The Project Gutenberg EBook of Pr�faces et manifestes litt�raires, by Edmond de Goncourt and Jules de Goncourt This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Pr�faces et manifestes litt�raires Author: Edmond de Goncourt Jules de Goncourt Release Date: August 12, 2011 [EBook #37051] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PR�FACES ET MANIFESTES LITT�RAIRES *** Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Biblioth�que nationale de France (BnF/Gallica). PR�FACES ET MANIFESTES LITT�RAIRES PAR EDMOND ET JULES DE GONCOURT PARIS G. CHARPENTIER ET Cie, �DITEURS 1888 TABLE DES MATI�RES ROMANS ET NOUVELLES En 18.. Charles Demailly Ren�e Mauperin Germinie Lacerteux La Fille �lisa Les Fr�res Zemganno La Faustin Ch�rie Quelques Cr�atures de ce temps TH��TRE Henriette Mar�chal La Patrie en danger Th��tre: Henriette Mar�chal.--La Patrie en danger AUTOBIOGRAPHIE Journal des Goncourt HISTOIRE Histoire de la Soci�t� fran�aise Portraits intimes du XVIIIe si�cle Histoire de Marie-Antoinette Les Ma�tresses de Louis XV La Femme au XVIIIe si�cle Sophie Arnould Madame Saint-Huberty ART FRAN�AIS La Peinture � l'Exposition de 1855 L'Art du XVIIIe si�cle Gavarni La Maison d'un Artiste JAPONISME L'Art industriel japonais AVANT-PROPOS Aujourd'hui que l'OEuvre des deux fr�res est termin�--l'un �tant mort depuis des ann�es, l'autre se trouvant trop vieux pour entreprendre � nouveau un travail d'imagination ou m�me un travail d'histoire de longue haleine,--il a paru int�ressant au survivant de r�unir, dans un volume, les pr�faces et les manifestes litt�raires, jet�s en t�te des diverses �ditions de leurs livres. En effet c'est donner comme les bulletins des batailles que, depuis pr�s de quarante ans, les deux fr�res ont livr�es sur le terrain du roman, de l'histoire, du th��tre, de l'art fran�ais et japonais. C'est faire appr�cier au lecteur l'ensemble de toutes les tentatives, dans lesquelles les auteurs se sont essay� � voir avec des yeux autres que ceux de tout le monde; � mettre en relief les gr�ces et l'originalit� des arts mis au ban par les Acad�mies et les Instituts; � d�couvrir le _caract�re_ (la beaut�) d'un paysage de la banlieue de Paris;--� apporter � une figure d'imagination la _vie vraie_, donn�e par dix ans d'observations sur un �tre vivant (REN�E MAUPERIN, GERMINIE LACERTEUX); � ne plus faire �ternellement tourner le roman autour d'une amourette; � hausser le roman moderne � une s�rieuse �tude de l'amiti� fraternelle, (LES FR�RES ZEMGANNO) ou � une psychologie de la religiosit� chez la femme (MADAME GERVAISAIS);--� introduire au th��tre une _langue litt�raire parl�e_;--� utiliser en histoire des mat�riaux historiques, rest�s sans emploi avant eux, (les lettres autographes, les tableaux, les gravures, l'objet mobilier);--tentatives enfin, o� les deux fr�res ont cherch� _� faire du neuf_, ont fait leurs efforts pour doter les diverses branches de la litt�rature de quelque chose, que n'avaient point song� � trouver leurs pr�d�cesseurs. EDMOND DE GONCOURT. Auteuil, septembre 1888. ROMANS ET NOUVELLES EN 18..[1] HISTOIRE D'UN PREMIER LIVRE QUI A SERVI DE PR�FACE � LA DEUXI�ME �DITION Le 1er d�cembre 1851, nous nous couchions, mon fr�re et moi, dans le bienheureux �tat d'esprit de jeunes auteurs attendant, pour le jour suivant, l'apparition de leur premier volume aux �talages des libraires, et m�me assez avant dans la matin�e du lendemain, nous r�vions d'�ditions, d'�ditions sans nombre... quand, claquant les portes, entrait bruyamment dans ma chambre le cousin Blamont, un ci-devant garde du corps, devenu un conservateur _poivre et sel_, asthmatique et rageur. --Nom de Dieu, c'est fait!--soufflait-il. --Quoi, c'est fait? --Eh bien, le coup d'�tat! --Ah! fichtre... et notre roman dont la mise en vente doit avoir lieu aujourd'hui! --Votre roman... un roman... la France se fout pas mal des romans... aujourd'hui, mes gaillards!--et par un geste qui lui �tait habituel, croisant sa redingote sur le ventre, comme on sangle un ceinturon, il prenait cong� de nous, et allait porter la triomphante nouvelle, du quartier Notre-Dame-de-Lorette au faubourg Saint-Germain, en tous les logis de sa connaissance, encore mal �veill�s. Nous nous jetions � bas de nos lits, et bien vite nous �tions dans la rue. Dans la rue, les yeux aussit�t aux affiches--et �go�stement, nous l'avouons,--au milieu de tout ce papier fra�chement placard�, proclamant un changement de r�gime pour notre pays, nous cherchions �la n�tre d'affiche�, l'affiche qui devait annoncer � Paris la publication d'EN 18.., et apprendre � la France et au monde, les noms de deux hommes de lettres de plus: _MM. Edmond et Jules de Goncourt_. L'affiche manquait aux murs. Et la raison en �tait ceci: Gerd�s, qui se trouvait � la fois, � ironie! l'imprimeur de la REVUE DES DEUX MONDES et d'EN 18..; Gerd�s, dont l'imprimerie avait �t� occup�e par la troupe, hant� par l'id�e qu'on pouvait prendre certaines phrases d'un chapitre politique du livre pour des allusions � l'�v�nement du jour, et au fond tout plein de m�fiance pour ce titre bizarre, incompr�hensible, cabalistique, et dans lequel il craignait qu'on ne v�t un rappel dissimul� du 18 brumaire; Gerd�s, qui manquait d'h�ro�sme, avait, de son propre mouvement, jet� le paquet d'affiches au feu. C'�tait vraiment de la male-chance pour des auteurs de publier leur premier volume[2] juste le jour d'un coup d'�tat, et nous en f�mes l'exp�rience en ces semaines cruelles, o� toute l'attention du public est � la politique. Et cependant nous e�mes une surprise. Le monde politique attendait curieusement le feuilleton de Janin. On croyait � une escarmouche de plume, � un feuilleton de combat des D�BATS, sur n'importe quel th�me, � un spirituel engagement de l'�crivain orl�aniste avec le nouveau C�sar. Par un hasard qui nous rendit bien heureux, le feuilleton de J. J. �tait consacr� � EN 18.., spirituellement battu et brouill� avec LA DINDE TRUFF�E de M. Varin, et LES CRAPAUDS IMMORTELS de MM. Clairville et Dumanoir. Jules Janin parlant tout le temps de notre livre, nous fouettait avec de l'ironie, nous pardonnait avec de l'estime et des paroles s�rieuses, et pr�sentait notre jeunesse au public en l'excusant, en lui serrant la main: une critique � la fois tr�s blagueuse et tr�s paternelle. Il disait: Encore un mot, un mot s�rieux, si je puis parler ici aux deux fr�res, MM. Edmond et Jules de Goncourt. Ils sont jeunes, ils sont hardis, ils ont le feu sacr�; ils trouvent parfois des mots, des phrases, des sons, des accents! je les loue et les bl�me! Ils se perdent de gaiet� de coeur! Ils abusent d�j�, les malheureux, des plus charmantes qualit�s de l'esprit! Ils ne voient pas que ces tristes exc�s les conduisent tout droit � l'ab�me, au n�ant! Ils ne comprennent pas que pour un curieux de ma sorte, un enthousiaste, un fanatique de style qui se trouve content et satisfait, si par hasard il rencontre en quelque tarte narbonnaise, un mot vrai, un mot trouv�, le commun des lecteurs, le commun des martyrs, rassasi� de ces folies du style en d�lire, aussit�t les rejette et n'en veut plus entendre parler, une fois qu'il a port� � ses l�vres ce breuvage frelat� o� se m�lent sans se confondre les plus extr�mes saveurs. � quoi bon les exc�s de la forme que ne rach�te pas la moralit� du fond? Que nous veulent ces audaces st�riles, et quel profit peuvent retirer de ces tentatives coupables, deux jeunes gens que l'ardeur g�n�reuse du travail et le z�le ardent de l'inspiration pourraient placer si haut? Comment ce d�fi cruel � leurs ma�tres! Comment cette injure aux chefs-d'oeuvre!... ... Eh Dieu! il y a pourtant une page enchanteresse dans votre livre, une certaine description du _Bas-Meudon_ qu'on voudrait enlever de ces broussailles pour la placer dans un cadre � part, � c�t� d'un paysage de Jules Dupr�. Mais en d�pit du feuilleton de J. J., si en faveur encore dans ces ann�es, et si lu pendant ce mois de d�cembre 1851, nous vendions en tout, et pour tout, une soixantaine d'exemplaires de l'infortun� EN 18.. Quelques mois apr�s, l'�diteur Dumineray, le seul �diteur parisien qui avait consenti � mettre son nom sur la couverture de notre bouquin, nous priait de le d�barrasser du millier d'exemplaires restant, dont l'emmagasinement le g�nait. Et l'�dition rapport�e chez nous, et jet�e sur le carreau d'une mansarde, deux ou trois ann�es apr�s, comme nous �tions mont�s dans cette mansarde, je ne sais plus pourquoi, nous nous mettions, chacun dans un coin, assis par terre, � relire un exemplaire ramass� dans le tas--et nous trouvions, ce jour-l�, notre premier roman, si faible, si incomplet, si enfantin, que nous nous d�cidions � br�ler le tas. * * * * * Aujourd'hui que plus de trente ans se sont pass�s depuis l'autodaf� d'EN 18.., je n'estime pas beaucoup meilleur le volume, mais je le regarde, ainsi que Mme Sand m'a appris � le consid�rer, comme un int�ressant embryon de nos romans de plus tard, comme un premier livre, contenant tr�s curieusement en germe, les qualit�s et les d�fauts de notre talent, lors de sa compl�te formation,--en un mot, comme une curiosit� litt�raire, qui peut �tre l'amusement et l'instruction de quelques-uns. C'est mal fait, ce n'est pas fait, si vous le voulez, ce livre! mais les fi�res r�voltes, les endiabl�s soul�vements, les forts blasph�mes � l'endroit des religions de toutes sortes, la cr�ne affiche d'ind�pendance litt�raire et artistique, le hautain _r�volutionnarisme_ pr�ch� en ces pages! Puis quelle recherche de l'�rudition, quelle curiosit� de la science,--et dans quelle litt�rature l�g�re de d�butant, trouverez-vous ce ferraillement des hautes conversations, cette prestidigitation des paradoxes, cette verve qui, plus tard, tout � fait ma�tresse d'elle-m�me, enl�vera les morceaux de bravoure de CHARLES DEMAILLY et de MANETTE SALOMON;--et encore ce remuement des probl�mes qu'agitent les bouquins les plus s�rieux, et tout le long du volume, cet effort et cette aspiration des auteurs vers les sommets de la pens�e? Oui, encore une fois, c'est bien entendu, un avorton de roman, mais d�j� fabriqu� � la fa�on s�rieuse des romans d'� pr�sent. Oh! ce qui fait le livre mauvais, je le sais mieux que personne! C'est une recherche aga�ante de l'esprit, c'est un dialogue, dont la langue parl�e est faite avec des phrases de livre, c'est un _caquetage_ amoureux d'une fausset� insupportable, insupportable. Quant � notre style, il est encore bien trop plaqu� du plus beau romantisme de 1830, de son clinquant, de son _similor_. On y compare le plus naturellement du monde la blancheur de la peau des femmes avec l'amalgatolithe, et les reflets bleu�tres de leur chevelure noire avec les aciers � la trempe de Coulauxa, etc., etc. Il existe un vice plus radical dans le style de ce roman d'EN 18.. Il est compos� de deux styles disparates: d'un style alors amoureux de Janin, celui du fr�re cadet; d'un style alors amoureux de Th�ophile Gautier, celui du fr�re a�n�;--et ces deux styles ne se sont point fondus, amalgam�s en un style personnel, rejetant et l'excessif sautillement de Janin et la trop grosse mat�rialit� de Gautier: un style dont Michelet voulait bien dire plus tard, qu'il donnait � voir, d'une mani�re toute sp�ciale, les objets d'art du XVIIIe si�cle, un style peut-�tre trop ambitieux de choses impossibles, et auquel, dans une gronderie amicale, Sainte-Beuve reprochait de vouloir rendre _l'�me des paysages_, et de chercher � attraper _le mouvement dans la couleur_, un style enfin, tel quel, et qu'on peut juger diversement, mais un style arriv� � �tre bien un. Au fond, la grande faiblesse du livre, veut-on la savoir? la voici: quand nous l'avons �crit, nous n'avions pas encore la _vision directe_ de l'humanit�, la vision sans souvenirs et r�miniscences aucunes d'une humanit� apprise dans les livres. Et cette vision directe, c'est ce qui fait pour moi le romancier original. Tous ces d�fauts, je suis le premier � les reconna�tre, mais aussi que de mani�res de voir, de syst�mes, d'id�es en faveur, � l'heure pr�sente, aupr�s de l'attention publique, commencent � prendre voix, � balbutier dans ce m�chant petit volume. On y rencontre et du _d�terminisme_ et du _pessimisme_, et voire m�me du _japonisme_. Non vraiment, on ne peut nier aux auteurs un certain flair des go�ts futurs de la pens�e et de l'esprit fran�ais, en incubation dans l'air. Et, pressentiment bizarre, l'h�ro�ne de ce livre se trouve �tre une espionne prussienne! Donc, apr�s m'�tre longtemps refus� � la r��dition de ce premier livre, sur une toute r�cente lecture, je me suis rendu aux aimables et pressantes instances du vaillant �diteur belge, d�sireux de le joindre dans sa biblioth�que aux premiers livres des _jeunes_ de ce temps. Je demande seulement comme une gr�ce � mon lecteur de demain, qu'au lieu et place de �_Kistemaeckers, Bruxelles_, 1884,� il veuille bien s'imaginer lire, sur la couverture du volume, le titre de la premi�re �dition: PARIS CHEZ DUMINERAY, �DITEUR, RUE RICHELIEU, 52. 1851 EDMOND DE GONCOURT. Ch�teau de Jean d'Heurs, ao�t 84. CHARLES DEMAILLY[3] PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION �Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure que j'ai voulu dire, et je r�ponds encore moins de ce qu'on me fait dire, et que je ne dis point.� LA BRUY�RE[4]. REN�E MAUPERIN PR�FACE DE L'�DITION ILLUSTR�E[5] REN�E MAUPERIN, est-ce le vrai, est-ce le bon titre de ce livre? LA JEUNE BOURGEOISIE, le titre sous lequel mon fr�re et moi annoncions le roman, avant qu'il f�t termin�, ne d�finissait-il pas mieux l'analyse psychologique que nous tentions, en 1864, de la jeunesse contemporaine? Mais � l'heure qu'il est, il est vraiment bien tard pour d�baptiser le volume. Et, il m'est donn� seulement aujourd'hui, de pr�venir le lecteur que l'affabulation d'un roman � l'instar de tous les romans, n'est que secondaire dans cette oeuvre. Ses auteurs, en effet, ont, pr�f�rablement � tout, cherch� � peindre, avec le moins d'imagination possible, _la jeune fille moderne_, telle que l'�ducation artistique et gar�onni�re des trente derni�res ann�es l'ont faite. Les auteurs se sont pr�occup�s, avant tout, de montrer _le jeune homme moderne_; tel que le font au sortir du coll�ge, depuis l'av�nement du roi Louis-Philippe, la fortune des doctrinaires, le r�gne du parlementarisme. EDMOND DE GONCOURT. Ce 24 janvier 1875. GERMINIE LACERTEUX PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[6] Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l'avertir de ce qu'il y trouvera. Le public aime les romans faux: ce roman est un roman vrai. Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde: ce livre vient de la rue. Il aime les petites oeuvres polissonnes, les m�moires de filles, les confessions d'alc�ves, les salet�s �rotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des libraires: ce qu'il va lire est s�v�re et pur. Qu'il ne s'attende point � la photographie d�collet�e du Plaisir: l'�tude qui suit est la clinique de l'Amour. Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne d�rangent ni sa digestion ni sa s�r�nit�: ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire � son hygi�ne. Pourquoi donc l'avons-nous �crit? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses go�ts? Non. Vivant au XIXe si�cle, dans un temps de suffrage universel, de d�mocratie, de lib�ralisme, nous nous sommes demand� si ce qu'on appelle �les basses classes� n'avait pas droit au Roman; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'interdit litt�raire et des d�dains d'auteurs, qui ont fait jusqu'ici le silence sur l'�me et le coeur qu'il peut avoir. Nous nous sommes demand� s'il y avait encore pour l'�crivain et pour le lecteur, en ces ann�es d'�galit� o� nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouch�s, des catastrophes d'une terreur trop peu noble. Il nous est venu la curiosit� de savoir si cette forme conventionnelle d'une litt�rature oubli�e et d'une soci�t� disparue, la Trag�die, �tait d�finitivement morte; si dans un pays sans caste et sans aristocratie l�gale, les mis�res des petits et des pauvres parleraient � l'int�r�t, � l'�motion, � la piti�, aussi haut que les mis�res des grands et des riches; si, en un mot, les larmes qu'on pleure en bas, pourraient faire pleurer comme celles qu'on pleure en haut. Ces pens�es nous avaient fait oser l'humble roman de SOEUR PHILOM�NE, en 1861; elles nous font publier aujourd'hui GERMINIE LACERTEUX. Maintenant, que ce livre soit calomni�: peu lui importe. Aujourd'hui que le Roman s'�largit et grandit, qu'il commence � �tre la forme s�rieuse, passionn�e, vivante, de l'�tude litt�raire et de l'enqu�te sociale, qu'il devient, par l'analyse et par la recherche psychologique, l'Histoire morale contemporaine; aujourd'hui que le Roman s'est impos� les �tudes et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libert�s et les franchises. Et qu'il cherche l'Art et la V�rit�; qu'il montre des mis�res bonnes � ne pas laisser oublier aux heureux de Paris; qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charit� ont le courage de voir, ce que les Reines autrefois faisaient toucher de l'oeil � leurs enfants dans les hospices: la souffrance humaine, pr�sente et toute vive, qui apprend la charit�; que le Roman ait cette religion que le si�cle pass� appelait de ce vaste et large nom: _Humanit�_;--il lui suffit de cette conscience: son droit est l�. Paris, octobre 1861. * * * * * PR�FACE DE L'�DITION ILLUSTR�E[7] 22 _juillet_ 1862.--La maladie fait, peu � peu, dans notre pauvre Rose, son travail destructeur. C'est comme une mort lente et successive des manifestations presque immat�rielles qui �manaient de son corps. Sa physionomie est toute chang�e. Elle n'a plus les m�mes regards, elle n'a plus les m�mes gestes; et elle m'appara�t comme se d�pouillant, chaque jour, de ce quelque chose d'humainement ind�finissable qui fait la personnalit� d'un vivant. La maladie, avant de tuer quelqu'un, apporte � son corps de l'inconnu, de l'�tranger, du _non lui_, en fait une esp�ce de nouvel �tre, dans lequel il faut chercher l'ancien... celui dont la silhouette anim�e et affectueuse n'est d�j� plus. * * * * * 31 _juillet_.--Le docteur Simon va me dire, tout � l'heure, si notre vieille Rose vivra ou mourra. J'attends son coup de sonnette, qui est pour moi celui d'un jury des assises rentrant en s�ance... �C'est fini, plus d'espoir, une question de temps. Le mal a march� bien vite. Un poumon est perdu et l'autre tout comme...� Et il faut revenir � la malade, lui verser de la s�r�nit� avec notre sourire, lui faire esp�rer sa convalescence dans tout l'air de nos personnes... Puis une h�te nous prend de fuir l'appartement, et cette pauvre femme. Nous sortons, nous allons au hasard dans Paris...; enfin, fatigu�s, nous nous attablons � une table de caf�. L�, nous prenons machinalement un num�ro de l'ILLUSTRATION, et sous nos yeux tombe le mot du dernier r�bus: _Contre la mort, il n'y a pas d'appel!_ * * * * * _Lundi_ 11 _ao�t_.--La p�ritonite s'est m�l�e � la maladie de poitrine. Elle souffre du ventre affreusement, ne peut se remuer, ne peut se tenir couch�e sur le dos ou le c�t� gauche. La mort, ce n'est donc pas assez! il faut encore la souffrance, la torture, comme le supr�me et implacable finale des organes humains... Et elle souffre cela, la pauvre malheureuse! dans une de ces chambres de domestiques, o� le soleil, donnant sur une tabati�re, fait l'air br�lant comme en une serre chaude, et o� il y a si peu de place, que le m�decin est oblig� de poser son chapeau sur le lit... Nous avons lutt� jusqu'au bout pour la garder, � la fin il a fallu se d�cider � la laisser partir. Elle n'a pas voulu aller � la maison Dubois, o� nous nous proposions de la mettre: elle y a �t� voir, il y a de cela vingt-cinq ans, quand elle est entr�e chez nous; elle y a �t� voir la nourrice d'Edmond qui y est morte, et cette maison de sant� lui repr�sente la maison o� l'on meurt. J'attends Simon, qui doit lui apporter son billet d'entr�e pour Lariboisi�re. Elle a pass� presque une bonne nuit. Elle est toute pr�te, gaie m�me. Nous lui avons de notre mieux tout voil�. Elle aspire � s'en aller. Elle est press�e. Il lui semble qu'elle va gu�rir l�. � deux heures, Simon arrive: �Voici, c'est fait...� Elle ne veut pas de brancard pour partir: �Je croirais �tre morte!� a-t-elle dit. On l'habille. Aussit�t hors du lit, tout ce qu'il y avait de vie sur son visage, dispara�t. C'est comme de la terre qui lui monterait sous le teint. Elle descend dans l'appartement. Assise dans la salle � manger, d'une main tremblotante et dont les doigts se cognent, elle met ses bas, sur des jambes comme des manches � balai, sur des jambes de phtisique. Puis, un long moment, elle regarde les choses avec ces yeux de mourant qui paraissent vouloir emporter le souvenir des lieux qu'ils quittent, et la porte de l'appartement, en se fermant sur elle, fait un bruit d'adieu. Elle arrive au bas de l'escalier, o� elle se repose un instant sur une chaise. Le portier lui promet, en goguenardant, la sant� dans six semaines. Elle incline la t�te en disant un oui, un oui �touff�... Le fiacre roule. Elle se tient de la main � la porti�re. Je la soutiens contre l'oreiller qu'elle a derri�re le dos. De ses yeux ouverts et vides, elle regarde vaguement d�filer les maisons, elle ne parle plus... Arriv�e � la porte de l'h�pital, elle veut descendre sans qu'on la porte: �Pouvez-vous aller jusque-l�?� dit le concierge. Elle fait un signe affirmatif et marche. Je ne sais vraiment o� elle a ramass� les derni�res forces avec lesquelles elle va devant elle. Enfin nous voil� dans la grande salle, haute, froide, rigide et nette, o� un brancard tout pr�t attend au milieu. Je l'assieds dans un fauteuil de paille pr�s d'un guichet vitr�. Un jeune homme ouvre le guichet, me demande le nom, l'�ge... couvre d'�critures, pendant un quart d'heure, une dizaine de feuilles de papier, qui ont en t�te une image religieuse. Enfin c'est fini, je l'embrasse... Un gar�on la prend sous un bras, la femme de m�nage sous l'autre. Alors je n'ai plus rien vu. * * * * * _Jeudi_ 14 _ao�t_.--Nous allons � Lariboisi�re. Nous trouvons Rose, tranquille, esp�rante, parlant de sa sortie prochaine,--dans trois semaines au plus,--et si d�gag�e de la pens�e de la mort, qu'elle nous raconte une furieuse sc�ne d'amour qui a eu lieu hier entre une femme couch�e � c�t� d'elle et un fr�re des �coles chr�tiennes, qui est encore l� aujourd'hui. Cette pauvre Rose est la mort, mais la mort tout occup�e de la vie. Voisine de son lit se trouve une jeune femme qu'est venu voir son mari, un ouvrier, et auquel elle dit: �Va, aussit�t que je pourrai marcher, je me prom�nerai tant dans le jardin, qu'ils seront bien forc�s de me renvoyer!� Et la m�re ajoute: �L'enfant demande-t-il quelquefois apr�s moi? --Quelquefois, comme �a�, r�pond l'ouvrier. * * * * * _Samedi_ 16 _ao�t_.--Ce matin, � dix heures, on sonne. J'entends un colloque � la porte entre la femme de m�nage et le portier. La porte s'ouvre. Le portier entre tenant une lettre. Je prends la lettre; elle porte le timbre de Lariboisi�re. Rose est morte ce matin � sept heures. Pauvre fille! C'est donc fini! Je savais bien qu'elle �tait condamn�e; mais l'avoir vue jeudi, si vivante encore, presque heureuse, gaie... Et nous voil� tous les deux marchant dans le salon avec cette pens�e que fait la mort des personnes: Nous ne la reverrons plus!--une pens�e machinale et qui se r�p�te sans cesse au dedans de vous. Quel vide! quel trou dans notre int�rieur! Une habitude, une affection de vingt-cinq ans, une fille qui savait notre vie, ouvrait nos lettres en notre absence, � qui nous racontions nos affaires. Tout petit, j'avais jou� au cerceau avec elle, et elle m'achetait, sur son argent, des chaussons aux pommes dans nos promenades. Elle attendait Edmond jusqu'au matin pour lui ouvrir la porte de l'appartement, quand il allait, en cachette de ma m�re, au bal de l'Op�ra... Elle �tait la femme, la garde-malade admirable, dont ma m�re en mourant avait mis les mains dans les n�tres... Elle avait les clefs de tout, elle menait, elle faisait tout autour de nous. Depuis vingt-cinq ans, elle nous bordait tous les soirs dans nos lits, et tous les soirs c'�taient les m�mes plaisanteries sur sa laideur et la disgr�ce de son physique... Chagrins, joies, elle les partageait avec nous. Elle �tait un de ces d�vouements dont on esp�re la sollicitude pour vous fermer les yeux. Nos corps, dans nos maladies, dans nos malaises, �taient habitu�s � ses soins. Elle poss�dait toutes nos manies. Elle avait connu toutes nos ma�tresses. C'�tait un morceau de notre vie, un meuble de notre appartement, une �pave de notre jeunesse, je ne sais quoi de tendre et de grognon et de _veilleur_ � la fa�on d'un chien de garde que nous avions l'habitude d'avoir � c�t� de nous, autour de nous, et qui semblait ne devoir finir qu'avec nous. Et jamais nous ne la reverrons! Ce qui remue dans l'appartement, ce n'est plus elle; ce qui nous dira bonjour le matin, en entrant dans notre chambre, ce ne sera plus elle! Grand d�chirement, grand changement dans notre vie, et qui nous semble, je ne sais pourquoi, une de ces coupures solennelles de l'existence o�, comme dit Byron, les destins changent de chevaux. * * * * * _Dimanche_ 17 _ao�t._--Ce matin, nous devons faire toutes les tristes d�marches. Il faut retourner � l'h�pital, rentrer dans cette salle d'admission, o�, sur le fauteuil contre le guichet, il me semble revoir le spectre de la maigre cr�ature que j'y ai assise, il n'y a pas huit jours. �Voulez-vous reconna�tre le corps?� me jette d'une voix dure le gar�on. Nous allons au fin fond de l'h�pital, � une grande porte jaun�tre sur laquelle il y a �crit en grosses lettres noires: _Amphith��tre_. Le gar�on frappe. La porte s'entr'ouvre au bout de quelque temps, et il en sort une t�te de gar�on boucher, le br�le-gueule � la bouche: une t�te o� le belluaire se m�le au fossoyeur. J'ai cru voir au Cirque l'esclave qui recevait les corps des gladiateurs,--et lui aussi re�oit les tu�s de ce grand cirque: la soci�t�. On nous a fait, un long moment attendre, avant d'ouvrir une autre porte, et pendant ces minutes d'attente, tout notre courage s'en est all�, comme s'en va, goutte � goutte, le sang d'un bless� s'effor�ant de rester debout. L'inconnu de ce que nous allions voir, la terreur d'un spectacle vous d�chirant le coeur, la recherche de ce visage au milieu d'autres corps, l'�tude et la reconnaissance de ce pauvre corps, sans doute d�figur�, tout cela nous a fait l�ches comme des enfants. Nous �tions � bout de force, � bout de volont�, � bout de tension nerveuse, et quand la porte s'est ouverte, nous avons dit: �Nous enverrons quelqu'un�, et nous nous sommes sauv�s... De l� nous sommes all�s � la mairie, roul�s dans un fiacre qui nous cahotait et nous secouait la t�te, comme une chose vide. Et je ne sais quelle horreur nous est venue de cette mort d'h�pital qui semble n'�tre qu'une formalit� administrative. On dirait que dans ce phalanst�re d'agonie, tout est si bien administr�, r�gl�, ordonnanc�, que la Mort y ouvre comme un bureau. Pendant que nous �tions � faire inscrire le d�c�s,--que de papier, mon Dieu, griffonn� et paraph� pour une mort de pauvre!