The Project Gutenberg EBook of Cymbeline, by William Shakespeare

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Title: Cymbeline
       Trag�die

Author: William Shakespeare

Translator: Fran�ois Pierre Guillaume Guizot

Release Date: September 7, 2006 [EBook #19201]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CYMBELINE ***




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  Note du transcripteur.

    ===========================================================
    Ce document est tir� de:


    OEUVRES COMPL�TES DE
    SHAKSPEARE

    TRADUCTION DE
    M. GUIZOT

    NOUVELLE �DITION ENTI�REMENT REVUE
    AVEC UNE �TUDE SUR SHAKSPEARE
    DES NOTICES SUR CHAQUE PI�CE ET DES NOTES

    Volume 5
    Le roi Lear--Cymbeline.
    La m�chante femme mise � la raison.
    Peines d'amour perdues--P�ricl�s

    PARIS
    A LA LIBRAIRIE ACAD�MIQUE
    DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-�DITEURS
    35, QUAI DES AUGUSTINS
    1862


    ==========================================================



                                CYMBELINE

                                 TRAG�DIE




NOTICE SUR CYMBELINE


Une nouvelle du D�cam�ron de Boccace et une chronique d'Holinshed sont
les deux sources o� Shakspeare a puis� cette trag�die. Le roi qui lui
donne son nom r�gnait du temps de C�sar Auguste, selon Holinshed, ce qui
n'a pas emp�ch� Shakspeare de peupler Rome d'Italiens modernes, Iachimo,
Philario, etc. Malgr� cette confusion de temps, de noms et de moeurs;
malgr� l'invraisemblance de la fable et l'absurdit� du plan, Cymbeline
est une des trag�dies les plus admir�es de Shakspeare. Le personnage
d'Imog�ne a fait r�ellement des passions. Que les critiques comparent,
s'ils le veulent, cette pi�ce � un �difice irr�gulier et informe, mais
qu'ils conviennent qu'Imog�ne est une divinit� digne d'orner un temple
de la plus noble architecture. Quoique Posthumus semble le h�ros de la
pi�ce, c'est Imog�ne qui y r�pand le charme de sa puret� conjugale, de
sa douceur c�leste, de son d�vouement et de sa constance.

Sans artifice, comme l'innocence, elle a peine � croire � l'infid�lit�
de Posthumus; indulgente comme la vertu, elle pardonne � Iachimo ses
premi�res calomnies sans affecter une haine d'ostentation contre le
vice. Faussement accus�e, elle ne sait se justifier qu'en disant combien
elle aime; modeste et timide sous son d�guisement, elle appara�t dans la
grotte de B�larius comme l'ange de la gr�ce, elle est belle dans le
d�sert comme � la cour, et ajoute encore � la beaut� du paysage dans
lequel Shakspeare a plac� les deux jeunes princes.

Les autres caract�res de la pi�ce ne manquent pas de v�rit�. Posthumus
ne serait-il que l'�poux ador� d'Imog�ne, il nous int�resserait; mais il
y a en lui le courage et la noblesse des h�ros. Philario est un de ces
serviteurs fid�les que Shakspeare a souvent pris plaisir � repr�senter,
et Iachimo un des plus adroits menteurs que l'Italie ait produits; son
effronterie a quelque chose d'amusant; B�larius, opini�tre dans son plan
de vengeance, offre un de ces caract�res fermes qu'on voit avec plaisir
transplant�s du milieu des montagnes et mis tout � coup en pr�sence d'un
courtisan. Ses deux �l�ves ont d�j� l'instinct des grandes �mes; et leur
amiti� fraternelle est touchante.

La m�chancet� de la reine et la cr�dulit� conjugale du roi pr�tent aussi
� l'analyse et forment un contraste piquant. Cloten, le seul personnage
comique de la pi�ce, peut �tre jug� de plus d'une mani�re: on voit en
lui la sottise et l'orgueil d'un prince priv� d'�ducation; mais il
semble que Shakspeare ait oubli� qu'il nous l'a donn� d'abord pour une
�me l�che et sans �nergie, lorsque, dans le conseil royal, il lui fait
adresser � l'ambassadeur romain une r�ponse pleine de dignit�; soit
qu'il ait cru que, vis-�-vis de l'�tranger, l'honneur national peut
enflammer les �mes les plus communes; soit que le po�te ait voulu
insinuer que le r�le des princes leur est souvent trac� d'avance dans
les grandes occasions.

En g�n�ral, l'int�r�t qu'inspire la trag�die de _Cymbeline_, est d'une
nature douce et m�lancolique plut�t que tragique. On s'�chappe
volontiers de la cour avec Imog�ne, et l'on se sent dispos� � r�ver dans
l'asile romantique o� elle retrouve ses fr�res sans les conna�tre.

Des sentiments noblement exprim�s, quelques dialogues naturels et des
sc�nes charmantes rach�tent les nombreux d�fauts de cette composition.

_Cymbeline_ est l'une des dix-sept pi�ces qui ont �t� publi�es pour la
premi�re fois dans l'�dition in-folio de 1623. Il est impossible de
d�terminer avec pr�cision le moment o� elle fut �crite; mais il para�t
probable que ce fut vers 1610 ou 1611. On a en effet de bonnes raisons
de croire que la _Temp�te_ et le _Conte d'hiver_ furent compos�s � cette
�poque, et l'on retrouve, entre ces deux pi�ces et _Cymbeline_, des
analogies de style, de pens�e et d'allure qui semblent indiquer qu'elles
sont toutes trois sorties de la m�me veine d'esprit.




PERSONNAGES

CYMBELINE, roi de la Grande-Bretagne.
CLOTEN, fils de la reine, du premier lit.
LEONATUS POSTHUMUS, chevalier, mari� secr�tement � la princesse Imog�ne.
BELARIUS, seigneur, exil� par Cymbeline, et d�guis� sous le nom de Morgan.
GUID�RIUS. }fils de Cymbeline, et
ARVIRAGUS, }crus fils de B�larius
           }sous les noms de Polydore et
           }de Cadwal.
PHILARIO, ami de Posthumus,  }
IACHIMO, ami de Philario,    }Italiens
UN FRAN�AIS, ami de Philario.
CAIUS-LUCIUS, g�n�ral de l'arm�e romaine.
UN OFFICIER ROMAIN.
PISANIO, attach� au service de Posthumus.
CORN�LIUS, m�decin.
DEUX GENTILSHOMMES.
DEUX GEOLIERS.
DEUX OFFICIERS ANGLAIS.
LA REINE, femme de Cymbeline.
IMOG�NE, fille de Cymbeline, de son premier mariage.
H�L�NE, suivante d'Imog�ne.
LORDS, LADYS, S�NATEURS, ROMAINS,
TRIBUNS, APPARITIONS, UN DEVIN,
UN GENTILHOMME HOLLANDAIS, UN
GENTILHOMME ESPAGNOL, MUSICIENS,
OFFICIERS, CAPITAINES, SOLDATS, MESSAGERS.


La sc�ne est tant�t dans la Grande-Bretagne, tant�t en Italie.




                            ACTE PREMIER


SC�NE I

La Grande-Bretagne.--Jardin derri�re le palais de Cymbeline.

_Entrent_ DEUX GENTILSHOMMES.


LE PREMIER GENTILHOMME.--Vous ne rencontrez ici personne qui ne fronce
le sourcil. Nos visages n'ob�issent pas plus que nos courtisans aux lois
du ciel. Tous retracent la tristesse peinte sur le visage du roi.

LE SECOND.--Mais quel est le sujet?...

LE PREMIER.--L'h�riti�re de son royaume, sa fille qu'il destinait au
fils unique de sa femme (une veuve qu'il vient d'�pouser), s'est donn�e
� un pauvre, mais digne gentilhomme: elle est mari�e;--son �poux est
banni, elle emprisonn�e. Tout pr�sente les dehors de la tristesse; pour
le roi, je le crois, il est afflig� jusqu'au fond du coeur.

LE SECOND.--Personne autre que le roi?

LE PREMIER.--Celui aussi qui a perdu la princesse; la reine aussi, qui
souhaitait le plus cette alliance; mais il n'est pas un des courtisans,
quoiqu'ils portent des visages compos�s sur celui du roi, qui n'ait le
coeur joyeux de ce dont ils affectent de para�tre m�contents.

LE SECOND.--Et pourquoi cela?

LE PREMIER.--L'homme � qui la princesse �chappe est un �tre trop mauvais
pour une mauvaise r�putation; mais celui qui la poss�de (je veux dire
celui qui l'a �pous�e, ah! l'honn�te homme! et qu'on bannit pour cela),
c'est une cr�ature si accomplie qu'on aurait beau chercher son pareil
dans toutes les r�gions du monde, il manquerait toujours quelque chose �
celui qu'on voudrait lui comparer. Je ne pense pas qu'un ext�rieur aussi
beau et une �me aussi noble se trouvent r�unis dans un autre homme.

LE SECOND.--Vous le vantez beaucoup.

LE PREMIER.--Je ne le vante, seigneur, que d'apr�s l'�tendue de son
m�rite; je le rapetisse plut�t que je ne le d�roule tout entier.

LE SECOND.--Quel est son nom, sa naissance?

LE PREMIER.--Je ne puis remonter jusqu'� sa premi�re origine. Sicilius
�tait le nom de son p�re, qui s'unit avec honneur � Cassibelan contre
les Romains. Mais il re�ut ses titres d'honneur de T�nantius, qu'il
servit avec gloire et avec un succ�s admir�, et il obtint le surnom de
L�onatus. Il eut, outre le chevalier en question, deux autres fils qui,
dans les guerres de ce temps, moururent l'�p�e � la main. Leur p�re,
vieux alors et aimant ses enfants, en con�ut tant de chagrin qu'il
quitta la vie: son aimable �pouse, alors enceinte du gentilhomme dont
nous parlons, mourut en lui donnant le jour. Le roi prit l'enfant sous
sa protection, lui donna le nom de Posthumus, l'�leva, et l'attacha � sa
chambre: il l'instruisit dans toutes les sciences dont son �ge pouvait
�tre susceptible; et il les re�ut comme nous recevons l'air aussit�t
qu'elles lui furent offertes; d�s son printemps, il porta une moisson:
il v�cut � la cour lou� et aim� (chose rare), mod�le des jeunes gens,
miroir redout� des hommes d'un �ge m�r; et pour les vieillards, un
enfant qui guidait les radoteurs. Quant � sa ma�tresse, pour laquelle il
est banni aujourd'hui, ce qu'elle lui a donn� proclame le cas qu'elle
faisait de sa personne et de ses vertus. On peut lire dans son choix, et
juger au vrai quel homme est Posthumus.

LE SECOND.--Je l'honore sur votre seul r�cit. Mais, dites-moi, je vous
prie, la princesse est-elle le seul enfant du roi?

LE PREMIER.--Son seul enfant. Il avait deux fils; et si ce d�tail vous
int�resse, �coutez-moi. Tous deux furent d�rob�s de leur chambre; l'a�n�
� l'�ge de trois ans, et l'autre encore au maillot; jusqu'� cette heure,
pas la moindre conjecture sur ce qu'ils sont devenus.

LE SECOND.--Combien y a-t-il de cela?

LE PREMIER.--Vingt ans environ.

LE SECOND.--Qu'on enl�ve ainsi les enfants d'un roi! qu'ils fussent si
n�gligemment gard�s, et qu'on ait �t� si lent dans les recherches qu'on
n'ait pu retrouver leur trace!

LE PREMIER.--Quelque �trange que cela vous semble, et quoique cette
n�gligence soit vraiment ridicule, le fait est vrai, seigneur.

LE SECOND.--Je vous crois.

LE PREMIER.--Il faut nous taire, voici Posthumus, la reine et la
princesse.

(Ils sortent.)

(La reine, Posthumus, Imog�ne entrent avec leur suite.)

LA REINE.--Non; soyez-en s�re, ma fille, vous ne trouverez jamais en
moi, comme on le reproche � la plupart des mar�tres, un oeil malveillant
pour vous. Vous �tes ma captive; mais votre ge�li�re vous confiera les
clefs qui ferment votre prison. Pour vous, Posthumus, aussit�t que je
pourrai fl�chir le courroux du roi, on me verra plaider votre cause;
mais le feu de la col�re est encore en lui; et il serait � propos de
vous soumettre � son arr�t, avec toute la patience que votre prudence
pourra vous inspirer.

POSTHUMUS.--Si Votre Majest� le trouve bon, je partirai d'ici
aujourd'hui.

LA REINE,--Vous connaissez le danger.--Je vais faire un tour dans les
jardins, compatissant aux angoisses des amours qu'on traverse, quoique
le roi ait ordonn� de ne pas vous laisser ensemble.

(Elle sort.)

IMOG�NE.--O feinte complaisance! Comme ce tyran sait caresser au moment
o� elle blesse! Mon cher �poux, je crains un peu la col�re de mon p�re,
mais, soit dit sans blesser mes devoirs sacr�s envers lui, je ne redoute
rien des effets de sa col�re sur moi. Il vous faut partir; et moi je
soutiendrai ici � toute heure le trait de ses regards irrit�s, n'ayant
rien qui me console de vivre, si ce n'est la pens�e qu'il existe dans le
monde un tr�sor que je puis revoir encore.

POSTHUMUS.--Ma reine! mon amante! Ah! madame, ne pleurez plus; si vous
ne voulez m'exposer � me faire soup�onner de plus de faiblesse qu'il ne
convient � un homme. Je veux �tre l'�poux le plus fid�le, qui jamais ait
engag� sa foi. Ma r�sidence sera � Rome, chez un nomm� Philario, qui fut
l'ami de mon p�re; moi, je ne le connais que par lettres. �crivez-moi
l�, � ma reine! mes yeux en d�voreront les mots que vous enverrez, d�t
l'encre �tre de fiel.

(La reine entre.)

LA REINE.--Abr�gez, je vous prie. Si le roi survenait, je ne sais pas o�
s'arr�terait sa col�re contre moi. _(� part.)_ Cependant je saurai
diriger ici sa promenade; je ne l'offense jamais qu'il ne paye mes
offenses pour nous r�concilier; il ach�te ch�rement tous mes torts.

(Elle sort.)

POSTHUMUS.--Quand nous passerions � nous dire adieu tout le temps qui
nous reste encore � vivre, la douleur de nous s�parer ne ferait
qu'augmenter... Adieu.

IMOG�NE.--Ah! demeure un moment. Quand tu monterais � cheval uniquement
pour aller prendre l'air, cet adieu serait encore trop court.--Vois, mon
ami, ce diamant �tait � ma m�re; prends-le, mon bien-aim�, mais garde-le
jusqu'� ce que tu �pouses une autre femme quand Imog�ne sera morte.

POSTHUMUS.--Quoi! quoi! une autre femme? Dieux bienfaisants,
accordez-moi seulement de poss�der celle qui est � moi; que les liens de
la mort me pr�viennent dans mes embrassements si j'en cherche une autre.
(_Il met le diamant � son doigt._) Reste, reste � cette place tant que
le sentiment pourra t'y conserver. (_A Imog�ne_.) Et vous, la plus
tendre, la plus belle, qui, � votre perte infinie, n'avez re�u que moi
en �change de vous; je gagne encore sur vous quand il s'agit de ces
bagatelles; pour l'amour de moi, portez ceci; c'est une cha�ne; je veux
la mettre moi-m�me � ce beau prisonnier d'amour.

(Il lui attache un bracelet.)

IMOG�NE.--O dieux! quand nous reverrons-nous?

(Entrent Cymbeline et les seigneurs de la cour.)

POSTHUMUS.--H�las! le roi!...

CYMBELINE.--Vil objet, va-t'en; disparais de ma vue. Si, apr�s cet ordre
encore, tu fatigues la cour de ton indigne pr�sence, tu meurs. Fuis, ta
vue empoisonne mon sang.

POSTHUMUS.--Que les dieux vous prot�gent et b�nissent les hommes de bien
que je laisse � votre cour; je m'en vais.

(Il sort.)

IMOG�NE.--La mort n'a point d'angoisses plus douloureuses que celles-ci.

CYMBELINE.--Fille d�loyale, toi qui devrais rajeunir ma vieillesse, tu
accumules un si�cle sur ma t�te.

IMOG�NE.--Seigneur, je vous en conjure, ne vous faites point de mal par
ces emportements; car je suis insensible � votre courroux: un sentiment
plus rare �touffe en moi toute peine, toute crainte.

CYMBELINE.--Au del� de toute gr�ce! de toute ob�issance!

IMOG�NE.--Au del� de l'esp�rance! au d�sespoir!... Dans ce sens, au del�
de toute gr�ce!

CYMBELINE.--Tu pouvais �pouser le fils unique de la reine.

IMOG�NE.--Oh! bienheureuse de ne pas le pouvoir: j'ai choisi un aigle,
et j'ai �vit� un faucon d�g�n�r�.

CYMBELINE.--Tu as choisi un mis�rable; tu voulais asseoir l'ignominie
sur mon tr�ne.

IMOG�NE.--Dites que j'en ai relev� l'�clat.

CYMBELINE.--O �me vile!

IMOG�NE.--Seigneur, c'est votre faute si j'ai aim� Posthumus; vous
l'avez �lev� comme le compagnon de mes jeux: il n'est point de femme
dont il ne soit digne; il m'ach�te plus que je ne vaux, presque de tout
le prix que je lui co�te.

CYMBELINE.--Quoi! as-tu perdu la raison?

IMOG�NE.--Peu s'en faut, seigneur: veuille le ciel me gu�rir! Oh! que je
voudrais �tre fille d'un paysan, et que Posthumus f�t le fils du berger
voisin!

(La reine para�t.)

CYMBELINE.--Femme imprudente, je les ai trouv�s encore ensemble; vous
n'avez pas suivi mes ordres, retirez-vous avec elle, et l'enfermez.

LA REINE, _� Cymbeline_.--J'implore votre patience. (_A Imog�ne_.)
Silence, ma ch�re fille, silence.--Bon souverain, laissez-nous seules,
et cherchez dans votre raison quelque consolation pour vous-m�me.

CYMBELINE.--Qu'elle languisse en perdant chaque jour une goutte de sang,
et que vieille avant le temps elle meure de sa folie!

(Il sort.)

LA REINE, _� Imog�ne_.--Allons, il faut que vous laissiez passer...
(_Pisanio entre._) Voici votre serviteur. Eh bien! Pisanio, quelles
nouvelles?

PISANIO.--Le prince, votre fils, a tir� l'�p�e contre mon ma�tre.

LA REINE.--Ah! j'esp�re qu'il n'y a pas de mal?

PISANIO.--Il aurait pu y en avoir; mais mon ma�tre n'a fait que jouer
plut�t que de combattre, et il n'�tait pas soutenu par la col�re; des
gentilshommes qui se sont trouv�s l� les ont s�par�s.

LA REINE.--J'en suis bien aise.

IMOG�NE.--Votre fils est l'ami de mon p�re; il prend son parti! Tirer
l'�p�e sur un proscrit! � le brave prince!--Je voudrais les voir tous
deux dans les d�serts de l'Afrique, et moi pr�s d'eux, avec une
aiguille, pour en piquer le premier qui reculerait.--Pourquoi avez-vous
quitt� votre ma�tre?

PISANIO.--Par son ordre. Il n'a pas voulu que je l'accompagne jusqu'au
port; il m'a laiss� une note des ordres que j'aurai � remplir quand il
vous plaira d'accepter mon service.

LA REINE.--Cet homme, jusqu'ici, a �t� pour vous un serviteur fid�le.
J'ose garantir, sur mon honneur, qu'il le sera toujours.

PISANIO.--Je remercie humblement Votre Majest�.

LA REINE, _� Imog�ne_.--Je vous prie, promenons-nous un moment ensemble.

(Elles sortent.)


SC�NE II

Une place publique.

_Entre_ CLOTEN, DEUX SEIGNEURS.


IMOG�NE, _� Pisanio_.--Avant une demi-heure, je vous prie, revenez me
parler: du moins vous irez voir mon �poux � bord. Pour le moment,
laissez-moi.

(La reine et Imog�ne sortent ensemble, Pisanio sort par un autre c�t�.)

PREMIER SEIGNEUR.--Je vous conseille, seigneur, de changer de chemise.
La chaleur de l'action vous a fait fumer comme la victime d'un
sacrifice. Quand un air sort, un air entre; et il n'en est point au
dehors qui soit aussi sain que celui qui sort de vous.

CLOTEN.--Si ma chemise �tait ensanglant�e, alors j'en changerais...
L'ai-je bless�?

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Non, d'honneur, pas m�me sa patience.

PREMIER SEIGNEUR.--Bless�? Ah! s'il ne l'est pas, il faut qu'il ait un
corps perm�able; c'est un grand chemin pour l'acier s'il n'est pas
bless�.

SECOND SEIGNEUR, � _part_.--Son acier avait des dettes; il est sorti par
les derri�res de la ville.

CLOTEN.--Le l�che n'osait pas m'attendre.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Non, il allait toujours; mais en avant, vers
ta face.

PREMIER SEIGNEUR.--Vous attendre? vous avez assez de terres � vous; mais
il a ajout� � vos domaines, il vous a c�d� du terrain.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Autant de pouces de terre que tu as
d'oc�ans! Les fats!

CLOTEN.--Que je voudrais qu'on ne se f�t pas mis entre nous!

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Et moi aussi, jusqu'� ce que tu eusses pris
par terre la mesure d'un imb�cile.

CLOTEN.--Mais comment peut-elle aimer ce mis�rable, et me rebuter, moi?

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Oh! si c'est un p�ch� de bien choisir, elle
est damn�e.

PREMIER SEIGNEUR.--Seigneur, comme je vous l'ai toujours dit, son esprit
et sa beaut� ne vont pas ensemble: c'est une belle enseigne; mais je
n'ai vu en elle qu'un esprit peu lumineux.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Elle ne luit pas pour les imb�ciles de peur
que la r�flexion ne lui fasse tort.

CLOTEN.--Venez, je vais dans ma chambre: je voudrais bien qu'il y e�t un
peu de mal.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Je ne fais pas le m�me voeu, � moins que ce
n'e�t �t� la chute d'un �ne, ce qui ne serait pas un grand mal.

CLOTEN.--Voulez-vous nous suivre?

PREMIER SEIGNEUR.--J'accompagnerai Votre Altesse.

CLOTEN.--Oui, venez: allons ensemble.

SECOND SEIGNEUR.--Volontiers, prince.

(Ils sortent.)


SC�NE III

L'appartement d'Imog�ne.

IMOG�NE, PISANIO.


IMOG�NE.--Je voudrais que tu te tinsses sur le port pour interroger
toutes les voiles.--S'il m'�crivait, et que sa lettre ne me parv�nt pas,
ce serait une aussi grande perte que si c'�tait des lettres de gr�ce.
Qu'est-ce qu'il t'a dit en dernier lieu?

PISANIO.--_Ma reine! ma reine!_

IMOG�NE.--Et alors il agitait son mouchoir.

PISANIO.--Et il le baisait, madame.

IMOG�NE.--Insensible tissu, tu �tais plus heureux que moi!--Et ce fut
tout?

PISANIO.--Non, madame; car aussi longtemps qu'il a pu se faire
distinguer des autres, � mes yeux ou � mes oreilles, il est rest� sur le
pont, et me faisant des signes de son gant, de son chapeau, de son
mouchoir, il exprimait de son mieux, par les transports et les
mouvements de son coeur, combien son �me �tait lente et le vaisseau
prompt � s'�loigner de vous.

IMOG�NE.--Tu aurais d� le suivre de l'oeil, et ne le quitter que
lorsqu'il t'aurait paru petit comme une corneille, ou moins encore.

PISANIO.--C'est ce que j'ai fait, madame.

IMOG�NE.--J'aurais bris� les fibres de mes yeux seulement pour le voir,
jusqu'� ce qu'il f�t devenu, par l'�loignement, mince comme mon
aiguille. Oui, mes regards l'auraient suivi, jusqu'� ce que de la
grosseur d'un moucheron, il se f�t tout � fait �vanoui dans l'air; et
alors j'aurais d�tourn� mes yeux et pleur�...--Mais bon Pisanio, quand
recevrons-nous de ses nouvelles?

PISANIO.--Soyez-en s�re, madame, � la premi�re occasion qu'il pourra
trouver.

IMOG�NE.--Je ne lui ai point fait mes adieux. J'avais tant de choses
tendres � lui dire! Avant que j'aie pu lui dire comment je songerai �
lui � certaines heures; quelles seront mes pens�es; avant que j'aie pu
lui faire jurer qu'aucune femme d'Italie ne lui ferait trahir mon amour
et son honneur; lui recommander de s'unir � moi en pri�res, � six heures
du matin, � midi, � minuit (car alors je suis dans les cieux pour lui);
avant que j'aie pu lui donner ce baiser d'adieu, que j'aurais plac�
entre deux mots charmants; mon p�re arrive, et, semblable au souffle
tyrannique du nord, il fait tomber tous nos boutons et les emp�che de
pousser.

(Une dame de la reine entre.)

LA DAME.--La reine, madame, d�sire que Votre Altesse se rende aupr�s
d'elle.

IMOG�NE, _� Pisanio_.--Allez ex�cuter les ordres dont je vous ai charg�,
je vais rejoindre la reine.

PISANIO.--Je vous ob�irai, madame.

(Ils sortent.)


SC�NE IV

Rome.--Appartement de la maison de Philario.

_Entrent_ PHILARIO, IACHIMO, UN FRAN�AIS, UN HOLLANDAIS ET UN ESPAGNOL.


IACHIMO.--Croyez-moi, seigneur; je l'ai vu en Angleterre, sa r�putation
allait croissant, on s'attendait � lui voir prouver le m�rite qu'on lui
reconna�t aujourd'hui; mais je pouvais alors le regarder encore sans
admiration, quand le catalogue de ses qualit�s e�t �t� inscrit � son
c�t� et que j'eusse parcouru article par article.

PHILARIO.--Vous parlez d'un temps o� il n'�tait pas encore, comme
aujourd'hui, rev�tu de tout ce qui en fait un homme accompli, au dedans
et au dehors.

LE FRAN�AIS.--Je l'ai vu en France; et nous avions l� bien des gens qui
pouvaient fixer le soleil d'un oeil aussi ferme que lui.

IACHIMO.--Cette affaire, d'avoir �pous� la fille de son roi, le fait
valoir, je n'en doute point, fort au del� de son m�rite; on l'appr�cie
d'apr�s la valeur de son amante, bien plus que d'apr�s la sienne.

LE FRAN�AIS.--Et puis son bannissement...

IACHIMO.--Oui, oui; les suffrages de ceux qui, sous la banni�re de la
princesse, pleurent ce douloureux divorce; tout cela sert
merveilleusement � exalter Posthumus. Ne f�t-ce que pour prouver le bon
jugement d'Imog�ne, qu'il serait autrement ais� de nier si elle avait
pris pour �poux un mendiant sans autres qualit�s. Mais comment
arrive-t-il, Philario, qu'il vienne s'�tablir chez vous? O� votre
liaison s'est-elle form�e?

PHILARIO.--Son p�re et moi nous avons fait la guerre ensemble, et je ne
dois pas moins que la vie � son p�re, qui me l'a sauv�e plus d'une fois.
Voici l'Anglais. (_Posthumus para�t._) Qu'il soit trait� parmi vous avec
les �gards que des gentilshommes comme vous doivent � un �tranger de sa
qualit�. Je vous exhorte tous � lier une plus �troite connaissance avec
ce cavalier, je vous le recommande comme mon digne ami. Je veux lui
donner le temps de montrer son m�rite, plut�t que de faire son �loge en
sa pr�sence.

LE FRAN�AIS, _� Posthumus_.--Seigneur, nous nous sommes connus �
Orl�ans.

POSTHUMUS.--Et depuis lors je vous suis rest� redevable d'une foule
d'attentions dont je resterai toujours votre d�biteur tout en
m'acquittant sans cesse.

LE FRAN�AIS.--Seigneur, vous estimez trop haut un faible service. Je me
f�licitai de vous avoir r�concili� avec mon compatriote; c'e�t �t� une
piti� que de vous laisser rencontrer avec les intentions meurtri�res que
vous aviez alors tous deux pour une affaire aussi l�g�re, une bagatelle.

POSTHUMUS.--Permettez, seigneur; j'�tais alors un jeune voyageur:
j'�vitais de m'en rapporter � mes propres lumi�res, aimant mieux me
laisser guider par l'exp�rience des autres; mais depuis que mon jugement
s'est form�, si je puis dire, sans offenser personne, qu'il s'est form�,
je ne trouve pas que la querelle f�t si frivole.

LE FRAN�AIS.--D'honneur, elle l'�tait trop pour m�riter d'�tre d�cid�e
par le fer, surtout entre deux hommes dont l'un aurait tr�s-probablement
immol� l'autre, ou qui seraient rest�s tous deux sur la place.

IACHIMO.--Pouvons-nous, sans indiscr�tion, vous demander quel �tait le
sujet de ce diff�rend?

LE FRAN�AIS.--Sans difficult�, je le pense; la querelle fut publique, et
d�s lors on peut, sans blesser personne, en faire le r�cit. C'�tait �
peu pr�s la m�me th�se qui fut agit�e entre nous l'autre soir, lorsque
chacun de nous fit l'�loge des dames de son pays. Ce gentilhomme
soutenait en ce temps-l�, et offrait de le soutenir aux d�pens de son
sang, que la sienne �tait plus belle, plus vertueuse, plus spirituelle,
plus chaste, plus constante et moins abordable qu'aucune des dames les
plus accomplies de France.

IACHIMO.--Cette dame ne vit plus aujourd'hui, ou bien l'opinion qu'en
avait ce gentilhomme doit �tre us�e � pr�sent.

POSTHUMUS.--Elle conserve toujours sa vertu, et moi mon opinion.

IACHIMO.--Il ne faut pas que vous lui donniez si fort la pr�f�rence sur
nos dames d'Italie.

POSTHUMUS.--Quand je serais pouss� au point o� je le fus en France, je
ne rabattrais rien de son prix, quoique je me d�clare ici non son ami,
mais son adorateur.

IACHIMO.--Aussi belle et aussi vertueuse puisque c'est une esp�ce de
comparaison qui se tient par la main, c'est trop beau et trop bon pour
quelque dame de Bretagne que ce soit. Si elle surpassait d'autres femmes
que j'ai connues, comme le diamant que vous portez l� d�passe en �clat
beaucoup de diamants que j'ai vus, je croirais volontiers qu'elle
surpasse beaucoup de femmes; mais je n'ai pas vu le plus beau diamant,
ni vous la plus belle femme qui soit au monde.

POSTHUMUS.--Je l'ai lou�e d'apr�s le cas que j'en fais, comme ce
diamant.

