The Project Gutenberg EBook of Paula Monti, Tome II, by Eug�ne Sue This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Paula Monti, Tome II ou L'H�tel Lambert - histoire contemporaine Author: Eug�ne Sue Release Date: October 14, 2005 [EBook #16876] [Last updated on Novevember 4, 2007] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PAULA MONTI, TOME II *** Produced by Carlo Traverso, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net. This file was produced from images generously made available by the Biblioth�que nationale de France (BnF/Gallica) PAULA MONTI OU L'HOTEL LAMBERT HISTOIRE CONTEMPORAINE PAR EUG�NE S�E TOME DEUXI�ME. PARIS PAULIN, �DITEUR RUE RICHELIEU, 60. 1845 IMPRIMERIE DE GUSTAVE GRATIOT, RUE DE LA MONNAIE, 11. PAULA MONTI. DEUXI�ME PARTIE. CHAPITRE PREMIER. LE LIVRE NOIR. En proposant � madame de Hansfeld de r�pondre pour elle � M. de Br�vannes au sujet de l'entrevue qui devait avoir lieu au Jardin-des-Plantes, non seulement Iris emp�chait la princesse de commettre un acte imprudent, mais, � l'insu de celle-ci, elle la rendait complice d'un projet diabolique. On se souvient sans doute d'un _livre noir_ dont Iris avait parl� � M. de Br�vannes, et dans lequel, disait-elle, la princesse �crivait presque chaque jour ses plus secr�tes pens�es. Rien n'�tait plus faux. Jamais Paula n'avait poss�d� un livre pareil; mais il importait au projet d'Iris que M. de Br�vannes cr�t � ce mensonge, et il devait y croire en reconnaissant dans ce livre une �criture pareille � celle du billet que madame de Hansfeld lui avait fait remettre. On s'�tonnera peut-�tre de la profonde dissimulation d'Iris et de l'opini�tre et t�n�breuse audace de ses desseins. On comprendra peut-�tre aussi difficilement son affection sauvage, sa jalousie furieuse, qui tournaient presque � une monomanie f�roce. Malheureusement, les faits principaux de cette histoire, les traits saillants du caract�re d'Iris sont d'une grande r�alit�. Il s'est trouv� une jeune fille aux passions ardentes, implacables, qui les a r�unies, concentr�es dans l'attachement aveugle qu'elle avait pour sa bienfaitrice, attachement singulier, qui tenait de la v�n�ration filiale par son religieux d�vouement, de la tendresse maternelle par sa familiarit� charmante et pure, de l'amour par sa jalousie vindicative. Si, dans la suite de cette histoire, on trouve chez Iris une assez grande puissance d'imagination jointe � un esprit inventif, rus�, adroit, hardi; si quelques-unes de ses combinaisons semblent ourdies avec une perfidie, avec une habilet� ordinairement rares chez une fille de cet �ge, nous le r�p�terons, la solitude avait singuli�rement d�velopp� ses facult�s naturelles, incessamment tendues vers un m�me but; forc�e d'agir seule et � l'ombre de la plus profonde dissimulation, tout moyen lui semblait bon pour arriver � ce terme unique de ses d�sirs: _Isoler sa ma�tresse de toute affection_; Faire, pour ainsi dire, le _vide_ autour d'elle, et lui devenir d'autant plus n�cessaire que tous les autres attachements lui manqueraient. Ce dernier voeu d'Iris avait �t� jusqu'alors tromp�. Sans doute madame de Hansfeld ressentait pour sa demoiselle de compagnie un v�ritable attachement, lui t�moignait une confiance sans bornes, se montrait � son �gard affectueuse et bonne; mais cet attachement ne suffisait pas au coeur d'Iris. Elle �prouvait d'amers, de douloureux ressentiments de ce qu'elle appelait une d�ception; mais comme elle ne pouvait ha�r sa ma�tresse, son ex�cration s'accumulait sur les personnes qui inspiraient quelque int�r�t � la princesse. Ces explications �taient n�cessaires pour pr�parer le lecteur aux incidents qui vont suivre. Dans les deux entretiens qui succ�d�rent � sa premi�re entrevue avec M. de Br�vannes, Iris, d'apr�s l'ordre de Paula, avait t�ch� de deviner quelles �taient les intentions de cet homme. Si inf�me qu'elle f�t, la calomnie qu'il pouvait r�pandre �tait redoutable pour madame de Hansfeld. Rapha�l avait cru � son abominable mensonge; comment le monde, ou plut�t M. de Morville (c'�tait le monde pour Paula), n'y croirait-il pas? Madame de Hansfeld ne savait que r�soudre. Depuis qu'elle aimait M. de Morville, elle abhorrait plus encore M. de Br�vannes; aussi n'eut-elle pas assez d'indignation, assez de m�pris pour qualifier l'audace de ce dernier, lors de ses tentatives pour obtenir une entrevue avec elle, par l'interm�diaire d'Iris. Mais celle-ci fit sagement observer � sa ma�tresse que la col�re de M. de Br�vannes serait dangereuse, et qu'au lieu de l'exasp�rer il fallait t�cher de l'�conduire doucement. Malheureusement l'amour violent et opini�tre du mari de Berthe ne s'accommoda pas de ces m�nagements. Ainsi qu'on l'a vu lors de son troisi�me entretien avec Iris, il lui d�clara positivement qu'il parlerait si la princesse lui refusait plus longtemps une entrevue. Iris avait continu� de jouer son double r�le pour augmenter la confiance de M. de Br�vannes, feignant de pas avoir � se louer de sa ma�tresse afin d'�loigner tout soup�on de connivence, et paraissant tr�s flatt�e des galantes cajoleries de M. de Br�vannes. Elle lui laissait entendre que madame de Hansfeld semblait �prouver � son �gard une sorte de col�re m�l�e d'int�r�t... bizarre ressentiment qu'Iris ne s'expliquait pas, disait-elle, car elle �tait cens�e ignorer ce qui s'�tait pass� � Florence entre M. de Br�vannes et Paula. Telle �tait la source des secr�tes esp�rances du mari de Berthe, esp�rances n�es de son aveugle amour-propre et augment�es par les fausses confidences d'Iris. Ceci pos�, nous conduirons le lecteur dans la petite maison que poss�dait M. de Br�vannes dans la rue des Martyrs, et qu'il occupait alors tout seul. C'�tait le lendemain du jour o� Iris lui avait remis le pr�tendu billet de la princesse. En le recevant, M. de Br�vannes avait os� pour la premi�re fois parler du _livre noir_, de son d�sir de le poss�der pendant un moment. Iris, apr�s des difficult�s sans nombre, avait r�pondu qu'il serait peut-�tre possible de soustraire ce livre le lendemain, pour quelques heures seulement, la princesse devant aller passer la matin�e chez madame de Lormoy, tante de M. de Morville. M. de Br�vannes avait demand� � la jeune fille d'apporter le pr�cieux m�mento rue des Martyrs; il le lirait en sa pr�sence et le lui remettrait � l'instant avec la r�compense due � un tel service, r�compense qu'elle promit d'accepter pour ne pas �veiller les soup�ons de M. de Br�vannes. Ce dernier attendait donc Iris dans le petit salon dont nous avons parl�. Si l'on n'a pas oubli� le caract�re de M. de Br�vannes, son indomptable opini�tret�, son orgueil, son acharnement � r�ussir dans ce qu'il entreprenait; si l'on pense que sa volont�, son obstination, sa vanit� �taient mises en jeu par un amour profond, exalt�, contre lequel il se d�battait depuis deux ans, on concevra avec quelle violence passionn�e il d�sirait �tre aim� de madame de Hansfeld, cette femme si s�duisante, si envi�e, si respect�e. Il �tait midi. M. de Br�vannes attendait Iris avec une extr�me impatience dans la petite maison de la rue des Martyrs. Madame Grassot, gardienne de cette myst�rieuse demeure, restait � l'�tage sup�rieur. La jeune fille arriva; M. de Br�vannes courut � sa rencontre. Iris paraissait tremblante et effray�e. M. de Br�vannes la rassura et la fit entrer dans le salon; elle tenait � la main un petit album reli� en maroquin noir et ferm� par une serrure d'argent. Fr�missant de joie et d'impatience � la vue de ce livret, M. de Br�vannes prit sur la chemin�e une bague orn�e d'un assez gros brillant, la passa au doigt d'Iris, malgr� sa faible r�sistance. --De gr�ce, charmante Iris--lui dit-il--recevez ce faible gage de ma reconnaissance. Cette jolie main n'a pas besoin d'ornement, mais c'est un souvenir que je vous demande en gr�ce de porter.... Vous m'avez promis de l'accepter. --Sans doute... mais je ne sais si je dois... ce diamant.... --Qu'importe le diamant!... c'est seulement de la bague qu'il s'agit. --Et c'est aussi la bague que j'accepte--dit Iris avec un sourire d'une tristesse hypocrite--puisque ma condition m'expose � de certaines r�compenses. --Si j'ai choisi ce diamant--reprit M. de Br�vannes--c'est qu'il offre l'embl�me de la puret� et de la dur�e de ma reconnaissance. Et il tendit la main vers le livre noir. --Non, non--dit Iris en paraissant encore combattue par le devoir--cela est horrible.... Je me damne pour vous. --Mais quel mal faites-vous?... c'est tout au plus une indiscr�tion... ma ch�re Iris; puisque votre ma�tresse est souvent injuste envers vous, c'est de votre part une petite vengeance permise... et innocente. --Oh! je suis inexcusable, je le sens... et puis une fois que vous aurez lu ce livre... vous oublierez la pauvre Iris... vous n'aurez plus besoin d'elle.... Mais de quoi me plaindrai-je? n'aurez-vous pas d'ailleurs pay� ma trahison--ajouta-t-elle avec amertume. --Cette petite fille s'est affol�e de moi--pensa M. de Br�vannes--comment diable m'en d�barrasserai-je? Est-ce que maintenant qu'elle a ma bague elle ne voudrait plus se dessaisir du livre? Il reprit tout haut d'un ton p�n�tr�: --Vous vous trompez, Iris. D'abord, je ne me croirai jamais quitte envers vous.... Quant � vous oublier... ne le craignez pas.... Pour mon repos, je voudrais le pouvoir.... Il faut toute la gravit� des choses dont j'ai � entretenir votre ma�tresse pour me distraire un peu de mon amour pour vous.... Iris, car je vous aime.... Mais ne parlons pas de cela maintenant.... De graves int�r�ts sont en jeu.... Comment se trouve votre ma�tresse? --Elle est r�veuse et triste depuis qu'elle vous a accord� l'entrevue que vous demandiez si imp�rieusement. --Elle m'y a forc�... J'�tais si malheureux de son refus que je me suis oubli� jusqu'� lui faire cette menace, que je ne regrette plus, car j'ai ainsi obtenu ce que je d�sirais dans son int�r�t et dans le mien.... Mais elle est r�veuse et triste, dites-vous? --Oui... quelquefois elle reste longtemps comme accabl�e... puis tout � coup elle se l�ve imp�tueusement et marche pendant quelque temps avec agitation. --Et � quoi attribuez-vous ses pr�occupations? --Je ne sais.... --Ce livre que vous h�sitez � me confier et que je n'ose plus vous demander nous l'apprendrait. --Oh! je ne tiens pas � savoir les secrets de la princesse.... C'est pour vous �tre agr�able, pour vous ob�ir que j'ai soustrait ce livre... la clef est � son fermoir, je ne l'ai pas ouvert. --Eh bien! ouvrons-le.... Maintenant ce que vous appelez la m�chante action est commis. Il ne s'agit plus que de me rendre un grand service. H�sitez-vous encore? Je sais que ne n'ai d'autre droit � cette bont� de votre part que.... --Tenez, tenez, lisez vite--dit Iris en d�tournant la t�te et en donnant l'album � M. de Br�vannes. --Ce que je fais est inf�me; mais je ne puis r�sister � l'influence que vous avez sur moi. --Influence d'une volont� ferme--pensa M. de Br�vannes en ouvrant pr�cipitamment le livre noir, o� il lut ce qui suit, pendant qu'Iris, accoud�e � la chemin�e, la figure dans ses mains, et n'ayant pas l'air de voir sa dupe, l'examinait attentivement dans la glace. * * * * * CHAPITRE II. PENS�ES D�TACH�ES. Iris avait �crit les passages suivants d'une main en apparence �mue et mal affermie, comme si les id�es se fussent press�es confuses et d�sordonn�es, dans la t�te de la princesse: �Je viens de le revoir � la Com�die-Fran�aise. Toutes mes douleurs, tous mes regrets se sont r�veill�s � son aspect. �Il me poursuivra donc partout.... Jamais je n'ai �prouv� une commotion plus violente; �tre oblig�e de tout cacher aux regards p�n�trants du monde, aux regards indiff�rents de mon mari.... Est-ce la haine, l'indignation, la col�re qui m'ont ainsi boulevers�e? �Oui... n'est-ce pas de la haine, de l'indignation, de la col�re que je dois ressentir contre celui qui a tu� le fianc� � qui j'�tais promise et que j'aimais depuis mon enfance? Ne dois-je pas ex�crer celui qui m'a d�shonor�e par une calomnie inf�me?... Oh! oui... je le hais... je le hais, et pourtant!...� Ici se trouvaient quelques mots absolument ind�chiffrables; ils terminaient ce premier passage, et fournirent � M. de Br�vannes le texte d'une foule de conjectures. Ces mots _et pourtant_! lui semblaient surtout une r�ticence d'un heureux augure... il continua. �J'�tais tellement �pouvant�e de ma pens�e de tout � l'heure, que je n'ai os� continuer--ni confier au papier.... H�las! mon seul confident... ce qui causait mon effroi.... �Je devrais dire ma honte.... Quel ab�me que notre �me!... quels contrastes!... Oh! non, non; je hais cet homme.... Il y a dans la persistance avec laquelle il a poursuivi son dessein quelque chose d'infernal;... et si ce que je ressens � son �gard diff�re de la haine, c'est qu'un vague effroi se joint � cette haine. Oui, c'est cela sans doute.... Et puis il s'y joint encore une sorte de regret de voir une volont� si ferme, une opini�tret� si grande employ�es � mal faire, � nuire, � calomnier! �En se vouant � de nobles desseins quels admirables r�sultats n'e�t-il pas obtenus!... �Oui, je suis �pouvant�e quand je songe � l'habilet� avec laquelle il est parvenu � s'introduire autrefois chez nous, � se rendre indispensable � nos int�r�ts; avec quelle dissimulation imp�n�trable il m'avait cach� son amour... dont il ne m'a parl� qu'une seule fois; avec quelle indignation je l'ai accueilli.... �Ne devais-je pas croire, quoiqu'il m'ait dit le contraire, que les soins qu'il rendait � ma tante �taient s�rieux? M'�tais-je tromp�e? Voulais-je me tromper � cet �gard? �L'abominable calomnie dont j'ai �t� victime ne m'a pas m�me instruite de la v�rit�. Pauvre tante! que de chagrins elle m'a caus�s, sans le savoir!... �Il n'a manqu� � cet homme que de placer mieux son amour, son d�vouement passionn�... Sans doute, il e�t vaillamment aim� une femme libre de son coeur.... Mais pourquoi m'a-t-il aim�e, moi? N'�tais je pas fianc�e � Rapha�l? Ne m'avait-il pas souvent entendu parler de notre prochain mariage?... Et apr�s un premier et dernier aveu... il a recouru � la plus inf�me calomnie pour d�shonorer celle � qui une fois, une seule fois, il avait parl� d'amour.... �Il me semble que je suis soulag�e en �panchant ainsi les pens�es qui me sont si douloureuses.... Oui, cela m'aide � lire dans mon coeur.... �H�las! j'�tais d�j� si malheureuse! avais-je besoin de ce surcro�t de chagrins?... Oh! soyez maudit vous qui m'avez presque forc�e � un mariage sans amour... en tuant mon fianc�... que j'aimais tendrement.... �Oui; je l'aimais d'un attachement d'enfance qui s'�tait chang� avec les ann�es en un sentiment plus vif que l'amiti�, mais plus calme que l'amour.... �Quelle est ma vie maintenant? Horrible... horrible... avec toutes les apparences du bonheur.. si la richesse est le bonheur.... A jamais encha�n�e � un homme qui bien souvent, h�las! me fait regretter le sort de Rapha�l. Pauvre Rapha�l! mourir si jeune!... H�las! en provoquant M. de Br�vannes, il c�dait � un �lan de juste et courageux d�sespoir.... Et pourtant son meurtrier a, de son c�t�, non sans raison, invoqu� le droit de l�gitime d�fense.... �Il n'importe, Rapha�l au moins ne souffre plus; moi je souffre chaque jour; chaque instant de ma vie est un supplice.... Que faire? �Se r�signer. �Pour sortir de ma douloureuse apathie, il m'a fallu revoir cet homme, qui a caus� tous mes chagrins. �Chose �trange! je m'�tais fait une id�e tout autre de ce que je devais, selon moi, ressentir � son aspect.... Oui, je l'avoue avec horreur (qui saura jamais cet aveu?) mon courroux, mon ex�cration, ne me semblent pas � la hauteur de ses crimes.... �En vain je maudis ma faiblesse... en vain je me dis que cet homme m'a calomni�e d'une mani�re inf�me; en vain je me r�p�te qu'il a tu� Rapha�l, qu'il est presque l'auteur des maux que j'endure... qu'il peut � cette heure me perdre.... Et malgr� moi j'ai la l�chet� de penser que c'est l'amour que je lui ai inspir� qui l'a plong� dans cet ab�me d'horribles actions.... Oserai-je le dire? je suis quelquefois capable de l'excuser.