont les r�p�titions d�cid�ment qui deviennent les _premi�res_. M. le pr�fet de police le sait si bien, qu'il donnait une soir�e le lundi, pendant que le rideau se levait sur cet op�ra touranien--et tr�s parisien de par ses auteurs, le musicien et le po�te. N'y a-t-il pas une romance qui commence par quelque chose comme: O beau pays de la Touraine... Si je ne me trompe, c'est m�me dans les _Huguenots_ qu'on la chante. Eh bien, avec le _Mage_ il ne s'agit plus de la Touraine, mais des Touraniens, et on nous restitue � l'Op�ra le refrain d'une chanson touranienne qui date de deux mille cinq cents ans _avant l'�re chr�tienne_. Elle est d'ailleurs tout � fait pr�historique, cette chanson-l�. Le refrain, imprim� dans la brochure, est: L�, le��, le��, le��, �, �! Relisez bien: c'est du touranien. M. Richepin, qui est un bon Touranien et un bon po�te, a, pour nous, �voqu� ce refrain que je conserve comme un bibelot antique et pr�cieux. L�, le��, le��, le��, �, �! En touranien, cela correspond-il � _Au clair de la lune_ ou � la _Marseillaise?_ Je n'en sais rien, n'�tant pas tr�s vers� dans les secrets de la Bactriane. Mme Dieulafoy nous le dirait peut-�tre. L�, le��, le��, le��... Il y a d'autre vers, heureusement, dans le _Mage_, et des vers fran�ais, d'une belle venue, d'un beau souffle. Il n'eut plus manqu� qu'apr�s les vers d�cadents, les vers symbolistes, les vers d�liquescents, nous fussions menac�s de vers touraniens. * * * Ce jour m�me o� le touranisme p�n�trait � l'Op�ra, les po�tes avaient suivi le convoi d'un des leurs, un ma�tre, M. de Banville, qui m�ritait bien un peu de soleil autour de son cercueil, lui si �pris de lumi�re et de joie. H�las! il est parti par un jour humide et triste, cruel aux nerveux et aux rhumatisants, un lugubre temps de car�me. Mais les amis du mort ont r�par� l'injustice du temps. Si jamais po�te fut enseveli sous des roses, c'est Th�odore de Banville. Les fleurs qu'on a r�pandues sur son cercueil n'�taient pas des fleurs de rh�torique. On l'aimait beaucoup, on l'a pleur� vraiment. Des po�tes ont tenu les cordons du po�le, et ils ont ajout� des sonnets aux chants de la ma�trise de Saint-Sulpice. --_Fleurs sur fleur, flowers upon flowers_, comme dit le La�rte d'_Hamlet_. Th�odore de Banville �tait devenu pour les jeunes po�tes de ce temps le p�re, depuis la disparition de Victor Hugo. On l'e�t profond�ment outrag�, si on l'e�t compar� au ma�tre. --Il y a tout dans Victor Hugo, disait-il, et je lis tous les matins deux ou trois pages de ce grand homme, en l'admirant chaque jour davantage. Il n'e�t pas admis le moindre point de comparaison. Mais, si la paternit� po�tique de Victor Hugo, si je puis dire, �tait faite d'autorit� et de grandeur, celle de Banville �tait faite de tendresse. Il r�gnait et rayonnait par une grande bont�. Oh! une bont� qui n'allait pas sans quelque d�dain et ne se faisait point parfois faute de railler. Mais une bont� vraiment bonne, souriante, avec une philosophie r�sign�e. A soixante-huit ans, Th�odore de Banville est mort jeune. Il �crivait et chantait encore la veille de sa mort. Sa sant�, chancelante autrefois, si chancelante qu'on l'avait cru perdu un moment, il y a des ann�es, s'�tait raffermie, et on pouvait esp�rer que ce jeune vieillard, si je puis dire, deviendrait un a�eul. Il y a vingt-cinq ou trente ans, on d�sesp�rait de le sauver. Il partait pour le Midi, condamn� par la science, et c'est de l� qu'il rapporta son joli volume, la _Mer de Nice_. Comme il allait partir, l'imp�ratrice Eug�nie, qui aimait ses po�sies, demanda pour lui la croix � je ne sais quel ministre. L'Excellence r�pondit: --Je la donne d'autant plus volontiers que c'est une croix sur un tombeau. Dieu merci, Banville devait survivre et vivre de longue ann�es encore pour notre joie et nos oreilles, car sa muse chantait une chanson toute particuli�re o� il y avait comme des tintements de rires et des bruits de baisers. C'�tait un Parisien du boulevard et c'�tait un Hell�ne du temps de P�ricl�s. Il passait des Funambules � Ath�nes. Il entrait chez Debureau eu sortant du Parth�non. Debureau! Pierrot, ce Pierrot que, depuis, Willette a modernis� et rev�tu d'un habit noir. Th�odore de Banville l'aimait et l'a �tudi� avec une joie particuli�re. Celle de ses oeuvres qui fit sensation il y a trente ans, le livre des _Odes funambulesques_, naquit de cet amour des mimes et des clowns. Il jongla avec les mots comme l'�tonnant Schaffer jongle avec des tables au Nouveau-Cirque. Passez, muscade! sautez, vocables! Ce fut, lorsque parut ce volume, un �blouissement. Ces _Odes funambulesques_ ont marqu� une date dans l'histoire de la po�sie. Depuis on a beaucoup abus� de ces fantaisies, mais que c'�tait charmant lorsque Banville apparut, parmi les hommes graves, avec la clochette de Puck et le rire ail� d'Ariel! La fantaisie, c'�tait son domaine, � ce rimeur qui pourtant comprenait le r�alisme de Champfleury et le naturalisme de Zola. Il passa dans la vie comme s'il e�t travers� un th��tre, s'amusant si la com�die �tait bonne, indulgent si elle lui paraissait m�diocre. Oh! le th��tre, il l'adorait! ce monde de carton et de toiles peintes lui semblait plus s�duisant et, je crois m�me, plus vrai que l'autre. �J'ai connu des po�tes, a-t-il �crit quelque part. Vous croyez que le seul r�ve de ces pa�ens est de gravir la montagne sainte o� Cypris � la chevelure rousse boit avec les dieux ivres de calme? Non! il y a un monde cher � la fantaisie qu'ils pr�f�rent encore peut-�tre aux lauriers-roses de cet Olympe enchant� � la voix du rythme et des lyres! Il y a un univers cr�� par la pens�e qui est � eux seuls, et o� aucun bourgeois n'a jamais p�n�tr�. Cet univers est immense et infini et il a pour horizon _un chiffon de toile � raies roses..._ Ce chiffon de toile � raies roses--semblable au manteau de Scapin--Banville l'a toujours suivi des yeux, comme un soldat suit le drapeau dans la bataille. Il n'a voulu �tre rien que po�te et il l'a �t� jusqu'aux moelles. Tout pour lui �tait un pr�texte � rimes exquises, � rimes riches. Les vers, il les disait impassiblement--lui le passionn�--en serrant les dents, avec un sourire �clairant sa figure sans barbe, paterne et narquoise. Toujours original, il n'a pas voulu qu'on pronon��t de discours sur sa tombe. Cet amoureux des mots avait horreur des phrases. Il n'a pas voulu �tre de l'Acad�mie. Il en e�t �t�. On lui avait, je crois, fait des ouvertures. Il r�pondait: --Non. Trente-huit ou trente-neuf visites, je me fatigue facilement; il y aurait trop d'�tages � monter. --On vous donnera des ascenseurs, r�pliquait un de ses jeunes amis, Copp�e ou Sully-Prudhomme. --Eh bien, voil�: les ascenseurs, je les redoute. La nature nous a donn� des jambes, ce n'est pas pour les �changer contre des machines. Je suis superstitieux. Tout cela est mauvais. Superstitieux, on l'a dit, au point qu'il n'e�t rien entrepris un vendredi ou un 13. Or, voyez l'ironie des choses, Th�odore de Banville est mort un vendredi et un 13. Cette terreur du vendredi est tellement r�pandue que, ce jour-l� (on l'a remarqu�), les omnibus font moins de recettes que les autres jours. Avoir peur d'un accident, en omnibus, faut-il dire que voil� qui est bien parisien? Eh non, c'est bien humain. L'humanit� aura toujours de petites terreurs enfantines. Un po�te, c'est un enfant par la vivacit� des impressions, c'est, par le coeur, un homme �pris de tout ce qui est beau en ce monde. On a souvent dit que Banville �tait un pa�en, dans le sens d�licat et �lev� du mot. Ce pa�en est mort en chr�tien et les lettres de faire-part portaient que sa mort (cependant subite) avait �t� b�nie par le pape. Peut-�tre, comme les voyageurs qui savent que le d�part aura lieu � l'improviste, Th�odore de Banville avait-il pris d'avance son passeport. Et ce n'est pas peut-�tre, cela est certain. Il croyait. --Ah! disait-il un jour � Victor Hugo, parlant de la mort, quelle belle occasion vous avez d'affirmer votre immortalit�! que l'auteur de Notre-Dame de Paris soit enterr� � Notre-Dame! Ce nom de Hugo revient encore sous la plume comme une actualit� et il est �crit qu'aujourd'hui nous ne parlerons que des po�tes, ou de leurs petits-fils. Le jeune Georges Hugo a dit adieu, pour un temps, � la vie parisienne et s'est jet� bravement � la vie de devoir, dans la mer et le vent, parmi les embruns dont Pierre Loti parle � son fr�re Yves. Du Cirque des Champs-Elys�es passer � l'Oc�an, c'est bien. O� ai-je lu ce joli mot: Victor Hugo dirait � son petit-fils: �Sois brave comme Gilliat, tue la pieuvre et deviens, toi aussi, un travailleur de la mer!� Le petit-fils l'a fait, cela, et c'est bien. Les _premi�res_ y perdent un spectateur �l�gant et la patrie y gagne un soldat qui porte le plus beau nom de la France. Maintenant--entre nous--il serait bon qu'on ne parl�t plus des descendants de nos gens illustres que quand ils auront fait eux-m�mes des oeuvres. Pour une d�mocratie, ce pays semble aimer vraiment un peu trop les dynasties. Il y a encore des oeuvres, du reste, en ce pays. M. Zola a donn� l'_Argent_ cette semaine. Pour lui, l'argent est une force, et une force respectable, malgr� les infamies qu'il fait commettre. Toute la th�se du romancier est l�. Il ne s'incline pas devant le _Veau d'Or_, mais, dirai-je volontiers, il trouve que le Veau d'Or n'est pas un Veau. Un Taureau si l'on veut. Mais un veau, non pas. Une Force, vous dis-je. Et, en cela, M. Zola est bien l'�l�ve de Balzac. --�tre riche, disait l'auteur de la _Com�die humaine_, c'est �tre libre. �tre libre, c'est �tre tout. Balzac e�t volontiers donn� le mot d'ordre qu'on a tant reproch� � M. Guizot: �Enrichissez-vous!� --Pourquoi faire porter � l'argent, dit Zola, la peine des crimes dont il est la cause? L'amour est-il moins souill�, lui qui crie la vie? C'est le dernier mot du livre et il est �loquent. J'en ai lu un autre livre qui est bien curieux: c'est _Une ann�e de ma vie_ par M. le comte de H�bner que nous avons connu baron de H�bner et ambassadeur d'Autriche � Paris. Fin diplomate, causeur exquis, comme il contait ses souvenirs! Aujourd'hui il les �crit. Il cite un bien joli mot de Metternich--piquant � r�p�ter au lendemain du 18 mars qu'on vient de f�ter: --En comparant la R�volution � un livre, je dirais que nous en sommes encore � l'avant-propos, tandis que la France est arriv�e � peu pr�s--pas tout � fait--aux derni�res pages. Les _mots_ de Metternich valaient ceux de Talleyrand. Rastignac. LES PIONNIERS DU SAHARA On sait l'esprit et le but de l'Association fond�e sous ce titre par le cardinal Lavigerie. Les documents, texte et dessins, que nous publions � ce sujet, nous viennent en droite ligne des confins du Sahara et nous sont fournis par un homme qui, accompagnant l'�minent cardinal dans toutes ses p�r�grinations, travaillant lui-m�me sous ses yeux, �tait le mieux plac� du monde pour donner de cette grandiose entreprise un tableau empreint de tout le caract�re de v�rit� et de tout le relief d�sirables. Il n'est pas possible de r�ver plus belle promenade que la route de Tuggourt au sortir de Biskra. Cette magnifique route ensoleill�e traverse l'oasis dans toute sa longueur, elle est sillonn�e par les caravanes apportant du sud les r�coltes de dattes sur le march� de Biskra et par une foule de petits gamins, v�tus des oripeaux les plus bariol�s, qui, chantant, jouant et courant, vivent presque uniquement de la charit� des touristes, nombreux � cet endroit. Mais o� il faut les voir, c'est sur le passage de Mgr Lavigerie. Chaque jour, le cardinal se rend au monast�re qui s'ach�ve pour recevoir les pionniers du Sahara, et c'est alors une bousculade g�n�rale parmi tous ces petits n�grillots. Sit�t que la voiture de Son Eminence para�t, ce sont des cris de joie et des courses �chevel�es pour attraper au vol les sous que leur jette monseigneur. �Sourdi, sourdi barca, monsieur le marabout!� (un sou, un sou seulement!) Pauvres petits n�gros, se doutent-ils de ce que fait en ce moment pour leur race le �Marabout K�bir�, comme ils l'appellent (le grand Marabout)? La M'Sallah (maison de pri�re), telle est l'inscription grav�e sur le fronton de cette maison b�tie un peu dans le style florentin qui vient si joliment r�veiller de sa tache blanche les bouquets de palmiers du bord de la route. Il y a un an � peine elle commen�ait � sortir de terre et d�j� toute cette population, si hostile pour nous, sait maintenant que l� seront soign�s les plus pauvres, les plus d�sh�rit�s, les plus humbles; aussi faut-il voir l'�tonnement de ces pauvres diables qui n'attendent habituellement que des coups de b�tons de notre civilisation. Que sera-ce quand bient�t de pareils asiles s'�l�veront l�-bas, bien loin dans le sud, � El Golea, plus loin � Amguid, plus loin encore, partout o� il y aura des malheureux, des martyrs! Nous croyions encore, il y a peu de temps, que l'esclavage et la traite des n�gres �taient abolie depuis nombre d'ann�es. Malheureusement il n'en est rien et les r�cits rapport�s par les missionnaires nous affirment l'existence de ces horribles coutumes. �Les villages paisibles des n�gres de l'int�rieur sont cern�s, tout d'un coup, pendant la nuit, par ces f�roces aventuriers. Presque jamais ils ne se d�fendent, ou ceux qui le font sont bient�t massacr�s par des hommes arm�s jusqu'aux dents. Ces malheureux fuient dans les t�n�bres; mais tout ce qui est pris est imm�diatement encha�n� et entra�n�, hommes, femmes et enfants, vers des march�s lointains. On les y am�ne de contr�es situ�es � soixante, quatre-vingts et cent jours de marche. Alors, commence pour eux une s�rie d'�pouvantables mis�res. Tous les esclaves sont � pied; aux hommes qui paraissent les plus forts et dont on pourrait craindre une r�volte, on attache les mains et quelquefois les pieds, de telle sorte que la marche leur devient un supplice, et sur leur cou on place des cangues � compartiments, qui en relient plusieurs entre eux. On marche toute la journ�e au milieu des sables ou des terres br�lantes. Les conducteurs barbares sont seuls � cheval ou sur leurs chameaux. Le soir, lorsqu'on s'arr�te pour prendre du repos, on distribue aux prisonniers quelques poign�es de sorgho cru, c'est toute leur nourriture. Le lendemain il faut repartir. Mais, d�s les premiers jours, les fatigues, la douleur, les privations, en ont affaibli un bon nombre. Les femmes, les vieillards, s'arr�tent les premiers. Alors, afin de frapper d'�pouvante ce malheureux troupeau humain, ses conducteurs s'approchent de ceux qui paraissent plus �puis�s, arm�s d'une barre de bois, pour �pargner la poudre. Ils en ass�nent un coup terrible sur la nuque des victimes infortun�es, qui poussent un cri et tombent en se tordant dans les convulsions de la mort. Le troupeau terrifi� se remet aussit�t en marche. L'�pouvante a donn� des forces aux plus faibles. Chaque fois que quelqu'un s'arr�te, le m�me affreux spectacle recommence. C'est ainsi que l'on marche, quelquefois des mois entiers. La caravane diminue chaque jour. Si, pouss�s par les maux extr�mes qu'ils endurent, quelques-uns tentent de se r�volter ou de fuir, leurs ma�tres f�roces, pour se venger d'eux, leur tranchent les muscles des bras et des jambes, � coups de sabre ou de couteau, et les abandonnent ainsi le long de la route, attach�s l'un � l'autre par leur cangue, et ils meurent de faim et de d�sespoir. Aussi a-t-on pu dire, avec v�rit�, que si l'on perdait la route qui conduit de l'Afrique �quatoriale aux villes o� se vendent les esclaves, on pourrait la retrouver ais�ment par les ossements des n�gres dont elle est bord�e! On calcule que chaque ann�e, quatre cent mille n�gres sont les victimes de ce fl�au! Enfin, on arrive sur le march� o� on conduit ce qui reste de ces infortun�s, apr�s un tel voyage. Souvent c'est le tiers, le quart, quelquefois moins encore, de ce qui a �t� pris au d�part (1).