IACHIMO.--Et combien estimez-vous cette pierre?

POSTHUMUS.--Plus que les tr�sors du monde entier.

IACHIMO,--Ou votre incomparable ma�tresse est morte, ou la voil�
au-dessous du prix d'une bagatelle.

POSTHUMUS.--Vous �tes dans l'erreur: l'une peut s'acheter ou se donner,
s'il se trouve assez de richesses pour la payer, ou de m�rite pour
l'obtenir en don. L'autre n'est pas une chose qui se vende, et les dieux
seuls peuvent en faire don.

IACHIMO.--Et ce don, les dieux vous l'ont fait?

POSTHUMUS.--Oui, et avec leur secours je le conserverai.

IACHIMO.--Vous pouvez le poss�der en titre. Mais, vous le savez, des
oiseaux �trangers viennent souvent s'abattre sur nos �tangs voisins....
Votre bague aussi, on peut vous la voler: ainsi, de cette paire de
tr�sors inappr�ciables que vous poss�dez, l'un est bien fragile, et
l'autre est casuel. Un adroit filou et un cavalier accompli pourraient
tenter de vous les enlever tous deux.

POSTHUMUS.--Votre Italie n'a point de cavalier assez accompli pour
triompher de l'honneur de ma ma�tresse, si c'est de la garde ou de la
perte de l'honneur que vous pr�tendez parler, en disant qu'elle est
fragile. Je ne doute pas que vous n'ayez des filous en abondance, et
pourtant je ne crains rien pour mon anneau.

PHILARIO.--Restons-en l�, messieurs.

POSTHUMUS.--Tr�s-volontiers. Ce noble seigneur, et je l'en remercie, ne
me traite point en �tranger: nous voil� familiers d�s l'abord.

IACHIMO.--En cinq entretiens, pas plus longs que le n�tre, je voudrais
m'�tablir dans le coeur de votre belle ma�tresse, et voir sa vertu
fl�chir et pr�te � c�der, si j'avais seulement acc�s pr�s d'elle et
l'occasion de lui faire ma cour.

POSTHUMUS.--Non, non.

IACHIMO.--J'ose parier l�-dessus la moiti� de ma fortune contre votre
diamant, qui, � mon avis, vaut quelque chose de moins. Mais je fais ma
gageure plut�t contre votre confiance que contre sa r�putation; et de
peur que vous vous en offensiez, j'ajoute que j'oserais le tenter avec
quelque femme au monde que ce f�t!

POSTHUMUS.--Vous �tes �trangement abus� par vos id�es t�m�raires: et je
ne doute pas qu'il ne nous arriv�t ce que vous m�ritez dans votre
tentative.

IACHIMO.--Et quoi?

POSTHUMUS.--D'�tre repouss�, quoique votre tentative, comme vous
l'appelez, m�rit�t quelque chose de plus, un ch�timent peut-�tre.

PHILARIO.--Messieurs, en voil� assez l�-dessus: cette vaine dispute
s'est �lev�e trop t�t; qu'elle meure comme elle est n�e; je vous prie,
faites plus ample connaissance.

IACHIMO.--Je voudrais avoir engag� ma fortune et celle de mon voisin au
soutien de ce que j'ai avanc�.

POSTHUMUS.--Quelle dame choisiriez-vous pour l'assaillir?

IACHIMO.--La v�tre, que vous croyez si bien affermie dans sa constance.
Voulez-vous seulement me recommander � la cour o� est votre dame? je
gagerai dix mille ducats contre votre diamant, que, sans autres
avantages que deux entretiens avec elle, je rapporterai de l� cet
honneur que vous croyez si bien d�fendu.

POSTHUMUS.--Je consens � parier de l'or, contre votre or. Pour mon
anneau, il m'est aussi cher que mon doigt; il en fait partie.

IACHIMO.--Vous �tes amant, et de l� vient votre prudence.--Quand vous
auriez achet� le corps d'une femme un million la drachme, vous ne
pourriez l'emp�cher de se corrompre. Mais, je le vois, vous avez dans
l'�me quelques scrupules puisque vous avez peur.

POSTHUMUS.--Tout ceci n'est qu'un jargon d'habitude; vous portez,
j'esp�re, des sentiments plus r�fl�chis.

IACHIMO.--Je suis ma�tre de mes paroles; et je jure que je veux tenter
l'�preuve dont j'ai parl�.

POSTHUMUS.--Vous le voulez?--Je ne fais que pr�ter mon diamant jusqu'�
votre retour.--Qu'on dresse entre nous des conventions. Ma ma�tresse
surpasse en vertu toute l'�tendue de vos indignes pens�es. Je vous d�fie
dans cette gageure; voil� ma bague.

PHILARIO.--Je ne souffrirai point qu'elle serve de gage.

IACHIMO.--Par les dieux, c'en est un. Si je ne vous rapporte pas des
preuves suffisantes que j'ai joui des plus chers appas de votre
ma�tresse, mes dix mille ducats sont � vous, et votre diamant aussi; si
je la quitte en laissant sans atteinte cet honneur auquel vous vous
fiez, elle qui est votre joyau, le joyau que voil� et mon or, tout est �
vous; mais il me faut votre recommandation, afin de me procurer un plus
libre acc�s.

POSTHUMUS.--J'accepte ces conditions. Faisons des conventions entre
nous. Voici seulement ce dont vous me r�pondrez. Si vous faites ce
voyage pour la s�duire, et que vous me d�montriez clairement que vous
avez triomph�, je ne suis plus votre ennemi, et elle ne m�rite pas notre
dispute. Mais si elle reste fid�le, et que vous ne puissiez me prouver
le contraire, vous me r�pondrez l'�p�e � la main, et de votre mauvaise
opinion, et de l'attaque que vous aurez livr�e � sa pudeur.

IACHIMO.--Votre main; l'accord est fait. Nous allons faire r�gler tout
cela dans les formes, et je pars sur-le-champ pour la Grande-Bretagne,
de peur que notre march� ne pr�t froid et ne se romp�t. Je vais chercher
mon or et faire inscrire le pari.

POSTHUMUS.--Convenu.

(Posthumus et Iachimo sortent.)

LE FRAN�AIS.--Le pari tiendra-t-il? Croyez-vous?

PHILARIO.--Le seigneur Iachimo ne reculera pas. Je vous prie,
suivons-les.

(Ils sortent.)


SC�NE V

Grande-Bretagne.--Appartement dans le palais de Cymbeline.

LA REINE _para�t avec ses_ DAMES ET CORN�LIUS _tenant une fiole_.


LA REINE, _� ses femmes_.--Tandis que la ros�e est encore sur la terre,
allez cueillir ces fleurs; h�tez-vous. Qui de vous en a la liste?

UNE DES FEMMES.--Moi, madame.

LA REINE.--Allez. (_Les dames sortent._) Maintenant, monsieur le
docteur, avez-vous apport� ces drogues?

CORN�LIUS.--Sous le bon plaisir de Votre Majest�, les voici. (_Il
pr�sente une petite bo�te._) Mais si Votre Majest� me le permet, et
j'esp�re qu'elle ne s'en offensera pas, ma conscience me force � vous
demander pour quel usage vous avez exig� de moi ces potions
empoisonn�es, qui am�nent une mort languissante, et sont mortelles
quoique lentes.

LA REINE.--Je m'�tonne, docteur, que vous me fassiez une pareille
question. N'ai-je pas �t� longtemps votre disciple? Ne m'avez-vous pas
enseign� l'art de composer des parfums, de distiller, de conserver les
fruits? Si bien que notre grand roi lui-m�me me fait souvent la cour
pour mes confitures? En �tant arriv�e l�, serez-vous �tonn�, � moins que
vous ne me supposiez une �me infernale, que je cherche � perfectionner
ma science par de nouvelles exp�riences? Je veux faire l'essai de ces
compositions sur de vils animaux qui ne valent pas la peine d'�tre
pendus; jamais sur aucune cr�ature humaine, afin de conna�tre leur
force, d'opposer des antidotes � leur activit�, et par l� d'apprendre
leurs diverses vertus et leurs effets.

CORN�LIUS.--Votre Majest�, par ces exp�riences, ne fera que s'endurcir
le coeur; d'ailleurs on ne voit point ces r�sultats sans d�go�t ni sans
danger.

LA REINE.--Oh! soyez tranquille.--(_Entre Pisanio._) (_A part_.) Voici
un flatteur de valet; c'est sur lui que je ferai mon premier essai; il
appartient � son ma�tre, et est l'ennemi de mon fils.... Eh bien!
Pisanio? (_A Corn�lius_.) Docteur, votre office aupr�s de moi est fini
pour le moment; allez votre chemin.

CORN�LIUS, _s'�loignant et � part_.--Vous m'�tes suspecte, madame; mais
vous ne ferez aucun mal.

LA REINE, _� Pisanio_.--�coute, un mot.

CORN�LIUS, _� part_.--Je n'aime point cette femme.... Elle croit tenir
des poisons lents et �tranges; je connais bien son �me, je ne confierai
pas � une personne aussi perverse des ingr�dients d'une nature aussi
infernale; ceux qu'elle poss�de assoupiront et alourdiront un moment les
sens; peut-�tre ses essais commenceront-ils par des chiens et des chats,
pour monter ensuite plus haut; mais il n'y a aucun danger dans la mort
apparente qu'elle donnera; elle ne fera que suspendre pour un temps les
esprits, qui rena�tront plus actifs. Elle est tromp�e par ces faux
effets; et moi, en la trompant ainsi, je n'en suis que plus fid�le.

LA REINE.--Docteur, je n'ai plus besoin de votre pr�sence jusqu'� ce que
je vous fasse rappeler.

CORN�LIUS.--Je prends humblement cong� de vous.

(Il se retire.)

LA REINE.--Elle pleure donc toujours, dis-tu? Penses-tu qu'avec le temps
ses larmes ne s'arr�teront pas, pour laisser entrer les conseils de la
raison l� o� r�gne maintenant la folie? Travaille � cela: et quand tu
viendras me dire qu'elle aime mon fils, je te dirai � l'instant m�me que
tu es aussi grand que ton ma�tre; plus grand que lui; car sa fortune est
gisante et sans voix, et sa renomm�e est � l'agonie: il ne peut revenir
ici, ni demeurer o� il est.... En changeant d'existence, il ne fera que
changer de mis�re; et chaque jour en arrivant vient ruiner un jour de sa
vie. Quel est ton espoir, en t'appuyant sur une colonne qui penche et
qu'il sera impossible de relever?--sur un homme qui n'a pas m�me assez
d'amis pour l'�tayer? (_La reine laisse tomber une bo�te: Pisanio la
ramasse._) Tu ne connais pas ce que tu tiens l�; re�ois-le de moi pour
tes services, c'est un �lixir de ma composition: il a d�j� arrach� cinq
fois le roi � la mort: je ne connais pas de cordial plus efficace. Non,
je te prie, prends-le, comme un gage des faveurs plus grandes que je te
destine:--fais sentir � ta ma�tresse quelle est sa position; fais-le
comme de toi-m�me: songe quelle chance t'offre la fortune, songe
seulement que tu conserves toujours ta ma�tresse, et de plus tu gagnes
mon fils, qui se souviendra de toi.... J'int�resserai le roi � ton
avancement, quoi que tu puisses d�sirer; et moi-m�me alors, moi surtout
qui t'aurai mis sur la voie de m�riter les gr�ces, je m'engage �
r�compenser richement ton m�rite. Appelle mes femmes: songe � mes
paroles. (_Pisanio sort._) Un valet fin et fid�le qu'on ne peut
�branler: l'agent de son ma�tre aupr�s d'elle, et qui lui rappelle sans
cesse de conserver sa main et sa foi � son seigneur. Je lui ai fait l�
un don qui, s'il en fait usage, enl�vera � la belle son �missaire aupr�s
de son doux ami; et elle-m�me, dans la suite, si elle ne plie pas son
humeur, peut �tre s�re d'en go�ter aussi. (_Pisanio repara�t avec les
dames, qui rapportent des paniers de fleurs._) Fort bien, fort bien:
portez dans mon cabinet ces violettes, ces primev�res, ces pervenches:
adieu, Pisanio; songe � ce que je t'ai dit.

(La reine sort suivie de ses femmes.)

PISANIO _seul_.--J'y songerai, mais quand je deviendrai infid�le � mon
bon ma�tre, je m'�toufferai de mes propres mains: c'est l� tout ce que
je ferai pour toi.

(Il sort.)


SC�NE VI

Un autre appartement du palais.

IMOG�NE _seule_.


IMOG�NE.--Un p�re cruel, une belle-m�re perfide, un stupide soupirant
pr�s d'une femme mari�e, dont l'�poux est banni: oh! mon �poux! le
comble et la couronne de tous mes chagrins! et des vexations qui se
renouvellent � chaque instant!--Si j'avais �t� d�rob�e par des voleurs,
comme mes deux fr�res, je serais heureuse: mais malheureux ceux que
leurs d�sirs �l�vent trop haut! Heureux, quelque humble que soit leur
�tat, ceux qui voient accomplir leurs modestes voeux que chaque saison
satisfait.... Quel peut �tre cet homme? Fi donc!

(Iachimo entre pr�c�d� par Pisanio.)

PISANIO.--Madame, un noble gentilhomme de Rome vous apporte des lettres
de mon ma�tre.

IACHIMO.--Vous changez de couleur, madame? Le noble L�onatus est en
s�ret�: il salue tendrement Votre Altesse.

(Il lui pr�sente une lettre.)

IMOG�NE.--Je vous remercie, bon seigneur: vous �tes le tr�s-bienvenu.

IACHIMO, _� part_.--Tout ce qu'elle laisse voir est parfait: si elle est
munie d'une �me aussi rare, c'est ici le ph�nix de l'Arabie, et j'ai
perdu la gageure. Hardiesse, sois mon amie; audace, arme-moi de pied en
cap, ou bien, comme le Parthe, je ne combattrai qu'en fuyant, ou plut�t
je fuirai sans avoir combattu.

IMOG�NE, _lisant tout haut la lettre_.--_C'est un cavalier de la plus
haute distinction, et auquel de bons offices m'ont infiniment attach�.
Traitez-le en cons�quence comme vous estimez votre fid�le_ L�onatus.

Je ne lis que cela tout haut; mais mon coeur est r�chauff� jusqu'au fond
par le reste de la lettre: il est tout �mu de reconnaissance.--Vous �tes
le bienvenu, digne seigneur, autant que peuvent l'exprimer mes paroles;
et vous l'�prouverez dans tout ce que je pourrai faire pour vous.

IACHIMO.--Je vous rends gr�ces, belle dame.--Eh quoi! les hommes
sont-ils insens�s? La nature leur aura donn� des yeux pour voir l'arche
vo�t�e des cieux et les richesses de la terre et des mers, pour
distinguer les globes enflamm�s sur nos t�tes, et les pierres sem�es sur
les rivages; et avec des organes si pr�cieux, nous ne pourrons pas faire
la diff�rence de la laideur et de la beaut�!

IMOG�NE.--D'o� vient votre �tonnement?

IACHIMO.--Cela ne peut �tre la faute des yeux: des singes et des guenons
plac�s entre deux cr�atures semblables bavarderaient de ce c�t�, et
repousseraient l'autre par des grimaces. Ce n'est pas la faute du
jugement: l'idiot devant cette beaut� saurait faire son choix. Ce n'est
pas la passion; car la laideur, mise � c�t� de cette beaut� parfaite,
exciterait le d�sir � vomir � vide au lieu de le pousser � se
satisfaire.

IMOG�NE.--Quelle est donc la cause...?

IACHIMO.--Le vice blas�, ce d�sir rassasi� mais non satisfait (comme un
vase plein et qui fuit), d�vore d'abord l'agneau, et puis est avide de
charogne.

IMOG�NE.--Quelle est donc, digne seigneur, la cause de votre agitation?
�tes-vous bien?

IACHIMO.--Bien, merci, madame. (_A Pisanio_.) Ami, je vous prie,
ordonnez � mon serviteur de m'attendre l� o� je l'ai laiss�: il est
�tranger et susceptible.

PISANIO.--J'allais sortir, seigneur, pour lui faire accueil.

(Il sort.)

IMOG�NE.--La sant� de mon seigneur continue-t-elle � �tre bonne? De
gr�ce, dites-le-moi.

IACHIMO.--Bonne, madame.

IMOG�NE.--Est-il dispos� � la gaiet�? J'esp�re qu'il l'est.

IACHIMO.--Excessivement gai: Rome n'a point d'�tranger aussi jovial,
aussi fol�tre: on l'appelle le _joyeux Anglais_.

IMOG�NE.--Lorsqu'il �tait ici, il �tait enclin � la m�lancolie, et
souvent sans savoir pourquoi.

IACHIMO.--Jamais je ne l'ai vu triste. Il y a un Fran�ais, son
compagnon, un _monsieur_ d'un rang �minent, qui aime fort � ce qu'il
para�t une jeune Fran�aise rest�e dans son pays; il pousse de profonds
soupirs, comme la flamme d'une fournaise; pendant que le joyeux Anglais
(votre �poux, veux-je dire) rit aux �clats et s'�crie: �Comment mes
c�tes y r�sisteront-elles, lorsqu'on songe que l'homme, qui sait par
l'histoire, par tous les r�cits, par sa propre exp�rience, ce qu'est la
femme et ce qu'il lui est impossible de ne pas �tre, va languir en
livrant ses heures de libert� � un esclavage volontaire!�

IMOG�NE.--Est-ce que mon �poux dit cela?

IACHIMO.--Oui, madame, en riant jusqu'aux larmes. C'est un amusement que
de se trouver l�, et de le voir se moquer du Fran�ais. Mais le ciel sait
qu'il est des hommes qui sont bien bl�mables.

IMOG�NE.--Ce n'est pas lui, j'esp�re?

IACHIMO.--Lui? Non. Cependant il devrait recevoir avec plus de
reconnaissance les bont�s du ciel envers lui: il y a en lui et en
vous,--que je regarde comme son bien au-dessus de toutes les
richesses;--oui, il y a pour moi des motifs d'admirer et en m�me temps
de plaindre.

IMOG�NE.--Et qui plaignez-vous, seigneur?

IACHIMO.--Deux cr�atures du fond du coeur.

IMOG�NE.--Suis-je une des deux, seigneur? Vous me regardez; quel ravage
discernez-vous en moi qui m�rite votre piti�?

IACHIMO.--C'est lamentable! Quoi? Fuir le soleil radieux et se plaire
dans un cachot aupr�s d'une chandelle!

IMOG�NE.--Je vous prie, seigneur, �noncez plus clairement vos r�ponses �
mes questions? Pourquoi me plaignez-vous?

IACHIMO.--Parce que d'autres, j'allais le dire, jouissent de votre...;
mais c'est l'office des dieux d'en tirer vengeance, et ce n'est pas le
mien de parler.

IMOG�NE.--Vous paraissez savoir quelque chose qui me concerne ou qui
m'int�resse. Je vous prie, parlez: puisque soup�onner que les choses
vont mal fait souvent plus souffrir que la certitude qu'il en est ainsi;
les faits certains sont au-dessus des rem�des, ou bien connus � temps on
peut y appliquer le rem�de. Ah! d�couvrez-moi ce secret qui vous pousse
� parler et que vous retenez.

IACHIMO.--Si j'avais cette joue pour y reposer mes l�vres; cette main
dont le toucher, le seul toucher devrait forcer un homme au serment de
fid�lit�; si je poss�dais cet objet qui captive les regards errants de
mes yeux et les tient attach�s sur lui seul; irais-je souiller ma
bouche, comme un r�prouv�, sur des l�vres aussi publiques que les degr�s
qui conduisent au Capitole; presserais-je de mes mains des mains
fl�tries par le travail, et plus encore par des parjures journaliers; si
j'allais fixer mes regards sur des yeux, sur des yeux abjects et ternes
comme la lueur opaque de ces flambeaux que nourrit un suif f�tide, ne
serait-il pas bien juste que tous les fl�aux de l'enfer punissent une
fois une telle trahison?

IMOG�NE.--Mon seigneur, je le crains, a oubli� la Bretagne.

IACHIMO.--Et lui-m�me. Ce n'est pas mon penchant qui me porte � vous
�clairer, � r�v�ler la bassesse de son changement, ce sont vos gr�ces
qui, du fond de ma conscience muette, attirent malgr� moi sur mes l�vres
cet aveu.

IMOG�NE.--Je ne veux pas en entendre davantage.

IACHIMO.--O ch�re �me, votre sort touche mon coeur d'une piti� qui me
fait mal. Une princesse aussi belle et n�e dans la puissance, qui
doublerait la grandeur du plus grand roi, �tre ainsi associ�e avec de
viles cr�atures lou�es avec l'argent m�me que fournissent vos coffres;
avec d'inf�mes aventuri�res, qui, pour de l'or, jouent avec tous les
maux dont la corruption souille la nature; pestes contagieuses, qui
pourraient empoisonner le poison; vengez-vous, ou celle qui vous porta
n'�tait pas reine, et vous d�g�n�rez de votre illustre origine.

IMOG�NE.--Me venger! et comment me venger? Si ce r�cit est vrai, car je
porte un coeur qui doit craindre de se laisser trop vite abuser par mes
deux oreilles; si ce r�cit est vrai, comment pourrais-je me venger?

IACHIMO.--Quoi! vous ferait-il vivre comme une vestale de Diane entre
des draps glac�s, tandis qu'il se livre � de capricieuses prostitu�es,
au m�pris de votre personne, aux d�pens de votre bourse? Vengez-vous. Je
me consacre � votre bon plaisir. Amant plus noble que ce d�serteur de
votre lit, je resterai fid�le � votre tendresse, toujours discret et
toujours constant.

IMOG�NE.--Hol�! Pisanio!

IACHIMO.--Souffrez que je jure sur vos l�vres mon d�vouement.

IMOG�NE.--Va-t'en!--J'en veux � mes oreilles de t'avoir �cout� si
longtemps. Si tu avais de l'honneur, tu m'aurais fait ce r�cit par
vertu, et non pour la fin que tu te proposes, aussi basse qu'�trange! Tu
outrages un gentilhomme qui est aussi loin de ta calomnie que tu l'es de
l'honneur, et tu tentes de s�duire ici une femme qui te m�prise comme le
d�mon. Hol�! Pisanio!... Le roi mon p�re sera instruit de ton audace;
s'il trouve bon qu'un �tranger t�m�raire marchande � sa cour comme dans
une mauvaise maison de Rome, et nous d�voile ses brutales pens�es, il a
une cour dont il ne se soucie gu�re, et une fille qu'il estime bien peu.
Hol�! Pisanio!

IACHIMO.--O heureux L�onatus! je puis bien le dire, la confiance que ta
dame a en toi m�rite bien la tienne, et ta parfaite vertu m�rite bien
aussi sa tranquille confiance! Vivez longtemps heureuse, vous la dame du
plus digne chevalier dont jamais se soit vant� un pays; vous, sa
ma�tresse digne seulement du plus noble coeur. Accordez-moi mon pardon;
je n'ai parl� ainsi que pour �prouver si votre fid�lit� �tait bien
enracin�e; je vais rendre votre �poux ce qu'il est d�j�, l'homme le plus
aimable et le plus fid�le; il poss�de la charmante sorcellerie de
charmer toutes les soci�t�s; la moiti� du coeur de tous les hommes est �
lui.

IMOG�NE.--Vous r�parez vos fautes.

IACHIMO.--Il est assis au milieu des hommes comme un dieu descendu du
ciel, il est par� d'une sorte d'honneur qui surpasse sa beaut� mortelle;
ne soyez pas offens�e, auguste princesse, si j'ai os� �prouver quel
accueil vous feriez � un faux rapport. Il n'a servi qu'� confirmer
honorablement votre bon jugement dans le choix que vous avez fait d'un
�poux si rare, que vous saviez ne pouvoir faillir. C'est l'amiti� que
j'ai pour lui qui m'a port� � vous �prouver; mais les dieux vous ont
form�e diff�rente de toutes les autres femmes, exempte de faiblesse; je
vous prie, pardonnez-moi.

IMOG�NE.--Tout est r�par�, seigneur. Disposez de mon pouvoir dans cette
cour.

IACHIMO.--Recevez mes humbles actions de gr�ces.--J'avais presque oubli�
de faire � Votre Altesse une petite pri�re, et qui pourtant est
importante, car elle int�resse votre �poux; plusieurs amis et moi avons
part aussi � cette affaire.

IMOG�NE.--Je vous prie, de quoi s'agit-il?

IACHIMO.--Une douzaine de nos Romains et votre �poux (la meilleure plume
de notre aile), nous avons tous contribu� pour une somme destin�e �
acheter un pr�sent pour l'empereur; agent des autres, j'en ai fait
l'emplette en France. C'est de la vaisselle d'un rare dessin, et des
bijoux d'une forme exquise et riche; leur valeur est consid�rable;
�tranger comme je suis, je serais d�sireux de les voir en lieu s�r; vous
plairait-il de les prendre sous votre protection?

IMOG�NE.--Volontiers, et j'engage mon honneur � leur s�ret�, puisque mon
seigneur y est int�ress�; je veux les garder dans ma chambre � coucher.

IACHIMO.--Ils sont renferm�s dans un coffre escort� par mes gens. Je
prendrai la libert� de vous les envoyer, seulement pour cette nuit.
Demain je dois me rembarquer.

IMOG�NE.--Oh! non, non.

IACHIMO.--Il le faut, daignez me le permettre, ou je manquerais � ma
parole en diff�rant mon retour. J'ai travers� les mers en venant de
France, pour tenir ma promesse de voir Votre Altesse.

IMOG�NE.--Je vous remercie de votre peine; mais vous ne partirez pas d�s
demain?

IACHIMO.--Oh! il le faut, madame. Ainsi, si vous voulez saluer votre
�poux dans une lettre, je vous supplie, �crivez-la ce soir; j'ai d�j�
pass� le terme marqu� pour mon s�jour, et le temps presse pour offrir
notre pr�sent.

IMOG�NE.--J'�crirai; envoyez-moi votre coffre, il sera gard� avec soin
et fid�lement rendu. Vous �tes le bienvenu.

FIN DU PREMIER ACTE.




                             ACTE DEUXI�ME


SC�NE I

Une cour devant le palais de Cymbeline.

_Entre_ CLOTEN _avec_ DEUX SEIGNEURS.


CLOTEN.--Jamais homme a-t-il autant jou� de malheur? Je frise le but[1],
et puis je me vois rouler au loin! J'avais sur le coup cent livres de
pari, et il faudra encore qu'un impertinent faquin vienne m'entreprendre
pour avoir jur�, comme si je lui empruntais mes serments; et que je ne
fusse pas le ma�tre de les prodiguer � mon gr�!

[Note 1: _I kissed the jack_, cochonnet, but.]

PREMIER SEIGNEUR.--Qu'a-t-il gagn� � cela? Vous lui avez cass� la t�te
avec votre boule.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--S'il n'e�t pas eu plus de cervelle que celui
qui lui a cass� la t�te, il ne lui en serait pas rest�.

CLOTEN.--Lorsqu'un gentilhomme est en humeur de jurer, il n'appartient
pas � aucun des spectateurs de venir interrompre[2] ses jurements, je
crois?

SECOND SEIGNEUR.--Non, seigneur, (_� part_) ni de leur couper les
oreilles[3].

CLOTEN.--Ce chien de b�tard!--Moi! lui donner satisfaction? Que n'est-il
quelqu'un de mon rang!

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Il serait au rang des fous[4]!

[Note 2: _To curtail his oath_, mot � mot, couper la queue � ses
jurements, les mutiler.]

[Note 3: L'autre r�pond: Ni de leur couper les oreilles, _nor crop
the ears of them_.]

[Note 4: Jeu de mots sur _rank_, rang et rance; le second seigneur
r�pond: Sentir le fou.]

CLOTEN.--Rien au monde ne m'impatiente autant. Peste soit de la
grandeur! je voudrais n'�tre pas noble comme je suis. On n'ose pas se
battre avec moi, � cause de la reine ma m�re: le dernier petit bourgeois
s'en donne son so�l de se battre, et moi, il faut que j'aille et vienne
comme un coq dont on ne peut trouver le pair.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Vous �tes � la fois un coq et un chapon, et
vous chantez, coq, avec votre cr�te.

CLOTEN.--Vous dites?

PREMIER SEIGNEUR.--Qu'il n'est pas convenable que Votre Altesse se
mesure avec le premier venu qu'il lui aura plu d'insulter.

CLOTEN.--Non: je sais cela, mais il est convenable que j'offense mes
inf�rieurs.

SECOND SEIGNEUR.--Oui, cela ne convient qu'� Votre Altesse.

CLOTEN.--C'est ce que je dis.

PREMIER SEIGNEUR.--Avez-vous entendu parler d'un �tranger qui est arriv�
ce soir � la cour?

CLOTEN.--Un �tranger! et je n'en sais rien!

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Ah! tu es toi-m�me un �trange sot[5], et tu
n'en sais rien non plus.

[Note 5: Jeu de mots sur _strange_, �trange et �tranger.]

PREMIER SEIGNEUR.--Oui, il y a un Italien d'arriv�; on le croit un des
amis de L�onatus.

CLOTEN.--De L�onatus, ce coquin de banni! Son ami en est un autre, quel
qu'il soit.--Qui vous a appris l'arriv�e de cet �tranger?

PREMIER SEIGNEUR.--Un des pages de Votre Altesse.

CLOTEN.--Me convient-il d'aller le regarder? Le puis-je sans d�roger?

SECOND SEIGNEUR.--Vous ne pouvez d�roger, seigneur.

CLOTEN.--Cela ne m'est pas ais�, je crois.

SECOND SEIGNEUR, _� part_.--Vous �tes un imb�cile avou�: et tout ce qui
vient de vous �tant d'un imb�cile, ne vous fait pas d�roger.

CLOTEN.--Venez, je veux voir cet Italien: ce que j'ai perdu aujourd'hui
aux boules, je le regagnerai le soir avec lui. Venez, allons.

SECOND SEIGNEUR.--Je suis Votre Altesse. (_Cloten sort avec le premier
seigneur_.)--Comment une diablesse aussi rus�e a-t-elle pu mettre au
monde cet �ne? Une femme qui renverse tout avec sa t�te; et voil� son
fils � qui on ne ferait pas comprendre qu'en �tant deux de vingt, il
reste dix-huit.--H�las! pauvre princesse, divine Imog�ne! que ne
souffres-tu pas, entre un p�re que gouverne ta mar�tre, une m�re qui
trame � tout moment des complots, et un amant plus odieux pour toi que
l'horrible exil de ton cher �poux;--plus odieux que cet horrible divorce
qu'il d�sire!--Que le ciel soutienne les remparts de ta ch�re vertu;
qu'il affermisse le temple de ta belle �me, afin que tu puisses un jour
r�sister et poss�der et ton �poux banni et ce vaste royaume!