� M. de Br�vannes sentait son coeur battre avec violence, son orgueil effr�n�, l'aveuglement de sa passion servaient Iris au-del� de toute esp�rance. Rien de plus vulgaire, de plus surann�, mais aussi de plus vrai que cet adage:--_On croit ce que l'on d�sire_. Dans ces pages qu'il supposait �crites par madame de Hansfeld, M. de Br�vannes voyait la preuve d'une impression qui tenait � la fois de la haine et de l'amour, de la terreur et de l'admiration. Admiration � peine avou�e, il est vrai, mais qui, selon la vanit� de M. de Br�vannes, n'�tait que de l'amour ignor� ou combattu. Une circonstance assez �trange, habilement exploit�e par Iris, contribuait � augmenter l'erreur de M. de Br�vannes: il n'avait fait qu'un seul aveu � Paula, et, d'apr�s les fragments que nous venons de citer, il pouvait croire que celle-ci n'avait pas r�pondu � sa passion par jalousie des soins apparents qu'il rendait � sa tante, enfin, il pouvait aussi croire son abominable calomnie, sinon oubli�e, du moins presque excus�e par ces mots pr�tendus de la princesse: �C'est l'amour que je lui ai inspir� qui l'a plong� dans cet ab�me d'horribles actions; je me sens quelquefois capable de l'excuser.� Quant � la mort de Rapha�l, que Paula aimait d'un _sentiment plus vif que l'amiti�, plus calme que l'amour_, ce meurtre, presque justifi� par l'agression de cet infortun�, �tait, il est vrai, une des causes qui combattaient le plus vivement l'irr�sistible penchant de madame de Hansfeld pour M. de Br�vannes. Sans l'autorit� du _Livre noir_, il e�t fallu un complet aveuglement pour expliquer ainsi la conduite de madame de Hansfeld; mais M. de Br�vannes, croyant lire un �crit trac� par elle, avait trop d'orgueil et d'amour pour ne pas accepter cette interpr�tation d'ailleurs si naturelle. Pourquoi M. de Br�vannes se serait-il d�fi� d'Iris? Pourquoi l'aurait-il crue capable d'une si �trange supercherie? Quant � la princesse, dans quel but aurait-elle �crit ces pages que personne ne devait lire? En supposant que, d'accord avec Iris, elle e�t autoris� cette communication afin de persuader � M. de Br�vannes que ses torts �taient effac�s par l'amour, un tel dessein ne pouvait que le flatter. On comprendra donc qu'il continua la lecture du livre noir avec un int�r�t et un espoir croissants. �Que me veut donc cet homme? Il est parvenu � se m�nager une entrevue avec Iris; pauvre enfant, simple et ing�nue; il lui a propos� de se charger d'une lettre pour moi, elle a refus�? Que peut-il donc me vouloir?... quelle est donc son audace? comment supporterait-il mon regard? �Cet homme est fou... qu'a-t-il � me dire? penserait-il � excuser sa conduite? mais je.... �Hier, je n'ai pu continuer; j'ai �t� interrompue par l'arriv�e de mon mari. �Le prince a donc toute sa vie �tudi� les effets de la douleur pour porter des coups plus assur�s. Mais c'est un monstre... mais il a des raffinements de tortures inou�s.... Oh! maintenant, je comprends pourquoi je ne hais pas assez M. de Br�vannes... toute ma haine s'est us�e contre mon bourreau. �Et �tre pour la vie... pour la vie encha�n�e � cet homme!... Ne pouvoir briser ces liens odieux... que par la mort.... �Oh! qu'elle me frappe donc, qu'elle me frappe bient�t... puisqu'il faut que l'un de nous deux meure pour rompre cette horrible union, que ce soit moi... plut�t que mon mari...� M. de Br�vannes fr�mit � ces paroles, et s'�cria en s'adressant � Iris: --La princesse est donc bien malheureuse? --Bien malheureuse!...--r�pondit sourdement Iris. --Son mari est donc sans piti� pour elle? --Sans piti�... M. de Br�vannes continua de lire: �Oui, oui, la mort.... Je ne m�rite pas de vivre... j'ai �t� infid�le � la m�moire de Rapha�l... je ne m�rite aucune commis�ration; si mon mari est un monstre de cruaut�, que suis-je donc moi, qui ne puis d�tacher ma pens�e de l'homme qui a caus� tous mes maux en tuant mon fianc�!... �Oh! j'ai honte de moi-m�me.... Il faut que j'�crive ces horribles choses... que je les voie, l�... mat�riellement... sous mes yeux... pour que je les croie possibles.... �Arriver, mon Dieu! � ce dernier degr� d'abaissement! �Est-ce ma faute, aussi? La douleur d�prave tant.... Oui... elle d�prave, elle rend criminelle... car quelquefois, bris�e par le d�sespoir, je m'�crie:--Puisqu'il �tait dans la destin�e de M. de Br�vannes d'�tre meurtrier... pourquoi le sort, au lieu de livrer Rapha�l � ses coups, ne lui a-t-il pas livr� mon bourreau?� Ces pages s'arr�taient l�. Iris avait voulu sans doute laisser M. de Br�vannes r�fl�chir m�rement sur ce voeu homicide. Il s'�cria vivement en fermant le livre: --Iris, vous n'avez rien lu de ce qui est �crit l�?... La jeune fille parut n'avoir pas entendu ces paroles; elle regardait fixement M. de Br�vannes. --Iris--reprit-il--vous n'avez rien lu de ces pages?... --Rien... rien--dit-elle en sortant de sa r�verie--que m'importe ce livre? --Elle ne songe qu'� moi--pensa-t-il--son indiscr�tion n'est pas � craindre. Il referma le livre, le rendit � la jeune fille et lui dit: --Vous avez, sans le savoir, rendu le plus grand service � votre ma�tresse. --Vous l'aimez?--lui demanda brusquement Iris, en attachant sur lui un regard per�ant. --Moi!--dit M. de Br�vannes de l'air du monde le plus d�tach�--singuli�re preuve d'amour que de cruellement menacer la femme qu'on aime. Non, non, je n'ai pas d'amour pour elle... l'aust�re amiti� peut seule recourir � des moyens si extr�mes.... --Il faut bien vous croire--dit tristement Iris en reprenant le livre. --Adieu, Iris, � demain--dit M. de Br�vannes;--vous rappellerez bien � madame de Hansfeld l'entrevue qu'elle m'a promise. Elle n'y manquera pas.... Mais j'y songe... au nom du ciel, que rien ne puisse lui faire soup�onner que vous avez lu dans ce livre; je serais perdue. --Rassurez-vous, ma ch�re Iris, j'aurai l'air d'�tre aussi �tranger qu'elle � ses pens�es les plus secr�tes.... Rien ne trahira la connaissance que j'en ai. Promettez-moi seulement de m'apporter encore ce livre... il serait pour moi de la derni�re importance de le consulter ensuite de l'entrevue que j'aurai demain avec votre ma�tresse.... Me le promettez-vous? --Encore mal faire... encore abuser de sa confiance.... Ah! maintenant je n'ai plus le droit de me plaindre de son injustice. --Iris, je vous en supplie.... --Vous me le demandez, n'est-ce pas pour moi plus qu'un ordre. Dans sa reconnaissance, M. de Br�vannes prit la main d'Iris, et, l'attirant pr�s de lui, voulut la baiser au front; la jeune fille le repoussa violemment et fi�rement, � la grande surprise de M. de Br�vannes, qui croyait combler les voeux de la jeune fille en se montrant si _bon seigneur_. En arrivant sur le quai, Iris jeta � la rivi�re la bague qu'elle avait re�ue pour prix de sa trahison. Apr�s avoir attentivement lu le _Livre noir_, M. de Br�vannes tomba dans une m�ditation profonde. Il n'en doutait pas, il �tait aim�, mais madame de Hansfeld combattait de toutes ses forces ce penchant involontaire. Son mari la rendait si horriblement malheureuse, qu'elle allait quelquefois jusqu'� d�sirer sa mort. Quoique le voeu lui par�t toucher � l'exag�ration, M. de Br�vannes regardait toutes ces circonstances comme favorables pour lui, et il attendait avec anxi�t� le moment du rendez-vous que madame de Hansfeld lui avait donn� pour le lendemain au Jardin-des-Plantes. * * * * * CHAPITRE III. ARNOLD ET BERTHE. Madame de Br�vannes avait plusieurs fois rencontr� chez Pierre Raimond M. de Hansfeld sous le nom d'Arnold Schneider; il avait sauv� la vie du vieux graveur, rien de plus naturel que ses visites � ce dernier. Berthe ayant r�solu de recommencer d'enseigner le piano pour subvenir aux besoins de son p�re, venait chez lui trois fois par semaine et y restait jusqu'� trois heures pour donner, en sa pr�sence, ses le�ons de musique. On n'a pas oubli� que Berthe avait fait sur M. de Hansfeld une impression profonde la premi�re fois qu'il l'avait aper�ue � la Com�die-Fran�aise. Lorsqu'il la rencontra ensuite chez Pierre Raimond, qu'il venait d'arracher � une mort presque certaine, vivement frapp� de la circonstance qui le rapprochait ainsi de Berthe, Arnold y vit une sorte de fatalit� qui augmenta encore son amour. Le charme des mani�res de M. de Hansfeld, la gr�ce de son esprit, ses pr�venances respectueuses, presque filiales, pour Pierre Raimond, chang�rent bient�t en une affection sinc�re la reconnaissance que le vieillard avait d'abord vou�e � son sauveur. Arnold �tait simple et bon, il parlait avec un go�t et un savoir infini des grands peintres, objet de l'admiration passionn�e du graveur qui avait employ� une partie de sa vie � reproduire sur le cuivre les plus belles oeuvres de Rapha�l, du Vinci et du Titien; il avait montr� � Arnold ces travaux de sa jeunesse et de son �ge m�r; Arnold les avait appr�ci�s en connaisseur et en habile artiste. Ses louanges ne d�celaient pas le complaisant ou le flatteur; mod�r�es, justes, �clair�es, elles en �taient plus pr�cieuses � Pierre Raimond, qui avait la conscience de son art; comme les artistes s�rieux et modestes, il connaissait mieux que personne le fort et le faible de ses ouvrages. Ce n'�tait pas tout: Arnold semblait par ses opinions politiques appartenir � ce parti exalt� de la jeune Allemagne, qui offre beaucoup d'analogie avec certaines nuances de l'�cole r�publicaine. Gr�ce � ses nombreux points de contact, la r�cente intimit� de Pierre Raimond et d'Arnold se resserrait chaque jour davantage. Ce dernier �tait de bonne foi, il ressentait v�ritablement de l'attrait pour ce rude et aust�re vieillard, qui conservait dans toute leur ardeur les admirations et les id�es de sa jeunesse. M. de Hansfeld �tait d'une excessive timidit�; les obligations de son rang lui pesaient tellement que, pour leur �chapper, il avait affect� les plus grandes excentricit�s. Ses go�ts, ses penchants se portaient � une vie simple, obscure, paisiblement occup�e d'arts et de th�ories sociales. Aussi, m�me en l'absence de Berthe, il trouvait dans les deux pauvres chambres de Pierre Raimond plus de plaisir, de bonheur, de contentement qu'il n'en avait trouv� jusqu'alors dans tous ses palais. S'il avait seulement voulu dissimuler ses assiduit�s aupr�s de Berthe sous de trompeuses pr�venances envers le graveur, celui-ci avait trop l'instinct du vrai pour ne pas s'en �tre aper�u, et trop de rigide fiert� pour ne pas fermer sa porte � Arnold. Pierre Raimond n'ignorait pas que son jeune ami trouvait Berthe charmante, et qu'il admirait autant son talent d'artiste que la candeur de son caract�re, que la gr�ce de son esprit. Dans son orgueil paternel, loin de s'alarmer, Pierre Raimond se r�jouissait de cette admiration. N'avait-il pas une confiance aveugle dans les principes de Berthe? Ne devait-il pas la vie � Arnold? Comment supposer que ce jeune homme au coeur noble, aux id�es g�n�reuses, abuserait indignement des relations que la reconnaissance avait �tablies entre lui et l'homme qu'il avait sauv�. Aux yeux de Pierre Raimond, cela e�t �t� plus inf�me encore que de d�shonorer la fille de son bienfaiteur. Enfin, Arnold avait dit appartenir au peuple, et, dans l'exag�ration de ses id�es absolues, Pierre Raimond lui accordait une confiance qu'il n'e�t jamais accord�e au prince de Hansfeld. Berthe, d'abord attir�e vers Arnold par la reconnaissance, avait peu � peu subi l'influence de cet �tre bon et charmant. Il assistait souvent, en pr�sence du vieux graveur, aux le�ons de musique de Berthe; il �tait lui-m�me excellent musicien, et quelquefois Berthe l'�coutait avec autant d'int�r�t que de plaisir parler savamment d'un art qu'elle adorait, raconter la vie des grands compositeurs d'Allemagne, et lui exposer, pour ainsi dire, la po�tique de leurs oeuvres et en faire ressortir les innombrables beaut�s. Que de douces heures ainsi pass�es entre Berthe, Arnold et Pierre Raimond! Celui-ci ne savait pas la musique; mais son jeune ami lui traduisait, lui expliquait pour ainsi dire la pens�e musicale des grands ma�tres, l'analysant phrase par phrase, et faisant pour l'oeuvre de Mozart, de Beethoven, de Gluck, ce qu'Hoffmann a si merveilleusement fait pour _Don Juan_. Berthe, profond�ment touch�e des soins d'Arnold pour Pierre Raimond, leur attribuait � eux seuls la vive sympathie qui, chaque jour, la rapprochait davantage du prince. Celui-ci �tait d'autant plus dangereux qu'il �tait plus sinc�re et plus naturel; rien