� Note 1: Lettre du cardinal Lavigerie au pape L�on XIII, mars 1888. Il a fallu le z�le et le d�vouement infatigables de Son Eminence le cardinal Lavigerie pour concevoir le rem�de � ces crimes et r�ver la libert� pour ces esclaves. Il a fallu sa voix puissante pour �mouvoir le monde entier et l'int�resser � la r�ussite de cette entreprise si pleine de p�rils. Mais, cette fois, ce ne sont plus des missionnaires, martyrs d�sign�s, qu'il envoie, ce sont de vrais d�fenseurs arm�s, qu'il �l�ve pour rendre � cette race opprim�e la vie avec la libert�. De cette id�e est n� un nouvel ordre religieux rappelant en tous points l'ordre de Malte. En effet, l'Association (c'est ainsi que le cardinal la d�signe) des fr�res arm�s ou pionniers du Sahara, est compos�e de volontaires qui, arm�s des meilleures armes modernes, iront cr�er au milieu des peuplades sauvages du Sahara des centres de civilisation, d�fricher la terre, creuser des puits, et employer toutes leurs forces � soulager de toute fa�on les mis�res dont ils seront les t�moins. Et c'est non seulement une oeuvre �minemment humanitaire, mais encore ce sont les int�r�ts de la France sauvegard�s, notre commerce accru, l'avenir de notre plus belle colonie assur�. L'est-il bien en ce moment, si l'on r�fl�chit � l'issue terrible et habituelle de toutes les tentatives de p�n�tration dans le Sud? Qui nous dit que ces Touaregs, ces Snoussyas, si f�rocement r�put�s, encourag�s par leurs tristes succ�s r�p�t�s, ne se l�veront pas bient�t en masse et ne viendront pas entra�ner dans une insurrection g�n�rale des tribus toujours pr�tes � la r�volte? M�me, chose �trange, ce n'est pas � la pr�dication directe de l'�vangile que Son Eminence compte recourir d'abord. �..... L'exp�rience universelle des missions montre que le monde mahom�tan est inaccessible aux inspirations diverses de la foi chr�tienne et ferm� � la pr�dication imm�diate de l'�vangile. On peut le changer � la longue, mais, pour cela, il faut n'employer que les bienfaits, l'aum�ne, le soin des malades, et entra�ner ainsi insensiblement les sectateurs de l'Islam, par une lente �volution, dans le courant du monde chr�tien. C'est ainsi que nous avons commenc�, chargeant nos missionnaires de secourir les mis�res qui les entouraient, de soigner les malades, de r�pandre autour d'eux les bienfaits de l'ordre et de la paix: l'agriculture, l'industrie, tout ce qui constitue, en un mot, les avantages ext�rieurs de notre civilisation, les seuls auxquels de semblables natures, enflamm�es par une foi aveugle et farouche, puissent se montrer accessibles. C'est dans ces conditions que sont partis les premiers missionnaires. Mais nous avons pu constater, d�s la premi�re heure, qu'il ne leur suffisait pas de faire le bien autour d'eux, de gu�rir les malades, de sacrifier m�me leur vie; nous avons vu que l'hostilit� implacable des barbares n'�tait pas vaincue par ces sacrifices, et que, comme il arrive aupr�s de certains furieux, avant m�me de pouvoir tenter de les gu�rir par les secours de l'art, il fallait les mettre dans l'impossibilit� de nuire et de se perdre eux-m�mes (2).� Note 2: Lettre du cardinal Lavigerie, 1891. Pour r�ussir dans une entreprise aussi complexe, aussi pleine de difficult�s, il importe de les pr�voir toutes, il importe que la troupe mise en campagne soit aguerrie et puisse subvenir elle-m�me � tous ses besoins. Aussi les d�tails de l'organisation int�rieure de l'ordre sont-ils fort ing�nieusement �tablis. Chaque compagnie des Pionniers du Sahara est s�par�e en quatre ou cinq groupes de nombre in�gal concourant tous � la prosp�rit� de l'unit� qui est de cinquante hommes. Ces groupes se d�nombrent ainsi: celui des infirmiers, charg�s du soin des malades et de tout ce qui concerne la propret�, l'hygi�ne, l'entretien des v�tements selon les r�gles de la salubrit� et de la prudence; le groupe des artisans, charg�s de tout ce qui concerne la construction et l'entretien des habitations et du r�duit commun; le groupe des agriculteurs, des fr�res pr�pos�s aux soins de la culture, des eaux, de la nourriture ordinaire, boulangers, cuisiniers et servants divers; enfin, des chasseurs destin�s � trouver, dans le gibier du Sahara, un suppl�ment n�cessaire aux troupeaux qui seront confi�s � la garde des indig�nes. Ces diff�rents groupes sont plac�s sous l'autorit� d'un commandant et de deux lieutenants; des sergents et des caporaux se partageront les autres fractions. Ces chefs sont choisis � l'�lection et nomm�s par Mgr le vicaire apostolique du Sahara sous l'autorit� canonique duquel l'ordre est plac�. Ind�pendamment de cette hi�rarchie, des moniteurs sont charg�s de la direction de chacun des divers groupes qui seront form�s selon la nature des occupations de chacun. Aucun de ces volontaires ne doit avoir plus de trente-cinq ans. Un an de noviciat a �t� jug� n�cessaire pour les aguerrir aux difficult�s de la vie qu'ils devront mener. Ils l'emploieront � apprendre la langue arabe, � se perfectionner dans le r�le qu'ils auront demand� � remplir, et � rompre leur corps aux fatigues d'un climat souvent p�nible et � l'alimentation plus que frugale du Sahara. A la fin de ce noviciat, ils seront appel�s, s'il y a lieu, � prendre un engagement quinquennal, d'apr�s le vote, � la majorit� des voix et au scrutin secret, de tous les membres de la communaut�. Cet engagement se renouvellera tous les cinq ans. Les Fr�res du Sahara auront trois tenues: la grande tenue, et la tenue de combat, toute blanche, se composant d'une tunique longue serr�e � la taille par un ceinturon, la croix rouge de Malte sur la poitrine, le pantalon, un large burnous blanc, comme coiffure le casque blanc, surmont� d'un plumet blanc et orn� de la croix. La seconde tenue rappellera beaucoup le costume des Arabes, et aura comme pi�ces principales la gandoura avec la croix rouge sur la poitrine, et le burnous. Un d�tail qui va bien �tonner nos Parisiens. Le chapeau sera de paille, pointu, et � bords tr�s larges, de fa�on � pr�server les �paules. C'est le chapeau des Touaregs tel qu'ils l'ont dans le d�sert. Les Fr�res ne porteront ce costume que dans leurs marches, qu'ils feront toujours � dos de chameaux. La troisi�me tenue, la plus simple, celle de travail, se composera presque uniquement d'une sorte de sarrau serr� � la taille, et du casque blanc comme coiffure. Tel est ce nouvel ordre si curieux, si sp�cial, et bien digne de tenter les vocations, selon l'esprit religieux moderne. Comme l'�crivait derni�rement, avec sa haute raison, Son Eminence le cardinal Lavigerie, �la vie exclusive de m�ditation et de pri�re est au dernier point respectable; mais elle n'est pas faite pour tous, et en particulier dans les temps o� nous vivons, qui sont des temps d'agitation inqui�te, de mouvement f�brile et perp�tuel, ce n'est qu'� l'exception qu'elle peut convenir. �L'homme de notre temps a surtout besoin d'action ext�rieure, par suite de l'abaissement des caract�res. �Le silence et la contemplation ne sont pas support�s par tous. Mais en soi l'homme peut se sanctifier par l'action comme par la contemplation et par la pri�re, surtout quand cette action est vivifi�e, purifi�e par des vertus telles que la charit�, le d�sir d'expiation, le d�tachement des choses terrestres, l'amour de la patrie chr�tienne, l'amour du travail, le d�sir de procurer le bien des hommes et la gloire de Dieu.� C'est ce but que se proposent les Fr�res du Sahara. V. [Illustration: Fantassins.] [Illustration: Cavaliers.] LES PIONNIERS DU SAHARA.--Uniformes de l'ordre, compos�s par M. Jean Veber, sous l� direction du cardinal Lavigerie. [Illustration: LES PIONNIERS DU SAHARA.--La M'Sallah (la maison de pri�re), � Biskra.] [Illustration: LES PIONNIERS DU SAHARA.--Le cardinal Lavigerie visitant les travaux d'installation, � Biskra. Dessins d'apr�s nature de M. Jean Veber.] LES COURSES DE CHEVAUX EN SIB�RIE [Illustration: Le public.] Les courses ont �t� la grande pr�occupation de ces jours derniers. Beaucoup m�me ont trouv� que cette question tenait une place beaucoup trop pr�pond�rante dans la vie des Fran�ais de cette fin de si�cle. Il nous a paru curieux, � ce propos, de rechercher si nous avions le monopole de ce go�t qui va s'accentuant d'ann�e en ann�e. L'article que nous publions ci-dessous et auquel le nom de son auteur donne un attrait tout sp�cial, r�pond � ce sentiment de curiosit�. Si les courses de chevaux ont pris en France les proportions que l'on sait, on con�oit facilement quel succ�s doit avoir un sport de ce genre dans un pays comme la Russie, la patrie par excellence des chevaux infatigables et des hardis cavaliers. Nous nous doutions bien que rien, dans l'organisation de ces courses, ne d�t rappeler le spectacle offert par les hippodromes d'Auteuil et de Longchamp. Ce que nous en avions entendu dire ne nous inspirait pas moins le vif d�sir d'en voir une de pr�s, et c'est la description fid�le de la f�te � laquelle nous avons assist� que je vais tenter pour les lecteurs de l'_Illustration._ Qu'ils veuillent bien me suivre un instant par la pens�e sur la carte d'Asie. Le premier grand fleuve que nous rencontrons en Sib�rie, apr�s avoir travers� les Monts Oural, de l'ouest � l'est, est l'Irtish. En remontant son cours, nous trouverons Tobaisk, Orusk, et, quelques centaines de kilom�tres plus au sud, Semipalatinsk. C'est l� que je veux m'arr�ter. La ville _des sept palais_ n'en a que le nom. Son titre m�me de ville est usurp�; � dire vrai, ce n'est qu'un grand village, triste, d�sol�, priv� de tout ombrage, enfouissant ses petites maisons de bois dans le sable qui borde son fleuve. N'�tait sa situation au milieu d'un pays peupl� de hordes nomades, on ne comprendrait gu�re ce que les Russes sont venus faire ici. Nous arrivons au bon moment. C'est demain le _Courban Ba�ran_, une des grandes f�tes musulmanes. Des r�jouissances seront organis�es dans le steppe par les Kirghises des environs. Leurs chefs ont appris l'arriv�e de deux _Faranghis_. C'est ainsi qu'ils appellent les Fran�ais, dont le nom, depuis un temps recul�, peut-�tre depuis les croisades, se trouve toujours li� � une id�e de bravoure et est tr�s populaire parmi eux. Aussi sont-ils heureux de nous prier d'assister � leurs jeux. Nous sommes encore plus heureux d'accepter, car nous allons pouvoir �tudier de pr�s ces populations aux moeurs si peu connues sur lesquelles l'imagination des po�tes et des romanciers para�t s'�tre souvent exerc�e dans des r�cits de seconde main pleins de d�tails suspects. Nous nous mettons donc en route pour le steppe le 11 ao�t au matin. Le soleil est d�j� haut et le sable que nous foulons br�lant. Nous nous trouvons ainsi pris entre deux feux. Mais le supplice est de courte dur�e, car nous arrivons rapidement au bord de l'Irtish, que nous passons sur un bac mis en mouvement par le courant lui-m�me. Sur la rive oppos�e, nous traversons des villages importants habit�s par des kirghises pauvres qui ont renonc� � la vie nomade. Au-del�, le steppe s'�tend � perte de vue, uni, sans verdure, couvert d'un gazon ras, jaune, dess�ch�, sur lequel se d�tachent seulement quelques amoncellements de pierres. Au loin des _aouls_, villages mobiles de nomades, dressent leurs tentes, ou _yourtes_ arrondies, rappelant par leurs formes et leur groupement les huttes des Esquimaux ou les habitations des castors. De tous c�t�s s'�l�vent dans la plaine des tourbillons de poussi�re enveloppant, comme en des nuages de fum�e, les cavaliers qui accourent pour assister � la f�te. Ils galopent par petites troupes, accroupis sur leurs chevaux. Beaucoup portent au poing la lance que surmonte une banni�re: c'est l'�tendard des tribus. Bient�t la petite colline fix�e pour le rendez-vous est couverte et les Kirghises continuent pourtant � venir. Sur quelque point que l'oeil se porte, il voit de nouveaux cavaliers succ�der aux cavaliers. Ce sont les flots d'une mer montante qui semble envahir la steppe et l'on se demande o� elle s'arr�tera. Notre pens�e se reporte alors, malgr� nous, � quelques si�cles en arri�re; nous nous repr�sentons ainsi les hordes des Mogols, anc�tres de ces nomades, s'avan�ant comme des nu�es de sauterelles, toujours plus nombreux, ins�parables de leurs chevaux et marchant � la conqu�te du monde sous la conduite d'un Tchengis Khan. Les yeux brid�s, les pommettes saillantes, le nez large, le front fuyant, la barbe rare, � poils rudes, c'est bien l� l'ancien type mogol. Ces Kirghises sont forts, bien muscl�s, �nergiques. Ils portent tous un costume semblable: un bonnet conique de peau de mouton, entour� d'un bourrelet de fourrure qu'ils rabaissent l'hiver. Quelques-uns ont le _malakai_, sorte de capuchon � trois pans qui pr�serve les oreilles et le cou. Leur v�tement est un long manteau, g�n�ralement de couleur sombre, serr� � la taille par une ceinture. Ils ont des bottes, mais pas d'�perons. Les chefs seuls portent une tenue plus luxueuse. Ils se reconnaissent � une toque de velours et � une tunique que borde une frange d'or ou d'argent. Pour para�tre civilis�s, ils emprisonnent leurs jambes dans de vulgaires pantalons. Ceux qui ont la fonction de juges portent comme insigne une cha�ne d'or suspendue au cou et ferm�e par une m�daille. Les _Aksahals_ (chefs) nous re�oivent et nous conduisent � une tente dress�e � notre intention. Apr�s les saluts d'usage et les souhaits de bienvenue, les chefs nous demandent la permission de proc�der aux appr�ts de la Ba�ga--c'est le nom de la course de chevaux--qui sera le principal attrait de la journ�e. Tandis qu'on nous apporte des bols de _koumis_ (lait de jument ferment�), la foule des spectateurs est �cart�e � coups de b�tons; ils se rangent tant bien que mal en cercle autour du comit� des courses, les uns sur des charrettes, d'autres � pied ou � cheval, et l'on proc�de � l'appel des chevaux engag�s. Tout cheval peut concourir sans distinction d'�ge ni de sexe. Tout propri�taire peut engager le nombre de chevaux qui lui pla�t; il doit seulement verser quatre roubles par cheval engag�; ces mises sont destin�es � constituer le prix. Comme on le voit, ce