(Il sort.)


SC�NE II

Une chambre � coucher, et dans un coin un coffre.

IMOG�NE, _lisant dans son lit, une dame lui tient compagnie_.


IMOG�NE.--Qui est l�? Est-ce vous, H�l�ne?

H�L�NE.--Que d�sirez-vous, madame?

IMOG�NE.--Quelle heure est-il?

H�L�NE.--Pr�s de minuit, madame.

IMOG�NE.--Alors j'ai lu trois heures; mes yeux sont fatigu�s.--Pliez le
feuillet o� j'en suis rest�e, et allez vous mettre au lit. N'emportez
point le flambeau, laissez-le br�ler: et si vous pouvez vous r�veiller �
quatre heures, appelez, je vous prie.--Le sommeil me gagne compl�tement.
(_H�l�ne sort_.) Dieux, je me mets sous votre garde: prot�gez-moi, je
vous en supplie, contre les f�es et les esprits malfaisants de la nuit.

(Imog�ne s'endort.)

IACHIMO, _sortant du coffre_.--Les grillons chantent: les sens de
l'homme, �puis�s par le travail, se r�parent dans le repos. Ainsi jadis
notre Tarquin foulait doucement les joncs[6] avant d'�veiller la
chastet� qu'il viola. Cyth�r�e, comme tu es belle dans ton lit! pur lis!
plus blanc que les draps! oh! si je pouvais te toucher, te donner un
baiser, un seul baiser! Rubis incomparable de ses l�vres, que vous le
rendez pr�cieux! C'est son haleine qui embaume ainsi l'appartement: la
flamme du flambeau s'incline vers elle, et voudrait p�n�trer sous ses
paupi�res pour y voir les lumi�res qu'elles cachent maintenant sous leur
rideau: globes d'un blanc m�l� d'azur, de l'azur m�me des cieux.--Mais
mon projet est d'observer la chambre; je vais tout �crire.--Ici des
tableaux.--L� une fen�tre.--Tels sont les ornements de son lit.--Les
tapisseries, les personnages sont ainsi, et ainsi est le contenu du
livre.--Mais quelques signes naturels observ�s sur son corps seraient un
t�moignage plus important que la description de dix mille meubles, et
ils enrichiraient mon inventaire. O sommeil, image de la mort,
appesantis-toi sur elle, et rends-la insensible comme un monument plac�
dans une chapelle. (_Prenant le bracelet d'Imog�ne_.) Viens � moi,
viens: tu es aussi ais� � d�faire que le noeud gordien �tait serr�.--Il
est � moi, et ce bracelet sera un t�moin ext�rieur aussi fort que la
conscience � l'int�rieur pour d�sesp�rer son �poux.--Son sein gauche
porte un signe � cinq rayons comme les gouttes de pourpre qui brillent
dans le calice d'une primev�re[7]. Voil� une preuve plus forte que
toutes celles que peuvent donner les lois. Ces signes cach�s le
forceront de croire que j'ai crochet� la serrure et ravi le tr�sor de
son honneur. Que me faut-il de plus?--Qu'ai-je besoin d'�crire ce qui
est �crit, imprim� dans ma m�moire? (_Prenant le livre_.)--Elle a lu
bien tard l'histoire de T�r�e; la feuille est pli�e � l'endroit o�
Philom�le se rendit.--J'en ai assez: rentrons dans ce coffre et
refermons-en le ressort.--Vite, h�tez-vous, dragons de la nuit: que
l'aurore vienne ouvrir l'oeil du corbeau.--Je vis dans la crainte;
l'enfer est ici pour moi, quoiqu'un ange c�leste y repose. (_L'horloge
sonne._) Une, deux, trois: il est temps, il est temps.

[Note 6: On �tendait des joncs sur le parquet des appartements,
comme nous y mettons aujourd'hui des tapis.]

[Note 7: Shakspeare avait observ� la nature, mais il ne la peint pas
ici exactement: ces gouttes de la primev�re sont jaunes et non
pourpres.]

(Il rentre dans le coffre; la sc�ne se ferme.)


SC�NE III

Une antichambre dans l'appartement d'Imog�ne.

_Entre_ CLOTEN ET _les_ DEUX SEIGNEURS.


PREMIER SEIGNEUR.--Votre Altesse est l'homme le plus patient dans la
perte, le joueur le plus froid qui ait jamais retourn� un as.

CLOTEN.--Il n'y a pas d'homme que la perte ne rende froid.

PREMIER SEIGNEUR.--Mais tout le monde ne montre pas une patience aussi
noble que Votre Altesse: vous �tes tr�s-ardent, tr�s-emport� lorsque
vous gagnez.

CLOTEN.--Le gain donne du courage � tout le monde. Ah! si je pouvais
gagner cette ent�t�e d'Imog�ne, je serais assez riche. Le matin
approche, n'est-ce pas?

PREMIER SEIGNEUR.--Il est jour, seigneur.

CLOTEN.--Je voudrais bien voir arriver ces musiciens. On me conseille de
lui donner de la musique le matin; on m'a dit que cela p�n�trerait.
(_Les musiciens entrent._) Venez, accordez vos instruments; si vous
pouvez la p�n�trer avec ce jeu de vos doigts, tant mieux; nous
essayerons aussi notre langue; si rien ne r�ussit, qu'elle reste ce
qu'elle est; mais jamais je ne la c�derai.--Imaginez d'abord quelque
chose de piquant et d'exquis, ex�cutez ensuite un air d'une merveilleuse
douceur, accompagn� d'admirables et �loquentes paroles; et puis
laissons-la � ses r�flexions.

(Les musiciens chantent et s'accompagnent.)

                             AIR.

    �coute, �coute, l'alouette chante � la porte des cieux.
        Et Ph�bus va se lever
    Pour abreuver ses coursiers � cette source qui repose dans le calice
    des fleurs;
        Les marguerites clignotantes
        Commencent � entr'ouvrir leurs yeux d'or.
        �veille-toi, ma douce ma�tresse,
        Avec toutes ces choses jolies;
        L�ve-toi, l�ve-toi.

CLOTEN, _aux musiciens_.--En voil� assez. Laissez-nous.--Si ceci
p�n�tre, je ferai grand cas de votre musique, sinon alors c'est un vice
de son oreille que ni les crins de cheval[8], ni les boyaux de chat, ni
la voix de l'eunuque ne pourront jamais corriger.

(Les musiciens sortent.)

[Note 8: _Horse hair and cat's guts_, pour dire les crins de
l'archet et les cordes des instruments.]

(La reine et Cymbeline paraissent.)

SECOND SEIGNEUR.--Voici le roi.

CLOTEN.--Je suis bien aise d'�tre rest� debout si tard; cela fait que je
suis lev� de grand matin. En bon p�re, il ne peut qu'approuver l'hommage
que je viens de rendre.--Salut � Votre Majest� et � ma noble m�re.

CYMBELINE.--Vous assi�gez donc la porte de cette fille s�v�re? Ne
para�tra-t-elle point?

CLOTEN.--J'ai attaqu� son coeur par la musique; mais elle ne daigne pas
y faire attention.

CYMBELINE.--L'exil de son amant est trop r�cent; elle ne l'a pas encore
oubli�; mais le temps effacera les traces de son souvenir, et alors elle
est � vous.

LA REINE.--Vous devez bien des remerciements au roi: il ne laisse
�chapper aucune occasion de vous faire valoir aupr�s de sa fille. Sachez
vous-m�me mettre de la suite dans vos d�marches aupr�s d'elle: apprenez
� saisir l'occasion favorable; que ses refus augmentent vos
empressements; que les devoirs que vous lui rendez paraissent une
inspiration naturelle; ob�issez-lui en toutes choses except� lorsqu'elle
vous ordonne de vous �loigner d'elle: sur ce seul article soyez
insensible.

CLOTEN.--Insensible? Pas du tout.

(Un messager entre.)

LE MESSAGER.--Avec votre bon plaisir, seigneur, des ambassadeurs sont
arriv�s de Rome; l'un d'eux est Ca�us-Lucius.

CYMBELINE.--C'est un digne Romain, quoiqu'il vienne cette fois dans des
intentions hostiles, mais ce n'est pas sa faute. Je veux le recevoir
avec les marques de distinction que je dois � celui qui l'envoie, et,
quant � lui, nous devons nous souvenir de ses bont�s pass�es envers
nous. Mon fils, lorsque vous aurez dit bonjour � votre princesse, venez
nous rejoindre; nous aurons besoin de vous employer aupr�s de ce
Romain.--Venez, madame.

(Cymbeline sort avec la reine, les seigneurs et le messager.)

CLOTEN.--Si elle est lev�e, je veux lui parler, si elle ne l'est pas,
qu'elle dorme et r�ve � son aise. (_Il frappe._) Hol�! peut-on...? Je
sais qu'elle est entour�e de ses femmes.--Mais, si je leur dorais la
main. C'est l'or qui ach�te l'entr�e des portes. Oh! oui; fort souvent
il corrompt jusqu'aux gardes de Diane, et leur fait livrer leurs biches
dans les mains du braconnier; c'est l'or qui fait p�rir l'honn�te homme
et sauve le fripon; quelquefois aussi il fait pendre le fripon et
l'honn�te homme: que ne peut-il pas faire ou d�faire? Je veux me faire
un avocat d'une des femmes d'Imog�ne; car je n'entends pas encore
moi-m�me l'affaire.--Avec votre permission.

(Il frappe encore.)

UNE SUIVANTE.--Qui est l�?--Qui frappe?

CLOTEN.--Un gentilhomme.

LA SUIVANTE.--N'est-ce que cela?

CLOTEN.--Et le fils d'une noble dame.

LA SUIVANTE, _ouvrant la porte_.--Bien des gens, dont les tailleurs
co�tent aussi cher que le v�tre, ne pourraient pas se vanter de la m�me
chose.--Que d�sire Votre Altesse?

CLOTEN.--La personne de votre ma�tresse;--est-elle pr�te?

LA SUIVANTE.--Oui, � garder sa chambre.

CLOTEN.--Cette bourse est � vous: vendez-moi une bonne r�putation.

LA SUIVANTE.--Comment, ma bonne r�putation? ou s'agit-il de dire ce que
je croirai �tre du bien de vous?--La princesse....

(Entre Imog�ne.)

CLOTEN.--Bonjour, la plus belle des soeurs, laissez-moi prendre votre
douce main.

IMOG�NE.--Bonjour, seigneur, vous prenez beaucoup trop de peine pour ne
recueillir que des refus; les remerciements que vous aurez de moi, c'est
de m'entendre dire que je suis tr�s-avare de remerciements et que je
n'en ai pas de reste pour vous.

CLOTEN.--Cependant je vous aime, je vous le jure.

IMOG�NE.--Si vous me le disiez sans me le jurer, cela aurait fait le
m�me effet sur moi; mais si vous vous obstinez � jurer toujours, votre
r�compense sera toujours de voir que je n'y fais pas la moindre
attention.

CLOTEN.--Ce n'est pas l� une r�ponse.

IMOG�NE.--Je ne vous parlerais pas, si je ne craignais que mon silence
ne vous autoris�t � dire que je c�de. Laissez-moi en paix, je vous
prie.--A ne vous rien cacher, je r�pondrai sans plus de courtoisie �
toutes vos plus tendres pr�venances. Un homme de votre p�n�tration
devrait apprendre la discr�tion quand on la lui enseigne.

CLOTEN.--Quoi! vous laisser dans votre folie? ce serait un p�ch�; je
n'en ferai rien.

IMOG�NE.--Les sots ne sont pas des fous.

CLOTEN.--Me traitez-vous de sot, moi?

IMOG�NE.--Comme je suis folle, je le fais. Mais soyez patient et je ne
serai plus folle; alors nous serons gu�ris tous les deux.--Je suis
f�ch�e, seigneur, que vous me forciez d'oublier les mani�res d'une femme
bien �lev�e, en vous prodiguant tant de paroles. Une fois pour toutes,
apprenez donc de moi, qui connais bien mon coeur, que je vous d�clare,
au nom de la v�rit�, que je ne me soucie pas de vous, et suis si pr�s de
manquer de charit� que je vous hais (ce dont je m'accuse); j'aurais
mieux aim� que vous l'eussiez senti que de me le faire dire.

CLOTEN.--Vous manquez � l'ob�issance que vous devez � votre p�re; car
l'engagement dont vous pr�tendez �tre li�e avec ce mis�rable �lev� par
charit�, nourri de plats froids et des restes de la cour, n'est pas un
engagement; non, ce n'en est pas un. Il peut �tre permis aux gens de
basse extraction (et en est-il de plus basse que la sienne?) d'encha�ner
leurs �mes dans les noeuds qu'ils ont tiss�s eux-m�mes; il n'y a pour
toute cons�quence que des marmots et la mis�re. Mais vous �tes priv�e de
cette libert� par l'importance de la couronne, et vous n'avez pas le
droit d'en souiller le pr�cieux �clat avec un vil esclave digne de
porter la livr�e et les vieux habits d'un ma�tre;--avec un valet, et
moins encore.

IMOG�NE.--Profane! fusses-tu le fils de Jupiter, si tu n'�tais que ce
que tu es d'ailleurs, tu serais trop vil pour �tre le valet de
Posthumus; tu serais assez honor�, et l'envie te trouverait trop
heureux, si, pour r�compenser tes vertus, on te nommait le valet du
bourreau dans son royaume; tu serais ha� pour �tre si bien trait�.

CLOTEN.--Que la peste l'�touffe[9]!

[Note 9: _The south-fogrot him!_]

IMOG�NE.--Il ne peut jamais �prouver de malheur plus affreux que celui
d'�tre seulement nomm� par toi.--Le plus grossier v�tement qui ait
seulement couvert son corps est plus pr�cieux pour moi que tous les
cheveux de ta t�te, fussent-ils chang�s en autant d'hommes te
ressemblant.--(_Appelant_.) Pisanio!

CLOTEN.--Son v�tement! Eh bien! que le diable!...

(Pisanio para�t.)

IMOG�NE.--Pisanio, allez promptement trouver ma suivante Doroth�e.

CLOTEN.--Son v�tement!

IMOG�NE.--Je suis obs�d�e par un insens�; sa pr�sence m'effraye et
m'irrite encore plus.--Allez, je vous prie, et ordonnez � ma suivante de
chercher un bracelet qui, par malheur, a gliss� de mon bras. Il vient de
votre ma�tre; et que je sois maudite si je voudrais le perdre pour
toutes les richesses d'aucun roi de l'Europe. Je crois l'avoir vu ce
matin; je suis certaine qu'il �tait � mon bras la nuit derni�re: je l'ai
bais�. J'esp�re qu'il n'est pas all� conter � mon seigneur que je donne
des baisers � un autre objet que lui.

PISANIO.--Il ne peut pas �tre perdu.

IMOG�NE.--Je l'esp�re; allez, et cherchez-le.

CLOTEN.--Vous m'avez outrag�...--Le plus grossier v�tement!

IMOG�NE.--Oui, je l'ai dit, seigneur; si vous voulez m'en faire un
crime, appelez des t�moins.

CLOTEN.--J'en informerai votre p�re.

IMOG�NE.--Votre m�re aussi, elle est pleine de bont� pour moi, et
j'esp�re qu'elle l'interpr�tera au pire. Je vous laisse, seigneur, �
tout votre m�contentement.

(Elle sort.)

CLOTEN.--Je me vengerai.--Son plus grossier v�tement!--Fort bien.

(Il sort.)


SC�NE IV

Rome.--Appartement de la maison de Philario.

_Entrent_ POSTHUMUS et PHILARIO.


POSTHUMUS.--N'ayez aucune crainte, seigneur; je voudrais �tre s�r de
fl�chir le roi comme je suis certain que l'honneur d'Imog�ne restera
inviolable.

PHILARIO.--Quels moyens employez-vous pour fl�chir le roi?

POSTHUMUS.--Aucun; que de me soumettre aux r�volutions des temps; de
trembler pendant cet hiver, en souhaitant de voir rena�tre des jours
plus chauds. Cette esp�rance que trouble la crainte est la st�rile
reconnaissance dont je paye votre amiti�; si elle m'abandonne, il faudra
que je meure votre d�biteur.

PHILARIO.--Vos vertus et votre soci�t� acquittent avec usure tout ce que
je puis faire pour vous.--Maintenant votre roi a re�u des nouvelles du
grand Auguste; Ca�us-Lucius remplira sa commission de point en point, et
je pense que Cymbeline payera enfin le tribut avec les arr�rages, avant
de revoir nos Romains, dont le souvenir est encore tout frais dans la
douleur de ses peuples.

POSTHUMUS.--Quoique je ne sois pas homme d'�tat, et qu'il n'est pas
probable que je le devienne jamais, je pense que ceci finira par une
guerre. Vous entendrez dire que les l�gions qui sont aujourd'hui dans
les Gaules sont descendues dans notre courageuse Bretagne avant
d'apprendre la nouvelle qu'elle ait pay� un denier du m�me tribut. Nos
peuples sont mieux disciplin�s qu'au temps o� C�sar souriait de leur
inexp�rience, tout en trouvant que leur valeur m�ritait qu'il fron��t
les sourcils. Aujourd'hui la discipline est alli�e au courage; ceux qui
en feront l'�preuve conna�tront que les Bretons sont un peuple qui se
perfectionne dans ce monde.

(Entre Iachimo.)

PHILARIO.--Eh! voil� Iachimo.

POSTHUMUS.--Les cerfs les plus agiles vous ont port� sur terre, et les
vents de tous les coins des cieux ont caress� vos voiles pour presser la
course de votre vaisseau.

PHILARIO.--Soyez le bienvenu, seigneur.

POSTHUMUS.--J'esp�re que la bri�vet� de la r�ponse qu'on vous a faite
est la cause de la c�l�rit� de votre retour.

IACHIMO.--Votre �pouse est une des plus belles femmes que j'aie jamais
vues.

POSTHUMUS.--Et en m�me temps la plus vertueuse, ou que sa beaut� aille
briller � une fen�tre pour attirer les coeurs perfides et les tromper
elle-m�me.

IACHIMO.--Voici des lettres pour vous.

POSTHUMUS.--Leur contenu est bon, j'esp�re?

IACHIMO.--Cela est vraisemblable.

POSTHUMUS.--Lucius est-il arriv� � la cour de Bretagne pendant que vous
y �tiez.

IACHIMO.--On l'attendait, mais il n'�tait pas encore arriv�.

POSTHUMUS, _apr�s avoir lu la lettre_.--Jusqu'ici tout est bien.--Le
diamant brille-t-il comme de coutume? Ne le trouvez-vous point trop
terne, pour le porter dans vos jours de parure?

IACHIMO.--Si j'ai perdu le pari, je dois en payer la valeur en or.--Je
ferais de grand coeur un voyage deux fois plus loin, pour passer encore
une nuit aussi d�licieusement courte que celle dont j'ai joui en
Bretagne; car le diamant est gagn�.

POSTHUMUS.--La pierre est trop dure pour c�der.

IACHIMO.--Pas du tout, puisque votre �pouse est si facile.

POSTHUMUS.--Ne faites point, seigneur, un badinage de votre perte. Vous
vous souvenez, j'esp�re, que nous ne devons plus rester amis.

IACHIMO.--Nous le devons, brave seigneur, si vous tenez nos conventions.
Si je ne vous rapportais pas une connaissance approfondie de votre
�pouse, j'avoue que notre contestation devait aller plus loin; mais je
m'annonce ici comme un homme qui a gagn� � la fois son honneur et votre
bague; et je n'ai fait d'outrage ni � elle ni � vous, n'ayant agi que
d'apr�s votre volont� � tous deux.

POSTHUMUS.--Si vous pouvez me prouver que vous �tes entr� dans sa
couche, ma main et ma bague sont � vous, sinon, apr�s l'indigne opinion
que vous avez con�ue de sa pure vertu, il vous faudra conqu�rir mon �p�e
ou moi la v�tre; ou bien que toutes deux restent sans ma�tre, pour le
premier qui les trouvera.

IACHIMO.--Mes preuves �tant aussi pr�s de l'�vidence que je vais vous le
faire voir, seigneur, elles doivent d'abord vous persuader; je suis pr�t
� les confirmer par serment; mais je ne doute pas que vous ne m'en
dispensiez quand vous trouverez vous-m�me que vous n'en avez pas besoin.

POSTHUMUS.--Poursuivez.

IACHIMO.--D'abord, sa chambre � coucher, o� j'avoue que je n'ai point
dormi en me voyant ma�tre de ce qui m�ritait bien qu'on veill�t; elle
est tendue d'une tapisserie soie et argent; c'est l'histoire de la
superbe Cl�op�tre lorsqu'elle alla trouver son Romain; on voit le Cydnus
au-dessus de ses rives enfl� d'orgueil ou du poids de mille vaisseaux.
Cet ouvrage est � la fois si bien fini et si riche, que le travail et le
prix de la mati�re s'y disputent l'avantage: je me suis demand� comment
il pouvait �tre fait avec une v�rit� si rare et si parfaite; les
personnages semblent vivants.

POSTHUMUS.--Cela est vrai, et vous pouvez l'avoir entendu dire ici par
moi ou par quelque autre.

IACHIMO.--D'autres d�tails vous prouveront ce que je sais.

POSTHUMUS.--Il le faut bien, ou vous �tes d�shonor�!

IACHIMO.--La chemin�e est au midi de la chambre, le manteau de la
chemin�e repr�sente la chaste Diane au bain: jamais je ne vis statue si
pr�te � parler, le sculpteur fut une autre nature; dans sa cr�ation
muette, il l'a surpass�e, au mouvement et � la respiration pr�s.

POSTHUMUS.--C'est une chose que vous pouvez encore avoir apprise par
quelque r�cit, car ce morceau est renomm�.

IACHIMO.--Le plafond de l'appartement est d�cor� de ch�rubins d'or; les
chenets, que j'oubliais, sont deux amours d'argent, au regard malin, se
tenant sur un pied, et d�licatement appuy�s sur leurs brandons.

POSTHUMUS.--S'agit-il ici de son honneur? Je veux que vous ayez vu tous
ces objets, et j'admire votre m�moire; mais la description de ce que
contient sa chambre ne vous fait pas gagner la gageure.

IACHIMO, _tirant le bracelet_.--Eh bien! p�lissez si vous en �tes
capable; je ne veux que vous montrer ce bijou: voyez, et maintenant tout
est fini. Il faut qu'il se marie � votre diamant que voil�, et je les
garderai l'un et l'autre.

POSTHUMUS.--O Jupiter! laissez-moi le regarder encore une fois. Est-ce
bien celui que je lui laissai en partant?

IACHIMO.--Le m�me, seigneur, et j'en remercie votre �pouse. Elle l'�ta
de son bras; je la vois encore; la gr�ce de l'action ench�rit sur son
pr�sent et me le rendit plus pr�cieux; en me le donnant, elle me dit
qu'elle y tenait nagu�re.

POSTHUMUS.--Peut-�tre elle l'aura d�tach� pour me l'envoyer.

IACHIMO.--Vous le mande-t-elle? En parle-t-elle dans sa lettre?

POSTHUMUS.--Oh! non, non: c'est vrai. Prenez aussi cette bague (_il lui
donne la bague_); sa vue me donne la mort. C'est un basilic pour mes
yeux! que l'honneur ne se trouve jamais o� est la beaut�, la v�rit� o�
est la vraisemblance, l'amour o� se trouve un autre homme! Que les
serments des femmes ne les lient pas plus � ceux qui les ont re�us,
qu'elles ne tiennent elles-m�mes � leur vertu, qui n'est que n�ant; �
perfidie au del� de toute mesure!

PHILARIO.--Calmez-vous, seigneur, et reprenez votre diamant, il n'est
pas encore gagn�. Il est probable qu'elle a perdu ce bracelet; ou qui
sait, s'il ne lui a pas �t� d�rob� par quelqu'une de ses suivantes que
l'on aura corrompue.

POSTHUMUS.--Vous avez raison, oui, je crois qu'il se l'est procur�
ainsi: (_� Iachimo_) allons, rendez-moi ma bague.--Donnez-moi une preuve
plus convaincante, quelque signe que vous ayez vu sur sa personne, car
ceci a �t� vol�.

IACHIMO.--Par Jupiter, il a pass� de son bras dans mes mains.

POSTHUMUS.--L'entendez-vous? il jure, il jure par Jupiter: c'est
vrai.--Allons, gardez le diamant. C'est vrai, je suis s�r qu'elle n'a pu
le perdre; ses suivantes ont toutes pr�t� serment et sont des femmes
d'honneur;--elles l'auraient vol�, elles! elles se seraient laiss�
corrompre, et cela par un �tranger! Non, elle s'est livr�e � lui.
(_Montrant le bracelet_.) Voil� la preuve de son d�shonneur, c'est � ce
prix qu'elle a achet� le nom de prostitu�e. (_A Iachimo_.) Tenez, prenez
votre salaire, et que tous les d�mons de l'enfer se partagent entre elle
et vous!

PHILARIO.--Seigneur, mod�rez-vous; ce n'est point encore l� une preuve
assez forte pour convaincre un homme bien persuad� de...

POSTHUMUS.--Ne m'en parlez jamais, elle s'est donn�e � lui.

IACHIMO.--Si vous voulez un t�moignage plus satisfaisant: au-dessous de
son sein, qui m�rite bien qu'on le presse amoureusement, est un signe
tout fier de cette charmante demeure. Sur ma vie, je l'ai bais�; et
quoique rassasi� de jouir, je sentis soudain rena�tre mon ardeur. Vous
rappelez-vous cette tache qu'elle a sur le sein?

POSTHUMUS.--Oui, et elle sert maintenant � me convaincre d'une autre
tache, la plus vaste que puisse contenir l'enfer,--quand elle y serait
toute seule...

IACHIMO.--Voulez-vous en entendre davantage?

POSTHUMUS.--�pargnez-moi votre arithm�tique; ne comptez point vos
triomphes; un seul ou un million, qu'importe.

IACHIMO.--Je vais le jurer.

POSTHUMUS.--Point de serments: si vous le jurez, vous n'avez pas fait ce
que vous dites, vous mentez; et je vous tue si vous osez nier que vous
m'ayez d�shonor�.

IACHIMO.--Je ne nierai rien.

POSTHUMUS.--Oh! que ne l'ai-je ici pour la mettre en pi�ces! J'irai, et
je le ferai en pr�sence de la cour et sous les yeux de son p�re.--Je
ferai quelque chose...

(Il sort.)

PHILARIO.--Il est emport� au del� des bornes de la raison. Vous avez
gagn�. Suivons-le, pour d�tourner la fureur dont il est transport� en ce
moment contre lui-m�me.

IACHIMO.--De tout mon coeur.

(Ils sortent.)


SC�NE V

Rome.--Un autre appartement dans la m�me maison.

POSTHUMUS _seul_.


POSTHUMUS.--L'homme ne pourrait-il trouver un moyen d'�tre sans que la
femme f�t de moiti� dans l'oeuvre; nous sommes tous b�tards; et ce
respectable mortel, que je nommais mon p�re, �tait je ne sais o� lorsque
je fus form�? Un faussaire me fabriqua et fit de moi une pi�ce fausse.
Cependant ma m�re semblait la Diane de son temps, comme ma femme est la
merveille du sien.--Oh! vengeance, vengeance! Souvent elle mettait un
frein � mes l�gitimes ardeurs; elle implorait ma r�serve avec une
rougeur si pudique, que sa vue seule e�t r�chauff� le vieux Saturne. Je
la croyais chaste comme la neige qui n'a point encore senti l'atteinte
du soleil. Oh! de par tous les diables! ce jaune Iachimo, en une heure!
N'est-ce pas? Peut-�tre en moins de temps, d�s l'abord? Peut-�tre
n'a-t-il pas eu la peine de parler; et tel qu'un sanglier allemand
parvenu au terme de sa croissance, il n'a fait que crier: Ho! et s'est
satisfait. Il n'aura trouv� aucune r�sistance; pas m�me celle qu'il
attendait pour jouir de ce qu'elle devait garder de toute atteinte. Si
je pouvais d�couvrir en moi ce qui appartient � la femme! car l'homme
n'a point en lui de penchant pour le vice qu'il ne vienne de la femme.
Est-ce le mensonge? faites-y bien attention, il vient de la femme;
quelque flatterie? elle est d'elle; quelque perfidie? c'est encore
d'elle; volupt�, mauvaises pens�es, d'elle, d'elle; vengeance, d'elle;
ambition, cupidit�, orgueil, d�dain, caprices, m�disance, inconstance,
enfin tous les vices qui ont un nom et que l'enfer conna�t, viennent de
la femme en tout ou en partie; mais plut�t en tout. Elles ne sont pas
m�me constantes dans un vice; elles en changent sans cesse, quittant
toujours un vice, ne f�t-il vieux que d'une minute, pour un vice la
moiti� plus nouveau. Je veux �crire contre elles; je les d�teste, je les
maudis. Oh! il est plus adroit � une v�ritable haine de prier le ciel
d'accomplir leur volont�; les diables eux-m�mes ne peuvent les mieux
tourmenter.

(Il sort.)

FIN DU SECOND ACTE.




                            ACTE TROISI�ME


SC�NE I

Grande-Bretagne.--Une salle d'apparat dans le palais de Cymbeline.

_Entrent_ CYMBELINE, LA REINE, CLOTEN et _les seigneurs de la cour_.
CAIUS-LUCIUS _et sa suite entrent du c�t� oppos�_.


CYMBELINE, _� Lucius_.--Parle maintenant: que demande C�sar Auguste?

LUCIUS.--Lorsque Jules C�sar, dont la m�moire vit encore aux yeux des
hommes, et qui servira �ternellement de th�me aux langues pour raconter,
et aux oreilles pour entendre, �tait dans cette Bretagne, et qu'il la
conquit, Cassibelan[10], ton oncle, aussi c�l�bre par les �loges qu'il
re�ut de C�sar que par les exploits qui les m�rit�rent, se soumit, lui
et ses successeurs, � payer � Rome un tribut annuel de trois mille
pi�ces d'or: ce tribut, tu as derni�rement n�glig� de le payer.

[Note 10: Cassibelan, grand-oncle de Cymbeline, qui �tait lui-m�me
fils de Tenantius, neveu de ce Cassibelan.]

LA REINE.--Et pour an�antir ce prodige, il en sera toujours de m�me.

CLOTEN.--Il passera bien des C�sars avant qu'il revienne un autre Jules.
La Bretagne forme � elle seule un monde, et nous ne voulons rien payer
pour le droit de porter nos nez au milieu du visage.