dans son langage, dans ses mani�res, ne pouvait avertir madame de Br�vannes du p�ril qu'elle courait. La conduite d'Arnold �tait un aveu continuel, il n'avait pas besoin de dire un mot d'amour; si par hasard il se trouvait seul avec Berthe, son regard, son accent �taient les m�mes qu'en pr�sence du graveur. Celui-ci rentrait-il, Arnold pouvait toujours finir la phrase qu'il avait commenc�e. Comment madame de Br�vannes se serait-elle d�fi�e de ces relations si pures et si paisibles? Jamais Arnold ne lui avait dit: Je vous aime; jamais elle n'avait un moment song� qu'elle p�t l'aimer, et d�j� ils �taient tous deux sous le charme irr�sistible de l'amour. Nous le r�p�tons, par un singulier hasard, ces trois personnes, sinc�res dans leurs affections, sans d�fiance et sans arri�re-pens�e, s'aimaient: Arnold aimait tendrement le vieillard et sa fille, ceux-ci lui rendaient vivement cette affection; tous trois enfin se trouvaient si heureux, que par une sorte d'instinct conservatif du bonheur, ils n'avaient jamais song� � analyser leur f�licit�, ils en jouissaient sans regarder en-de�� ou au-del�. La seule chose qui aurait pu peut-�tre �clairer Berthe sur le sentiment auquel son coeur s'ouvrait de jour en jour, �tait l'esp�ce d'indiff�rence avec laquelle elle supportait les duret�s de son mari; elle s'�tonnait m�me vaguement de ressentir alors si peu des blessures nagu�re si douloureuses.... Lorsque son p�re, profond�ment irrit� contre M. de Br�vannes, lui avait s�rieusement, presque s�v�rement demand� compte des proc�d�s de M. de Br�vannes, elle n'avait pas menti en r�pondant que depuis quelque temps elle ne s'en tourmentait plus. Le vieillard avait eu d'autant plus de foi aux paroles de Berthe, que peu � peu elle redevenait calme, souriante, et que sa physionomie, autrefois si triste, r�v�lait alors la plus douce qui�tude. Peut-�tre bl�mera-t-on l'aveugle confiance de Pierre Raimond; cette confiance aveugle �tait une des n�cessit�s de son caract�re. Ces ant�c�dents pos�s, nous conduirons le lecteur dans le modeste r�duit de Pierre Raimond, le lendemain du jour o� M. de Hansfeld avait signifi� � sa femme qu'elle devait quitter Paris dans trois jours. * * * * * CHAPITRE IV. INTIMIT�. Un bon feu p�tillait dans l'�tre, au dehors la neige tombait et la bise faisait rage; Pierre Raimond �tait assis d'un c�t� de la chemin�e, Arnold de l'autre; depuis que le prince �tait amoureux, ses traits reprenaient une apparence de force et de sant�, quoique son visage f�t toujours un peu p�le. Une grande discussion s'�tait �lev�e entre Pierre Raimond et Arnold, car pour compl�ter le charme de leur intimit� ils diff�raient de mani�re de voir sur quelques questions artistiques, entre autres sur la fa�on de juger Michel-Ange. Arnold, tout en rendant un juste hommage � l'immense g�nie du vieux tailleur de marbre, ne ressentait pour ses productions aucune sympathie, quoiqu'il compr�t l'admiration qu'elles inspiraient; le go�t d�licat et pur d'Arnold, surtout �pris de la beaut� dans l'art, s'effrayait des sombres et terribles �carts du fougueux Buonarotti, et leur pr�f�rait de beaucoup la gr�ce divine de Rapha�l. Pierre Raimond d�fendait _son vieux sculpteur_ avec �nergie, et il se passionnait autant pour la fi�re ind�pendance du caract�re de Michel-Ange que pour la gigantesque puissance de son talent. --Votre tendre Rapha�l avait l'�me amollie d'un courtisan--disait le vieillard � Arnold--tandis que le rude cr�ateur du Mo�se et de la chapelle Sixtine avait l'�me r�publicaine; et il devait menacer, comme il l'en a menac�, le pape Jules de le jeter en bas de son �chafaudage s'il lui manquait de respect. M. de Hansfeld ne put s'emp�cher de sourire de l'exaltation de Pierre Raimond, et r�pondit: --Je ne nie pas l'�nergie un peu farouche de Michel-Ange; il �tait, malheureusement, d'un caract�re morose, fier, taciturne, ombrageux, altier et difficile. --Malheureusement!... Qu'entendez-vous par ce mot... malheureusement? --J'entends qu'il �tait malheureux, pour les sinc�res admirateurs de ce grand homme, de ne pouvoir nouer avec lui des relations agr�ables et douces. --Je l'esp�re bien.... Est-ce que vous le prenez pour un Rapha�l, pour un homme banal comme votre h�ros? Car--ajouta le graveur avec un accent de d�dain--il n'y avait personne au monde d'un caract�re plus facile, plus insinuant, plus aimable que votre Rapha�l. --Vous reconnaissez au moins ses qualit�s.... --Ses qualit�s!!! c'est justement � cause de ces _qualit�s_ insupportables que je le d�teste comme homme... quoique je le v�n�re comme artiste. --Et moi, mon cher monsieur Raimond, c'est justement � cause des d�fauts du caract�re diabolique de Michel-Ange qu'il m'est antipathique, comme homme, quoique je m'incline devant son g�nie. --Votre admiration n'est pas naturelle; elle est forc�e... elle est exag�r�e--s'�cria le graveur. --Comment!--dit Arnold stup�fait--vous d�testez Rapha�l � cause de ses qualit�s.... Moi, je n'aime pas Michel-Ange � cause de ses d�fauts... et vous m'accusez d'exag�ration? --Certainement... on n'est grand homme, on n'est Michel-Ange qu'� certaines conditions. J'admire dans le lion jusqu'� ses instincts sauvages et f�roces; il n'est lion qu'� condition d'�tre sauvage et f�roce, il ne peut avoir les _vertus_ d'un _mouton_ comme votre Rapha�l. --Mais au moins permettez-moi d'aimer dans Rapha�l ces vertus de _mouton_, qui sont, si vous le voulez, les cons�quences de sa nature, de son talent.... --A votre aise: admirez, si vous trouvez qu'un tel caract�re m�rite l'admiration.... Quant � moi, physiquement parlant, je ne mets pas seulement en balance la fade figure du beau, du c�leste Rapha�l, tout couvert de velours et de broderies, avec le m�le visage de mon vieux Buonarotti, sombre, farouche, h�l� par le soleil, et v�tu d'une souquenille � moiti� cach�e par son tablier de cuir de tailleur de pierre! Allons donc! est-ce que ces deux natures peuvent se comparer seulement? Ah! ah! ah!... quel plaisant contraste!... Je vois d'ici... le divin Rapha�l.... --Le divin Rapha�l aurait fl�chi le genou et respectueusement bais� la puissante main du vieux Michel-Ange, son ma�tre et son a�eul dans l'art--dit doucement Arnold en tendant la main � Pierre Raimond. --Vous avez raison--reprit celui-ci en r�pondant avec effusion au t�moignage de cordialit� de M. de Hansfeld.--Je suis un vieux fou... aussi emport� qu'� vingt ans.... A ce moment Berthe entra. Il e�t �t� difficile de peindre la ravissante expression de sa physionomie en voyant son p�re et Arnold se serrer ainsi la main. Ses yeux se remplirent de larmes de bonheur. --Viens � mon secours, enfant--dit Pierre Raimond.--Je suis battu... ma folle barbe grise est oblig�e de s'incliner devant cette v�n�rable moustache blonde.... Il reste calme comme la raison, et je m'emporte... comme si j'avais tort.... --Et le sujet de cette grave discussion?--dit Berthe en souriant et en regardant alternativement Arnold et son p�re. --Michel-Ange...--dit Pierre Raimond. --Rapha�l...--dit Arnold. --Comment, monsieur Arnold, vous ne pouvez pas c�der � mon p�re? --Je voudrais bien voir qu'il me c�d�t sans discussion!... Je ne veux pas qu'il c�de... mais qu'il soit convaincu.... --Quant � cela, monsieur Raimond... j'en doute... les convictions ne s'imposent pas, et Rapha�l.... --Mais Michel-Ange.... --Allons--dit Berthe--pour vous mettre d'accord, je vais jouer l'air de _Fidelio_, que M. Arnold aime tant... qu'il vous l'a aussi fait aimer, mon p�re. --Avouez, _don Rapha�l_--dit en riant le vieillard � Arnold--qu'elle a plus de bon sens que nous. --Je le crois, seigneur Michel-Ange; madame Berthe sait bien que quand on l'�coute on ne songe gu�re � parler. --Oh! monsieur Arnold, je ne suis pas dupe de vos flatteries. --Pour le lui prouver, mon enfant, commence l'ouverture de Fidelio: tu sais que c'est mon morceau de pr�dilection depuis que notre ami m'en a fait comprendre les beaut�s. Berthe commen�a de jouer cette oeuvre avec _amour_; la pr�sence d'Arnold semblait donner une nouvelle puissance au talent de la jeune femme. Au bout de quelques minutes, M. de Hansfeld parut compl�tement absorb� dans une profonde et douloureuse m�ditation; quoiqu'il e�t plusieurs fois entendu Berthe jouer ce morceau, jamais les tristes souvenirs qu'il �veillait en lui n'avaient �t� plus p�niblement excit�s. Berthe, qui de temps en temps cherchait le regard d'Arnold, fut effray�e de sa p�leur croissante, et s'�cria: --Monsieur Arnold... qu'avez-vous? mon Dieu!... comme vous �tes p�le! --Votre main est glac�e, mon ami--dit Pierre Raimond, qui �tait assis � c�t� de M. de Hansfeld. --Je n'ai rien... rien--r�pondit celui-ci;--je suis d'une faiblesse ridicule.... Certains airs sont pour moi... de v�ritables dates... et plusieurs motifs de _Fidelio_... se rattachent � un pass� bien triste.... --J'avais pourtant d�j� jou� ce morceau--dit Berthe en quittant le piano et en venant s'asseoir � c�t� de son p�re. --Sans doute.... J'�tais alors tout au plaisir d'entendre votre ex�cution. Mais � cette heure, je ne sais pourquoi.... Oh! pardon... pardon de ne pouvoir vaincre mon �motion.... Et M. de Hansfeld cacha son visage entre ses mains. Berthe et le vieillard se regard�rent tristement, partageant le chagrin de leur ami sans le comprendre. Apr�s quelques moments de silence, Arnold releva la t�te. Il est impossible de rendre l'expression de tristesse navrante dont son p�le et doux visage �tait empreint. Une larme vint aux yeux de Berthe; par un mouvement d'ing�nuit� charmante, elle prit la main de son p�re pour l'essuyer. --Vous souffrez--dit le vieillard � Arnold.--Que notre amiti� n'est-elle plus ancienne! vous pourriez peut-�tre apaiser vos chagrins en les �panchant.... --Oh! bien souvent j'y ai pens�... mais la honte m'a retenu--dit Arnold avec une sorte d'accablement. --La honte! s'�cria Raimond avec surprise. --Ne vous m�prenez pas sur ce mot... mon ami--dit Arnold;--Dieu merci! je n'ai rien fait dont j'aie � rougir.... Seulement, j'ai honte de ma faiblesse... j'ai honte d'�tre encore si sensible � des souvenirs qui devraient �tre aussi m�pris�s qu'oubli�s. --Ne craignez rien; nous vous comprendrons... nous vous plaindrons. Ma pauvre enfant a souvent aussi bien pleur� ici � propos de souvenirs qui, comme les v�tres, devraient �tre aussi m�pris�s qu'oubli�s. --Mon p�re! --Tenez.... Arnold--dit le graveur--si je d�sire votre confiance, c'est que nous aussi nous aurions peut-�tre de tristes aveux � vous faire.... --Vous aussi, vous avez �t� malheureux?--dit Arnold. --Bien malheureux--r�pondit le vieillard;--mais, Dieu merci! ces mauvais jours sont, je crois, pass�s. Il me semble que vous nous avez port� bonheur. Non seulement vous m'avez sauv� la vie, mais, cette vie, vous me l'avez rendue charmante. Oui, depuis bien longtemps je n'avais rencontr� personne dont l'esprit e�t autant de rapports avec le mien. Je ne sais quelle est l'influence de votre heureuse �toile; mais, depuis que nous vous connaissons, ma pauvre Berthe elle-m�me est moins triste... ses chagrins domestiques semblent adoucis.... Vous avez enfin �t� pour nous l'heureux augure d'une vie douce et calme. --Oh! ce que vous dit mon p�re est bien vrai, monsieur Arnold--dit Berthe.--Si vous saviez combien il vous aime! et lorsque je suis seule avec lui en quels termes il parle de vous! --C'est vrai--dit le vieillard.--Si vous nous entendiez, vous verriez que vous n'avez pas d'amis plus sinc�res.... Berthe vous est si reconnaissante de ce que vous m'avez sauv� la vie, qu'apr�s moi vous �tes ce qu'elle aime le plus au monde. --Oh! oui... pauvre p�re--dit Berthe en embrassant le vieillard. M. de Hansfeld �coutait Pierre Raimond avec une v�n�ration profonde. Ce langage franc et loyal �tait aussi nouveau que flatteur pour lui. Ne fallait-il pas qu'il inspir�t une bien noble confiance � Pierre Raimond pour que celui-ci ne craign�t pas de lui parler ainsi devant sa fille! Berthe elle-m�me, loin de se montrer confuse, embarrass�e, semblait confirmer ce que disait son p�re; son front rayonnait de candeur et de s�r�nit�. En pr�sence de cette noble franchise, M. de Hansfeld rougit de sa dissimulation; il fut sur le point d'apprendre � Pierre Raimond son v�ritable nom; mais il redouta l'indignation que cet aveu tardif exciterait peut-�tre chez le vieux graveur, dont il connaissait d'ailleurs les pr�ventions anti-aristocratiques; il trouva donc une sorte de _mezzo termine_ dans la demi-confidence qu'il fit � Berthe et � son p�re. Apr�s quelques moments de silence, il dit � Pierre Raimond: --Vous avez raison, mon ami... vous m'avez donn� l'exemple de la confiance... je vous imiterai.... Peut-�tre vous inspirerai-je un peu d'int�r�t par quelques rapports entre ma position et celle de votre fille... car vous m'avez dit que son mariage n'�tait pas heureux... et c'est aussi � mon mariage que j'ai d� d'atroces chagrins. --Vous �tes mari�?... si jeune--dit Raimond avec �tonnement. --Depuis deux ans. --Et votre femme...--dit Berthe. --Elle est en Allemagne--r�pondit M. de Hansfeld apr�s un moment d'h�sitation. --Et quelques passages de l'ouverture de _Fidelio_ que jouait Berthe vous ont sans doute rappel� de douloureux souvenirs? --H�las! oui. Lorsque j'ai connu la femme que j'ai �pous�e, j'�tais dans tout le feu de ma premi�re admiration pour cet op�ra de Beethoven.... J'ai toujours eu l'habitude d'attacher mes pens�es du moment � certains passages de la musique que j'aime... pens�es qui, pour moi, deviennent pour ainsi dire les paroles des airs que j'affectionne le plus; eh bien! l'op�ra de _Fidelio_ me rappelle ainsi toutes les phases d'un amour malheureux. --Ah! maintenant je comprends votre �motion--dit Berthe en secouant la t�te avec tristesse. --Voyons, mon ami--dit cordialement Pierre Raimond--jamais vous ne parlerez � des coeurs plus sympathiques. Et M. de Hansfeld raconta ainsi qu'il suit l'histoire de son mariage avec Paula Monti; histoire vraie en tous points, sauf la substitution du nom d'Arnold Schneider � celui de Hansfeld. * * * * * CHAPITRE V. R�CIT. --Orphelin presque en naissant--dit le prince--j'ai �t� �lev� par un vieux serviteur de ma famille. Nous habitions un village retir�, nous y vivions dans une compl�te solitude. Le pasteur �tait peintre et musicien; il reconnut en moi quelques dispositions pour ces arts auxquels je consacrais tout mon temps. Ces premi�res ann�es de ma vie furent paisibles et heureuses. J'aimais le vieux Frantz comme un p�re; il avait pour moi les soins les plus tendres; il me reprochait seulement de fuir les exercices violents, de ne sortir de mon cabinet d'�tudes que pour quelques rares promenades dans nos belles montagnes. Je n'avais aucun des go�ts de mon �ge; j'�tais s�rieux, taciturne, m�lancolique; la musique me causait des ravissements presque extatiques, auxquels je m'abandonnais avec d�lices.... A dix-huit ans j'entrepris avec mon vieux serviteur un voyage en Italie. Pendant deux ans j'�tudiai les chefs-d'oeuvre des grands ma�tres dans les diff�rentes villes o� je m'arr�tai, voyant peu de monde et me trouvant heureux de ma vie indolente, r�veuse et contemplative.... J'arrivai � Venise; mon culte pour les arts avait jusqu'alors rempli ma vie, l'admiration passionn�e qu'ils m'inspiraient suffisait � occuper mon coeur.... A Venise, le hasard me fit rencontrer une femme dont l'influence devait m'�tre funeste. Cette femme, que j'ai �pous�e, se nommait Paula Monti.... --Elle �tait belle?