n'est qu'une simple poule. En pr�sence des commissaires de la course, un officier de police se servant du dos d'un khirghise comme de pupitre, �crit au fur et � mesure les noms du propri�taire, ceux du jockey, le num�ro d'ordre qui est assign� � celui-ci, et qu'il portera attach� sur sa blouse, enfin le caract�re distinctif du cheval. Ce dernier est petit, il a les formes �l�gantes, les jambes d�li�es, le poitrail fort des arabes; la t�te est moins fine; le chanfrein est busqu� au lieu d'�tre droit. Il conna�t peu la fatigue, passe avec beaucoup d'adresse par toutes les routes. On lui met seulement un mors court que retiennent deux minces lani�res, et auquel est fix� un simple bridon. On l'a dress� tout jeune � ob�ir, surtout � la voix. Pour la course on lui divise la queue en deux tresses enserr�es chacune, � la partie sup�rieure, dans une gaine de soie; un cordon, �galement de soie, entoure la moiti� de la crini�re qui est ramen�e et dress�e entre les oreilles en forme de toupet. L'animal n'est pas ferr�: dans le steppe les Kirghises ne ferrent leurs montures que lorsqu'ils ont un tr�s long voyage � entreprendre. La selle est en bois et pos�e sur une pi�ce de feutre; deux pans en cuir, de forme rectangulaire, souvent brod�s, sont suspendus aux c�t�s, descendant sur les flancs du cheval. Le panneau est petit, droit, parfois recouvert d'une plaque cisel�e; l'�trivi�re est courte; le cavalier a les jambes hautes, et semble agenouill� sur sa selle, ce qui ne l'emp�che pas d'y �tre tr�s solide. On peut dire en effet que ces nomades vivent de cheval, � cheval et pour le cheval. Une fois en selle, ils en descendent rarement; parfois ils ne quittent pas leur monture pour dormir; on s'explique ainsi qu'ils y restent des journ�es enti�res sans para�tre s'en apercevoir. Aussi ne nous �tonnons-nous pas devoir prendre pour jockeys dans la course de jeunes gar�ons de huit � quatorze ans. Ils portent une blouse blanche et ont un mouchoir rouge attach� sur la t�te. La cravache qu'ils tiennent � la main est une simple lani�re de cuir fix�e � l'extr�mit� d'un b�ton. [Illustration: L'inscription des chevaux engag�s.] Les chevaux engag�s viennent se ranger en demi-cercle l'un � c�t� de l'autre, par ordre de num�ros. Les jockeys s'�tant pass� � la ronde un pot de koumis, le signal est donn�. Les cavaliers vont � la station de poste voisine (� 25 verstes d'ici). Ils s'y rendent au galop: leur allure est r�gl�e par deux cavaliers commissaires qui les accompagnent. Arriv�s � la station, ils feront volte-face et se rangeront dans l'ordre du d�part; les commissaires compteront jusqu'� trois, et l'on reprendra la course. Pendant ce temps le comit� rest� au point de d�part d�lib�re et fixe le montant des prix: ils seront attribu�s aux six premiers arrivants; le premier de tous aura 16 roubles (environ 40 francs), les autres r�compenses iront en diminuant progressivement. On ne voit gu�re ici de prix d�passant cent roubles. Cependant il n'en est pas partout de m�me. En 1874, chez les Karakirghises de l'Issyk Koul, � l'occasion de la mort d'un riche propri�taire, ses h�ritiers organis�rent une course dont le prix �tait de 1,000 chevaux, 100 chameaux, 100 peaux de loutre et 100 tilda (pi�ces d'or valant environ 10 francs). Si l'on prend pour valeur moyenne d'un cheval 10 roubles, d'un chameau 40, d'une peau de loutre 5, on trouvera comme valeur absolue 40,000 francs. Mais, comme l'argent a ici une valeur relative au moins quadruple de celle qu'il a chez nous, c'�tait en r�alit� une r�compense d'une importance au moins �gale pour le pays � celle du Grand-Prix de la ville de Paris pour la France. Dans cette course, la distance �tait de 60 kilom�tres environ, en terrain accident�; plus de deux cents chevaux entr�rent en ligne. Les trois premiers arriv�s �taient des ambleurs. On n'a pas gard�, il est vrai, le souvenir d'une autre course aussi importante dans ces contr�es. Mais il arrive parfois de voir assigner un prix de 2,000 brebis ou de 1,000 pi�ces d'or. Pendant que les chevaux courent au loin, les spectateurs se livrent � des luttes. Ils sont group�s en deux camps: d'un c�t� les Kirghises du village, de l'autre ceux de la plaine. Dans chaque parti, un chef arm� d'un b�ton maintient l'ordre et d�signe les combattants. Ceux-ci gardent leurs v�tements et s'en servent m�me pour se saisir les uns les autres; ils ne s'empoignent pas � bras le corps, mais se tiennent les bras tendus, de sorte que tout l'effort est support� par les reins. La victoire reste � celui qui a renvers� son adversaire sur le dos. Les Kirghises, tr�s amateurs de ce genre de combat, excitent les champions par leurs cris. Mais tout � coup les assistants, oubliant la lutte, rompent le cercle, se poussant, se bousculant, s'�crasant, pour se porter d'un m�me c�t�. Tandis que ceux qui sont � pied cherchent leurs chevaux, ceux rest�s en selle partent au triple galop. C'est qu'on a annonc� l'arriv�e des cavaliers. Les commissaires de la course vont avoir alors fort � faire pour emp�cher certaines tricheries, car les jockeys portent, fix�es � leur selle, des cordes qu'ils lancent � leurs amis. Ceux-ci, arrivant mont�s sur des chevaux frais, rel�vent ainsi l'allure du coursier dans le dernier effort, tout en paraissant simplement courir � c�t� de lui; puis ils l�chent la corde au bout de quelques centaines de m�tres. Les gens du steppe ont sans doute la vue plus per�ante que la n�tre, car c'est seulement quelques minutes apr�s eux que nous commen�ons � apercevoir quelque chose comme un nuage de poussi�re d'abord, puis un point noir qui va grossissant et finit par nous montrer la forme d'un cheval. Le premier arrivant a une avance de 150 m�tres. Il passe avec peine au milieu de la foule des cavaliers qui se pressent sur son passage pour le f�liciter. La monture ne semble pas trop fatigu�e et pourrait aller encore quelque temps. Elle vient pourtant de fournir 53 kilom�tres 200 m�tres en deux heures quatre minutes. Les cinq ou six suivants arrivent assez pr�s les uns des autres. Quelques-uns ont franchi, trois jours auparavant, une distance de 300 � 600 kilom�tres pour venir prendre part � la course. Un cheval tombe foudroy�, quand son cavalier l'arr�te; les autres sont conduits aux tentes voisines o� on les pansera. Quant aux jockeys, ils ne paraissent pas se ressentir de l'effort qu'ils viennent de faire: ils ont l'habitude de ces exercices. Le gagnant frappe sur sa cuisse, en signe de remerciements pour une r�compense personnelle que nous lui remettons. Il l'a bien m�rit�e, car sa part personnelle du prix acquis en principe par sa tribu est des plus minimes. La _ba�ga_ est termin�e. Les chefs viennent partager avec nous le plat favori des Sarthes, le _palao_ compos� de mouton cuit en morceaux dans son jus avec du riz et des oignons. D�daignant les cuillers de bois qui nous sont offertes, ils le mangent, selon la coutume, avec la main. Le _Koumis_ coule � flots; les gagnants c�l�brent leur triomphe; les vaincus se consolent de la d�faite. Tout le monde s'amuse. La foule se presse autour d'un barde accroupi devant la tente; celui-ci, les jambes crois�es, accompagne, en remuant la t�te, son chant sur une sorte de guitare � trois corde. D'une voix forte il improvise des louanges des deux �trangers venus de si loin, du beau pays de France. Nous sommes sous le charme de cette voix m�le et pure qui se fait entendre sur un rythme si doux. Puis la nuit vient; elle couvre d�j� la plaine de son ombre et chacun songe au retour. L'heure o�, selon le commandement du proph�te, on ne distingue plus un fil blanc d'un fil noir est pass�e, sans, cependant, que le nom d'Allah ait �t� invoqu�. C'est pourtant la f�te du Courban Ba�ran qui nous a amen�s tous ici. Mais ils ne croient plus, ces gens qui ont conquis le monde. Avec leur foi guerri�re ils ont perdu la foi religieuse. Ils n'aiment plus que leurs chevaux, leur femmes et le steppe, le steppe immense. Henri d'Orl�ans. [Illustration: L'arriv�e. D'apr�s des photographies du prince Henri d'Orl�ans.] [Illustration: DE PARIS A MOSCOU SUR DES �CHASSES.--Le d�part de Sylvain Dornon.] [Illustration: TH��TRE DE L'OP�RA.--Le �Mage�, op�ra en cinq actes, paroles de M. J. Richepin, musique de M. J. Massenet. Le Camp: La sc�ne d'amour du 1er acte entre Zarastra (M. Vergnet) et Anahita (Mme Lureau-Escala�s).] [Illustration: TH��TRE NATIONAL DE L'OP�RA.--Le �Mage�, op�ra en cinq actes, paroles de M. Jean Richepin, musique de M. J. Massenet. Le Temple: d�livrance d'Anahita par les Touraniens, au 4e acte.] [Partition musicale.] LE MAGE OP�RA EN CINQ ACTES J. MASSENET JEAN RICHEPIN CANTABILE chant� par M. Vergnet. Heureux celui dont la vie Pour le bien aura lutt� toujours! Car son �me est ravie Au bonheur �ternel des c�lestes s�jours. Les douleurs qu'il eut sur la terre Lui deviendront l�-haut des volupt�s sans fin. S'il eut soif, c'est le vin qui toujours d�salt�re; Et c'est le pain servi pour jamais, s'il eut faim. O sort divin de celui qui sans tr�ve, sans tr�ve Contre Ahriman aura nourri le feu, Il va, joyeux, au ciel conquis, vivre son r�ve, V�tu de gloire et d'or comme son Dieu! [Illustration: HISTOIRE DE LA SEMAINE] La semaine parlementaire.--La Chambre a vot� la semaine derni�re la proposition de M. M�line tendant � venir en aide aux agriculteurs dont les r�coltes ont �t� perdues par suite de la persistance de la gel�e. Cette proposition, on se le rappelle, avait rencontr� une assez vive opposition, un grand nombre de d�put�s estimant qu'elle �tait � la fois inefficace et contraire aux principes sur lesquels repose notre organisation sociale. Mais ceux-l� m�mes qui l'avaient combattue � ce double point de vue pensaient qu'il y avait des mesures � prendre en faveur de l'agriculture, et M. Rivet s'est fait leur interpr�te en d�posant � son tour un projet de loi ayant pour but �l'organisation d'une caisse nationale d'assurance agricole, laquelle serait aliment�e par les ressources des communes.� M. Rivet demandait l'urgence; mais elle a �t� repouss�e conform�ment � la d�claration du ministre des Finances. M. Rouvier estimait en effet qu'on ne pouvait discuter au pied lev� une question aussi grave, puisque la proposition aurait pour effet d'engager le principe de l'assurance obligatoire qui n'existe pas dans notre l�gislation. Cependant le sujet vaut d'�tre �tudi� et il est probable que l'auteur de la proposition fera en sorte que le rejet de l'urgence ne constitue pas un ajournement ind�fini de la discussion. --La Chambre n'a pas voulu laisser au S�nat le monopole de l'�tude des questions qui se rattachent � la situation de l'Alg�rie. Deux propositions int�ressant notre grande colonie ont �t� d�pos�es par M. Martineau: la premi�re concerne le service militaire des indig�nes musulmans; la seconde, leur naturalisation progressive. Ces deux propositions ont �t� renvoy�es � une commission sp�ciale de onze membres. --Le projet de loi portant modification du r�gime fiscal en mati�re de successions et de donations entre vifs est venu en premi�re d�lib�ration. Il s'agit de savoir si les droits du fisc continueront � porter sur l'ensemble de la succession, comme le veut la l�gislation actuelle, ou seulement sur le montant de la succession diminu�e du passif, ce qui semble plus �quitable. Un long d�bat juridique s'est engag� � ce sujet entre MM. Dumas, Raiberti, Borie et le rapporteur, M. Jamais; apr�s quoi la Chambre a d�cid� de passer � une deuxi�me d�lib�ration dans laquelle seront discut�s les divers amendements pr�sent�s. --La Chambre a vot� une r�solution en vertu de laquelle tous les vins de fabrication ou pl�tr�s devront porter une �tiquette apparente indiquant leur nature, de fa�on � pr�venir le public. --Quand la Chambre veut se d�barrasser d'une interpellation inopportune ou g�nante, elle profite de la latitude que lui laisse le r�glement, et elle la renvoie � un mois. Un mois, c'est l'�ternit� quand il s'agit d'un d�bat que l'interpellateur a voulu provoquer le plus souvent sur un fait dont l'actualit� constitue le principal int�r�t. C'est ce qui �tait arriv� pour l'interpellation d�pos�e par M. Francis Laur, au lendemain de la faillite Mac�-Berneau, dans le but de demander au ministre de la justice �les mesures qu'il comptait prendre pour emp�cher les escroqueries publiques par prospectus promettant un revenu invraisemblable et garantissant le capital.� Le mois s'est �coul� et, par exception, le temps n'a pas amorti l'int�r�t du sujet, car M. Francis Laur a tr�s habilement profit� de la crise qui vient de frapper le march� financier, en rattachant � son interpellation l'affaire de la Soci�t� des d�p�ts et comptes courants. Le ministre de la justice aurait pu s�parer les deux causes, qui n'ont aucun rapport entre elles, mais il a tenu � s'expliquer sur l'une et sur l'autre. En ce qui concerne l'affaire Mac�, il a fait remarquer que pas une des victimes du banquier en fuite n'a port� plainte, preuve �vidente que ses nombreux clients avaient accept� d'avance le caract�re al�atoire de ses op�rations. Au sujet de la Soci�t� des D�p�ts, M. Falli�res s'est appliqu� d'abord � justifier l'intervention de l'�tat et des banques de cr�dit; mais le point int�ressant de son discours est celui relatif aux mesures pr�par�es par le gouvernement pour pr�venir autant que possible de pareilles catastrophes. Le ministre a annonc� en effet un projet de loi destin� � sauvegarder les int�r�ts des d�posants. Aux termes de cette loi les Soci�t�s de cr�dit ne pourront employer les d�p�ts qu'en papier commercial rev�tu de deux signatures, ou en avances sur titres, compris parmi ceux que la Banque de France admet elle-m�me au b�n�fice de ses avances. Sur ces d�clarations, l'ordre du jour pur et simple a �t� vot� par assis et lev�. Elections s�natoriales.--Les trois �lections s�natoriales qui ont eu lieu dimanche dernier ont donn� les r�sultats suivants: Calvados: M. Turgis, conseiller g�n�ral, r�publicain, �lu par 788 voix contre 370 � M. Thomine-Desmazures, maire de Mouen, monarchiste. Eure: M. le docteur Guindey, conseiller g�n�ral, r�publicain, �lu par 558 voix, contre 497, � M. Pouyer-Quertier. Seine-et-Marne: M. Benoist, r�publicain, �lu par 513 voix, contre 408, � M. Chazal. Les catholiques, les monarchistes et la r�publique.--L'opinion publique suit avec une attention justifi�e l'�volution qui se produit depuis quelque temps dans une partie du monde catholique fran�ais et qui a eu pour point de d�part le fameux discours prononc� par Mgr Lavigerie, � Alger. On se rappelle qu'� cette �poque, si le langage du cardinal n'a pas re�u la confirmation officielle du Saint-P�re, de nombreux indices permettaient aux partisans de l'�volution de croire que L�on XIII ne la d�sapprouvait pas. Depuis, M. d'Haussonville a trac� de son c�t� le programme des monarchistes intransigeants, en laissant entendre clairement qu'il existait une puissante fraction du parti royaliste parfaitement d�cid�e � n'accepter aucun compromis. Or, on a fort remarqu� qu'un journal, qui passe pour un organe officieux du Vatican, le _Moniteur de Rome_, a vivement protest� contre les doctrines de l'orateur et lui a reproch� notamment �d'avoir fait le proc�s de la politique de l'�piscopat, qui veut le salut de la France et la fin des regrettables malentendus. Faut-il voir dans les d�clarations que vient de faire le cardinal Richard, archev�que de Paris, la confirmation de celles qu'a publi�es le _Moniteur de Rome?