LA REINE.--L'occasion que les Romains eurent alors pour nous ravir notre
bien, nous l'avons aujourd'hui pour le reprendre. Souvenez-vous,
seigneur, des rois vos anc�tres, et de la valeur naturelle aux peuples
de notre �le, qui flotte comme la face de Neptune, flanqu�e de rocs
inaccessibles, ceinte d'�cueils et de mers mena�antes, qui ne porteront
jamais les vaisseaux de vos ennemis, mais les engloutiront jusqu'� la
cime des m�ts. C�sar fit bien ici une esp�ce de conqu�te: mais ce n'est
pas ici qu'il ex�cuta sa bravade: _Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu_.
Il connut pour la premi�re fois la honte; il se vit repouss� de nos
c�tes et deux fois battu; ses vaisseaux, pauvres novices, jouets de nos
terribles mers, ballott�s sur leurs flots comme des coquilles d'oeuf, se
brisaient de m�me contre nos rochers. Dans sa joie, le c�l�bre
Cassibelan qui se vit un moment sur le point, � trompeuse fortune! de
s'emparer de l'�p�e de C�sar, fit briller la ville de Lud[11] de feux
d'all�gresse, et enfla de courage le coeur des Bretons.

[Note 11: Londres.]

CLOTEN.--Allons, il n'y a plus ici de tribut � payer. Notre royaume est
plus puissant qu'il ne l'�tait alors; et, comme je l'ai dit, il n'y a
plus de pareils C�sars; d'autres pourront avoir le nez crochu, mais le
bras aussi droit, personne.

CYMBELINE.--Mon fils, laissez conclure votre m�re.

CLOTEN.--Nous avons chez nous bien des gens qui peuvent serrer aussi
fort que Cassibelan: je ne dis pas que je sois de ce nombre, moi: mais
j'ai aussi un bras.--Vraiment, un tribut? Et pourquoi payerions-nous un
tribut? Si C�sar peut nous cacher le soleil avec une couverture, ou
mettre la lune dans sa poche, alors nous lui payerons un tribut pour
revoir la lumi�re: autrement, seigneur, ne parlons plus de tribut, je
vous en prie.

CYMBELINE.--Vous devez savoir qu'avant que les injustes Romains eussent
extorqu� de nous ce tribut, nous �tions libres. L'ambition de C�sar, qui
s'enflait sans cesse, au point d'embrasser presque les deux flancs de
l'univers, nous imposa ce joug sans aucun droit: le secouer est le
devoir d'un peuple belliqueux; ce que nous nous vantons d'�tre. Nous
disons donc que nous e�mes pour anc�tres ce Mulmutius qui fonda nos
lois: l'�p�e de C�sar les a trop mutil�es. Rendre � ces lois leur
vigueur et leur libre cours sera la bonne oeuvre de l'autorit� que nous
tenons en main, quoique Rome s'en irrite. Oui: Mulmutius fut le premier
des Bretons qui ceignit son front d'une couronne d'or, le premier qui se
nomma roi.

LUCIUS.--Je suis f�ch�, Cymbeline, d'avoir � te d�clarer pour ennemi
C�sar Auguste, qui compte plus de rois � ses ordres que tu n'as
d'officiers � ta cour. Au nom de C�sar, je t'annonce la guerre et la
ruine: pr�vois un orage auquel rien ne pourra r�sister. Apr�s ce d�fi,
je te remercie en mon propre nom.

CYMBELINE.--Tu es le bienvenu, Ca�us, ton C�sar m'a fait chevalier; j'ai
pass� pr�s de lui une grande partie de ma jeunesse; j'ai recueilli pr�s
de lui cet honneur qu'il cherche aujourd'hui � me ravir; je suis
contraint de le d�fendre � toute extr�mit�.--Je suis bien inform� que
les Pannoniens et les Dalmatiens, pour maintenir leurs franchises, sont
maintenant en armes. Si, dans cet exemple, les Bretons ne lisaient pas
leur devoir, ils se montreraient insensibles; c'est ce que C�sar ne les
trouvera pas.

LUCIUS.--Laissez parler les preuves.

CLOTEN.--Sa Majest� vous souhaite la bienvenue: passez gaiement avec
nous un jour ou deux, ou plus encore. Apr�s, si vous revenez nous
chercher dans d'autres intentions, vous nous trouverez dans notre
ceinture d'eau sal�e. Si vous nous en chassez, elle est � vous; si vous
�chouez dans l'entreprise, nos corbeaux en feront meilleure ch�re � vos
d�pens, et tout finit l�.

LUCIUS.--Comme vous dites, seigneur.

CYMBELINE.--Je connais les volont�s de votre ma�tre; lui, les miennes.
Il ne me reste plus qu'� vous dire: soyez le bienvenu.

(Ils sortent.)


SC�NE II

Un autre appartement dans le m�me palais.

PISANIO _entre, des lettres � la main_.


PISANIO.--Quoi! d'adult�re? Pourquoi ne me nommes-tu pas le monstre qui
l'accuse? O Posthumus! � mon ma�tre! quel venin �tranger s'est gliss�
dans ton oreille! Quel Italien perfide, le poison � la langue comme � la
main[12], a triomph� de ta cr�dulit� trop prompte!--Infid�le? Non, elle
est victime de sa fid�lit�; et elle soutient plut�t comme une d�esse que
comme une �pouse des assauts qui triompheraient de mainte vertu. O mon
ma�tre! ton �me devant la sienne est maintenant tomb�e aussi bas que
l'�tait ta fortune. Qui? moi, que je la poignarde! _Au nom de
l'affection, de la foi que je t'ai jur�e, de mon d�vouement � tes
ordres_: Moi! elle! son sang! Si c'est l� te rendre un service, que
jamais on ne me tienne pour un homme � services. Quel air ai-je donc
pour para�tre d�pouill� d'humanit� au degr� que supposerait cette
action? (_Lisant_.) _Ob�is: la lettre que je t'envoie pour elle te
fournira l'occasion de le faire par ses ordres_. Papier infernal, aussi
noir que l'encre qui te couvre, mati�re insensible, es-tu complice de
cet acte, en conservant � l'ext�rieur ta blancheur virginale?--La voici.
(_Entre Imog�ne_.) Je ne sais plus ce qui m'est command�.

[Note 12: D�j� les empoisonnements �taient fr�quents en Italie.]

IMOG�NE.--Eh bien! Pisanio, quelles nouvelles?

PISANIO.--Madame, voici une lettre de mon ma�tre.

IMOG�NE.--Qui? ton ma�tre? C'est le mien, L�onatus. Oh! il serait bien
savant, l'astronome qui conna�trait les �toiles comme je connais ses
caract�res! le livre de l'avenir lui serait ouvert.--Dieux propices,
faites que tout ce qui est contenu ici ne respire que l'amour, ne parle
que de la sant� de mon �poux, de son contentement,--non pas pourtant de
ce que nous sommes s�par�s l'un de l'autre; que plut�t cela l'afflige.
Il est des chagrins salutaires; celui-l� est du nombre; c'est un rem�de
qui fortifie l'amour... Mais, � part cela, qu'il soit content. Bonne
cire, permets... soyez b�nies, vous abeilles, qui formez ces sceaux des
secrets. (Les amants et les hommes li�s par des pactes dangereux ne font
pas les m�mes voeux.) Tu jettes les faussaires dans les prisons; mais tu
scelles aussi les tablettes de l'amour!... De bonnes nouvelles, grands
dieux! (_Elle lit_.)

�La justice et le courroux de votre p�re, s'il venait � me surprendre
dans ses �tats, ne seront jamais si mortels pour moi que vous ne
puissiez, � la plus ch�rie des cr�atures, me ranimer d'un regard de vos
yeux. Apprenez que je suis en Cambrie, au havre de Milford; suivez, sur
cet avis, la marche que vous inspirera votre amour. Votre bonheur en
tout est le voeu de celui qui reste fid�le � ses serments, et dont
l'amour va croissant tous les jours.

    �L�ONATUS POSTHUMUS.�

Oh! un cheval avec des ailes! L'entends-tu, Pisanio? Il est au havre de
Milford. Lis et dis-moi � quelle distance c'est d'ici. Si un homme qui
n'est appel� que par de minces affaires peut � l'aise y arriver en une
semaine, ne pourrais-je, moi, y voler en un jour! Allons, fid�le
Pisanio, toi qui languis ainsi que moi du d�sir de voir ton ma�tre: oh!
laisse-m'en rabattre! tu languis, mais non comme moi; tu languis aussi
de le voir, mais plus faiblement... Oh! non, pas comme moi; car mon
d�sir est au dessus, au-dessus... r�ponds et presse tes paroles: un
confident d'amour doit les pr�cipiter, les entasser dans
l'oreille.--Combien y a-t-il d'ici � ce bienheureux Milford? et sur la
route tu me raconteras par quel bonheur le pays de Galles poss�de ce
port.--Mais avant tout, comment nous d�rober de ces lieux? Et puis
l'espace de temps qui va s'�couler entre le d�part et notre retour,
comment l'excuser?... Mais d'abord comment sortir d'ici? pourquoi
fait-on na�tre ou engendre-t-on des excuses? nous en parlerons plus
tard. De gr�ce, r�ponds: combien de vingtaines de milles pourrons-nous
parcourir dans une heure?

PISANIO.--Une vingtaine, madame, entre deux soleils, c'est assez pour
vous; (_� part_) et trop aussi!

IMOG�NE.--Mais, ami, un malheureux qui irait � son supplice ne s'y
tra�nerait pas si lentement. J'ai ou� parler de ces paris de courses o�
les chevaux �taient plus l�gers que le grain de sable qui glisse dans
nos horloges; mais ce sont de vains propos.--Va, dis � ma suivante
qu'elle feigne une indisposition, qu'elle dise vouloir se rendre aupr�s
de son p�re; et pr�pare-moi � l'instant un habit de cheval aussi simple
que celui que porterait la m�nag�re d'un franklin[13].

[Note 13: Homme libre, propri�taire; ni vilain, ni vassal.]

PISANIO.--Madame, vous devriez consid�rer....

IMOG�NE.--Je vois la route qui est devant moi, Pisanio; et rien ici, ni
l�, ni rien de ce qui peut arriver. Tout le reste est envelopp� d'un
brouillard que je ne puis p�n�trer. H�tons-nous, je te prie; fais ce que
je t'ordonne; nous n'avons plus rien � dire. Il ne s'agit plus que de la
route qui m�ne � Milford.

(Ils sortent.)


SC�NE III

Le pays de Galles.--Contr�e montagneuse, avec une caverne.

B�LARIUS _sort de la caverne avec_ GUID�RIUS et ARVIRAGUS.


B�LARIUS.--Un trop beau jour pour qu'on le passe � la maison sous un
toit aussi bas que le n�tre. Courbez-vous, jeunes gens! cette porte vous
apprend � adorer le ciel et vous fait incliner pour la sainte pri�re du
matin. Les portes des monarques ont des vo�tes si �lev�es, que des
g�ants impies peuvent y passer avec leurs turbans, sans saluer le
soleil. Salut, beau ciel! Nous habitons le rocher, mais nous ne sommes
pas aussi ingrats envers toi que des gens d'une vie plus recherch�e.

GUID�RIUS.--Je te salue, ciel!

ARVIRAGUS.--Ciel, je te salue.

B�LARIUS.--Maintenant, � nos exercices de montagnes; montez cette
colline. Vos jambes sont jeunes; moi, je foulerai ces plaines, et
lorsque de cette hauteur vous m'apercevrez petit comme un corbeau,
remarquez bien que c'est la place qui rapetisse ou qui agrandit. Vous
pourrez alors repasser dans votre m�moire tout ce que je vous ai racont�
des cours, des princes et des intrigues qui se trament � la guerre;
c'est l� que le service, quoique rendu, n'est pas service; il ne l'est
que lorsqu'il est reconnu tel. C'est en observant ainsi, que nous
retirons du profit de toutes les choses que nous voyons. Et souvent, �
notre consolation, nous trouverons que l'escarbot, avec ses ailes dans
un �tui[14], vit dans un poste plus s�r que l'aigle aux vastes ailes.
Oh! la vie que nous menons ici est plus noble que celle qui se passe �
attendre des refus; elle est plus riche que celle qu'on passe � ne rien
faire pour un petit enfant[15], plus fi�re que celle de l'homme qui se
carre dans un habit de soie qu'il n'a pas pay�. Il re�oit le salut de
celui qui lui fournit sa parure, et dont le livre n'est pas barr�. Ce
n'est pas une vie comparable � la n�tre.

[Note 14: Col�opt�re, dont les ailes sont en effet renferm�es dans
une esp�ce d'�tui.]

[Note 15: Les grands seigneurs demandaient la tutelle des grands
h�ritiers, dont ils n�gligeaient l'�ducation et d�pensaient les
revenus.]

GUID�RIUS.--Vous parlez d'apr�s votre exp�rience: nous, pauvres oiseaux
sans plumes, nous n'avons encore jamais vol� hors de la vue du nid, nous
ignorons quel air on respire loin de notre asile. Peut-�tre que cette
vie est la plus heureuse, si la vie tranquille est la plus heureuse;
elle vous semble plus douce, � vous qui en avez connu une plus dure;
elle convient mieux � la pesanteur de votre �ge, mais pour nous c'est
une cellule d'ignorance, un voyage dans un lit, la prison d'un d�biteur
qui n'ose pas faire un pas hors des limites.

ARVIRAGUS.--De quoi pourrons-nous parler, lorsque nous serons vieux
comme vous? Lorsque nous entendrons la pluie et les vents battre le
triste D�cembre, comment, dans cette froide caverne, charmerons-nous, en
discourant ensemble, les heures glac�es? Nous n'avons rien vu; nous
vivons � la fa�on des animaux; subtils comme le renard pour saisir notre
proie, courageux comme le loup pour conqu�rir ce que nous mangeons,
notre valeur se borne � poursuivre ce qui fuit, nous faisons un choeur
de notre cage, comme l'oiseau emprisonn�, et nous chantons notre
captivit� avec l'accent de la libert�.

B�LARIUS.--Comme vous parlez! Ah! si vous connaissiez seulement les
usures de la capitale, et que vous en eussiez fait la dure exp�rience;
si vous connaissiez les artifices de la cour, qu'il est aussi difficile
de quitter qu'il l'est de s'y maintenir, o� l'instant qui vous am�ne au
fa�te est celui d'une chute certaine, ou bien la pente est si glissante
que la crainte de choir est aussi funeste que la chute m�me! Si vous
connaissiez les fatigues de la guerre, ce p�nible m�tier qui semble
chercher seulement le danger au nom de la r�putation et de l'honneur,
qui expire dans la recherche et re�oit aussi souvent sur son tombeau une
�pitaphe calomnieuse, qu'un �loge des belles actions; h�las! combien de
fois est-on puni d'avoir fait le bien? Et ce qui est pis encore, on est
forc� de sourire au bl�me. O mes enfants! cette histoire que je vous
raconte, le monde peut la lire sur moi-m�me: mon corps est couvert des
marques des �p�es romaines, et ma r�putation prenait rang jadis parmi
les noms des plus c�l�bres capitaines. Cymbeline m'aimait, et d�s qu'on
parlait d'un guerrier, mon nom ne tardait gu�re � �tre cit�; j'�tais
alors comme un arbre dont les rameaux sont courb�s sous le poids des
fruits; mais dans une nuit, un orage ou un voleur, appelez-le comme vous
voudrez, secoua sur la terre mes rameaux pendants, et me d�pouilla de
mes fruits et m�me de mes feuilles, pour me laisser expos� nu aux
injures de l'air.

GUID�RIUS.--Instabilit� de la faveur!

B�LARIUS.--Et ma faute ne fut, comme je vous l'ai dit souvent, que le
crime de deux sc�l�rats dont les faux serments pr�valurent sur mon
honneur sans tache. Ils jur�rent � Cymbeline que j'�tais ligu� avec les
Romains. De l� mon bannissement; et, depuis vingt ann�es, ce rocher et
ces bois ont �t� mon univers. J'y ai v�cu dans une honn�te libert�; j'y
ai pay� au ciel plus de pieux hommages que dans tout le cours pr�c�dent
de ma vie.--Mais ce ne sont pas l� des discours de chasseurs. Courons
gravir ces montagnes; celui qui frappera le premier la proie sera le roi
de la f�te; il sera servi par les deux autres, et nous ne craindrons
aucun de ces poisons qu'on rencontre dans des lieux de plus grande
apparence. Je vous rejoindrai dans les vallons. (_Guid�rius et Arviragus
disparaissent_.) Combien il est malais� d'�touffer les �tincelles de la
nature! Ces enfants ne se doutent pas qu'ils sont les fils du roi, et
Cymbeline ne songe gu�re qu'ils sont vivants. Ils se croient mes
enfants, et quoique �lev�s si simplement dans l'obscurit� de cette
caverne o� il faut se courber pour entrer, d�j� leurs pens�es atteignent
la hauteur de la vo�te des palais. Dans les actions les plus simples et
les plus vulgaires, la nature leur donne un air princier qui surpasse de
bien loin tout l'art des autres hommes. Ce Polydore, l'h�ritier de
Cymbeline et de la Bretagne, que le roi son p�re nommait Guid�rius, �
Jupiter! lorsqu'assis sur mon escabeau � trois pieds je raconte mes
exploits � la guerre, toute son �me s'�lance vers mon r�cit; lorsque je
dis: �Ainsi tomba mon ennemi; ce fut ainsi que je posai mon pied sur sa
gorge,� alors son sang royal colore ses joues, il est en nage, il roidit
ses muscles et se met en posture pour repr�senter l'action que je
raconte. Et son jeune fr�re Cadwal, autrefois Arviragus, dans une
attitude semblable, anime, �chauffe mon r�cit, et montre que son
imagination va bien plus loin.--�coutons: ils ont fait lever le gibier.
O Cymbeline! le ciel et ma conscience savent que tu m'as injustement
banni; en revanche, je t'ai vol� ces deux enfants � l'�ge de trois et de
deux ans, voulant te priver de tes h�ritiers comme tu m'avais d�pouill�
de mon h�ritage. Euriphile, tu fus leur nourrice! ils la prenaient pour
leur m�re, et chaque jour ils vont honorer son tombeau: et moi,
B�larius, qui me nommes aujourd'hui Morgan, ils me croient leur
v�ritable p�re.--La chasse est en train.

(Il sort.)


SC�NE IV

Les environs du havre de Milford.

PISANIO et IMOG�NE


IMOG�NE.--Tu me disais, quand nous sommes descendus de cheval, que nous
�tions tout pr�s du port. Le d�sir qu'avait ma m�re de me voir
pour la premi�re fois n'�tait pas aussi violent que celui que
j'�prouve.--Pisanio! mon ami, o� est Posthumus!--A quoi penses-tu pour
tressaillir ainsi? Pourquoi ce soupir �chapp� du fond de ton coeur? Un
visage en peinture qui te ressemblerait annoncerait un homme en proie �
une perplexit� au del� de toute imagination! Donne � ta physionomie une
expression moins effrayante, avant que le trouble gagne mes sens plus
rassis. Qu'y a-t-il? Pourquoi me pr�sentes-tu cet �crit avec un regard
aussi sinistre? S'il m'apporte des nouvelles agr�ables[16], annonce-les
moi par un sourire; si elles sont funestes, tu n'as qu'� garder cette
expression. (_Elle prend la lettre_.) L'�criture de mon mari! Cette
d�testable Italie, d�cri�e par ses poisons, l'aura tromp�; sans doute,
il est dans quelque f�cheuse extr�mit�. Homme[17], parle; tes paroles
peuvent adoucir quelque extr�mit� qui me tuerait si je la lisais.

[Note 16: _Summer's news_, nouvelles d'�t�, nouvelles de beau temps,
bonnes nouvelles.]

[Note 17: _Man_. Les Espagnols disent aussi _hombre_, en s'adressant
� un inf�rieur qu'on ne conna�t pas; et, dans le style ordinaire. On dit
en France: H�! l'homme!]

PISANIO.--Je vous prie, lisez. Et vous allez voir en moi un homme bien
malheureux, bien m�pris� par le sort!

IMOG�NE, _lisant_.--�Ta ma�tresse, Pisanio, s'est prostitu�e dans mon
lit. Les preuves en reposent au fond de mon coeur sanglant. Je ne parle
pas sur de faibles soup�ons; mais d'apr�s des preuves aussi fortes que
ma douleur, et aussi certaines que l'espoir de ma vengeance. Cette
vengeance, Pisanio, tu dois t'en charger pour moi. Si son manque de foi
n'a pas corrompu la tienne, que tes mains lui �tent la vie. Je t'en
fournirai l'occasion au port de Milford. Je lui �cris de s'y rendre:
arriv�s l�, si tu crains de frapper et de me donner la preuve certaine
que c'est fait, tu es l'agent de son d�shonneur, et je te tiens pour
aussi d�loyal qu'elle.�

PISANIO.--Quel besoin aurais-je de tirer l'�p�e? Ce papier lui a d�j�
coup� la gorge; non, c'est la calomnie, dont le tranchant est plus aigu
que le poignard; dont la langue a plus de venin que tous les serpents du
Nil; sa voix vole sur les vents et va s�duire tous les coins du monde.
Rois, reines, empires, vierges, matrones, cette vip�re empoisonne tout;
elle se glisse jusque dans le secret des tombeaux.--Madame, comment vous
trouvez-vous?

IMOG�NE.--Infid�le � sa couche! Qu'est-ce qu'�tre infid�le?--Est-ce d'y
veiller les nuits en songeant � lui? d'y pleurer d'heure en heure? et si
le sommeil saisit la nature accabl�e, l'interrompre aussit�t par un r�ve
effrayant dont il est l'objet, et me r�veiller en pleurant: est-ce l�
�tre infid�le � sa couche? est-ce cela?

PISANIO.--H�las! vertueuse dame!

IMOG�NE.--Moi, infid�le? Ta conscience,--Iachimo, est t�moin... Tu
l'accusas d'infid�lit�, et d�s lors tu parus � mes yeux un mis�rable;
aujourd'hui ton visage me semble assez agr�able. Quelque geai[18]
d'Italie, qui a eu le fard pour m�re, l'aura trahi; et moi, malheureuse,
je suis pass�e de mode, un v�tement surann�, trop riche pour �tre
suspendu aux murailles, et qu'il vaut mieux d�coudre, mettre en pi�ces.
Oh! les serments des hommes sont des tra�tres qui perdent les femmes!
ton inconstance, � mon �poux, va faire croire que toute apparence
vertueuse couvre une trahison, qu'elle est �trang�re au visage qui
l'emprunte, et que c'est un pi�ge tendu aux femmes.

[Note 18: Quelque geai, quelque femme par�e non par la nature, mais
par le fard.]

PISANIO.--Ma ch�re ma�tresse, �coutez-moi.

IMOG�NE.--Jadis, apr�s la trahison d'�n�e, tous les hommes fid�les et
honn�tes furent crus perfides comme lui; les pleurs du fourbe Sinon
d�cri�rent bien des larmes sinc�res et priv�rent de piti� le v�ritable
malheur. Ainsi, toi, Posthumus, ton exemple fera calomnier tous les
hommes vertueux; des amants g�n�reux et fid�les seront tenus pour
tra�tres et parjures, d'apr�s ton crime.--Viens, Pisanio; sois fid�le,
ex�cute les ordres de ton ma�tre; et quand tu le reverras, raconte-lui
un peu mon ob�issance. Vois, c'est moi qui tire ton �p�e moi-m�me,
prends-la, ouvre mon coeur, asile innocent de mon amour. Ne crains rien;
il n'y reste plus autre chose que le d�sespoir; ton ma�tre n'y est plus,
lui qui en �tait le tr�sor! Fais ce qu'il t'ordonne: frappe... Peut-�tre
serais-tu brave dans une cause plus juste; mais en ce moment tu parais
l�che.

PISANIO.--Loin de moi, vil instrument. Tu ne damneras pas ma main.

IMOG�NE.--Mais il faut que je meure, et si je ne meurs pas de ta main,
tu n'ob�is pas � ton ma�tre. Il est contre le suicide une d�fense divine
qui intimide mon faible bras.--Viens, voil� mon coeur; il y a quelque
chose devant... attends, attends; je ne veux aucune d�fense, je suis
pr�te, comme le fourreau, � recevoir l'�p�e. Qu'y a-t-il l�? les lettres
de Posthumus fid�le toutes chang�es en parjures. Loin de moi,
corruptrices de ma foi, vous ne reposerez plus sur mon coeur. C'est donc
ainsi que de pauvres insens�es croient de perfides ma�tres! Mais si la
malheureuse qui est trahie souffre cruellement de la trahison, le
tra�tre en est puni par des maux plus grands encore. Et toi, Posthumus,
qui as soulev� ma d�sob�issance contre le roi, et qui m'as fait
repousser des princes mes �gaux, tu reconna�tras un jour que ce n'�tait
pas, de ma part, un fait ordinaire, mais un sacrifice rare; et je
m'afflige, en songeant combien un jour, lorsque tu seras d�go�t� de
celle qu'aujourd'hui tu caresses, combien alors mon souvenir tourmentera
ta m�moire.--Je t'en conjure, h�te-toi, l'agneau implore le boucher. O�
est ton poignard? Tu es trop lent � ob�ir � ton ma�tre, lorsque je
d�sire la m�me chose.

PISANIO.--O gracieuse dame! depuis que j'ai re�u l'ordre d'ex�cuter
cette action, je n'ai pas ferm� l'oeil.

IMOG�NE.--Ex�cute-la, et va te coucher apr�s.

PISANIO.--Je veillerais plut�t jusqu'� en perdre la vue.

IMOG�NE.--Pourquoi donc t'en charger? Pourquoi m'avoir fait parcourir en
vain tant de milles sous un faux pr�texte? Le lieu, ma fuite, ton voyage
et la fatigue du cheval, tout l'invite; le trouble aussi o� mon absence
aura jet� toute la cour; je n'y retournerai jamais, mon parti est pris.
Pourquoi t'es-tu engag� si avant, pour d�tendre ton arc lorsque tu es en
posture, et que la biche d�sign�e est devant toi?

PISANIO.--Pour gagner le temps d'�luder un si funeste emploi, et, durant
cet intervalle, j'ai cherch� un exp�dient. Ma ch�re ma�tresse,
�coutez-moi avec patience.

IMOG�NE.--Parle jusqu'� lasser ta langue; parle: je me suis entendu
nommer une prostitu�e; mon oreille, frapp�e � faux, ne peut plus
recevoir ni blessure plus cruelle, ni baume qui gu�risse celle-l�.
Parle.

PISANIO.--Eh bien, madame, je pensais que vous ne retourneriez point sur
vos pas.

IMOG�NE.--C'�tait probable, puisque tu m'amenais ici pour me tuer.

PISANIO.--Non, non; mais si j'�tais aussi sage qu'honn�te, mon exp�dient
tournerait bien.--Il est impossible que mon ma�tre ne soit pas tromp�;
quelque sc�l�rat, consomm� dans son art, vous a fait � tous deux cette
maudite injure.

IMOG�NE.--Quelque courtisane romaine...

PISANIO.--Non, sur ma vie, je lui manderai seulement que vous �tes
morte, et je lui en enverrai quelque indice sanglant; car tel est
l'ordre qu'il m'a donn�; votre absence de la cour confirmera mon r�cit.

IMOG�NE.--Mais, honn�te Pisanio, que ferai-je pendant ce temps-l�? O�
habiterai-je? Comment vivrai-je, ou quelle consolation aurai-je dans la
vie, apr�s que je serai morte pour mon �poux?

PISANIO.--Si vous retournez � la cour...

IMOG�NE.--Plus de cour, plus de p�re; je ne veux plus de d�m�l�s avec
cet insupportable seigneur, cet �tre nul, ce Cloten dont la poursuite
�tait pour moi plus effrayante qu'un si�ge.

PISANIO.--Et si vous renoncez � la cour, vous ne pourrez pas alors
rester en Bretagne.

IMOG�NE.--O� irais-je, alors? Le soleil ne luit-il que sur la Bretagne
seule? N'est-ce que dans la Bretagne qu'il y a des jours et des nuits?
Dans le grand livre du monde, notre Bretagne para�t en faire partie,
sans y �tre comprise; c'est un nid de cygne sur un grand �tang. Crois,
je te prie, qu'il existe des hommes hors de la Bretagne.

PISANIO.--Je suis bien aise que vous songiez � quelque autre lieu.
Lucius, l'ambassadeur romain, arrive demain au havre de Milford; si vous
pouviez conformer votre ext�rieur � l'�tat de votre fortune, et cacher
sous le d�guisement cette grandeur qui ne peut se montrer sans p�ril,
vous marcheriez dans une route agr�able o� vous pourriez voir bien des
choses... Peut-�tre seriez-vous tout pr�s des lieux o� habite Posthumus;
ou si vous ne pouviez voir de vos yeux ses actions, assez pr�s du moins
pour que la renomm�e apport�t d'heure en heure, � votre oreille, le
r�cit fid�le de toutes ses d�marches.

IMOG�NE.--Oh! pour arriver l�, malgr� les dangers que peut courir ma
modestie, ce n'est pas sa mort, et je hasarderai tout.

PISANIO.--Eh bien! alors, voici mon exp�dient. Il vous faut oublier que
vous �tes une femme, passer du commandement � l'ob�issance, d�pouiller
cette crainte et cette d�licatesse, attributs de toutes les femmes, ou
qui sont, � vrai dire, la femme elle-m�me, et affecter un courage badin,
�tre vif � la r�partie, impertinent et querelleur comme une belette[19];
oui, il vous faut oublier aussi ce tr�sor pr�cieux de vos joues et les
exposer... (O coeur barbare! mais h�las! point de rem�de) aux ardeurs
empress�es de Titan, qui prodigue � tous ses baisers; il vous faut
renoncer � vos atours �l�gants et �tudi�s, qui rendaient la grande Junon
jalouse.

[Note 19: On a vu des belettes devenir domestiques comme les chats,
et faire la guerre aux rats et � la vermine.]

IMOG�NE.--Ah! sois bref, je vois ton but, et d�j� je me sens presque un
homme.

PISANIO.--Commencez d'abord par le para�tre. Pr�voyant ceci, j'avais
pr�par� un pourpoint, un chapeau, un haut-de-chausses et tout ce qui
s'en suit; nous trouverons cela dans mon sac de voyage. Voulez-vous,
dans ce travestissement et empruntant de votre mieux tous les dehors
d'un jeune homme de votre �ge, vous pr�senter devant le noble Lucius,
lui demander de l'emploi, lui dire quels sont vos talents: il les
conna�tra bient�t si son oreille est sensible aux charmes de la musique.
Je n'en doute point, il vous adoptera avec joie; car il est honorable,
et, qui plus est, tr�s-saint. Quant � vos ressources � l'�tranger, vous
me savez riche; je ne manquerai jamais � vos besoins pr�sents ni � ceux
de l'avenir.