--demanda Berthe. --Tr�s belle... mais d'une beaut� sombre.... �trange contraste! j'ai toujours �t� faible et timide, je me suis �pris d'une femme au caract�re �nergique et viril.... C'�tait mon premier amour.... Sans doute j'ob�is plus � l'instinct, au besoin d'aimer, qu'� un sentiment r�fl�chi, et je devins passionn�ment amoureux de Paula Monti; elle accueillit mes soins avec indiff�rence; je ne me rebutai pas; elle me semblait tr�s malheureuse. J'eus quelque espoir, je redoublai d'assiduit�s, et je demandai formellement sa main � sa tante. J'�tais riche alors, ce mariage lui parut inesp�r�; elle y consentit. J'eus avec Paula une entrevue d�cisive.... Je dois le dire, elle m'avoua qu'elle avait ardemment aim� un homme qui devait �tre son mari; et quoique cet homme f�t mort, son souvenir vivait encore si pr�sent et si cher � sa pens�e, qu'il l'absorbait tout enti�re, et que mon amour lui �tait indiff�rent. Cet aveu me fit mal; mais je vis dans la franchise de Paula une garantie pour l'avenir; je ne d�sesp�rai pas de vaincre, � force de soins, la froideur qu'elle me t�moignait.... Elle ne me cacha pas que, sans l'incessante influence d'un pass� qu'elle regrettait am�rement, elle aurait peut-�tre pu m'aimer. Alors je me laissai bercer des plus folles esp�rances; ma passion �tait vraie.... Paula Monti en fut touch�e; mais sa d�licatesse s'effrayait encore de la disproportion de nos fortunes. La perte d'un proc�s venait de compl�tement ruiner sa famille. Je surmontai ses scrupules; elle me promit sa main... mais en me r�p�tant encore qu'elle ne pouvait m'offrir qu'une affection presque fraternelle. Cependant cette froide union fut pour moi un bonheur immense. D'abord mes esp�rances s'accrurent, � part quelques moments de profonde tristesse, le caract�re de Paula �tait m�lancolique, mais �gal, quelquefois m�me affectueux. D�j� j'entrevoyais un avenir plus heureux, lorsqu'un jour.... Oh! non, non, jamais... je n'aurai la force de continuer--reprit le prince en cachant sa figure entre ses mains. Berthe et son p�re se regard�rent en silence, n'osant pas demander � Arnold la suite d'un r�cit qui lui semblait si p�nible. Pourtant il poursuivit: --Pourquoi cacherais-je ses crimes? Mon indulgence n'a-t-elle pas �t� une faiblesse coupable? Je dois en porter la peine. Nous �tions all�s passer l'�t� � Trieste. Depuis plusieurs jours, Paula se montrait d'une humeur sombre, irritable; je la voyais � peine. Lors de ces acc�s de noire tristesse, elle ne voulait aupr�s d'elle qu'une jeune boh�mienne qu'elle avait recueillie par charit�. Cette pauvre enfant �tait, par reconnaissance, tendrement d�vou�e � ma femme. Pour l'intelligence du r�cit qui va suivre--continua le prince--il me faut entrer dans quelques particularit�s minutieuses. Au bout du jardin de notre maison de Trieste �tait un pavillon o� nous allions prendre le th� presque chaque soir. Un soir Paula m'avait � grand'peine promis d'y venir passer une heure.... J'esp�rais ainsi la distraire de ses tristes pens�es. Jamais je n'oublierai l'expression morne et d�sol�e de sa physionomie pendant cette soir�e; elle accueillit presque avec col�re et d�dain quelques mots de tendresse que je lui adressais. Douloureusement bless� de sa duret�, je sortis du pavillon. Apr�s quelques tours de jardin, je me calmai peu � peu, me rappelant que Paula m'avait pr�venu qu'elle �tait encore quelquefois sous le coup de souvenirs p�nibles. Je rentrai dans le pavillon. Elle n'y �tait plus. On avait servi le th� pendant mon absence, je trouvai pr�par�e la tasse de lait sucr� que je prenais chaque soir; je sus gr� � Paula de cette attention dont pourtant je ne profitai pas.... J'avais un �pagneul que j'affectionnais beaucoup.... Machinalement je lui pr�sentai la tasse que Paula m'avait appr�t�e; il la but avidement, et presque aussit�t le malheureux animal tomba par terre, trembla convulsivement, et mourut apr�s quelques minutes d'agonie.... --Oh! je comprends... mais cela est horrible...--s'�cria Pierre Raimond. Berthe regarda son p�re avec surprise. --Qu'y a-t-il donc, mon p�re?...--dit-elle;--puis, �clair�e par un moment de r�flexion, elle ajouta avec horreur:--Oh! non, non, c'est impossible... monsieur Arnold... c'est impossible! une femme est incapable d'un crime si affreux. --N'est-ce pas?--reprit Arnold avec amertume.--Apr�s quelques r�flexions, j'ai dit comme vous... c'est impossible... j'ai attribu� au hasard ce fait effrayant, je me suis m�me cruellement reproch� d'avoir pu un moment soup�onner Paula. --Et lorsque vous rev�tes votre femme--dit Pierre Raimond--quel fut son accueil? --Il fut calme, confiant; et si j'avais alors conserv� quelques doutes, ils eussent �t� � l'instant dissip�s: le soir j'avais laiss� Paula sombre, presque courrouc�e; le lendemain je la trouvai tranquille, affectueuse et bonne... elle me tendit la main en me demandant pardon de m'avoir si brusquement quitt� la veille.... --C'est d'une inconcevable hypocrisie...--dit Pierre Raimond. --Oh! non, non, elle n'�tait pas coupable, son calme le prouve--dit Berthe. --Je pensais comme vous--reprit M. de Hansfeld;--il y avait tant de sinc�rit� dans son accent, dans son regard; ses paroles �taient si naturelles, qu'accabl� de remords, de honte, je tombai � ses pieds en fondant en larmes et en lui demandant pardon.... Elle me regarda d'un air surpris. Je n'osai m'expliquer davantage. Innocente, mon soup�on �tait un abominable outrage. Je lui r�pondis que je craignais de l'avoir contrari�e la veille.... Elle me crut, et cette sc�ne n'eut pas d'autre suite. Comment vous expliquer ce qui se passa en moi depuis ce jour.... Mon fol amour pour Paula augmenta pour ainsi dire en raison des torts que je me reprochais envers elle; je ne pouvais me pardonner d'avoir os� accuser une femme qui m'avait donn� tant de preuves de franchise. --En effet--dit Berthe--lorsque vous avez demand� sa main, pourquoi vous aurait-elle dit que son coeur n'�tait pas libre, au risque de manquer un mariage si avantageux pour elle?... Non, non; elle �tait innocente de cet horrible crime. --Et vous n'aviez pas d'ennemis?--dit Pierre Raimond. --Aucun, que je sache.... --Mais comment vous �tes-vous expliqu� la mort subite, convulsive, de cet �pagneul, mort dans laquelle se retrouvaient tous les sympt�mes d'un empoisonnement? --Je parvins � m'�tourdir sur ce fait inexplicable, � emp�cher pour ainsi dire ma pens�e de s'y arr�ter, tant je voulais croire � l'innocence de Paula. J'expiais douloureusement cet atroce soup�on; vingt fois je fus sur le point de lui tout avouer; mais je n'osais pas: son affection pour moi �tait d�j� si ti�de, si incertaine... un tel aveu me l'e�t � jamais ali�n�e. Pourtant... pour mon repos, j'aurais d� tout lui dire, car elle commen�a de trouver quelques-unes de mes paroles �tranges; mes r�ticences involontaires lui sembl�rent incoh�rentes; quelquefois, profond�ment touch� d'un mot ou d'une attention tendre de sa part, je m'�criais dans une sorte d'�garement: --Oh! je suis bien coupable... pardonnez-moi... j'ai eu tort.... Elle me demandait la signification de ces mots; je revenais � moi, et au lieu de m'expliquer, je lui r�it�rais les protestations les plus passionn�es.... H�las! bient�t la p�le affection que j'en avais obtenue par tant de soins, avec tant de peine, fit place � une nouvelle froideur.... Elle me regardait quelquefois d'un air inquiet et craintif... ses acc�s d'humeur sombre redoubl�rent... alors aussi... les soup�ons que j'avais d'abord si �nergiquement repouss�s revinrent � ma pens�e; puis je les chassais de nouveau; quelquefois j'examinais malgr� moi avec d�fiance les mets qu'on me servait; puis, rougissant de cette crainte si insultante pour Paula, je quittais brusquement la table.... Dans cette lutte sourde et concentr�e, ma sant� s'alt�ra, mon caract�re s'aigrit; Paula me t�moigna un �loignement de plus en plus prononc�. --Quelle vie... mon Dieu, quelle vie!--s'�cria Berthe en essuyant ses yeux humides. --H�las! dit M. de Hansfeld, cela n'�tait rien encore. Nous quitt�mes Trieste � la fin de l'automne; ma femme voulait aller passer l'hiver � Gen�ve, puis venir ensuite en France; surpris par un orage violent, nous nous arr�t�mes � quelques lieues de Trieste, dans une mis�rable auberge � la tomb�e de la nuit. La temp�te redoubla de fureur, un torrent que nous devions traverser �tait d�bord�; il fallut nous r�signer � passer la nuit dans cette demeure. L'endroit �tait d�sert. Il me sembla que le ma�tre de l'auberge avait une figure sinistre. Je proposai � ma femme de veiller le plus tard possible, et de sommeiller ensuite sur une chaise, afin de pouvoir partir avant le jour, d�s que les chemins seraient praticables. Notre suite se composait de deux domestiques � moi et de la jeune fille qui accompagnait Paula. J'avais pour cette enfant toutes les bont�s possibles, je savais en cela plaire � ma femme; d'ailleurs, Iris (c'est le nom de cette boh�mienne) m'�tait presque aussi d�vou�e qu'� sa ma�tresse. Nous occupions pendant cette nuit fatale... oh! bien fatale... une petite chambre dont l'unique porte ouvrait sur un cabinet o� se trouvait Frantz, mon vieux serviteur.... Paula ne pouvait cacher son effroi; le vent semblait �branler la maison jusque dans ses fondements; nous veill�mes tous deux assez tard. Seuls dans cette chambre, je m'�tais assis sur un mauvais grabat, pendant que ma femme reposait dans un fauteuil. Je succombai au sommeil, malgr� tous mes efforts. J'ignore depuis combien de temps je dormais, lorsque je fus brusquement �veill� par une douleur aigu� � la partie interne du bras gauche. L'obscurit� la plus profonde r�gnait dans cette pi�ce. Mon premier soin fut de saisir la main que je sentais peser sur moi.... Cette main fr�le et d�licate tenait un stylet tr�s aigu.... --Mon Dieu!--s'�cria Berthe �pouvant�e en joignant les mains. --Encore... une tentative... mais cela est effroyable--dit Pierre Raimond. Arnold continua: --Gr�ce � l'obscurit�, on avait enfonc� le stylet entre mon corps et mon bras gauche, �troitement serr� contre moi. A la l�g�re r�sistance que rencontra la lame en glissant dans cet �troit intervalle, on dut croire qu'elle p�n�trait dans ma poitrine. Cette erreur me sauva; j'en fus quitte pour une l�g�re blessure au bras. --Quel bonheur!--dit Berthe. --Je vous l'ai dit, mon premier mouvement en m'�veillant fut de saisir la main que je sentais peser sur moi; tout-�-coup cette main devint glac�e; j'�tendis l'autre bras, je touchai une robe de femme.... Je sentis un parfum l�ger, mais p�n�trant, dont se servait habituellement Paula.... Une �pouvantable id�e me traversa l'esprit.... Je me rappelai le poison de Trieste.... Je n'eus plus aucun doute.... Cette r�v�lation fut si foudroyante, que je ne sais ce qui se passa en moi; ma raison s'�gara; pendant quelques secondes, je me crus le jouet d'un horrible songe.... Durant cet instant de vertige, la main que je tenais s'�chappa sans doute.... Quand je revins � moi, j'�tais seul, toujours dans les t�n�bres:--Frantz.... Frantz... m'�criai-je en frappant � la cloison qui s�parait ma chambre du cabinet o� �tait mon domestique. Frantz ne dormait pas; en une minute il entra tenant une lampe � la main. --Et votre femme?--s'�cria Berthe. --Figurez-vous ma surprise... ma stupeur... c'�tait � douter de ma raison; Paula �tait profond�ment endormie dans un fauteuil aupr�s de la chemin�e. --Elle feignait de dormir...--s'�cria Pierre Raimond. --Je vous dis que c'�tait � devenir fou; elle dormait, ou plut�t elle simulait si parfaitement un profond et paisible sommeil, que sa respiration douce, r�guli�re, n'�tait pas m�me acc�l�r�e par la terrible �motion qu'elle devait ressentir; sa figure �tait calme; sa bouche l�g�rement entr'ouverte; son teint faiblement color� par la chaleur du sommeil; et sa physionomie, ordinairement s�rieuse, �tait presque souriante. --Mais cela est � peine croyable--s'�cria Pierre Raimond;--comment! votre femme dormait paisiblement apr�s une pareille tentative? --Son sommeil �tait, vous dis-je, d'une s�r�nit� si profonde, que je ne pouvais non plus en croire mes yeux. Debout, p�le, immobile, je la contemplais d'un air hagard. --Et il n'y avait pas d'autre femme que la v�tre dans cette auberge?--demanda Berthe. --Il n'y avait qu'elle. --Et cette jeune fille, cette boh�mienne?--dit Pierre Raimond. --Elle �tait couch�e dans une pi�ce qui donnait sur la chambre o� veillait Frantz; il ne dormait pas, il avait de la lumi�re, il �tait impossible d'entrer chez nous sans qu'il le v�t. --Il faut donc le croire... cette fois, c'�tait bien elle,--dit Berthe.--Un tel crime est-il possible, mon Dieu! --Une dissimulation pareille m'�pouvante encore plus que le crime--dit Pierre Raimond. --Une derni�re preuve d'ailleurs ne me laissait presque aucun doute--dit Arnold.--Sur le plancher, aux pieds de ma femme, je reconnus une dague florentine, arme pr�cieuse, cisel�e par Benvenuto Cellini, qui avait �t�, je crois, l�gu�e � Paula par son p�re. --D�s lors vous n'avez plus gard� aucun m�nagement!