_ Ce serait aller un peu loin, car l'archev�que de Paris se tient dans la r�serve que lui commande sa haute situation dans l'�piscopat. Toutefois, en raison m�me de cette r�serve, son langage a une importance toute particuli�re. Un certain nombre de catholiques lui ayant demand� son avis sur la fa�on dont ils devaient comprendre leur �devoir social�, l'illustre pr�lat leur a donn� une sorte de consultation qui contient un passage du plus haut int�r�t. Il y est dit: �D'abord faisons tr�ve aux dissentiments politiques. Quand la foi est en p�ril, redirons-nous avec L�on XIII, tous doivent s'unir d'un commun accord pour la d�fendre. Le pays a besoin de stabilit� gouvernementale et de libert� religieuse... Apportons un loyal concours aux affaires publiques, mais demandons aussi que les sectes anti-chr�tiennes n'aient pas la pr�tention d'identifier avec elles le gouvernement r�publicain et de faire d'un ensemble de lois anti-religieuses la constitution essentielle de la R�publique.� Ce sera l�, en effet, tout le fait pr�voir, que portera principalement l'effort de ceux qui, parmi les catholiques, se r�signent � accepter le r�gime actuel: plus d'opposition syst�matique contre la forme de gouvernement, mais propagande constante dans le but de faire r�former les lois qui touchent aux int�r�ts religieux, c'est-�-dire celles qui concernent l'enseignement, le service militaire et les congr�gations. Puisque nous parlons du parti monarchiste, nous devons signaler un fait important, la retraite de M. Bocher, le confident et le repr�sentant du comte de Paris en France. M. Bocher a exerc� ces d�licates fonctions pendant de longues ann�es et, dans ce r�le souvent difficile, il a su se concilier l'estime g�n�rale. Il a invoqu�, pour r�signer son mandat, l'�ge et la fatigue caus�e par un travail incessant. Son droit au repos est trop �vident pour qu'il soit permis de chercher un autre mobile � cette d�cision, qui peut amener une modification nouvelle dans l'attitude du parti dont il �tait le repr�sentant. M. le comte d'Haussonville, l'orateur de N�mes, que l'on supposait d�sign� pour remplacer M. Bocher, a �t� en effet appel� par le comte de Paris, qui se trouve en ce moment en Espagne. Les courses et les paris.--On continue � occuper militairement les champs de courses et, jusqu'ici, le public s'est en g�n�ral soumis aux dispositions prises pour emp�cher le fonctionnement des paris. C'est � peine si quelques arrestations ont �t� op�r�es pour infraction aux arr�t�s minist�riels. Mais on sent que les choses ne peuvent durer ainsi et on devine que cette patience apparente est motiv�e par l'attente de la loi sp�ciale qui doit r�gler la question une fois pour toutes. En vertu de cette loi, seront seules autoris�es les courses ayant pour but l'am�lioration de la race chevaline et organis�es par des Soci�t�s dont les statuts auront �t� approuv�s par le ministre de l'agriculture. Les Soci�t�s de courses auraient la police de leurs hippodromes. Elles organiseraient donc sous leur surveillance le fonctionnement des paris et s'entendraient avec les municipalit�s pour la redevance � payer au profit d'oeuvres de bienfaisance. Mais, comme on le voit, d'apr�s ce projet, le point sp�cial relatif � la l�galit� du pari mutuel n'est pas tranch�. Aussi, pour pr�venir les difficult�s qui ne manqueraient pas de se produire de nouveau, certains d�put�s voudraient-ils que la question f�t nettement pos�e et ils demandent une modification cat�gorique � la loi de 1836 sur les loteries, loi � laquelle celle qui concerne le pari mutuel serait assimil�e. Allemagne: _les passe-ports en Alsace._--A la suite des mesures prises par l'administration allemande, dans le but de rendre plus rigoureuses encore que par le pass� les prescriptions relatives aux passe-ports, une d�l�gation de la repr�sentation d'Alsace-Lorraine s'est rendue aupr�s de l'empereur pour essayer de le faire revenir sur sa d�cision. Guillaume Il a re�u les d�l�gu�s en grand apparat; il avait pris place sur le tr�ne, entour� des dignitaires de la couronne, et il �tait rev�tu de l'uniforme des gardes du corps. Dans le discours qu'il leur a adress�, l'empereur a fait entendre que, pour le moment du moins, il n'�tait dispos� � faire aucune concession. En revanche, il a saisi l'occasion qui lui �tait offerte pour proclamer hautement les droits de l'Allemagne en Alsace-Lorraine. N�crologie.--Le g�n�ral de Narp, commandeur de la L�gion d'honneur. M. Kornprobst, ancien ing�nieur en chef des ponts-et-chauss�es. M. Viguier, conseiller � la cour d'appel. Mme Fourneret, femme de l'ancien secr�taire et neveu de M. Gr�vy. M. Stephany Poignant, ancien pr�fet de l'Empire. Le colonel du g�nie en retraite Goulier, professeur de topographie � l'�cole de Fontainebleau. M. L�on Aubineau, �crivain catholique. Le g�n�ral Campenon, s�nateur inamovible, ancien ministre de la Guerre. La princesse Marianne Bonaparte, veuve du prince Lucien Bonaparte, s�nateur du second empire. Le prince Napol�on. NOTES ET IMPRESSIONS J'aime la libert� sous toutes ses formes, mais la libert� de tous. (_Discours au S�nat._) Le prince Napol�on. * * * Un peuple libre doit se composer d'individualit�s ind�pendantes, avec leur entier d�veloppement, et non de grains de sable qui ne sont agr�g�s que par l'administration. (_Ibid._) Le prince Napol�on. * * * L'homme est passionn� pour une cause parce qu'il ne voit pas l'ensemble des choses humaines. Ernest Renan. * * * Peu de nations ont une conception assez haute de la justice pour oser, par un acte solennel de bl�me, se d�livrer d'un remords. Edm. Adam. * * * Le bonheur tient aux affections plus qu'aux �v�nements. Mme Roland. * * * Le plus souvent on cherche son bonheur comme on cherche ses lunettes, quand on les a sur le nez. Gustave Droz. * * * Une grande �me est une source d'amertume et de peine: voil� pourquoi tant de gens s'accommodent si bien d'en avoir une petite. Ernest Serret. * * * Un peu de niaiserie accompagne toujours la v�ritable innocence. H. Rabusson. * * * L'esprit n'excuse rien et il fait tout pardonner. * * * La probit� est, de tous les biens, celui que nous appr�cions le plus chez les autres. G.-M. Valtour. [Illustration: M. TH�ODORE DE BANVILLE D'apr�s une photographie de la maison Pirou.] [Illustration: LE G�N�RAL CAMPENON D'apr�s une photographie de la maison Barenne.] M. WINDTHORST L'homme qui a dirig� pendant vingt ans le parti catholique allemand n'a gu�re eu d'histoire que celle de ses actes publics. Il est vrai qu'une telle activit�, dans des circonstances si diverses de lutte et de victoire, suffit � remplir une vie et � marquer une �poque. Ce petit homme, court et bas sur jambes, � d�marche incertaine de myope, au vaste front chauve, aux yeux d�biles toujours couverts de grosses lunettes bleues, avait l'enveloppe d'un personnage hoffmannesque, d'un vieux biblioth�caire ou d'un antique juriste oubli� dans les archives d'un tribunal tr�s ancien. Tel on l'imaginait quand on le rencontrait, rentrant � petit pas dans son pied-�-terre de Berlin, au fond d'une rue tranquille, � l'ombre de la coupole et des arbres du jardinet de l'Observatoire. Or, il ne fut pas dans le parlement du nouvel empire d'esprit plus agile, de coup d'oeil plus prompt, de manoeuvrier plus f�cond en ressources, de strat�giste plus ferme en sa marche et plus conscient en son but! Il fut le Moltke des batailles int�rieures de l'Allemagne. Le r�le de cet homme d'�tat dans sa patrie hanovrienne n'est rien aupr�s de celui qu'il a jou� depuis 1870 sur le th��tre plus vaste du Reichstag allemand. [Illustration: M. WINDTHORST Chef du parti catholique en Allemagne, r�cemment d�c�d�.--Phot. Schneider.] Lors de la constitution du nouvel empire allemand, Guillaume Ier l'avait baptis� du mot �d'empire �vang�lique�, c'est-�-dire d'empire protestant, et son chancelier montrait des dispositions non �quivoques � faire passer dans les instituions cette parole imp�riale. Les pays catholiques du nouvel empire s'�murent du caract�re protestant qu'on semblait attribuer � l'empire constitu� par les efforts et les luttes de tous. Les Bavarois, les Hanovriens, les Prussiens catholiques des bords du Rhin et de Sil�sie, form�rent rapidement le noyau d'un nouveau parti, le Centre, dont le nom marquait assez l'esprit. Il ralliait en effet, pour la d�fense des institutions catholiques, les �l�ments les plus divers: depuis le bas clerg� � tendances d�mocratiques et presque socialistes des pays d'industrie, jusqu'aux grands propri�taires terriens aristocrates des pays d'agriculture. Ce fut le grand m�rite, le tour de force renouvel� pendant vingt ans par M. Windthorst, de tenir unis des esprits si divers, de les amener, sinon � des votes unanimes sur toutes les questions, du moins � une coh�sion que rien ne d�mentit, dans toutes celles o� l'int�r�t catholique �tait engag�. C'est ainsi qu'� la t�te de sa phalange de cent d�put�s il soutint, sans rien rel�cher de son opposition, les dix ans d'assaut de M. de Bismarck. Le chancelier et les ex�cuteurs de sa politique expulsaient les ordres religieux, emprisonnaient les �v�ques, suspendaient les traitements de centaines de cur�s et desservants, for�aient les pr�tres qui n'allaient pas chercher l'investiture administrative � abandonner leurs paroisses. Contre cette force, il y avait une r�sistance: la parole de M. Windthorst dans les grands congr�s r�gionaux, et, dans l'enceinte du parlement, le vote en bloc de cent d�put�s catholiques contre les projets gouvernementaux les plus essentiels: les projets �conomiques. Quand cette insurrection l�gale eut enfin convaincu M. de Bismarck qu'il ne pouvait pas faire de �finances imp�riales�, celui-ci dut d�sarmer, en face du centre toujours arm�, et r�voquer ou laisser tomber en d�su�tude l'une apr�s l'autre les lois de combat qu'il avait dress�es contre l'�glise catholique et les ordres religieux en Allemagne. [Illustration: EN ESPAGNE.--La procession de la Vierge noire au monast�re de Montserrat.--D'apr�s une photographie de notre correspondant, M. H. Lyonnet.] [Illustration: LES TH��TRES] Op�ra: _Le Mage_, op�ra en cinq actes, par M. Jean Richepin, musique de M. J. Massenet. En pla�ant l'action de son drame lyrique dans le Bactriane, � l'�poque l�gendaire o� s'est fond� le Mazd�isme, 2,500 ayant l'�re chr�tienne, M. Richepin a confiance dans l'�rudition du public. Je ne doute pas que le spectateur soit au courant des luttes des Touraniens et des Iraniens, mais pour moi, je l'avoue, il m'a fallu quelques lectures pr�liminaires pour me transporter dans ce milieu l�gendaire, un peu �loign� de nous. Par bonheur, le fait humain est l�, et, malgr� ce recul, nous assistons � un drame, qui, pour s'expliquer, n'a pas besoin du Mazd�isme, et qui se d�velopperait tout aussi bien dans une autre �poque, en dehors de la Djaki, la d�esse des volupt�s. Donc, les Iraniens, ou, si vous aimez mieux, les peuples de la Perse, ont vaincu les Touraniens, c'est-�-dire les peuples Tartares: Zarastra, le g�n�ral triomphateur, va faire son entr�e solennelle � Bakhdi, lorsque Varedha, la pr�tresse de la Djaki, vient lui d�clarer sa folle ardeur, et cela, sans beaucoup de pr�cautions, comme il convient � une pr�tresse d'une religion qui ne reconna�t que la passion pour puissance. L'aveu de cette �nergum�ne de l'amour effraye un peu Zarastra, lequel adore Anahita, la reine des Touraniens, qu'il a d�faits. Amrou, le grand-pr�tre des D�vas, et dont Varedha est la fille, a entendu les confidences faites � Zarastra par la princesse, et, t�moin des d�dains du g�n�ral pour sa fille, il la console en lui promettant son appui; et il assiste, cach�, aux aveux d'amour et aux promesses qu'�changent Zarastra et Anahita. Le vainqueur implore son pardon de la reine vaincue. Ce n'est pas pour l'amour de la gloire que Zarastra a soumis un peuple, c'�tait pour monter jusqu'au rang o� il pouvait �tre aim� d'une reine; et le voil� qui demande en suppliant la piti� de la reine dans un baiser. Dans le coeur de la jeune fille la passion est plus grande encore que le regret de la patrie perdue, et, en entendant les lamentations des Touraniens qui passent charg�s de cha�nes � l'horizon, Anahita se d�fend en vain contre le vainqueur et contre elle-m�me; ils s'en vont, eux, mais elle, reste: son peuple est captif et son coeur aussi. Au second acte, Amrou tente de relever le courage de sa fille, d�sesp�r�e � ce point que, dans les souterrains du temple de la Djaki, elle s'enfonce de plus en plus dans les t�n�bres pour �viter les cris de la f�te nuptiale qui se pr�pare, et elle cherche la mort. Amrou lui apporte la vie. Il la vengera. L'�me de Varedha se refuse � une vengeance qui doit atteindre celui qu'elle aime encore, mais Amrou vainc facilement sa r�sistance en lui montrant Zarastra heureux dans son amour pour la reine qu'il �pouse, et en lui r�p�tant les paroles enflamm�es de passion qu'ils �changent. Ce grand-pr�tre manque de grandeur morale; mais attendez, nous allons assister � bien d'autres �v�nements. Pendant la solennit� du triomphe de Zarastra, quand le peuple entoure le g�n�ral et que les ennemis d�filent devant la foule, Zarastra fait hommage au roi des Iraniens de cette troupe prisonni�re et de leurs biens. De tous ces tr�sors pris sur l'ennemi, il n'en veut garder qu'un seul, le plus pr�cieux de tous: la reine. Anahita, dont le vainqueur soul�ve le voile qui cache sa merveille beaut�, accepte cet hommage rendu en face de tout un peuple, et, dans les bras de celui quelle aime, oublie un tr�ne perdu, lorsque la voix imposante et terrible d'Amrou se fait entendre. Le grand-pr�tre s'oppose � ce mariage. Zarastra ne peut �pouser la reine; un autre serment l'engage et Varedha, qui s'avance en d�signant le g�n�ral du geste, dit que cet homme a �t� son amant. Zarastra se d�fend contre un pareil mensonge. Il crie � la calomnie; la pr�tresse lui rappelle en vain leurs amours pass�es; le malheureux a beau se gendarmer contre cette inqualifiable trahison, Amrou en appelle aux pr�tres qui jurent que le grand-pr�tre et sa fille ont dit la v�rit�. Devant un tel serment, la foi d'Anahita est �branl�e; son amour est atteint � ce point que la reine retire sa parole et renvoie son fianc� � ses anciennes amours. A ces mots, la col�re de Zarastra ne conna�t plus de bornes, il est pris de fureur et contre les dieux qui ne le d�fendent pas, et contre ces pr�tres menteurs, et contre le roi ingrat, et contre le peuple qu'il a sauv� et qui oublie ses services; il maudit ces imposteurs dans