--de la pi�ce � c�t� un homme s'est �lanc�, joyeux, exultant, pour voir sur l'almanach, accroch� au mur, le nom du saint du jour et le donner � son enfant. En passant, la basque de la redingote de l'heureux p�re fr�le et balaye la feuille de papier, o� l'on inscrit la morte. Revenus chez nous, il a fallu regarder dans ses papiers, faire ramasser ses hardes, d�m�ler l'entassement des choses, des fioles, des linges que fait la maladie... remuer de la mort enfin. �'a �t� affreux de rentrer dans cette mansarde o� il y avait encore, dans le creux du lit entr'ouvert, les miettes de pain de son repas. J'ai jet� la couverture sur le traversin, comme un drap sur l'ombre d'un mort. * * * * * _Lundi_ 18 _ao�t._--... La chapelle est � c�t� de l'amphith��tre. � l'h�pital, Dieu et le cadavre voisinent. � la messe dite pour la pauvre femme, � c�t� de sa bi�re, on en range deux ou trois autres qui b�n�ficient du service. Il y a je ne sais quelle r�pugnante promiscuit� de salut dans cette adjonction: c'est la fosse commune de la pri�re... Derri�re moi, � la chapelle, pleure la ni�ce de Rose, la petite qu'elle a eue un moment chez nous, et qui est maintenant une jeune fille de dix-neuf ans, �lev�e chez les soeurs de Saint-Laurent: pauvre petite fillette �tiol�e, p�lotte, rachitique, nou�e de mis�re, la t�te trop grosse pour le corps, le torse d�jet�, l'air d'une Mayeux, triste reste de toute cette famille poitrinaire attendue par la Mort et d�s maintenant touch�e par elle,--avec, en ses doux yeux, d�j� une lueur d'outre-vie. Puis, de la chapelle, au fond du cimeti�re Montmartre, �largi comme une n�cropole et prenant un quartier de la ville, une marche � pas lents et qui n'en finit pas dans la boue... Enfin les psalmodies des pr�tres, et le cercueil, que les bras des fossoyeurs laissent glisser avec effort, au bout de cordes, comme une pi�ce de vin qu'on descend � la cave. * * * * * _Mercredi_ 20 _ao�t_.--Il me faut encore retourner � l'h�pital. Car entre la visite, que j'ai faite � Rose le jeudi, et sa brusque mort, un jour apr�s, il y a pour moi un inconnu que je repousse de ma pens�e, mais qui revient toujours en moi: l'inconnu de cette agonie dont je ne sais rien, de cette fin si soudaine. Je veux savoir et je crains d'apprendre. Il ne me para�t pas qu'elle soit morte; j'ai seulement d'elle le sentiment d'une personne disparue. Mon imagination va � ses derni�res heures, les cherche � t�tons, les reconstruit dans la nuit, et elles me tourmentent de leur horreur voil�e, ces heures!... j'ai besoin d'�tre fix�. Enfin, ce matin, je prends mon courage � deux mains. Et je revois l'h�pital, et je revois le concierge rougeaud, ob�se, puant la vie comme on pue le vin; et je revois ces corridors o� de la lumi�re du matin tombe sur la p�leur de convalescentes souriantes... Dans un coin recul�, je sonne � une porte aux petits rideaux blancs. On ouvre et je me trouve dans un parloir, o�, entre deux fen�tres, une Vierge est pos�e sur une sorte d'autel. Aux murs de la pi�ce expos�e au nord, de la pi�ce froide et nue, il y a, je ne m'explique pas pourquoi, deux vues du V�suve encadr�es, de malheureuses gouaches, qui semblent, l� toutes frissonnantes et toutes d�pays�es. Par une porte ouverte derri�re moi, d'une petite pi�ce o� le soleil donne en plein, il m'arrive des caquetages de soeurs et d'enfants, de jeunes joies, de bons petits �clats de rire, toutes sortes de notes et de vocalisations fra�ches: un bruit de voli�re ensoleill�e... Des soeurs en blanc, � coiffe noire, passent et repassent; une s'arr�te devant ma chaise. Elle est petite, mal venue, avec une figure laide et tendre, une pauvre figure � la gr�ce de Dieu. C'est la m�re de la salle Saint-Joseph. Elle me raconte comment Rose est morte, ne souffrant pour ainsi dire plus, se trouvant mieux, presque bien, toute remplie de soulagement et d'esp�rance. Le matin, son lit refait, sans se voir du tout mourir, soudainement elle s'en est all�e dans un vomissement de sang qui a dur� quelques secondes. Je suis sorti de l�, rass�r�n�, d�livr� de l'horrible pens�e qu'elle avait eu l'avant-go�t de la mort, la terreur de son approche. * * * * * _Jeudi_ 21 _ao�t._ ... Au milieu du d�ner rendu tout triste par la causerie qui va et revient sur la morte, Maria, qui est venue d�ner ce soir, apr�s deux ou trois coups nerveux du bout de ses doigts sur le cr�page de ses blonds cheveux bouffants, s'�crie: �Mes amis, tant que la pauvre fille a v�cu, j'ai gard� le secret professionnel de mon m�tier... Mais maintenant qu'elle est en terre, il faut que vous sachiez la v�rit�.� Et nous apprenons sur la malheureuse des choses qui nous coupent l'app�tit, en nous mettant dans la bouche l'amertume acide d'un fruit coup� avec un couteau d'acier. Et toute une existence inconnue, odieuse, r�pugnante, lamentable, nous est r�v�l�e. Les billets qu'elle a sign�s, les dettes qu'elle a laiss�es chez tous les fournisseurs, ont le dessous le plus impr�vu, le plus surprenant, le plus incroyable. Elle entretenait des hommes, le fils de la cr�mi�re, auquel elle a meubl� une chambre, un autre auquel elle portait notre vin, des poulets, de la victuaille... Une vie secr�te d'orgies nocturnes, de d�couchages, de fureurs ut�rines qui faisaient dire � ses amants: �Nous y resterons, elle ou moi!� Une passion, des passions � la fois de toute la t�te, de tout le coeur, de tous les sens, et o� se m�laient toutes les maladies de la mis�rable fille, la phtisie qui apporte de la fureur � la jouissance, l'hyst�rie, un commencement de folie. Elle a eu avec le fils de la cr�mi�re deux enfants, dont l'un a v�cu six mois. Il y a quelques ann�es, quand elle nous a dit qu'elle allait dans son pays, c'�tait pour accoucher. Et � l'�gard de ces hommes, c'�tait une ardeur si extravagante, si maladive, si d�mente, qu'elle--l'honn�tet� en personne autrefois--nous volait, nous prenait des pi�ces de vingt francs sur des rouleaux de cent francs, pour que les amoureux qu'elle payait, ne la quittassent pas. Or, apr�s ces malhonn�tes actions involontaires, ces petits crimes arrach�s � sa droite nature, elle s'enfon�ait en de tels reproches, en de tels remords, en de telles tristesses, en de tels noirs de l'�me, que dans cet enfer, o� elle roulait de fautes en fautes, d�sesp�r�e et inassouvie, elle s'�tait mise � boire pour �chapper � elle-m�me, se sauver du pr�sent, se noyer et sombrer quelques heures dans ces sommeils, dans ces torpeurs l�thargiques qui la vautraient toute une journ�e en travers d'un lit, sur lequel elle �chouait en le faisant. La malheureuse! que de pr�dispositions et de motifs et de raisons, elle trouvait en elle pour se d�vorer et saigner en dedans: d'abord le repoussement par moments d'id�es religieuses avec les terreurs d'un enfer de feu et de soufre; puis la jalousie, cette jalousie toute particuli�re qui, � propos de tout et de tous, empoisonnait sa vie; puis, puis... puis le d�go�t que les hommes, au bout de quelque temps, lui t�moignaient brutalement pour sa laideur, et qui la poussait de plus en plus � la boisson, l'amenait un jour � faire une fausse couche, en tombant ivre-morte sur le parquet. Cet affreux d�chirement du voile que nous avions devant les yeux, c'est comme l'autopsie d'une poche pleine d'horribles choses dans une morte tout � coup ouverte... Par ce qui nous est dit, j'entrevois soudainement tout ce qu'elle a d� souffrir depuis dix ans: et les craintes pr�s de nous d'une lettre anonyme, d'une d�nonciation de fournisseur, et la tr�pidation continuelle � propos de l'argent qu'on lui r�clamait et qu'elle ne pouvait rendre, et la honte �prouv�e par l'orgueilleuse cr�ature pervertie, en cet abominable quartier Saint-Georges, � la suite de ses fr�quentations avec de basses gens qu'elle m�prisait, et la vue douloureuse de la s�nilit� pr�matur�e que lui apportait l'ivrognerie, et les exigences et les duret�s inhumaines des maquereaux du ruisseau, et les tentations de suicide qui me la faisaient un jour retirer d'une fen�tre, o� elle �tait compl�tement pench�e en dehors... et enfin toutes ces larmes que nous croyions sans causes;--cela m�l� � une tendresse d'entrailles tr�s profonde pour nous, � un d�vouement, comme pris de fi�vre, dans les maladies de l'un ou de l'autre. Et chez cette femme, une �nergie de caract�re, une force de volont�, un art du myst�re auxquels rien ne peut �tre compar�. Oui, oui, une fermeture de tous ces affreux secrets, cach�s et renfonc�s en elle, sans une �chappade � nos yeux, � nos oreilles, � nos sens d'observateur, m�me dans ses attaques de nerfs, o� rien ne sortait d'elle que des g�missements: un myst�re continu� jusqu'� la mort et qu'elle devait croire enterr� avec elle. Et de quoi est-elle morte? d'avoir �t�, il y a de cela huit mois, en hiver, par la pluie, guetter toute une nuit, � Montmartre, le fils de la cr�mi�re qui l'avait chass�e, pour savoir par quelle femme il l'avait remplac�e: toute une nuit pass�e contre la fen�tre d'un rez-de-chauss�e, et dont elle avait rapport� ses effets tremp�s jusqu'aux os avec une pleur�sie mortelle! Pauvre cr�ature, nous lui pardonnons, et m�me une grande commis�ration nous vient pour elle, en nous rendant compte de tout ce qu'elle a souffert... Mais, pour la vie, il est entr� en nous la d�fiance du sexe entier de la femme, et de la femme de bas en haut comme de la femme de haut en bas. Une �pouvante nous a pris du double fond de son �me, de la facult� puissante, de la science, du g�nie consomm�, que tout son �tre a du mensonge... * * * * * Ces notes, je les extrais de notre journal: JOURNAL DES GONCOURT (_M�moires de la vie litt�raire_); elles sont l'embryon documentaire sur lequel, deux ans apr�s, mon fr�re et moi composions GERMINIE LACERTEUX, �tudi�e et montr�e par nous en service chez notre vieille cousine, Mlle de Courmont, dont nous �crivions une biographie v�ridique � la fa�on d'une biographie d'histoire moderne. EDMOND DE GONCOURT. Auteuil, avril 1886. LA FILLE �LISA PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[8] Mon fr�re et moi, il y a treize ans, nous �crivions en t�te de GERMINIE LACERTEUX: Aujourd'hui que le roman s'�largit et grandit, qu'il commence � �tre la grande forme s�rieuse, passionn�e, vivante de l'�tude litt�raire et de l'enqu�te sociale, qu'il devient par l'analyse et la recherche psychologique l'Histoire morale contemporaine; aujourd'hui que le roman s'est impos� les �tudes et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libert�s et les franchises. En 1877, ces libert�s et ces franchises, je viens seul, et une derni�re fois peut-�tre, les r�clamer hautement et bravement pour ce nouveau livre, �crit dans le m�me sentiment de curiosit� intellectuelle et de commis�ration pour les mis�res humaines. Ce livre, j'ai la conscience de l'avoir fait aust�re et chaste, sans que jamais la page �chapp�e � la nature d�licate et br�lante de mon sujet, apporte autre chose � l'esprit de mon lecteur qu'une m�ditation triste. Mais il m'a �t� impossible parfois de ne pas parler comme un m�decin, comme un savant, comme un historien. Il serait vraiment injurieux pour nous, la jeune et s�rieuse �cole du roman moderne, de nous d�fendre de penser, d'analyser, de d�crire tout ce qu'il est permis aux autres de mettre dans un volume qui porte sur sa couverture: _�tude_ ou tout autre intitul� grave. On ne peut, � l'heure qu'il est, vraiment plus condamner le genre � �tre l'amusement des jeunes demoiselles en chemin de fer. Nous avons acquis depuis le commencement du si�cle, il me semble, le droit d'�crire pour les hommes faits, sinon s'imposerait � nous la douloureuse n�cessit� de recourir aux presses �trang�res, et d'avoir comme sous Louis XIV et sous Louis XV, en plein r�gime r�publicain de la France, nos �diteurs de Hollande. Les romans, � l'heure pr�sente, sont remplis des faits et gestes de la prostitution _clandestine_, graci�s et pardonn�s dans une prose galante et parfois polissonne. Il n'est question dans les volumes florissant aux �talages que des amours v�nales de dames aux Cam�lias, de lorettes, de filles d'amour en contravention et en rupture de ban avec la police des moeurs, et il y aurait un danger � dessiner une s�v�re monographie de la prostitu�e _non clandestine_, et l'immoralit� de l'auteur, remarquez-le, grandirait en raison de l'abaissement du tarif du vice? Non, je ne puis le croire! Mais la prostitution et la prostitu�e, ce n'est qu'un �pisode,--la prison et la prisonni�re: voil� l'int�r�t de mon livre. Ici, je ne me cache pas d'avoir, au moyen du plaidoyer permis du roman, tent� de toucher, de remuer, de donner � r�fl�chir. Oui! cette p�nalit� du _silence continu_, ce perfectionnement p�nitentiaire, auquel l'Europe n'a pas os� cependant emprunter ses coups de fouet sur les �paules nues de la femme, cette torture s�che, ce ch�timent hypocrite allant au del� de la peine �dict�e par les magistrats et tuant pour toujours la raison de la femme condamn�e � un nombre limit� d'ann�es de prison, ce r�gime am�ricain et non fran�ais, ce syst�me Auburn, j'ai travaill� � le combattre avec un peu de l'encre indign�e qui, au XVIIIe si�cle, a fait rayer la torture de notre ancien droit criminel. Et mon ambition, je l'avoue, serait que mon livre donn�t la curiosit� de lire les travaux sur la _folie p�nitentiaire_[9], amen�t � rechercher le chiffre des _imb�ciles_ qui existent aujourd'hui dans les prisons de Clermont, de Montpellier, de Cadillac, de Doullens, de Rennes, d'Auberive; f�t, en dernier ressort, examiner et juger la belle illusion de l'amendement moral par le silence; que mon livre enfin e�t l'art de parler au coeur et � l'�motion de nos l�gislateurs. D�cembre 1876. LES FR�RES ZEMGANNO. PR�FACE[10] On peut publier des ASSOMMOIR et des GERMINIE LACERTEUX, et agiter et remuer et passionner une partie du public. Oui! mais, pour moi, les succ�s de ces livres ne sont que de brillants combats d'avant-garde, et la grande bataille qui d�cidera de la victoire du r�alisme, du naturalisme, de l'_�tude d'apr�s nature_ en litt�rature, ne se livrera pas sur le terrain que les auteurs de ces deux romans ont choisi. Le jour o� l'analyse cruelle que mon ami, M. Zola, et peut-�tre moi-m�me, avons apport�e dans le peinture du bas de la soci�t�, sera reprise par un �crivain de talent, et employ�e � la reproduction des hommes et des femmes du monde, dans des milieux d'�ducation et de distinction,--ce jour l� seulement, le classicisme et sa queue seront tu�s. Ce roman r�aliste de l'�l�gance, �a avait �t� notre ambition � mon fr�re et � moi de l'�crire. Le R�alisme, pour user du mot b�te, du mot drapeau, n'a pas en effet l'unique mission de d�crire ce qui est bas, ce qui est r�pugnant, ce qui pue; il est venu au monde aussi, lui, pour d�finir, dans de l'�criture _artiste_, ce qui est �lev�, ce qui est joli, ce qui sent bon, et encore pour donner les aspects et les profils des �tres raffin�s et des choses riches: mais cela, en une �tude appliqu�e, rigoureuse et non conventionnelle et non imaginative de la beaut�, une �tude pareille � celle que la nouvelle �cole vient de faire, en ces derni�res ann�es, de la laideur. Mais pourquoi, me dira-t-on, ne l'avez-vous pas fait, ce roman? ne l'avez-vous pas au moins tent�. Ah! voil�... Nous avons commenc�, nous, par la canaille, parce que la femme et l'homme du peuple, plus rapproch�s de la nature et de la sauvagerie, sont des cr�atures simples et peu compliqu�es, tandis que le Parisien et la Parisienne de la soci�t�, ces civilis�s excessifs, dont l'originalit� tranch�e est faite toute de nuances, toute de demi-teintes, toute de ces riens insaisissables, pareils aux riens coquets et neutres avec lesquels se fa�onne le caract�re d'une toilette distingu�e de femme, demandent des ann�es pour qu'on les perce, pour qu'on les sache, pour qu'on les _attrape_,--et le romancier du plus grand g�nie, croyez-le bien, ne les devinera jamais, ces gens de salon, avec les _racontars_ d'amis qui vont pour lui � la d�couverte dans le monde. Puis autour de ce Parisien, de cette Parisienne, tout est long, difficile, diplomatiquement laborieux � saisir. L'int�rieur d'un ouvrier, d'une ouvri�re, un observateur l'emporte en une visite; un salon parisien, il faut user la soie de ses fauteuils pour en surprendre l'�me, et confesser � fond son palissandre ou son bois dor�. Donc ces hommes, ces femmes et m�me les milieux dans lesquels ils vivent, ne peuvent se rendre qu'au moyen d'immenses emmagasinements d'observations, d'innombrables notes prises � coups de lorgnon, de l'amassement d'une collection de _documents humains_, semblable � ces montagnes de calepins de poche qui repr�sentent, � la mort d'un peintre, tous les croquis de sa vie. Car seuls, disons-le bien haut, les documents humains font les bons livres: les livres o� il y a de la vraie humanit� sur ses jambes. Ce projet de roman qui devait se passer dans le grand monde, dans le monde le plus quintessenci�, et dont nous rassemblions lentement et minutieusement les �l�ments d�licats et fugaces, je l'abandonnais apr�s la mort de mon fr�re, convaincu de l'impossibilit� de le r�ussir tout seul... puis je le reprenais... et ce sera le premier roman que je veux publier. Mais le ferai-je maintenant � mon �ge? c'est peu probable... et cette pr�face a pour but de dire aux jeunes que le succ�s du r�alisme est l�, seulement l�, et non plus dans le _canaille litt�raire_, �puis� � l'heure qu'il est, par leurs devanciers. Quant aux FR�RES ZEMGANNO, le roman que je publie aujourd'hui: c'est une tentative dans une r�alit� po�tique[11]. Les lecteurs se plaignent des dures �motions que les �crivains contemporains leur apportent avec leur r�alit� brutale; ils ne se doutent gu�re que ceux qui fabriquent cette r�alit� en souffrent bien autrement qu'eux, et que quelquefois ils restent malades, nerveusement, pendant plusieurs semaines, du livre p�niblement et douloureusement enfant�. Eh bien! cette ann�e, je me suis trouv� dans une de ces heures de la vie, vieillissantes, maladives, l�ches devant le travail poignant et angoisseux de mes autres livres, en un �tat de l'�me o� la v�rit� trop vraie m'�tait antipathique � moi aussi!--et j'ai fait cette fois de l'imagination dans du r�ve m�l� � du souvenir. EDMOND DE GONCOURT. 23 mars 1879. LA FAUSTIN PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[12] Aujourd'hui, lorsqu'un historien se pr�pare � �crire un livre sur une femme du pass�, il fait appel � tous les d�tenteurs de l'intime de la vie de cette femme, � tous les possesseurs de petits morceaux de papier, o� se trouve racont� un peu de l'histoire de l'�me de la morte. Pourquoi, � l'heure actuelle, un romancier (qui n'est au fond qu'un historien des gens qui n'ont pas d'histoire), pourquoi ne se servirait-il pas de cette m�thode, en ne recourant plus � d'incomplets fragments de lettres et de journaux, mais en s'adressant � des souvenirs vivants, peut-�tre tout pr�ts � venir � lui? Je m'explique: je veux faire un roman qui sera simplement une �tude psychologique et physiologique de jeune fille, grandie et �lev�e dans la serre chaude d'une capitale, un roman b�ti sur des _documents humains_[13]. Eh bien, au moment de me mettre � ce travail, je trouve que les livres �crits sur les femmes par les hommes, manquent, manquent... de la collaboration f�minine,--et je serais d�sireux de l'avoir, cette collaboration, et non pas d'une seule femme, mais d'un tr�s grand nombre. Oui, j'aurais l'ambition de composer mon roman, avec un rien de l'aide et de la confiance des femmes, qui me font l'honneur de me lire. D'aventures, il est bien entendu que je n'en ai nul besoin; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des d�tails sur l'�veil simultan� de l'intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l'�tre nouveau cr�� chez l'adolescente par la premi�re communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des �panchements sur les sensations d'une jeune fille, les premi�res fois qu'elle va dans le monde, mais des analyses d'un sentiment dans de l'amour qui s'ignore, mais le d�voilement d'�motions d�licates et de pudeurs raffin�es, enfin, toute l'inconnue _f�minilit�_ du tr�fonds de la femme, que les maris et m�me les amants passent leur vie � ignorer... voil� ce que je demande. Et je m'adresse � mes lectrices de tous les pays, r�clamant d'elles, en ces heures vides de d�soeuvrement, o� le pass� remonte en elles, dans de la tristesse ou du bonheur, de mettre sur du papier un peu de leur pens�e en train de se ressouvenir, et cela fait, de le jeter anonymement � l'adresse de mon �diteur. EDMOND DE CONCOURT. Auteuil, 15 octobre 1881. CH�RIE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[14] Voici le roman que j'annon�ais dans l'introduction de LA FAUSTIN, et auquel je travaille depuis deux ans. C'est une monographie de jeune fille, observ�e dans le milieu des �l�gances de la richesse, du pouvoir, de la supr�me bonne compagnie, une �tude de jeune fille du monde officiel sous le second Empire. Pour le livre que je r�vais, il e�t peut-�tre �t� pr�f�rable d'avoir pour mod�le une jeune fille du faubourg Saint-Germain, dont l'affinement et les s�lections de race, les traditions de famille, les aristocratiques relations, l'air ambiant m�me du faubourg qu'elle habite, auraient dot� mon roman d'un type � la distinction plus profond�ment ancr�e dans les veines, � la distinction perfectionn�e par plusieurs g�n�rations. Mais cette jeune fille �tait � peindre par Balzac, aux temps de la Restauration ou du r�gne de Louis-Philippe,--et plus en ces ann�es, o� le monde l�gitimiste n'appartient presque pas, on peut le dire, � la vie vivante du si�cle. Ce roman de CH�RIE a �t� �crit avec les recherches qu'on met � la composition d'un livre d'histoire, et je crois pouvoir avancer qu'il est peu de livres sur la femme, sur l'intime _f�minilit�_ de son �tre depuis l'enfance jusqu'� ses vingt ans, peu de livres fabriqu�s avec autant de causeries, de confidences, de confessions f�minines: bonnes fortunes litt�raires arrivant, h�las! aux romanciers qui ont soixante ans sonn�s. Je me suis appliqu� � rendre le joli et le distingu� de mon sujet et j'ai travaill� � cr�er de la _r�alit� �l�gante_; toutefois--et l� �tait peut-�tre le gros succ�s,--je n'ai pu me r�soudre � faire de ma jeune fille l'individu non humain, la cr�ature insexuelle, abstraite, mensong�rement id�ale des romans _chic_ d'hier et d'aujourd'hui. On trouvera bien certainement la fabulation de CH�RIE manquant d'incidents, de p�rip�ties, d'intrigue. Pour mon compte, je trouve qu'il y en a encore trop. S'il m'�tait donn� de redevenir plus jeune de quelques ann�es, je voudrais faire des romans sans plus de complications que la plupart des drames intimes de l'existence, des amours finissant sans plus de suicides que les amours que nous avons tous travers�s; et la mort, cette mort que j'emploie volontiers pour le d�nouement de mes romans, de celui-ci comme des autres, quoiqu'un peu plus _comme il faut_ que le mariage, je la rejetterais de mes livres, ainsi qu'un moyen th��tral d'un emploi m�prisable dans de la haute litt�rature. Oui, je crois,--et ici, je parle pour moi bien tout seul,--je crois que l'aventure, la machination _livresque_ a �t� �puis�e par Souli�, par Sue, par les grands imaginateurs du commencement du si�cle, et ma pens�e est que la derni�re �volution du roman, pour arriver � devenir tout � fait le grand livre des temps modernes, c'est de se faire un livre de pure analyse: livre pour lequel--je l'ai cherch�e sans r�ussite--un _jeune_ trouvera peut-�tre, quelque jour, une nouvelle d�nomination, une d�nomination autre que celle de roman. Et � propos du roman sans p�rip�ties, sans intrigue, sans bas amusement, tranchons le mot, qu'on ne me jette pas � la t�te le go�t du public! Le public... trois ou quatre hommes, pas plus, tous les trente ans, lui retournent ses cat�chismes du beau, lui changent, du tout au tout, ses go�ts de litt�rature et d'art, et font adorer � la g�n�ration qui s'�l�ve ce que la g�n�ration pr�c�dente r�putait ex�crable. Aujourd'hui la reconnaissance g�n�rale de Hugo et Delacroix n'est-elle pas la n�gation absolue de la religion litt�raire et picturale de la Restauration, et n'y a-t-il pas, en ce moment, des sympt�mes naissants de reconnaissances d'�coles qui seront � leur tour la n�gation de ce qui r�gne � peu pr�s souverainement encore? Le public n'estime et ne reconna�t � la longue que ceux qui l'ont scandalis� tout d'abord, les _apporteurs de neuf_, les r�volutionnaires du livre et du tableau,--les messieurs enfin, qui, dans la marche et le renouvellement incessants et universels des choses du monde, osent contrarier l'immuabilit� paresseuse de ses opinions toutes faites. Arrivons maintenant pour moi � la grave question du moment. Dans la presse, en ces derniers temps, s'est produite une certaine opinion s'�levant contre l'effort d'�crire, opinion qui a amen� un �branlement dans quelques convictions mal affermies de notre petit monde. Quoi! nous les romanciers, les ouvriers du genre litt�raire triomphant au XIXe si�cle, nous renoncerions � ce qui a �t� la marque de fabrique de tous les vrais �crivains de tous les temps et de tous les pays, nous perdrions l'ambition d'avoir une langue rendant nos id�es, nos sensations, nos figurations des hommes et des choses, d'une fa�on distincte de celui-ci ou de celui-l�, une langue personnelle, une langue portant notre signature, et nous descendrions � parler le langage _omnibus_ des faits divers! Non, le romancier, qui a le d�sir de se survivre, continuera � s'efforcer de mettre dans sa prose de la po�sie, continuera � vouloir un rythme et une cadence pour ses p�riodes, continuera � rechercher l'image peinte, continuera � courir apr�s l'�pith�te rare, continuera, selon la r�daction d'un d�licat styliste de ce si�cle, � combiner dans une expression le _trop_ et l'_assez_, continuera � ne pas se refuser un tour pouvant faire de la peine aux ombres de MM. No�l et Chapsal, mais lui paraissant apporter de la vie � sa phrase, continuera � ne pas rejeter un vocable comblant un trou parmi les rares mots[15] admis � monter dans les carrosses de l'Acad�mie, commettra enfin, mon Dieu, oui! un n�ologisme,--et cela, dans la grande indignation de critiques ignorant absolument que: _suer � grosses gouttes_, _prendre � t�che_, _tourner la cervelle_, _chercher chicane_, avoir l'air _constern�_, etc., etc., et presque toutes les locutions qu'ils emploient journellement, �taient d'abominables n�ologismes en l'ann�e 1750. Puis toujours, toujours, ce romancier �crira en vue de ceux qui ont le go�t le plus pr�cieux, le plus raffin� de la prose fran�aise, et de la prose fran�aise de l'heure actuelle, et toujours il s'appliquera � mettre dans ce qu'il �crit cet ind�finissable exquis et charmeur, que la plus intelligente traduction ne peut jamais faire passer dans une autre langue. Quant � �crire, selon la recommandation de mon ami, M. Taine, en faveur du Su�dois ou du Canadien[16], qui sait aux trois quarts le fran�ais ou l'a oubli� � moiti�, je ne ferai pas � cette th�orie l'honneur de la discuter. Joubert, l'auteur des PENS�ES, n'avait pas cette servile pr�occupation du suffrage universel en mati�re de style, quand il adjurait Mme de Beaumont de recommander � Chateaubriand �de garder avec soin les singularit�s qui lui �taient propres� et �de se montrer constamment ce que Dieu l'avait fait�, corroborant ce brave conseil par cette curieuse phrase: �Les �trangers... ne trouveront que frappant, ce que les habitudes de notre langue nous portent machinalement � croire bizarre dans le premier moment.