--s'�cria le graveur;--et c'est ensuite de ce nouveau crime que vous avez rel�gu� cette inf�me en Allemagne. --Si j'h�sitais � vous raconter cette horrible histoire, mon ami--reprit le prince d'un air confus--c'est que j'avais la conscience de ma faiblesse, ou plut�t de l'inexplicable influence que Paula conservait sur moi.... --Comment! apr�s cette nouvelle tentative.... --Oh! si vous saviez ce qu'il y a d'affreux dans le doute.... --Mais ce coup de poignard?--dit Pierre Raimond. --Mais ce sommeil si profond? mais ce r�veil si doux, si paisible? --Lorsqu'elle vous vit bless�, que dit-elle?--s'�cria Berthe. --Vous peindre son angoisse, sa stupeur, ses soins empress�s, me serait impossible. De l'air du monde le plus naturel, elle s'�cria qu'il fallait faire partout des perquisitions. Elle avait aussi remarqu� la veille la sinistre physionomie du ma�tre de cette auberge; comme moi elle s'�puisait en vaines conjectures. Frantz affirmait n'avoir vu passer personne, et qu'on avait d� s'introduire par une fen�tre qui s'ouvrait sur un balcon; mais cette fen�tre se trouva parfaitement ferm�e. L'accent de Paula fut si naturel, que mon vieux serviteur, qui ne l'aimait pas, qui avait vu mon mariage avec peine, n'eut pas un instant la pens�e d'accuser ma femme. --Mais cette petite main fr�le que vous avez saisie?... mais cette senteur de parfum particuli�re � votre femme?--s'�cria Pierre Raimond. --Je vous le r�p�te... ma raison s'�garait dans ce d�dale de contradictions singuli�res. Paula, aid�e de Frantz, voulut elle-m�me panser ma blessure; rien dans ses mani�res, dans son langage, n'�tait affect�. --Commettre un tel crime et faire montre de tant d'hypocrisie... c'�tait l� le comble de la sc�l�ratesse--dit le graveur. --Sans doute, et la monstruosit� m�me d'un tel caract�re �veillait encore mes doutes, malgr� l'�vidence. Pour comble de fatalit�, Paula, soit int�r�t, soit piti�, soit calcul, ne s'�tait jamais montr�e plus affectueuse, je dirais presque plus tendre, qu'en me prodiguant les premiers soins apr�s cet accident. --Ruse, ruse infernale!--s'�cria Pierre Raimond. --C'�tait peut-�tre le remords de son crime--dit Berthe. --Mon malheur voulut que j'h�sitasse tour � tour entre ces convictions si diverses.... Il e�t �t� moins funeste pour moi de croire Paula tout-�-fait coupable ou tout-�-fait innocente; mais au contraire... par une inconcevable mobilit� d'impressions, je passais tour � tour envers elle de l'amour passionn� � des acc�s de haine et d'horreur; mes angoisses de Trieste n'�taient rien aupr�s des tortures que j'endurais alors.... Une t�te plus faible que la mienne n'e�t pas r�sist� � ces secousses. Quelquefois, apr�s avoir t�moign� � ma femme, par quelques paroles incoh�rentes, la terreur qu'elle m'inspirait, r�fl�chissant que, malgr� d'effrayantes apparences, je n'avais pas de certitude r�elle et que je me trompais peut-�tre, je poussais des sanglots d�chirants en lui demandant pardon. Elle finit par croire ma raison �gar�e.... Que vous dirai-je... je trouvai d'abord une satisfaction am�re � laisser prendre quelque consistance � ce bruit, puis � l'augmenter et � l'accr�diter par des bizarreries calcul�es. Le monde m'�tait odieux, je voulais ainsi �chapper � ses exigences. Ce n'�tait pas tout: d�s qu'on me crut sujet � des moments de folie, je pus, � l'abri de ce pr�texte, me livrer sans scrupule � mes acc�s de m�fiance, sans que mes pr�cautions, ainsi attribu�es � un d�rangement d'esprit, pussent compromettre ou accuser ma femme. Tant�t, croyant ma vie menac�e, je m'enfermais seul pendant des journ�es enti�res, ne mangeant que du pain et des fruits que mon fid�le Frantz allait m'acheter lui-m�me; et encore souvent, dans ma terreur insens�e, je n'osais pas m�me toucher � ces aliments.... D'autres fois, rougissant de mon effroi, convaincu de l'innocence de Paula, je revenais � elle avec un repentir d�chirant; mais son accueil �tait glacial, m�prisant. --Pauvre Arnold!--dit Pierre Raimond avec �motion.--Sans doute vous �tes faible; mais cette faiblesse m�me d�rivait d'une noble source... vous craigniez d'accuser injustement Paula. En effet, c'est quelque chose d'effrayant que de dire � quelqu'un, et cela sans preuves certaines: Vous �tes homicide... vous avez voulu deux fois m'assassiner.... --N'est-ce pas? surtout lorsqu'il s'agit d'adresser ces foudroyantes paroles � une femme que l'on a passionn�ment aim�e, surtout lorsqu'� c�t� de preuves mat�rielles presque irr�cusables, il est pour ainsi dire d'autres preuves morales toutes contraires; lorsqu'enfin quelquefois une voix secr�te, une r�v�lation occulte, vous dit avec une irr�sistible autorit�: Non, cette femme n'est pas coupable.... Oh! je vous l'assure, c'�tait un enfer... un enfer.... --Maintenant--dit Berthe--je con�ois que vous ayez feint d'�tre insens�. --Mais--dit Pierre Raimond--une derni�re tentative ne vous a laiss� aucun doute.... --Aucun cette fois.... Le crime me parut av�r�... ou plut�t, comme mon amour s'�tait us� et �teint dans ces luttes, dans ces angoisses continuelles, j'ai eu cette fois plus de courage que je n'en avais eu jusque-l�. --Vous ne l'aimez plus, enfin?--dit Berthe. --Non, car, en admettent m�me que j'eusse �t� aussi insens� que je le paraissais, je m�ritais au moins quelque piti�, quelque int�r�t... et ma femme ne m'en t�moignait aucun. Profitant de la solitude o� je vivais (nous habitions alors une grande ville), elle courait les f�tes et s'informait � peine de moi. Cette duret� de coeur me r�volta.... Ou ma femme �tait coupable, et ma g�n�rosit� � son �gard aurait d� toucher l'�me la plus perverse, ou elle �tait innocente, alors les acc�s de douleur auxquels je me livrais apr�s l'avoir vaguement accus�e auraient d� l'�mouvoir. --Mais pourquoi n'avez-vous jamais, avec elle, abord� franchement cette question? Pourquoi n'avoir jamais nettement formul� vos reproches?--dit Pierre Raimond. --Songez-y; il me fallait lui dire:--Je vous soup�onne, je vous accuse d'avoir voulu m'assassiner deux fois.... Ne pouvais-je pas me tromper? --En effet, cette position �tait affreuse--dit. Berthe. Et le dernier trait qui a amen� votre s�paration, quel est-il? --Il y a tr�s peu de temps de cela--dit M. de Hansfeld en baissant les yeux.--J'occupais avec ma femme une maison isol�e: je ne sais pourquoi mes soup�ons �taient revenus avec une nouvelle violence; je sortais rarement de mon appartement. Quelquefois pourtant, le soir, je montais � un petit belv�d�re situ� au fa�te de notre demeure; c'�tait une esp�ce de terrasse tr�s �lev�e, entour�e d'une l�g�re grille � hauteur d'appui, sur laquelle je m'accoudais ordinairement pour regarder au loin les tristes horizons que pr�sente une grande ville pendant la nuit; je passais l� quelquefois de longues heures dans une r�verie profonde. Un soir, la Providence voulut qu'au lieu de m'accouder et de me pencher comme d'habitude sur la balustrade... j'y posai la main.... A peine l'eus-je touch�e que, � mon grand effroi, elle c�da et tomba avec un fracas horrible.... --Ciel!--s'�cria Berthe. --La hauteur �tait si grande que cette grille de fer fut bris�e en morceaux en tombant sur le pav�. --Quelle atroce combinaison!--dit Pierre Raimond en levant les mains au ciel. --Ma mort �tait in�vitable si je me fusse appuy� sur cette rampe.... Qui pouvais-je accuser, si ce n'est Paula? Personne n'avait d'int�r�t � ma mort. Ignorant qu'une faillite m'avait enlev� presque toute ma fortune, elle se souvenait sans doute que dans des temps plus heureux je lui avais fait donation de mes biens. Cette id�e ne m'�tait jamais venue tant qu'avait dur� mon amour.... Il m'a toujours sembl� impossible de soup�onner d'une infamie les gens que j'aime.... J'aurais pu, � la rigueur, croire ma femme capable d'ob�ir � un mouvement de haine insens�e, mais non d'agir par un calcul si l�che et si odieux; pourtant, une fois mon amour �teint, en pr�sence de ce nouveau pi�ge si meurtrier, je ne reculai devant aucune supposition. Seulement, pour �viter de tristes scandales, je me contentai de d�clarer � Paula qu'elle quitterait � l'instant la ville que nous habitions, que je ne la reverrais jamais, et que j'�tais assez indulgent, ou plut�t assez faible pour la livrer � ses seuls remords.... Que vous dirai-je de plus! � quoi bon vous indigner en vous parlant de l'audace avec laquelle cette femme brava mes reproches, de l'horrible hypocrisie avec laquelle elle affecta de les attribuer � l'�garement de ma raison. Tant de cynisme et d'effronterie me r�volta... je la quittai.... De ce moment ma vie fut bien triste... mais au moins j'�tais d�livr� d'une horrible appr�hension. Quelque temps apr�s je vous rencontrai--ajouta M. de Hansfeld en tendant la main � Pierre Raimond.--Tout � l'heure vous parliez d'heureuse �toile.... Vous aviez raison, la mienne m'a fait me trouver sur votre chemin... avant d'avoir eu le bonheur de vous sauver la vie, j'�tais seul, abattu et sous le coup de bien amers souvenirs; tout a chang� pour moi, j'ai trouv� en vous un ami; mes chagrins sont pass�s, et si je pouvais compter sur la dur�e de nos relations, je n'aurais �t� de ma vie plus heureux.... --Et pourquoi, mon ami, ces relations vous manqueraient-elles jamais? Le charme du commerce des honn�tes gens est dans sa s�ret�: qui pourrait alt�rer notre amiti�? N'est-elle pas bas�e sur des services rendus, sur des services r�ciproques? N'est-elle pas �galement ch�re � ma fille, � vous, � moi?... Et puis enfin les tristes motifs qui nous font trouver dans cette intimit� si douce une sorte de refuge contre des pens�es cruelles, ces motifs existeront toujours: pour vous, ce sont les crimes de votre femme; pour Berthe, la cruelle conduite de son mari; pour moi, le ressentiment des chagrins de mon enfant.... --Vous avez raison, nous n'avons pas le droit de douter de l'avenir. --Mon Dieu! que vous avez d� souffrir, monsieur Arnold--dit tristement Berthe. --Si vous avez t�moign� quelque faiblesse--dit Pierre Raimond--votre conduite a �t� admirable de mansu�tude.... C'est le propre d'une �me pleine de d�licatesse et d'�l�vation que de s'imposer les cruelles tortures du doute plut�t que de risquer un reproche... terrible... bien terrible... si contre toute probabilit� votre femme e�t �t� innocente.... Ce long r�cit de vos infortunes me donne de nouvelles preuves de la bont� de votre coeur; et comme on a toujours les d�fauts de ses qualit�s, je trouve m�me dans l'esp�ce de faiblesse qu'on pourrait vous reprocher une preuve de d�licatesse exquise. --Vous �tes trop indulgent, mon ami.... --Je suis juste... et aussi peu flatteur que Michel-Ange.... Est-ce bien cela--ajouta le vieillard en riant. --Voici l'heure de mes le�ons--dit Berthe;--cette triste confidence finit � temps; j'en suis tout attrist�e. Ah! monsieur Arnold, quelles souffrances!... Il vous faudra bien du bonheur pour les oublier.... A ce moment deux �coli�res de Berthe arriv�rent et rompirent la conversation. M. de Hansfeld quitta Pierre Raimond et sa fille, un peu soulag� par l'aveu qu'il venait de leur faire, mais regrettant encore l'incognito qu'il gardait envers eux. D�sirant avant tout �loigner sa femme, qu'il voulait faire partir le lendemain, M. de Hansfeld revint � l'h�tel Lambert. * * * * * CHAPITRE VI. MENACES. Madame de Hansfeld se trouvait dans une cruelle perplexit�: son mari exigeait d'elle qu'elle part�t le lendemain pour l'Allemagne; il lui fallait ainsi renoncer � M. de Morville, n�cessairement retenu � Paris par la sant� chancelante de sa m�re. L'�loignement de Paula pour le prince se changeait en aversion, en haine profonde; elle croyait ce sentiment presque excus� par les bizarreries et par les duret�s de son mari. Le dernier coup qu'il lui portait �tait surtout affreux; la forcer de quitter Paris au moment m�me o� sa passion pour M. de Morville, si longtemps cach�e, si longtemps combattue, allait �tre aussi heureuse qu'elle pouvait l'�tre. Iris, en r�v�lant � sa ma�tresse que le prince se rendait souvent chez Pierre Raimond, sous un nom suppos�, pour y rencontrer madame de Br�vannes, avait excit� la col�re de Paula contre Berthe; c'�tait sans doute pour garder plus facilement un incognito qui favorisait son amour que le prince exigeait le d�part de madame de Hansfeld. Apr�s de m�res r�flexions, Paula crut entrevoir quelque chance de salut dans la passion m�me de son mari pour madame de Br�vannes. Malgr� l'ordre du prince, madame de Hansfeld n'avait annonc� son d�part � personne, et ne se pr�parait nullement � ce voyage, esp�rant que peut-�tre son mari renoncerait � sa premi�re d�termination. Quant � ses menaces de d�voiler les crimes de sa femme et de l'abandonner � la justice des hommes, Paula n'y avait vu qu'une nouvelle preuve de l'aberration de l'esprit d'Arnold. Jusqu'alors les diff�rents acc�s de ce qu'elle appelait la _folie_ de M. de Hansfeld lui avaient presque inspir� autant de commis�ration que d'effroi. Mais dans son dernier entretien, le prince s'�tait montr� si dur, si injuste, elle se voyait si cruellement sacrifi�e � l'affection qu'il ressentait pour Berthe, que, bless�e dans ce qu'elle avait de plus pr�cieux au monde... son amour pour M. de Morville, Paula partageait sa haine entre son mari et madame de Br�vannes. Telles �taient les r�flexions de madame de Hansfeld, lorsque le prince entra chez elle; il sortait de chez Pierre Raimond; son air �tait encore plus ferme, encore plus imp�rieux que la veille. --Il me semble, madame, que vous ne vous h�tez pas de faire vos pr�paratifs de d�part--lui dit-il s�chement.