IMOG�NE.--Tu es toute la consolation que les dieux me laissent. De
gr�ce, �loigne-toi, il y aurait encore bien des choses � consid�rer;
mais nous ferons tout ce que le temps nous permettra. Je m'enr�le dans
cette entreprise et je la soutiendrai avec le courage d'un prince.
S�parons-nous, je te prie.

PISANIO.--Allons, madame, il faut nous faire de courts adieux, de peur,
si on remarquait mon absence, que je ne fusse soup�onn� d'avoir aid�
votre �vasion de la cour.--Ma noble ma�tresse, prenez cette bo�te, je
l'ai re�ue de la reine, elle renferme un suc pr�cieux; si vous �tes
malade en mer ou que vous ayez mal � l'estomac sur terre, une gorg�e de
cette liqueur dissipera votre indisposition. Cherchez quelque ombrage et
allez vous rev�tir de vos habits d'homme. Puissent les dieux vous
inspirer la meilleure conduite!

IMOG�NE.--Ainsi soit-il. Je te remercie.

(Ils sortent.)


SC�NE V

Appartement dans le palais de Cymbeline.

_Entrent_ CYMBELINE, LUCIUS, LA REINE, CLOTEN, et _les seigneurs de la
cour_.


CYMBELINE.--Je te quitte ici et te fais mon adieu.

LUCIUS.--Noble roi, je te rends gr�ces; j'ai re�u les ordres de mon
empereur; il faut que je parte de ces lieux, et je suis bien f�ch�
d'�tre oblig� de t'annoncer � Rome pour l'ennemi de mon ma�tre.

CYMBELINE.--Mes sujets, seigneur, ne veulent plus endurer son joug, et
il serait indigne d'un roi de se montrer moins jaloux qu'eux de sa
dignit�.

LUCIUS.--Ainsi, seigneur, je vous demande une escorte qui me conduise
jusqu'au havre de Milford.--Madame, que toutes les f�licit�s
accompagnent Votre Majest� et les siens.

CYMBELINE.--Seigneurs, j'ai fait choix de vous pour cet office.
N'omettez aucun des honneurs qui lui sont dus. Adieu, noble Lucius.

LUCIUS.--Votre main, seigneur.

CLOTEN.--Re�ois-la comme celle d'un ami; mais � partir de ce moment je
la tiens pour celle de ton ennemi.

LUCIUS.--L'�v�nement n'a pas encore nomm� le vainqueur, seigneur. Adieu.

CYMBELINE.--Mes bons seigneurs, ne quittez point le brave Lucius qu'il
n'ait pass� la Severn. Soyez heureux!

(Lucius part.)

LA REINE.--Il s'en va en fron�ant le sourcil: mais c'est un honneur pour
nous de lui en avoir donn� sujet.

CLOTEN.--Tout est au mieux; la guerre est le voeu g�n�ral de vos
vaillants Bretons.

CYMBELINE.--Lucius a d�j� mand� � l'empereur ce qui se passe ici. Il
nous importe par cons�quent que nos chars et notre cavalerie soient
promptement sur pied. Les forces qu'il a d�j� dans la Gaule seront
bient�t rassembl�es en corps d'arm�e, et de l� il portera la guerre en
Bretagne.

LA REINE.--Ce n'est pas une affaire sur laquelle il faille s'endormir:
il faut s'en occuper avec diligence et vigueur.

CYMBELINE.--Comme je m'attendais � ce que les choses se passassent
ainsi, je suis en mesure. Mais, ma douce reine, o� est notre fille? Elle
n'a point paru devant le Romain; elle ne nous a point rendu ses devoirs
journaliers. Il y a en elle plus de mauvaise volont� que de tendresse
filiale. Je m'en suis aper�u. Faites-la venir devant nous: nous avons
support� trop facilement sa d�sob�issance.

(Un serviteur sort.)

LA REINE.--Sire, depuis l'exil de Posthumus elle m�ne une vie
tr�s-retir�e; il n'y a que le temps qui puisse la gu�rir. Je conjure
Votre Majest� de lui �pargner les paroles s�v�res: c'est une �me si
tendre aux reproches, que les paroles sont des coups pour elle, et les
coups lui donneraient la mort.

(Le serviteur revient.)

CYMBELINE.--Eh bien! vient-elle? Comment va-t-elle justifier ses m�pris?

LE SERVITEUR.--Sauf votre bon plaisir, seigneur: ses appartements sont
tous ferm�s, et on n'a point r�pondu � tout le bruit que nous avons pu
faire.

LA REINE.--Seigneur, la derni�re fois que j'ai �t� la voir, elle m'a
pri� d'excuser sa profonde retraite, y �tant forc�e par sa mauvaise
sant�, et elle m'a pr�venue qu'elle suspendrait les devoirs qu'elle
�tait oblig�e de vous rendre chaque jour. Elle m'avait pri� de vous en
pr�venir; mais les soins de notre cour ont mis ma m�moire dans son tort.

CYMBELINE.--Ses portes ferm�es, sans qu'on l'ait vue derni�rement! Ciel!
accorde-moi que mes craintes soient fausses!

(Il sort.)

LA REINE, _� Cloten_.--Mon fils, je vous l'ordonne, suivez le roi.

CLOTEN.--Cet homme qui lui est attach�, Pisanio, ce vieux serviteur, je
ne l'ai pas vu non plus depuis deux jours.

LA REINE.--Allez, suivez ses traces. (_Cloten sort_.) Ce Pisanio, si
d�vou� � Posthumus, tient de moi une drogue... Je prie le ciel que son
absence vienne de ce qu'il l'a aval�e; car il est persuad� que c'est un
�lixir pr�cieux.--Mais elle, o� est-elle all�e? Peut-�tre le d�sespoir
l'aura saisie; ou bien, entra�n�e par l'ardeur de son amour elle aura
fui vers son cher Posthumus. S�rement, elle marche � la mort, ou au
d�shonneur; et je puis faire bon usage pour mes fins de l'une ou de
l'autre. Elle �cart�e, c'est moi qui dispose � mon gr� de la couronne de
Bretagne. (_Cloten rentre_.) Eh bien! mon fils?

CLOTEN.--Son �vasion est certaine. Allez apaiser le roi: il est en
fureur: personne n'ose l'approcher.

LA REINE.--Tant mieux. Puisse cette nuit le priver d'un lendemain!

(Elle sort.)

CLOTEN.--Je l'aime et je la hais.--Elle est belle, et princesse: elle
poss�de toutes les brillantes qualit�s de la cour: elle en a plus � elle
seule qu'aucune dame, que toutes les dames, que toutes les femmes. Elle
a de chacune d'elles ce qu'elle a de mieux, et, form�e de cet ensemble,
elle les surpasse toutes; voil� pourquoi je l'aime: mais d'un autre c�t�
ses d�dains pour moi, tandis qu'elle prodigue ses faveurs � ce vil
Posthumus, font si grand tort � son jugement que toutes ses rares
perfections en sont �touff�es: aussi cela me d�termine � la ha�r, bien
plus � me venger d'elle... car les dupes... (_Entre Pisanio_.) Qui va
l�? Quoi! tu t'esquives? Approche ici: ah! c'est toi, vil entremetteur:
mis�rable, o� est ta ma�tresse? R�ponds en un mot, ou bien tu vas tout
droit voir les d�mons.

PISANIO.--O mon bon prince!

CLOTEN.--O� est ta ma�tresse? Par Jupiter, je ne te le demanderai pas
une fois de plus. Discret sc�l�rat, je tirerai ce secret de ton coeur,
ou je t'ouvre le coeur pour l'y trouver. Est-elle avec ce Posthumus,
duquel on ne pourrait tirer une seule drachme de m�rite au milieu d'un
grand poids de bassesse?

PISANIO.--H�las! seigneur! comment serait-elle avec lui? Quand a-t-elle
disparu? Posthumus est � Rome.

CLOTEN.--O� est-elle? Allons, approche encore: point de vaines d�faites:
satisfais-moi sans d�tour; qu'est-elle devenue?

PISANIO.--O mon digne prince!

CLOTEN.--O mon digne sc�l�rat! d�couvre-moi o� est ta ma�tresse. Au
fait, en un seul mot.--Plus de digne prince!--Parle, ou ton silence te
vaut � l'instant ton arr�t et ta mort.

PISANIO _lui pr�sente un �crit_.--Eh bien! seigneur, ce papier renferme
l'histoire de tout ce que je sais sur son �vasion.

CLOTEN.--Voyons-le; je la poursuivrai jusqu'au tr�ne d'Auguste. Donne,
ou tu meurs.

PISANIO, _� part_.--Elle est assez loin: tout ce qu'il apprend par cet
�crit peut le faire voyager; mais sans danger pour elle.

CLOTEN, _lisant_.--Hum!

PISANIO, _� part_.--Je manderai � mon ma�tre qu'elle est morte. O
Imog�ne! puisses-tu errer en s�ret�, et revenir un jour en s�ret�!

CLOTEN.--Coquin: cette lettre est-elle v�ritable?

PISANIO.--Oui, prince, � ce que je crois.

CLOTEN.--C'est l'�criture de Posthumus; je la connais.--Dr�le! si tu
voulais ne pas �tre un mis�rable, mais me servir fid�lement, employer
s�rieusement ton industrie dans tous les offices dont j'aurais occasion
de te charger; j'entends que quelque fourberie que je te commande, tu
voulusses l'ex�cuter � la lettre et loyalement, alors je te croirais un
honn�te homme, et tu ne manquerais ni de moyens de subsistance, ni de ma
protection pour avancer ta fortune.

PISANIO.--Eh bien! mon bon seigneur?

CLOTEN.--Veux-tu me servir? Puisqu'avec tant de constance, tant de
patience, tu restes attach� � la st�rile fortune de ce mis�rable
Posthumus, tu dois, � plus forte raison, par reconnaissance, t'attacher
� la mienne en z�l� serviteur. Veux-tu me servir?

PISANIO.--Seigneur, je le veux bien.

CLOTEN.--Donne-moi ta main: voici ma bourse. N'as-tu pas en ta
possession quelque habit de ton ancien ma�tre?

PISANIO.--Seigneur, j'ai � mon logement l'habit m�me qu'il portait
lorsqu'il a pris cong� de ma dame et ma�tresse.

CLOTEN.--Ton premier service, c'est de m'aller chercher cet habit: que
ce soit ton premier service; va.

PISANIO.--J'y vais, seigneur. (Il sort.)

CLOTEN.--_Te joindre au havre de Milford?_--J'ai oubli� de lui demander
une chose; mais je m'en souviendrai tout � l'heure.--L� m�me, mis�rable
Posthumus, je veux te tuer.--Je voudrais que cet habit f�t d�j� venu.
Elle disait un jour (l'amertume de ces paroles me soul�ve le coeur)
qu'elle faisait plus de cas de l'habit de Posthumus que de ma noble
personne, orn�e de toutes mes qualit�s. Je veux, rev�tu de cet habit,
abuser d'elle; et d'abord le tuer, lui, sous les yeux de sa belle: elle
verra alors ma valeur, et apr�s ces m�pris ce sera pour elle un
tourment. Lui � terre, apr�s ma harangue d'insulte finie sur son
cadavre, lorsque ma passion sera rassasi�e, ce que je veux, comme je le
dis, accomplir pour la vexer, dans les m�mes habits dont elle faisait
tant de cas, alors je la fais revenir � la cour et la fais marcher �
pied devant moi. Elle s'�gayait � me m�priser, je m'�gayerai aussi moi �
me venger. (_Pisanio revient avec l'habit_.) Sont-ce l� ces habits?

PISANIO.--Oui, mon noble seigneur.

CLOTEN.--Combien y a-t-il qu'elle est partie pour le havre de Milford?

PISANIO.--A peine peut-elle y �tre arriv�e � pr�sent.

CLOTEN.--Porte ces v�tements dans ma chambre; c'est la seconde chose que
je t'ai command�e. La troisi�me est que tu deviennes volontairement muet
sur mes desseins. Songe � m'ob�ir, et la fortune viendra d'elle-m�me
s'offrir � toi.--C'est � Milford qu'est maintenant ma vengeance! Que
n'ai-je des ailes pour l'y atteindre.--Va, sois-moi fid�le.

(Il sort rev�tu de l'habit de Posthumus.)

PISANIO.--Tu me commandes ma perte; car t'�tre fid�le, c'est devenir ce
que je ne serai jamais, tra�tre � l'homme le plus fid�le.--Va, cours �
Milford, pour n'y pas trouver celle que tu poursuis.--Ciel! verse, verse
sur elle tes b�n�dictions! Que les obstacles traversent l'empressement
de cet insens�, et qu'un vain labeur soit son salaire!

(Pisanio sort.)


SC�NE VI

Devant la caverne de B�larius.

_Entre_ IMOG�NE _en habit d'homme_.


IMOG�NE.--Je vois que la vie d'un homme est p�nible; je me suis
fatigu�e, et ces deux nuits la terre m'a servi de lit. Je serais malade
si ma r�solution ne me soutenait. O Milford! lorsque du sommet de la
montagne Pisanio te montrait � moi, tu �tais � la port�e de ma vue! �
Jupiter! je crois que les murs fuient devant les malheureux; ceux du
moins, o� ils trouveraient des secours. Deux mendiants m'ont dit que je
ne pouvais pas me tromper de chemin. Les pauvres gens, accabl�s de
mis�re, peuvent-ils mentir sachant que leurs maux sont un ch�timent ou
une �preuve? Oui, il n'y aurait rien d'�tonnant, puisque les riches
m�mes disent � peine la v�rit�. Tromper dans l'abondance est un plus
grand crime que de mentir press� par la mis�re; et la fausset� chez les
rois est bien plus criminelle que chez les mendiants. Mon cher seigneur,
et toi aussi tu es du nombre des hommes perfides!.... Maintenant que je
songe � toi, ma faim est pass�e; il y a un moment, j'�tais pr�te �
d�faillir d'�puisement. Mais que vois-je?--Un sentier m�ne � cette
caverne!--C'est quelque repaire sauvage.--Je ferais mieux de ne pas
appeler. Je n'ose appeler.--Pourtant la faim, tant qu'elle n'a pas
triomph� de la nature, rend intr�pide. La paix et l'abondance engendrent
les l�ches; la n�cessit� fut toujours la m�re de l'audace. Hol�, qui est
ici? S'il y a quelque �tre civilis�, parlez; si vous �tes sauvages,
prenez ou rendez-moi la vie. Hol�?.... Nulle r�ponse.--Alors, je vais
entrer. Il vaut mieux tirer mon �p�e; si mon ennemi craint le fer autant
que moi, � peine osera-t-il l'envisager. Accorde-moi pareil ennemi, ciel
propice!

(Elle entre dans la caverne.)

B�LARIUS, _revenant de la chasse_.--C'est toi, Polydore, qui as �t� le
meilleur chasseur, et tu es le roi de la f�te. Cadwal et moi nous serons
ton cuisinier et ton domestique, c'est ce qui est convenu. L'industrie
cesserait bient�t de prodiguer ses sueurs et p�rirait sans le salaire
pour lequel elle travaille. Entrons; notre app�tit donnera de la saveur
� ces aliments grossiers. La lassitude dort profond�ment sur les
cailloux, tandis que la mollesse inqui�te trouve dur un oreiller de
duvet. Que la paix habite ici, pauvre logis qui te gardes toi-m�me!

GUID�RIUS.--Je suis exc�d� de lassitude.

ARVIRAGUS.--Je suis affaibli par la fatigue, mais l'app�tit est
vigoureux.

GUID�RIUS.--Il nous reste dans la caverne de la viande froide; nous nous
en repa�trons en attendant que notre chasse soit cuite.

B�LARIUS, _regardant dans la caverne_.--Arr�tez, n'entrez pas.... Si je
ne le voyais pas manger nos provisions, je croirais que c'est une f�e.

GUID�RIUS.--Qu'y a-t-il donc, seigneur?

B�LARIUS.--Par Jupiter, un ange! ou si ce n'est pas un ange, c'est le
mod�le des beaut�s de la terre! Voyez la divinit�, sous les traits d'un
jeune adolescent.

(Imog�ne s'avance � l'entr�e de la caverne.)

IMOG�NE, _suppliante_.--Bons chasseurs, ne me faites point de mal. Avant
d'entrer ici, j'ai appel�, et mon intention �tait de demander ou
d'acheter ce que j'ai pris. En v�rit�, je n'ai rien d�rob�, et je
n'aurais rien pris, quand j'aurais l'or sem� par terre. Voil� de
l'argent pour ce que j'ai mang�: j'aurais laiss� cet argent sur la
table, aussit�t que j'aurais eu fini mon repas, et je serais parti en
priant le ciel pour l'h�te qui m'avait nourri.

GUID�RIUS.--De l'argent, jeune homme?

ARVIRAGUS.--Que tout l'argent et l'or deviennent de la fange: il ne vaut
pas mieux, except� pour ceux qui adorent des dieux de fange.

IMOG�NE.--Je le vois, vous �tes f�ch�. Apprenez que si vous me tuez pour
ma faute, je serais mort si je ne l'avais pas commise.

B�LARIUS.--O� allez-vous?

IMOG�NE.--Au havre de Milford.

B�LARIUS.--Quel est votre nom?

IMOG�NE.--Fid�le, seigneur.--J'ai un parent qui part pour l'Italie: il
s'embarque � Milford: j'allais le rejoindre lorsque, �puis� par la faim,
je suis tomb� dans cette faute.

B�LARIUS.--Je te prie, beau jeune homme, ne nous crois pas des rustres,
et ne juge pas de la bont� de nos �mes sur l'aspect de l'antre o� nous
vivons. La rencontre est heureuse. Il est presque nuit; tu feras
meilleure ch�re avant ton d�part, et nous te remercierons d'�tre rest�
pour la partager.--Mes enfants, souhaitez-lui la bienvenue.

GUID�RIUS.--Jeune homme, si tu �tais une femme, je te ferais la cour
sans rel�che, jusqu'� ce que je fusse ton �poux. Franchement, je dis ce
que je ferais.

ARVIRAGUS.--Moi, je suis satisfait de ce qu'il est un homme. Je
l'aimerai comme un fr�re, et, l'accueil que je ferais � mon fr�re apr�s
une longue absence, tu le recevras de moi. Sois le bienvenu. Sois
joyeux; car tu rencontres ici des amis.

IMOG�NE, _� part_.--Des amis! Ah! si c'�taient mes fr�res! que le ciel
n'a-t-il permis qu'ils fussent les enfants de mon p�re! alors le prix de
ma personne e�t �t� moins grand, et par l� plus en rapport avec toi,
Posthumus.

B�LARIUS.--Il souffre de quelque chagrin.

GUID�RIUS.--Que je voudrais l'en affranchir!

ARVIRAGUS.--Et moi aussi, quel qu'il f�t, et quoi qu'il m'en co�t�t de
peines et de dangers! Dieux!

B�LARIUS.--�coutez-moi, mes enfants.

(Il leur parle � l'oreille et s'�loigne d'eux.)

IMOG�NE.--Des grands de la cour qui n'auraient pour palais que cette
�troite caverne, qui se serviraient eux-m�mes, et qui, renon�ant � ces
frivoles tributs de l'inconstante multitude, poss�deraient la vertu que
leur assurerait leur propre conscience, ne pourraient surpasser ces deux
jeunes gens. Pardonnez, grands dieux! mais je voudrais changer de sexe,
pour vivre ici avec eux, puisque Posthumus est perfide.

B�LARIUS.--Il en sera ainsi.--Allons appr�ter notre gibier.--(_Il se
rapproche avec eux d'Imog�ne_.) Beau jeune homme, entrons. La
conversation fatigue lorsqu'on est � jeun: apr�s le souper, nous te
demanderons poliment ton histoire, et tu nous en diras ce qu'il te
plaira.

GUID�RIUS.--Je te prie, entre avec nous.

ARVIRAGUS.--La nuit est moins bienvenue pour le hibou, et le matin pour
l'alouette.

IMOG�NE.--Je vous rends gr�ces.

ARVIRAGUS.--Je t'en prie, approche.

(Tous trois entrent dans la caverne.)


SC�NE VII

Rome.

_Entrent_ DEUX S�NATEURS et _des_ TRIBUNS.


PREMIER S�NATEUR.--Voici la teneur des ordres de l'empereur: Puisque les
soldats ordinaires sont maintenant occup�s contre les Pannoniens et les
Dalmates, et que les l�gions des Gaules sont trop faibles pour
entreprendre la guerre contre les Bretons rebelles, nous devons exciter
la noblesse � y prendre part. Il cr�e Lucius proconsul, et il vous donne
� vous, tribuns, ses pleins pouvoirs pour faire cette lev�e.--_Vive
C�sar!_

LES TRIBUNS.--Lucius est-il g�n�ral de l'arm�e?

SECOND S�NATEUR.--Oui, tribuns. Il est pour le moment en Gaule.

PREMIER S�NATEUR.--Avec les l�gions dont je vous parlais et que vos
recrues doivent renforcer. Votre commission vous marque le nombre
d'hommes et le moment de leur d�part.

LES TRIBUNS.--Nous ferons notre devoir.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISI�ME ACTE.




                              ACTE QUATRI�ME


SC�NE I

For�t pr�s de la caverne.

_Entre_ CLOTEN.


CLOTEN.--Me voici tout pr�s des lieux o� ils doivent se rejoindre, si
Pisanio m'en a donn� la carte fid�le. Que ses habits me vont bien!
Pourquoi sa ma�tresse ne m'irait-elle pas aussi bien, elle fut faite par
celui qui a fait le tailleur (r�v�rence parler), et d'autant plus que la
femme, dit-on, va bien ou mal par caprice. Il faut que sous ce
d�guisement j'en fasse l'�preuve.--J'ose me l'avouer tout haut �
moi-m�me (car il n'y a pas de vanit� � parler � son miroir, seul dans sa
chambre), mon corps est aussi bien dessin� que celui de ce Posthumus: je
suis aussi jeune, plus robuste; je ne lui c�de point en fortune; j'ai
l'avantage sur lui par les circonstances; je le surpasse en naissance;
je le vaux bien dans les occasions g�n�rales, et je me montre mieux que
lui dans les combats particuliers; cependant cette petite ent�t�e l'aime
au m�pris de moi!

Ce que c'est que la vie de l'homme! Posthumus, ta t�te, qui maintenant
s'�l�ve sur tes �paules, dans une heure sera abattue; ta ma�tresse
viol�e et tes habits d�chir�s en pi�ces sous tes yeux; et, tout cela
fait, je la tra�ne � son p�re; il pourra d'abord m'en vouloir un peu
d'avoir trait� si rudement sa fille; mais ma m�re r�gente son humeur;
elle saura bien tourner le tout � mon �loge.--Mon cheval est bien
attach�.--Allons, sors mon �p�e et dans un but sanguinaire. Fortune,
am�ne-les sous ma main.--Oui, je reconnais ici la description que
Pisanio m'a faite du lieu de leur rendez-vous, et ce mis�rable n'oserait
me tromper.

(Il sort.)


SC�NE II

A l'entr�e de la caverne.

B�LARIUS, GUID�RIUS, ARVIRAGUS et IMOG�NE _sortent de la caverne_.


B�LARIUS, _� Imog�ne_.--Tu n'es pas bien, demeure ici, dans la caverne;
apr�s notre chasse nous viendrons te retrouver.

ARVIRAGUS.--Reste ici, mon fr�re; ne sommes-nous pas fr�res?

IMOG�NE.--L'homme et l'homme devraient l'�tre; cependant nous voyons que
l'argile et l'argile diff�rent en dignit�, quoique leur poussi�re soit
la m�me.--Je suis bien malade.

GUID�RIUS.--Allez � la chasse, moi, je veux rester avec lui.

IMOG�NE.--Je ne suis pas si malade, quoique je ne me sente pas bien;
mais je ne suis pas de ces citadins eff�min�s qui paraissent morts avant
m�me d'�tre malades. Je vous prie, laissez-moi, allez � vos affaires de
tous les jours: interrompre ses habitudes, c'est interrompre tout. Je
suis malade, mais votre pr�sence ne me gu�rirait pas. La soci�t� n'est
pas une consolation pour ceux qui ne sont pas sociables. Je ne suis pas
tr�s-malade, puisque je peux encore en raisonner. Je vous prie,
laissez-moi seul ici, je ne priverai de moi que moi-m�me, et laissez-moi
mourir puisqu'on y perdra si peu de chose.

GUID�RIUS, _� Imog�ne_.--Je t'aime, je te l'ai dit, et le poids et
l'�tendue de mon amour �galent celui dont j'aime mon p�re.

B�LARIUS.--Comment? que dis-tu?

ARVIRAGUS.--Si c'est un p�ch� de le dire, seigneur, je prends sur moi la
moiti� de la faute de mon bon fr�re.--Je ne sais pourquoi j'aime ce
jeune homme; mais je vous ai ou� dire que la raison n'entrait pour rien
dans les raisons de l'amour. Le cercueil serait � la porte, et on me
demanderait qui doit mourir, je dirais: Mon p�re, plut�t que ce jeune
homme!

B�LARIUS, _� part_.--O noble �lan! � dignit� naturelle! inspiration de
grandeur! Les l�ches sont p�res de l�ches, et les �tres vulgaires
n'engendrent que des fils vulgaires; la nature a de la farine et du son,
de la gr�ce et du rebut; je ne suis point leur p�re; mais qui est donc
celui qu'ils aiment ainsi plus que moi par une esp�ce de prodige?--Il
est neuf heures du matin.

ARVIRAGUS.--Mon fr�re, adieu.

IMOG�NE.--Je vous souhaite bonne chasse.

ARVIRAGUS.--Et moi une bonne sant�. (_A B�larius_.) Allons, seigneur.

IMOG�NE, _� part_.--Ce sont l� de bonnes cr�atures! Dieux, que de
mensonges j'ai entendus! Nos courtisans disaient que hors de la cour
tout �tait sauvage. Exp�rience, comme tu d�mens leurs rapports! La mer,
dans son empire, engendre des monstres, et, pour la table, une pauvre
rivi�re tributaire fournit des poissons aussi exquis. Je souffre
toujours, je souffre au coeur.--Pisanio, je veux essayer de ta drogue.

B�LARIUS.--Je n'osais pas le presser; il m'a dit qu'il �tait bien n�,
mais tomb� dans l'infortune; qu'il �tait pers�cut� malhonn�tement, mais
honn�te.

GUID�RIUS.--Il m'a r�pondu de m�me, mais il m'a dit que dans la suite je
pourrais en apprendre davantage.

B�LARIUS.--Allons, � la plaine, � la plaine. (_A Imog�ne_.)--Nous allons
te quitter pour ce moment; rentre et repose-toi.

ARVIRAGUS.--Nous ne serons pas longtemps dehors.

B�LARIUS.--De gr�ce, ne sois pas malade, car il faut que tu sois
l'�conome de notre m�nage.

IMOG�NE.--Malade ou bien portant, je vous reste attach�.

(Imog�ne rentre dans la caverne.)

B�LARIUS.--Et tu le seras toujours.--Ce jeune homme, quoique dans le
malheur, para�t issu de nobles anc�tres.

ARVIRAGUS.--Comme sa voix est ang�lique!

GUID�RIUS.--Et comme il fait bien la cuisine! Il a �l�gamment d�coup�
nos racines et assaisonn� nos bouillons comme si Junon malade avait
r�clam� ses soins.

ARVIRAGUS.--Avec quelle noblesse le sourire se m�le � ses soupirs! Comme
si le soupir n'�tait ce qu'il est que par le regret de n'�tre pas
sourire; comme si le sourire raillait le soupir de s'�loigner d'un
temple aussi divin pour se m�ler aux vents qui sont maudits des
matelots.

GUID�RIUS.--Je remarque que la douleur et la patience, enracin�es en
lui, entrelacent leurs racines.

ARVIRAGUS.--Patience, deviens la plus forte, et que la douleur, ce
sureau infect, cesse d'enlacer sa racine mourante � celle de la vigne
prosp�re.

B�LARIUS.--Il est grand jour, allons, partons.--Qui va l�?

(Entre Cloten.)

CLOTEN.--Je ne puis d�couvrir ces fuyards; ce mis�rable m'a jou�.--Je
succombe.

B�LARIUS.--Ces fuyards? Est-ce de nous qu'il parle? Je le reconnais �
demi. Oui, c'est Cloten, c'est le fils de la reine. Je crains quelque
emb�che; je ne l'ai pas revu depuis tant d'ann�es, et pourtant je suis
certain que c'est lui: on nous tient pour proscrits, �loignons-nous.

GUID�RIUS.--Il est tout seul; vous et mon fr�re, cherchez � d�couvrir si
quelqu'un l'accompagne; de gr�ce, allez, et laissez-moi seul avec lui.

(B�larius et Arviragus sortent.)

CLOTEN.--Arr�tez. Qui �tes-vous, vous qui fuyez? Sans doute quelques
vils montagnards: j'ai ou� parler de ces gens-l�. (_A Guid�rius_.)--Qui
es-tu, esclave?

GUID�RIUS.--Je n'ai jamais fait d'acte plus servile que celui de
r�pondre au nom _d'esclave_ sans t'assommer.

CLOTEN.--Tu es un brigand, un infracteur des lois, un mis�rable...
Rends-toi, voleur.

GUID�RIUS.--A qui? � toi? Qui es-tu? N'ai-je pas un bras aussi robuste
que le tien,--un coeur aussi fier? Ton langage, je l'avoue, est plus
arrogant; moi, je ne porte point mon poignard dans ma langue. Parle, qui
es-tu donc pour que je doive te c�der?

CLOTEN.--Vil insolent, ne me reconnais-tu pas � mes habits?

GUID�RIUS.--Non, coquin, ni ton tailleur, qui fut ton grand-p�re, car il
a fait ces habits qui te font ce que tu es, � ce qu'il me semble.

CLOTEN.--Adroit varlet, ce n'est pas mon tailleur qui les a faits.

GUID�RIUS.--Va donc remercier l'homme qui t'en a fait don.--Tu m'as
l'air de quelque fou; il me r�pugne de te battre.

CLOTEN.--Insolent voleur, apprends mon nom et tremble.

GUID�RIUS.--Quel est ton nom?

CLOTEN.--Cloten, coquin!

GUID�RIUS.--Eh bien! que Cloten soit ton nom, double coquin, il ne peut
me faire trembler; je serais plus �mu si tu �tais un crapaud, une vip�re
ou une araign�e.

CLOTEN.--Pour te confondre de terreur et de honte, apprends que je suis
le fils de la reine.