� Et parmi le d�cha�nement de la critique, c'est encore Joubert, qui engage l'�crivain, attaqu� dans les modernit�s de sa prose nouvelle, � persister � _chanter son propre ramage_[17]. R�p�tons-le, le jour o� n'existera plus chez le lettr� l'effort d'�crire, et l'effort d'�crire personnellement, on peut �tre s�r d'avance que le reportage aura succ�d� en France � la litt�rature. T�chons donc d'�crire m�diocrement, d'�crire mal, m�me plut�t que ne pas �crire du tout; mais qu'il soit bien entendu qu'il n'existe pas un patron de style unique, ainsi que l'enseignent les professeurs de l'_�ternel beau_, mais que le style de La Bruy�re, le style de Bossuet, le style de Saint-Simon, le style de Bernardin de Saint-Pierre, le style de Diderot, tout divers et dissemblables qu'ils soient, sont des styles d'�gale valeur, des styles d'�crivains parfaits. Et peut-�tre l'esp�ce d'h�sitation du monde lettr� � accorder � Balzac la place due � l'immense grand homme, vient-elle de ce qu'il n'est point un �crivain qui ait un style personnel? Que mon lecteur me permette aujourd'hui d'�tre un peu plus long que d'habitude, cette pr�face �tant la pr�face de mon dernier livre, une sorte de testament litt�raire. Il y a aujourd'hui plus de trente ans que je lutte, que je peine, que je combats, et pendant nombre d'ann�es, nous �tions, mon fr�re et moi, tout seuls, sous les coups de tout le monde. Je suis fatigu�, j'en ai assez, je laisse la place aux autres. Je crois aussi qu'il ne faut pas s'attarder dans la litt�rature d'imagination, au del� de certaines ann�es, et qu'il est sage de pr�matur�ment choisir son heure pour en sortir. Enfin, j'ai besoin de relire nos confessions, notre livre pr�f�r� entre tous, un journal de notre double vie, commenc� le jour de l'entr�e en litt�rature des deux fr�res et ayant pour titre: JOURNAL DE LA VIE LITT�RAIRE (1851-188.), journal qui ne doit para�tre que vingt ans apr�s ma mort. Et devant le mena�ant avenir promis par le p�trole et la dynamite aux choses secr�tes l�gu�es � la post�rit�, je donne aujourd'hui la pr�face de ce journal[18]. S'il vient � p�rir, ce sera toujours �a au moins de sauv�. * * * * * Maintenant toi, petite CH�RIE, toi, pauvre dernier volume du dernier des Goncourt, va o� sont all�s tous tes a�n�s, depuis LES HOMMES DE LETTRES jusqu'� LA FAUSTIN, va t'exposer aux m�pris, aux d�dains, aux ironies, aux injures, aux insultes, dont le labeur obstin� de ton auteur, sa vieillesse, les tristesses de sa vie solitaire ne le d�fendaient pas encore hier, et qui cependant lui laissent enti�re, malgr� tout et tous, une confiance � la Stendhal dans le si�cle qui va venir. Deux ou trois mois avant la mort de mon fr�re, � la sortie de l'�tablissement hydroth�rapique de Beni-Barde, tous deux nous faisions notre promenade de tous les matins, au soleil, dans une certaine all�e du bois de Boulogne, o� je ne repasse plus,--une promenade silencieuse, comme il s'en fait, en ces moments de la vie, entre gens qui s'aiment et se cachent l'un � l'autre leur triste pens�e fixe. Tout � coup brusquement mon fr�re s'arr�ta, et me dit: ��a ne fait rien, vois-tu, on nous niera tant qu'on voudra... il faudra bien reconna�tre un jour que nous avons fait GERMINIE LACERTEUX... et que �Germinie Lacerteux� est le livre-type qui a servi de mod�le � tout ce qui a �t� fabriqu� depuis nous, sous le nom de r�alisme, naturalisme, etc. Et d'un! �Maintenant par les �crits, par la parole, par les achats... qu'est-ce qui a impos� � la g�n�ration aux commodes d'acajou, le go�t de l'art et du mobilier du XVIIIe si�cle?... O� est celui qui osera dire que ce n'est pas nous? Et de deux! �Enfin cette description d'un salon parisien meubl� de japonaiseries, publi�e dans notre premier roman, dans notre roman d'EN 18.., paru en 1851... oui, en 1851...--qu'on me montre les japonisants de ce temps-l�...--Et nos acquisitions de bronzes et de laques de ces ann�es chez Mallinet et un peu plus tard chez Mme Desoye... et la d�couverte en 1860, � la _Porte Chinoise_, du premier album japonais connu � Paris... connu au moins du monde des litt�rateurs et des peintres... et les pages consacr�es aux choses du Japon dans MANETTE SALOMON, dans ID�ES ET SENSATIONS... ne font-ils pas de nous les premiers propagateurs de cet art... de cet art en train, sans qu'on s'en doute, de r�volutionner l'optique des peuples occidentaux? Et de trois! �Or la recherche du _vrai_ en litt�rature, la r�surrection de l'art du XVIIIe si�cle, la victoire du japonisme: ce sont, sais-tu,--ajouta-t-il apr�s un silence, et avec un r�veil de la vie intelligente dans l'oeil,--ce sont les trois grands mouvements litt�raires et artistiques de la seconde moiti� du XIXe si�cle... et nous les aurons men�s, ces trois mouvements... nous pauvres obscurs. Eh bien! quand on a fait cela... c'est vraiment difficile de n'�tre pas _quelqu'un_ dans l'avenir.� Et, ma foi, le promeneur mourant de l'all�e du bois de Boulogne pourrait peut-�tre avoir raison. EDMOND DE GONCOURT. QUELQUES CR�ATURES DE CE TEMPS PR�FACE DE LA SECONDE �DITION Ce livre, publi� � tr�s petit nombre, et �puis� depuis des ann�es, a paru portant sur sa couverture: UNE VOITURE DE MASQUES. Je r��dite ce livre aujourd'hui sous un titre qui me semble mieux le nommer. Ce volume compl�te l'OEuvre d'imagination des deux fr�res. Il montre, lors de notre d�but litt�raire, la tendance de nos esprits � d�j� introduire dans l'invention la r�alit� du _document humain_, � faire entrer dans le roman, un peu de cette histoire individuelle qui, dans l'Histoire, n'a pas d'historien. EDMOND DE GONCOURT. Ao�t 1876. TH��TRE HENRIETTE MAR�CHAL HISTOIRE DE LA PI�CE QUI A SERVI DE PR�FACE � LA PREMI�RE �DITION[19] Voici une pi�ce qui excite bien des passions, bien des col�res et bien des haines. Nous allons raconter son histoire. Et cette histoire restera une page curieuse et instructive de l'histoire litt�raire de ce temps-ci. Nous demandons pardon au public de lui parler de nous: notre excuse est de ne lui en avoir jamais parl� jusqu'ici. Nous terminions, au mois de d�cembre 1863[20], le drame intitul� HENRIETTE MAR�CHAL; et vers la fin de janvier 1864, nous le pr�sentions � M. de Beaufort, alors directeur du Vaudeville. Dans le mois de juin ou de juillet, M. de Beaufort nous le rendait, en nous disant, de premier mot, tr�s nettement, qu'il �tait impossible. Nous essayions de faire valoir aupr�s de lui la nouveaut� au th��tre de l'acte de l'Op�ra; il nous r�pondait que cela avait �t� fait par tout le monde. Nous lui demandions s'il ne croyait pas notre pi�ce, telle qu'elle �tait, appel�e � plus de repr�sentations que la pi�ce qu'il avait jou�e cette semaine-l�, et qui �tait morte au bout de trois soir�es: il nous laissait entendre, d'ailleurs tr�s poliment, qu'il ne le croyait pas. Sur ce refus, nous jetions, assez d�courag�s, notre pi�ce dans un tiroir, nous promettant de revenir plus tard � la sc�ne par le roman, et de ne plus frapper � la porte d'un directeur qu'avec un de ces noms qui se font ouvrir le th��tre. Le travail et l'�motion d'�crire GERMINIE LACERTEUX nous faisaient compl�tement oublier notre pi�ce, quand, un soir du printemps de 1865, un de nos amis ayant une soir�e � passer avec nous, et ne sachant comment la perdre, nous demanda de lui lire notre HENRIETTE. Nous e�mes assez de mal � retrouver le manuscrit. � la fin de la lecture, l'ami fut pris par l'int�r�t de la pi�ce, nous complimenta, nous pr�dit que nous serions jou�s. Nous ne le croyions gu�re, sachant toute la r�pugnance des directeurs � accepter une pi�ce de gens accus�s de litt�rature, de style et d'art. Cependant cette lecture nous avait, malgr� nous, un peu rattach�s � HENRIETTE. � ce moment, M. de Girardin venait de lire le SUPPLICE D'UNE FEMME chez la princesse Mathilde. Nous avions l'honneur d'�tre re�us dans ce salon. Nous pens�mes qu'une lecture, l�, devant un public d'hommes de lettres, aurait peut-�tre chance de valoir � notre pi�ce une heure d'attention, la lecture personnelle d'un directeur de th��tre comme M. Harmand, qui avait succ�d� � M. de Beaufort, ou comme M. Montigny. La pi�ce fut lue. Elle souleva, dans le salon, des objections et des sympathies. Quelques journaux annonc�rent cette lecture, et, quelques jours apr�s, nous �crivions � M. Harmand pour lui demander un rendez-vous. Nous attendions la r�ponse du directeur du Vaudeville, lorsque nous re��mes la lettre suivante de M. Th�odore de Banville, qui avait �t� l'un des �couteurs et l'un des applaudisseurs d'HENRIETTE. Mardi, 11 avril 1865. Mes chers amis, �douard Thierry (ceci est confidentiel) m'a exprim� un vif d�sir de conna�tre votre pi�ce. Il est un de vos ardents admirateurs, il a dit du bien de vos livres dans les papiers imprim�s, et dans ce moment-ci m�me, ayant � monter une pi�ce dont l'action se passe sous le Directoire, il consulte et relit sans rel�che votre HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE SOUS LE DIRECTOIRE. Je lui ai fait observer que votre talent, votre situation litt�raire et la juste renomm�e acquise par vos longs efforts ne vous permettent pas de vouloir �tre refus�s � un th��tre. Mais il le comprend aussi bien et mieux que moi. Aussi est-ce � un point de vue non officiel et absolument amical qu'il vous prie de faire conna�tre votre pi�ce � l'homme de lettres �douard Thierry, � qui elle inspire une vive curiosit�. Pour votre gouverne, sachez bien, au pied de la lettre, que ce d�sir a �t� r�ellement et spontan�ment exprim� par Thierry, sans aucune provocation de ma part... L�-dessus nous h�sitions. � quoi servirait cette communication de notre manuscrit? � rien, nous disions-nous. Cependant un soir, passant rue de Richelieu, nous montions au Th��tre-Fran�ais; nous ne trouvions pas M. Thierry. Le 21 avril, M. Harmand nous r�pondait qu'il serait tr�s heureux de nous offrir une lecture, mais apr�s la pi�ce qu'il montait, le MONSIEUR DE SAINT-BERTRAND de M. Ernest Feydeau. Nous avions re�u, avant cette r�ponse de M. Harmand, une lettre o� M. Thierry s'excusait de ne pas s'�tre trouv� au th��tre lorsque nous y �tions venus, et se mettait � la disposition de notre jour et de notre heure. Nous allions le voir, nous lui exposions tr�s nettement l'inutilit�, pour lui, de lire notre pi�ce, une pi�ce qui ne rentrait pas dans le cadre ordinaire du r�pertoire des Fran�ais. M. Thierry insistait pour lire HENRIETTE; et il mettait tant de bonne gr�ce et de bon d�sir � vouloir la conna�tre, que nous c�dions. N'ayant aucune id�e que notre pi�ce p�t �tre retenue par le Th��tre-Fran�ais, et press�s par un rendez-vous que nous venions de recevoir de M. Harmand, nous �crivions � M. Thierry de nous renvoyer notre pi�ce. M. Thierry nous la renvoyait avec cette lettre: Messieurs et chers confr�res, J'avais l'esp�rance que vous voudriez bien venir hier reprendre votre manuscrit; il para�t que vous comptiez sur moi pour vous le renvoyer; je vous le renvoie donc avec les compliments les plus sinc�res. Je ne sais pas si le Vaudeville vous attend et si vous �tes en pourparlers avec lui; ce que je sais, c'est que la pi�ce ne me semble pas plus impossible au Th��tre-Fran�ais qu'au Vaudeville. Ce que le Th��tre-Fran�ais retrancherait, dans le premier acte, sera retranch� partout ailleurs et avec les m�mes ciseaux, ceux de la commission d'examen. Le d�no�ment est brutal, je ne dis pas non, et le coup de pistolet est terrible; mais il n'y a pas encore l� d'impossibilit� absolue. Au fond, je vois dans votre pi�ce, non pas pr�cis�ment une pi�ce bien faite, mais un d�but tr�s remarquable, et pour ma part je serais heureux de pr�senter au public cette premi�re passe d'armes de deux vrais et sinc�res talents qui gagnent leurs �perons au th��tre. Tout � vous. E. Thierry. 27 avril 1865. Sur cette lettre, qui nous mettait au coeur des esp�rances d�passant nos ambitions, nous rapportions notre manuscrit au Th��tre-Fran�ais. Quinze jours apr�s, nous obtenions une lecture du Comit�; et le 8 mai les soci�taires de la Com�die-Fran�aise nous faisaient l'honneur de recevoir notre pi�ce[21]. On a parl� de protections, d'influences ayant d�termin� cette r�ception. C'est une injure gratuite contre l'ind�pendance bien connue du Comit�, aupr�s duquel rien ne nous a recommand�s qu'un pass� de travail, des livres d'histoire honor�s de l'�loge d'un adversaire comme M. Michelet, des romans dont toute la critique s'est �mue. Et pourquoi n'y aurait-il pas l� des titres au rare honneur d'un d�but sur la premi�re sc�ne litt�raire de France? Pendant l'�t�, nous remani�mes, sur les intelligentes indications de M. Thierry, notre troisi�me acte, pour adoucir, au point de vue de la sc�ne, ce qui �tait logique, mais ce qui pouvait �tre antipathique dans la passion de la m�re. La pi�ce �tait distribu�e. Mme Arnould-Plessy daignait accepter le r�le de la m�re. M. Got, M. Bressant, M. Lafontaine, Mme Victoria Lafontaine, Mlle Dinah F�lix, voulaient bien donner � nos d�buts l'appui de leurs noms et de leurs talents. Nous recevions le bulletin de la premi�re r�p�tition, lorsque M. Delaunay, ob�issant � des scrupules et � des modesties exag�r�es d'artiste, rendait le r�le de Paul de Br�ville, pour lequel il ne se croyait plus suffisamment jeune. Ce refus de M. Delaunay arr�tait tout. Nous v�mes notre pi�ce perdue, au moins pour le moment, et nous part�mes, assez d�sesp�r�s, nous enterrer � la campagne dans le travail et la consolation d'un grand roman. Cependant la presse, avec une sympathie dont nous avons gard� le souvenir, combattait le refus de M. Delaunay. Un critique, que toutes les questions de th��tre trouvent � son poste de feuilletonniste, arm� de conscience et de bon sens, M. Sarcey, pressait M. Delaunay, au nom des auteurs et du public, de revenir sur sa r�solution et d'oser avoir vingt ans, les vingt ans de son talent. Devant cet int�r�t de la presse, la situation du th��tre, celle des deux auteurs, M. Delaunay c�dait, et nous recevions tout � coup un beau jour, le 4 novembre,--dans le trou o� nous �tions terr�s, ne pensant plus � notre pi�ce,--une lettre de M. Thierry qui nous annon�ait en m�me temps la bonne nouvelle, et l'entr�e en r�p�titions d'HENRIETTE. La pi�ce �tait r�p�t�e. Les excellents acteurs qui devaient la jouer mettaient au service des auteurs tous leurs efforts, toute leur exp�rience, donnaient, nous pouvons le dire, tout leur coeur � la pi�ce. La confiance d'un grand succ�s �tait dans tout le th��tre; et le succ�s paraissait �clater d�j� aux derni�res r�p�titions, devant l'admirable jeu des sc�nes d'amour. Pendant ce temps, la chronique s'emparait de notre pi�ce. Et cette chronique, qu'on a dit avoir d'avance tant soutenu notre pi�ce, commen�ait � lui faire la m�chante et basse guerre des cancans calomnieux, des citations falsifi�es, et des d�nonciations anonymes. Les petites informations empoisonn�es s'�coulaient dans les Correspondances. Le _Nord_ signalait et racontait notre premier acte, en lui pr�tant les couleurs d'une turpitude immorale; et nous ne savons comment l'article non sign� du _Nord_ parvenait, sous bande, � la censure. Enfin arrivait la premi�re repr�sentation. Elle avait lieu le 5 d�cembre. Tous les journaux ont racont� ce qui s'y passa. Deux hommes seulement, dans toute la presse, n'ont pas vu ce soir-l� de cabale dans la salle: ce sont M. de Bi�ville, du _Si�cle_, et M. de B�chard, de la _Gazette de France_.--Le rapprochement de ces deux extr�mes nous semble assez curieux pour le noter en passant. Qu'y a-t-il maintenant au fond de toutes ces col�res, au fond de toutes ces passions ennemies et jalouses? Il y a trois questions: La question litt�raire; La question politique; La question personnelle,--ou plut�t la question sociale. La question litt�raire!--Celle-l�, laissons-la de c�t�, nous y reviendrons plus tard. Mais aujourd'hui, il serait niais de discuter, de r�pondre, de se d�fendre, � propos d'art, quand cinquante sifflets d'omnibus �crasent tous les soirs une pi�ce que la salle veut �couter, quand une petite fraction des �coles[22] couvre de la tyrannie de son go�t et de la r�volte de ses pudeurs les applaudissements des loges, de l'orchestre, des femmes de la soci�t�, des hommes du monde, du public �l�gant, intelligent et lettr� de Paris. Non, pas de discussion. Nous nous inclinons devant nos ma�tres, devant les ma�tres de l'Od�on devenus les ma�tres du Th��tre-Fran�ais et que nous esp�rons bien voir demain les ma�tres de toutes les sc�nes, y d�cidant la chute de ce qui leur d�plaira, emp�chant les avenirs dont ils ne voudront pas, et tuant, du haut des cintres, toute pens�e qu'ils voudront tuer, par-dessus la t�te du public et la plume de la critique[23]! La question politique?--Vidons-la nettement pour n'avoir plus � y revenir. On dit, on imprime m�me, qu'on siffle notre pi�ce parce que le gouvernement l'a fait jouer, parce que la princesse Mathilde l'a impos�e au Th��tre-Fran�ais, parce que nous sommes des �prot�g�s�, des courtisans. Nous, des prot�g�s! Nous, les seuls hommes de lettres qu'on ait fait asseoir, en 1852, entre des gendarmes, sur les bancs de la police correctionnelle, pour d�lit de presse! Nous, auxquels le minist�re de la police d'alors donnait l'avertissement de ne plus �crire dans les journaux!... Nous, des courtisans!... Mais qui sommes-nous donc? Rien que des artistes qui n'ont jamais appartenu � un parti. Si nos �tudes nous ont donn� un peu de justice, et quelquefois un peu de regret pour le pass�, nous croyons que nous avons montr� dans nos livres historiques assez d'ind�pendance pour m�contenter toutes les opinions; et nous avons cette conscience que nos romans se sont assez int�ress�s aux mis�res populaires du pr�sent, et aux larmes des pauvres. Arrivons � ce grand crime que nous lisons partout et qui a rempli tous ces jours-ci de circulaires le quartier Latin: la protection de la princesse Mathilde. Ici, on nous permettra quelques d�tails,--et quelques v�rit�s. Apr�s dix ans de travail solitaire, acharn�, enrag�, sans publicit�, presque sans relations, un jour un de nos amis, M. de Chennevi�res, vint nous dire que la ma�tresse d'un des grands salons de Paris, ayant lu nos livres, d�sirait nous conna�tre. C'�tait la premi�re fois qu'un salon s'ouvrait devant nos titres litt�raires. Il y avait presque quatre ans que nous n'avions mis d'habit. Nous all�mes dans ce salon, dans le salon de cette femme, une artiste qui est coupable d'�tre n�e princesse. Nous y trouv�mes toutes les libert�s et presque toutes les intelligences, des artistes et des hommes de lettres comme nous, des philosophes, des savants, des po�tes: M. Renan et M. Berthelot, M. Claude Bernard et M. Taine, M. Sainte-Beuve et M. Bertrand, M. Th�ophile Gautier, M. Gustave Flaubert, M. Paul de Saint-Victor, M. Dumas fils, M. �mile Augier, les peintres, les sculpteurs d'avenir et de talent. Nous entend�mes l�, dans ce salon d'art et de libre pens�e, M. Sainte-Beuve d�fendre Proudhon, et M. Charles Blanc demander la lev�e de l'interdiction de la vente sur la voie publique pour l'HISTOIRE DE LA R�VOLUTION �crite par son fr�re. Ce fut l�, devant un public de lettr�s, que nous l�mes HENRIETTE MAR�CHAL, � l'exemple d'autres auteurs plus connus que nous, aussi soucieux de leur dignit�, et qui ne croyaient pas faire acte d'insolence envers le public, en consultant le premier salon de Paris sur l'effet d'une oeuvre dramatique. Est-ce pour cela qu'on nous siffle, et qu'on veut emp�cher notre pi�ce de parler au public? Mais alors qui peut dire si demain on n'ira pas huer au Salon les toiles de M. Baudry ou de M. H�bert, parce que la ma�tresse de ce salon aura �t� les voir dans leur atelier? Et pourquoi ne ferait-on pas une partie d'aller casser � une prochaine exposition les sculptures de ce grand sculpteur, M. Carpeaux, parce qu'il a eu l'imprudence de faire un chef-d'oeuvre du buste de la ma�tresse de ce salon? Si ce n'est pas pour cela qu'on nous siffle, est-ce pour quelque chose de plus grave? Est-ce parce que �cette haute protection�, comme on l'appelle, a fait pour nous ce qu'elle a fait pour d'autres,--pour M. Louis Bouilhet, par exemple, � propos de FAUSTINE? Est-ce parce qu'elle a d�fendu notre pi�ce contre la menace d'interdiction de la censure[24]? Nous, ne pouvons le croire. Nous ne pouvons croire que ce qui s'appelle la jeunesse fran�aise, en 1865, ait les ciseaux de la censure dans son drapeau. Mais, quoi qu'il en soit, puisqu'il semble y avoir quelque p�ril en ce moment � ne pas d�savouer notre reconnaissance pour une princesse qui n'a d'autres courtisans que des amis, nous la remercions ici hautement et publiquement avec une gratitude, qui serait presque tent�e de lui souhaiter une de ces fortunes o� l'on peut �prouver, autour de soi, le d�sint�ressement des d�vouements. Arrivons � la derni�re question, � la question personnelle, et cherchons en nous tout ce qui peut expliquer cet inexplicable d�cha�nement d'hostilit�s. D'abord, nous avons le malheur de nous appeler messieurs _de_ Goncourt. Mon Dieu! ce n'est pas notre faute. Nous ne faisons que porter le nom de notre grand-p�re, un avocat, membre de la Constituante de 89; le nom de notre p�re, un des plus jeunes officiers sup�rieurs de la Grande Arm�e, mort � quarante-quatre ans des suites de ses fatigues et de ses blessures, des sept coups de sabre sur la t�te d'une action d'�clat en Italie, de la campagne de Russie faite tout du long avec l'�paule droite cass�e, le lendemain de la Moskowa. Puis nous avons encore le malheur de passer pour �tre riches, de passer pour �tre heureux, de passer pour �tre arriv�s facilement. Eh bien! puisque, dans ce moment du si�cle, c'est une suspicion et une raison d'ostracisme que l'apparence de la fortune et du bonheur, il nous faut essayer de d�sarmer l'envie, en la consolant un peu. Nous avons travaill� quinze ans, renferm�s, solitaires, acharn�s au travail. Nous avons eu toutes les d�faites, tous les chagrins, tous les d�sespoirs, toutes les injures am�res de la vie litt�raire. Nous avons saign� dans notre orgueil, pendant de longues heures d'obscurit�. Pendant des ann�es, c'est � peine si nos livres nous ont pay� l'huile et le bois de nos nuits. Nous sommes arriv�s pas � pas, livre � livre, oblig�s de tout disputer et de tout conqu�rir. Et nous avons mis quinze ans enfin � parvenir au Th��tre-Fran�ais. Pour notre fortune, nous n'avons pas tout � fait douze mille livres de rentes � nous deux. Nous logeons au quatri�me, et nous avons une femme de m�nage pour nous servir. Et pour notre bonheur, il ne faut pas qu'on se l'exag�re tant: nous avons, l'un une maladie de nerfs, l'autre une maladie de foie, qui doivent assurer nos ennemis de nos souffrances dans la cruelle bataille des lettres; deux maladies qui finiront peut-�tre un jour par nous faire mourir,--� moins que nous ne mourions d'autre chose, tous les deux ensemble, selon des promesses qu'une menace a bien voulu nous faire. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. 