--Du reste, comme vous ne verrez et ne recevrez personne au ch�teau de Hansfeld, o� je vous envoie, vous n'avez pas besoin d'un grand attirail de toilette.... Vous pouvez emporter vos diamants... je vous les abandonne.... Frantz, que je charge de vous conduire en Allemagne, est incorruptible.... Si j'avais pu h�siter � vous laisser ces pierreries... �'aurait �t� dans la crainte de vous donner les moyens de gagner votre guide.... Madame de Hansfeld interrompit son mari: --Je vous remercie, monsieur, de me procurer cette occasion de vous rendre ces pierreries. Et, se levant, elle alla prendre dans un secr�taire un grand �crin qu'elle remit au prince. --J'ai autrefois accept� ces pr�sents... depuis longtemps j'aurais d� les remettre entre vos mains. --Soit--dit le prince en les prenant avec indiff�rence;--la tendresse la plus vive, l'affection la plus d�vou�e n'ont pu vous d�sarmer... ma g�n�rosit� devait �tre aussi impuissante.... Il est vrai--ajouta-t-il avec un sourire de m�pris �crasant--que j'avais par contrat dispos� en votre faveur de la plus grande partie de ma fortune..., et qu'apr�s ma mort vous h�ritiez de tout... des pierreries comme du reste.... --Monsieur.... --Seulement, comme vous m'avez paru un peu press�e de jouir de ces avantages, j'ai trouv� moyen, en d�naturant une partie de ma fortune, de neutraliser ces dons d'autrefois.... Je vous dis cela pour vous convaincre que si je mourais demain... vos esp�rances int�ress�es seraient d��ues. J'aurais d� vous pr�venir plus t�t... cela vous e�t �vit�... quelques actions un peu _hasard�es_ que votre vif d�sir d'�tre veuve explique, mais n'excuse pas--ajouta M. de Hansfeld avec une sanglante ironie. Ces mots cruels firent une �trange impression sur madame de Hansfeld. Parfaitement indiff�rente aux reproches qu'ils renfermaient et qu'elle ne comprenait pas, car elle ne les m�ritait en rien, elle ne fut frapp�e que de leur injustice et de leur cruaut�. M. de Hansfeld f�t alors tomb� mort � ses pieds qu'elle aurait �t� loin de le regretter; car � ce moment m�me elle se souvint que M. de Morville lui avait �crit: _Mon amour sera toujours malheureux, puisque je ne puis pr�tendre � votre main_. N�anmoins la princesse eut bient�t honte et horreur de sa pens�e, ou plut�t de son voeu barbare; elle r�pondit froidement � son mari: --Je ne veux pas comprendre le sens de vos paroles, monsieur; il est si odieux qu'il en est ridicule. Quant � la question d'int�r�t, vous le savez... c'est contre mon gr� que vous m'avez si magnifiquement avantag�e; je trouve naturel que vous reveniez sur ces dispositions. --Tant d'hypocrisie dans les paroles, tant d'audace dans les actions les plus criminelles--dit le prince � demi-voix et comme s'il se f�t parl� � lui-m�me--voil� ce qui confondait ma raison et me faisait toujours douter des crimes de cette femme. Heureusement, � cette heure, elle est d�voil�e tout-�-fait... car mon fatal amour est �teint.... Puis il reprit en s'adressant � Paula: --Je suis venu ici, madame, pour vous ordonner de presser les pr�paratifs de votre d�part. Il faut que demain soir vous ayez quitt� Paris.... --Monsieur... je ne quitterai pas Paris.... --Vous pr�f�rez alors que je parle, madame? --Voil� plusieurs fois que vous me faites cette menace, monsieur.... Pour l'amour du ciel, parlez donc... je saurai enfin ce que vous avez � me reprocher.... --Vous comptez trop sur le respect que j'ai pour mon nom et sur ma crainte d'un terrible scandale. Prenez garde... ne me poussez pas � bout. Croyez-moi, partez... partez.... --Franchement, monsieur, je ne suis pas votre dupe... vous voulez m'effrayer... me forcer de quitter Paris... et pourquoi? pour faire croire aussi � voire d�part et conserver ainsi plus facilement votre incognito.... --Que dites-vous, madame? --Et continuer, gr�ce � cet incognito, � �tre favorablement accueilli par Pierre Raimond, p�re de madame de Br�vannes.... --Madame, prenez garde.... --De madame de Br�vannes dont vous �tes �pris... et que vous rencontrez souvent chez son p�re. A ces mots, le prince resta frapp� de stupeur, son p�le visage devint pourpre; apr�s un moment de silence, il s'�cria: --Pas un mot de plus, madame... pas un mot de plus. --Vous aimez cette femme--ajouta madame de Hansfeld. --Pas un mot de plus, vous dis-je, madame. --Ainsi, elle vous donne d�j� des rendez-vous chez son p�re; c'est un peu prompt--ajouta madame de Hansfeld avec m�pris. --Vous �tes indigne de prononcer seulement le nom de cet ange!...--s'�cria le prince. --Vraiment; eh bien! je suis curieuse de savoir ce que le mari de cet _ange_ pensera de vos entrevues avec sa femme. --Vous oseriez?... --Surtout lorsqu'il saura que c'est sous un nom suppos� que vous vous introduisez chez Pierre Raimond. --Mais vous avez donc jur� de me mettre hors de moi!... s'�cria le prince avec rage.--Vous parlez de folie..., mais c'est vous qui �tes folle, malheureuse femme, de jouer ainsi que vous le faites avec votre destin�e. --L'avenir prouvera qui de vous ou de moi est insens�, monsieur. Il y a longtemps d'ailleurs que vous m'avez habitu�e aux �garements de votre raison... je ne sais si � cette heure m�me vous �tes dans votre bon sens. En tout cas, retenez bien ceci: je vous d�clare que si vous vous obstinez � me faire quitter Paris... je fais tout savoir � M. de Br�vannes. --Silence, madame... silence. --Soit, je me tairai... mais vous savez � quelles conditions. --Des conditions � moi... vous osez m'en imposer.... --Je l'ose, car je veux croire qu'� part votre monomanie de m'adresser des reproches incompr�hensibles, vous �tes ordinairement un homme de bon sens.... Nous avons des motifs de nous m�nager mutuellement sur certains sujets.... Votre raison n'est pas tr�s saine, je pourrais me mettre sous la protection des lois; mais il me r�pugnerait d'attirer l'attention publique par un proc�s contre vous et d�livrer � la malignit� des curieux les secrets de notre int�rieur.... Vous devez craindre de votre c�t� que M. de Br�vannes n'apprenne que vous vous occupez de sa femme... restons donc dans les termes o� nous sommes.... Je n'ai aucune pr�tention sur votre coeur... le mien ne vous a jamais appartenu, agissez donc librement.... S'il vous est m�me n�cessaire de feindre une absence, je consens � me pr�ter � cette supercherie et � dire que vous avez quitt� Paris.... Tout ce que je vous demande en retour, monsieur, c'est de me permettre de rester ici quelque temps... mes pr�tentions, je crois, ne sont pas exorbitantes. M. de Hansfeld �tait stup�fait de l'assurance de Paula. Malheureusement pour lui, elle poss�dait un secret qu'il tremblait de voir �bruiter. Cette consid�ration, plus que la crainte des scandales d'un proc�s, suffisait pour le mettre jusqu'� un certain point dans la d�pendance de sa femme. Il est impossible de peindre ses regrets de savoir la princesse instruite des visites qu'il rendait � Pierre Raimond et du motif qui l'attirait chez le graveur. La r�putation de Berthe �tait, pour ainsi dire, � la merci d'une femme pour laquelle Arnold ressentait autant de m�pris que d'horreur. Sans doute la conduite de madame de Br�vannes �tait irr�prochable; mais le moindre soup�on, mais la simple d�couverte du v�ritable nom du prince suffirait pour exciter la d�fiance de Pierre Raimond, l'emp�cher de recevoir d�sormais Arnold Schneider... d'un mot la princesse pourrait soulever ces orages! Qu'on juge de la col�re du prince, il se trouvait presque sous la domination de Paula. Celle-ci triomphait; elle sentait la force de sa position: gagner du temps, rester � Paris, voir quelquefois M. de Morville, lui �crire souvent, apr�s lui avoir peut-�tre avou� qu'il ne s'�tait pas tromp� sur l'auteur de la myst�rieuse correspondance dont nous avons parl�... tel �tait le voeu le plus ardent de madame de Hansfeld; et, gr�ce au secret qu'elle poss�dait, elle pouvait r�aliser ce voeu. Elle profita de l'esp�ce d'accablement de son mari pour ajouter: --Cela est convenu, monsieur, vous emportez vos pierreries. Je renonce � tous les avantages que vous m'avez faits; mon seul but est de vivre aussi �loign�e et s�par�e de vous qu'il me sera possible... plus encore m�me, si cela se peut, que par le pass�... mon silence est � ce prix.... Vous le voyez, monsieur... vous �tes venu ici la menace aux l�vres.... Les r�les sont chang�s. --Non!--s'�cria le prince dans un acc�s d'indignation violente--non, la femme qui a trois fois attent� � mes jours n'osera pas tenir un tel langage... et me menacer! moi... moi, dont la cl�mence a �t� si folle... moi qui, par un reste de m�nagement stupide, ai toujours recul� devant cette accusation terrible qui pouvait vous mettre en face de l'�chafaud! Madame de Hansfeld regarda son mari avec stupeur. --Monsieur, prenez garde! votre raison s'�gare!... --Je vous dis que, par trois fois, vous avez voulu m'assassiner, madame! --Moi? --Vous, madame.... Et le pavillon de Trieste?... et l'auberge d�serte de la route de Gen�ve?... et la derni�re tentative que l'on a faite, il y a deux jours, contre ma vie?... --Moi, moi?... mais il est impossible que vous disiez cela s�rieusement, monsieur--s'�cria Paula.--Dans quel but aurais-je commis un crime si noir? mais c'est affreux, mais rien dans ma conduite n'a pu autoriser vos effroyables soup�ons.... --Des soup�ons?... madame, dites donc des certitudes. --Des certitudes? et sur quels faits? sur quelles preuves les basez-vous? Mais j'ai tort de discuter avec vous; en v�rit�, c'est de la folie. --Vous osez parler de ma folie... mais cette folie �tait de la cl�mence, madame... je ne pouvais ainsi m'isoler dans ma d�fiance, m'entourer de pr�cautions, sans en expliquer la cause, car cette cause vous aurait perdue. Madame de Hansfeld regardait son mari avec une surprise croissante; elle ne pouvait croire � ce qu'elle entendait. --Maintenant, monsieur--dit-elle en rassemblant ses souvenirs--toutes vos bizarreries, toutes vos r�ticences s'expliquent.... Cette odieuse accusation a du moins le m�rite d'�tre pr�cise... ma justification sera d'autant plus facile.... --Vous pr�tendez.... --Me justifier... oui, et j'exige que vous m'�coutiez. --Cette audace me confond.... Autrefois j'ai pu en �tre dupe... mais � cette heure.... --A cette heure, monsieur, vous allez me dire sur quoi repose votre accusation; quelles sont vos preuves? Je les dissiperai une � une; il n'y a pas de logique plus puissante que celle de la v�rit�. M. de Hansfeld, confondu de cette assurance, regardait � son tour sa femme avec un �tonnement profond. Elle �tait si calme, elle semblait aller de si bonne foi au-devant d'explications qu'une conscience criminelle aurait redout�es, que ses doutes revinrent en foule. --Comment, madame--s'�cria-t-il--vous niez qu'� Trieste, un soir, apr�s une assez p�nible discussion, vous ayez tent� de vous d�barrasser de moi en jetant, dans une tasse de lait qu'on m'avait servie, un poison si violent qu'un �pagneul que j'aimais beaucoup est mort un instant apr�s l'avoir bue? --Moi... moi... du poison?--s'�cria-t-elle en joignant les mains avec horreur.--Mais qui a pu, grand Dieu! vous inspirer de tels soup�ons? En quoi les ai-je m�rit�s? Comment, depuis cette �poque vous me croyez capable d'un tel crime? --Et ce crime n'est pas le seul, madame. --Si les autres ne vous sont pas plus prouv�s que celui-l�, monsieur, Dieu vous demandera compte de ces terribles accusations.... Apr�s un silence et une r�flexion de quelques moments, Paula reprit: --Oui, oui, maintenant je me rappelle la circonstance � laquelle vous faites allusion, et aussi une autre qui me disculpe enti�rement et dont vous pourrez vous informer aupr�s de Frantz, en qui vous avez, je crois, toute confiance. Je me souviens parfaitement que lorsqu'apr�s une p�nible discussion, vous �tes sorti du pavillon, on ne nous avait pas encore servi le th�. --Il est vrai, c'est en rentrant dans ce kiosque que j'ai trouv� la tasse que vous m'avez servie sans doute pendant mon absence.... --Vous vous trompez. Heureusement les moindres d�tails de cette soir�e me sont pr�sents. Je quittai le pavillon apr�s vous; au moment o� j'allais descendre, Frantz apporta le th�, il le d�posa devant moi sur la table et m'accompagna jusqu'� notre maison, o� je l'occupai une partie de la soir�e. Interrogez-le � l'instant, et que je meure s'il contredit une seule de mes paroles. --Mais qui a donc pu jeter ce poison dans ma tasse? --Je pr�tends me disculper, mais non pas �clairer cet horrible myst�re.... --Vous seriez disculp�e sans doute si Frantz confirmait vos paroles.... Mais l'assassinat de l'auberge de la route de Gen�ve? --Apr�s votre premier soup�on--dit Paula en souriant avec amertume--celui-ci ne me surprend pas. Pourtant vous auriez d� vous souvenir que je dormais profond�ment et que vous avez eu beaucoup de peine � m'arracher au sommeil. Quant aux soins que je vous ai donn�s apr�s ce funeste �v�nement, je ne crois pas que vous les suspectiez! --Mais ce stylet qui vous appartenait et qui a servi au crime? --Je ne m'explique pas plus que vous cet �trange incident.... Cette dague assez pr�cieuse et jusqu'alors fort inoffensive me servait de couteau � papier, et je la serrais habituellement dans mon n�cessaire � �crire.... Mais j'y songe, cette fois encore Frantz peut t�moigner en ma faveur.... Il gardait les clefs des coffres de notre voiture, il avait lui-m�me serr� ce n�cessaire, qu'il n'ouvrit qu'� Gen�ve. En partant de Trieste, il l'avait mis en ordre avec Iris. Informez-vous aupr�s d'eux si la dague y �tait enferm�e.... Ils vous l'affirmeront, j'en suis s�re. Or, pendant ce voyage, je ne vous ai pas quitt� d'un moment, et Frantz a toujours eu sur lui les clefs de la voiture; comment aurais-je pris cette dague? Ce que disait madame de Hansfeld paraissait parfaitement vraisemblable; le prince croyait entendre de nouveau cette voix secr�te qui lui avait si souvent r�p�t�: �Paula n'est pas coupable.