leurs trahisons et dans leurs blasph�mes; il maudit leurs divinit�s mensong�res et, chass�, fl�tri par les impr�cations de la foule, irrit� par une telle folie, il en appelle, en la bravant du regard, � Mazda, le dieu de la v�rit�. C'est sur la montagne sainte qu'il se retire: pendant que les mages et le peuple sont en pri�re au pied du mont sacr� et que la foudre sillonne les nues amoncel�es, Zarastra, face � face avec Dieu, re�oit la parole divine pour la rapporter � son peuple. L'�lu du Seigneur r�pand sur la foule la parole c�leste, mais, rest� seul, l'homme devenu dieu un instant par sa communication avec l'�tre supr�me souffre maintenant de toutes les faiblesses, de toutes les douleurs humaines. Il combat contre le souvenir troublant d'Anahita, il demande � son coeur la force de l'oubli, lorsque Varedha appara�t envoy�e, sans doute, par Ahriman, l'esprit du mal. Le mage la repousse et dans ses pri�res et dans ses tentations de la chair. Il lui pardonne le l�che mensonge qu'elle avoue. Mais il a compt� sans la m�chancet� de la femme qui, ulc�r�e de ses m�pris, l'atteint dans la jalousie et ravive les amours mortes. Varedha lui apprend que Anahita a un autre amant et que cette ma�tresse ador�e va �pouser le roi de l'Iran; sur cette parole elle abandonne le mage, certaine de le revoir bient�t � Bakhdi. Les noces du roi se c�l�brent contre la volont� d'Anahita; mais l'infernale politique d'Amrou qui tient � venger sa fille veut les choses ainsi. Mise en face des ordres du roi, Anahita veut, avant tout, sa libert�; elle pleure la patrie absente; elle se d�fend, le roi enjoint au grand-pr�tre de les marier, m�me sous les reproches, sous les menaces d'Anahita indign�e qui fait appel � des retours de fortune; au moment o� la parole sacr�e d'Amrou se prononce, au moment o� Varedha ivre de haine voit les �poux unis et attend l'arriv�e du mage pour jouir de sa vengeance � un tel spectacle, on entend des cris f�roces: ce sont les Touraniens qui ont repris l'offensive. Ils arrivent la torche � la main; ils ont envahi la ville, ils envahissent le temple, dans une m�l�e horrible, dans un affreux massacre. Ils tuent le roi, ils tuent Amrou. Varedha veut se jeter sur Anahita et la poignarder; les Touraniens entourent et prot�gent leur reine et Anahita, le sabre � la main, triomphante et f�roce, se prom�ne, comme une folle, au milieu de cette tuerie. Avec M. Richepin nous �tions s�r d'avance que nous irions jusqu'aux extr�mes du drame. L'acte qui suit est plus terrible encore. P�le-m�le dans les d�combres, �clair�s par les reflets sinistres de l'incendie lointain, les cadavres gisent �pars, parmi lesquels celui du roi et celui d'Amrou. Le corps de Varedha, raide, les yeux fixes, est adoss� � un tron�on de colonne du palais tomb�. Zarastra, que l'amour a ramen� � Bakhdi, marche lentement � travers les ruines de sa patrie. Il retrouve Anahita, mais victorieuse. Ils s'aiment toujours, le mage sert un dieu complaisant qui permet ces amours. Le r�ve de bonheur de Zarastra et d'Anahita va s'accomplir, quand Varedha revient � la vie, et, toujours irrit�e, invoque le Djaki contre eux. L'incendie se rallume soudain et les enveloppe; ils sont pr�s de p�rir, lorsque Zarastra fait appel � son dieu qui entend la voix de son messie: les flammes s'�teignent, et, tandis que Varedha meurt dans un dernier cri de rage impuissante, le mage et sa bien-aim�e passent d'un pas triomphant � travers les ruines. Un livret aussi tourment�, aussi violent, demandait au compositeur un �clat, une force toute particuli�re. Cette puissance d'exception �tait-elle dans M. Massenet, le musicien par excellence de la tendresse et de la gr�ce? Voil� la question que se posait le public anxieux de l'oeuvre d'un ma�tre dont l'autorit� est si grande et si m�rit�e. Il m'a sembl� qu'� certains moments, ce public regrettait son compositeur favori entra�n� trop avant dans le drame. Cette sc�ne du mage sur la montagne sacr�e, ce Mo�se face � face avec le Seigneur sur le mont Sina�, au milieu du tonnerre et de la foudre, et rapportant les tables de la loi � son peuple en pri�res, entra�nait le musicien � des hauteurs de l'art qui ont �t� entrevues, mais qui n'ont peut-�tre pas �t� atteintes. Cette passion furieuse de Varedha, la pr�tresse de la Djaki tout enti�re � sa proie attach�e, ce fanatisme du grand-pr�tre Amrou, f�roce dans ses volont�s, imposait � l'art ses exigences. M. Massenet n'a pas de ces intransigeances. Il a trait� un peu � l'amiable avec ces grandes col�res; au fond la salle, qui le sentait, ne lui en voulait qu'� moiti� de ne pas aller jusqu'au bout dans les violences du drame; il lui suffisait de retrouver le jeune ma�tre dans les qualit�s sup�rieures de son g�nie, dans l'�l�gance, dans la tendresse et dans la passion amoureuse. Elle �tait sous la s�duction de cette inspiration p�n�trante et de cette habilet� de l'artiste, dont la conscience et le soin font de chacune des pages de sa partition, soit dans les parties vocales, soit dans les parties de l'orchestre, des pages magistrales. Rien, dans une oeuvre de M. Massenet, ne passe indiff�rent. Aussi _Le Mage_ a-t-il �t� �cout� d'un bout � l'autre religieusement, car le talent s'imposait partout, du premier au dernier de ces cinq actes. Le premier a �t� accueilli avec enthousiasme. Il est complet avec son chant des prisonniers Touraniens et avec le choeur qui l'accompagne de ses lamentations; avec le duo qui le suit entre Varedha et Zarastra, et surtout avec le duo entre Zarastra et Anahita qui, vaincue par l'amour, entend les plaintes de son peuple conduit en exil. L'acte suivant a des pages exquises dans les accents d�sesp�r�s de Varedha. La phrase de Zarastra soulevant les voiles de la captive est ravissante; c'est une des plus heureuses inspirations du ma�tre dans son oeuvre si multiple. Si l'acte sur le mont sacr� manque de puissance, il est trait� dans un go�t parfait orchestral. La salle a salu� un solo de cor de ses applaudissements. La pri�re de Varedha: �Sous tes coups tu peux briser� est d'un effet dramatique irr�sistible. Le chant d'Amrou au quatri�me acte: �Fais fleurir, � sainte ivresse� a fait merveille; mais le triomphe de la soir�e �tait r�serv� aux strophes d'Anahita: �Vers la steppe aux fleurs d'or� qui rappelle la m�lodie des prisonniers Touraniens du premier acte, m�lodie exquise que le public a voulu entendre une seconde fois et que Mme Lureau-Escala�s chante avec un sentiment po�tique adorable. Le succ�s du _Mage_ �tait assur� d�s ce moment et le cinqui�me acte tout entier avec la sc�ne de Zarastra et le duo entre le mage et Anahita: �Ah! parle encor, encor!� n'a fait que le confirmer. Le ma�tre de _Manon_, du _Roi de Lahore_, d'_Esclarmonde_ et du _Cid_ sortait triomphant encore de cette nouvelle �preuve. Je ne sais ce que les �v�nements prochains d�cideront de la direction actuelle de l'Op�ra, peut-�tre MM. Ritt et Gailhard ne seront-ils plus alors � la t�te de l'Acad�mie de musique, mais nous leur devons au moins cette justice de dire que, depuis plus de vingt ans, depuis les jours de l'_Africaine_ et de _Hamlet_ nous n'avions vu une pareille interpr�tation et si digne de ce grand et noble th��tre. Ce sont: MM. Vergnet, Delmas; ce sont Mmes Fierens et Lureau-Escala�s qui chantent le _Mage_ avec une virtuosit� et un ensemble incomparables. Les masses chorales sont superbes; les costumes de toute richesse et de toute beaut�. Les d�cors surpassent tout ce qui nous a �t� donn� de voir jusqu'ici. Les masses orchestrales ont toujours leur ex�cution magistrale et l'Op�ra n'a rien perdu de sa splendeur, je parle de celle de ses plus belles �poques. Savigny. LES LIVRES NOUVEAUX L'_Argent_, par Emile Zola. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Biblioth�que Charpentier).--Le nouveau roman de M. Zola se rattache � la s�rie des Rougon-Macquart: c'en est le dix-huiti�me, pas un de moins, et ce n'en est pas le dernier. Il s'y rattache, entendons nous; comme il est arriv� d�j� pour le _R�ve_, par un fil blanc, qu'on aper�oit de loin dans la couture de l'habit. Mais M. Zola n'y va pas par quatre chemins. Saccard, le h�ros du livre, est le fr�re m�me du grand ministre de l'empire, de Rougon, dont il a quitt� le nom pour prendre une importance personnelle de grand premier r�le. Il est donc bien de la famille, de cette famille dont M. Zola �crit avec tant de z�le et tant de suite l'histoire naturelle et sociale, de cette famille qui a v�cu, qui n'a pu vivre que sous le second empire. Car on sait que les personnages de M. Zola sont d'une telle v�rit� que lorsqu'il les a baptis�s d'un nom, il n'est pas possible de leur en donner un autre, et que si quelqu'un de vraiment en chair et en os objecte qu'on lui a pris le sien, eh bien, c'est � celui-ci d'en changer, les autres ne pourraient pas. Cela laisse � penser quelle exactitude doit r�gner dans les faits. C'est du document au premier chef et certes on ne pourrait supposer que M. Zola fit passer sous l'empire des �v�nements qui n'ont pu se produire que quinze ans plus tard: c'est pourtant l� ce qu'il a fait, si l'on sait lire _Union g�n�rale_ o� il a mis _Banque universelle_: car c'est tout un. �videmment la passion qui pousse le financier de 1867 est la m�me qui animera plus tard celui de 1882. Cela pourrait peut-�tre suffire � un romancier psychologue; mais, quand l'�crivain se pique de faire l'histoire naturelle et sociale d'une �poque, n'est-on pas autoris� � lui demander de ne pas faire celle d'un autre? Donc Saccard, ruin� vers la fin de l'empire, est � la recherche d'une id�e qui lui permette d'�difier une nouvelle fortune. Cette id�e lui est fournie par un honn�te ing�nieur qui a imagin� de refaire le royaume de Palestine et d'installer le pape � J�rusalem, tout simplement. Elle est peut-�tre un peu forte, mais, apr�s tout, dans le monde des affaires on en a vu bien d'autres, et celle-ci a l'avantage de s'adresser � des gens particuli�rement na�fs, qui ne manquent pas de s'en �prendre et qui se font un devoir pieux de verser leurs capitaux dans la caisse de l'_Universelle_. Mais le banquier qui, une premi�re fois, a d�j� ruin� Saccard, ne l�che point sa victime. Il laisse grandir et se d�velopper l'affaire, tout en la minant sourdement, avec une certitude d'arriver � ses fins que l'�v�nement confirme. Et la chute est d'autant plus profonde, l'effondrement d'autant plus complet. Tout le drame est l�, tout le roman. Mais, malgr� la force des peintures, est-ce assez pour l'int�r�t du lecteur? Il est certain que lorsqu'on a commenc� ce livre, c'est comme un engrenage et que le monstre vous prend tout entier. Mais, est-il un seul de ses nombreux personnages auquel on puisse s'int�resser? Tout ce monde d'affaires est vraiment triste � voir et il est permis de supposer que c'est un de ceux auxquels M. Zola fait le moins de tort en le d�crivant. Si l'auteur de la _Terre_ a calomni� le paysan, l'auteur de l'_Argent_ a �videmment moins charg� le financier. Nous ne dirons rien du r�le de la femme dans cette derni�re oeuvre, sinon qu'il est, � son ordinaire chez M. Zola, assez r�pugnant. Quant � la valeur, nous avouons ne pas la saisir tout enti�re. On parlera une fois de plus de la puissance du talent de l'auteur. Cette puissance est �vidente: elle fait penser au marteau-pilon du Creusot; quant � �veiller l'id�e d'un ma�tre peintre de l'�me humaine, c'est autre chose. L. P. [Illustration: NOS GRAVURES] LA B�N�DICTION DES RAMEAUX Y a-t-il rien de plus charmant dans la liturgie catholique, rien de plus adorable que cette f�te de P�ques-Fleuries, o� tout rena�t pour nous charmer! A Paris, autant qu'en province, la coutume est tr�s suivie par les chr�tiens m�me incroyants d'acheter du buis b�ni. Le saint rameau se trouve dans toute les familles. Il nous a paru curieux de montrer la touchante c�r�monie qui pr�lude aux pri�res de la matin�e, et pour cela la ravissante �glise de Saint-Germain-l'Auxerrois nous a fourni le plus charmant des cadres. C'est � peine si l'aube pointe et d�j�, devant les grilles de la vieille �glise, se d�m�ne tout un petit monde de vieillards, de femmes et d'enfants. Parmi les voussures ouvrag�es, o� depuis des temps s�culaires ils ont fait leur nid, les pierrots tendent leur t�te curieuse. Ravis de voir l'ample moisson de feuillage, dont rapidement le sol se couvre, ils piaillent gaiement en se lissant de leur bec. Une odeur d�licieuse d'herbe et de terre mouill�es monte vers eux. Sous le ciel blanchissant et d�j� plus l�ger toute la fra�cheur et toute la joie du printemps chantent l�. Le moment solennel de la b�n�diction du buis est proche. Faibles d'abord, venant du fond de la nef de pierre, puis plus vibrants, les sons d'une clochette d'enfant de choeur se sont fait entendre. Sans bruit, la porte du clo�tre a roul� sur ses gonds: elle livre passage au suisse de corpulente stature, dont la haute canne scande la marche. Derri�re lui, entre les fines colonnettes du seuil, le pr�tre est apparu. Il n'a pas rev�tu encore tous les insignes dont il se couvrira bient�t pour la messe de six heures. En aube simplement et l'�tole retombant � droite et � gauche sur la poitrine, il tient d'une main sa barrette et de l'autre un livre de pri�re. Entre sainte Clotilde et sainte Radegonde, reines de France, dont la na�ve effigie semble sourire, il passe et descend les marches du parvis pour ne s'arr�ter qu'� la grille. Devant lui, sur le sol, la foule des marchands s'est prostern�e. Un couple matinal, en fra�che toilette, d�j� s'approche avec respect. Tout le monde a fait silence. Ce petit marchand de rameaux qui, il n'y a qu'une seconde, caquetait de concert avec les moineaux, s'est lui-m�me tu. Alors, l'officiant prend un goupillon des mains du servant qui l'accompagne et lentement, avec toute l'onction sacerdotale, son bras s'�l�ve pour asperger d'eau lustrale les branches entass�es � ses pieds. De ses l�vres s'�chappent, press�es, les paroles consacr�es. Le buis des rameaux est b�ni. Il fait grand jour maintenant. Une admirable matin�e se pr�pare. Au fronton du Louvre s'allume de roses clart�s; sur la place, les vieillards, les enfants et les femmes vont et viennent. --Achetez-moi, disent-ils, un joli rameau de buis. P. A. DE PARIS A MOSCOU SUR DES �CHASSES Une �trange fantaisie, assez inattendue dans un si�cle qui se pique de marcher � toute vapeur, pousse certains de nos contemporains � employer, pour leurs d�placements, les moyens de locomotion les plus bizarres, sinon les plus rapides. Il y a un an, un tailleur autrichien assoiff� de r�clame nous arrivait enferm� dans une cage en bois, et deux amoureux espagnols, d�sireux de trouver � Paris un refuge contre la tyrannie paternelle, s'y faisaient transporter par le chemin de fer, cach�s ensemble dans une �norme caisse, sous les �tiquettes _fragile_ et _c�t� � ouvrir_. De Vienne deux originaux venaient visiter en brouette l'Exposition de 1889, et la Russie nous envoyait, tour � tour, un officier � cheval, un autre � pied, et un jeune touriste en v�locip�de; avant-hier enfin une tro�ka attel�e de trois chevaux amenait de Saint-P�tersbourg un voyageur pas trop press�. Sylvain Dornon, un ancien berger, actuellement boulanger � Arcachon, a voulu se placer � un point de vue plus �lev�, et rendre � la Russie une visite de politesse. Il est, en effet, parti jeudi 12 courant � neuf heures et demie du matin de la place de la Concorde, mont� sur des �chasses landaises de 1 m�tre 20 de hauteur, et s'est engag� � arriver en 42 jours � Moscou pour assister � l'inauguration de l'Exposition fran�aise, parcourant ainsi quelque 60 kilom�tres par jour. Deux mille personnes environ assistaient � son d�part. A l'entr�e de la rue Royale o� notre gravure le repr�sente, les gardiens de la paix avaient �t� forc�s de lui frayer un passage parmi la foule des pi�tons � laquelle se m�laient des bicyclettes, des tricycles, et bon nombre de gamins qui, mont�s sur des petites �chasses, l'accompagnaient au cri de: �A Moscou! � Moscou!