12 d�cembre 1865. * * * * * Il nous reste � demander pardon au talent, au courage de nos grands acteurs, aux talents de Mme Arnould-Plessy, de Mme Victoria Lafontaine, de Mlle Dinah F�lix, de Mme Ramelli, de Mlle Rosa Didier, de M. Delaunay, de M. Got, de M. Bressant, de M. Lafontaine, pour les avoir expos�s � ces hu�es sauvages. Nous faisons personnellement des excuses � Mme Plessy, pour lui avoir fait subir des insultes, qu'un public fran�ais n'avait jamais encore fait subir, du moins l�, � une actrice de g�nie qui a marqu�, dans cette soir�e du 5 d�cembre, sa place entre Mme Dorval et Mlle Rachel. * * * * * Finissons cette histoire d'HENRIETTE MAR�CHAL par la lettre envoy�e par nous aux journaux, o� nous racontons comment elle a disparu de l'affiche de la Com�die-Fran�aise: 21 d�cembre 1865. Monsieur le r�dacteur en chef, Les journaux ont annonc� que les repr�sentations de notre pi�ce: HENRIETTE MAR�CHAL, �taient arr�t�es. Le fait est vrai: HENRIETTE MAR�CHAL a disparu de l'affiche du Th��tre-Fran�ais dans les circonstances suivantes. Le 15 d�cembre, il parut dans la _Gazette de France_ une attaque qui m�ritait d'�tre remarqu�e parmi toutes les attaques lanc�es, chaque soir et chaque matin, contre notre pi�ce. La _Gazette de France_ commen�ait par souligner ce qu'elle appelait �l'admiration du _Moniteur officiel_ et du _Constitutionnel_� pour notre pi�ce. Puis elle parlait du _morne silence_ dans lequel avait �t� �cout� le second acte, de l'_attitude somnolente_ du public au troisi�me. Elle ajoutait que le public ne venait l�, que pour s'amuser du scandale, que tous les applaudisseurs appartenaient � la claque, qu'il fallait l'intervention de la police pour �maintenir et comprimer le public entier � bout de patience, et se levant comme un seul homme�. L'article continuait, en nous imputant � crime ce que nous avions coup�, ce qui n'�tait plus dans la pi�ce repr�sent�e, et ce que l'auteur de l'article y mettait,--un inceste, par exemple,--dont il pr�tait gratuitement l'intention au d�nouement. Ici, la _Gazette de France_ faisait appel � la dignit� des com�diens, en leur reprochant de se m�nager quelques recettes � la faveur de la curiosit� provoqu�e par des sc�nes bruyantes; et elle terminait par un proc�d� de critique litt�raire jusqu'ici inusit�,--une d�nonciation aux contribuables! �Ce qui nous regarde, nous, _contribuables_, disait-elle, c'est de savoir si nous devons, dans un temps o� l'on parle tant d'�conomies, continuer � sacrifier trois ou quatre cent mille francs, par an, pour le plus grand profit d'une _entreprise minist�rielle_, qui sait si bien tirer profit m�me du scandale... Ce m�me jour, l'administrateur du Th��tre-Fran�ais, M. E. Thierry, venait chez nous. Nous lui demandions s'il �tait content des explications donn�es par nous en t�te de la pi�ce, que nous lui avions d�di�e. Son embarras, quelques mots, nous laissaient voir son impression. Nous lui repr�sentions notre situation, la n�cessit� o� nous avions �t� de dire la v�rit�, toute la v�rit�. Et pourquoi, ajoutions-nous, le Th��tre-Fran�ais aurait-il � rougir d'une pi�ce, parce qu'elle a pris deux fois le chemin du Vaudeville, et parce que les auteurs ont la franchise de l'avouer? Nous ne sommes pas de ceux qui �crivent pour tel ou tel th��tre; nous �crivons pour le public que peut int�resser, sur n'importe quelle sc�ne, une pi�ce qui a au moins la conscience d'�tre une oeuvre d'art. Si nous avons frapp� au Vaudeville, c'est que nous ne voyions pas plus haut des chances d'�tre jou�s; c'est que nous croyions--� tort--le Th��tre-Fran�ais ferm� � tout ce qui n'�tait pas une trag�die, une com�die en vers, ou une pi�ce en prose sign�e d'un nom aussi populaire au th��tre que celui de M. �mile Augier. Nous disions encore � M. Thierry que, si pour les inexp�riences sc�niques et les d�tails de m�tier, nous faisions bon march� de notre pi�ce, nous la trouvions, avec les critiques les plus autoris�s, digne apr�s tout du Th��tre-Fran�ais par ses qualit�s litt�raires, par un style que les auteurs des HOMMES DE LETTRES, de SOEUR PHILOM�NE, de REN�E MAUPERIN, de GERMINIE LACERTEUX, ne trouvent pas trop inf�rieur au style du r�pertoire moderne de notre grande sc�ne. M. Thierry nous r�pondait avec g�ne, sortait de sa poche l'article de la _Gazette de France_ du matin, et nous donnait lecture d'un passage de cet article, o� la _Gazette_ s'�tonnait de ne pas nous voir retirer notre pi�ce. L�-dessus, nous disions � M. Thierry que, quand m�me nous aurions fait le plus grand chef-d'oeuvre ou la plus grande turpitude, chef-d'oeuvre ou turpitude n'exciteraient pas de telles passions, un tel bruit; que ce qu'on sifflait n'�tait point notre pi�ce; et que devant cette situation, devant des attaques sans pr�c�dent, devant la majorit� des applaudissements, devant le courage et la confiance de nos acteurs, d�cid�s � lutter jusqu'au bout, nous ne pouvions ni ne voulions retirer HENRIETTE MAR�CHAL et que nous �tions d�cid�s � attendre qu'elle f�t arr�t�e par l'administration, interdite par l'autorit�. Seulement, nous demandions encore deux �preuves, celle de ce soir-l�, et celle du lundi suivant: nous esp�rions, pour cette repr�sentation du lundi, l'effet de notre brochure qu'on allait mettre en vente � quatre heures et qui nous semblait destin�e � faire revenir les gens de coeur sur le compte de notre dignit� et de notre ind�pendance. �_Lundi, c'est impossible!_� nous dit M. Thierry. Ici, qu'on le comprenne bien, nous n'accusons pas M. Thierry. Nous lui restons, et nous lui resterons toujours profond�ment reconnaissants pour le brave accueil qu'il a fait � notre pi�ce. Aussi le plaignons-nous seulement pour s'�tre trouv� dans une situation o� il ne pouvait nous accorder cette derni�re demande. La sixi�me repr�sentation avait lieu le soir de cette entrevue. Tous ceux qui y ont assist�, peuvent dire le succ�s de la pi�ce dans cette soir�e, la salle tout enti�re applaudissant, �crasant de ses bravos les quelques sifflets arri�r�s qui s'essayaient. Et c'�tait une salle de bonne foi, une salle payante: un vrai public de quatre mille francs de recette,--de trois mille neuf cent un, pour �tre exact. Nous allions voir M. Thierry apr�s la pi�ce, nous lui disions qu'il nous semblait bien dur d'�tre arr�t�s apr�s une telle soir�e, o� le succ�s semblait enfin conquis: M. Thierry nous r�pondait qu'il ne pouvait rien nous promettre. Le lendemain, HENRIETTE MAR�CHAL disparaissait de l'affiche du Th��tre-Fran�ais. Maintenant, attaqu�s � droite et � gauche, attaqu�s en m�me temps par le _Si�cle_ et par l'_Union_, par l'_Avenir national_ et par la _Gazette de France_, sans oublier le _Monde_; fusill�s par un premier Paris de la _France_, arr�t�s par l'administration,--que nous reste-t-il � faire pour une pi�ce � laquelle les sympathies de la grande critique, les feuilletons de Jules Janin, de Th�ophile Gautier, de Nestor Roqueplan, de Paul de Saint-Victor, de Louis Ulbach, de Francisque Sarcey, la presse et le public, des recettes de quatre mille francs, une location de huit jours � l'avance, devaient assurer, semblait-il, le droit de vivre? Il nous reste � faire un appel � l'opinion, � cette grande majorit� de spectateurs qui a applaudi HENRIETTE MAR�CHAL, � tout ce monde d'hommes et de femmes du Paris intelligent et lettr� qui ne veut pas que la tyrannie de la politique ou l'exag�ration de la morale touche � ses plaisirs, � ses go�ts, � ses sympathies. Il nous reste � faire un appel � nos ennemis m�mes, � ceux qui aiment la libert� et qui doivent avoir quelques regrets devant leur victoire, devant l'interdiction de notre pi�ce par mesure administrative. Agr�ez, monsieur le r�dacteur en chef, l'assurance de notre consid�ration distingu�e. APPENDICE Nous donnons ici, sans commentaires, ces deux pi�ces curieuses � confronter: Paris, 7 d�cembre 1865. Monsieur le r�dacteur, On fait circuler, au sujet de la premi�re repr�sentation d'HENRIETTE MAR�CHAL certaines accusations contre une partie du public qui composait la salle. On veut jeter sur cette d�faite une sorte de voile tout charg� de myst�re; on veut mettre de la cire aux oreilles du public; on l'entoure de paravents pour lui dissimuler les sifflets; on s'enveloppe soi-m�me d'une sorte de peplum de Chalchas-Critique, et l'on crie � la foule un de ces gros mots � l'aide desquels on explique la _Raison universelle_ et la _Cause efficiente et probante des choses!_ En v�rit�, Figaro n'eut pas tort quand il parlait des avantages de la Sainte-Cabale. On est tomb� Gros-Jean, on se rel�ve �toile! Eh bien! non, Monsieur, il n'y avait point de cabale contre la pi�ce de MM. de Goncourt. Une cabale s'organise, et quoi que l'on ait--je ne sais d�j� plus qui--pr�tendu qu'elle �tait bien disciplin�e, c'est se railler du public que de vouloir pr�tendre qu'une bulle de savon ne peut crever sans que les puissances conjur�es n'aient m�dit� sa ruine. Une cabale!... Et de qui?... et pour quoi?... contre quoi?...--Voil� trois points d'interrogation auxquels il para�t difficile de r�pondre. C'est avec ce mot de cabale que les amis satisfont la politesse, que les auteurs consolent leur g�nie, et qu'enfin on fouette le dos des innocents assez niais, pour oser exprimer une opinion qui �tait _la leur_, en face d'une salle qui, ce soir-l�, �tait toute aux soins empress�s de l'amiti�, aux beno�tes ferveurs de la sainte claque. Le poulailler a cri�, hurl�, siffl�.--Complot!... Le parterre a applaudi, applaudi, applaudi.--Ind�pendance! Renversez les mots, Monsieur, et vous aurez la v�rit�! Nous autres, nous �tions venus d�s cinq heures, les pieds dans la boue, inquiets, impatients, plus sympathiques qu'hostiles, croyant au talent de ces messieurs et pr�ts � applaudir, si nous trouvions leur pi�ce bonne. Nous �tions l� pr�s de trois cents jeunes gens... Et, en effet, on a raison de dire que nous �tions une cabale... Une cabale, c'est un complot; et nous complotions la chose la plus extraordinaire, Monsieur, celle, �tant les plus jeunes de l'assembl�e, d'�tre les seuls payants! Nous avions organis� la conspiration des pi�ces de vingt sous contre les billets d'amis. Et,--voyez � quel point nous sommes simples,--au moment o� l'on nous refusait au guichet des billets de parterre, nous subissions l'inspection d'un capitaine recruteur qui ne nous demandait qu'un peu de claque pour un bon fauteuil. Et, � notre tour, nous avons refus�;--refus�, voulant rester ind�pendants et ne pas mettre les ficelles de notre enthousiasme entre les mains d'un chef de claque, et, comme des pantins, ne pas lever les bras, jeter des cris, pleurer d'admiration, selon le caprice de Son Ind�pendance. Nous avons siffl�, comprend-on cela? siffl�, je ne sais quelles rapsodies que Bobino ne voudrait pas pour coudre � ses grelots! Siffl� un vieux paquet de ficelles dont le portrait de mon p�re, les gants de ma fille, le domino de madame, le mari qui manque le train, sont les bouts les moins roussis et les moins us�s! Siffl� un premier acte dont le r�alisme n'a m�me pas le charme de la nouveaut�: les ENFERS DE PARIS et la MARI�E DU MARDI-GRAS sont moins retrouss�s et plus joyeux! Siffl� un second acte dont la fantaisie court � travers un monde d'aphorismes pr�tentieux, de situations bizarres, de visions hyst�riques, commen�ant au babillage d'une servante et finissant au baiser ridicule d'une femme de quarante ans. Siffl� au troisi�me acte... Oh! le troisi�me acte!... N'est-ce pas du Girardin, premi�re �dition, non corrig�e? Les DEUX FR�RES faisant pendant aux _Deux Soeurs_?... Du Girardin, moins... Girardin! c'est-�-dire l'impossible, moins cette chose �tonnante en faveur de laquelle on pardonne tout: l'originalit�! Nous disons, nous autres, ce que nous avons siffl�; que les partisans de la pi�ce nous disent ce qu'ils ont applaudi, en dehors du magnifique jeu des acteurs, un seul acte, une seule sc�ne, une situation, un mot, et nous nous d�clarons satisfaits. Il y a eu cabale, pr�tend-on! Oui, la cabale des ind�pendants contre les engag�s... volontaires ou non!... Qui si�geait � l'orchestre? Des amis, des amis, et toujours des amis! Qui si�geait au parterre?...--Un mot � ce propos, Monsieur. On a parl� d'HERNANI! Est-ce une ironie? � l'�poque d'HERNANI, on livrait le parterre � la jeunesse, et l'on refusait la claque! Mardi dernier, quand les jeunes gens se sont pr�sent�s, le parterre �tait envahi.--Par qui?--Et ses portes ferm�es.--Pourquoi?--Alors nous avons gagn� les hauteurs. Quant � ceux du parterre, ils ne siffl�rent pas, j'en suis bien s�r, �tant de ceux pour qui Boileau n'a pas fait ce vers: C'est un droit qu'� la porte on ach�te en entrant. Mardi, c'�taient les jeunes gens qui sifflaient et les _genoux_ qui applaudissaient! Voil� la petite diff�rence � signaler entre les deux HERNANI. Ce n'est pas un drapeau autour duquel les fr�res de Goncourt rassemblaient leurs partisans! C'est un torchon! Nous, nous n'avons pas une sensitive � la place de coeur; nous ne pr�tendons pas faire un rempart de notre corps � Thalie, et Melpom�ne nous impose peu! Nous savons chiffonner d'une main osseuse la guimpe des vieilles Muses, et nous accrocher, quand nous voulons rire, � la queue des sourds satyres, amoureux de la joie et de la folie. Est-ce une raison pour ne pas crier: Pouah! quand la fange tente d'�clabousser l'art! Nous n'aimons pas voir sa robe s'accrocher au clou du lupanar, et toute d�braill�e, titubant � travers les ruisseaux, voir la Muse, le stigmate de l'impudeur au front, s'en aller, psalmodiant des rapsodies sans nom, parmi lesquelles rien ne transpire, ni v�rit�, ni style, ni inspiration! Nous ne sommes ni des cabaleurs, ni des amis! Nous avions pay� nos places; et seuls peut-�tre dans toute la salle nous avions l'esprit d�gag� de toutes les pr�occupations de l'amiti� et de la camaraderie. Mais, en v�rit�, en face des singuli�res rengaines qu'on voulait nous faire applaudir et accepter comme une transformation dans l'art, quand nous avons entendu comparer HERNANI � HENRIETTE, nous avons mis les cl�s � nos l�vres. Une r�volution, cela? On ne fait pas des r�volutions avec des bonshommes de bois; et si Bob�che avait voulu remplir le r�le de Mirabeau, la foule e�t siffl� et tourn� le dos. Qu'on nous donne RUY BLAS, OTHELLO, CHATTERTON, le GENDRE DE M. POIRIER, et vous verrez o� seront les jeunes gens, et quelle grande cabale d'applaudissements nous nous chargeons de discipliner pour ces _vraies_ f�tes de l'intelligence et de l'art!... C'est sur ce souhait et cette esp�rance que nous finissons, Monsieur. Dussent certains esprits, complaisants _aux douceurs d'une amiti� pure_, s'irriter parce que nous pr�f�rons CARMOSINE � HENRIETTE, nous ne nous attacherons pas � discuter leurs go�ts. Seulement, lorsqu'on nous crie: �Adorez!�--Ma foi, non, nous aimons mieux siffler!--C'est plus cons�quent. Mettez le boeuf gras dans une charrette, nous nous amusons; mettez-le sur un autel, nous haussons les �paules! Les messieurs de Goncourt se sont tromp�s de porte, ils ont pris la rue Richelieu pour la rue Montpensier; c'est � recommencer! Agr�ez, Monsieur, l'hommage de notre consid�ration la plus distingu�e. CHARLES DUPUY, 23, rue de Cond�; LOUIS LINYER, 3, rue des Foss�s-Saint-Jacques; J. BERNARD, 3, rue des Foss�s-Saint-Jacques; GEORGES NIVET, 51, rue Monsieur-le-Prince; �MILE RANQUET, 3, rue du Dragon. _Figaro-Programme_, 9 d�cembre. 11 d�cembre 1865, Monsieur, Nous avons l'honneur de vous envoyer la copie ci-jointe d'une note qui a couru aujourd'hui � l'�cole de droit, au cours de M. Colmet de Santerre. La voici: �MM. les �tudiants en droit sont invit�s � se rendre ce soir lundi au Th��tre-Fran�ais pour siffler la nouvelle pi�ce, HENRIETTE MAR�CHAL. Il faut que la toile tombe au premier acte. _Sign�_: PIPE DE BOIS.� 11 d�cembre 1865. En vous signalant cet �trange mot d'ordre, nous n'avons pas besoin, Monsieur, de vous dire que nous d�sapprouvons compl�tement, avec l'immense majorit� des �tudiants, une pr�tention aussi contraire � la libert� th��trale qu'aux �gards dus aux auteurs et � des acteurs de talent. A. RAMIER, D'AIGREMONT, �tudiant en droit, �tudiant en droit. _Opinion nationale_, 12 d�cembre 1865. Nous remercions MM. Ramier et d'Aigremont, et tous ceux dont ils sont la voix. E. ET J. DE G. * * * * * PR�FACE DE LA SECONDE �DITION Aujourd'hui que la reprise d'HENRIETTE MAR�CHAL a r�ussi, que la pi�ce est �cout�e, est applaudie, applaudie �avec un parti pris d'applaudir�, impriment ceux qui eussent d�sir� qu'elle f�t ressiffl�e, je demande au public la permission de compl�ter la pr�face en t�te de notre TH��TRE par quelques observations, quelques anecdotes, et quelques id�es sur l'art th��tral de l'heure pr�sente. Dans cette pr�face j'ai dit: HENRIETTE MAR�CHAL est une pi�ce �ressemblant � toutes les pi�ces du monde� et les ennemis de la pi�ce ont fait dire � cet aveu plus qu'il ne disait, d�clarant que l'oeuvre n'avait pas la plus petite qualit� personnelle. Voici seulement ce que j'ai voulu faire entendre, c'est que mon fr�re et moi, d�butant au th��tre, et d�sireux d'�tre jou�s, nous avions essay� de faire une pi�ce jouable, une pi�ce cherch�e parmi les combinaisons th��trales ordinaires, trouvant d�j� assez brave d'avoir risqu� l'acte du bal masqu�, un acte qui avait le m�rite de la nouveaut�, et d'un esprit original, avant que cet esprit f�t devenu l'esprit de tout le monde, avant qu'il e�t servi, tout un hiver, aux engueulements des bals de l'Op�ra de la rue Le Peletier. Maintenant, venons aux critiques de d�tails. On me reproche de grosses _ficelles_; grosses ou petites, est-ce qu'il n'y en a pas chez tous les auteurs, les auteurs les plus habiles, dans cet art conventionnel, o� je ne connais pas un d�nouement de pi�ce qui ne soit amen� par la surprise d'une conversation derri�re un rideau, ou par l'interception d'une lettre, ou par un _truc_ forc� de cette qualit�? Et tant qu'� choisir entre les petites et les grosses ficelles, ma foi, je pr�f�re les grosses, les toutes franches: ce sont celles de l'ancien r�pertoire. Puis vraiment, n'y aurait-il pas de grosses ficelles dans l'agencement de la vie humaine, de la v�ritable, de celle que nous vivons? J'avais un cousin qui devint tr�s amoureux d'une jeune fille du monde. Ce cousin avait eu une jeunesse un peu _noceuse_, �tait joueur... il fut refus� par les parents de la jeune fille. Mon cousin demeurait le coeur tr�s pris. Il se passait un an, dix-huit mois, au bout desquels il lui arrivait un accident de voiture, dans le voisinage du ch�teau de celle qu'il aimait. Il y �tait recueilli, soign�... et devenait le mari de la jeune fille. C'est ce souvenir qui nous a donn�, � mon fr�re et � moi, l'id�e du transport de Paul de Br�ville, bless�, chez Mme Mar�chal. Ah! vraiment, on me fait un crime de bien des choses, de choses que me donne en spectacle, tous les jours, la vie du monde. Par exemple, on trouve tout � fait invraisemblable ce coup de coeur d'un tout jeune homme pour une femme de trente-quatre � trente-cinq ans. Savez-vous que chez tous les jeunes gens que j'ai connus, le premier amour effectif qui n'a pas �t� � une fille ou � une femme de chambre, je l'ai vu aller � des femmes de la soci�t� presque toujours plus �g�es que Mme Mar�chal, presque toujours � de s�rieuses marraines de Ch�rubin? Enfin, en faisant tromper ce bon, cet excellent, cet hospitalier M. Mar�chal par le jeune Paul de Br�ville, j'aurais introduit sur les planches un adult�re plus imm�rit�, plus indigne, plus inf�me, plus laid que les adult�res jusqu'ici mis en sc�ne par mes confr�res en adult�re au th��tre... comme si nous ne voyions pas journellement les trois quarts des messieurs Mar�chal se montrer de vrais saints Vincent de Paul � l'endroit de l'homme qui les trompe. * * * * * Il faut que nous en prenions notre parti, nous sommes des auteurs immoraux, et nous ne sommes pas des _carcassiers_. Mais il n'y a pas qu'une carcasse dans une pi�ce, il y a autre chose dans la n�tre. Th�ophile Gautier y trouvait une qualit�, qu'il nous reconnaissait seuls poss�der: une _langue litt�raire parl�e_. Et pour moi une langue nouvelle, c'est presque l'unique renouvellement dont est susceptible le th��tre. Une langue, o� il n'existera plus de morceaux de livres, plus de phras�ologie o� passera le mot d'auteur, et o� cependant le public sentira que c'est un lettr� qui a fabriqu� les paroles sortant de la bouche des acteurs, voil� la r�volution � tenter! Et cette r�volution, nous l'avons essay�e, essay�e seulement. Ah! si nous avions pu �crire une seconde pi�ce d'amour, celle-l�, je vous en r�ponds, e�t �t� balay�e de tout jargon romantique ou _livresque_, et l'on n'y e�t pas rencontr� une phrase comme celle-ci: �Vous �tiez dans mes r�ves comme il y a du bleu dans le ciel�, une phrase pas mal r�dig�e tout de m�me, mais appartenant au _vieux jeu_. Que ne l'avez-vous supprim�e, me dira-t-on? C'est qu'il ne s'agit pas de la supprimer et que le talent serait de la remplacer, celle-ci ou toute autre du m�me genre, par un �quivalent apportant une note po�tique, lyrique, id�ale, de la m�me valeur, et un �quivalent pris dans le vrai de la langue d'un amoureux. Or, cela je le d�clare tout � la fois le comble de la difficult� et le _summum_ de l'art dramatique des ann�es qui vont venir,--et je me trouve tout seul, pas assez fort pour y arriver. Il �tait besoin, pour le tenter et peut-�tre r�ussir, de continuer � avoir pour collaborateur un po�te doubl� d'une oreille particuli�re, un original passant des heures enti�res, aux Tuileries, � entendre causer des b�b�s, pour le seul plaisir de surprendre la syntaxe de leurs phrases enfantines. Maintenant, n'y aurait-il pas dans notre pi�ce une seconde qualit� que personne n'a remarqu�e? Si Henriette Mar�chal n'�tale pas absolument sur les planches des morceaux de notre vie, elle y apporte, tout le temps, les attitudes morales des deux fr�res, quand le jeune tombait amoureux. Elle redit sous des formules plus �tudi�es, avec des expressions plus litt�raires, mais elle ne fait que redire les ironiques petites _chamaillades_, le tendre ferraillement d'esprit de ces moments-l�,--en un mot le fraternel duel � huis clos de l'Exp�rience et de l'Illusion. Elle donne au public la note du scepticisme blagueur du _vieux_, et de l'appassionnement un peu ing�nu de l'adolescent. Elle retrace enfin avec des souvenirs bien personnels et _v�cus_--l'expression est accept�e aujourd'hui--des sentiments qui ont le m�rite de repr�senter rigoureusement, � la sc�ne, les sentiments humains et contradictoires de deux hommes d'�ge diff�rent, confondus et m�l�s dans une m�me existence. * * * * * J'ai avanc�, dans ma pr�face, que je regardais le th��tre comme un genre arriv� � son d�clin. Le th��tre, pour moi, me semble le grand art des civilisations primitives. Ainsi, du temps d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, le th��tre est toute la litt�rature de la nation. Bien des ann�es apr�s, sous Louis XIV, dans une autre patrie de l'intelligence et du go�t, le th��tre est encore presque toute la litt�rature; mais peut-�tre d�j�, en ce XVIIe si�cle, quelque gourmet de belles-lettres n�glige, un soir, de se rendre � une com�die de Moli�re, pour lire au coin de son feu, les CARACT�RES de La Bruy�re. Et aujourd'hui, qui pourra nier qu'une SAPHO ou qu'un ASSOMOIR ne prenne pas l'attention de la France, tout autant qu'une pi�ce d'�mile Augier ou d'Alexandre Dumas fils? Au XXe si�cle que nous touchons, quelle place aura donc le livre et quelle place aura le th��tre? � cette concurrence redoutable faite d�j� aujourd'hui par le livre au th��tre, je ne veux pas r�p�ter les causes particuli�res et accidentelles qui me font voir, dans un avenir prochain, sa lamentable d�ch�ance. Non, l'art dramatique ne deviendra pas tout � fait ce que j'ai pr�dit: �Quelque chose digne de prendre place entre des exercices de chiens savants et une exhibition de marionnettes � tirades�, non, mais toutes les sc�nes de la capitale sont fatalement destin�es � se transformer en des �dens, plus ou moins dissimul�s. Enfin, puisque le th��tre n'est pas encore mort et qu'il a peut-�tre devant lui la dur�e _cahin caha_, qu'on pr�te � cette heure � la religion catholique, moi qui ne crois pas au _th��tre naturaliste_, au transbordement, dans le temple de carton de la convention, des faits, des �v�nements, des situations de la vraie vie humaine: voici ma conviction. L'art th��tral, cet art malade, cet art fini, ne peut trouver un allongement de son existence que par la transfusion, dans son vieil organisme, d'�l�ments neufs, et j'ai beau chercher, je ne vois ces �l�ments que dans une _langue litt�raire parl�e_ et dans le _rendu d'apr�s nature_ des sentiments,--toute l'extr�me r�alit�, selon moi, dont on peut doter le th��tre. Eh bien! ces outils de renouvellement, je les trouve... � l'�tat embryonnaire bien certainement, mais je les trouve dans HENRIETTE MAR�CHAL, dans cette pi�ce qui est un d�but,--et un d�but ne produit jamais une oeuvre tout � fait sup�rieure. Peut-�tre si l'on ne nous avait pas aussi brutalement arr�t�s, � une troisi�me ou � une quatri�me pi�ce, aurions-nous un peu plus compl�tement r�alis� ce que notre ambition litt�raire avait entrevu. Du vrai, du vrai dans notre pi�ce, du vrai, il y en a peut-�tre plus qu'on ne croit. � propos de la phrase �J'en ferais mon coeur,� un critique th��tral disait hier que c'�tait un propos de soubrette d'il y a cent ans. J'ouvre notre JOURNAL en octobre 1863, � la fin d'un s�jour chez Mme Camille Marcille, � Ois�me, pr�s de Chartres, je trouve cette note �crite par mon fr�re: Voici, je crois, la premi�re aventure d'amour flatteuse qui m'arrive. Une petite bonne, une pauvre enfant trouv�e de l'hospice de Ch�tellerault, servait les fillettes de Mme Marcille. Elle avait une de ces figures minables, comme il semble qu'il y en ait eu au moyen �ge, apr�s les grandes famines, avec des yeux dont le d�vouement jaillissait comme de ceux d'un chien battu. La brave fille, un soir, en d�shabillant sa ma�tresse, se mit � lui dire: �Ah! Madame, ce monsieur Jules, je le trouve si potel�, si gai, si joufflu, si gentil, que, si j'�tais riche, _j'en ferais mon coeur_.� EDMOND DE GONCOURT. 15 mars 1883. LA PATRIE EN DANGER PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[25] La pi�ce ici imprim�e, je la donne, telle qu'elle a �t� �crite par mon fr�re et par moi, telle qu'elle a �t� lue par mon fr�re au comit� de la Com�die-Fran�aise, le 7 mars 1868, je la donne sans changer un mot[26]. Maintenant, si cela int�resse quelques personnes, de savoir les raisons, pour lesquelles je renonce � �puiser toutes les chances d'une repr�sentation th��trale sur un th��tre quelconque, pour une oeuvre dans laquelle mon fr�re avait mis et les derniers efforts et les derni�res esp�rances de sa vie, ces raisons, les voici: Sous l'Empire, on nous avait dit: �Allez, c'est bien inutile de chercher � vous faire jouer, jamais la censure ne laissera passer votre pi�ce.� L'Empire est tomb�, la R�publique lui a succ�d�; mais sous le nouveau r�gime de libert�, je retrouve la censure repl�tr�e dans sa perp�tuit� et rafistol�e dans sa toute-puissance. Or, avec les nouveaux censeurs,--qui, je crois bien, sont toujours les anciens,--je n'ai pas seulement � appr�hender qu'ils trouvent notre pi�ce ou trop l�gitimiste ou trop r�volutionnaire; par le fait cruel des derniers �v�nements, j'ai � craindre qu'ils ne d�couvrent, en notre troisi�me acte--�crit en 1867, dans la pr�vision certaine de la guerre future,--des allusions, des manoeuvres tendant � une agitation dangereuse pour nos relations avec la Prusse. Dans cette crainte, aujourd'hui que, des deux collaborateurs, je suis rest� seul avec une �nergie un peu d�faillante, je ne me sens pas le courage d'entreprendre les d�marches, de subir les taquineries, les ennuis, les petites tortures morales, qu'un fabricateur de livres rencontre d'ordinaire pr�s d'une direction th��trale, quand au bout d'une r�ussite si ch�rement achet�e peut se dresser le d�sesp�rant _veto_[27]. Apr�s tout, s'il me prenait fantaisie de faire le tour des th��tres de Paris, il se pourrait bien que les directeurs �pargnassent aux censeurs le crime que je leur impute par avance et que notre pi�ce f�t refus�e partout. Le temps n'est gu�re aux tentatives d'art pur, et le public r�publicain d'aujourd'hui me para�t ressembler bien fort au public imp�rial d'hier, au public contemporain de cette anecdote. Je me trouvais, il y a quelques ann�es, dans le salon d'un grand �crivain; autour de lui des auteurs de livres connus, des esprits distingu�s et b�tement id�aux, g�missaient, sur un mode �lev�, du remplacement au th��tre des mots spirituels par des gorges, du remplacement des phrases bien faites par des cuisses, et � d�faut de chair toute crue, et toute nue, du remplacement d'� peu pr�s tout par des robes de Worth. Tout � coup, une actrice, connue par le cynisme de son esprit, interrompit les dol�ances litt�raires par cette apostrophe: �Vous �tes jeunes, vous autres, mais le th��tre au fond, mes enfants, c'est l'absinthe du mauvais lieu.