� Le prince sentit encore ses soup�ons se dissiper presque compl�tement; quoiqu'il n'aim�t plus Paula, il avait un caract�re si g�n�reux qu'il regrettait am�rement d'avoir accus� madame de Hansfeld, et d�j� il s'imposait l'obligation (si elle se justifiait compl�tement) de lui faire une �clatante et solennelle r�paration. --Vous avez, monsieur--dit-elle--une derni�re accusation � porter contre moi.... Veuillez vous expliquer.... Terminons, je vous prie, cet entretien, qui, vous le concevez, doit m'�tre bien p�nible.... --Avant-hier, madame, la grille de fer qui entoure la petite terrasse du belv�d�re de l'h�tel a �t� sci�e au niveau des dalles, elle ne tenait plus � rien; au lieu de m'y appuyer comme de coutume, j'y portai machinalement la main..., la balustrade est tomb�e. --Quelle horreur--s'�cria Paula;--et vous avez cru... mais pourquoi non..., ce crime n'est pas plus horrible que les autres... j'aurai plus de peine � me disculper cette fois... tout ce que je puis vous dire... c'est qu'avant-hier je suis sortie � onze heures du matin pour aller d�jeuner chez madame de Lormoy, je suis rentr�e � quatre heures, et vos gens ont pu voir que depuis cette heure jusqu'au moment o� je suis partie pour l'Op�ra... je n'ai pas quitt� mon appartement... il m'aurait fallu traverser la cour pour aller dans votre galerie qui communique seule avec l'escalier du belv�d�re, et personne n'entre chez vous � l'exception de Frantz... interrogez-le... peut-�tre par lui saurez-vous quelque chose; quant � moi, je n'ai � ce sujet rien � vous dire de plus. Apr�s quelques moments de silence, M. de Hansfeld se leva et dit � sa femme: --Ce que vous m'apprenez, madame, change toutes mes r�solutions. Ce d�part, que j'exigeais, je ne l'exige plus. Lorsque j'aurai caus� avec Frantz je vous reverrai. Et le prince sortit de chez sa femme d'un air profond�ment abattu. * * * * * CHAPITRE VII. R�FLEXIONS. Tout enti�re � la surprise, � l'effroi que lui causaient les accusations de son mari, madame de Hansfeld, pendant cet entretien, n'avait song� qu'� se disculper; le prince sorti, elle put r�fl�chir plus profond�ment. D'abord elle sentit s'augmenter son indignation contre un homme qui osait la croire coupable de forfaits si noirs, puis elle �prouva pour lui une sorte de reconnaissance en songeant que, moins r�serv�, moins g�n�reux, il aurait pu parler haut de ces soup�ons, auxquels le hasard donnait tant de vraisemblance. Par un rapprochement bizarre, Paula se souvint en m�me temps de ces mots de M. de Morville: _Mon amour ne saurait �tre heureux que si je pouvais obtenir votre main_. Entre ces paroles et les terribles accusations de son mari, madame de Hansfeld vit un rapprochement �trange, fatal, qui la frappa. En admettant que les myst�rieuses et homicides tentatives auxquelles le prince avait �t� expos� eussent r�ussi, elle se serait trouv�e libre... elle aurait pu �pouser celui qu'elle idol�trait et le rendre ainsi le plus heureux des hommes. Il n'y eut d'abord rien de criminel dans les pens�es de Paula. Que de fois les coeurs les plus purs, les caract�res les plus �lev�s, se sont passag�rement laiss� entra�ner non pas m�me � des voeux, mais seulement � de simples suppositions qui, r�alis�es, eussent �t� de grands crimes. Combien de femmes pieusement r�sign�es, endurant avec une douceur ang�lique les plus mauvais traitements d'un mari brutal et m�chant, ont dit: H�las! que n'ai-je �pous� un homme g�n�reux et bon! Il n'y a rien de meurtrier dans cette supposition, elle n'exprime pas m�me l'esp�rance ou le d�sir de voir la fin des tortures que l'on souffre, et pourtant cette supposition contient le germe d'un voeu meurtrier... c'est l'instinct de conservation qui s'�veille et qui cherche vaguement les moyens de fuir la douleur. Bien des �tres souffrants s'arr�tent � cette exclamation, et leur vie n'est qu'un long et triste g�missement. D'autres, bless�s plus � vif ou moins r�sign�s, s'�crient:--Oh! si j'�tais d�livr� de mon bourreau!...--D'autres enfin:--Pourquoi la mort ne m'en d�barrasse-t-elle pas? Que l'on suive attentivement les cons�quences, la logique de ces plaintes, de ces esp�rances, de ces voeux... on arrivera toujours � un r�sultat _v�niellement_ meurtrier. C'est toujours plus ou moins l'effrayante et fatale _n�cessit�_ qui conduit Macbeth de crime en crime. Que d'honn�tes gens ont fr�mi, �pouvant�s du nombre de crimes _platoniques_ qu'ils �taient entra�n�s � commettre par une premi�re pens�e juste en apparence! Pour Paula, une des id�es r�sultant de son entretien avec M. de Hansfeld fut donc celle-ci: --Mon mari, que je n'aime pas; mon mari, que j'ai �pous� par obsession; mon mari, qui a de moi une opinion si inf�me qu'il m'a crue capable d'avoir trois fois attent� � ses jours... mon mari aurait pu mourir..., et sa mort me permettait de r�compenser l'amour le plus passionn�. En vain Paula, qui pressentait la funeste attraction de cette id�e, voulut la fuir.... Elle y revint sans cesse, et presqu'� son insu, de m�me qu'on revient sans cesse et malgr� soi au point central d'un labyrinthe o� l'on est �gar�. Nous le r�p�tons, rien de plus effrayant que l'entra�nement forc� de certaines r�flexions. A cette id�e succ�da celle-ci: --La personne qui attentait avec acharnement aux jours de M. de Hansfeld doit vivre dans notre int�rieur.... Par quel motif veut-elle cette mort? Apr�s quelques moments de m�ditation, Paula, frapp�e d'une clart� soudaine, se rappela certains mots myst�rieux d'Iris, l'attachement aveugle, presque sauvage de cette jeune fille, la haine qu'elle avait quelquefois montr�e contre le prince lorsqu'elle, Paula, lui disait ses regrets d'avoir �pous� cet homme capricieux et fantasque; plus elle y r�fl�chit, plus elle crut �tre sur la trace du v�ritable auteur de ce crime.... Son premier mouvement fut bon... �pouvant�e de l'opini�tret� f�roce avec laquelle Iris poursuivait sa trame homicide, craignant qu'elle ne s'arr�t�t pas l�, elle voulut l'interroger et la confondre. Une heure apr�s le d�part du prince, Iris, mand�e par sa ma�tresse, entrait dans la chambre de celle-ci. * * * * * CHAPITRE VIII. INTERROGATOIRE. Madame de Hansfeld h�sitait sur la mani�re d'ouvrir la conversation et d'arriver � la connaissance de la v�rit�, elle craignait qu'en lui parlant avec rigueur, Iris, effray�e, s'obstin�t dans une n�gation absolue. Elle crut avoir trouv� le moyen d'�viter cet �cueil. --M. de Hansfeld sort d'ici--dit-elle tristement � Iris.--Je sais enfin la cause de toutes les �tranget�s qui m'avaient fait croire sa raison �gar�e. --Ce motif, marraine? --Trois fois on a attent� � ses jours.... --C'est un r�ve... comme il en fait tant. --Trois fois, te dis-je, on a attent� � ses jours... il en a les preuves.... --Alors, il conna�t le coupable?... --Il croit le conna�tre. --Et le coupable, marraine? --C'est moi.... --Vous?... --Il le croit.... --Il vous a menac�e?... --Oui. --Et de quoi? --De la justice... des tribunaux.... --Vous �tes innocente, que vous importe? --Mais le scandale d'un proc�s... mais la honte d'�tre soup�onn�e.... --Je pourrai vous suivre, au moins.... Votre pauvre Iris ne vous abandonnera pas.. elle.... Dans un tel malheur son d�vouement vous sera n�cessaire. Cette na�vet� franche fit fr�mir Paula; elle commen�a d'entrevoir une partie de la v�rit�; elle redoubla donc de prudence, de r�serve, tendit la main � Iris, et lui dit: --Sans doute, dans une telle extr�mit� tes soins me seraient bien doux; mais, par int�r�t pour toi, je les refuserais.... --Marraine!... --Rien au monde ne me les ferait accepter. --Par int�r�t pour moi, vous les refuseriez? --Oui, Marianne ou une autre de mes femmes m'accompagnerait. --Mais moi, moi? --Je prierais le prince de te renvoyer en Allemagne avant le proc�s.... Il ne me refuserait pas cela. --Marraine... je ne vous comprends pas. Pourquoi m'�loigner de vous lorsque tout le monde vous abandonnerait sans doute? --Parce que ton attachement pour moi est connu... parce qu'il pourrait te faire para�tre complice de crimes dont je suis pourtant innocente. --Mais moi... je veux rester aupr�s de vous; tant mieux si l'on me croit votre complice. --Mais moi, Iris, j'exigerais ton d�part.... A tous les chagrins qui m'accablent, � tous ceux qui vont m'accabler encore, je ne voudrais pas joindre celui de te voir malheureuse. Iris r�fl�chit un moment; sa ma�tresse l'examinait avec attention; la jeune fille reprit froidement: --Puisque le prince vous accuse, marraine, je vais aller le trouver et lui dire que je suis votre complice.... Ainsi, l'on ne me s�parera pas de vous. Paula fut effray�e: Iris �tait capable de cette d�marche. --Mais, malheureuse enfant! l'avouer ma complice, c'est te dire coupable... c'est m'accuser... c'est peut-�tre me pousser � l'�chafaud! --Eh bien, j'y monterai avec vous! --Que dis-tu?--s'�cria la princesse, �pouvant�e du regard triomphant d'Iris et de l'infernale r�solution de sa physionomie. --Je dis--reprit la boh�mienne avec une exaltation farouche--je dis que la part que j'ai dans votre vie, marraine, est mis�rable; je dis que mon voeu le plus ardent serait de vous voir dans une position telle que mon d�vouement pour vous f�t votre supr�me bonheur, votre seule joie, votre seule consolation; je dis que j'aimerais autant vous voir morte qu'indiff�rente � ce que je ressens pour vous... que j'aime comme ma m�re, comme ma soeur, comme mon Dieu; je dis que ceux que vous avez aim�s, c'est-�-dire Rapha�l et Morville, n'ont pas fait pour vous la milli�me partie de ce que j'ai fait moi-m�me, et ils ont occup�, et ils occupent votre vie, votre pens�e tout enti�re, tandis que moi je ne suis rien pour vous.... Cela est injuste, marraine... bien injuste. --Osez-vous parler ainsi, vous que j'ai recueillie, combl�e de mes dons.... Et qu'avez-vous donc fait pour reconna�tre mes bont�s? --Vous me demandez ce que j'ai fait, marraine! Eh bien! je vais vous le dire � cette heure... car il faut que notre destin�e s'accomplisse. Ce que j'ai fait? J'ai fait tuer Rapha�l par M. Charles de Br�vannes, d'abord.... --Toi... toi.... Mon Dieu! elle m'�pouvante. --Oui, moi.... Vous ne saviez pas ce que c'�tait que Rapha�l.... Vingt fois, en voyant vos larmes, vos regrets, j'ai �t� sur le point de vous dire: Vous n'avez rien � regretter.... Rapha�l �tait indigne de vous.... Mais je ne voulais pas parler... je vous dirai tout � l'heure pourquoi. --Malheureuse! explique-toi... que veux-tu dire? Tout ceci n'est-il qu'une sanglante raillerie?--Non, non, Iris ne raille pas lorsqu'il s'agit de vous... �coutez-moi donc. Vous m'aviez hiss�e � Venise, cela me fit une peine horrible; vous ne vous en �tes pas seulement aper�ue, ou, du moins, mon chagrin vous a �t� indiff�rent... mon d�sir de vous accompagner vous a sembl� importun.... Mon Dieu!... il fallait me laisser p�rir dans la rue plut�t que de faire na�tre en moi une reconnaissance dont les t�moignages vous devaient �tre � charge. --Mais cette malheureuse est folle.... Et que faisait cela � Rapha�l? --Vous m'aviez laiss�e � Venise; je vous l'ai dit, cela me causa une violente douleur; je ne pus me r�signer � rester dans l'ignorance de votre vie et � recevoir seulement de temps � autre quelque froide lettre de vous. A force de pri�res, je parvins � obtenir d'In�s, votre cam�riste, qu'elle me tiendrait au courant de vos actions. Vous ne savez pas ce qu'il m'a fallu de pers�v�rance, de promesses, de s�ductions pour int�resser � mon d�sir cette indiff�rente fille, et l'amener � m'�crire presque chaque jour.... Par cela... jugez ce qu'est mon attachement pour vous. --Je ne sais s'il faut l'ex�crer, la plaindre ou l'admirer--se dit Paula. --Peut-�tre je m�rite � la fois la piti�, la haine et l'admiration--reprit Iris.--Mais �coutez encore.... Par In�s, je sus que Charles de Br�vannes vous obs�dait de soins, que le bruit public vous accusait de l'aimer, mais que cela �tait faux.... Vous ne songiez qu'� Rapha�l, dont vous parliez presque toujours avec votre tante en pr�sence d'In�s.... Pendant ce temps Rapha�l vous trompait.... --Rapha�l!... oh! tu mens... tu mens.... --Il vous trompait, vous dis-je, vous en aurez la preuve. Il �tait venu � Venise pour d�gager sa parole; il �tait fianc� avec une jeune Grecque de Zante... nomm�e Cora.... Je vous le prouverai.... Il connaissait votre confiance en moi, il m'attribuait sur vous une influence que je n'avais pas.... Ce fut donc � moi qu'il fit les premiers aveux de sa trahison, en me suppliant de vous en instruire avec tous les m�nagements possibles. De moi... ce coup devait vous para�tre moins cruel. --Mais son duel avec Br�vannes? --Tout � l'heure... laissez-moi continuer. En entendant les l�ches et parjures paroles de Rapha�l... je fus � la fois joyeuse et courrouc�e. --Joyeuse? --Oui, car je hais presque autant ceux qui vous aiment que ceux qui vous sont ennemis. --Mais c'est le d�mon... que cette insens�e.... Ah! maudit soit le jour o� je t'ai rencontr�e sur mon chemin!... --Maudit soit ce jour pour nous deux peut-�tre. En apprenant la trahison de Rapha�l, je fus donc joyeuse et courrouc�e; pour vous venger � l'instant, l�... sous mes yeux, je dis � Rapha�l qu'il avait tort de prendre de tels m�nagements; que vous l'aviez d�s longtemps imit�, sinon pr�venu dans son insouciance, car, depuis votre arriv�e � Florence, vous �tiez la ma�tresse d'un Fran�ais, de Charles de Br�vannes.... --Mais In�s t'avait �crit le contraire.... --Mais elle m'avait aussi �crit que les apparences �taient contre vous, et que le bruit public vous accusait.... Je ne croyais que porter un coup douloureux � l'amour-propre de Rapha�l: mon attente fut d�pass�e.... L'orgueil des hommes est si f�roce que ce tra�tre, qui vous avait sacrifi�e, se r�volta en se croyant tromp� � son tour. J'irritai encore sa col�re. La vanit� offens�e fit ce que l'amour n'avait pu faire.... Rapha�l partit furieux pour Venise avec Osorio, afin de se venger de votre pr�tendu parjure. Oui... cet homme qui nagu�re oubliait sans remords ses promesses les plus saintes, parce qu'il se croyait �perdument aim� de vous, se reprit d'une folle passion lorsqu'il se vit d�daign�. Vous savez le reste... comment son erreur fut encore augment�e par la fatuit� de Br�vannes... qui le tua apr�s l'avoir convaincu de votre infid�lit�... --Cela est-il possible, mon Dieu! --Ces preuves de la trahison de Rapha�l, je vous les donnerai... vous dis-je.... Elles consistent dans une lettre pour vous qu'il m'avait apport�e � Venise, et dans laquelle il vous pr�venait de son prochain mariage avec cette Grecque.... Apr�s le duel, Osorio m'�crivit pour me supplier de ne pas vous remettre cette lettre, voulant venger son ami en vous laissant croire que vous �tiez la seule coupable, et que Rapha�l vous avait toujours aim�e, ainsi qu'il vous l'�crivait dans son dernier billet. --Mais pourquoi m'as-tu laiss�e � mes remords?... Pourquoi, en me voyant rester si longtemps fid�le au souvenir d'un homme qui m'avait tromp�e... ne m'as-tu pas dit qu'il �tait indigne de moi?... --Pourquoi?... --Oui. --Parce que j'aimais mieux vous voir �prise d'un mort... que d'un vivant. --Et lorsque je te faisais part de mes scrupules d'aimer M. de Morville, et d'�tre ainsi infid�le au souvenir de Rapha�l, pourquoi d'un mot n'as-tu pas fait �vanouir mes regrets? --Je vous le r�p�te... parce que j'aimais mieux vous voir �prise d'un mort que d'un vivant... et puis j'esp�rais que le souvenir de Rapha�l surmonterait votre amour pour M. de Morville. --Mais tu le hais donc aussi, M. de Morville?