GUID�RIUS.--J'en suis f�ch�; tu ne parais pas digne de ta naissance.

CLOTEN.--Tu n'as pas peur?

GUID�RIUS.--Je ne crains que ceux que je respecte, les sages; je me ris
des fous, je ne les crains pas.

CLOTEN.--Meurs donc.... Quand je t'aurai tu� de ma propre main, j'irai
poursuivre ceux qui viennent de fuir devant moi, et je planterai vos
t�tes sur les portes de la cit� de Lud. Rends-toi, grossier montagnard.

(Ils s'�loignent en combattant.)

(B�larius et Arviragus rentrent.)

B�LARIUS.--Il n'y a personne dans la campagne.

ARVIRAGUS.--Personne au monde; vous vous serez m�pris, s�rement.

B�LARIUS.--Je ne sais; il y a bien des ann�es que je ne l'ai vu, mais le
temps n'a rien effac� des traits que son visage avait jadis; les
saccades de sa voix et la pr�cipitation de ses paroles...--Je suis
certain que c'�tait Cloten.

ARVIRAGUS.--Nous les avions laiss�s ici; je souhaite que mon fr�re
vienne � bout de lui; vous dites qu'il est si f�roce.

B�LARIUS.--Je veux dire qu'� peine devenu un homme fait il ne craignait
pas des dangers mena�ants; car souvent les effets du jugement sont la
cause de la peur. Mais voil� ton fr�re.

(Guid�rius para�t de loin tenant la t�te de Cloten.)

GUID�RIUS.--Ce Cloten �tait un imb�cile, une bourse vide; il n'y avait
point d'argent dedans; Hercule lui-m�me n'aurait pu lui faire sauter la
cervelle, il n'en avait point. Et cependant, si j'en avais moins fait,
cet imb�cile e�t port� ma t�te comme je porte la sienne.

B�LARIUS.--Qu'as-tu fait?

GUID�RIUS.--Je le sais � merveille, ce que j'ai fait. J'ai coup� la t�te
� un Cloten, qui se disait fils de la reine, qui m'appelait tra�tre,
montagnard, et qui jurait que de sa main il nous saisirait tous et
ferait sauter nos t�tes de la place o�, gr�ce aux dieux, elles sont
encore, pour les planter sur les murs de la cit� de Lud.

B�LARIUS.--Nous sommes tous perdus!

GUID�RIUS.--Eh! mais, mon p�re, qu'avons-nous donc � perdre que ce qu'il
jurait de nous �ter, la vie? La loi ne nous prot�ge pas; pourquoi donc
aurions-nous la faiblesse de souffrir qu'un insolent morceau de chair
nous menace d'�tre � la fois juge et bourreau, et d'ex�cuter lui seul
tout ce que nous pourrions craindre des lois?--Mais quelle suite
avez-vous d�couvert dans les bois?

B�LARIUS.--Nous n'avons pas pu apercevoir une �me; mais, en saine
raison, il est impossible qu'il n'ait pas quelque escorte. Quoique son
caract�re ne f�t que changement continuel, et toujours du mauvais au
pire, cependant la folie, la d�raison la plus compl�te e�t pu seule
l'amener ici sans suite. Il se pourrait qu'on e�t dit � la cour que les
hommes qui habitaient ici dans une caverne, et vivaient ici de leur
chasse, �taient des proscrits qui pourraient un jour former un parti
redoutable; lui, � ce r�cit, aura pu �clater, car c'est l� son
caract�re, et jurer qu'il viendrait nous chercher. Mais pourtant il
n'est pas probable qu'il y soit venu seul, qu'il ait os� l'entreprendre,
et qu'on l'ait souffert. Nous avons donc de bonnes raisons de craindre
que ce corps n'ait une queue plus dangereuse que sa t�te.

ARVIRAGUS.--Que l'�v�nement arrive tel que le pr�voient les dieux; quel
qu'il soit, mon fr�re a bien fait.

B�LARIUS.--Je n'avais pas envie de chasser aujourd'hui, la maladie du
jeune Fid�le m'a fait trouver le chemin bien long.

GUID�RIUS.--Avec sa propre �p�e, qu'il brandissait autour de ma gorge,
je lui ai enlev� la t�te; je vais la jeter dans l'anse qui est derri�re
notre rocher; qu'elle aille � la mer dire aux poissons qu'elle
appartient � Cloten, le fils de la reine. C'est l� tout le cas que j'en
fais.

(Il sort.)

B�LARIUS.--Je crains que sa mort ne soit veng�e. Polydore, je voudrais
que tu n'eusses pas fait ce coup, quoique la valeur t'aille � merveille.

ARVIRAGUS.--Moi, je voudrais l'avoir fait, d�t la vengeance tomber sur
moi seul!--Polydore, je t'aime en fr�re, mais je suis jaloux de cet
exploit: tu me l'as vol�. Je voudrais que toute la vengeance � laquelle
la force humaine peut r�sister fondit sur nous et nous mit � l'�preuve.

B�LARIUS.--Allons, c'est une chose faite.--Nous ne chasserons plus
aujourd'hui: ne cherchons point des dangers l� o� il n'y a pas de
profit. (_A Arviragus_.)--Je te prie, retourne � notre rocher; Fid�le et
toi, vous serez les cuisiniers; moi je vais rester ici et attendre que
cet imp�tueux Polydore revienne, et je l'am�ne � l'instant pour d�ner.

ARVIRAGUS.--Pauvre Fid�le, que nous avons laiss� malade, je vais le
retrouver avec plaisir! Pour lui rendre ses couleurs, je verserais le
sang d'une paroisse de Clotens, et croirais m�riter des �loges comme
pour un acte de charit�.

(Il sort.)

B�LARIUS.--O d�esse, divine nature, comme tu te manifestes dans ces deux
fils de roi! Ils sont doux comme les z�phyrs, lorsqu'ils murmurent sous
la violette sans m�me agiter sa t�te flexible; mais quand leur sang
royal s'allume, ils deviennent aussi fougueux que le plus imp�tueux des
vents, qui saisit par la cime le pin de la montagne et le courbe
jusqu'au fond du vallon. C'est un prodige qu'un instinct secret les
forme ainsi sans le�ons � la royaut�, � l'honneur, dont ils n'ont point
re�u de pr�ceptes, � la politesse, dont ils n'ont point vu d'exemple, �
la valeur, qui cro�t en eux comme une plante sauvage, et qui a d�j�
produit une aussi riche moisson que si on l'avait sem�e. Cependant, je
voudrais bien savoir ce que nous pr�sage la pr�sence de Cloten ici, et
ce que nous am�nera sa mort. (Guid�rius rentre.)

GUID�RIUS.--O� est mon fr�re? Je viens de plonger dans le torrent cette
lourde t�te de Cloten, et de l'envoyer en ambassade � sa m�re, comme
otage, en attendant le retour de son corps.

(Musique solennelle.)

B�LARIUS.--Qu'entends-je! mon instrument! �coutons, Polydore! il
r�sonne... Mais � quelle occasion Cadwal... �coutons.

GUID�RIUS.--Mon fr�re est-il au logis?

B�LARIUS.--Il vient de s'y rendre.

GUID�RIUS.--Que veut-il dire? Depuis la mort de ma m�re bien-aim�e, cet
instrument n'a pas parl�... Pour ces sons solennels, il faudrait un
�v�nement solennel... De quoi s'agit-il? des airs de triomphes pour des
riens, et des lamentations pour des caprices! C'est la joie des singes
et le chagrin des enfants. Cadwal est-il fou?


SC�NE III

ARVIRAGUS _entre soutenant dans ses bras_ IMOG�NE _qu'il croit morte_.


B�LARIUS.--Regarde, le voil� qui vient! et dans ses bras il porte le
triste objet de ces accents que nous bl�mions tout � l'heure.

ARVIRAGUS.--Il est mort l'oiseau dont nous faisions tant de cas!
J'aurais mieux aim�, passant d'un saut de seize ans � soixante, avoir
chang� mon temps de bondir contre une b�quille, que de voir cela.

GUID�RIUS.--O le plus beau, le plus doux des lis! pench� sur les bras de
mon fr�re, tu n'as pas la moiti� des gr�ces que tu avais, lorsque tu te
soutenais toi-m�me.

B�LARIUS.--O m�lancolie! qui a jamais pu sonder ton ab�me? qui a jamais
pu jeter la sonde pour trouver la c�te o� ta barque pesante pourrait
aborder? Objet bien-aim�! Jupiter sait quel homme tu aurais pu devenir;
mais moi je sais que tu �tais un enfant rare, et que tu es mort de
m�lancolie.--En quel �tat l'as-tu trouv�?

ARVIRAGUS.--Roide, comme vous le voyez; ce sourire sur les l�vres, comme
s'il e�t senti en riant non le trait de la mort, mais la piq�re d'un
insecte qui chatouillait son sommeil; sa joue droite reposait sur un
coussin.

GUID�RIUS.--En quel endroit?

ARVIRAGUS.--Par terre, ses bras ainsi entrelac�s. J'ai cru qu'il
dormait, et j'ai quitt� mes souliers ferr�s qui retentissaient trop sous
mes pas.

GUID�RIUS.--En effet, sa mort n'est qu'un sommeil, et sa tombe sera un
lit. Les f�es viendront la visiter souvent, et jamais les vers n'oseront
l'approcher.

ARVIRAGUS.--Tant que l'�t� durera, tant que je vivrai dans ces lieux,
Fid�le, je parerai ton triste tombeau des plus belles fleurs. Jamais tu
ne manqueras de primev�res, elles ont la douce p�leur de ton visage; ni
de la jacinthe, azur�e comme tes veines; ni de la feuille de
l'�glantine, dont le parfum, sans lui faire tort, n'�tait pas plus doux
que ton haleine; le rouge-gorge lui-m�me, dont le bec charitable fait
affront � ces riches h�ritiers qui laissent leurs p�res gisant sans
monument, viendrait t'apporter ces fleurs, et lorsqu'il n'y a plus de
fleurs, il prot�gerait tes restes contre le froid par un v�tement de
mousse.

GUID�RIUS.--Cesse, mon fr�re, je te prie: et ne joue pas avec ce langage
eff�min� sur un sujet aussi s�rieux. Ensevelissons-le, et ne diff�rons
plus, par admiration, d'acquitter une dette l�gitime.--Allons au
tombeau.

ARVIRAGUS.--Dis-moi, o� le placerons-nous?

GUID�RIUS.--A c�t� de notre bonne m�re Euriphile.

ARVIRAGUS.--Oui, Polydore; et nous, quoique nos voix aient acquis un
accent plus m�le, nous chanterons, en le conduisant � la terre, comme
pour notre m�re: r�p�tons le m�me air, les m�mes paroles, et ne
changeons que le nom d'Euriphile en celui de Fid�le.

GUID�RIUS.--Cadwal, je ne puis chanter; je pleurerai, et je r�p�terai
les paroles avec toi; car des chants de douleur, qui ne sont pas
d'accord, sont pires que des temples et des pr�tres imposteurs.

ARVIRAGUS.--Eh bien! nous ne ferons que les r�citer.

B�LARIUS.--Les grandes douleurs, je le vois, gu�rissent les petites.
Voil� Cloten enti�rement oubli�. Mes enfants, il �tait le fils d'une
reine, et s'il est venu en ennemi, souvenez-vous qu'il en a �t� puni.
Quoique le faible et le puissant pourrissent ensemble, et ne rendent que
la m�me poussi�re, cependant le respect, cet ange du monde, �tablit une
distance entre les grands et les petits. Notre ennemi �tait un prince.
Comme ennemi vous lui avez �t� la vie; mais vous devez l'ensevelir comme
il convient � un prince.

GUID�RIUS, _� B�larius_.--Je vous prie, allez chercher son corps. Le
corps de Thersite vaut celui d'Ajax, lorsque ni l'un ni l'autre ne sont
en vie.

ARVIRAGUS, _� B�larius_.--Si vous voulez l'aller chercher, pendant ce
temps-l� nous r�citerons notre hymne. Mon fr�re, commence. (B�larius
sort.)

GUID�RIUS.--Cadwal, il faut que nous placions sa t�te vers l'orient: mon
p�re a des raisons pour cela.

ARVIRAGUS.--Il est vrai.

GUID�RIUS.--Allons, viens, emportons-le.

ARVIRAGUS.--A pr�sent, commence.

                   CHANT FUN�BRE.

                     GUID�RIUS.

         Ne crains plus les ardeurs du soleil,
         Ni les outrages de l'hiver furieux;
         Tu as fini ta t�che dans la vie;
         Tu as re�u ton salaire et regagn� ta demeure.
         Les jeunes gar�ons et les jeunes filles v�tues d'or
         Doivent devenir poussi�re comme les ramoneurs.

                     ARVIRAGUS.

         Ne crains plus le courroux des grands;
         Tu es au del� de la port�e du trait des tyrans.
         Ne t'inqui�te plus de manger ni de te v�tir.
         Pour toi, le roseau est �gal au ch�ne,
         Et le sceptre, et la science, et la m�decine,
         Tout doit suivre et rentrer dans la poussi�re.

                     GUID�RIUS.

         Ne crains plus l'�blouissant �clair,

                     ARVIRAGUS.

         Ni le trait de la foudre redout�e.

                     GUID�RIUS.

         Ne crains plus la calomnie et la censure t�m�raire.

                     ARVIRAGUS.

         La joie et les larmes sont finies pour toi.

                    TOUS DEUX ENSEMBLE.

         Tous les jeunes amants, oui, tous les amants
    Subiront la m�me destin�e que toi, et rentreront dans la poussi�re.

                    GUID�RIUS.

         Que nul enchanteur ne te fasse de mal.

                    ARVIRAGUS.

         Que nul mal�fice ne t'approche dans ton asile.

                    GUID�RIUS.

         Que les fant�mes non ensevelis te respectent.

                    ARVIRAGUS.

         Que rien de funeste n'approche de toi.

                  TOUS LES DEUX.

         Go�te un paisible repos,
         Et que ta tombe soit renomm�e.

(B�larius revient, charg� du corps de Cloten.)

GUID�RIUS.--Nous avons fini les obs�ques de Fid�le: venez, d�posez-le.

B�LARIUS.--Voici quelques fleurs: vers minuit nous en apporterons
davantage; les herbes que baigne la froide ros�e de la nuit sont plus
propres � joncher les tombeaux.--Jetez ces fleurs sur leurs
visages.--Vous �tiez comme ces fleurs, vous qui �tes maintenant fl�tris:
elles vont se faner comme vous, ces fleurs que nous jetons sur vous.
Venez, allons-nous-en; mettons-nous � genoux � l'�cart.--La terre qui
les donna les a repris. Leurs plaisirs sont pass�s, et leurs peines
aussi.

(B�larius, Guid�rius et Arviragus sortent.)

IMOG�NE, _se r�veillant_.--Oui, mon ami, je vais au havre de Milford;
quel est le chemin?--Je vous remercie.--Par ce d�tour l�-bas?--Je vous
prie, y a-t-il loin encore?--Quoi! encore six milles! Que Dieu ait piti�
de moi!--J'ai march� toute la nuit.--Allons, je vais me reposer ici et
dormir. Mais doucement, point de compagnon de lit... (_Elle voit le
corps de Cloten_.) Dieux et d�esses! ces fleurs sont comme les plaisirs
du monde; ce cadavre sanglant est le souci qu'ils cachent. J'esp�re que
je r�ve. Oui, dans mon sommeil, je m'imaginais �tre la gardienne d'une
caverne, pour faire la cuisine � d'honn�tes cr�atures. Mais il n'en est
rien; ce n'�tait qu'une ombre, une vaine image form�e des vapeurs du
cerveau. Nos yeux quelquefois sont, comme notre jugement, bien
aveugles!--En v�rit�, je tremble toujours de peur; ah! s'il reste encore
dans le ciel une goutte de piti� aussi petite que la prunelle d'un
roitelet, redoutables dieux, une petite part pour moi!--Le songe est
encore l�; m�me � pr�sent que je me r�veille, il est autour de moi et
comme en moi.--Mais je n'imagine point, je sens. Un homme sans t�te! les
habits de Posthumus! Je reconnais la forme de sa jambe; c'est sa main,
son pied de Mercure, ses jarrets de Mars, ses muscles d'Hercule. Mais o�
est son visage de Jupiter?--Un meurtre dans le ciel!--Quoi! c'en est
donc fait!--Pisanio, que toutes les mal�dictions dont H�cube en d�lire
chargea les Grecs, et les miennes par-dessus le march�, fondent sur ta
t�te! C'est toi, oui, c'est toi, qui, avec Cloten, ce d�mon effr�n�, as
�gorg� ici mon �poux!--Qu'�crire et lire soient d�sormais une trahison!
Le maudit Pisanio avec ses lettres suppos�es,--le maudit Pisanio,--il a
abattu le haut du grand m�t de ce vaisseau le plus noble du monde! O
Posthumus! H�las! o� est ta t�te? o� est-elle? H�las! qu'est-ce donc?
Pisanio pouvait aussi bien te percer le coeur et te laisser la t�te.
Mais, Pisanio, comment as-tu pu?...--Ah! c'est lui avec Cloten. La
sc�l�ratesse et la cupidit� ont commis ce forfait... Oh! le crime est
�vident, �vident! Ce breuvage qu'il me donna, en me le vantant comme un
cordial salutaire, n'ai-je pas �prouv� qu'il est meurtrier pour les
sens? Cela confirme mes soup�ons; oui, c'est l'oeuvre de Pisanio et de
Cloten. Oh! laisse, laisse-moi rougir dans ton sang mon p�le visage,
afin que nous paraissions plus affreux � ceux qui pourront nous trouver.
O mon seigneur, mon seigneur!

(Elle retombe �vanouie � c�t� du corps.)

(Lucius s'avance, entour� d'officiers romains, un devin l'accompagne.)

UN CAPITAINE.--Oui, les l�gions cantonn�es dans les Gaules ont sur tes
ordres pass� la mer; elles t'attendent ici avec tes vaisseaux au havre
de Milford; elles sont ici pr�tes � agir.

LUCIUS.--Mais que mande-t-on de Rome?

L'OFFICIER.--Que le s�nat a enr�l� la noblesse d'Italie et des
fronti�res, volontaires courageux qui promettent de g�n�reux services;
ils viennent sous la conduite du vaillant Iachimo, le fr�re du prince de
Sienne.

LUCIUS.--Quand les attendez-vous?

L'OFFICIER.--Au premier vent favorable.

LUCIUS.--Cette ardeur nous promet de belles esp�rances; ordonnez la
revue des forces que nous avons ici, et chargez les officiers d'y
veiller.--Eh bien! seigneur, qu'avez-vous r�v� derni�rement sur
l'entreprise de cette guerre?

LE DEVIN.--La nuit derni�re, les dieux eux-m�mes m'ont envoy� une
vision; j'avais je�n� et pri� pour obtenir leurs lumi�res. J'ai vu
l'oiseau de Jupiter, l'aigle romaine, volant de l'orageux midi vers
cette partie de l'occident, se perdre dans les rayons du soleil; ce
songe, si mes p�ch�s ne troublent pas ma prescience, annonce le succ�s
de l'arm�e romaine.

LUCIUS.--Ayez souvent de pareils songes, et qu'ils ne soient jamais
trompeurs.--Arr�tez; ah! quel est ce tronc sans t�te? Les ruines
annoncent que l'�difice �tait beau nagu�re. Quoi! un page aussi, ou
mort, ou assoupi sur ce corps! Mais il est mort plut�t, car la nature a
horreur de partager la couche d'un d�funt et de dormir pr�s d'un mort.
Voyons le visage de ce jeune homme.

L'OFFICIER, _qui s'approche et le consid�re_.--Il est vivant, seigneur.

LUCIUS.--Il va donc nous �clairer sur ce cadavre.--Jeune homme,
instruis-nous de ton sort; il me semble qu'il est de nature � exciter la
curiosit�. Quel est ce corps dont tu fais ton oreiller sanglant? Qui est
celui qui, autrement que ne le voulait la noble nature, a d�figur� ce
bel ouvrage? Quel int�r�t as-tu dans ce triste d�sastre? Dis, comment
est-il arriv�,--qui est-ce? Toi-m�me, qui es-tu?

IMOG�NE.--Je ne suis rien,--ou du moins mieux vaudrait pour moi ne rien
�tre... Celui-ci �tait mon ma�tre, un digne et vaillant Breton, massacr�
ici par les montagnards. H�las! il n'y a plus de pareils ma�tres. Je
puis errer de l'orient au couchant, implorer du service, essayer de
plusieurs ma�tres, les trouver bons, les servir fid�lement, et n'en
retrouver jamais un pareil.

LUCIUS.--H�las! bon jeune homme, tes plaintes m'�meuvent autant que la
vue de ton ma�tre tout sanglant. Dis-moi son nom, mon ami.

IMOG�NE.--Richard du Champ. (_A part_.) Si je fais un mensonge, sans
qu'il nuise � personne; j'esp�re que les dieux qui m'entendent me le
pardonneront. (_A Lucius._) Vous demandez, seigneur...

LUCIUS.--Ton nom!

IMOG�NE.--Fid�le.

LUCIUS.--Tu prouves que tu m�rites ce nom qui s'accorde bien avec ta
fid�lit�, qui convient �galement � ton nom. Veux-tu courir ta chance
aupr�s de moi? je ne te dis pas que tu retrouves un aussi bon ma�tre,
mais sois s�r de n'�tre pas moins ch�ri. Des lettres de l'empereur,
qu'il m'enverrait par un consul, ne te recommanderaient pas mieux aupr�s
de moi que ton propre m�rite; viens avec moi.

IMOG�NE.--Je vous suivrai, seigneur. Mais auparavant, si les dieux le
permettent, je veux d�rober mon ma�tre aux mouches, et le cacher dans la
terre aussi avant que pourront creuser ces faibles instruments.
Laissez-moi couvrir son tombeau d'herbes et de feuilles sauvages,
prononcer sur lui pri�res sur pri�res, comme je pourrai les dire... et
les r�p�ter deux fois; laissez-moi g�mir et pleurer, et apr�s avoir
ainsi quitt� son service, je vous suivrai, si vous daignez vous charger
de moi.

LUCIUS.--Oui, bon jeune homme; et je serai plut�t ton p�re que ton
ma�tre.--Mes amis, cet enfant nous a enseign� les devoirs de l'homme.
Cherchons ici le gazon le plus beau et le plus �maill� de marguerites
que nous pourrons, et creusons un tombeau avec nos piques et nos
pertuisanes; allons, soulevez-le dans vos bras. Jeune homme, c'est toi
qui le recommandes � nos soins, il sera enterr� comme des soldats le
peuvent faire; console-toi, essuie tes pleurs. Il est des chutes qui
nous servent � relever plus heureux.

(Ils sortent; Imog�ne les suit tristement.)


SC�NE IV

Appartement dans le palais de Cymbeline.

CYMBELINE, SEIGNEURS et PISANIO.


CYMBELINE.--Retournez, et revenez m'informer de l'�tat de la reine. Une
fi�vre allum�e par l'absence de son fils, un d�lire qui met sa vie en
danger! Ciel, comme tu me frappes cruellement d'un seul coup! Imog�ne,
ma plus grande consolation, est partie; la reine est dans son lit, dans
un �tat d�sesp�r�, et cela au moment o� des guerres redoutables me
menacent! Son fils, qui me serait � pr�sent si n�cessaire, parti aussi!
Tant de coups m'accablent, et me laissent sans espoir... (_A Pisanio_)
Mais toi, mis�rable, qui dois �tre instruit de l'�vasion de ma fille, et
qui feins l'ignorance, nous t'arracherons ton secret par de cruelles
tortures.

PISANIO.--Seigneur, ma vie est � vous, je l'abandonne humblement � votre
bon plaisir: mais, pour ma ma�tresse, je ne sais rien du lieu qu'elle
habite, ni pourquoi elle est partie, ni quand elle se propose de
revenir. Je conjure Votre Majest� de me tenir pour son loyal serviteur.

PREMIER SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, le jour m�me qu'elle disparut, cet
homme �tait ici: j'ose r�pondre qu'il dit vrai, et qu'il s'acquittera
fid�lement de tous les devoirs de l'ob�issance. Pour Cloten, on ne
manque point d'activit� dans sa recherche, et sans doute on parviendra �
le d�couvrir.

CYMBELINE.--Le moment est difficile, je veux bien te laisser en paix
pour un temps, mais mes soup�ons subsistent.

PREMIER SEIGNEUR.--Sous le bon plaisir de Votre Majest�, les l�gions
romaines, toutes tir�es des Gaules, ont abord� sur vos c�tes avec un
renfort de nobles Romains envoy�s par le s�nat.

CYMBELINE.--Que j'aurais besoin maintenant des conseils de mon fils et
de la reine! Je suis accabl� par les affaires.

PREMIER SEIGNEUR.--Mon bon seigneur, les forces que vous avez sur pied
sont en �tat de faire t�te � toutes celles dont je vous parle: s'il en
vient davantage, vous �tes pr�t � leur r�sister; il ne reste plus qu'�
mettre en mouvement toutes ces forces, qui br�lent du d�sir de marcher.

CYMBELINE.--Je vous remercie... Rentrons, et faisons face aux
circonstances qui se pr�sentent. Je ne crains point les coups de
l'Italie; mais je d�plore les malheurs arriv�s ici.--Retirons-nous.

(Ils sortent.)

PISANIO, _seul_.--Point de lettre de mon ma�tre depuis que je lui ai
mand� qu'Imog�ne avait �t� immol�e; c'est �trange: aucunes nouvelles de
ma ma�tresse qui m'avait promis de m'en donner souvent; je ne sais pas
davantage ce qu'est devenu Cloten: une perplexit� g�n�rale m'environne.
Cependant le ciel agira. L� o� je suis perfide, c'est par honn�tet�; je
suis fid�le en n'�tant pas fid�le; la guerre pr�sente fera voir aux yeux
du roi m�me que j'aime mon pays, ou bien j'y p�rirai. Laissons au temps
le soin d'�claircir tous les autres doutes. La fortune conduit au port
certains vaisseaux qui n'ont pas de pilote.

(Il sort.)


SC�NE V

Devant la caverne.

B�LARIUS, GUID�RIUS et ARVIRAGUS _paraissent_.


GUID�RIUS.--Le bruit retentit autour de nous.

B�LARIUS.--Fuyons-le.

ARVIRAGUS.--Quel plaisir, seigneur, trouvons-nous dans la vie, pour
l'enfermer loin de l'action et des aventures?

GUID�RIUS.--Oui, et d'ailleurs quel est notre espoir en nous cachant? Si
nous prenons ce parti, les Romains doivent ou nous tuer comme Bretons,
ou nous adopter d'abord comme d'ingrats et l�ches d�serteurs tout le
temps qu'ils auront besoin de nous, et nous �gorger apr�s.

B�LARIUS.--Mes fils, nous monterons plus haut sur les montagnes, et l�
nous serons en s�ret�. Le parti du roi nous est interdit. La mort trop
r�cente de Cloten, la nouveaut� de nos visages inconnus qui n'auraient
point paru dans la revue des troupes, pourraient nous obliger � rendre
compte du lieu o� nous avons v�cu; on nous arracherait l'aveu de ce que
nous avons fait, et on y r�pondrait par une mort prolong�e par la
torture.

GUID�RIUS.--Ce sont l� des craintes, seigneur, qui, dans un temps comme
celui-ci, ne sont pas dignes de vous, et qui ne nous satisfont pas.

ARVIRAGUS.--Est-il vraisemblable que les Bretons, lorsqu'ils entendront
le hennissement des chevaux romains, qu'ils verront de si pr�s les feux
de leur camp, les yeux et les oreilles occup�s de soins aussi
importants, aillent perdre le temps � nous examiner, pour savoir d'o�
nous venons?

B�LARIUS.--Oh! je suis connu de bien des gens dans l'arm�e. Tant
d'ann�es �coul�es depuis que je n'avais vu Cloten, si jeune alors, n'ont
pas, vous le voyez, effac� ses traits de ma m�moire.--Et d'ailleurs le
roi n'a pas m�rit� mon service ni votre amour. Mon exil vous a priv�s
d'�ducation, vous a condamn�s � cette vie dure sans nul espoir de jouir
des douceurs promises par votre berceau, esclaves d�vou�s au h�le
br�lant des �t�s, et � l'�pre froidure des hivers.

GUID�RIUS.--Plut�t cesser de vivre que de vivre ainsi: de gr�ce,
seigneur, allons � l'arm�e: mon fr�re et moi, nous ne sommes pas connus.
Et vous, qui maintenant �tes si loin de la pens�e des hommes, et si
chang� par l'�ge, il est impossible qu'on vous soup�onne.

ARVIRAGUS.--Par ce soleil qui brille, j'y vais. Quelle honte pour moi de
n'avoir jamais vu d'homme mourir! A peine ai-je vu d'autre sang couler
que celui des biches timides, ou des daims, ou des ch�vres effr�n�es;
jamais je n'ai mont� de cheval, qu'un seul, qui n'avait point de fer
sous ses pieds, et qui ne connut de cavalier que moi, sans aiguillon
pour presser ses flancs. J'ai honte de regarder ce soleil auguste, et de
jouir du bienfait de ses rayons en restant si longtemps un malheureux
ignor�.

GUID�RIUS.--Par le ciel, j'y vais aussi. Seigneur, si vous voulez me
b�nir et me permettre de vous quitter, je prendrai plus de soin de ma
vie; si vous n'y consentez pas, alors que l'�p�e des Romains fasse
tomber sur ma t�te le sort qui m'est d�!

ARVIRAGUS.--Je dis de m�me, amen!

B�LARIUS.--Puisque vous faites si peu de cas de vos jours, moi, je n'ai
point de raison de r�server pour d'autres soucis une vie d�j� sur le
d�clin. Jeunes gens, pr�parez-vous. Si votre destin�e est de mourir dans
les guerres de votre patrie, mes enfants, mon lit y est aussi, et je
m'�tendrai l�. Marchez devant, marchez devant: le temps me para�t long.
(_A part_.) Leur sang indign� br�le de se r�pandre, et de montrer qu'ils
sont n�s princes.

(Ils sortent.)

FIN DU QUATRI�ME ACTE.




                              ACTE CINQUI�ME


SC�NE I

Une grande plaine qui s�pare le camp des Romains du camp des Bretons.

POSTHUMUS _entre, un mouchoir sanglant � la main_.