� Et ladite actrice avait toujours l'habitude d'appeler les sales choses par leurs noms propres. Oblig� de reconna�tre que le brutal aphorisme a du vrai pour aujourd'hui comme il en avait pour hier, et que la R�publique n'a pas encore beaucoup fait pour la r�g�n�ration du go�t public, je me r�signe, � peu pr�s de la m�me mani�re qu'on se suicide, � imprimer cette pi�ce, un peu consol� cependant par un pressentiment vague, qui me dit qu'un jour, un jour que nous devons tous esp�rer, cette oeuvre mort-n�e sera peut-�tre jug�e digne d'�tre la voix avec laquelle un th��tre national fouettera le patriotisme � la France[28]. EDMOND DE GONCOURT. Mars 1875. TH��TRE HENRIETTE MAR�CHAL.--LA PATRIE EN DANGER PR�FACE[29] Sur une grande table � mod�le, aux deux bouts de laquelle, du matin � la tomb�e du jour, mon fr�re et moi faisions de l'aquarelle dans un obscur entre-sol de la rue Saint-Georges, un soir de l'automne de l'ann�e 1850, en ces heures o� la lumi�re de la lampe met fin aux lavis de couleur,--pouss�s je ne sais par quelle inspiration, nous nous mettions � �crire ensemble un vaudeville avec un pinceau tremp� dans de l'encre de Chine. Jusqu'� ce jour, toute notre litt�rature consistait en un carnet de notes, contenant les �tapes et les menus de repas d'un voyage en France de six mois � pied, le sac sur le dos, et o� seulement, tout � la fin, s'�taient gliss�es quelques notes sur le ciel, la terre, les Mauresques de l'Alg�rie. Je ne tiens pas compte toutefois d'un �TIENNE MARCEL, drame en cinq actes et en vers, commis en rh�torique par mon fr�re, et d'un indigeste travail sur les �Ch�teaux de la France au moyen �ge�, pr�sent� par moi � la SOCI�T� D'HISTOIRE DE FRANCE pour avoir l'honneur d'�tre admis parmi ses membres. Le vaudeville en deux actes, termin� et baptis� SANS TITRE, nous nous trouvions ne conna�tre ni un auteur, ni un journaliste, ni un acteur, enfin personne au monde qui t�nt de loin ou de pr�s � la litt�rature ou au th��tre. Nous allions chercher, au Palais-Royal, l'adresse de Sainville, nous lui �crivions; il nous accordait un rendez-vous. Nous sonnions � la porte du comique ainsi qu'on sonne � la porte d'un dentiste. Une jolie bonne, pareille � celles qui jaillissent d'un portant de coulisse de th��tre, nous ouvrait, nous introduisait au salon. Et nous commencions notre lecture devant Sainville et un grand monsieur qu'il nous disait avoir l'habitude de consulter. Ce n'�tait pas encourageant de lire � Sainville. Le rond et jovial acteur, sur les planches, avait chez lui, pour l'audition d'une pi�ce, une figure d'une imp�n�trabilit� grognonne, et qui peu � peu prenait quelque chose de la face mauvaise de ces gras mandarins qu'on voit, sur des potiches du C�leste Empire, ordonner des supplices. La lecture termin�e, d'abord un silence glacial... Puis le comique nous dit durement que la chose manque de couplets, nous t�te pour savoir si nous accepterions une collaboration, enfin nous demande de lui laisser la pi�ce une quinzaine de jours pour nous donner une r�ponse d�finitive. Les quinze jours se passaient dans l'attente anxieuse de gens qui ont une pi�ce, et une premi�re pi�ce pr�sent�e � un th��tre. Au bout des deux semaines, nous recevions de Sainville cette lettre: 28 octobre 1850. ... Je viens de soumettre votre manuscrit � la personne charg�e de lire les pi�ces repr�sent�es, et c'est avec regret que je viens vous annoncer que sa r�ponse n'a pas �t� favorable. Elle y a comme moi trouv� beaucoup d'esprit, mais pas assez de pi�ce... Un certain nombre d'ann�es se passaient; mon fr�re et moi, avions �crit l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� PENDANT LA R�VOLUTION ET PENDANT LE DIRECTOIRE, l'HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE. Un soir, un de nos jeunes amis, Scholl, devenu depuis le brillant journaliste de ce temps, se moquait aimablement du s�rieux de nos travaux, de nos pr�tendues vis�es acad�miques, quand je l'interrompis en lui disant: --Eh bien! vous ne vous douteriez jamais par quoi nous avons commenc� en litt�rature. Si c'�tait cependant par un vaudeville? --Oh! lisez-moi-le donc? J'allai chercher le manuscrit et je lus une partie du premier acte. --Vous me faites poser, me jeta mon ami en m'interrompant. C'est le BOURREAU DES CRANES que vous me lisez l�! Je n'avais pas vu la pi�ce, et, � ce qu'il para�t, elle commence par une dispute et un soufflet donn� dans la salle. Peut-�tre, il n'y eut l�, qu'une rencontre assez ordinaire entre des fabricateurs de pi�ces � la recherche d'une originalit� quelconque. Enfin, Dieu merci, nous ne f�mes pas jou�s, et nous d�mes peut-�tre � ce bienheureux refus de ne pas devenir des vaudevillistes � tout jamais. L'�chec de SANS TITRE ne nous d�courageait pas dans le premier moment, et le mois suivant, arrivait, cette fois, directement au Palais-Royal, un nouveau vaudeville en trois actes intitul�: ABOU-HASSAN, que M. Coupart nous retournait avec les condol�ances ordinaires. L'ann�e d'apr�s, nous publiions dans le mois de d�cembre, EN 18.., notre premier roman qui paraissait le jour du coup d'�tat, et dont les affiches �taient interdites, comme pouvant �tre prises par le public pour une allusion au 18 brumaire. En cette semaine violente, peu occup�e, on le comprendra, de litt�rature, Janin, que nous allions remercier du seul article bienveillant publi� sur notre livre, nous saluait, en nous reconduisant avec cette phrase: �Voyez-vous, il n'y a que le th��tre!� Et en revenant de chez lui, en chemin, l'id�e naissait chez nous de faire pour les Fran�ais une revue de l'ann�e, dans une conversation, au coin d'une chemin�e, entre un homme et une femme, pendant la derni�re heure du vieil an, un petit proverbe qui devait s'appeler: LA NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE[30]. L'acte fait, Janin nous donne une lettre pour Mme Allan. Et nous voici, rue Mogador, au cinqui�me, dans l'appartement de l'actrice qui a rapport� Musset de Russie, et o� une vierge byzantine au nimbe de cuivre dor� rappelait le long s�jour de la femme l�-bas. Elle est en train de donner le dernier coup � sa toilette devant une psych� � trois battants, presque referm�e sur elle et qui l'enveloppe d'un paravent de miroirs. La grande com�dienne se montre accueillante, avec une voix rude, rocailleuse, une voix que nous ne reconnaissons pas, et qu'elle avait l'art de transformer en une musique au th��tre. Elle nous donne rendez-vous pour le lendemain. Mon fr�re est tr�s �mu, Mme Allan a de suite, pour l'encourager dans sa lecture, de ces petits murmures flatteurs pour lesquels on baiserait les pantoufles d'une actrice. Bref, elle accepte le r�le, et elle s'engage � l'apprendre et � le jouer le 31 d�cembre, et nous sommes le 21. Il est deux heures. Nous d�gringolons l'escalier et nous courons chez Janin. Mais c'est le jour de son feuilleton. Impossible de le voir. Il nous fait dire qu'il verra Houssaye le lendemain. De l�, d'un saut, dans le cabinet du directeur du Th��tre-Fran�ais, auquel nous sommes alors parfaitement inconnus. �Messieurs, nous dit-il tout d'abord, nous ne jouerons pas de pi�ces nouvelles, cet hiver. C'est une d�termination prise... je n'y puis rien.� Un peu touch� toutefois par nos tristes figures, il ajoute: �Que Lireux vous lise et fasse son rapport, je vous ferai jouer, si je puis obtenir une lecture de faveur.� Il n'est encore que quatre heures. Un coup� nous jette chez Lireux. �Mais, Messieurs, nous dit assez brutalement la femme qui nous ouvre la porte, vous savez bien qu'on ne d�range pas M. Lireux, il est � son feuilleton...�--�Entrez, Messieurs,� nous crie une voix bon enfant, et nous p�n�trons dans une chambre d'homme de lettres � la Balzac, o� �a sent la mauvaise encre et la chaude odeur d'un lit qui n'est pas encore fait. Le critique, tr�s aimablement, nous promet de nous lire le soir, et de faire son rapport le lendemain. Aussit�t, de chez Lireux, nous nous pr�cipitons chez Brindeau qui doit donner la r�plique � Mme Allan. Brindeau n'est pas rentr�, mais il a promis d'�tre � la maison � cinq heures, et sa m�re nous retient. Un int�rieur tout rempli de gentilles et bavardes fillettes. Nous restons jusqu'� six heures... et pas de Brindeau. Enfin, nous nous d�cidons � aller le relancer au Th��tre-Fran�ais � sept heures et demie. �Dites toujours,--s'�crie-t-il en s'habillant, tout courant dans sa loge, et nu sous un peignoir blanc;--non, pas possible d'entendre la lecture de votre pi�ce.� Et il galope � la recherche d'un peigne, d'une brosse � dents. �Ce soir, par exemple, apr�s la repr�sentation?--Impossible, je vais souper en sortant d'ici avec des amis... Ah! tenez, j'ai dans ma pi�ce un quart d'heure de sortie... Je vous lirai pendant ce temps-l�... Attendez-moi dans la salle.� La pi�ce dans laquelle il jouait finie, nous repin�ons Brindeau qui veut bien du r�le! Du Th��tre-Fran�ais, nous portons le manuscrit chez Lireux, et � neuf heures nous retombons chez Mme Allan, que nous retrouvons tout entour�e de famille, de coll�giens, et � laquelle nous racontons notre journ�e. Deux jours apr�s, assis sur une banquette de l'escalier du th��tre, et palpitants et tressaillants au moindre bruit, nous entendions Mme Allan jeter � travers une porte qui se refermait sur elle, de sa vilaine voix de la ville: �Ce n'est pas gentil, �a!� �Enfonc�s,� dit l'un de nous � l'autre avec cet affaissement moral et physique qu'a si bien peint Gavarni dans l'�croulement de ce jeune homme, tomb� sur la chaise d'une cellule de Clichy. Et c'�taient presque aussit�t des tentatives nouvelles, des inventions et des compositions de pi�ces dont j'ai oubli� le titre et dont je ne soup�onne plus gu�re l'existence que par la lettre de refus d'un directeur de th��tre. Ainsi, je trouve une lettre de M. Lemoine-Montigny, � la date d'avril 1852, me parlant de la fra�cheur d'un acte au Bas-Meudon, et qui me rappelle vaguement que nous avons cherch� une pi�ce dans notre premier roman. Il me revient m�me que, press�s de faire un op�ra-comique par notre cousin de Villedeuil, qui avait de l'argent dans le Th��tre-Lyrique, nous avons �crit une farce dans la mani�re des vieux bouffons italiens, intitul�e: MAM'SELLE ZIRZABELLE, acte pour lequel, je ne suis pas bien s�r que mon fr�re n'ait pas compos� des vers qui s'entrem�laient � travers la prose. Mais elle est bien diffuse, bien incompl�te aujourd'hui, la m�moire de ces pi�ces, et d'autres encore faites il y a pr�s de trente ans, et que nous avons br�l�es dans un jour, o� nous ne voulions laisser rien de trop indigne de nous. Il y eut cependant en ces ann�es, o� nous nous occupions historiquement du Directoire, un acte pr�sent� au Th��tre-Fran�ais, que je regrette de voir perdu[31], et dont j'aurais voulu donner quelques extraits dans cette pr�face. Cette pi�ce avait le m�rite d'�tre la premi�re pi�ce faite sur le Directoire, bien avant les pi�ces � succ�s. Et ce petit acte appel� par nous: INCROYABLES ET MERVEILLEUSES, c'�tait vraiment une jolie mise en sc�ne du temps �tudi� par nous, au milieu du touchant �pisode d'un divorce. Une autre pi�ce a un certain int�r�t pour les gens qui sont curieux de l'histoire litt�raire des auteurs qu'ils aiment. La pi�ce, intitul�e LES HOMMES DE LETTRES, �tait l'embryon du roman qui a pour titre aujourd'hui CHARLES DEMAILLY. Les cinq actes termin�s dans l'�t� de 1857, nous les lisions � nos amis au mois d'octobre. La mort du h�ros, un �crivain qui mourrait des attaques de la presse, on la rejetait �comme la mort d'une sensitive�. Depuis, j'ai pu juger que cette mort n'�tait pas aussi invraisemblable qu'elle le paraissait � mes auditeurs. Enfin la pi�ce, r�duite en quatre actes, �tait pr�sent�e au Vaudeville et sa r�ception d'avance annonc�e par les journaux; toutefois l'acceptation d�finitive par le directeur ne devait nous parvenir qu'un certain mercredi. De cruels jours pour le syst�me nerveux des gens, et des jours �ternels, que ces jours d'attente; et je donne ici une note que je retrouve �crite sur un bout de papier: �Mercredi 21 octobre 1857.--Un mauvais sommeil et le matin la bouche s�che comme apr�s une nuit de jeu. Des esp�rances qu'on chasse et qui reviennent. Et de l'�motion qui circule en vous et de noirs pressentiments. Nous n'avons pas le courage d'attendre la r�ponse chez nous. Nous allons battre la banlieue, regardant b�tement, ahuris et muets, � la porti�re du chemin de fer, passer les arbres et les maisons. D'Auteuil nous gagnons, � pied, le pont de S�vres. Nous avons besoin de marcher. L�, sur la gauche, dans les vapeurs bleues de la Seine, parmi la rouille de l'automne: c'est la muse frileuse de notre pauvre EN 18.. Voici la route de Bellevue, et, sur cette route, nous rencontrons tenant par la main un joli enfant, la jeune fille, jeune femme aujourd'hui, que l'un de nous a eu, au moins pendant huit jours, la tr�s s�rieuse pens�e d'�pouser... et qui nous rappelle du vieux pass�... Il y a des ann�es qu'on ne s'est vu... On s'apprend les morts et les mariages... et l'on nous gronde doucement d'avoir oubli� d'anciens amis... Puis nous voil� dans la maison de sant� du docteur Fleuri, causant avec Banville, et croisant dans notre promenade, le vieux dieu du drame, le vieux Fr�d�rick Lema�tre... �... Dans tout cela, par tous ces chemins, en toutes ces rencontres, au milieu de toute notre vie morte que le hasard ram�ne autour de nous et qui semble nous mener � une vie nouvelle, nous roulons, les oreilles et les yeux aux bruits et aux choses comme � des pr�sages bons ou mauvais, et pr�tant � la nature le sentiment de notre fi�vre... En rentrant: rien.� Une semaine apr�s, nous apprenions que notre pi�ce n'�tait ni re�ue ni refus�e, que Beaufort voyait un danger dans la mise � la sc�ne de la petite presse... qu'il attendait. Cette nouvelle qui, quelques jours auparavant, e�t �t� un vrai chagrin pour nous, ne nous causait qu'une assez m�diocre d�ception. Notre envie de voir jouer les HOMMES DE LETTRES s'�tait un peu us�e dans le travail que nous avions entrepris de tirer de la pi�ce un roman avec tous les d�veloppements du livre. De ce jour, nous appartenions exclusivement au roman; cela jusqu'� l'ann�e 1863, o� nous �crivions HENRIETTE MAR�CHAL. HENRIETTE MAR�CHAL �tait repr�sent�e le 5 d�cembre 1865. * * * * * Nous avions montr� jusque-l� devant les attaques, les insultes, le barrage de notre carri�re, que nous ne nous d�couragions pas facilement, et notre m�morable chute ne nous faisait point renoncer au th��tre. Au contraire, elle mettait en nous la volont� ent�t�e et presque col�re de faire une dizaine de pi�ces coup sur coup, et cette fois sans aucune concession aux ing�nieuses _ficelles_, au _secret_, � tout ce _charpentage_ moderne dont n'a jamais us� l'ancien, le classique r�pertoire. Mais, pour cet effort, pour ce travail, il fallait avoir la sant�, et mon fr�re ne l'avait d�j� plus. Nous nous plongions cependant en un drame de la R�volution vers laquelle nous nous sentions attir�s depuis des ann�es, et dans laquelle le si�ge de Verdun donnait l'�pisode h�ro�que de la d�fense de la France contre l'�tranger. Nous �tions un peu pouss�s � cette pi�ce, il faut l'avouer, par une croyance � des �v�nements prochainement graves. Des paroles proph�tiques du g�n�ral Ducrot, alors commandant � Strasbourg, prononc�es dans le salon de la princesse Mathilde,--et qui faisaient sourire,--des conversations intimes avec notre parent �douard Lefebvre de B�haine premier secr�taire d'ambassade � Berlin nous avaient donn� la certitude qu'une guerre �tait imminente avec la Prusse. Nous �crivions donc en l'ann�e 1867 la PATRIE EN DANGER que nous lisions au Th��tre-Fran�ais, sans la moindre illusion sur notre r�ception, mais pour apprendre aux autres directeurs de th��tres qu'il y avait chez nous une pi�ce, qu'� un certain moment ils trouveraient peut-�tre utile de jouer. Mais la guerre �tait si promptement d�clar�e, et le cataclysme si rapide... puis mon fr�re �tait mort au mois de juin. LA PATRIE EN DANGER est incontestablement la meilleure pi�ce que nous ayons faite, elle a cela, que je ne retrouve nulle part, dans aucun drame du pass�: une documentation historique qui n'a pas �t� encore tent�e au th��tre. * * * * * Au fond, nous avons �chou� au Th��tre-Fran�ais pour le crime d'�tre des r�alistes, et sous l'accusation d'avoir fait une pi�ce r�aliste. Eh bien, l�-dessus je tiens � m'expliquer. Dans le roman, je le confesse, je suis un r�aliste convaincu; mais, au th��tre, pas le moins du monde. Ainsi, dans la pi�ce d'HENRIETTE MAR�CHAL, � propos de laquelle, un moment, il semblait qu'on nous f�t l'honneur d'avoir invent� l'adult�re au th��tre, dans cette pi�ce ressemblante � toutes les pi�ces du monde, il n'y a jamais eu pour nous qu'un acte original et bien personnel � nous: le Bal masqu�. Et quand, dans cet acte, nous jetions cette po�sie soupirante d'un jeune coeur qui s'ouvre au milieu de tous les bruits d'esprit, de tous les engueulements drolatiques, de toutes les folies cocasses d'une nuit d'Op�ra,--pas si r�elle qu'on a bien voulu le dire,--nous croyions tr�s sinc�rement faire de la fantaisie,--oui, de la fantaisie moderne, s'entend; car il n'y a pas � recommencer au XIXe si�cle, n'est-ce pas, la fantaisie shakespearienne? Nous entrevoyions si peu le th��tre de la r�alit�, que dans la s�rie des pi�ces que nous voulions faire, nous cherchions notre th��tre � nous, exclusivement dans des bouffonneries satiriques et dans des f�eries. Nous r�vions une suite de larges et violentes com�dies, semblables � des fresques de ma�tres, �crites sur le mode aristophanesque, et fouettant toute une soci�t� avec de l'esprit descendant de Beaumarchais, et parlant une langue ail�e, une _langue litt�raire parl�e_ que je trouve, h�las! manquer aux meilleurs de l'heure pr�sente: des com�dies enfin o� une myope Thalie ne serait plus cantonn�e � regarder dans un petit coin avec une loupe. Parmi ces com�dies, nous avions commenc� � en chercher une dans la maladie end�mique de la France de ce temps, une com�die-satire qui devait s'appeler LA BLAGUE, et dont nous avions d�j� �crit quelques sc�nes. Mais ce qui nous paraissait surtout tentant � bouleverser, � renouveler au th��tre: c'�tait la f�erie, ce domaine de la fantaisie, ce cadre de toutes les imaginations, ce tremplin pour l'envolement dans l'id�alit�! Et pense-t-on ce que pourrait �tre une sc�ne, balay�e de la prose du boulevard et des conceptions des dramaturges de cirque, et livr�e � un vrai po�te au service de la po�sie duquel on mettrait des machinistes, des trucs, et toutes les splendeurs et toutes les magies du costume et de la mise en sc�ne d'un Grand Op�ra? Et songe-t-on � quelque chose comme un BEAU P�COPIN repr�sent� dans ces conditions?... Il est vrai qu'on n'y a jamais song�, et qu'on ne songera jamais qu'aux SEPT CH�TEAUX DU DIABLE. Je ne suis donc pas un r�aliste au th��tre, et, sur ce point, je suis en complet d�saccord avec mon ami Zola et ses jeunes fid�les. Et cependant, je dois l'avouer, Zola semble logique, quand il demande, quand il appelle, quand il esp�re pour le r�alisme un th��tre, ainsi que le romantisme a eu le sien. Mais, lui dirai-je, que valent nos bonshommes � nous tous, sans les d�veloppements psychologiques et, au th��tre, il n'y en pas et il ne peut pas y en avoir! Puis sur les planches je ne trouve pas le champ � de profondes et intimes �tudes des moeurs, je n'y rencontre que le terrain propre � de jolis croquetons parisiens, � de spirituels et courants crayonnages � la Meilhac-Hal�vy; mais, pour une recherche un peu aigu�, pour une dissection pouss�e � l'extr�me, pour la r�cr�ation de vrais et d'_illogiques_ vivants, je ne vois que le roman; et j'avancerais m�me que si par hasard le m�me sujet d'analyse s�rieuse �tait trait� � la fois par un romancier et un auteur dramatique,--l'auteur dramatique f�t-il sup�rieur au romancier, le premier aurait l'avantage et le devrait peut-�tre aux facilit�s, aux commodit�s, aux aises du livre. Et vraiment Zola se rend-il bien compte de cette bo�te � convention, de cette machine de carton qu'est le th��tre, de ce tr�teau enfin, sur lequel l'avarice _bouffe_ de l'AVARE de Moli�re arrive au point juste d'optique, tandis que l'humaine avarice d'un p�re Grandet, cette avarice si bellement �tudi�e, je ne suis pas bien s�r qu'elle fasse l� l'effet de l'autre. Oui, le romantisme a eu un th��tre, et il existe des raisons pour cela. Quand m�me le romantisme ne poss�derait pas � sa t�te l'homme unique qui a dot� l'art dramatique de la plus sonore langue po�tique qui f�t jamais, le romantisme aurait un th��tre; et, ce th��tre, il le devrait � son c�t� faible, � son humanit� tant soit peu _sublunaire_ fabriqu�e de faux et de sublime, � cette humanit� de convention qui s'accorde merveilleusement avec la convention du th��tre. Mais, les qualit�s d'une humanit� v�ritablement vraie, le th��tre les repousse par sa nature, par son factice, par son mensonge. Et voil� comme quoi je ne crois pas au rajeunissement, � la revivification du th��tre, et comme quoi j'ai des id�es particuli�res sur son compte. Qu'on ne me pr�te pas du d�pit, de la mauvaise humeur, le sentiment bas et rancunier d'un homme qui ne veut pas que les autres r�ussissent l� o� il a �chou�. Je vais faire une franche confession: je ne trouve pas que mon fr�re et moi ayons fait du th��tre � l'�poque du complet d�veloppement de notre talent, sauf peut-�tre dans la PATRIE EN DANGER,--et encore c'est un genre pour lequel je n'ai gu�re plus d'estime que pour le roman historique;--par l�-dessus, j'ai br�l� mes premi�res pi�ces, n'en ai point en carton, et n'en ferai jamais plus. J'ai donc lieu de me consid�rer comme un impartial et d�sint�ress� spectateur qui regarde et juge de la galerie. Eh bien! regardant et jugeant ce qui se passe, le th��tre m'appara�t comme bien malade, comme moribond presque. Oh! je sais d'avance les ironies et les m�pris qui vont accueillir cette proposition, mais les ironies et les m�pris de mes contemporains, apr�s m'avoir un peu troubl� au commencement de ma carri�re, me laissent bien tranquille � l'heure qu'il est, et je vais dire pourquoi. Quand en 1851, dans mon premier livre, je t�moignais mon admiration pour l'art japonais et que je me permettais de dire que l'art industriel de ce pays �tait sup�rieur � l'_article Paris_, un journaliste a demand� que je fusse enferm� � Charenton comme coupable de mauvais go�t; aujourd'hui je crois que ledit journaliste a plus de chance d'y �tre men� que moi par le go�t public. Quand j'entreprenais la r�habilitation des peintres du XVIIIe si�cle,--mon ami Burty l'a imprim�,--la bibliographie des revues d'art graves rougissait de mentionner seulement les noms de ces peintres de notre pays. Aujourd'hui on peut consulter les prix de vente de leurs tableaux, et l'on s'apercevra avant peu de la r�volution qu'aura amen�e dans les esprits, l'exposition des Beaux-Arts de ces jours-ci. Quand je disais dans ma pr�face de GERMINIE LACERTEUX qu'il �tait possible d'int�resser le public avec �des infortunes, et des larmes de peuple�, on se rappelle les superbes n�gations qui se produisirent[32]; il me semble que les succ�s des derniers romans _peuple_ m'ont donn� largement raison. Du haut de ces pr�tendus paradoxes pass�s � l'�tat de v�rit�s, de _truism_, voici aujourd'hui ma _vaticination_ sur le th��tre. Avec l'�volution des genres qu'am�nent les si�cles, et dans laquelle est en train de passer au premier plan le roman, qu'il soit spiritualiste ou r�aliste; avec le manque prochain sur la sc�ne fran�aise de l'irrempla�able Hugo, dont la hautaine imagination et la magnifique langue planent uniquement sur le terre-�-terre g�n�ral; avec le peu d'influence du th��tre actuel en Europe, si ce n'est dans les agences th��trales; avec l'endormement des auteurs en des machines us�es au milieu du renouveau de toutes les branches de la litt�rature; avec la diminution des facult�s cr�atrices dans la seconde fourn�e de la g�n�ration dramatique contemporaine; avec les emp�chements apport�s � la repr�sentation de pi�ces de purs hommes de lettres; avec de grosses subventions dont l'argent n'aide jamais un d�butant; avec l'amusante tendance du gouvernement � n'accepter de tentatives dans un ordre �lev� que de gens sans talent; avec, dans les collaborations, le doublement du po�te par un _auteur d'affaires_; avec le remplacement de l'ancien parterre lettr� de la Com�die-Fran�aise par un public d'op�ra; avec... avec... avec des actrices qui ne sont plus gu�re pour la plupart que des porte-manteaux de Worth; et encore avec des _avec_ qui n'en finiraient pas, l'art th��tral, le grand art fran�ais du pass�, l'art de Corneille, de Racine, de Moli�re et de Beaumarchais est destin�, dans une cinquantaine d'ann�es tout au plus, � devenir une grossi�re distraction, n'ayant plus rien de commun avec l'_�criture_, le style, le bel esprit, quelque chose digne de prendre place entre des exercices de chiens savants et une exhibition de marionnettes � tirades. Dans cinquante ans le livre aura tu� le th��tre[33]. EDMOND DE GONCOURT. Ce 11 mai 1879. AUTOBIOGRAPHIE JOURNAL DES GONCOURT M�MOIRES DE LA VIE LITT�RAIRE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[34] Ce journal est notre confession de chaque soir: la confession de deux vies _ins�par�es_ dans le plaisir, le labeur, la peine, de deux pens�es jumelles, de deux esprits recevant du contact des hommes et des choses des impressions si semblables, si identiques, si homog�nes, que cette confession peut �tre consid�r�e comme l'expansion d'un seul _moi_ et d'un seul _je_. Dans cette autobiographie, au jour le jour, entrent en sc�ne les gens que les hasards de la vie ont jet�s sur le chemin de notre existence. Nous les avons _portraitur�s_, ces hommes, ces femmes, dans leurs ressemblances du jour et de l'heure, les reprenant au cours de notre journal, les remontrant plus tard sous des aspects diff�rents, et, selon qu'ils changeaient et se modifiaient, d�sirant ne point imiter les faiseurs de m�moires qui pr�sentent leurs figures historiques, peintes en bloc et d'une seule pi�ce, ou peintes avec des couleurs refroidies par l'�loignement et l'enfoncement de la rencontre,--ambitieux, en un mot, de repr�senter l'ondoyante humanit� dans sa _v�rit� momentan�e_. Quelquefois m�me, je l'avoue, le changement indiqu� chez les personnes qui nous furent famili�res ou ch�res ne vient-il pas du changement qui s'�tait fait en nous? Cela est possible. Nous ne nous cachons pas d'avoir �t� des cr�atures passionn�es, nerveuses, maladivement impressionnables, et par l� quelquefois injustes. Mais ce que nous pouvons