� sur l'air des lampions. Surtout le parcours, le long des boulevards, devant le Figaro, rue Lafayette, les passants �taient fort intrigu�s en voyant �merger au-dessus d'eux, de toute une hauteur d'homme, la figure fantastique de l'�chassier, qui se baissait complaisamment, distribuant des poign�es de main � droite et � gauche. Servi par la vitesse de son �norme compas, Dornon est sorti bien vite par la porte de Pantin, et il a couch� le soir m�me � la Fert�-Milon. Son itin�raire est Reims. Sedan. Luxembourg. Coblentz, Berlin, Wilna. On a d�j� revu de ses nouvelles de Sedan. A Moscou l'attend une �norme paire d'�chasses sur lesquelles il compte faire une entr�e triomphale. A. �LE MAGE� On sait avec quel soin la direction de l'Op�ra a mont� l'oeuvre de MM. Richepin et Massenet, le _Mage_. Les d�corateurs, au reste, avaient de quoi donner carri�re � leur imagination: cette reconstitution d'une �poque ancienne, pr�historique, ne pouvait que les s�duire. Entre les nombreux et int�ressants tableaux que comporte le _Mage_, nous choisissons, tout d'abord, le premier, qui est repr�sent� par la plus petite de nos gravures. Nous sommes dans le camp de Zarastra. La tente du guerrier s'�l�ve � droite: � gauche, un c�dre aux larges ramures se dresse: le fond nous ouvre une perspective souriante sur la ville de Bakdi et ses pittoresques monuments... C'est l� que Zarastra, vainqueur des Touraniens r�volt�s, apr�s avoir repouss� l'amour de Varehda, la belle pr�tresse de Djaki, d�esse des volupt�s, d�clare son amour � sa royale prisonni�re, la belle Anahita, souveraine des Touraniens. Anahita se laisse aller aux bras de Zarastra: dans la nuit, on entend la chanson plaintive des prisonniers, et la reine s'�crie: H�las! ils s'en vont et je reste ici: Mon peuple est captif et mon coeur aussi. Notre grande gravure nous transporte dans la salle du sanctuaire, dans le temple de la Djaki. Un large d�me est soutenu par d'immenses pilastres incrust�s de pierreries �clatantes... Au fond, s'�l�ve l'autel et la statue aux proportions colossales de la d�esse de la Volupt�... On c�l�bre les myst�res de la d�esse. Les pr�tresses en tunique de gaze travers�es de guirlandes de fleurs, les tourneuses aux torses nus avec jupes transparentes et des coiffures de perles bleu-paon, accomplissent, les danses du rite... Ces myst�res pr�c�dent le mariage de la reine Anahita avec le loi de l'Iran. Anahita a cru, en effet, le mensonge invent� contre Zarastra par la pr�tresse Varedha: son coeur est chagrin, elle pense bien � l'absent, mais, r�sign�e ou non, elle va c�der � la loi qui lui est impos�e et devenir la femme du roi de l'Iran... Mais voici qu'une rumeur, d'abord sourde, se fait entendre. Les cris se rapprochent, des sonneries de trompette �clatent. Ce sont les Touraniens. Ils envahissent le temple, la torche et le fer � la main... Notre gravure repr�sente le moment pr�cis o� les Touraniens, d�livrant leur reine, lui tendent une �p�e, qu'elle brandit en signe �le joie et de triomphe, et o� ils se pr�cipitent, pour les tuer, sur les deux imposteurs: Varedha, la pr�tresse, et son p�re Amrou, le grand-pr�tre de Djaki. Outre ces deux gravures, nous publions une page de la belle partition de M. Massenet, que nous devons � l'obligeance de ses �diteurs, MM. Hartmann et. Cie 20, rue Daunou.. C'est la large et puissante invocation religieuse de Zarastra, que chante au troisi�me acte M. Vergnet. Ad. Ad. TH�ODORE DE BANVILLE C'�tait une physionomie attachante et curieuse que celle du ma�tre et du po�te Th�odore de Banville. Il avait l'aspect doux, placide, inoffensif, d'un bon bourgeois de Paris, et son bon regard apaise ne trahissait plus les col�res truculentes du �romantique� ardent, novateur, r�volutionnaire, qui avait suivi vers la vingti�me ann�e la banni�re de Victor Hugo. Il �tait n� en 1823; il avait lu dans son adolescence les premiers chefs-d'oeuvres des nouveaux po�tes, il en avait savour� le suc, et, comme la muse l'avait dou�, lui aussi, ce n'est pas une simple adh�sion qu'il apporta � la nouvelle pl�iade; ce furent des oeuvres: les _Stalactites_ d'abord, puis les _Cariatides_, recueils de po�sies charmantes o� les rythmes retrouv�s ou invent�s �taient comme parfum�s d'un ar�me attique. D�s lors, il �tait enr�l� et proclam� po�te romantique: l'inspiration divine lui donnait ses lettres de grande naturalisation. Attir� vers le th��tre, il chercha la langue comico-lyrique et la trouva. Ses premi�res com�dies: le Feuilleton d'Aristophane (1852), le Beau L�andre (1856), comme plus tard _Diane au bois_ (1861), et r�cemment encore _Socrate et sa femme_, le _Baiser_, r�v�laient une virtuosit� surprenante, et les ressources les plus rares du verbe et de la forme. Un volume de po�sies, les Odes funambulesques (1857) avait, du reste, consacr� et popularis� sa r�putation de ma�tre-ouvrier de la langue po�tique: depuis, trente ann�es de production incessantes, un nombre prodigieux de rimes--r�pandues dans les journaux, dans les recueils p�riodiques, ou ench�ss�es et serr�es sous la brochure d'un volume--ont montr� quelle r�serve et quelle veine intarissable nourrissaient la production incessante de cet �crivain. La prose ne lui paraissait pas indigne de sa plume, et tel de ses contes, telle page de ses romans, peuvent passer pour de purs chefs-d'oeuvre. N'oublions pas que Th�odore de Banville, �crivain, ne d�daigna pas d'�tre journaliste: il a collabor� � un grand nombre de revues, �crit le feuilleton dramatique de trois ou quatre feuilles quotidiennes; dans ces derni�res ann�es, il donnait r�guli�rement des nouvelles � des journaux litt�raires. Il �tait bienveillant et indulgent, sans pr�tention ni morgue hautaine; les �jeunes� �taient toujours bien accueillis aupr�s de lui pourvu qu'ils eussent foi dans les deux symboles pour lesquels il avait v�cu: l'art et la po�sie. LE G�N�RAL CAMPENON Le g�n�ral Campenon �tait, dans toute l'acception du terme, un soldat. Au parlement dont il suivit les d�bats sur les choses militaires comme ministre de la guerre d'abord, et ensuite comme s�nateur inamovible, il apportait cette rondeur famili�re et un peu �pre, cet air martial, cette brusquerie d'allures, que donne l'habitude du commandement. Il �tait n� � Tonnerre en mai 1819; il entra � Saint-Cyr; il �tait capitaine au moment de la r�volution de f�vrier 1818. Le capitaine Campenon �tait imbu d'id�es lib�rales et d�mocratiques: le nouveau r�gime �tait fait pour lui convenir: il ne s'en cacha point. C'est ainsi qu'il se trouva d�sign� pour encourir la s�v�rit� du gouvernement, que le coup d'�tat �tablit en 1851. Arr�t� avec Charras et avec d'autres officiers suspects de r�publicanisme, Campenon fut d�port�. Nous le retrouvons peu apr�s, contraint par la proscription d'entrer au service du bey de Tunis, dont il organisa les troupes jusqu'� l'heure o� vint l'autorisation de rentrer en France et de reprendre son rang dans l'arm�e nationale. C'�tait l'heure de la campagne d'Italie: brave au feu, comme il �tait loyal citoyen, le capitaine Campenon conquit les �paulettes de chef d'escadron d'�tat-major. Ce n'est qu'au d�but de la guerre de 1870 que le lieutenant-colonel Campenon fut promu colonel. A la bataille de Rezonville o� notre cavalerie sut, dans un effort h�ro�que, d�monter l'artillerie ennemie et chasser du terrain la cavalerie allemande, le colonel Campenon, cribl� de blessures, fut laiss� pour mort sur le champ de bataille. A la paix, Campenon re�ut enfin les �toiles de g�n�ral: il commandait la cinqui�me division d'infanterie � Paris quand Gambetta lui offrit le minist�re de la guerre. C'est lui--il ne faut pas l'oublier--c'est ce r�publicain de la veille qui eut le courage, sur l'inspiration de Gambetta, de passer outre aux pol�miques des partis pour songer seulement aux v�ritables int�r�ts de l'arm�e en prenant le g�n�ral de Miribel comme chef d'�tat-major. Apr�s la chute de Gambetta, le g�n�ral Campenon a �t� � deux reprises encore ministre de la guerre: dans le cabinet Jules Ferry en 1883: puis dans le cabinet Brisson. Il a pu ainsi donner tous ses soins aux oeuvres de reconstitution militaire entreprises depuis l'av�nement de la R�publique. LA VIERGE NOIRE DE MONTSERRAT On a tout dit sur la semaine sainte en Espagne. On a d�crit cent fois les processions moyen-�ge de S�ville, les tableaux vivants de la Passion de Tol�de, les myst�res en plein vent de Murcie. Cette ann�e, c'est dans un lieu bien plus �trange, bien plus pittoresque encore que nous allons chercher de nouvelles impressions: c'est au couvent de la Vierge-Noire du Montserrat, au coeur m�me des montagnes abruptes de la vieille Catalogne, � mille m�tres d'�l�vation. C'est sur la ligne de chemin de fer de Barcelone � Saragosse, � distance � peu pr�s �gale de Barcelone et de Manresa, qu'il nous faut tout d'abord descendre. A pr�sent commence la mont�e: oh! cette mont�e en patache antique, tra�n�e par quatre mules auxquelles le conducteur pousse son �ternel: �harri!� Mais tout le monde n'a pu prendre place dans la patache. Alors ce sont, par les chemins, de longs d�fil�s de formes humaines, sonores � mantilles noires �grenant leurs rosaires, vieux paysans catalans coiff�s du bonnet phrygien en laine rouge, Aragonais coiff�s de leurs foulards, tous la mante jet�e sur l'�paule et un long b�ton � la main. A mesure que nous montons, voici toute la Catalogne qui se d�roule devant nous, les Pyr�n�es, le Canigout, et, au-del�, une partie de la France, du c�t� de Perpignan. De cet autre c�t�, la M�diterran�e � perte de vue, les Bal�ares et Saragosse, une partie de la province de Valence. De cet autre encore, l'Aragon. Le panorama est admirable, sans pareil. Et, sur le ciel d'un bleu fonc�, se d�tache la blancheur des Pyr�n�es, dont les pics couverts de neige �tincellent brillants au soleil. Cependant nous voici parvenu au couvent, dont les b�timents sont situ�s au pied d'un bloc �norme de granit, dans une position analogue � celle du couvent de la Grande-Chartreuse. Voici l'entr�e du monast�re, qui ressemble plut�t � l'entr�e d'une caverne. La foule s'accro�t toujours, et il y a autant de mendiants que de fid�les, ce qui n'est pas peu dire. La seule auberge est prise d'assaut. Les moines, fort obligeants, donnent des chambres aux visiteurs. Ils nous font tout voir, le r�fectoire en forme de rotonde, le jardin potager fort beau, le clo�tre d'un grand effet artistique, l'�glise enfin o� tous les fid�les p�le-m�le sont entass�s � genoux sur les dalles. La Vierge noire, splendidement v�tue d'or et de satin, nous regarde avec ses grands yeux sans vie, tandis qu'autour d'elle les cierges br�lent par centaines. Port�e par quatre enfants de choeur, suivie de pr�tres officiant dans leurs costumes des grandes solennit�s, elle fait le tour de la chapelle d'abord, du monast�re ensuite, au milieu de la foule des p�lerins et des moines qui font la haie sur son passage. Il faudrait des journ�es enti�res pour visiter en d�tail le Montserrat et ses treize ermitages qui ont abrit� 392 c�nobites. Mais nous rapportons de notre excursion une impression profonde. Les c�r�monies � coup s�r y ont moins de mise en sc�ne qu'� S�ville, mais la foi y est plus sinc�re, et le d�cor merveilleux. H. L. [Illustration.] ANIE Roman nouveau, par HECTOR MALOT Illustrations d'�MILE BAYARD Suite.--Voir nos num�ros depuis le 21 f�vrier 1891. Barincq continua: --Alors cette hypoth�se de la suppression du testament est peu vraisemblable? --Sans doute; mais cela ne veut pas dire qu'il faille l'�carter radicalement. Je t'ai expliqu� que Gaston avait toujours eu des doutes sur sa paternit�, ce qui fait que, dans ses rapports avec l'entant de L�ontine Dufourcq, il a vari� entre l'affection et la r�pulsion; en certains moments plein de tendresse pour son fils, dans d'autres ne regardant qu'avec horreur ce fils d'Arthur Burn. Qui sait si, le jour o� il m'a redemand� le testament, il n'�tait pas dans un de ces moments d'horreur? Une disposition morale peut aussi bien avoir provoqu� cette horreur qu'une d�couverte d�cisive par t�moignage, lettre ou toute autre information � laquelle il aurait pu ajouter foi. --Mais ses relations avec le capitaine ne permettent pas cette supposition, me semble-t-il? --Le capitaine n'est pas venu au ch�teau depuis que Gaston m'a redemand� son testament; et, ce jour-l�, pendant les quelques minutes que ton fr�re est rest� dans ce cabinet d'o� il semblait press� de sortir, je l'ai trouv� tr�s troubl�: tu vois donc qu'il faut admettre cette supposition, si peu s�rieuse qu'elle puisse para�tre; comme il faut admettre tout; m�me que le capitaine va nous arriver avec un bon testament en poche. --J'admets cela tr�s bien. --En tout cas, nous serons bient�t fix�s. Pour plus de s�ret�, j'ai fait, � ta requ�te, apposer les scell�s; nous les l�verons dans trois jours, et alors nous trouverons le testament, s'il y en a un. En attendant, en ta qualit� de plus proche parent, tu vas �tre le ma�tre dans le ch�teau. C'est en ton nom que j'ai tout ordonn�, depuis le service � l'�glise jusqu'au d�jeuner command� pour recevoir convenablement ceux des invit�s qui, venant de loin, n'auraient rien trouv� � Ourteau, particuli�rement vos parents d'Orthez, de Maul�on et de Saint-Palais qui, certainement, vont arriver d'un moment � l'autre. --Laisse-moi te remercier encore une fois; tu as agi dans ces tristes circonstances comme un parent. --Simplement comme un notaire. --Il n'y en a plus de ces notaires. --Aux environs de Paris on dit cela, peut-�tre, mais je t'assure que chez nous il s'en trouve qui sont les amis de leurs clients. Puisque ce mot est dit, veux-tu me permettre d'en ajouter un autre? Il parut embarrass�. --Parle donc. --Le voil�, dit-il en ouvrant un des tiroirs de son bureau, c'est que si pour tenir ton rang tu avais besoin d'une certaine somme, je suis � ta disposition. --Je te remercie, --Ne te g�ne pas; cela peut �tre facilement imput� au compte de la succession. --Je suis touch� de ta