POSTHUMUS.--Oui, tissu sanglant, je te conserverai; car c'est moi qui ai
souhait� de te voir teint de cette couleur. Vous, �poux, si vous suiviez
tous mon exemple, combien �gorgeraient, pour une petite d�viation du bon
chemin, des femmes qui valent bien mieux qu'eux? Oh! Pisanio! un bon
serviteur n'ex�cute pas tous les ordres de son ma�tre: il n'est oblig�
d'ob�ir qu'� ceux qui sont justes.--Dieux! si vous m'aviez puni de mes
fautes, je n'aurais pas v�cu pour commander ce crime. Vous eussiez alors
conserv� la noble Imog�ne pour qu'elle p�t se repentir, et vous m'auriez
frapp�, moi, malheureux, bien plus digne qu'elle de votre vengeance.
Mais, h�las! il est des �tres que vous enlevez d'ici pour de l�g�res
faiblesses; c'est par amour et pour leur �viter de nouvelles chutes,
tandis que vous permettez � d'autres d'entasser crime sur crime,
toujours de plus en plus noirs, et vous les rendez ensuite odieux �
eux-m�mes, pour le bien de leurs �mes. Mais Imog�ne est � vous.
Accomplissez vos d�crets, et accordez-moi le bonheur de m'y
soumettre.--Je suis entra�n� dans ce camp au milieu de la noblesse
italienne, pour combattre contre le royaume de ma princesse. Bretagne,
j'ai tu� ta ma�tresse, je ne te porterai pas d'autres coups. �coutez
donc avec patience, bons dieux, mon dessein. Je veux me d�pouiller de
ces habits italiens, et me v�tir comme un paysan anglais: c'est ainsi
que je vais combattre contre le parti avec lequel je suis venu. Ainsi je
veux mourir pour toi, Imog�ne, pour toi dont le souvenir, chaque fois
que je respire, me rend la vie une mort: ainsi, inconnu, objet de piti�
plut�t que de haine, j'affronterai les dangers en face. Je veux montrer
aux hommes plus de valeur que mes habits n'en promettront. Dieux!
rassemblez en moi toute la force des L�onati pour faire honte aux usages
du monde, je veux �tre le premier � mettre � la mode plus de m�rite �
l'int�rieur et moins � l'ext�rieur; je veux �tre le premier � �tre plus
grand par mon courage que par mes v�tements.

(Il sort.)


SC�NE II

M�me lieu.

LUCIUS et IACHIMO, _d'un c�t�, s'avancent � la t�te de l'arm�e romaine;
l'arm�e anglaise se pr�sente de l'autre pour leur disputer le passage_.
POSTHUMUS _para�t le dernier, � la suite des Bretons, v�tu comme un
pauvre soldat_.


(Fanfares guerri�res. Les deux arm�es d�filent et s'�loignent. Une
escarmouche s'engage. Iachimo et Posthumus reparaissent: celui-ci est
vainqueur; il d�sarme Iachimo et le laisse.)

IACHIMO.--Le poids du crime qui p�se sur ma conscience m'�te le courage.
J'ai calomni� une dame, la princesse de ce pays; l'air que j'y respire
la venge en m'�tant les forces: autrement ce vil serf, le rebut de la
nature, m'aurait-il vaincu dans mon propre m�tier? Les honneurs et la
chevalerie, quand on les porte comme moi, ne sont plus que des titres
d'infamie. Bretagne, si tes nobles l'emportent autant sur ce vilain que
lui remporte sur nos grands seigneurs, voici quelle est la diff�rence: �
peine sommes-nous des hommes, et vous �tes des dieux.

(Il s'�loigne. La bataille continue, les Bretons fuient, Cymbeline est
pris; alors B�larius, Guid�rius, Arviragus accourent pour le d�livrer.)

B�LARIUS, _� haute voix_.--Halte! halte! Nous avons l'avantage du
terrain... Le d�fil� est gard�: qui nous force � fuir, l�che peur?

GUID�RIUS, ARVIRAGUS, _ensemble_.--Halte! halte! et combattons.

(Posthumus repara�t et seconde les Anglais; ils d�livrent Cymbeline et
l'emm�nent.)

(Rentre Lucius; Imog�ne et Iachimo le suivent.)

LUCIUS, _� Imog�ne_.--Fuis, jeune homme, quitte le champ de bataille, et
sauve-toi. Les amis tuent les amis: et le d�sordre est tel, que la
guerre semble avoir un bandeau sur les yeux.

IACHIMO.--C'est un renfort de troupes fra�ches.

LUCIUS.--Cette journ�e a �trangement chang� de face: h�tons-nous
d'amener du secours, ou c�dons.

(Ils sortent.)


SC�NE III

Un autre c�t� du champ de bataille.

POSTHUMUS _entre avec_ UN SEIGNEUR _anglais_.


LE SEIGNEUR.--Venez-vous de l'endroit o� l'on a tenu ferme?

POSTHUMUS.--Oui, j'en viens; mais, vous, � ce qu'il me semble, vous
�tiez au nombre des fuyards.

LE SEIGNEUR.--Il est vrai.

POSTHUMUS.--On ne peut vous bl�mer, seigneur; car tout �tait perdu si le
ciel n'e�t combattu pour nous. Le roi lui-m�me abandonn� de ses deux
ailes, l'arm�e rompue, et ne montrant plus de toutes parts que le dos
des Bretons, tous fuyant par un �troit d�fil�; l'ennemi fier de sa
victoire, tirant la langue tant il �tait las de carnage, avait plus
d'ouvrage � faire que de bras pour l'accomplir; il frappait les uns �
mort, blessait l�g�rement les autres; le reste tombait uniquement de
peur, en sorte que ce passage �troit a �t� bient�t combl� de morts, tous
frapp�s par derri�re; ou de l�ches qui cherchaient encore � prolonger
leur honte avec la vie.

LE SEIGNEUR.--O� �tait ce d�fil�?

POSTHUMUS.--Tout pr�s du champ de bataille, creus� et bord� de murailles
de gazon; avantages dont a profit� un vieux soldat, un brave homme, j'en
r�ponds, et qui, en rendant ce service � son pays, a bien m�rit� les
longues ann�es qu'annonce sa barbe blanche. Suivi de deux jeunes gens,
plus faits en apparence pour des danses rustiques que pour un pareil
carnage, avec des visages qu'on e�t dit conserv�s sous le masque, bien
plus frais que ceux que la pudeur ou la crainte du h�le tient couverts,
il prot�ge le passage en criant aux fuyards: �Les cerfs de notre
Bretagne meurent en fuyant, et non pas nos hommes; tombez dans les
t�n�bres, l�ches qui reculez... Arr�tez..., ou nous serons pour vous des
Romains qui vous donneront le tr�pas des b�tes fauves, que vous fuyez
comme elles: vous �tes sauv�s si vous voulez seulement vous retourner et
regarder en face l'ennemi. Arr�tez, arr�tez.� Ces trois hommes, aussi
fermes que trois mille;--(ils les valaient en action, car trois
combattants de front valent une arm�e, dans un d�fil� qui emp�che les
autres d'agir), avec ce seul mot: _Arr�tez, arr�tez_; second�s par
l'avantage du lieu, plus encore par le charme de leur noble courage, qui
�tait capable de changer les fuseaux en lances, ils ont ramen� la
couleur sur tous ces p�les visages. Les uns ranim�s par la honte, les
autres par le courage, et ceux que l'exemple seul avait chang�s en
l�ches (oh! c'est � la guerre le crime irr�missible chez les premiers
qui commencent), tous se mettent � mesurer des yeux l'espace qu'ils ont
parcouru, et � rugir comme des lions sous les piques des chasseurs. De
ce moment le vainqueur cesse de poursuivre, et se retire; bient�t apr�s
il est en d�route, et soudain une �paisse confusion. Alors les Romains
fuient comme des poulets, par le m�me chemin o� ils fondaient d'abord
comme des aigles sur leur proie. Ils repassent en esclaves sur les pas
qu'ils avaient faits en vainqueurs. En ce moment nos l�ches nous
servent, comme servent au voyageur les restes de ses provisions � la fin
d'un long voyage. Trouvant ouverte la porte de derri�re des coeurs sans
d�fense, � ciel! comme ils blessent encore des hommes d�j� morts, ou
ach�vent les mourants! Quelques-uns m�me tuent leurs amis entra�n�s dans
le premier flot des fugitifs; de dix hommes qu'auparavant un seul Romain
faisait fuir, chacun maintenant immole vingt Romains; et ceux qu'on
aurait vus le moment d'auparavant mourir sans r�sistance sont devenus
tout � coup la terreur du champ de bataille.

LE SEIGNEUR.--C'est un �trange hasard. Un �troit d�fil�! Un vieillard et
deux enfants!

POSTHUMUS.--Ne vous en �tonnez pas, vous... vous �tes fait pour vous
�tonner des actions que vous apprenez, bien plus que pour en faire;
voulez-vous rimer l�-dessus et en faire une plaisanterie, voil� des
rimes:

    Deux enfants, un vieillard quasiment en enfance,
    Dans un chemin �troit sauv�rent les Anglais.
    De l'insolent Romain, abattant la puissance...

LE SEIGNEUR.--Oh! ne vous f�chez pas, l'ami.

POSTHUMUS.--Que voulez-vous dire?

    Vous n'osez pas braver votre ennemi,
    Et vous voulez de moi faire un ami?

Allons, je sais bien que si vous suivez votre penchant, vous fuirez
bient�t aussi mon amiti�. Vous m'avez mis en train de rimer.

LE SEIGNEUR.--Vous �tes en col�re, adieu.

(Il sort.)

POSTHUMUS.--Et le voil� encore en course!--Est-ce l� un noble? Oh! noble
l�chet�! �tre sur le champ de bataille et me demander, � moi des
nouvelles! Combien de ces grands auraient aujourd'hui donn� leurs titres
pour sauver leurs carcasses! Combien ont confi� leur salut � leurs
talons, qui pourtant sont morts! Et moi, pr�serv� par mes maux comme par
un charme[20], je n'ai pu trouver la mort o� je l'entendais g�mir, ni la
sentir l� ou elle frappait. Il est bien �trange que ce monstre horrible
se cache dans les coupes fra�ches, dans les lits de duvet, dans les
douces paroles, et qu'il y trouve plus de ministres que parmi nous qui
tenons ses poignards � la guerre! Eh bien! je saurai la rencontrer;
maintenant, je ne suis plus Anglais, je redeviens un ami des Romains et
me range du parti que j'avais suivi d'abord. Je ne veux plus combattre,
je me livre au premier l�che qui osera me toucher l'�paule.--Le carnage
qu'ont fait ici les Romains a �t� grand: la vengeance des Bretons doit
l'�tre aussi. Pour moi, ma vie est ma ran�on; je suis venu l'offrir �
l'un et l'autre parti. Je ne peux plus ni la garder ni la porter plus
longtemps: je veux la finir par quelque moyen que ce soit, et mourir
pour Imog�ne.

[Note 20: Allusions aux charmes qui rendaient invuln�rables dans les
combats.]

(Deux officiers bretons paraissent avec des soldats.)

PREMIER OFFICIER.--Le grand Jupiter soit lou�! Lucius est pris. On croit
que ce vieillard et ses deux enfants �taient des anges.

SECOND OFFICIER.--Il y en avait un quatri�me qui, sous un habit
grossier, a regard� avec eux l'ennemi en face.

PREMIER OFFICIER.--C'est ce qu'on dit, et l'on ne peut d�couvrir aucun
d'eux.--Arr�tez: qui va l�?

POSTHUMUS.--Un Romain... qu'on ne verrait point languissant ici, si
d'autres l'avaient second�.

SECOND OFFICIER.--Saisissez-le; c'est un chien! Il ne retournera pas une
seule de leurs jambes � Rome pour dire quels corbeaux les ont
becquet�es.--Il se vante de son service, comme s'il �tait un personnage
de marque; qu'on le m�ne devant le roi.

(Cymbeline s'avance, suivi de B�larius, Guid�rius, Arviragus, Pisanio.
Des soldats conduisent des prisonniers romains. Les deux officiers
pr�sentent Posthumus � Cymbeline qui, d'un signe, donne ordre de le
remettre � des ge�liers, et sort ainsi que tous les autres[21].)

[Note 21: C'est le seul exemple de sc�ne muette qu'on trouve dans
Shakspeare; peut-�tre n'est-ce ici qu'une tradition d'acteurs.]


SC�NE IV

L'int�rieur d'une prison.

POSTHUMUS _entre deux_ GEOLIERS _qui_ _le conduisent_.


PREMIER GEOLIER.--On ne vous volera pas maintenant, car vous avez sur
vous des cadenas; ainsi, paissez, selon que vous trouverez ici p�ture.

SECOND GEOLIER.--Oui, ou de l'app�tit.

(Ils sortent.)

POSTHUMUS.--Captivit�, tu es la bienvenue! car tu es, je l'esp�re, le
chemin de la libert�... Je suis m�me plus heureux que celui qui a la
goutte, puisqu'il aimerait mieux g�mir �ternellement que d'�tre gu�ri
par la mort, le m�decin infaillible! c'est elle qui est la clef qui doit
m'ouvrir ces serrures... Oh! ma conscience! tu portes des fers plus
pesants que ceux de mes jambes et de mes bras. Vous, dieux pleins de
bont�, accordez-moi le repentir, instrument qui pourrait ouvrir ces
verrous, et alors je suis libre � jamais.--Mais suffit-il d'�tre
repentant? C'est ainsi que les enfants apaisent leurs p�res terrestres,
et les dieux ont plus de cl�mence que les hommes. Pour me repentir, je
ne puis �tre mieux qu'ici dans ces fers que j'ai d�sir�s plut�t que
subis par force.--Pour acquitter ma dette, je me d�pouille de ma
libert�; c'est mon plus grand bien; n'exigez pas de moi au del� de ce
que je poss�de. Je sais que vous �tes plus pitoyables que les mis�rables
hommes, qui souvent ne prennent � leurs d�biteurs ob�r�s qu'un tiers de
leur bien, un sixi�me ou un dixi�me, et les laissent prosp�rer de
nouveau avec la part dont ils leur font remise: ce n'est pas l� mon
d�sir. Pour la vie de ma ch�re Imog�ne, prenez la mienne. Elle n'est pas
aussi pr�cieuse, mais c'est toujours une vie qui porte votre sceau. Les
hommes entre eux ne p�sent pas chaque pi�ce de monnaie. Si les miennes
sont l�g�res de poids, acceptez-les pour l'empreinte, vous surtout � qui
elles appartiennent. Ainsi, puissances c�lestes, si vous l'agr�ez,
prenez ma vie; annulez ma dette. O Imog�ne! je veux te parler dans le
silence.

(Il s'endort.)

(Une musique se fait entendre. Songe visible de Posthumus[22]. Sicilius
L�onatus, p�re de Posthumus, appara�t sous la forme d'un vieillard, v�tu
en guerrier. Il tient par la main une matrone �g�e, son �pouse, m�re de
Posthumus. La musique reprend; alors paraissent les deux L�onati, fr�res
de Posthumus, portant les blessures dont ils p�rirent � la guerre; ils
font cercle autour de Posthumus endormi.)

[Note 22: La vision et la proph�tie sont regard�es universellement
comme une addition �trang�re.]

SICILIUS.--Cesse, ma�tre du tonnerre, de faire �clater ton courroux sur
les insectes mortels.

Querelle Mars ou r�primande Junon, qui compte tes adult�res et s'en
venge.

Mon malheureux fils n'a-t-il pas toujours fait le bien, lui dont je n'ai
jamais vu le visage?

Je quittai la vie lorsqu'il reposait dans le sein de sa m�re, attendant
le terme de la nature.

Jupiter, si tu es, comme le disent les hommes, le p�re des orphelins, tu
aurais bien d� �tre le sien, et le d�fendre contre les maux qui
affligent ta terre.

LA M�RE.--Lucine ne m'a point pr�t� son secours: elle m'a enlev�e au
milieu de mes douleurs, et Posthumus, arrach� de mes entrailles, est
venu en pleurant au milieu de ses ennemis. Objet digne de piti�!

SICILIUS.--La puissante nature l'a si bien form� sur le beau mod�le de
ses anc�tres que, digne h�ritier du fameux Sicilius, il a m�rit� les
louanges de l'univers.

UN FR�RE.--Quand il eut atteint sa maturit�, quel autre, dans la
Bretagne, e�t pu soutenir le parall�le avec lui, et quel autre e�t pu se
montrer son rival aux yeux d'Imog�ne, qui savait, mieux que personne,
appr�cier son m�rite?

LA M�RE.--Pourquoi le sort s'est-il jou� de lui, en le mariant, pour
l'exiler, le pr�cipiter du si�ge des L�onatis, et l'arracher des bras de
sa ch�re �pouse, de la douce Imog�ne?

SICILIUS.--Pourquoi as-tu souffert qu'un Iachimo, un mis�rable d'Italie
infect�t sa t�te et son noble coeur d'une jalousie sans fondement, et
que mon fils dev�nt le jouet des m�pris de ce sc�l�rat?

SECOND FR�RE.--C'est pour cela que nous avons quitt� nos paisibles
demeures, nos parents et nous, qui, en combattant pour notre patrie,
avons p�ri en braves pour soutenir avec honneur notre fid�lit� et les
droits de T�nantius.

PREMIER FR�RE.--Posthumus a montr� la m�me bravoure pour Cymbeline.
Jupiter, roi des dieux, pourquoi donc as-tu voulu que les r�compenses
qui �taient dues � ses services se changeassent toutes en douleurs?

SICILIUS.--Ouvre tes fen�tres de cristal, jette un regard sur nous,
cesse d'exercer ton injuste pouvoir sur une vaillante race.

LA M�RE.--Jupiter, puisque notre fils est vertueux, mets un terme � ses
infortunes.

SICILIUS.--Du haut de ton palais de marbre, regarde, aide-nous, ou nous,
pauvres ombres, nous en appellerons au conseil �clatant des autres dieux
contre ta divinit�.

SECOND FR�RE.--Secours-nous, Jupiter, ou nous appellerons de tes
d�crets, et nous nous soustrairons � ta justice.

(Tout � coup, au milieu du tonnerre et des �clairs, Jupiter descend
assis sur son aigle et lan�ant la foudre. Les ombres tombent � genoux.)

JUPITER.--Faibles esprits des r�gions souterraines, cessez d'offenser
nos oreilles de vos plaintes: silence! Quoi, fant�mes, vous osez accuser
le dieu du tonnerre, dont la foudre lanc�e des cieux soumet, vous le
savez, la terre r�volt�e? Pauvres ombres de l'�lys�e, quittez ces lieux
et retournez go�ter le repos sur vos lits de fleurs qui ne se
fl�trissent jamais, ne vous affligez point des maux qui arrivent aux
mortels: ce soin ne vous regarde pas, il nous appartient, vous le savez.
J'afflige l'homme que je ch�ris le plus, je diff�re mes bienfaits pour
les rendre plus pr�cieux � ses yeux. Soyez tranquilles, notre divine
puissance rel�vera votre fils abattu, ses joies vont grandir, ses
�preuves sont finies.

Notre �toile souveraine a pr�sid� � sa naissance, et c'est dans notre
temple qu'il s'est mari�; levez-vous et �vanouissez-vous. Il sera
l'�poux de la princesse Imog�ne; et ses infortunes augmenteront son
bonheur. (_Il fait un signe de t�te et laisse tomber une tablette
d'or_.) Placez sur son sein ces tablettes o� sont renferm�s nos d�crets
et ses destins.

Disparaissez. Cessez les clameurs de votre impatience, si vous ne voulez
irriter la mienne.--Aigle, remonte dans mon palais de cristal.

(Jupiter remonte dans les cieux.)

SICILIUS.--Il est descendu avec son tonnerre: son haleine c�leste
exhalait une odeur sulfureuse. L'aigle sacr� s'abaissait, comme s'il
voulait se poser sur nous. L'ascension du dieu remplissait l'air d'un
parfum plus doux que celui de nos plaines bienheureuses. Son royal
oiseau agitait son aile immortelle et fermait son bec, signe que son
dieu �tait satisfait.

TOUS ENSEMBLE.--Nous te rendons gr�ce, � Jupiter.

SICILIUS.--Le palais de marbre se ferme: il est entr� sous ses vo�tes
radieuses; retirons-nous, et, pour �tre heureux, ex�cutons avec soin ses
ordres augustes.

(Posthumus s'�veille.--La vision s'�vanouit.)

POSTHUMUS.--Sommeil, tu as �t� un grand-p�re pour moi, tu m'as engendr�
un p�re, tu m'as cr�� une m�re et deux fr�res. Mais, � vains prestiges,
ils sont partis! Ils sont �vanouis aussit�t apr�s leur naissance, et
voil� que je me r�veille.--Les pauvres infortun�s qui s'appuient sur la
faveur des grands r�vent comme j'ai fait: ils s'�veillent et ne trouvent
rien.--Mais, h�las! je m'�gare: il en est qui, sans r�ver � la fortune
et sans la m�riter, se voient pourtant accabl�s de ses faveurs: c'est ce
qui m'arrive, � moi; je me vois favoris� de ce songe dor� sans savoir
pourquoi. Quels g�nies hantent ces lieux?--Un livre, et d'un prix rare!
(_Il s'en saisit_.) Ah! ne sois pas, comme dans notre monde capricieux,
un v�tement plus riche que ce qu'il couvre. Ne ressemble pas � nos
courtisans et tiens tes promesses. (_Il l'ouvre et lit_.) �Quand un
lionceau, � lui-m�me inconnu, trouvera, sans la chercher, une cr�ature
l�g�re comme l'air et sera re�u dans ses bras; lorsque les rameaux d'un
c�dre auguste, coup�s et morts pendant plusieurs ann�es, rena�tront pour
se r�unir au vieux tronc, et pousseront avec vigueur, alors Posthumus
trouvera la fin de sa mis�re, et la Bretagne heureuse fleurira dans la
paix et l'abondance.�

C'est encore un r�ve ou de ces paroles vaines que prononce la langue de
la folie, sans que le cerveau y ait part: c'est l'un ou l'autre, ou ce
n'est rien. Des mots vides de sens, et que la raison ne peut
deviner.--C'est � quoi ressemble le mouvement de ma vie; conservons ce
livre, ne f�t-ce que par sympathie.

(Le ge�lier entre.)

LE GEOLIER.--Allons, prisonnier, �tes-vous pr�t � mourir?

POSTHUMUS.--Trop cuit, plut�t. Il y a longtemps que je suis pr�t.

LE GEOLIER.--Un gibet est le mot, mon cher: si vous �tes pr�t pour cela,
vous �tes cuit � point.

POSTHUMUS.--Si je puis �tre un bon repas pour les spectateurs, le plat
aura pay� le coup.

LE GEOLIER.--C'est l� un compte qui vous co�te cher, l'ami; mais il y a
une consolation, c'est que vous n'aurez plus de dettes � payer, plus
d'�cots de taverne, et ces lieux, s'ils servent d'abord � vous mettre en
joie, vous attristent souvent au d�part; vous y entrez faible de besoin,
vous en sortez chancelant d'avoir trop bu; vous �tes f�ch� d'avoir trop
pay�, et f�ch� d'avoir trop re�u; la bourse et le cerveau sont tous deux
vides; le cerveau trop pesant � force d'�tre l�ger, et la bourse trop
l�g�re parce qu'on l'a soulag�e de son poids. Oh! vous allez �tre
d�livr� de toutes ces contradictions. La charit� d'une corde de deux
sous vous acquitte mille dettes en un tour de main. Vous n'aurez plus
d'autre livre de compte: c'est une d�charge du pass�, du pr�sent et de
l'avenir, votre t�te servira de plume, de registre et de jetons, et
votre quittance est au bout.

POSTHUMUS.--Je suis plus joyeux de mourir que tu ne l'es de vivre.

LE GEOLIER.--En effet, seigneur, celui qui dort ne sent pas le mal de
dents; mais un homme qui doit dormir de votre sommeil changerait
volontiers de place, j'imagine, avec le bourreau charg� de le mettre au
lit; il changerait m�me de place avec son valet. Car, voyez-vous, mon
cher, vous ne savez pas le chemin que vous allez prendre.

POSTHUMUS.--Je le sais, oui, je le sais, l'ami.

LE GEOLIER.--Votre mort a donc des yeux dans la t�te? je n'en ai jamais
vu dans son portrait. Ou quelqu'un qui pr�tend savoir le chemin doit se
charger de vous conduire, ou vous vous vantez de conna�tre une route
que, j'en suis s�r, vous ignorez; ou bien, vous vous hasardez �
l'aventure, � vos risques et p�rils; et ce que vous aurez mis de temps �
arriver au terme de votre voyage, je pense bien que vous ne reviendrez
pas le dire.

POSTHUMUS.--Je te dis, mon gar�on, que pour se guider dans la route que
je vais faire, personne ne manque d'yeux que ceux qui les ferment et
refusent de s'en servir.

LE GEOLIER.--Quelle plaisanterie! qu'un homme ait l'usage de ses yeux
pour voir un chemin qui les aveugle! car je suis s�r que le gibet m�ne
droit � les fermer.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER, _au ge�lier_.--Ote-lui ces fers: conduis ton prisonnier
devant le roi.

POSTHUMUS.--Tu m'apportes d'heureuses nouvelles: tu m'appelles � la
libert�.

LE GEOLIER.--Je serai donc pendu, moi?

POSTHUMUS.--Tu seras plus libre alors que ne l'est un ge�lier: il n'est
point de fers pour les morts.

(Posthumus et le messager sortent.)

LE GEOLIER.--A moins de trouver un homme qui veuille �pouser une potence
et engendrer des petits gibets, je n'ai jamais vu un prisonnier avoir
plus de penchant pour elle. Cependant, sur mon honneur, j'en ai vu de
plus sc�l�rats qui tenaient fort � la vie, tout Romain qu'il est; mais
il y en a bien aussi quelques-uns d'eux qui meurent malgr� eux; j'en
ferais bien de m�me, si j'�tais Romain. Je voudrais que nous n'eussions
tous qu'une m�me id�e, et une bonne id�e. Oh! ce serait la d�solation
des ge�liers et des gibets: je parle l� contre mon int�r�t pr�sent; mais
mon souhait comporte aussi mon avantage.


SC�NE V

La tente de Cymbeline.

CYMBELINE, B�LARIUS, GUID�RIUS, ARVIRAGUS, PISANIO, SEIGNEURS _anglais_,
OFFICIERS et SERVITEURS.


CYMBELINE.--Restez � mes c�t�s, vous que les dieux ont fait les sauveurs
de mon tr�ne. Mon coeur est afflig� que ce soldat obscur, qui a si
noblement combattu, ne se trouve point, lui dont les haillons faisaient
honte aux armures dor�es, et dont la poitrine nue s'avan�ait au del� des
boucliers imp�n�trables; il sera heureux celui qui pourra le d�couvrir,
si son bonheur d�pend de nos bienfaits.

B�LARIUS.--Jamais je n'ai vu si noble audace dans un homme si pauvre,
tant d'illustres exploits accomplis par quelqu'un dont on n'aurait
attendu, � le voir, que l'air mis�rable et la mendicit�.

CYMBELINE.--Et l'on n'a de lui aucunes nouvelles?

PISANIO.--On l'a cherch� parmi les morts et parmi les vivants, sans
trouver de lui aucune trace.

CYMBELINE.--A mon grand chagrin, je reste donc l'h�ritier de sa
r�compense. (_A B�larius, Arviragus et Guid�rius_.) Je veux l'ajouter �
la v�tre, vous l'�me, le coeur, la t�te de la Bretagne; vous, par qui,
je l'avoue, elle vit encore. Voici maintenant le moment de vous demander
qui vous �tes; d�clarez-le.

B�LARIUS.--Seigneur, nous sommes n�s dans la Cambrie, et nous sommes
gentilshommes. Nous vanter d'autre chose, ce serait n'�tre ni vrai ni
modeste, � moins que je n'ajoute encore que nous sommes gens d'honneur.

CYMBELINE.--Fl�chissez le genou. Relevez-vous, mes chevaliers de la
bataille; je vous nomme les compagnons de notre personne, et je vous
rev�tirai des dignit�s qui conviennent � votre rang. (_Entrent Corn�lius
et les dames de la reine_.) Ces visages nous annoncent quelque
chose.--Pourquoi saluez-vous notre victoire d'un air si triste? A vous
voir, on vous prendrait pour des Romains, et non pour �tre de la cour de
Bretagne.

CORN�LIUS.--Salut, grand roi! je suis forc� d'empoisonner votre bonheur:
il faut vous apprendre que la reine est morte.

CYMBELINE.--A qui ce message conviendrait-il moins qu'� un m�decin? Mais
je r�fl�chis que si la m�decine peut prolonger la vie, la mort saisira
pourtant un jour le m�decin. Comment a-t-elle fini?

CORN�LIUS.--Dans les horreurs; elle est morte dans la rage comme elle a
v�cu. Cruelle au monde, elle a fini par �tre cruelle � elle-m�me. Les
aveux qu'elle a faits, je vous les rapporterai si vous le voulez; voil�
ses femmes, elles peuvent me d�mentir si je m'�carte de la v�rit�: les
joues humides, elles ont assist� � ses derniers moments.

CYMBELINE.--Je vous prie, parlez.

CORN�LIUS.--D'abord elle a d�clar� qu'elle ne vous aima jamais, qu'elle
tenait � la grandeur qui venait de vous, et non � vous, qu'elle n'a
�pous� que votre royaut�, qu'elle �tait la femme de votre sceptre, mais
qu'elle abhorrait votre personne.

CYMBELINE.--Ce secret ne fut connu que d'elle; et si elle ne l'avait pas
dit en mourant, je n'en pourrais croire l'aveu de ses l�vres.
Poursuivez.

CORN�LIUS.--Votre fille qu'elle professait d'aimer si sinc�rement, elle
a d�clar� que c'�tait un scorpion � ses yeux, et qu'elle aurait tranch�
ses jours par le poison si sa fuite ne l'en avait emp�ch�e.

CYMBELINE.--Oh! d�mon raffin�! qui peut lire dans le coeur d'une femme?
A-t-elle fait encore d'autres aveux?

CORN�LIUS.--Oui, seigneur, et de plus affreux. Elle a avou� qu'elle vous
r�servait un poison mortel qui, d�s que vous l'auriez pris, aurait �
toute minute rong� votre vie, et vous aurait consum� lentement et par
degr�s. Pendant ce temps elle se proposait, par ses assiduit�s, par ses
pleurs, par ses soins, par ses baisers, de vous subjuguer; et dans un
moment favorable, apr�s qu'elle vous aurait dispos� par ses ruses, de
vous faire adopter son fils pour l'h�ritier de la couronne: mais voyant
son projet an�anti par l'�trange absence de son fils, elle a dans son
d�sespoir oubli� toute honte, et r�v�l�, en d�pit du ciel et des hommes,
tous ses projets, regrettant que les maux qu'elle avait con�us ne se
soient pas effectu�s. Dans cet acc�s de d�sespoir, elle est morte.