affirmer, c'est que si parfois nous nous exprimons avec l'injustice de la pr�vention ou l'aveuglement de l'antipathie irraisonn�e, nous n'avons jamais menti sciemment sur le compte de ceux dont nous parlons. Donc, notre effort a �t� de chercher � faire revivre aupr�s de la post�rit� nos contemporains dans leur ressemblance anim�e, � les faire revivre par la st�nographie ardente d'une conversation, par la surprise physiologique d'un geste, par ces riens de la passion o� se r�v�le une personnalit�, par ce je ne sais quoi qui donne l'intensit� de la vie,--par la notation enfin d'un peu de cette fi�vre qui est le propre de l'existence capiteuse de Paris. Et, dans ce travail qui voulait avant tout _faire vivant_ d'apr�s un ressouvenir encore chaud, dans ce travail jet� � la h�te sur le papier et qui n'a pas �t� toujours relu--vaillent que vaillent la syntaxe au petit bonheur, et le mot qui n'a pas de passeport--nous avons toujours pr�f�r� la phrase et l'expression qui �moussaient et _acad�misaient_ le moins le vif de nos sensations, la fiert� de nos id�es. Ce journal a �t� commenc� le 2 d�cembre 1851, jour de la mise en vente de notre premier livre qui parut le jour du coup d'�tat. Le manuscrit tout entier, pour ainsi dire, est �crit par mon fr�re, sous une dict�e � deux: notre mode de travail pour ces M�moires. Mon fr�re mort, regardant notre oeuvre litt�raire comme termin�e, je prenais la r�solution de cacheter le journal � la date du 20 janvier 1870, aux derni�res lignes trac�es par sa main. Mais alors j'�tais mordu du d�sir amer de me raconter � moi-m�me les derniers mois et la mort du pauvre cher, et presque aussit�t les tragiques �v�nements du si�ge et de la Commune m'entra�naient � continuer ce journal, qui est encore, de temps en temps, le confident de ma pens�e. EDMOND DE GONCOURT. Schliers�e, ao�t 1872. * * * * * Ce journal ne devait para�tre que vingt ans apr�s ma mort. C'�tait, de ma part, une r�solution arr�t�e, lorsque l'an dernier, dans un s�jour que je faisais � la campagne, chez Alphonse Daudet, je lui lisais un cahier de ce journal, que sur sa demande j'avais pris avec moi. Daudet prenait plaisir � la lecture, s'�chauffait sur l'int�r�t des choses racont�es sous le coup de l'impression, me sollicitait d'en publier des fragments, mettait une douce violence � emporter ma volont�, en parlait � notre ami commun, Francis Magnard, qui avait l'aimable id�e de les publier dans le FIGARO. Or voici ce journal, ou du moins la partie qu'il est possible de livrer � la publicit� de mon vivant et du vivant de ceux que j'ai �tudi�s et peints _ad vivum_. Ces m�moires sont absolument in�dits, toutefois il m'a �t� impossible de ne pas � peu pr�s r��diter, par-ci, par-l�, tel petit morceau d'un roman ou d'une biographie contemporaine, qui se trouve �tre une page du journal, employ�e comme document dans ce roman ou cette biographie. Je demande enfin au lecteur de se montrer indulgent pour les premi�res ann�es, o� nous n'�tions que d'assez imparfaits r�dacteurs de la _note d'apr�s nature_; puis il voudra bien songer aussi qu'en ce temps de d�but, nos relations �taient tr�s restreintes et, par cons�quent, le champ de nos observations assez born�[35]. E. DE G. HISTOIRE HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LA R�VOLUTION[36] HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LE DIRECTOIRE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION DE _LA SOCI�T� PENDANT LA R�VOLUTION_ Ceci n'est pas une pr�face. C'est un simple et court avertissement. Pour cet essai de reconstruction d'une soci�t� si proche tout � la fois et si �loign�e de nous, nous avons consult� environ quinze mille documents contemporains: journaux, livres, brochures, etc. C'est dire que derri�re le plus petit fait avanc� dans ces pages, derri�re le moindre mot, il est un document que nous nous tenons pr�ts � fournir � la critique. C'est dire que cette histoire intime appartient, sinon � l'histoire grave, au moins � l'histoire s�rieuse. Si nous n'avons pas indiqu� toutes nos sources, c'est qu'il e�t fallu, pour ce faire, doubler notre volume. Le public n'ignore pas que le catalogue des journaux de la R�volution, dress� par Deschiens, forme seul un volume in-8 de 465 pages. La conscience de n'avoir rien pris au roman et de ne lui avoir rien donn�, est notre seule excuse dans une tentative si grande. Il nous reste � remplir un agr�able devoir et � satisfaire notre reconnaissance sans nous d�lier d'elle. Remercions tout haut les obligeances. M. Peyrot possesseur d'une pr�cieuse collection sur la R�volution fran�aise l'a mise toute � notre disposition, avec un empressement et une gr�ce de bon office qui m�ritent qu'on n'en soit pas oublieux. Un savant trop modeste, M. M�n�trier, nous a communiqu� livres et renseignements, de la fa�on la plus aimable et la plus bienveillante. Un dernier mot. Pour �tre compl�te, l'histoire de la soci�t� fran�aise pendant la R�volution, demande un autre volume l'Histoire de la soci�t� fran�aise pendant le Directoire: l'accueil que fera le public � ce premier volume d�cidera si nous irons jusqu'au bout de notre oeuvre. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. 31 janvier 1854. * * * * * PR�FACE DE _L'HISTOIRE DE LA SOCI�T� PENDANT LE DIRECTOIRE_[37] L'histoire de LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LA R�VOLUTION, n'a qu'� se louer du public et de la critique: le public l'a lue; la critique en a parl�. Des reproches qui ont �t� faits aux auteurs dans les journaux et les revues, quelques-uns leur ont paru m�riter plus particuli�rement une r�ponse. On a reproch� aux auteurs de n'avoir point n�glig� l'anecdote, le d�tail, le coin intime des hommes et des choses.--Les auteurs r�pondront, pour leur d�fense, qu'ils ont �t� entra�n�s dans cette voie par deux anecdotiers, leurs ma�tres: Plutarque et Saint-Simon. On a reproch� aux auteurs d'avoir donn� un tableau du d�veloppement de la prostitution pendant les ann�es r�volutionnaires, et de n'avoir point imit� la chastet� de plume de Tacite.--Les auteurs r�pondront que l'historien des C�sars n'a pas �crit l'histoire de la soci�t� romaine, et que ceux-l� qui veulent savoir les moeurs, aux temps des N�ron et des Locuste, se r�signent � garder dans leur biblioth�que Juv�nal � c�t� de Tacite. On a reproch� aux auteurs d'avoir plac�, en 1789, la soci�t� fran�aise � Paris, au lieu de l'avoir plac�e en province; on a reproch� aux auteurs �dont le nom semble r�v�ler une vieille origine provinciale�, d'avoir commis ce contresens au m�pris des traditions de famille.--Les auteurs ont remont� leur famille: ils ont trouv� en 1789, leur grand-p�re Huot de Goncourt, non en province, mais � Paris, d�put� du Bassigni � l'Assembl�e nationale. On a reproch� aux auteurs, ici, des opinions; l�, des indiff�rences politiques.--Les auteurs n'ont rien � r�pondre. Le public a paru d�sirer la preuve de tous les documents employ�s. Les auteurs sont d'autant plus heureux de se rendre � ce voeu du public, que le public appr�ciera plus nettement ainsi ce que co�te de recherches la petite histoire. Les auteurs veulent, au bout de ces quelques lignes, assurer de leur gratitude profonde M. Fran�ois Barri�re, qui, dans le JOURNAL DES D�BATS les a pay�s de deux ann�es de veilles, et qui a bien voulu donner � leur travail historique l'autorit� d'une critique comp�tente et presque d'un t�moignage contemporain. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. 31 janvier 1855. NOUVELLE PR�FACE DE _L'HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LA R�VOLUTION ET PENDANT LE DIRECTOIRE_[38] L'histoire politique de la R�volution est faite et se refait tous les jours. L'histoire sociale de la R�volution a �t� tent�e pour la premi�re fois dans ces �tudes qui ont aujourd'hui l'honneur d'une nouvelle �dition: l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LA R�VOLUTION, que va suivre l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� PENDANT LE DIRECTOIRE, en ce moment sous presse. Peindre la France, les moeurs, les �mes, la physionomie nationale, la couleur des choses, la vie et l'humanit� de 1789 � 1800,--telle a �t� notre ambition. Pour cette nouvelle histoire, il nous a fallu d�couvrir les nouvelles sources du Vrai, demander nos documents aux journaux, aux brochures, � tout ce monde de papier mort et m�pris� jusqu'ici, aux autographes, aux gravures, aux dessins, aux tableaux, � tous les monuments intimes qu'une �poque laisse derri�re elle pour �tre sa confession et sa r�surrection. Le public et la critique ont bien voulu nous tenir compte de notre travail: nous les en remercions. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Mai 1864. PORTRAITS INTIMES DU DIX-HUITI�ME SI�CLE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[39] Quand les civilisations commencent, quand les peuples se forment, l'histoire est _drame_ ou _geste_. Qu'elle soit fable, qu'elle soit roman, l'histoire est action. Qu'elle raconte Hercule ou Roland, elle dit l'homme dans le mouvement et dans les entreprises de son corps; elle le montre dans l'exercice de sa force; elle le repr�sente en ses dehors. Cependant il arrive que le monde s'apaise. Autour de l'homme, les choses ont perdu leur violence. L'id�e d�sarme le fait. L'�me de l'humanit� se recueille. Le _gnothi s�auton_ des �ges modernes renouvelle l'esprit m�r des peuples. Hamlet est venu. La psychologie na�t. L'analyse entre dans la �caverne� de Bacon. Rousseau, Benjamin Constant, Chateaubriand, Byron, r�citant leur coeur, r�citent le coeur humain. L'homme �coute en lui. Par une �volution pareille et simultan�e, l'histoire va du h�ros � l'homme, de l'action au mobile, du corps � l'�me; et elle se tourne vers cette biographie que Montaigne appelle �l'anatomie de la philosophie, par laquelle les plus abstruses parties de notre nature se p�n�trent�. Les si�cles qui ont pr�c�d� notre si�cle ne demandaient � l'historien que le personnage de l'homme, et le portrait de son g�nie. L'homme d'�tat, l'homme de guerre, le po�te, le peintre, le grand homme de science ou de m�tier �taient montr�s seulement en leur r�le, et comme en leur jour public, dans cette oeuvre et cet effort dont h�rite la post�rit�. Le XIXe si�cle demande l'homme qui �tait cet homme d'�tat, cet homme de guerre, ce po�te, ce peintre, ce grand homme de science ou de m�tier. L'�me qui �tait en cet acteur, le coeur qui a v�cu derri�re cet esprit, il les exige et les r�clame; et s'il ne peut recueillir tout cet �tre moral, toute la vie int�rieure, il commande du moins qu'on lui en apporte une trace, un jour, un lambeau, une relique. L� est la curiosit� nouvelle de l'histoire, et le devoir nouveau de l'historien. Tout conspire � ce grand et l�gitime mouvement. Chaque jour lui apporte sa sanction. Voil� que les plumes les plus illustres s'y associent; voil� que les intelligences les plus s�rieuses, s�duites et gagn�es par la fragilit� m�me d'aimables figures, pratiquent, dans une amoureuse familiarit�, et dans leurs gr�ces les plus secr�tes, les �mes charmantes d'un grand si�cle. Et qu'est-ce donc cette science sans d�dains, cette peinture qui descend � tout sans s'amoindrir, cette sagacit� d�ductive, cette reconstruction du microcosme humain avec un grain de sable? C'est l'histoire intime; c'est ce roman vrai que la post�rit� appellera peut-�tre un jour l'_histoire humaine_. Mais o� chercher les sources nouvelles d'une telle histoire? O� la surprendre, o� l'�couter, o� la confesser? O� d�couvrir les images priv�es? O� reprendre la vie psychique, o� retrouver le for int�rieur, o� ressaisir l'humanit� de ces morts? Dans ce rien m�pris� par l'histoire des temps pass�s, dans ce rien, chiffon, poussi�re, jouet du vent!--la lettre autographe. Qui r�v�lera mieux que la lettre autographe la t�te et le coeur de l'individu? Quoi donc sera une d�position plus fid�le et plus indiscr�te du _moi_? Quoi donc, un battement plus plein et plus juste du pouls de l'intelligence? Quoi donc, une manifestation plus �mue de la personnalit� de l'�me pendant sa vie terrestre? O� l'homme enfin avouera-t-il davantage l'homme, qu'en ces lignes �chapp�es de sa main? Seule, la lettre autographe fera toucher du doigt le jeu nerveux de l'�tre sous le choc des choses, la pes�e de la vie, la tyrannie des sensations. Seule, elle dira les penchants, les go�ts, les inclinations, les instincts, le secret conseil o� se r�glent les actions de l'homme. Seule, elle dira le pourquoi et le comment de cette oeuvre, de cette volont� devenue fait. Seule, elle fera entrer dans l'esprit et dans toute l'audace de l'id�e. Seule, elle montrera sur le vif cette sant� de l'esprit: l'humeur. Seule, la lettre autographe sera le confessionnal o� vous entendrez le r�ve de l'imagination de la cr�ature, ses tristesses et ses gaiet�s, ses fatigues et ses retours, ses d�faillances et ses orgueils, sa lamentation et son ingu�rissable espoir. Miroir magique o� se passe l'intention visible, et la pens�e nue! Ce papier tach� d'encre, c'est le greffe o� est d�pos�e l'�me humaine. Quelle lumi�re dans la nuit du temps! Quelle survie de l'homme! Quelle immortalit� des grandeurs et des mis�res de notre nature! Quelle r�surrection,--la lettre autographe,--ce silence qui dit tout! * * * * * Nous tentons de reconstruire avec la lettre autographe, figure � figure, un si�cle que nous aimons. Nous essayons de ranimer ces hommes et ces femmes, quelquefois avec une correspondance, trop souvent avec une lettre. H�las! le feu, la r�volution, les �piciers ont fait nos documents bien rares. Le lecteur ne doit pas s'attendre � trouver ici une suite de vies enti�res. Nous ne voulons point redire les biographies d�j� dites. Nous voulons seulement ajouter aux recherches connues, aux documents publi�s, l'inconnu et l'in�dit, nous r�servant de raconter d'un bout � l'autre, de peindre en pied, les personnages _oubli�s ou d�daign�s_ par l'histoire. Si peu que vaille notre tentative, elle est digne de la cl�mence du public. Elle m�rite qu'on ne la chicane point trop sur son mode et son ordre, et qu'on n'exige pas d'elle plus qu'il n'est juste. Les autographes sont �pars, diss�min�s par toute l'Europe. Les collectionneurs ne poss�dent qu'une lettre de chacun. Bien des ventes se passent sans vous rien apporter sur l'homme que vous poursuivez. Il faut courir les biblioth�ques, acheter, obtenir communication, rassembler, par mille moyens et par mille fatigues, les �l�ments uniques et dispers�s du travail. Grande t�che! pour laquelle nous avons plus consult� peut-�tre notre z�le que nos forces. Voici donc notre butin: la premi�re galerie d'un XVIIIe si�cle peint par lui-m�me, vingt portraits, ou bustes, ou m�daillons nouveaux, et pris dans le plus intime int�r�t autobiographique. Le livre e�t �t� impossible, sans l'aide, le concours, les communications obligeantes des amateurs d'autographes. Remercions donc de notre mieux M. F. Barri�re, M. le marquis de Flers, M. Boutron, M. Chambry, M. Dentu, M. Foss� d'Arcosse, etc., qui ont bien voulu mettre leurs richesses � notre disposition, et quelque prix � notre reconnaissance[40]. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. 30 octobre 1856. HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE PR�FACE DE L'�DITION ILLUSTR�E[41] Les auteurs de ce livre ont eu la fortune de peindre en pied une MARIE-ANTOINETTE que les r�centes publications des _Archives_ de Vienne n'ont pas sensiblement modifi�e. En effet, ils ne donnent pas pour le portrait de la Reine, la figure de convention, l'esp�ce de fausse duchesse d'Angoul�me, fabriqu�e par la Restauration. Ils montrent une femme, une femme du XVIIIe si�cle aimant la vie, l'amusement, la distraction, ainsi que l'aime, ainsi que l'a toujours aim�e la jeunesse de la beaut�, une femme un peu vive, un peu fol�tre, un peu moqueuse, un peu �tourdie, mais une femme honn�te, mais une femme pure, qui n'a jamais eu, selon l'expression du prince de Ligne, �qu'une coquetterie de Reine pour plaire � tout le monde�. Il ne faut pas oublier que Marie-Antoinette avait quinze ans et demi, lorsqu'elle arrive en France, lorsqu'elle tombe dans ce royaume du _papillotage_ et du Plaisir, parmi cette g�n�ration de Fran�aises qui semblent repr�senter la D�raison, dans l'agitation fi�vreuse de leurs existences futiles et vides. Demander � cette jeune fille d'�chapper enti�rement aux milieux dans lesquels sa vie se passe, de n'appartenir en rien � l'humanit� de sa nouvelle patrie: c'est exiger de la Nature qu'elle ait fait un miracle,--et elle n'en fait pas. Mais cependant allons au fond des rapports de Mercy-Argenteau et des lettres de Marie-Th�r�se, lettres devenues des armes aux mains des ennemis de la m�moire de la Reine, etc. Qu'y trouvons-nous? Ici la s�v�re m�re reproche � sa fille de monter � cheval, l� d'aller au bal, plus loin de porter des plumes extravagantes, plus loin encore d'acheter des diamants. Elle la gronde �d'avoir de la curiosit� et de ne s'entretenir qu'avec de jeunes dames, de se laisser aller � des propos incons�quents, de manquer de go�t pour les occupations solides�... Je le demande en conscience aux lecteurs sans passion politique, s'il existait pour la jolie femme la plus humainement parfaite du monde, de seize � vingt-cinq ans, un proc�s-verbal, jour par jour, de toutes les _grogneries_ des vieux parents � propos de sa toilette, de son amour de la danse, de sa naturelle envie de s'amuser et de plaire, le dossier accusateur de cette jolie femme ne serait-il point aussi volumineux que celui de Marie-Antoinette? EDMOND DE GONCOURT. LES MA�TRESSES DE LOUIS XV PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[42] En donnant ces volumes au public, nous achevons la t�che que nous nous �tions impos�e. L'histoire du XVIIIe si�cle, que nous avons tent� d'�crire, est aujourd'hui compl�te. Chacune des p�riodes de temps, chacune des r�volutions d'�tat et de moeurs qui constituent le si�cle, depuis Louis XV jusqu'� Napol�on, a �t� �tudi�e par nous, selon notre conscience et selon nos forces. L'HISTOIRE DES MA�TRESSES DE LOUIS XV m�ne le lecteur de 1730 � 1775; l'HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE le m�ne de 1775 � la R�volution; l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LA R�VOLUTION le m�ne de 1789 � 1794; l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE PENDANT LE DIRECTOIRE le m�ne enfin de 1794 � 1800. Ainsi tout le si�cle tient dans ces quatre �tudes, qui sont comme les quatre �ges de l'�poque qui nous a pr�c�d�s et de la France d'o� sont sortis le si�cle contemporain et la patrie pr�sente. Le titre de ces livres suffirait � montrer le dessein que nous avons eu, et le but auquel nous avons os� aspirer. C'est par l'histoire des ma�tresses de Louis XV que nous avons essay� l'histoire du r�gne de Louis XV; c'est par l'histoire de Marie-Antoinette que nous avons essay� l'histoire du r�gne de Louis XVI; c'est par l'histoire de la soci�t� pendant la R�volution et pendant le Directoire que nous avons essay� l'histoire de la R�volution. Ajoutons cependant � cette signification des titres les courtes explications n�cessaires � la justification, � l'intelligence et � l'autorit� d'une histoire nouvelle. * * * * * Aux premiers jours o�, dans les agr�gations d'hommes, l'homme �prouve le besoin d'interroger le pass� et de se survivre � lui-m�me dans l'avenir; quand la famille humaine r�unie commence � vouloir remonter jusqu'� ses origines, et s'essaye � fonder l'h�ritage des traditions, � nouer la cha�ne des connaissances qui unissent et associent les g�n�rations aux g�n�rations, ce premier instinct, cette premi�re r�v�lation de l'histoire, s'annonce par la curiosit� et la cr�dulit� de l'enfance. L'imagination, ce principe et cette facult� m�re des facult�s humaines, semble, dans ces premi�res chroniques, �veiller la v�rit� au berceau. C'est comme le b�gayement du monde o�, confus�ment, passent les r�ves de sa premi�re patrie, les songes et les merveilles de l'Orient. Tout y est �norme et monstrueux, tout y est flottant et po�tique comme dans un cr�puscule. Voil� les premi�res annales, et ce qui succ�de � ces recueils de vers mn�moniques, hier toute la m�moire de l'humanit�, et toute la conscience qu'elle avait, non de sa vie, mais de son �ge: l'Histoire commence par un conte �pique. Bient�t la famille humaine devient la patrie; et sous les regards satisfaits de cette Providence que les anciens voyaient sourire du haut du ciel aux soci�t�s d'hommes, les hommes se lient par la loi et le droit, et se transmettent le patrimoine de la chose publique. La pratique de la politique apporte l'exp�rience � l'esprit humain. Dans toutes les facult�s humaines, il se fait la r�volution qui substitue la parole au chant, l'�loquence � l'imagination. Le rapsode est devenu citoyen, et le conte �pique devient un discours: l'histoire est une tribune o� un homme, dou� de cette harmonie des pens�es et du ton que les Latins appelaient _ubert�_, vient plaider la gloire de son pays et t�moigner des grandes choses de son temps. Puis arrive l'heure o� les cr�dulit�s de l'enfance, les illusions de la jeunesse abandonnent l'humanit�. L'�ge l�gendaire de la Gr�ce est fini; l'�ge r�publicain de Rome est pass�. La patrie est un homme et n'est plus qu'un homme: et c'est l'homme m�me que l'histoire va peindre. Il s'�l�ve alors, dans le monde asservi et rempli de silence, un historien nouveau et prodigieux qui fait de l'Histoire, non plus la tradition des fables de son temps, non plus la tribune d'une patrie, mais la d�position de l'humanit�, la conscience m�me du genre humain. Telle est la marche de l'Histoire antique. Fabuleuse avec H�rodote, oratoire avec Thucydide et Tite-Live, elle est humaine avec Tacite. L'Histoire humaine, voil� l'histoire moderne; l'histoire sociale, voil� la derni�re expression de cette histoire. Cette histoire nouvelle, l'histoire sociale, embrassera toute une soci�t�. Elle l'embrassera dans son ensemble et dans ses d�tails, dans la g�n�ralit� de son g�nie aussi bien que dans la particularit� de ses manifestations. Ce ne seront plus seulement les actes officiels des peuples, les sympt�mes publics et ext�rieurs d'un �tat ou d'un syst�me social, les guerres, les combats, les trait�s de paix, qui occuperont et rempliront cette histoire. L'histoire sociale s'attachera � l'histoire qu'oublie ou d�daigne l'histoire politique. Elle sera l'histoire priv�e d'une race d'hommes, d'un si�cle, d'un pays. Elle �tudiera et d�finira les r�volutions morales de l'humanit�, les formes temporelles et locales de la civilisation. Elle dira les id�es port�es par un monde, et d'o� sont sorties les lois qui ont renouvel� ce monde. Elle dira ce caract�re des nations, les moeurs qui commandent aux faits. Elle retrouvera, sous la cendre des bouleversements, cette m�moire vivante et pr�sente que nous a gard�e, d'un grand empire �vanoui, la cendre du volcan de Naples. Elle p�n�trera jusqu'au foyer, et en montrera les dieux lares et les religions famili�res. Elle entrera dans les intimit�s et dans la confidence de l'�ge humain qu'elle se sera donn� mission d'�voquer. Elle repr�sentera cet �ge sur son th��tre m�me, au milieu de ses entours, assis dans ce monde de choses, auquel un temps semble laisser l'ombre et comme le parfum de ses habitudes. Elle redira le ton de l'esprit, l'accent de l'�me des hommes qui ne sont plus. Elle fera � la femme, cette grande actrice m�connue de l'histoire, la place que lui a faite l'humanit� moderne dans le gouvernement des moeurs et de l'opinion publique. Elle ressuscitera un monde disparu, avec ses mis�res et ses grandeurs, ses abaissements et ses gr�ces. Elle ne n�gligera rien pour peindre l'humanit� en pied. Elle tirera de l'anecdote le bronze ou l'argile de ses figures. Elle cherchera partout l'�cho, partout la vie d'hier; et elle s'inspirera de tous les souvenirs et des moindres t�moignages pour retrouver ce grand secret d'un temps qui est la r�gle de ses institutions: l'esprit social,--clef perdue du droit et des lois du monde antique. Et lors m�me que cette histoire prendra pour cadre la biographie des personnages historiques, l'unit� de son sujet ne lui �tera rien de son caract�re et ne diminuera rien de sa t�che. Elle groupera, autour de cette figure choisie, le temps qui l'aura entour�e. Elle associera � cette vie, qui dominera le si�cle ou le subira, la vie complexe de ce si�cle; et elle fera mouvoir, derri�re le personnage qui portera l'action et l'int�r�t du r�cit, le choeur des id�es et des passions contemporaines. Les pens�es, les caract�res, les sentiments, les hommes, les choses, l'�me et les dehors d'un peuple appara�tront dans le portrait de cette personnalit� o� l'humanit� d'un temps se montrera comme en un grand exemple. Pour une pareille histoire, pour cette reconstitution enti�re d'une soci�t�, il faudra que la patience et le courage de l'historien demandent des lumi�res, des documents, des secours � tous les signes, � toutes les traces, � tous les restes de l'�poque. Il faudra que sans lassitude il rassemble de toutes parts les �l�ments de son oeuvre, divers comme son oeuvre m�me. Il aura � feuilleter les histoires du temps, les d�positions personnelles, les historiographes, les m�morialistes. Il recourra aux romanciers, aux auteurs dramatiques, aux conteurs, aux po�tes comiques. Il feuilletera les journaux, et descendra � ces feuilles �ph�m�res et volantes, jouets du vent, tr�sors du curieux, tout �tonn�es d'�tre pour la premi�re fois feuillet�es par l'�tude: brochures, _sottisiers_, pamphlets, _gazetins_, factums. Mais l'imprim� ne lui suffira pas: il frappera � une source nouvelle, il ira aux confessions in�dites de l'�poque, aux lettres autographes, et il demandera � ce papier vivant la franchise crue de la v�rit� et la v�rit� intime de l'histoire. Mais les livres, les lettres, la biblioth�que et le cabinet noir du pass�, ne seront point encore assez pour cet historien: s'il veut saisir son si�cle sur le vif et le peindre tout chaud, il sera n�cessaire qu'il pousse au del� du papier imprim� ou �crit. Un si�cle a d'autres outils de survie, d'autres instruments et d'autres monuments d'immortalit�: il a, pour se t�moigner au souvenir et durer au regard, le bois, le cuivre, la laine m�me et la soie, le ciseau de ses sculpteurs, le pinceau de ses peintres, le burin de ses graveurs, le compas de ses architectes. Ce sera dans ces reliques d'un temps, dans son art, dans son industrie, que l'historien cherchera et trouvera ses accords. Ce sera dans la communion de cette inspiration d'un temps, sous la possession de son charme et de son sourire, que l'historien arrivera � vivre par la pens�e aussi bien que par les yeux dans le pass� de son �tude et de son choix, et � donner � son histoire cette vie de la ressemblance, la physionomie de ce qu'il aura voulu peindre. Cette histoire qui demande ces travaux, ces recherches, cette assimilation et cette intuition, nous l'avons tent�e. Nos livres en ont indiqu�, croyons-nous, les limites, le dessin g�n�ral, les droits et les devoirs. Cela nous suffit; et tous nos efforts seront pay�s, toutes nos ambitions seront satisfaites, si nous avons fray� � de meilleurs que nous la voie que nous avaient montr�e Alexis Monteil et Augustin Thierry. * * * * * Il nous reste � dire quelques mots du pr�sent livre: LES MA�TRESSES DE LOUIS XV, pour en d�finir la moralit� et l'enseignement. La le�on de ce long et �clatant scandale sera l'avertissement que la Providence s'est plu � donner � l'avenir par la rencontre en un m�me r�gne de trois r�gnes de femmes, et la domination successive de la femme des trois ordres du temps, de la femme de la noblesse: Mme de la Tournelle; de la femme de la bourgeoisie: Mme de Pompadour; de la femme du peuple: Mme du Barry. Le livre qui racontera l'histoire de ces femmes montrera comment la ma�tresse, sortie du haut, du milieu ou du bas de la soci�t�, comment la femme avec son sexe et sa nature, ses vanit�s, ses illusions, ses engouements, ses faiblesses, ses petitesses, ses fragilit�s, ses tyrannies et ses caprices, a tu� la royaut� en compromettant la volont� ou en avilissant la personne du Roi. Il convaincra encore les favorites du XVIIIe si�cle d'une autre oeuvre de destruction: il leur rapportera l'abaissement et la fin de la noblesse fran�aise. Il rappellera comment, par les exigences de leur toute-puissance, par les l�chet�s et les agenouillements qu'elles obtinrent autour d'elles d'une petite partie de cette noblesse, ces trois femmes an�antirent dans la monarchie des Bourbons ce que Montesquieu appelle si justement le ressort des monarchies: l'honneur; comment elles ruin�rent cette base d'un �tat qui est le gage du lendemain d'une soci�t�: l'aristocratie; comment elles firent que la noblesse de France, celle qui les approchait aussi bien que celle qui mourait sur les champs de bataille, et celle qui donnait � la province l'exemple des vertus domestiques, envelopp�e tout enti�re dans les calomnies, les accusations et les m�pris de l'opinion publique, arriva comme la royaut�, d�sarm�e et d�couronn�e, � la r�volution de 1789. Ce livre, comme les livres qui l'ont pr�c�d�, a �t� �crit en toute libert� et en toute sinc�rit�. Nous l'avons entrepris sans pr�jug�s, nous l'avons achev� sans complaisances. Ne devant rien au pass�, ne demandant rien � l'avenir, il nous a �t� permis de parler du si�cle de Louis XV, sans injures comme sans flatteries. Peut-�tre les partis les plus contraires seront-ils choqu�s, peut-�tre les passions contemporaines seront-elles scandalis�es de trouver en une telle mati�re et sur un temps une si singuli�re impartialit�, une justice si peu appliqu�e � les satisfaire. Mais quoi? Celui-l� ne ferait-il pas tout � la fois la t�che de l'histoire bien mis�rable et sa r�compense bien basse, qui donnerait pour ambition � l'historien l'applaudissement du pr�sent? Il est dans un ancien une grande et magnifique image qui montre � notre conscience de plus hautes esp�rances, et doit la convier � de plus nobles devoirs. L'architecte qui construisit la tour de Pharos, grava son nom dans la pierre, et le recouvrit d'un enduit de pl�tre sur lequel il �crivit le nom du roi qui r�gnait alors. Avec le temps le pl�tre tomba, laissant voir aux marins battus des flots: _Sostrate de Cnide, fils de Dexiphane_... �Voil� comment il faut �crire l'histoire,� dit Lucien, et c'est le dernier mot de son Trait� de l'histoire. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Paris, f�vrier 1860. Cette biographie des MA�TRESSES DE LOUIS XV[43], �crite il y a bien des ann�es, quand je me suis mis tout derni�rement � la relire et � la retravailler, m'a sembl� manquer de certaines qualit�s historiques. Le livre, � la lecture, m'a fait l'impression d'une histoire renfermant trop de jolie rh�torique, trop de morceaux de litt�rature, trop d'_airs de bravoure_, plac�s c�te � c�te, sans un r�cit qui les espace et les relie. J'ai trouv� aussi qu'en cette �tude, on ne sentait pas la succession des temps, que les ann�es ne jouaient pas en ces pages le r�le un peu lent qu'elles jouent dans les �v�nements humains; que les faits, quelquefois arrach�s � leur chronologie et toujours group�s par tableaux, se pr�cipitaient, sans donner � l'esprit du lecteur l'id�e de ces r�gnes et de ces dominations de femmes. M�me ces souveraines de l'amour que nous avions tent� de faire revivre, ne m'apparaissaient pas assez p�n�tr�es dans l'intimit� et le vif de leur _f�minilit�_ particuli�re, de leur mani�re d'�tre, de leurs gestes, de leurs habitudes de corps, de leur parole, du son de leur voix... pas assez peintes, en un mot, ainsi qu'elles auraient pu l'�tre par des contemporains. Cette histoire me paraissait enfin trop sommaire, trop courante, trop �crite � vol d'oiseau, si l'on peut dire. En ces ann�es, il existait chez mon fr�re et moi, il faut l'avouer, un parti pris, un syst�me, une m�thode qui avait l'horreur des redites. Nous �tions alors passionn�s pour l'_in�dit_ et nous avions, un peu � tort, l'ambition de faire de l'histoire absolument neuve, tout pleins d'un d�dain exag�r� pour les notions et les livres vulgaris�s. Ce sont toutes ces choses et d'autres encore qui manquaient � ce livre, lors de sa premi�re apparition, que j'ai t�ch� d'introduire dans cette nouvelle �dition, m'appliquant � apporter dans la r�surrection de mes personnages, la r�alit� cruelle que mon fr�re et moi avons essay� d'introduire dans le roman, m'appliquant � les d�pouiller de cette couleur _�pique_ que l'Histoire a �t� jusqu'ici toujours dispos�e � leur attribuer, m�me aux �poques les plus d�cadentes. Cette histoire des MA�TRESSES DE LOUIS XV, publi�e dans le principe en deux volumes, je la r��dite, aujourd'hui, en trois volumes ind�pendants l'un de l'autre et ayant pour titre: LA DUCHESSE DE CHATEAUROUX ET SES SOEURS. MADAME DE POMPADOUR. LA DU BARRY. Trois volumes contenant la vie des trois grandes Ma�tresses d�clar�es, et qui sont, en ce si�cle de la toute-puissance de la femme, �l'Histoire de Louis XV�, depuis sa pubert� jusqu'� sa mort. EDMOND DE GONCOURT. Ao�t 1878. LA FEMME AU XVIIIe SI�CLE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[44] Un si�cle est tout pr�s de nous. Ce si�cle a engendr� le n�tre. Il l'a port� et l'a form�. Ses traditions circulent, ses id�es vivent, ses aspirations s'agitent, son g�nie lutte dans le monde contemporain. Toutes nos origines et tous nos caract�res sont en lui: l'�ge moderne est sorti de lui et datera de lui. Il est une �re humaine, il est le si�cle fran�ais par excellence. Ce si�cle, chose �trange! a �t� jusqu'ici d�daign� par l'histoire. Les historiens s'en sont �cart�s comme d'une �tude compromettante pour la consid�ration et la dignit� de leur oeuvre historique. Il semble qu'ils aient craint d'�tre not�s de l�g�ret�, en s'approchant de ce si�cle dont la l�g�ret� n'est que la surface et le masque. N�glig� par l'histoire, le XVIIIe si�cle est devenu la proie du roman et du th��tre, qui l'ont peint avec des couleurs de vaudeville, et ont fini par en faire comme le si�cle l�gendaire de l'op�ra-comique. C'est contre ces m�pris de l'histoire, contre ces pr�jug�s de la fiction et de la convention, que nous entreprenons l'oeuvre, dont ce volume est le commencement. Nous voulons, s'il est possible, retrouver et dire la v�rit� sur ce si�cle inconnu ou m�connu, montrer ce qu'il a �t� r�ellement, p�n�trer de ses apparences jusqu'� ses secrets, de ses dehors jusqu'� ses pens�es, de sa s�cheresse jusqu'� son coeur, de sa corruption jusqu'� sa f�condit�, de ses oeuvres jusqu'� sa conscience. Nous voulons exposer les moeurs de ce temps qui n'a eu d'autres lois que ses moeurs. Nous voulons aller, au-dessous ou plut�t au-dessus des faits, �tudier dans toutes les choses de cette �poque les raisons de cette �poque et les causes de cette humanit�. Par l'analyse psychologique, par l'observation de la vie individuelle et de la vie collective, par l'appr�ciation des habitudes, des passions, des id�es, des modes morales aussi bien que des modes mat�rielles, nous voulons reconstituer tout un monde disparu, de la base au sommet, du corps � l'�me. Nous avons recouru, pour cette reconstitution, � tous les documents du temps, � tous ses t�moignages, � ses moindres signes. Nous avons interrog� le livre et la brochure, le manuscrit et la lettre. Nous avons cherch� le pass� partout o� le pass� respire. Nous l'avons �voqu� dans ces monuments peints et grav�s, dans ces mille figurations qui rendent au regard et � la pens�e la pr�sence de ce qui n'est plus que souvenir et poussi�re. Nous l'avons poursuivi dans le papier des greffes, dans les �chos des proc�s, dans les m�moires judiciaires, v�ritables archives des passions humaines qui sont la confession du foyer. Aux �l�ments usuels de l'histoire, nous avons ajout� tous les documents nouveaux, et jusqu'ici ignor�s, de l'histoire morale et sociale. Trois volumes, si nous vivons, suivront ce volume de LA FEMME AU XVIIIe SI�CLE. Ces trois volumes seront: l'HOMME, l'�TAT, PARIS[45]; et notre oeuvre ainsi compl�t�e, nous aurons men� � fin une histoire qui peut-�tre m�ritera quelque indulgence de l'avenir: l'HISTOIRE DE LA SOCI�T� FRAN�AISE AU XVIIIe SI�CLE. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Paris, f�vrier 1862. SOPHIE ARNOULD PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[46] Nous achet�mes, il y a deux ans, chez M. Charavay, une liasse de papiers,--ne sachant gu�re ce que nous achetions. Dans cette liasse se trouvaient p�le-m�le des documents, des notes, des extraits, des fragments, l'�bauche d'une �tude sur Sophie Arnould, des m�moires inachev�s de la chanteuse, attribu�s par le manuscrit � Sophie elle-m�me, enfin des copies de lettres de Sophie. Une lecture attentive de ces derni�res amena la conviction dans notre esprit: ces lettres �taient incontestablement de Sophie; mais si nous n'avions pas de doute, le public avait le droit d'en avoir. Il fallait les preuves. Les catalogues d'autographes nous les fournirent imm�diatement. Des copies que nous poss�dions, nous rencontrions des extraits, publi�s d'apr�s les originaux, dans les catalogues de vente de lettres du 3 f�vrier et du 14 mai 1845, du 16 avril 1849, du 10 mars 1847, du 2 mars 1854. Plus tard, une lettre dont nous faisions l'acquisition, chez M. Laverdet, se trouvait �tre le double, exactement textuel, d'une de nos copies; plus tard encore, une lettre de Sophie, relative � la machine infernale de la rue Saint-Nicaise, que voulait bien nous communiquer M. Chambry, pr�sentait la reproduction litt�rale d'une autre de nos copies. L'authenticit� �tait donc �tablie et parfaite: c'�taient vingt-deux lettres in�dites de Sophie � M. et � Mme B�langer, sauv�es et retrouv�es. Les M�moires de Sophie,--ils ne vont malheureusement, ces M�moires, que de sa naissance � son enl�vement,--ont pour nous la m�me authenticit� historique. Il ne leur manque que la preuve des lettres, la preuve autographe. Mais c'est le tour et l'esprit de Sophie Arnould, et son ton et son accent. Cette voix m�me un peu enfl�e, ces parures de roman qu'elle donne � sa jeunesse, ce rehaussement de sa famille, cette allure moins libre et se guindant devant le public de sa vie, n'est-ce pas le caract�re et le go�t propre des m�moires d'une com�dienne qui se confesse? Sophie n'affiche-t-elle pas, dans une lettre � Lauraguais, de l'an VII, donn�e dans ce volume, l'intention d'�crire l'histoire de ses amours? Et si ces m�moires �taient fabriqu�s, pourquoi s'arr�teraient-ils en chemin? Toutefois, n'ayant point derri�re nous le manuscrit autographe, nous n'avons os� hasarder aucun extrait; nous nous sommes content�s de tirer de ces m�moires les faits qui amplifient, certifient, contredisent, avec un accent de v�rit� incontestable, les r�cits d�j� publi�s. Il fallait encore apporter � cette �tude l'int�r�t de tous les documents autographes, que la bonne volont� des amateurs pouvait mettre � notre disposition. Nous avons r�ussi, et nous remercions M. le marquis de Flers, M. Chambry, M. Boutron, M. Foss� d'Arcosse, etc., de nous avoir donn�, d'avoir offert au public les restes et les reliques de ce rare et charmant esprit. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Paris, 12 janvier 1857. Post�rieurement � la publication de la premi�re �dition de ce volume, j'ai retrouv�, j'ai acquis le commencement des M�moires _autographes_ de Sophie Arnould[47]. Malheureusement, ce n'est qu'un tr�s petit fragment. Il y a en tout quatorze pages, dans lesquelles Sophie recommence trois fois l'histoire de sa naissance et de ses premi�res ann�es. Toutefois, quelque incomplet que soit le manuscrit, son existence d�montre que les M�moires annex�s aux lettres n'ont pas �t� fabriqu�s, qu'ils ont �t� bien r�ellement �crits par la c�l�bre actrice, � la sollicitation d'un ami, d'un _teinturier_, d'un �diteur dont le nom est rest� inconnu. E. G. D�cembre 1876. Depuis la publication de cette pr�face de la seconde �dition[48], j'ai eu connaissance d'un article de l'AMATEUR D'AUTOGRAPHES (ao�t 1878) dans lequel M. Dubrunfaut avan�ait qu'on ne connaissait pas le manuscrit autographe de Sophie Arnould. Si, sans aucun doute, du moins un fragment incontestablement de la main de Sophie,--les quatorze pages que je poss�de,--et o� elle recommence trois fois l'histoire de sa naissance et de ses premi�res ann�es. Seulement, alors je croyais � une suite autographe des M�moires, peut-�tre perdue, peut-�tre enfouie dans quelque collection inconnue; � l'heure pr�sente je n'y crois plus gu�re; je suis presque convaincu que la paresseuse artiste, que l'�criture n'amusait pas, s'est arr�t�e � la quatorzi�me page, et que les m�moires manuscrits que j'ai entre les mains,--sauf le commencement,--par un certain Talbot, sur la commande de Loiseau, n'ont pas �t� r�dig�s, dis-je, sur un brouillon de la chanteuse, mais bien d'apr�s ses confidences et ses conversations. Cela est confirm� par le prospectus du livre qui a seul paru et que je poss�de �galement. Et ce prospectus, je le donne comme l'annonce d'un livre construit d'une mani�re assez originale pour le temps, et qui devait contenir des lettres et des documents que je ne retrouve pas dans les papiers de Talbot en ma possession. Prospectus. * * * * * HUIT CONTEMPORAINS, OU CORRESPONDANCE AUTOGRAPHE DE Sophie Arnould. ADANSON, philosophe naturaliste; NOVERRE, ma�tre de ballets; Le comte de LAURAGUAIS-BRANCAS; FAUJAS DE SAINT-FOND, naturaliste; BEAUMARCHAIS; Mme BEAUMARCHAIS; AVEC Feu B�LANGER, architecte du roi, etc., etc., PR�C�D�E D'UNE PARTIE DE LA VIE DE SOPHIE ARNOULD, �CRITE PAR ELLE-M�ME; D'UNE NOTICE HISTORIQUE SUR CHACUN DES PERSONNAGES PR�C�DENS; D'UN FAC-SIMIL� DE CHACUNE DE LEURS �CRITURES; ET ORN�E DE TROIS PORTRAITS, AU NOMBRE DESQUELS SE TROUVE CELUI DE SOPHIE ARNOULD, DESSIN� PAR BOIZOT. La France, amus�e dans son enfance par des hochets, berc�e dans sa jeunesse par des prestiges de gloire, et parvenue enfin � la raison de l'�ge m�r, s'est lass�e de mensonges, d'illusions, de fables... Au lieu de cela, que nous ont offert les m�moires contemporains? l'esprit de parti, les animosit�s particuli�res, les pr�jug�s, l'int�r�t surtout, d�naturant, d�colorant les faits, en publiant d'imaginaires... Les lettres famili�res nous semblent plus particuli�rement destin�es � enrichir l'histoire de documents authentiques. Cet abandon de l'amiti�, cette causerie de l'intimit�, n'admettent ni fausset�s ni d�tours, et comme l'on n'en soup�onne pas plus qu'on n'en redoute la publicit�, les pens�es les plus secr�tes s'y trahissent, l'esprit et le coeur s'y montrent sans d�guisement. Les lettres que nous annon�ons au public sont d�j� recommandables, comme on le voit, par le nom des personnages qui les ont �crites, et dont nous poss�dons les originaux; mais quand on apprendra qu'elles renferment tout ce qu'il y a de plus instructif � la fois, de plus original et de plus piquant; quand on saura que la science, la politique, la litt�rature, y ont leur compte avec de nouveaux aper�us, quand on y verra le vieux philosophe Adanson, l'homme le plus scientifique et le plus profond qui f�t jamais, s'enivrer des regards d'une Dervieux, et tourner le fuseau presque � ses pieds; Noverre, d�ployer toutes les ressources de l'imagination la plus riche; Mme Beaumarchais, effacer presque les Ninon et les S�vign�; et cette brillante Sophie Arnould, parer tour � tour son style de tout ce que l'esprit a de folle gaiet�, de tout ce que le coeur a de sentiments les plus exquis, r�v�ler avec cet abandon s�duisant toutes les petites indiscr�tions du boudoir et nous initier aux myst�res de l'alc�ve, c'est alors surtout que nos lecteurs nous sauront gr� de notre entreprise. 2 vol. in-8, 12 francs. NOTA.--Cet ouvrage sera pr�c�d� d'une Correspondance de divers particuliers de distinction avec B�langer, puis d'un Discours sur l'architecture et sur les arts en g�n�ral par B�langer, et de diff�rentes lettres du m�me � divers personnages. J'avais esp�r� d�couvrir dans les _Papiers de B�langer_, acquis par le Mus�e de la Ville de Paris, � la vente Dubrunfaut, quelques nouvelles copies de lettres d'Adanson, de Noverre, de Beaumarchais, etc., donnant des d�tails circonstanci�s sur la chanteuse; mais, sauf quatre lignes d'une lettre de �l'ami Moyreau�, je n'ai rien trouv� que les �l�ments d'une curieuse biographie de B�langer, et des r�flexions, des projets, des m�moires de l'amant de Sophie sur le go�t, sur l'�tablissement d'�chaudoirs, sur le prix du cuivre, sur les enterrements des condamn�s r�volutionnaires. EDMOND DE GONCOURT. Novembre 1884. MADAME SAINT-HUBERTY PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[49] Avec l'ambition de mettre dans mes biographies--un peu des M�moires des gens qui n'en ont pas laiss�,--j'achetais, il y a une quinzaine d'ann�es, chez le bouquiniste bien connu de l'arcade Colbert, les papiers de la Saint-Huberty. Peu � peu, avec le temps, � ces papiers se joignaient les lettres de la chanteuse, que les hasards des ventes amenaient en ma possession. Enfin, quand le paquet de mat�riaux autographes et de documents �manant de la femme me paraissait suffisant, je compl�tais mon �tude par la lecture de tous les cartons de l'ancienne Acad�mie royale de musique, conserv�s aux Archives nationales, de ces correspondances de directeurs, que je m'�tonne de voir si peu consult�es, de ces rapports vous initiant � tous les d�tails secrets des coulisses, au sens dessus dessous produit � Versailles par l'audition d'un nouvel op�ra,--et qui vous montrent Louis XVI avan�ant le conseil des ministres, pour leur permettre d'assister � la repr�sentation de DIDON jou�e pour la premi�re fois par la Saint-Huberty. EDMOND DE GONCOURT. Auteuil, f�vrier 1880. ART FRAN�AIS LA PEINTURE � L'EXPOSITION DE 1855 PR�FACE[50] La peinture est-elle un livre? La peinture est-elle une id�e? Est-elle une voix visible, une langue peinte de la pens�e? Parle-t-elle au cerveau? Son but et son action doivent-ils �tre d'immat�rialiser cela qu'elle fait de couleurs, d'emp�tements et de glacis? sa pr�occupation et sa gloire de m�priser ses conditions de vie, le sens naturel dont elle vient, le sens naturel qui la per�oit. La peinture est-elle en un mot un art spiritualiste? N'est-il pas plut�t dans ses destins et dans sa fortune de r�jouir les yeux, d'�tre l'animation mat�rielle d'un fait, la repr�sentation sensible d'une chose, et de ne pas aspirer beaucoup au del� de la r�cr�ation du nerf optique? La peinture n'est-elle pas plut�t un art mat�rialiste, vivifiant la forme par la couleur, incapable de vivifier par les intentions du dessin, le par dedans, le moral, le spirituel de la cr�ature? Autrement, qu'est le peintre?--Un esclave de la chimie, un homme de lettres aux ordres d'essences et de sucs colorants, qui a, pour toucher les oreilles de l'�me, du bitume et du blanc d'argent, de l'outremer et du vermillon. Croit-on, au reste, que ce soit abaisser la peinture que de la r�duire � son domaine propre, ce domaine que lui ont conquis le g�nie de ces palettes immortelles: V�ron�se, Titien, Rubens, Rembrandt, V�lasquez, grands peintres, vrais peintres! flamboyants �vocateurs des seules choses �vocables par le pinceau: le soleil et la chair!--ce soleil et cette chair que la nature refusa toujours aux peintres spiritualistes, comme si elle voulait les punir de la n�gliger et de la trahir. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. L'ART DU XVIIIe SI�CLE[51] PR�FACE DE L'�DITION ORIGINALE Le livre a �t� commenc� par deux fr�res, en des ann�es de jeunesse et de bonne sant�, avec la confiance de le mener � sa fin. Tout un mois, chaque ann�e, au sortir des noires et m�lancoliques �tudes de la vie contemporaine, il �tait le travail dans lequel se recr�ait, comme en de riantes vacances, leur go�t du temps pass�. Et il y avait entre eux deux une �mulation pour d�finir en une phrase, pour faire dire � un mot, le _cela_ presque inexprimable qui est dans un objet d'art. C'�tait leur livre pr�f�r�, le livre qui leur avait donn� le plus de mal. Deux ann�es encore, et l'histoire de l'art fran�ais du XVIIIe si�cle, dans toutes ses manifestations v�ritablement fran�aises, �tait termin�e. Une ann�e allait para�tre l'�COLE DE WATTEAU, contenant les biographies de Pater, de Lancret, de Portail, encadr�es dans un historique de la domination du Ma�tre pendant tout le si�cle. � cet avant-dernier fascicule devait succ�der, l'ann�e suivante, un travail g�n�ral sur la sculpture du temps, o� se serait d�tach�e, comme l'expression la plus originale de la sculpture rococo, la petite figure du sculpteur CLODION. Ces deux ann�es n'ont pas �t� donn�es � la collaboration des deux fr�res. Le plus jeune est mort. Le vieux ne se sent pas le courage--et pourquoi ne le dirait-il pas--le talent d'�crire, lui tout seul, les deux �tudes qui manquent au livre. Du reste, s'il s'en croyait capable, un sentiment pieux que comprendront quelques personnes le pousserait, le pousse aujourd'hui � vouloir qu'il en soit de ce livre, ainsi que de la chambre d'un mort bien-aim�, o� les choses demeurent telles que les a trouv�es la mort. EDMOND DE GONCOURT. GAVARNI L'HOMME ET L'OEUVRE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[52] Nous avons aim�, admir� Gavarni. Nous avons beaucoup v�cu avec lui. Pendant de longues ann�es, nous avons �t� presque la seule intimit� du misanthrope. Il �prouvait pour le plus jeune de nous deux une sorte d'affection paternelle; et la solitude du Point-du-Jour s'ouvrait � notre visite avec cet aimable mot d'accueil: �Mes enfants, vous �tes la joie de ma maison!� Ce sont, dans leur vagabondage libre et leur franche expansion, les causeries, les confidences de cette intimit� que nous donnons ici. Ce sont des journ�es enti�res pass�es ensemble, des soir�es o� nous nous attardions, oublieux de l'heure et de la derni�re gondole de Versailles; ce sont les lentes et successives retrouvailles d'un pass�, revenant � Gavarni au coin de son feu, ou au d�tour d'une all�e de son jardin,--une biographie, pour ainsi dire parl�e,--o� la parole du causeur, de l'homme qui se raconte, est not�e avec la fid�lit� d'un st�nographe. Le fils de Gavarni, Pierre Gavarni, que nous ne saurions trop remercier, a compl�t� notre travail sur la vie de son p�re, par la communication enti�re de ses papiers. Il nous a confi� ses fragments de m�moires, ses carnets, ses notules, ses r�cits de voyages, ses cahiers de math�matique, au parchemin graiss� et noirci par une compulsation continue, et o� la litt�rature �crite � rebours se m�le aux X, enfin les feuilles volantes qui livrent des �pisodes de son existence. Gavarni, en effet, fut toujours tr�s �crivassier de ses impressions, de ses sensations, de ses aventures psychologiques, et, sauf les derni�res ann�es de sa vieillesse, o� le philosophe ne formule plus sur ses journaux que des pens�es,--toute sa vie, il l'a �crite. Nous trouvons, jet� sur un morceau de papier, avec le d�sordre d'une note: _Il me manque le premier volume de ma vie d'enfant... J'ai presque tout le reste en portefeuille... J'aimerais qu'on �criv�t sans esprit. On ne s'�crit pas, on s'imprime._[53] Le soir o� il �crivait cela, Gavarni avait pr�s de lui une ma�tresse d'ancienne date; et, pour se tenir compagnie, il avait tir� d'un tiroir secret _un petit livre rouge, � coins us�s, us�s, us�s_. Le volume laiss� sur la table de nuit, il se faisait par avance une joie, sa ma�tresse couch�e et endormie, de se plonger dans le petit livre rouge _avec recueillement, solennit�, religion_. Il y avait d�j� quelque temps qu'il entendait, sans y prendre garde, crier du papier derri�re lui, quand il se retourna. _Elle en avait fait des papillotes_... Et c'�taient deux ann�es de la vie de Gavarni. * * * * * Donc il y a des ann�es dans la vie de Gavarni dont les femmes ont fait des papillotes, il y a encore des ann�es �gar�es et perdues; mais, malgr� ces petits malheurs, nul artiste jusqu'ici, croyons-nous, n'a laiss� sur lui-m�me autant de documents que Gavarni. Et avec l'inconnu et l'in�dit de ces documents authentiques et sinc�res, nous essayons aujourd'hui, dans ce livre, de faire conna�tre � la France son grand peintre de moeurs. EDMOND ET JULES DE GONCOURT. Auteuil, janvier 1870. LA MAISON D'UN ARTISTE PR�FACE DE LA PREMI�RE �DITION[54] En ce temps, o� les choses, dont le po�te latin a signal� la m�lancolique vie latente, sont associ�es si largement par la description litt�raire moderne, � l'histoire de l'Humanit�, pourquoi n'�crirait-on pas les m�moires des choses, au milieu desquelles s'est �coul�e une existence d'homme? EDMOND DE GONCOURT. Auteuil, ce 26 juin 1880. JAPONISME L'ART INDUSTRIEL JAPONAIS FRAGMENTS D'UNE PR�FACE IN�DITE D'UN OUVRAGE EN PR�PARATION Voici dans une vitrine un netzk� en fer, sign� par SH�RAKU (de Yedo),--un artiste vivant dans les premi�res ann�es du XIXe si�cle. En haut du netzk�, un peu plus grand qu'une pi�ce de deux francs, se voit incis�e, dans le fer, une patte d'oiseau, une patte de grue; mais de la grue absente, volante en dehors du petit rond de m�tal, il n'y a que la patte--et ce qu'a repr�sent� au milieu du tout petit disque noir le ciseleur, le savez-vous?