proposition, mon cher R�b�nacq, mais j'esp�re n'avoir pas � te mettre � contribution. --En tout cas, tu ne refuseras pas de prendre une tasse de caf� au lait avec moi; apr�s une nuit pass�e en chemin de fer, tu es venu � pied de Puyoo, pense que la c�r�monie se prolongera tard. La tasse de caf� accept�e, le notaire voulut que le petit clerc port�t la valise de son ancien camarade. --Si je ne t'accompagne pas, dit-il, c'est que je pense que je serais importun; l'exp�rience m'a appris malheureusement qu'� vouloir distraire notre chagrin, le plus souvent on l'exasp�re. A bient�t. XI Un peu apr�s dix heures on vint pr�venir Barincq que les invit�s commen�aient � arriver, et il dut descendre au rez-de-chauss�e. Il avait eu le temps de s'habiller, et, quand il entra dans le grand salon, ce n'�tait plus le pauvre dessinateur de l'_Office cosmopolitain_ ploy� et d�prim� par vingt ann�es d'un dur travail; sa taille s'�tait redress�e, sa t�te lev�e, et, si son visage portait dans l'obliquit� des sourcils et l'abaissement des coins de la bouche l'empreinte d'une douleur sinc�re, cette douleur m�me l'avait ennobli: plus de soucis imm�diats, plus d'inqui�tudes aga�antes, mais des pr�occupations plus hautes, plus dignes. C'�tait des parents qui l'attendaient, des cousins du pays basque et du B�arn, les uns de Maul�on et de Saint-Palais portant le nom de Barincq; les autres les P�debidou d'Orthez. Autrefois ses camarades d'enfance, ses amis de jeunesse, ils ne l'avaient pas vu depuis vingt-cinq ou trente ans; mais ils connaissaient l'histoire de sa vie et de ses luttes; aussi, quand ils avaient appris par les domestiques sa pr�sence au ch�teau, n'avaient-ils pas �t� sans �prouver une certaine inqui�tude aussi bien dans leur fiert� de personnages consid�r�s que dans leur prudence provinciale de gens int�ress�s, ce qu'ils �taient tous les uns et les autres. --Avait-il seulement des souliers aux pieds, le pauvre diable? --Et, d'autre part, � quelles demandes d'argent n'allaient-ils pas �tre expos�s? Les plaintes si souvent r�p�t�es de Gaston pendant ces vingt derni�res ann�es n'�taient pas oubli�es; et, en se rappelant comme il avait �t� exploit� par son fr�re, on s'�tait invit�, r�ciproquement, � se tenir sur la r�serve et la d�fensive; cousin, on l'�tait, sans doute; mais c'est une parent� assez �loign�e pour qu'elle ne cr�e, Dieu merci, ni devoirs ni liens. Il y eut de la surprise quand on le vit entrer dans le salon les pieds chauss�s comme tout le monde et non des bottes �cul�es de Robert Macaire. A la v�rit� les volets ne laissaient p�n�trer qu'une clart� douteuse, mais celle qui tombait des impostes suffisait cependant pour montrer que son habit n'�tait pas honteux, et qu'il portait des gants avouables. Alors un changement de sentiments se produisit instantan�ment; sans qu'on se f�t entendu, m�me consult� du regard, on fit quelques pas au-devant de lui; et toutes les mains se tendirent pour serrer les siennes. --Comment vas-tu? --Et ta femme? --N'as-tu pas une fille? --Elle s'appelle Anie. --Alors tu as gard� les traditions de la famille. --Et le souvenir du pays. De nouveau, les mains s'�treignirent. Le revirement fut si complet, qu'apr�s avoir exprim� des regrets pour la brouille survenue entre les deux fr�res, on en vint � bl�mer Gaston qui avait persist� dans sa rancune. --C'�tait l� une des faiblesses de son caract�re, dit l'un des Barincq de Maul�on. --Les relations de famille doivent reposer sur l'indulgence, dit un autre. --Cette indulgence doit �tre r�ciproque, appuya l'a�n� des P�debidou. Ce n'est pas seulement sur l'indulgence que ces relations doivent reposer, c'est aussi sur la solidarit�. En vertu de ce principe, deux des cousins, ceux � qui leur �ge et leur position donnaient l'autorit� la plus haute, l'attir�rent dans un coin du salon. --Tu sais les relations qui existaient entre ton fr�re et un certain capitaine de dragons? --J'ai vu R�b�nacq. Tous deux, en m�me temps, lui prirent les mains, l'un la gauche, l'autre la droite, et les serr�rent fortement. --Qu'on �tablisse ses b�tards, dit l'un, rien de plus juste; je bl�me les p�res qui, dans notre position, laissent leurs enfants naturels devenir, les fils des vagabonds, les filles des gueuses, mais qu'on fasse cet �tablissement au d�triment de la famille l�gitime, c'est ce que je n'admets pas. --C'est ce que nous bl�mons, dit l'autre. --Crois bien que nous sommes avec toi, et que nous te plaignons. --Sois certain aussi que tu peux compter sur nous, pour montrer � cet intrigant le m�pris que nous inspire ses manoeuvres. De nouveaux arrivants interrompirent cet entretien intime, il fallut revenir � la chemin�e, et les recevoir, leur tendre la main, trouver un mot � leur dire. C'�tait la troisi�me fois qu'� cette place il assistait � ce d�fil� de parents, d'amis, de voisins ou d'indiff�rents, qui constitue le personnel d'un bel enterrement: la premi�re pour sa m�re quand il �tait encore enfant; la seconde pour son p�re, � la gauche de son fr�re, et maintenant tout seul, pour celui-ci: m�me obscurit�, m�me murmure de voix �touff�es, m�me tristesse des choses dans ce salon, o� rien n'avait chang�, et o� les vieux portraits sombres qui faisaient des taches noires sur les verdures p�lies, et qu'il avait toujours vus, semblaient le regarder comme pour l'interroger. Parmi ceux qui passaient et lui tendaient la main, il y en avait peu dont il retrouv�t le nom: il est vrai que, pour la plupart, ces physionomies �voquaient des souvenirs; mais lesquels? c'�tait ce que sa m�moire h�sitante et troubl�e ne lui disait pas assez vite. Il lui sembla qu'un mouvement se produisait dans les groupes form�s �a et l�, et que les t�tes se tournaient de ce c�t�; instinctivement il suivit ces regards, et vit entrer un officier. --C'est le capitaine, dit un des cousins. Apr�s un regard circulaire jet� rapidement dans le salon pour se reconna�tre, le capitaine s'avan�a vers la chemin�e; en grande tenue, le sabre au crochet, le casque dans le bras gauche, il marchait sans para�tre faire attention aux yeux ramass�s sur lui. --Tu vois, aucune ressemblance, dit � voix basse le m�me cousin qui l'avait annonc�. Mais cette non-ressemblance ne lui parut pas du tout frappante comme le pr�tendait le cousin; au reste, il n'eut pas le temps de l'examiner: arriv� devant eux, le capitaine s'inclinait, et il allait se retirer sans qu'aucun des parents eut r�pondu � son salut autrement que par un court signe de t�te, quand, dans un mouvement de protestation en quelque sorte involontaire, Barincq avan�a la main; le capitaine alors avan�a la sienne, et ils �chang�rent une l�g�re �treinte. --Tu lui as donn� la main, dit un des Barincq quand le capitaine se fut �loign�. --Comme � tous les invit�s. --Tu n'as donc pas vu ses pattes d'argent? --Quelles pattes? --Sur son dolman; ses �paulettes, si tu aimes mieux. --Eh bien, qu'importent ces pattes! Ce cousin, qui avait quitt� l'arm�e pour se marier, et qui �tait au courant des usages militaires, haussa les �paules: --On ne porte pas la grande tenue � l'enterrement d'un ami, dit-il, mais simplement le k�pi et les pattes noires. S'il l'a rev�tue aujourd'hui, c'est pour afficher ses droits et crier sur les toits qu'il se pr�tend le fils de Gaston. Bien que ces observations se fussent �chang�es � voix basse, elles n'avaient pas pu passer inaper�ues, et, tandis que les uns se demandaient ce qu'elles pouvaient signifier, les autres examinaient le capitaine avec curiosit�; on avait vu l'accueil plus que froid des cousins, la poign�e de main du fr�re, et l'on �tait d�rout�. L'entr�e du notaire R�b�nacq amena une diversion. Puis de nouveaux arrivants se pr�sent�rent, et ce fut bient�t une procession. Alors, le salon s'emplissant, ceux qui �taient entr�s les premiers c�d�rent la place aux derniers, et l'on se r�pandit dans le jardin o� l'on trouvait plus de libert�, d'ailleurs, pour causer et discuter. --Vous avez vu que M. Barincq a tendu la main au capitaine Sixte? --Pouvait-il ne pas la lui donner? --Dame! �a d�pend du point de vue auquel on se place. --Justement. Si le capitaine est le fils de M. de Saint-Christeau, il est, quoi qu'on veuille, le neveu de M. Barincq, et, d�s lors, c'est bien le moins que celui-ci tende la main au fils de son fr�re; s'il ne l'est pas, et ne vient � cet enterrement que pour s'acquitter de ses devoirs envers un homme qui fut son protecteur, il me para�t encore plus difficile que la famille de celui � qui onrend un hommage lui refuse la main. --M�me s'il s'est fait l�guer une fortune dont il frustre la famille? --Alors je trouverais que M. Barincq n'en a �t� que plus cr�ne. --Ses cousins l'ont bl�m�. --A cause de la patte blanche. Et ceux qui connaissaient le c�r�monial militaire eurent le plaisir d'en enseigner les lois � ceux qui les ignoraient; cela fournit un sujet de conversation jusqu'au moment o� le clerg� arriva pour la lev�e du corps. --Quelle place allait occuper le capitaine dans le convoi? Ce fut la question que les curieux se pos�rent; si la tenue du capitaine �tait une affirmation, cette place pouvait en �tre une autre. Tandis que la famille prenait la t�te, le capitaine se m�la � la foule, au hasard, et ce fut dans la foule aussi qu'il se pla�a � l'�glise, sans que rien dans son attitude montr�t qu'il attachait de l'importance � un rang plut�t qu'� un autre: les parents occupaient dans le choeur le banc drap� de noir qui, depuis de longues ann�es, appartenait aux Saint-Christeau, lui restait dans la nef confondu avec les autres assistants. Mais, comme il �tait au bout d'une trav�e et faisait face � ce banc, d'autre part comme son uniforme tranchant sur les v�tements noirs tirait les regards, chaque fois que Barincq levait les yeux, il le trouvait devant lui, et alors il ne pouvait pas ne pas l'examiner pendant quelques secondes, sa pens�e �tait obs�d�e par le mot de son cousin: �aucune ressemblance�. Si le capitaine �tait moins grand que Gaston, comme lui il �tait de taille bien prise, bien d�coupl�e, �l�gante, souple; et comme lui aussi il avait la t�te fine, r�guli�re, avec le nez fin et droit; enfin comme lui aussi il avait les cheveux noirs; mais, tandis que la barbe de Gaston �tait noire et son teint bistr�, la barbe du capitaine �tait blonde et son teint ros�; c'�tait cela surtout qui formait entre eux la diff�rence la plus frappante, mais cette diff�rence ne paraissait pas assez forte pour qu'on put affirmer qu'il n'existait entre eux aucune ressemblance; assur�ment il n'�tait pas assez pr�s de Gaston pour qu'on s'�cri�t: �C'est son fils!� mais d'un autre c�t� il n'en �tait pas assez loin non plus pour qu'on s'�cri�t qu'il ne pouvait y avoir aucune parent� entre eux; l'un avait �t� un �l�gant cavalier dans sa jeunesse, l'autre �tait un bel officier; l'un appartenait au type franchement noir, l'autre m�lait dans sa personne le noir au blond; voil� seulement ce qui, apr�s examen, apparaissait comme certain, le reste ne signifiait rien; et franchement on ne pouvait pas l�-dessus s'appuyer pour b�tir ou d�molir une filiation. Depuis l'incident de la main donn�e au capitaine, une question pr�occupait Barincq; devait-il ou ne devait-il pas inviter le capitaine au d�jeuner qui suivrait la c�r�monie? Et s'il trouvait des raisons pour justifier cette invitation, celles qui, apr�s le bl�me de ses cousins, la rendaient difficile, ne manquaient pas non plus. Heureusement au cimeti�re, c'est-�-dire au moment o� il fallait se d�cider, R�b�nacq lui vint en aide: --Comme la pr�sence du capitaine � votre table serait g�nante pour vous, autant que pour lui peut-�tre, veux-tu que je l'emm�ne � la maison? Cela vous tirera d'embarras. C'�tait �nous tirera d'embarras� que le notaire aurait d� dire, car sa position au milieu de ces h�ritiers possibles �tait d�licate pour lui aussi. Si l'amiti�, de m�me qu'un sentiment de justice, lui faisaient souhaiter que l'h�ritage de Gaston revint � son ancien camarade, d'autre part les int�r�ts de son �tude voulaient que ce f�t au capitaine. H�ritier de son fr�re, Barincq conserverait sans aucun doute le ch�teau et ses terres pour les transmettre plus tard � sa fille comme bien de famille. Au contraire, le capitaine qui n'aurait pas des raisons de cet ordre pour garder le ch�teau, et qui m�me en aurait d'excellentes pour vouloir s'en d�barrasser, le vendrait, et cela entra�nerait une s�rie d'actes fructueux qui, au moment o� il pensait � se retirer des affaires, grossirait bien � propos les produits de son �tude. Dans ces conditions, il importait donc de manoeuvrer assez adroitement entre celui qui pouvait �tre l'h�ritier et celui qui avait tant de chances pour �tre l�gataire, de fa�on � conserver des relations aussi bonnes avec l'un qu'avec l'autre; de l� son id�e d'invitation qui d'une pierre faisait deux coups: il rendait service � Barincq dans une circonstance d�licate; et en m�me temps il montrait de la politesse et de la pr�venance envers le capitaine, qui certainement devait �tre bless� de l'accueil qu'il avait trouv� aupr�s de la famille. XII Ce fut seulement � une heure avanc�e de l'apr�s-midi que les derniers invit�s quitt�rent le ch�teau; et les cousins ne partirent pas sans �changer avec Barincq de longues poign�es de mains accompagn�es de souhaits chaleureux: --Nous sommes avec toi. --Compte sur nous. --Jamais je n'admettrai que Gaston ait pu t'enlever un h�ritage qui t'appartient � tant de titres. --C'est au moment de la mort qu'on r�pare les faiblesses de sa vie. --Si Gaston a pu � une certaine heure faire le testament dont parle R�b�nacq, certainement il l'a d�truit. --C'est pour cela et non pour autre chose qu'il l'a repris. --A la lev�e des scell�s ne manque pas de nous envoyer des d�p�ches. --Tu nous am�neras ta fille. --Nous la marierons dans le pays. Enfin il fut libre de s'occuper des siens et d'�crire � sa femme une lettre pour compl�ter son t�l�gramme du matin, dans lequel il avait pu dire seulement qu'il �tait retenu au ch�teau par des affaires importantes. Dans sa lettre il expliqua ce qu'�tait cette affaire importante, et, sans r�p�ter les esp�rances de ses cousins, il dit au moins les suppositions de R�b�nacq; un fait �tait certain: pour le moment il n'y avait pas de testament; l'inventaire en ferait-il trouver un? c'�tait ce que personne ne pouvait affirmer ni m�me pr�voir en s'appuyant sur de s�rieuses probabilit�s; pour lui, n'ayant pas d'opinion, il ne concluait pas; c'�tait trois jours � attendre. Quand il eut achev� cette longue lettre, le soir tombait, un de ces soirs doux et lumineux propres � ce pays o� si souvent la nature semble s'endormir dans une po�tique s�r�nit�, et n'ayant plus rien � faire il sortit, laissant ses pas le porter o� ils voudraient. Ce fut simplement dans le parterre joignant imm�diatement le ch�teau, et il y demeura, prenant un plaisir m�lancolique � rechercher les plantes qui avaient �t� les amies de ses ann�es d'enfance, et qu'il retrouvait telles qu'elles �taient cinquante ans