CYMBELINE.--Vous avez entendu tout ceci, vous, ses femmes?

UNE FEMME.--Oui, seigneur; sauf le bon plaisir de Votre Majest�.

CYMBELINE.--Mes yeux ne furent pas en faute, car elle �tait belle; ni
mes oreilles, qui entendaient ses flatteries; ni mon coeur, qui la
croyait ce qu'elle semblait �tre. C'e�t �t� un vice de se d�fier d'elle.
Et toi cependant, � ma fille, tu peux bien dire que ce fut une folie �
moi, et tu en ressens les effets. Veuille le ciel tout r�parer!
_(Lucius, Iachimo, le devin et autres prisonniers romains avec les
gardes. Posthumus suit avec Imog�ne_.) Tu ne viens plus aujourd'hui,
Lucius, nous demander de tribut; il vient d'�tre aboli par les Bretons,
� qui il en a co�t�, il est vrai, bien des braves. Leurs familles m'ont
demand� que les m�nes de ces dignes guerriers soient apais�s par le
sacrifice de votre vie; vous �tes leurs captifs, et nous avons souscrit
� leur demande; ainsi, songez � votre sort.

LUCIUS.--R�fl�chissez, seigneur, aux hasards de la guerre. C'est par
accident que l'avantage de cette journ�e vous est rest�; si elle e�t �t�
� nous, nous n'eussions pas, de sang-froid, menac� du glaive nos
prisonniers. Mais, puisque les dieux veulent qu'il n'y ait pour nous
d'autre ran�on que notre vie, que la mort vienne. Il suff�t � un Romain
de savoir mourir en Romain. Auguste vit; il verra ce qu'il doit faire.
C'est tout ce que j'avais � dire pour ce qui me regarde. Il ne me reste
plus qu'une chose � demander, c'est que vous acceptiez une ran�on pour
mon page qui est n� Breton. Jamais il n'y eut de page si pr�venant, si
soumis, si diligent, si tendre � l'occasion, si fid�le, si adroit, si
soigneux. Que ses bonnes qualit�s servent d'appui � ma demande, que
j'esp�re que Votre Majest� ne pourra refuser. Il n'a fait aucun mal aux
Bretons, quoiqu'il f�t au service d'un Romain; �pargne son sang,
seigneur, et verse tout le reste.

(Imog�ne en ce moment baisse son chaperon.)

CYMBELINE.--S�rement je l'ai d�j� vu; ses traits me sont
familiers.--Jeune homme, ta physionomie seule t'a acquis mes bonnes
gr�ces, et tu es � moi; je ne sais ni pourquoi ni comment je suis port�
� te dire: vis, mon enfant, et n'en remercie pas ton ma�tre; demande �
Cymbeline telle faveur que tu voudras qui puisse d�pendre de lui et qui
t'int�resse, et tu l'obtiendras; oui, dusses-tu demander la vie du plus
illustre des prisonniers.

IMOG�NE.--Je remercie humblement Votre Majest�.

LUCIUS.--Bon jeune homme, je ne te prie point de demander la vie pour
moi, et cependant je sais que tu vas le faire.

IMOG�NE.--Non, non, h�las! d'autres soins m'occupent; j'aper�ois ici un
objet dont la vue est aussi cruelle pour moi que la mort; pour votre
vie, bon ma�tre, songez vous-m�me � la sauver.

LUCIUS, _surpris_.--Cet enfant me d�daigne, il m'abandonne et me rebute!
Courte est la joie de ceux qui la fondent sur l'attachement des jeunes
filles et des enfants!... Mais d'o� vient cette perplexit� o� je le
vois?

CYMBELINE.--Que d�sires-tu, jeune homme? Tu me plais de plus en plus;
r�fl�chis de plus en plus � ce qu'il te vaut mieux demander.--Connais-tu
cet homme sur qui s'attachent tes regards? parle, veux-tu qu'il vive?
est-il ton parent, ton ami?

IMOG�NE.--C'est un Romain; il n'est pas plus mon parent que je ne le
suis de Votre Majest�; encore moi, qui suis n� votre vassal, je vous
tiens de plus pr�s.

CYMBELINE.--Pourquoi donc le regardes-tu ainsi?

IMOG�NE.--Je vous le dirai, seigneur, en particulier, si vous daignez
m'entendre.

CYMBELINE.--Oui, de tout mon coeur; et je te promets toute mon
attention. Quel est ton nom?

IMOG�NE.--Fid�le, seigneur.

CYMBELINE.--Tu es mon enfant, mon page; je veux �tre ton ma�tre. Viens
avec moi, et parle librement.

(Cymbeline et Imog�ne s'�loignent et s'entretiennent ensemble.)

B�LARIUS.--Ce jeune homme n'est-il pas revenu du tr�pas � la vie?

ARVIRAGUS.--Deux grains de sable ne se ressemblent pas davantage. Oui,
c'est cet aimable enfant aux joues de rose, qui est mort, et qui
s'appelait Fid�le; qu'en pensez-vous?

GUID�RIUS.--C'est celui qui �tait mort, et qui est en vie.

B�LARIUS.--Chut! chut! consid�rons encore. Il ne nous remarque pas,
attendez: deux cr�atures peuvent se ressembler; si c'�tait lui, je suis
s�r qu'il nous aurait parl�.

GUID�RIUS.--Mais nous l'avons vu mort.

B�LARIUS.--Silence; observons ce qui va suivre.

PISANIO, _� part_.--C'est ma ma�tresse. Puisqu'elle vit, que le temps
roule et m'am�ne � son gr� ou les biens ou les maux.

(Cymbeline et Imog�ne se rapprochent.)

CYMBELINE.--Viens, place-toi � c�t� de moi. Fais ta demande � haute
voix.--Et vous, avancez. (_A Iachimo_.) R�pondez � ce jeune homme et
parlez sans d�tour: ou, j'en jure par notre grandeur et par notre
honneur qui en fait l'�clat, les plus cruelles tortures d�m�leront la
v�rit� du mensonge.--Interroge-le.

IMOG�NE.--La gr�ce que je demande est que ce cavalier puisse m'apprendre
de qui il tient cet anneau.

POSTHUMUS, _� part_.--Que lui importe?

CYMBELINE.--Eh bien! ce diamant qui est � votre doigt, r�pondez, comment
vous est-il venu?

IACHIMO.--Tu veux me torturer, pour me faire dire ce qui une fois dit te
mettra � la torture.

CYMBELINE.--Comment, moi?

IACHIMO.--Je suis bien aise qu'on me contraigne de d�clarer un secret
qui tourmentait mon �me. C'est par une perfidie que je me suis procur�
cet anneau. C'est celui de Posthumus, que tu as banni; et ce qui va te
faire �prouver peut-�tre les m�mes remords qui me d�chirent, jamais plus
noble mortel ne respira entre le ciel et la terre. Seigneur, veux-tu en
apprendre davantage?

CYMBELINE.--Oui, tout ce qui a rapport � ceci.

IACHIMO.--Ta fille, ce chef-d'oeuvre accompli, dont le souvenir fait
saigner mon coeur et fr�mir mon �me perfide... Pardonnez, je me sens
d�faillir!

CYMBELINE.--Ma fille, que dis-tu d'elle? Ranime tes forces: ah! j'aime
mieux que tu vives tant qu'il plaira � la nature, que de te voir mourir
avant que j'en sache davantage. Fais un effort; allons, parle.

IACHIMO.--Certain jour (mal�diction sur l'horloge qui sonna cette
heure!), c'�tait � Rome (mal�diction sur la demeure o� nous �tions
r�unis!), dans un festin (oh! que nos mets eussent �t� empoisonn�s, du
moins ceux que je portai � mes l�vres!), le vertueux Posthumus... que
dirai-je? (il �tait trop vertueux pour se trouver au milieu des
m�chants, et il �tait le meilleur parmi les hommes d'une vertu rare)
assis avec nous et l'air triste, pr�tait l'oreille aux �loges que nous
faisions de nos ma�tresses d'Italie; nous louions leur beaut� de mani�re
� ne plus laisser de louanges pour se vanter, � celui qui pouvait le
mieux parler. Nous d�pouillions, pour les peindre, les statues de V�nus,
de Minerve � la taille fi�re, formes sup�rieures aux �bauches de la
nature[23]; nous ajoutions toute une boutique des qualit�s qui font que
l'homme aime la femme, et ce hame�on du mariage, la beaut�, qui attache
les yeux.

[Note 23: _Brief nature_. La nature trop exp�ditive dans la cr�ation
de ses oeuvres.]

CYMBELINE.--Je suis sur les charbons; viens au fait.

IACHIMO.--Je n'y viendrai que trop t�t, � moins que tu ne sois press� de
t'affliger.--Ce Posthumus, comme un noble seigneur amoureux et qui a
pour amante une princesse, prit la parole, et, sans d�pr�cier celles que
nous avions vant�es, mais demeurant calme comme la vertu, il commen�a le
portrait de sa ma�tresse. Et apr�s ce portrait fait de sa bouche, avec
l'�me dont il l'anima, il semblait que tous nos pan�gyriques avaient
pour objets des souillons de cuisine, ou sa description prouvait que
nous n'�tions que des imb�ciles qui ne savaient s'exprimer.

CYMBELINE.--Allons, allons, au but.

IACHIMO.--La chastet� de votre fille... (C'est ici que cela commence),
il la vanta comme si Diane m�me e�t eu des singes impudiques, et que
votre fille seule f�t chaste. A ce propos, moi mis�rable, je fis
l'incr�dule � ses louanges, et je pariai avec lui des pi�ces d'or contre
cette bague qu'il portait alors � sa noble main, que je r�ussirais �
obtenir une place dans son lit nuptial, et que je gagnerais cette bague
par l'adult�re de son �pouse avec moi. Lui, en vrai chevalier, qui avait
dans l'honneur de sa femme toute la confiance qu'elle m�ritait en effet,
d�pose sa bague: il l'e�t risqu�e de m�me, e�t-elle �t� une escarboucle
d�tach�e des roues d'Apollon; il la pouvait risquer en s�ret�, e�t-elle
valu tout le prix de son char. Je vole en Bretagne pour ex�cuter mon
dessein. Vous pouvez, seigneur, vous souvenir de m'avoir vu � votre
cour; c'est l� que j'appris de votre chaste fille la diff�rence qu'il y
a entre le v�ritable amant et le vil suborneur. Mon esp�rance ainsi
�teinte et non pas mon d�sir, mon cerveau italien machina, dans votre
sombre Bretagne, un l�che stratag�me excellent pour mon profit. Pour
abr�ger, mon plan r�ussit. Je retournai en Italie avec assez de preuves
simul�es pour jeter dans le d�sespoir le noble Posthumus; j'attaquai sa
confiance dans la vertu de son �pouse, par tel et tel indice que
j'appuyai de d�tails circonstanci�s sur les tentures et les tableaux de
sa chambre, et puis ce bracelet que je lui montrai... Oh! par quelle
ruse je sus m'en emparer! Et je lui citai m�me des signes cach�s sur la
personne d'Imog�ne; en sorte qu'il lui fut impossible de ne pas croire
qu'elle avait rompu son engagement de chastet�, et que j'en avais
recueilli les fruits: l�-dessus... Il me semble que je le vois encore...

POSTHUMUS, _se d�couvrant et avan�ant_.--Oui, tu le vois en effet, d�mon
italien.--Et moi, insens� trop cr�dule, insigne meurtrier, l�che
brigand, ah! je m�rite les noms de tous les sc�l�rats pass�s, pr�sents
et futurs.--Oh! donnez-moi une corde, un poignard ou du poison;
montrez-moi quelque juge int�gre! Et toi, � roi! envoie chercher
d'ing�nieuses tortures. Je suis un monstre qui fait pardonner aux objets
de la terre les plus d�test�s, en �tant plus m�chant qu'eux. Je suis ce
Posthumus qui a �gorg� ta fille; je mens en l�che; j'ai apost� un
moindre sc�l�rat, un voleur sacril�ge pour le faire. Ah! elle �tait le
temple de la vertu: oui, elle �tait la vertu m�me. Crachez-moi au
visage, jetez-moi des pierres, couvrez-moi de boue, excitez les chiens
de la rue � aboyer apr�s moi: que le nom des sc�l�rats soit d�sormais
Posthumus L�onatus; j'ai effac� tous les crimes. Oh! Imog�ne, ma reine,
ma vie, ma femme, Imog�ne, Imog�ne, Imog�ne!

IMOG�NE, _s'�lan�ant vers lui_.--Calmez-vous, seigneur: �coutez!
�coutez!

POSTHUMUS.--Tu te fais un jeu de l'�tat o� je suis, page insolent!

(Il la frappe; elle tombe.)

PISANIO.--O seigneurs! secourez ma ma�tresse et la v�tre. O Posthumus! �
mon ma�tre! vous n'aviez point tu� Imog�ne jusqu'� ce moment.--Secourez,
secourez mon auguste princesse!

CYMBELINE.--Le monde tourne-t-il autour de moi?

POSTHUMUS.--Et d'o� me vient ce d�lire?

PISANIO.--R�veillez-vous, ma ma�tresse.

CYMBELINE.--S'il en est ainsi, les dieux veulent me faire mourir de
joie.

PISANIO.--Eh bien! ma ma�tresse?

IMOG�NE.--Ah! �te-toi de ma vue. Tu m'as donn� du poison: loin de moi,
homme dangereux; ne respire plus l� o� vivent les princes.

CYMBELINE.--La voix d'Imog�ne!

PISANIO.--Princesse, que les dieux lancent sur moi des pierres de
soufre, si je n'ai pas cru que la bo�te que je vous donnais �tait une
composition pr�cieuse. Je la tenais de la reine.

CYMBELINE.--Encore une nouvelle affaire!

IMOG�NE.--Elle m'a empoisonn�e.

CORN�LIUS, _� Pisanio_.--O dieux! j'avais omis un autre aveu de la
reine, qui va prouver ton honn�tet�. �Si Pisanio, a-t-elle dit, a donn�
� sa ma�tresse la confiture que je lui ai donn�e pour un cordial, elle
est trait�e comme je traiterais un rat.�

CYMBELINE.--Qu'entends-je, Corn�lius?

CORN�LIUS.--La reine, seigneur, m'importunait souvent pour lui composer
des poisons, pr�textant toujours le plaisir d'�tendre ses connaissances
en tuant de viles cr�atures dont on fait peu de cas, comme des chats et
des chiens: moi, appr�hendant que ses desseins ne fussent plus funestes,
je composai pour elle certaine drogue qui suspendait pour l'instant les
facult�s de la vie, mais quelque temps apr�s tous les organes de la
nature reprenaient leurs fonctions. (_A Imog�ne_.) En avez-vous pris?

IMOG�NE.--C'est probable, car j'ai �t� morte.

B�LARIUS, _� Arviragus et Guid�rius_.--Mes enfants, voil� la cause de
notre m�prise.

GUID�RIUS.--Et s�rement c'est Fid�le.

IMOG�NE, _� Posthumus_.--Pourquoi avez-vous repouss� de votre sein votre
femme? Imaginez en ce moment que vous �tes sur un rocher... (_se jetant
dans ses bras_) et pr�cipitez-moi encore.

POSTHUMUS.--Reste l�, � mon �me! suspendue comme un fruit, jusqu'� ce
que l'arbre meure.

CYMBELINE--Eh quoi! mon sang, ma fille, fais-tu de moi un stupide
spectateur au milieu de cette sc�ne? n'as-tu donc rien � me dire?

IMOG�NE, _se jetant � ses pieds_.--Votre b�n�diction, seigneur.

B�LARIUS, _� Arviragus et Guid�rius_.--Je ne vous bl�me plus d'avoir
aim� cet enfant: vous aviez sujet de l'aimer.

CYMBELINE.--Que mes larmes en tombant soient une eau sacr�e sur ta t�te!
Imog�ne, ta m�re est morte.

IMOG�NE.--J'en suis f�ch�e, seigneur.

CYMBELINE.--Oh! elle ne valait rien: et c'est sa faute si nous nous
retrouvons ici d'une mani�re si �trange; mais son fils a disparu, nous
ne savons o� ni comment...

PISANIO.--Seigneur, maintenant que la crainte est loin de moi, je dirai
la v�rit�. Le prince Cloten, apr�s l'�vasion de ma ma�tresse, vint � moi
l'�p�e nue et l'�cume � la bouche, et jura que si je ne lui d�clarais
pas la route qu'elle avait prise, j'�tais � ma derni�re heure. Par
hasard j'avais dans ma poche une lettre de mon ma�tre, o�, sous de faux
pr�textes, il engageait Imog�ne � venir le trouver sur les montagnes
pr�s de Milford: il la lit. Aussit�t dans un acc�s de fr�n�sie, et v�tu
des habits de mon ma�tre qu'il m'avait arrach�s, il part et marche vers
ce lieu dans un dessein licencieux, et avec serment d'attenter �
l'honneur de ma ma�tresse: ce qu'il est devenu depuis, je l'ignore.

GUID�RIUS.--C'est � moi d'achever son histoire: je l'ai tu� en ce lieu.

CYMBELINE.--Ah! les dieux nous en gardent! Je ne voudrais pas que tes
belles actions ne re�ussent de ma bouche qu'un arr�t de mort: je t'en
conjure, vaillant jeune homme, d�mens ce que tu viens de dire.

GUID�RIUS.--Je l'ai dit et je l'ai fait.

CYMBELINE.--Il �tait prince.

GUID�RIUS.--Un prince tr�s-impoli: les outrages qu'il m'a faits �taient
indignes d'un prince. Il m'a provoqu�, et dans des termes qui me
feraient affronter l'Oc�an m�me, s'il rugissait ainsi contre moi. Je lui
ai tranch� la t�te, et je suis bien aise qu'il ne soit pas ici, � ma
place, � vous raconter sur moi cette histoire.

CYMBELINE.--J'en suis f�ch� pour toi: ta propre bouche t'a condamn�; il
te faudra subir nos lois; tu es mort.

IMOG�NE.--J'avais cru que cet homme sans t�te �tait mon �poux.

CYMBELINE.--Encha�nez ce coupable, et qu'on l'emm�ne de ma pr�sence.

B�LARIUS.--Sire, arr�tez. Ce jeune homme vaut mieux que celui qu'il a
tu�; il est aussi bien n� que vous, et il vous a rendu plus de services
que jamais vous n'en auriez re�u d'une l�gion de Clotens. (_Au garde_.)
Laissez ses bras en libert�, ils ne sont pas faits pour porter des fers.

CYMBELINE.--Vieux soldat, pourquoi veux-tu an�antir tes services dont tu
n'as pas encore �t� pay�, en t'exposant � mon courroux? D'une naissance
aussi illustre que la n�tre?

ARVIRAGUS.--En cela, seigneur, il a �t� trop loin.

CYMBELINE, _� Guid�rius_.--Et toi, tu ne mourras pas.

B�LARIUS.--Nous mourrons tous les trois; mais je vous prouverai que deux
de nous sont d'aussi bonne naissance que celle que j'ai attribu�e �
celui-ci. Mes fils, il faut que je d�veloppe ici un myst�re dangereux
pour moi, mais qui sera peut-�tre avantageux pour vous.

ARVIRAGUS.--Votre danger est le n�tre.

GUID�RIUS.--Et notre bonheur est le sien.

B�LARIUS, _� Cymbeline_.--�coutez alors, avec votre permission, grand
roi; tu avais un sujet nomm� B�larius.

CYMBELINE.--Qu'en veux-tu dire? C'�tait un tra�tre; il fut banni.

B�LARIUS.--Eh bien, c'est lui que tu vois ici, parvenu � la vieillesse;
oui cet homme fut banni, mais je ne sache pas qu'il f�t un tra�tre.

CYMBELINE, _aux gardes_.--Emmenez-le d'ici; l'univers entier ne le
sauverait pas.

B�LARIUS.--Mod�re cet emportement; commence d'abord par me payer pour
avoir nourri tes enfants, et d�s que j'aurai re�u ma r�compense, alors
confisque-la tout enti�re.

CYMBELINE.--Nourri mes enfants?

B�LARIUS.--Je suis insolent et trop brusque! Me voici � tes genoux:
avant que je me rel�ve, je veux illustrer mes enfants; apr�s, n'�pargne
point le vieux p�re. Puissant roi, les deux jeunes gens qui me nomment
leur p�re et se croient mes fils ne m'appartiennent point; ils sont
issus de vos reins, seigneur, ils sont engendr�s par votre sang.

CYMBELINE.--Comment? mon sang?

B�LARIUS.--Oui, comme tu es du sang de ton p�re. Moi, aujourd'hui le
vieux Morgan, je suis ce B�larius que tu maudis jadis. Ton caprice fut
tout mon crime, et mon bannissement toute ma trahison. Ces deux aimables
princes (car ils sont princes), je les ai �lev�s depuis vingt ans; ils
poss�dent tous les talents que j'ai pu leur donner, et tu sais quelle
�ducation j'avais re�ue. Euriphile, leur nourrice, que j'�pousai pour
prix de son larcin, te d�roba ces enfants au moment de mon bannissement;
c'est moi qui l'y poussai. J'avais re�u d'avance dans cet exil la
punition de la faute que je commis alors; maltrait� pour ma fid�lit�, je
fus ainsi port� � la trahison. Plus leur perte devait t'�tre sensible,
plus je go�tai le projet de te les d�rober. Mais voil� tes fils, je te
les rends, et je vais perdre les deux plus aimables compagnons du monde;
que les b�n�dictions de ce ciel qui nous couvre pleuvent comme la ros�e
sur leurs t�tes, car ils sont dignes de parer le ciel d'�toiles!

CYMBELINE.--Tes larmes confirment tes paroles. Le service que vous
m'avez rendu tous trois est plus incroyable que ce r�cit. J'ai perdu mes
enfants...--S'ils sont l�, sous mes yeux, il m'est impossible de d�sirer
deux enfants plus accomplis.

B�LARIUS.--Daigne m'�couter encore: celui que je nommais Polydore est,
noble seigneur, ton v�ritable Guid�rius; l'autre, mon Cadwal, c'est
Arviragus, ton plus jeune fils; il �tait envelopp� dans un riche manteau
tissu des mains de la reine sa m�re, et que je puis, pour t'en
convaincre, te repr�senter ais�ment.

CYMBELINE.--Guid�rius avait sur le cou une �toile de couleur de sang;
c'�tait un signe remarquable.

B�LARIUS.--C'est celui-ci: il porte toujours cette empreinte de
naissance; la sage nature, en lui faisant ce don, voulut sans doute
qu'il serv�t aujourd'hui � le faire reconna�tre.

CYMBELINE.--Oh! suis-je comme une m�re � laquelle il est n� trois
enfants? Non, jamais m�re n'eut plus de joie de sa d�livrance: soyez
heureux, mes enfants; apr�s avoir �t� si �trangement d�plac�s de votre
sph�re, venez-y r�gner maintenant.--O Imog�ne! tu viens de perdre un
royaume.

IMOG�NE.--Seigneur, j'y gagne deux mondes.--O mes bons fr�res! nous nous
�tions donc rencontr�s!--Oh! convenez que c'est moi qui ai parl� avec le
plus de v�rit�. Vous m'appeliez votre fr�re, lorsque je n'�tais que
votre soeur; moi, je vous nommai mes fr�res, et vous l'�tes en effet.

CYMBELINE.--Est-ce que vous vous �tes jamais rencontr�s?

ARVIRAGUS.--Oui, seigneur.

GUID�RIUS.--Et � notre premi�re entrevue nous nous sommes aim�s, et nous
avons continu�, jusqu'au moment que nous cr�mes qu'elle �tait morte.

CORN�LIUS.--Ce fut l'effet du breuvage de la reine.

CYMBELINE.--O merveilleux instinct! Quand entendrais-je tous ces
d�tails? Ce r�cit trop rapide a des ramifications de circonstances qui
doivent �tre racont�es tout au long.--O� �tiez-vous? Comment
viviez-vous? Par quel hasard serviez-vous notre prisonnier romain?
Comment vous �tes-vous s�par�e de vos fr�res? Comment les avez-vous
retrouv�s d'abord? Pourquoi avez-vous fui de ma cour, et o� �tes-vous
all�e?--Et vous, quels motifs vous ont conduit tous trois au combat? et
je ne sais combien d'autres choses, il faudra que je vous les demande,
et toute cette suite d'incidents n�s, l'un apr�s l'autre, d'un
encha�nement de hasards?... Mais ce n'est pas ici l'heure ni le lieu de
ces longs interrogatoires.--Voyez Posthumus attach� � Imog�ne; et elle,
dont l'oeil, comme un innocent �clair, nous parcourt tous, son seigneur,
ses fr�res, moi, ce Romain son ma�tre, et caresse chacun de nous d'un
regard plein de joie, auquel chacun r�pond � son tour. Quittons cette
tente, et allons remplir les temples de la fum�e de nos sacrifices. (_A
B�larius_.)--Toi, tu es mon fr�re, je te tiendrai toujours pour tel.

IMOG�NE, _� B�larius_.--Vous �tes aussi mon p�re; c'est � vos secours
que je dois de voir ce jour de bonheur.

CYMBELINE.--Tous heureux, except� ces prisonniers charg�s de cha�nes;
qu'ils partagent aussi notre joie: je veux qu'ils se ressentent de notre
bonheur.

IMOG�NE, _� Lucius_.--Mon bon ma�tre, je veux vous servir encore.

LUCIUS.--Vivez heureuse!

CYMBELINE.--Et ce soldat isol�, qui a si vaillamment combattu, qu'il
figurerait bien ici! sa pr�sence ferait �clater la reconnaissance de son
roi.

POSTHUMUS.--Seigneur, je suis le soldat de pauvre apparence qui
accompagnait ces trois braves; ce costume favorisait le projet que je
suivais alors.--Ne suis-je pas ce soldat, Iachimo? parle; je t'avais
terrass�, et je pouvais t'achever.

IACHIMO, _se prosternant_.--Je suis terrass� de nouveau; mais c'est le
poids de ma conscience qui force en ce moment mon genou � fl�chir, comme
l'y for�ait nagu�re votre bras. Prenez, je vous en conjure, cette vie
que je vous dois tant de fois; mais auparavant reprenez votre bague, et
ce bracelet de la princesse la plus fid�le qui ait jamais engag� sa foi.

POSTHUMUS.--Ne te prosterne point devant moi, l'avantage que je veux
obtenir sur toi, c'est d'�pargner ta vie; le ressentiment que je veux te
montrer, c'est de te pardonner. Vis, et agis mieux envers les autres.

CYMBELINE.--Noble arr�t! notre gendre nous donnera l'exemple de la
g�n�rosit�. Pardon est le mot que j'adresse ici � tous.

ARVIRAGUS, _� Posthumus_.--Vous nous avez aid�s, seigneur, comme si vous
aviez en effet l'intention d'�tre notre fr�re; nous sommes ravis que
vous le soyez devenu.

POSTHUMUS.--Princes, je suis votre serviteur. Noble seigneur de Rome,
mandez ici votre devin. Pendant que je dormais, il m'a sembl� que le
grand Jupiter m'apparaissait sur son aigle, avec d'autres visions de
fant�mes de ma famille; en me r�veillant, j'ai trouv� sur mon sein cet
�crit dont le contenu est d'un sens si obscur que je n'en puis rien
tirer. Qu'il prouve son habilet� en l'expliquant.

LUCIUS.--Philarmonus!

LE DEVIN.--Me voici, seigneur.

LUCIUS.--Lis et explique ces paroles.

LE DEVIN, _lisant_.--�Quand un lionceau � lui-m�me inconnu trouvera sans
la chercher une cr�ature l�g�re comme l'air, et sera re�u dans ses bras;
lorsque les rameaux d'un c�dre auguste, coup�s et morts pendant
plusieurs ann�es, rena�tront pour se r�unir au vieux tronc et pousseront
avec vigueur, alors Posthumus trouvera la fin de ses mis�res, et la
Bretagne heureuse fleurira dans la paix et dans l'abondance.� Toi,
L�onatus, tu es le lionceau; c'est ce qu'indique l'explication naturelle
de ton nom de _L�onatus_; la cr�ature l�g�re comme l'air, c'est (_au
roi_) ta vertueuse fille, que nous appellerons _mollis aer_; et _mollis
aer_ nous l'appellerons _mulier_; et cette _mulier_, c'est cette fid�le
�pouse de Posthumus qui, justifiant la lettre de l'oracle, inconnu �
lui-m�me et sans avoir cherch�, s'est vu embrass� par cet air l�ger.

CYMBELINE.--Ceci a quelque vraisemblance.

LE DEVIN.--Ce c�dre altier, roi Cymbeline, c'est toi, et tes branches
coup�es sont l'embl�me de tes deux fils qui, d�rob�s par B�larius et
crus morts pendant des ann�es, renaissent aujourd'hui r�unis au c�dre
majestueux dont les rejetons promettent � la Bretagne paix et abondance.

CYMBELINE.--Eh bien! nous commencerons par la paix. Lucius, quoique
vainqueurs, nous rendons hommage � C�sar et � l'empire romain,
promettant de payer notre tribut accoutum�; ce fut notre m�chante reine
qui nous en dissuada; mais la justice du ciel n'a que trop appesanti,
sur elle et sur les siens, son bras vengeur.

LE DEVIN.--Les puissances du ciel accordent elles-m�mes les instruments
pour c�l�brer l'harmonie de cette paix. La vision proph�tique que j'ai
annonc�e � Lucius avant le choc de cette bataille, � peine �teinte,
s'accomplit maintenant de tout point. L'aigle romaine que j'ai vue
prendre son vol dans les cieux de l'orient au couchant, diminuer par
degr�s � ma vue, et se perdre enfin dans les rayons du soleil, annon�ait
que notre aigle imp�rial, notre prince C�sar, renouvellerait son
alliance avec l'illustre Cymbeline, qui brille ici � l'occident.

CYMBELINE.--Rendons aux dieux des actions de gr�ce. Que la fum�e de nos
sacrifices s'�l�ve de nos saints autels jusqu'� leurs narines! Annon�ons
cette paix � tous nos sujets.--Mettons-nous en marche. Qu'une enseigne
romaine et une enseigne anglaise flottent unies ensemble dans les airs.
Traversons ainsi la cit� de Lud, et allons au temple du grand Jupiter
ratifier notre paix. Scellons-la par des f�tes. Allons, marchons. Jamais
guerre ne finit ainsi par une si prompte paix, avant m�me que les
guerriers aient lav� leurs mains ensanglant�es!


FIN DU CINQUI�ME ET DERNIER ACTE.






End of the Project Gutenberg EBook of Cymbeline, by William Shakespeare

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CYMBELINE ***

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     gbnewby@pglaf.org

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

*** END: FULL LICENSE ***