--c'est dans la damasquinure d'un miroitement argent�, le reflet renvers� de la grue, d�j� mont�e dans le ciel, le reflet sous la lumi�re de la lune, en une rivi�re, coup�e par de grands roseaux. Et penser qu'il existe de bons petits journalistes parisiens qui n'ont pas assez d'ironies m�prisantes pour l'art d'un pays, o� les ouvriers sont de tels po�tes! * * * * * Il y a des ann�es, par un apr�s-midi d'hiver, je tombais chez M. Bing, au moment o� l'on d�ballait un arrivage du Japon. Parmi les menus objets r�unis sur un plateau de laque, se trouvait une petite �critoire de poche--qu'au Japon, ils appellent _yatat�_ (porte-fl�che), compos�e d'un �tui de la grosseur d'un gros sucre d'orge contenant le pinceau de blaireau pour �crire, et d'un petit seau ferm�, o� est renferm�e l'esp�ce d'�ponge en poil de lapin, imbib�e d'encre de Chine. La petite bimbeloterie fabriqu�e de deux morceaux de bambou repr�sentait des jeux d'enfants grav�s en noir sur le jaune fauve du bois, des jeux d'enfants n'ayant rien de bien remarquable, mais le bibelot avait pour moi l'int�r�t d'un objet usuel, ancien, et j'�tais confirm� dans cette supposition par une longue inscription grav�e sous le petit seau, et par un raccommodage,--un de ces raccommodages na�fs et francs, ainsi qu'on a l'habitude de les faire, l�-bas, aux objets d'une certaine valeur. J'offris un prix qui ne fut pas accept�, et d'assez mauvaise humeur, j'abandonnai l'�critoire,--toutefois avec le regret lancinant, qu'on a tout le long du chemin, en s'en allant, � l'endroit des objets ayant en eux une _attirance_ secr�te, inexplicable. Et puis le regret de la chose manqu�e devint dans la nuit un si violent d�sir de la poss�der, que le lendemain matin, je retournais chez M. Bing. L'�critoire �tait vendue � M. Marquis, le chocolatier, collectionneur d'un go�t sup�rieur dans l'exotique, et qui a �t� un des premiers � poss�der les plus beaux et les plus curieux objets japonais. Deux ou trois ann�es se pass�rent, et un jour, M. Marquis se d�go�tait de sa collection de l'extr�me Orient, et je retrouvai la petite �critoire de poche chez les Sichel, o� je l'achetai. La pauvre �critoire restait des ann�es chez moi, tr�s peu regard�e par les amateurs, tr�s peu appr�ci�e m�me par les Japonais, dont l'un cependant, M. Otsouka, reconnut que c'�tait une �critoire du XVIIe si�cle--personne au monde n'ayant un soup�on de la main illustre qui avait fabriqu� cette _curiosit�_. Enfin un jour, Hayashi, en train de visiter ma collection, tirait l'�critoire d'un tiroir, et je voyais ses doigts pris d'un tremblement religieux, comme s'ils touchaient une relique, et je l'entendais, le Japonais, me dire d'une voix �motionn�e: �Vous savez, vous poss�dez l� une chose... une chose tr�s curieuse... une chose fabriqu�e par un des quarante-sept ronins!� Et d�tachant une feuille de papier d'un cahier qu'il avait sur lui, il me traduisait incontinent dessus l'inscription grav�e sur le fond du seau de l'�critoire. [Illustration: [Caract�res japonais] | ten. | nom de s�ries d'ann�es. | wa. | san. | 3e. | ki. | | | fin du printemps. | shun. | | ni. | | | 2e mois. | gatsu. | | aka. | nom du ma�tre | �. | des 47 ronins. | shin. | sujet | �. | nom de famille | taka. | du ronin. | nobu. | pr�nom | kiyo. | du ronin. | horu. | | | sculpt�e. | korco. | ] Traduction qui peut se r�sumer ainsi: _Sculpt� par Otaka Noboukiyo sujet du prince Akao, en 1683, � la fin du printemps._ Oui, vraiment, cette �critoire, ce petit objet de la vie usuelle, a �t� fabriqu� par un vassal du prince Akao, par un de ces quarante-sept h�ros qui se vou�rent � la mort pour venger leur seigneur et ma�tre, par un de ces hommes dont la m�moire est devenue une sorte de religion au Japon, en ce pays, adorateur du _sublime_, et qui, au dire d'Hayashi, n'accueille et n'aime de toute notre litt�rature europ�enne que les drames de Shakespeare et la trag�die du CID, de Corneille. * * * * * Un curieux fait dans l'histoire de l'humanit� que ce grand acte de d�vouement accompli dans une soci�t� f�odale par toute une famille de vassaux, et que, depuis deux si�cles, le Japon c�l�bre par le th��tre, le roman[55], l'image. Un _daimio_, du nom de Takumi-no-Kami, portant un message du mikado � la cour de Y�do, fut cruellement offens� par Kolsuk�, l'un des grands fonctionnaires du Shogun[56]. On ne tire pas le sabre dans l'enceinte du palais, sans encourir la peine de mort et la confiscation de ses biens. Takumi se contint � la premi�re offense, mais � une seconde il ne fut pas ma�tre de lui, et courut sur son insulteur, qui, l�g�rement bless�, put s'enfuir. Takumi fut condamn� � s'ouvrir le ventre. Son ch�teau d'Ak� fut confisqu�, sa famille r�duite � la mis�re, et ses gentilshommes tomb�s � l'�tat de _ronins_, de d�class�s, de d�chus, d'_�paves_, selon l'expression japonaise. Mais Kuranosuk�, le premier conseiller du daimio et quarante-six des _samura�_ attach�s � son service, avaient fait le serment de venger leur ma�tre. Et le serment prononc�, ces hommes, pour endormir les d�fiances de Kotsuk� qui les faisait surveiller par ses espions � Kioto, se s�par�rent et se rendirent dans d'autres villes, sous des d�guisements de professions m�caniques. Kuranosuk� fit mieux pour tromper Kotsuk�. Il simula la d�bauche, l'ivrognerie, � ce point, qu'un homme de Satzuma, le trouvant �tendu dans un ruisseau, � la porte d'une maison de th�, et le croyant ivre-mort, lui cria: �Oh! le mis�rable, indigne du nom de Samoura�, qui, au lieu de venger son ma�tre, se livre aux femmes, au vin!� Et l'homme de Satzuma, en lui disant cela, le poussait du pied et urinait sur sa figure. Le fid�le serviteur poussa encore plus loin la sublimit� de son d�vouement. Il accablait d'injures sa femme, la chassait ostensiblement de sa maison, ne gardant aupr�s de lui que son fils a�n�, �g� de seize ans. Mais il faut lire le r�cit de cette com�die surhumaine dans le roman du Japonais Tamenaga Schounsoui, et qui laisse bien loin derri�re elle la com�die de l'avilissement d'un Lorenzaccio, dans le proverbe d'Alfred de Musset. * * * * * �Ah! pauvre cr�ature que je suis! Quels heureux jours que ceux d'autrefois, quand il ne trouvait � faire aucun reproche � sa femme!� s'�crie la malheureuse �pouse qui attribue les mauvais traitements de son mari � un d�rangement de la cervelle caus� par la mort du prince. Et la femme retir�e, toute sanglotante apr�s avoir jet� un regard d'ineffable tendresse sur l'apparent dormeur,--Kuranosuk� se l�ve, sans aucune trace d'ivresse dans les mani�res et avec des traits exprimant la plus vive �motion. �� dieux, dit-il en g�missant, quelle fid�lit�! C'est plus que je n'en peux supporter!� Pendant qu'il parlait, les larmes ruisselaient sur ses joues. �C'est le mod�le des femmes. Au lieu de me bl�mer de ce qui peut sembler un crime de ma part, elle invente des excuses � ma conduite et prend pour elle toute la faute. Je vais mettre un terme � cela sur-le-champ. Elle ne sera pas t�moin du r�le que j'ai � jouer pour faire r�ussir mon plan. D'un autre c�t�, mes petits-enfants ne se souviendront pas de moi comme d'un ivrogne imb�cile. Je vais la renvoyer. Mais encore, comment m'y prendrai-je?� Cet homme �nergique et brave arpentait la chambre, et dans son angoisse, il se tordait les bras et grin�ait des dents. Tout sage qu'il �tait, il avait oubli�, en entreprenant de jouer le r�le d'un d�bauch�, qu'il lui serait impossible de fatiguer le d�vouement de sa femme. Le seul parti qu'il e�t � prendre, �tait de lui donner une lettre de divorce, et de l'envoyer avec ses plus jeunes enfants chez son p�re, lequel comprendrait, il en �tait certain, la v�ritable raison qui le poussait � agir ainsi et donnerait � la pauvre femme consolation et conseil. � ce moment, il entendit la voix de ses enfants, et sa femme qui leur disait tr�s bas: --�Ne faites pas de bruit, mes petits; votre papa n'est pas bien, vous le d�rangeriez. --Est-ce qu'il a encore cette dr�le de maladie de l'autre jour? demanda l'a�n�. --Chut! chut! dit la m�re. Votre papa a beaucoup d'ennuis, et il ne faut pas parler ainsi.� L'infortun� pensa � ses devoirs envers son prince mort, et s'armant d'un coeur d'acier contre tout sentiment, il se recoucha et recommen�a � faire semblant de sommeiller. --�Honorable mari, votre bain est pr�t. --Mon bain? s'�cria-t-il, en se levant et en prenant un flageolet, dont il se mit � jouer. Puis brusquement: Je sors.� Il se dirigea vers la porte. Aussit�t sa femme ramassa son chapeau de _ronin_, et le lui pr�senta � genoux, en disant: --�Honorable �poux, mettez ceci. Vous avez des ennemis aux environs.� Kuranosk� se retourna et lui dit: --�Assez. Vous causez trop. Je vous donnerai une lettre de divorce et vous aurez � retourner chez votre p�re. Je vous accorderai la permission de vous charger de nos deux plus jeunes enfants. Mon domestique vous accompagnera.� Avant qu'elle e�t pu r�pondre, il avait mis son chapeau et descendait le sentier, en chancelant. Sa femme le regarda s'�loigner comme si elle venait de s'�veiller d'un songe. * * * * * C'est alors que Kotsuk� (_celui qui a commis un grand forfait, entend dans le trottinement d'une souris les pas du vengeur_), tout � fait rassur� par l'indignit� de la vie de son ennemi, se rel�chait de la surveillance qu'il faisait exercer autour de son habitation, renvoyait une partie de ses gardes. La nuit de la vengeance �tait enfin arriv�e, et la voici telle que nous la fait voir la suite des planches d'un album. Une froide nuit d'hiver (d�cembre 1701) � l'heure du boeuf (2 heures du matin), dans une tourmente de neige, les conjur�s, v�tus d'un surtout noir et blanc pour se reconna�tre, et en dessous de toile d'acier, marchent silencieusement vers le _yashki_ de l'homme dont ils se sont promis d'aller d�poser la t�te sur le tombeau de leur seigneur. Ils escaladent la palissade. Ils enfoncent � coups de marteau la porte int�rieure. Ils �gorgent les samoura�s de Kotsuk�, dans l'effarement grotesque de grosses femmes, se sauvant charg�es d'enfants. Ils poursuivent les fuyards jusque sur les poutres du plafond, d'o� ils les pr�cipitent en bas. Mais de Kotsuk�, point. On ne le trouve nulle part, et on d�sesp�rait m�me de le d�couvrir, quand Kuranosuk�, plongeant les mains dans son lit, s'aper�oit que les couvertures sont encore chaudes. Il ne peut �tre loin. On sonde les recoins � coups de lance et bient�t on le tire de sa cachette,--un coffre � charbon,--d�j� bless� � la hanche. Une planche en couleur nous montre le vieillard, habill� d'une robe de satin blanc, et tra�n� tout tremblant devant le chef de l'exp�dition. � ce moment Kuranosuk� se met � genoux devant le bless�, et apr�s les d�monstrations de respect dues au rang �lev� du vieillard, lui dit: �Seigneur, nous sommes des hommes de Takumi-no-Kami. Votre Gr�ce a eu une querelle avec lui. Il a d� mourir et sa famille a �t� ruin�e. En bons et fid�les serviteurs nous vous conjurons de faire _hara-kiri_ (s'ouvrir le ventre). Je vous servirai de second, et apr�s avoir en toute humilit� recueilli la t�te de Votre Gr�ce, j'irai la d�poser en offrande sur la tombe du seigneur Takumi.� Kotsuk� ne se rendant pas � l'invitation qui lui �tait faite, Kuranosuk� lui coupait la t�te avec le petit sabre qui avait servi � son ma�tre � s'ouvrir le ventre. Alors les 47 ronins se dirigeaient vers le petit cimeti�re du temple de la Colline-du-Printemps, o� reposait le seigneur d'Ak� sous trois couches de pierre, surmont�es d'une plaque et de son �pitaphe ainsi con�ue: _Le grand Samura�, couch� en paix... et qui durant sa vie jouit des titres honorables de Majordome g�n�ral et de Grand-homme-ayant-le-privil�ge-d'audience-avec-le-Mikado_. Et leur offrande faite de la t�te de Kotsuk�, se regardant d�j� comme morts, ils demandaient aux bonzes de les ensevelir, et se rendaient au tribunal. Condamn�s sur l'avis de Hayashi Daigaku, chef des acad�miciens, consult� par le pouvoir ex�cutif, les quarante-sept ronins s'ouvraient le ventre, et enterr�s autour du corps de leur ma�tre, la s�pulture du prince d'Ak� et de ses fid�les serviteurs devenait un lieu de p�lerinage. * * * * * Telle est l'histoire de ces quarante-sept hommes dont faisait partie le fabricateur de la petite �critoire de poche. On con�oit, apr�s le d�chiffrement de l'inscription par Hayashi, l'int�r�t que j'eus � savoir la part qu'il avait pu prendre � l'exp�dition contre la r�sidence de Kotsuk�; part dont je ne trouvais trace ni dans le roman de Tamenaga Shounsoui, ni dans les l�gendes du vieux Japon de M. Mitfort; on comprend la curiosit� que j'�prouvai m�me � faire connaissance avec la personne de mon artiste-h�ros, par un portrait, une figuration, une repr�sentation quelconque. Et je me mis � fouiller mes albums, et je trouvai le recueil qui porte pour titre: _Sei t� Guishi deu_ (LES CHEVALIERS DU DEVOIR ET DU D�VOUEMENT), ou le peintre Kouniyoshi nous repr�sente les ronins dans l'action de l'attaque du yashki de Kotsuk�: l'un portant une bouteille d'alcool �pour panser les blessures et faire de grandes flammes afin d'�pouvanter l'ennemi�, l'autre �tenant deux chandelles et deux �pingles de bambou pour servir de chandeliers�, celui-ci �teignant avec de l'eau les lampes et les braseros, celui-l� ayant aux l�vres le sifflet �dont les trois coups prolong�s� doivent annoncer la d�couverte de Kotsuk�; et presque tous dans des poses de violence et d'�lancement, brandissant � deux mains des sabres et des lances, et tous envelopp�s d'un morceau d'�toffe de soie bleue, avec leurs lettres distinctives sur leurs uniformes, leurs armes, leurs objets d'�quipement, et tous ayant sur eux un _yatate_, �critoire de poche, et dans leur manche un papier expliquant la raison de l'attaque[57]. L'album, montr� � Hayashi, en le priant de d�signer Otaka dans les quarante-sept ronins repr�sent�s, et en lui demandant s'il ne connaissait pas quelque d�tail imprim� sur l'homme, il me dit en feuilletant l'album: �Le voici, Otaka!... ou plut�t Quengo Tadao... car il y a une d�fense d'indiquer les vrais noms des ronins, et ils sont repr�sent�s avec les noms _d�figur�s_ qu'ils ont au th��tre.� Et disant cela, Hayashi avait le doigt sur la planche, o� est imprim�, en couleur, un guerrier au casque bleu, au v�tement noir et blanc doubl� de bleu, la t�te baiss�e, les deux mains sur le bois d'une lance, un pied en l'air, un autre appuy� � plat sur le sol, et portant un furieux coup de haut en bas. Puis comme Hayashi cherchait dans sa m�moire, s'il connaissait quelque d�tail biographique sur Otaka, ses yeux s'arr�tant sur la demi-page de caract�res grav�s au-dessus du guerrier, il s'�cria: �Mais sa biographie... la voici!� Et je la donne telle qu'il me l'a traduite d'apr�s le texte d'Ippitsou-an. _Tadao appartient h�r�ditairement � une famille vassale de Akao. D�s sa jeunesse, il se fit remarquer par son d�vouement au ma�tre, tel qu'il n'y en a pas deux. Son talent dans la tactique et les manoeuvres de cavalerie lui fit un renom brillant. Apr�s le d�sastre de la maison de son ma�tre, il est venu � Yedo, en cachant au fond du coeur l'id�e de la vengeance. Mais ouvertement il se pr�senta comme artiste, se fit appeler Shiy� dans la soci�t� de po�sie, et fut ami de Kikakou, c�l�bre po�te de ce temps. Il fut admis �galement � la soci�t� de th� de Tchanoyu et fut �l�ve de Yamada S�hen, c�l�bre ma�tre de th�, qui connaissait Kira (Kotsuk�) assez intimement. Il parvint ainsi � se mettre au courant des habitudes de son ennemi. Afin de se renseigner le mieux possible, il se d�guisa en marchand d'objets de bambou[58], et de balais, qu'il offrait naturellement dans les meilleures conditions, et fr�quenta la r�sidence de Kira. Il sut ainsi que le 14e jour du 12e mois, �tait le jour du grand nettoyage, et que ce jour le monde s'enivre et dort de fatigue. C'est ainsi qu'il indiqua � Oishi la nuit qu'il fallait choisir pour attaquer. Pendant ce combat, il fut bless� dans les t�n�bres de la nuit, et l'on croit que c'est Kobayashi Heihati qui fut son adversaire._ On remarquera la phrase _se d�guisa en marchand d'objets de bambou_, qu'il lui arrivait de fabriquer lui-m�me, ainsi que le prouve la petite �critoire de poche de ma collection. EDMOND DE GONCOURT. NOTES: [1: Chez Dumineray, �diteur, 1851, un vol. in-18.] [2: EN 18.. paraissait dans la premi�re huitaine de d�cembre avec cette note au verso du titre: _Ce roman a �t� livr� � l'impression le 5 novembre._ Sauf les couvertures, il �tait compl�tement imprim� le 1er d�cembre. Au reste,--qui le lira?] [3: Ce roman portait pour titre dans la premi�re �dition: LES HOMMES DE LETTRES.] [4: E. Dentu, libraire-�diteur, 1860, un volume in-18.] [5: �dition illustr�e de dix eaux-fortes, grav�es par James Tissot, un volume grand in-8�, publi� chez G. Charpentier, 1875.] [6: Charpentier, libraire-�diteur, 1864. 1 vol. in-18.] [7: Maison Quantin, 1886, un volume des _Chefs-d'oeuvre du roman contemporain_, illustr� de dix compositions par Jeanniot, grav�es par Muller, petit in-4�.] [8: G. Charpentier, 1877. 1 vol. in-18.] [9: Rapports des docteurs L�lut et Baillarger dans la _Revue p�nitentiaire_, t. II, 1845.--Exemples de folie p�nitentiaire aux �tats-Unis, cit�s par le _Dictionnaire de la politique_, de Maurice Block.] [10: Charpentier, 1879, 1 vol. in-18.] [11: � propos de la r�alit� que j'ai mise autour de ma fabulation, je tiens � remercier hautement M. Victor Franconi, M. L�on Sari, et les fr�res Hanlon-Lee qui ne sont pas seulement les souples gymnastes que tout Paris applaudit, mais qui raisonnent encore de leur art comme des savants et des artistes.] [12: G. Charpentier, �diteur, 1882. 1 volume in-18.] [13: Cette expression, tr�s blagu�e dans le moment, j'en r�clame la paternit�, la regardant, cette expression, comme la formule d�finissant le mieux et le plus significativement le mode nouveau de travail de l'�cole qui a succ�d� au romantisme: l'�cole du _document humain_.] [14: G. Charpentier et Cie, �diteurs, 1884. 1 vol. in-18.] [15: La langue fran�aise, d'apr�s le dictionnaire de l'Acad�mie, est peut-�tre, de toutes les langues des peuples civilis�s du monde, la langue poss�dant le plus petit nombre de mots.] [16: Lettre de M. Taine, publi�e dans l'�V�NEMENT du 7 octobre 1883.] [17: CHATEAUBRIAND ET SON GROUPE LITT�RAIRE, par Sainte-Beuve, qui jette en note, au bas de mes citations: �La nouveaut�, une nouveaut� originale, c'est l�, le point important et le secret des grands succ�s.�] [18: Voir cette pr�face � l'autobiographie JOURNAL DES GONCOURT, _M�moires de la vie litt�raire_.] [19: Librairie internationale A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866. 1 volume in-8�.] [20: Nous appelons l'attention du public sur cette date, qui a son importance pour l'originalit� de notre pi�ce.] [21: Dans la premi�re �dition d'HENRIETTE MAR�CHAL, nous avons dit, d'apr�s l'annonce des journaux de th��tre, que nous avions �t� re�us � l'unanimit�. C'est une erreur. Nous avons �t� simplement re�us, d'apr�s le renseignement officiel que nous communique l'archiviste du Th��tre-Fran�ais, M. L�on Guillard.] [22: Voir les deux pi�ces que nous donnons � l'_Appendice_.] [23: Nous n'avons que le temps de remercier, en courant, MM. Jules Janin, Th�ophile Gautier, Nestor Roqueplan, Paul de Saint-Victor, Ernest Feydeau, Jules Vall�s, Xavier Aubryet, Louis Ulbach, Francisque Sarcey, Jouvin, Jules Richard, Jules Claretie, Camille Guinbut, Henri de Bornier, et tous ceux que nous oublions.] [24: � propos de ceci, M. Feydeau, dans un remarquable article, rappelait que ce fait d'une haute protection n'�tait pas nouveau; que M. Augier avait eu besoin de la volont� de l'Empereur pour se faire rendre par la censure le FILS DE GIBOYER; M. Alexandre Dumas fils, de l'intervention de M. de Morny, pour faire lever l'interdiction de la DAME AUX CAM�LIAS.--Et puisque ici les noms de ces deux ma�tres du th��tre moderne viennent sous notre plume, disons � M. �mile Augier et � M. Alexandre Dumas fils, combien nous avons �t� consol�s par les bravos donn�s par eux � une pi�ce, qu'honorait encore l'applaudissement de Mme Sand.] [25: E. Dentu, 1873. 1 vol. in-8�.] [26: Seul le titre a �t� chang�. La pi�ce a �t� lue sous le titre de MADEMOISELLE DE LA ROCHEDRAGON. Mais le matin de la lecture, sur l'annonce des journaux, nous recevions la visite d'une personne qui nous apprenait l'existence d'une marquise de la Rochedragon, d'une vieille femme qui souffrait de l'id�e de se voir affich�e, imprim�e. Nous n'avions pu nous refuser � un changement de nom.] [27: M. Carvalho, alors directeur du Vaudeville, avait eu l'id�e de monter LA PATRIE EN DANGER, dans le temps o� il jouait l'_Arl�sienne_ d'Alphonse Daudet.] [28: (Note de la seconde �dition.) Un journal nous a accus� de nous �tre inspir� pour le type de Boussanel du Cimourdain de M. Hugo; nous n'avons qu'� r�pondre ceci: l'impression de notre pi�ce a pr�c�d� la publication de QUATRE-VINGT-TREIZE. Mais un critique l�gitimiste ne nous a-t-il pas s�rieusement reproch� d'avoir plagi� MADAME BENOITON dans REN�E MAUPERIN, roman paru deux ou trois ans avant la repr�sentation de M. Sardou?] [29: G. Charpentier, 1879. 1 volume in-18.] [30: La NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE a �t� publi�e dans l'_�clair_. C'est un petit proverbe spirituel, mais dont l'esprit a un peu trop la bouche en coeur.] [31: Une lettre de M. Monval, archiviste de la Com�die-Fran�aise, qui a bien voulu, deux fois, faire la recherche, me dit que la pi�ce de LA NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE, et celle des INCROYABLES ET MERVEILLEUSES, peut-�tre pr�sent�e en dernier lieu, sous le titre du RETOUR � ITHAQUE, n'existent pas aux archives. Il se demande si les manuscrits n'auraient pas �t� remis directement aux examinateurs qui les auraient �gar�s.] [32: Les journalistes qui me disaient que ma tentative �tait absurde, et que seules les moeurs de la bourgeoisie pr�sentaient de l'int�r�t, ne se doutaient gu�re, que plus de cent ans avant, quand paraissait MARIANNE, les gazetiers jetaient � Marivaux qu'il n'y avait uniquement que les aventures de l'aristocratie qui pouvaient int�resser le public, qu'au fond les moeurs des bourgeois �taient de basses moeurs, indignes de la lecture d'un homme qui se respecte.] [33: Ma pr�face imprim�e, j'apprends que la NUIT DE LA SAINT-SYLVESTRE, une des deux pi�ces d�pos�es par moi au Th��tre-Fran�ais, et que je r�clamais il y a trois mois, vient d'�tre vendue en vente publique, le 26 mai, � la vente de M. Aubry, libraire. Je signale le fait aux auteurs qui, dans le temps, auraient d�pos� des pi�ces au Th��tre-Fran�ais, et croiraient pouvoir les retirer � leur heure.] [34: G. Charpentier et Cie, �diteurs, 1887, 3 vol. in-18.] [35: Je refonds dans notre JOURNAL le petit volume des ID�ES ET SENSATIONS qui en �taient tir�es, en les remettant � leur place et � leur date.] [36: E. DENTU, libraire, 1854, 1 vol. in-8.] [37: E. DENTU, libraire, 1855, 1 vol. in-8.] [38: _Librairie acad�mique_, DIDIER ET Cie, libraires-�diteurs, 1865, 2 vol. in-18.] [39: E. DENTU (1857-1858), 2 vol. in-16.] [40: Note de la seconde �dition. Des changements ont �t� apport�s � la premi�re �dition. Ind�pendamment de corrections et d'additions, des notices qui ont pris ou doivent prendre leur place naturelle dans d'autres livres, telles que les notices de Watteau, de la du Barry, de la Camargo, ont �t� remplac�es par des �tudes sur Lagren�e l'a�n�, sur Collin d'Harleville, sur la comtesse d'Albany.] [41: G. CHARPENTIER, �diteur, 1878, 1 vol. grand in-8, illustr� d'encadrements de pages et de reproductions de tableaux, dessins, gravures du temps.] [42: Librairie de FIRMIN DIDOT fils, fr�res et Cie, 1860, 2 volumes in-8�.] [43: Addition � la pr�face de l'�dition de 1860, qui se trouve dans l'�dition en trois volumes in-18, publi�s par G. CHARPENTIER, 1878-1879.] [44: Librairie FIRMIN-DIDOT ET Cie, 1862, 1 volume in-8.] [45: Ces trois volumes sont rest�s � l'�tat de projets.] [46: POULET-MALASSIS et DE BROISE, 1861. 1 vol. in-18.] [47: Addition � la pr�face de la premi�re �dition, publi�e dans l'�dition illustr�e donn�e par DENTU en 1877, petit in-4�.] [48: Addition � la pr�face de la premi�re et de la deuxi�me �dition, donn�e dans l'�dition publi�e par G. CHARPENTIER en 1885.] [49: DENTU, 1882, petit in-8� carr� illustr�.] [50: E. DENTU, libraire-�diteur, 1855. Brochurette tir�e � 42 exemplaires.] [51: �dition publi�e chaque ann�e par fascicules contenant quatre eaux-fortes grav�es par Jules de Goncourt, et imprim�s par Perrin � 200 exemplaires. DENTU, libraire-�diteur, 1859-1873.] [52: HENRI PLON, imprimeur-�diteur, 1873, 1 vol. in-8.] [53: Dans cette �dition, tout cet in�dit, pour mieux le faire sentir et appr�cier par le lecteur, nous le donnons en italique.] [54: G. CHARPENTIER, �diteur, 1881, 2 vol. in-18.] [55: LES FID�LES RONINS, roman historique japonais, par Tamenaga Shounsoui, traduit sur la version anglaise de MM. Shionchiro Saito et Edward Greey, par B. H. Gausseron. Quantin, 1882.] [56: TALES OF OLD JAPAN, by A.-B. Mitfort. London, Macmillan, 1871.] [57: C'�tait la copie des instructions r�dig�es par Kuranosuk�, dont l'original existerait encore au temple de la Colline-du-Printemps, et qui, au milieu de recommandations relatives aux pr�paratifs du combat, � l'�change des mots de passe, etc., etc., contient ce curieux paragraphe: �Avant de partir, prenez m�decine. Faites-le, que vous soyez bien portant ou non. L'�motion subite rend souvent malade un homme robuste.�] [58: La date de la fabrication de l'objet, 1683, si elle est juste,--l'ex�cution du prince d'Ak� ayant eu lieu en 1690,--semblerait indiquer que la petite �critoire fut ex�cut�e, avant que Otaka f�t ronin et marchand d'objets de bambou, mais ainsi qu'au Japon, les gens, qui ne font pas profession d'�tre artistes, sculptent des netzk�s pour leur plaisir. Otaka, plus tard, comme marchand d'objets de bambou, aurait utilis� le talent d'agr�ment de sa jeunesse.] [57: C'�tait la copie des instructions r�dig�es par Kuranosuk�, dont l'original existerait encore au temple de la Colline-du-Printemps, et qui, au milieu de recommandations relatives aux pr�paratifs du combat, � l'�change des mots de passe, etc., etc., contient ce curieux paragraphe: �Avant de partir, prenez m�decine. Faites-le, que vous soyez bien portant ou non. L'�motion subite rend souvent malade un homme robuste.�] End of the Project Gutenberg EBook of Pr�faces et manifestes litt�raires, by Edmond de Goncourt and Jules de Goncourt *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PR�FACES ET MANIFESTES LITT�RAIRES *** ***** This file should be named 37051-8.txt or 37051-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/7/0/5/37051/ Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Biblioth�que nationale de France (BnF/Gallica). Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at http://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. 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