auparavant, sans qu'aucun changement e�t �t� apport� dans leur culture ou dans leur choix par des jardiniers en peine de la mode; dans les bordures de buis taill�es en figures g�om�triques c'�tait toujours la m�me ordonnance de vieilles fleurs: primev�res, corbeilles d'or et d'argent, juliennes, ancolies, ravenelles, girofl�es, jacinthes, an�mones, renoncules, tulipes; et en les regardant dans leur �panouissement, en respirant leur parfum printanier qui s'exhalait dans la douceur du soir, il se prenait � penser que la vie qui s'�tait si furieusement pr�cipit�e pour lui en luttes et en catastrophes s'�tait arr�t�e dans cette tranquille maison. Que n'�tait-il rest� � son ombre, uni avec son fr�re, ainsi que celui-ci le lui proposait! Ah! si la vie se recommen�ait, comme il ne referait pas la m�me folie, et ne courrait pas apr�s les mirages qui l'avaient entra�n�! Jeune, c'�tait sans regret qu'il avait quitt� cette maison, se croyant appel� � de glorieuses destin�es; maintenant allait-il pouvoir reprendre place sous son toit, et jusqu'� la mort la garder? quel soulagement, et quel repos! Jusqu'� une heure avanc�e de la soir�e, il suivit ce r�ve, plus hardi avec lui-m�me qu'il n'avait os� l'�tre en �crivant � sa femme, se r�p�tant sans cesse les derniers mots de ses cousins, et se demandant s'il n'�tait pas possible qu'au moment de la mort Gaston e�t r�ellement r�par� ce qu'il avait reconnu �tre une erreur. Toute la nuit il dormit avec cette id�e, et le matin, au soleil levant, il �tait dans les prairies, pour prendre possession de ces terres d�j� siennes. On a souvent discut� sur les excitants de l'esprit; � coup s�r, il n'en est pas qui provoque plus fortement l'imagination que l'espoir d'un h�ritage prochain. Bien que peu sensible au gain, Barincq n'�chappa pas � cette fi�vre, et, pendant les trois jours qui s'�coul�rent avant la lev�e des scell�s, on le vit du matin au soir passer et repasser par les chemins et les sentiers qui desservent le domaine: les terres arables, il les amenderait par des engrais chimiques; les vignes mortes ou malades, il les arracherait et les transformerait en prairies artificielles; les prairies naturelles, il les irriguerait au moyen de barrages dont il dessinait les plans; ce serait une transformation scientifique, en peu de temps le revenu de la terre serait certainement doubl�, s'il n'�tait pas tripl�: c'est surtout pour ce qu'il ne conna�t pas, que l'esprit d'invention se r�v�le in�puisable et g�nial. Pour suivre le double jeu qu'il avait adopt�, le notaire R�b�nacq s'�tait mis � la disposition de Barincq afin de proc�der � l'inventaire au jour que celui-ci choisirait, mais, ce jour fix�, il s'�tait empress� d'�crire au capitaine Sixte pour l'avertir qu'il e�t � se pr�senter au ch�teau, �s'il croyait avoir int�r�t � le faire�. A cette communication, le capitaine avait r�pondu qu'il �tait fort surpris qu'on lui adress�t pareille invitation: en quelle qualit� assisterait-il � cet inventaire? pourquoi? dans quel but? c'�tait ce qu'il ne comprenait pas. Aussit�t que le notaire eut re�u cette lettre, il la porta � son ancien camarade. --Voici le moyen que j'ai employ� pour demander au capitaine s'il avait un testament, sans le lui demander franchement; sa r�ponse prouve qu'il n'en a pas, et, me semble-t-il, qu'il ignore s'il en existe un; c'est quelque chose cela. --Assur�ment; cependant le bureau et le secr�taire de Gaston n'ont pas livr� leur secret. --Ils le livreront demain. En effet, le lendemain matin, � neuf heures, le juge de paix, assist� de son greffier, se rendit au ch�teau avec R�b�nacq pour proc�der � la lev�e des scell�s ainsi qu'� l'inventaire, et, bien que les uns et les autres dussent �tre, par un long usage de leur profession, cuirass�s contre les �motions, ils avaient �galement h�te de voir ce que le bureau-secr�taire et les casiers du cabinet de travail de M. de Saint-Christeau allaient leur r�v�ler. Renfermaient-ils ou ne renfermaient-ils point un testament en faveur du capitaine Sixte? Cependant, ce ne fut pas par l'ouverture de ces meubles qu'on commen�a, la forme exigeant qu'on proc�d�t d'abord � l'intitul�; mais, comme il �tait des plus simples, il fut vite dress�, et le juge de paix put enfin reconna�tre si les scell�s par lui appos�s sur le bureau �taient sains et entiers; cette constatation faite, la cl� fut introduite dans la serrure du tiroir principal. --J'estime que, s'il existe un testament, dit le notaire, il doit se trouver dans ce tiroir o� Gaston rangeait ses papiers les plus importants. --C'�tait l� aussi que mon p�re pla�ait les siens, dit Barincq. --Proc�dons � une recherche attentive, dit le juge de paix. Mais, si attentive que f�t cette recherche, elle ne fit pas trouver le testament. Sans se permettre de toucher � ces papiers Barincq se tenait derri�re le notaire et pench� par dessus son �paule il le suivait dans son examen, le coeur serr�, les yeux troubles; personne ne faisait d'observation inutiles, seul le notaire de temps en temps �non�ait la nature de la pi�ce qu'il venait de parcourir: quand elle �tait compos�e de plusieurs feuilles, il les tournait m�thodiquement de fa�on � ne pas laisser passer inaper�u ce qui aurait pu se trouver intercal� entre les pages. A la fin, ils arriv�rent au fond du tiroir. --Rien, dit le notaire. --Rien, r�p�ta le juge de paix. Ils lev�rent alors les yeux sur Barincq et le regard�rent avec un sourire qui lui parut un encouragement � esp�rer en m�me temps qu'une f�licitation amicale. --Il se pourrait qu'il n'exist�t pas de testament, dit le notaire. --Cela se pourrait parfaitement, r�p�ta le juge de paix. --Je commence � le croire, dit le greffier qui ne s'�tait pas encore permis de manifester une opinion. --Voulez-vous examiner les autres tiroirs? demanda Barincq d'une voix que l'anxi�t� rendait tremblante. --Certainement. Le second tiroir, vid� avec les m�mes pr�cautions et le m�me soin m�ticuleux, ne contenait que des papiers insignifiants, entass�s l� par un homme qui avait la manie de conserver toutes les notes qu'il payait aussi bien que toutes les lettres qu'il recevait, alors m�me qu'elles ne pr�sentaient aucun int�r�t. Il en fut de m�me pour le troisi�me et le quatri�me. --Rien, disait R�b�nacq avec un sourire plus approbateur. --Rien, r�p�tait le juge de paix. Et, de son c�t�, le greffier r�p�tait aussi: --J'ai toujours cru qu'il n'y aurait pas de testament. Si l'on avait �cout� l'impatience nerveuse de Barincq, l'examen se serait fait de plus en plus vite, mais R�b�nacq, qui ne savait pas se presser, ne remettait aucun papier en place sans l'avoir parcouru, palp� et feuillet�. --Nous arriverons au bout, disait-il. En attendant on arriva au dernier tiroir du bureau; � peine fut-il ouvert que le notaire montra plus de h�te � tirer les papiers. --S'il y a un testament, dit-il, c'est ici que nous devons le trouver. En effet ce tiroir semblait appartenir au capitaine: sur plusieurs liasses le nom de Valentin �tait �crit de la main de Gaston, et sur une autre celui de L�ontine. --Attention, dit le notaire. Mais sa recommandation �tait inutile, les yeux ne quittaient pas le tas de papiers qu'il venait de sortir du tiroir. Toujours m�thodique, il commen�a par la liasse qui portait le nom de L�ontine: n'�tait-ce pas la logique qui exigeait qu'on proc�d�t dans cet ordre, la m�re avant le fils? La chemise ouverte, la premi�re chose qu'on trouva fut une photographie � demi-effac�e repr�sentant une jeune femme. --Tu vois qu'elle �tait jolie, dit le notaire en pr�sentant le portrait � Barincq. --Son fils lui ressemble, au moins par la finesse des traits. Mais le juge de paix et le greffier ne partag�rent pas cet avis. --Continuons, dit le notaire. Ce qu'il trouva ensuite, ce fut une grosse m�che de cheveux noirs et soyeux, puis quelques fleurs s�ch�es, si bris�es qu'il �tait difficile de les reconna�tre; puis enfin des lettres �crites sur des papiers de divers formats et dat�es de Peyrehorade, de Bordeaux, de Royan. Comme le notaire en prenait une pour la lire, Barincq l'arr�ta: --Il me semble que cela n'est pas indispensable, dit-il. R�b�nacq le regarda pour chercher dans ses yeux ce qui dictait cette observation: le respect des secrets de son fr�re, ou la h�te de continuer la recherche du testament. [Illustration.] --Ces lettres peuvent �tre d'un int�r�t capital, dit-il, mais je reconnais qu'il n'y a pas urgence pour le moment � en prendre connaissance; passons. La liasse qui venait ensuite contenait des lettres du capitaine class�es par ordre de date, les premi�res d'une grosse �criture d'enfant qui, avec le temps, allait en diminuant et en se caract�risant. --Ces lettres aussi peuvent avoir de l'int�r�t, dit le notaire, mais comme pour celles de la m�re on verra plus tard. Les autres liasses �taient compos�es de notes, de quittances, de lettres qui prouvaient que pendant de longues ann�es, au coll�ge de Pau, � Sainte-Barbe, � Saint-Cyr, plus tard au r�giment, Gaston avait enti�rement pris � sa charge les frais d'�ducation du fils de L�ontine Dufourcq, et aussi d'autres d�penses; mais nulle part il n'y avait trace de testament, ni m�me de projet de testament. --L'affaire me para�t r�gl�e, dit le notaire. --Il n'y a pas eu, il n'y aura pas de testament, dit le greffier qui ne craignait pas d'�tre affirmatif. --Si nous allions d�jeuner, proposa le juge de paix, chez qui les �motions ne suspendaient pas le fonctionnement de l'estomac. Bien qu'on voul�t se tenir sur la r�serve pendant le d�jeuner devant les domestiques, quelques mots furent prononc�s, assez significatifs pour qu'on s�t, � la cuisine, qu'il n'avait pas �t� trouv� de testament, et alors la nouvelle courut tout le personnel du ch�teau. Jusque-l�, la domesticit�, convaincue qu'il ne pouvait pas y avoir d'autre h�ritier que le capitaine, avait trait� Barincq en intrus. Que faisait-il au ch�teau, ce fr�re ruin�? qu'attendait-il? de quel droit donnait-il des ordres? Comment se permettait-il de parcourir les terres en ma�tre? Ce qui serait amusant, ce serait de le voir d�guerpir. Quand on apprit qu'il n'y avait pas de testament, la situation changea instantan�ment, et un brusque revirement se produisit, qui se manifesta aussit�t: au moment o� on servit le caf�, le vieux valet de chambre qui pendant vingt ans avait �t� l'homme de confiance de Gaston apporta sur la table une bouteille toute couverte d'une poussi�re v�n�rable, � laquelle il paraissait t�moigner un vrai respect: --C'est de l'Armagnac de 1820, dit-il, j'ai pens� que monsieur en voudrait faire go�ter � ces messieurs. Quand il eut quitt� la salle � manger, les trois hommes de loi �chang�rent un sourire que R�b�nacq traduisit: --Voil� qui en dit long, et ce n'est assur�ment pas pour boire � la sant� du capitaine que Manuel nous offre cette eau-de-vie. L'inventaire ayant �t� repris, les recherches dans le cartonnier et dans le secr�taire, ainsi que dans la table de la chambre de Gaston, rest�rent sans r�sultat. A cinq heures de l'apr�s-midi tout avait �t� fouill�, aussi bien dans le cabinet de travail que dans la chambre, et il ne restait pas d'autres pi�ces o� l'on p�t trouver des papiers. --D�cid�ment il n'existe pas de testament, dit le notaire en tendant la main � son camarade. --M. de Saint-Christeau portait trop haut le respect de la famille, dit le juge de paix, pour ne pas l'observer. --Ce qui n'emp�che pas qu'il y a eu un testament, r�pliqua le notaire. --Ne peut-il pas avoir �t� d�truit? --Il faut bien qu'il l'ait �t�, puisque nous ne le trouvons pas. --En vous reprenant le testament qu'il vous avait confi�, dit le greffier, M. de Saint-Christeau a montr� que ce testament ne r�pondait plus � ses intentions. --�videmment. --Donc il a voulu le d�truire. --Ou le modifier. --S'il avait voulu le modifier, trois hypoth�ses se pr�sentaient: ou bien il vous confiait ce testament modifi�; ou bien il le remettait au capitaine; ou bien il le pla�ait dans son bureau. Puisqu'il ne vous l'a pas confi�, puisqu'il ne l'a pas remis au capitaine, puisque nous ne le trouvons pas, c'est qu'il n'existe pas, et, pour moi, il est prouv� qu'apr�s la destruction du premier testament, il n'en a point �t� fait d'autres; d'o� je conclus qu'en sa qualit� de seul h�ritier, M. Barincq doit �tre envoy� en possession de la succession de son fr�re. XIII En attendant que les formalit�s pour l'envoi en possession fussent accomplies, Barincq, qui restait � Ourteau, �crivit � sa femme et � sa fille de venir le rejoindre, et, quand elles arriv�rent � Puyoo, elles le trouv�rent au-devant d'elles, avec la vieille cal�che pour les emmener au ch�teau. Elles �taient en grand deuil, et, pour la premi�re fois, Anie portait une robe l'habillant � son avantage, sans avoir eu l'ennui de la tailler et de la coudre elle-m�me, apr�s mille discussions avec sa m�re. Il les fit monter on voiture, et prit la place � reculons: --Tu verras les Pyr�n�es, dit-il � Anie. --A partir de Dax, j'ai aper�u leur silhouette vaporeuse. --Maintenant tu vas vraiment les voir, dit-il avec une sorte de recueillement. --Voil�-t-il pas une affaire! interrompit Mme Barincq. --Mais oui, maman, c'en est une pour moi. Son p�re la remercia d'un sourire heureux qui disait sa satisfaction d'�tre en accord avec elle. --Voil� le Gave de Pau, dit-il quand la cal�che s'engagea sur le pont. --Mais c'est tr�s joli un gave, dit Anie, regardant curieusement les eaux tumultueuses roulant dans leurs rives encaiss�es. --C'est une rivi�re comme une autre, dit Mme Barincq, il n'y a que le nom de chang�. --C'est que, pr�cis�ment, le nom peint la chose, r�pondit Barincq, gave vient de cavus, qui signifie creux. --Et cette propri�t�, demanda Mme Barincq, que vaut-elle pr�sentement? --Je n'en sais rien. --Que rapporte-t-elle? --Environ 40,000 francs. --Trouverait-on acqu�reur pour un million? --Je l'ignore. --Tu ne t'es pas inqui�t� de cela? --Comment, � quoi bon? --Cherche-t-on un acqu�reur quand on n'est pas vendeur? --Tu voudrais la garder? --Tu ne voudrais pas la vendre, je pense? --Mais... --Tout nous oblige � la conserver et � l'exploiter pour le mieux de nos int�r�ts; si elle rapporte 2% en ce moment, elle peut en rapporter 10 ou 12 un jour. Stup�faite, elle le regarda: --Certainement, dit-elle, je ne te fais pas de reproches, mon pauvre ami, mais, apr�s vingt ann�es comme celles que je viens de passer, il me semble que j'ai droit � un changement d'existence. --Passer de notre bicoque de Montmartre au ch�teau d'Ourteau, n'en est-il pas un en quelque sorte f�erique? --Est-ce � Ourteau que tu trouveras � marier Anie? --Pourquoi pas? (_A suivre._) Hector Malot. [Illustration.] End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2508, 21 Mars 1891, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 21 MARS 1891 *** ***** This file should be named 45704-8.txt or 45704-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/4/5/7/0/45704/ Produced by R�nald L�vesque Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.