--s'�cria madame de Hansfeld, reculant �pouvant�e de ce que le g�nie infernal de cette fille pouvait imaginer et ex�cuter. Avant de r�pondre, Iris resta quelques moments silencieuse, puis elle reprit d'un air sombre: --Je vous l'ai dit... ceux qui vous aiment et que vous aimez, je les hais presque autant que vos ennemis.... Cela est mon sentiment, cela est mon impression. --Ainsi, M. de Morville.... --Mais parce que je suis jalouse de votre affection--reprit Iris en interrompant sa ma�tresse--mais parce que je souffre... oh! bien cruellement, de vous voir d�penser des tr�sors d'attachement pour des �tres qui ne vous ch�rissent pas comme moi... il ne s'ensuit pas que je pousse l'�go�sme jusqu'� vouloir vous priver d'un bonheur, par cela seulement que ce bonheur fait mon d�sespoir; non, non. Quelquefois, dans mes mauvais jours..., j'ai de ces pens�es; mais je les chasse. --Ainsi--reprit madame de Hansfeld avec amertume--vous me permettez d'aimer M. de Morville?... --Je ferai mieux que cela--dit la boh�mienne en jetant un regard per�ant sur sa ma�tresse. Sans pouvoir se rendre compte ni de ce qu'elle �prouvait, ni de la signification de ce regard, madame de Hansfeld baissa la t�te et rougit. Iris reprit d'un ton plus humble: --Maintenant que je vous ai dit, marraine, ce qui concernait Rapha�l... je dois vous dire... ce qui concerne le prince.... --Elle va tout avouer... enfin--dit la princesse. * * * * * CHAPITRE IX. R�V�LATIONS. Apr�s un moment de silence, Iris reprit, en attachant son regard scrutateur sur madame de Hansfeld: --Vous n'aviez �pous� le prince qu'avec regret, et pour assurer un avenir � votre tante; plusieurs fois vous me l'avez dit. --Cela est vrai.... --Vous m'avez dit encore que, gr�ce � la g�n�rosit� de M. de Hansfeld, la plus grande partie de sa fortune devait vous appartenir apr�s sa mort.... --Ah! malheureuse... vous m'�pouvantez.... Ainsi ces tentatives r�it�r�es.... Sans r�pondre � sa ma�tresse, Iris continua. --Peu de temps apr�s votre mariage, votre tristesse a redoubl�... Je n'ai plus h�sit�, et un soir, � Trieste, sans que personne me v�t... dans une tasse de lait.... --Mais vous �tes un monstre! --J'avais pris mes pr�cautions.... Si le crime e�t �t� d�couvert, moi seule pouvais �tre accus�e... et d'ailleurs je me serais avou�e la seule coupable. --C'est horrible! horrible!... Et vous n'avez pas recul� devant l'�normit� du crime que vous alliez commettre? --Vous d�siriez �tre veuve.... --Vous l'ai-je jamais dit? me l'�tais je seulement dit � moi-m�me? --Vous regrettiez de vous �tre mari�e... je vous rendais votre libert�... --Mais vous n'avez donc aucune notion du mal et du bien? --Le bien... c'est votre bonheur;... le mal... c'est votre chagrin.... --Qui pourrait croire, mon Dieu! � cette sauvage et f�roce exaltation.... Comment votre main n'a-t-elle pas trembl�? comment avez-vous pu m�diter un tel crime? Comment surtout avez-vous pu r�cidiver? --Apr�s la premi�re tentative... vous avez �t� encore plus triste que d'habitude.... Vous vous �tes souvent plainte � moi de tout ce que vous faisait souffrir l'in�galit� du caract�re du prince; devant moi bien souvent vous avez maudit le jour o� vous aviez consenti � ce mariage; quelquefois m�me, en d�plorant votre triste existence, vous regrettiez de n'�tre pas morte.... Alors une seconde fois j'ai voulu le tuer... dans cette auberge isol�e; je m'�tais introduite dans sa chambre par le balcon de la fen�tre entr'ouverte; je l'avais presque referm�e en m'en allant, apr�s le coup manqu�... --Non, non, je ne puis croire � ce que j'entends... si jeune... et un pareil sang-froid, un tel endurcissement.... --Si vous saviez la douleur que je ressens de vos douleurs... si vous saviez combien vos larmes retombent br�lantes sur mon coeur... vous comprendriez mon sang-froid, mon endurcissement, comme vous dites.... Oui... si vous saviez � quel point la vie me p�se depuis que j'ai la conviction d'�tre si peu pour vous... vous comprendriez que j'ai voulu assurer votre bonheur en risquant une vie qui m'est indiff�rente. Si je n'ai pas tent� plus souvent, c'est que le prince s'est entour� de telles pr�cautions.... --Assez!... assez! tu me fais horreur.... Et maintenant?... que vais-je faire? j'ai l'aveu de ton crime.... --Peu m'importe. --Croyez-vous que je puisse � cette heure vous garder pr�s de moi... vous qui trois fois avez tent� de donner la mort � l'homme g�n�reux et bon qui simulait la folie pour ne pas m'accuser? --Maintenant comme autrefois... vous d�sirez la mort de cet homme g�n�reux et bon.... --Taisez-vous.... --S'il mourait, vous �pouseriez M. de Morville.... Paula resta un moment comme �cras�e sous ces foudroyantes paroles; puis elle reprit avec indignation: --Et qui vous donne le droit de scruter ma pens�e? Et parce que la mort de M. de Hansfeld me rendrait la libert�, est-ce une raison pour que je la d�sire? --Oui... vous la d�sirez.... --Sortez! sortez!... --Oh! gr�ce! gr�ce! marraine...--dit Iris en tombant � genoux devant Paula.--Puis elle continua d'une voix d�chirante:--Je suis bien coupable, je suis bien criminelle; je sais toute l'�tendue, toutes les cons�quences des actions que j'ai commises; j'ai agi avec r�flexion.... Mais, je vous le r�p�te, pour moi, le mal, c'est votre chagrin; le bien, c'est votre bonheur... peu m'importe le reste! Pourquoi donc me chasseriez-vous? Est-ce pour moi que j'ai cherch� � commettre les crimes qui vous �pouvantent? N'�tait-ce pas avant tout... vous, et toujours vous, que je voulais servir?... --Mais, me servir par de tels moyens... c'�tait me rendre votre complice! --Eh bien! je me repens... je vous demande pardon � genoux... mais ne me chassez pas; ce serait vouloir ma mort! Oui... si vous me chassez, je me tuerai.... Vous me connaissez... vous savez si j'en suis capable.... Je tiens � la vie, parce que je puis vous �tre utile encore.... --Non, non; va-t'en.... Tu veux mourir?... Eh bien! meurs!... ce sera un bienfait pour le monde... et pour moi.... Depuis les accusations du prince et tes r�v�lations, je me sens dans une atmosph�re de trahisons et de crimes qui m'�pouvante; on dirait qu'elle m'oppresse, qu'elle me p�n�tre.... J'aurais peur de devenir aussi criminelle que toi. Va-t'en... va-t'en, te dis-je... va-t'en.... Iris se leva p�le et triste, prit la main de sa ma�tresse qu'elle baisa, et fit un pas vers la porte. Madame de Hansfeld crut lire dans les traits de la jeune fille une si effrayante r�solution qu'elle s'�cria: --Iris!... restez!... Iris revint sur ses pas et interrogea Paula du regard. --Mais enfin--s'�cria la princesse--que dire au prince? Une fois convaincu de mon innocence... il voudra conna�tre le coupable... que lui r�pondrai-je s'il m'interroge? Ses soup�ons, d'ailleurs, ne t'atteindront-ils pas? Et maintenant, mon Dieu!... j'y pense... ne pourra-t-il pas croire que tu as agi par mon ordre, ou du moins sous mon inspiration?... Vois dans quel affreux d�dale tu m'as jet�e!... --Marraine, permettez-moi de rester ici.... Si je suis chass�e de cette maison, que ce ne soit pas par vous au moins: je saurai me r�signer si le prince exige mon d�part, ou s'il m'accuse; mais que ce coup terrible ne vienne pas de vous! --Mais en admettant m�me que les soup�ons de M. de Hansfeld ne t'atteignent pas, n'est-il pas criminel � moi de garder dans ma maison une cr�ature qui trois fois a attent� � la vie de mon mari, et qui pourrait peut-�tre, par la m�me monomanie sauvage, y attenter encore? --Marraine, si vous l'exigez... jamais plus je n'attenterai aux jours du prince.... --Si je l'exige.... Mon Dieu! pouvez-vous en douter? --Eh bien!... je vous le jure _sur vous_ (c'est pour moi le seul serment que je puisse faire), je vous jure sur vous de respecter les jours de M. de Hansfeld comme je respecterai les v�tres...--dit la boh�mienne avec un air singulier et en regardant Paula comme si elle e�t voulu p�n�trer au plus profond de son coeur.--Mais si jamais vous vouliez �pouser M. de Morville sans avoir � vous reprocher la mort du prince, mort � laquelle je serais aussi �trang�re que vous..., dites un mot, ou plut�t... non, pas m�me une parole...--et Iris, jetant les yeux autour d'elle comme pour chercher quelque chose, et avisant sur la chemin�e une �pingle d'or surmont�e d'une boule d'�mail constell�e de perles, elle la prit et ajouta:--Vous n'auriez qu'� me remettre cette �pingle, et, sans qu'aux yeux de Dieu et des hommes ni vous, ni moi, fussions pour rien dans la mort du prince... vous pourriez �pouser M. de Morville.... Ce que je vous dis ne doit pas vous �tonner.... Vous n'avez pas d'autre d�sir que ce mariage, je n'ai pas d'autre d�sir que de vous voir heureuse. Avant que la princesse p�t lui r�pondre, Iris disparut. * * * * * CHAPITRE X. AVEUX. Le vieux graveur et sa fille s'�taient profond�ment �mus du r�cit de M. de Hansfeld. Berthe avait plaint Arnold, oblig� de lutter tour � tour contre son amour et contre d'horribles soup�ons; elle trouvait entre elle et lui une �trange conformit� de position: tous deux, encha�n�s pour jamais � des �tres indignes de leur affection, devaient passer leur vie dans des regrets ou des esp�rances st�riles. Pourtant elle s'avouait que son malheur aurait �t� plus grand encore si elle n'e�t pas rencontr� dans le sauveur de son p�re un homme qui lui inspirait une sympathie aussi vive qu'honorable. Elle ne pr�voyait, elle n'ambitionnait d'autre bonheur que celui de voir souvent Arnold et de l'entendre causer avec Pierre Raimond d'une fa�on si int�ressante et si enjou�e; nous ne disons rien du ravissement de la jeune femme lorsque le vieux graveur, rest� seul avec elle, s'extasiant sur le savoir et sur l'esprit d'Arnold, le pla�ait au-dessus de tous les hommes qu'il avait connus. Le lendemain du jour o� madame de Hansfeld avait eu avec Iris la conversation que nous avons reproduite, M. de Br�vannes, aigri par une pr�occupation et une anxi�t� violentes, avait de nouveau brutalis� sa femme, dont la pr�sence lui devenait de plus en plus insupportable; persuad� que, libre et gar�on, il aurait eu plus de loisir, plus de facilit�s pour mettre � fin son aventure avec madame de Hansfeld, le matin m�me du jour dont nous parlons, il avait fait � sa femme une sc�ne violente. Berthe n'�tait plus au temps o� elle s'�plorait sur ces injustices, elle s'accusait m�me de s'en consoler trop facilement en songeant que chez son p�re elle pouvait rencontrer Arnold. Elle se rendit donc chez Pierre Raimond. Qu'on juge de la joie du vieillard lorsqu'il vit entrer sa fille, qu'il n'attendait que le lendemain. --Quel bonheur! ch�re enfant, je n'esp�rais pas te voir aujourd'hui.... Allons... je devine... quelque nouvelle brutalit�. Ma foi! maintenant que les grossi�ret�s de ce m�chant homme, auxquelles tu deviens de plus en plus indiff�rente, me valent une longue visite de toi... je sens ma haine de beaucoup diminuer; si tu n'es pas heureuse, du moins tu n'es plus malheureuse... c'est un progr�s, et je ne d�sesp�re pas... de.... Mais � quoi bon te parler de ces r�veries d'un vieux fou? --Oh! dites... mon p�re, dites. --Eh bien! en prenant ainsi l'habitude de te laisser passer la moiti� de ta vie chez moi, j'esp�re qu'un jour il ne te refusera pas la permission de venir habiter tout-�-fait ici.... --Ah! je n'ose le croire... il sait trop la joie que cela me causerait.... --Peut-�tre.... Mon Dieu! si cela �tait, juge donc aussi de ma joie, � moi.... H�las! cette s�paration, ne saurait �tre consentie que par lui; les lois sont ainsi faites, qu'il y a mille tortures qu'une pauvre femme est oblig�e de souffrir et dont on peut l'accabler impun�ment.... S'il faut tout dire, je crois que cet homme a quelque mauvaise passion au coeur; son redoublement de brutalit�, son besoin de t'�loigner de lui, tout me le dit. S'il en est ainsi, une s�paration ne lui co�tera pas.... Que nous faut-il de plus? Depuis le peu de temps que tu t'es remise � donner des le�ons, tu refuses des �coli�res.... Ce gain modeste nous suffira pour nous faire vivre.... Tu reprendras ta chambre de jeune fille; nous verrons notre ami Arnold presque chaque jour. Que nous faudra-t-il de plus? --Oh! rien, mon p�re, mais ce r�ve est trop beau.... --Encore une fois... qui sait!... quoique je connaisse ton attachement pour moi, ch�re enfant... la compagnie d'un vieillard est si triste que j'aurais eu presque un remords � accepter ton d�vouement.... Mais don Rapha�l Arnold,--ajouta Pierre Raimond en souriant,--�gaiera quelquefois notre solitude, et � ce propos, mon enfant..., vois donc ce que les coeurs honn�tes gagnent... � �tre honn�tes.... Sans la profonde estime qui nous unit tous trois, et qui rend notre intimit� si douce, que de bonheur perdu! Si j'avais cru Arnold capable de t'aimer criminellement et de souiller indignement les relations sacr�es du bienfaiteur et de l'oblig�..., il e�t �t� priv� de notre amiti�, qui lui est aussi n�cessaire que la sienne nous l'est, � nous. En ce moment, on frappa � la porte du graveur. --Entrez, dit-il. La porta s'ouvrit.... Arnold parut. --Quel heureux hasard!--s'�cria Pierre Raimond,--vous venez � propos, mon cher Arnold.... Mais qu'avez-vous? vous semblez soucieux, pr�occup�, triste. --En effet, monsieur Arnold, vous ne r�pondez pas, vous avez l'air accabl�, auriez-vous quelque chagrin? Quelque mauvaise nouvelle de votre femme, peut-�tre.... Arnold tressaillit, sourit tristement et r�pondit: --Vous dites vrai... il s'agit de ma femme. --Comment! cette mis�rable ose encore relever la t�te apr�s votre... je dirai le mot... apr�s votre faiblesse?...--s'�cria Pierre Raimond.--Oh! cette fois soyez sans piti�, pas de m�nagements pour des crimes semblables. Prenez garde d'aller trop loin par exc�s de g�n�rosit�... il y a un ab�me entre la g�n�rosit� et une indiff�rence coupable pour les m�chants.... M. de Hansfeld �tait si abattu qu'il ne chercha pas � interrompre Pierre Raimond; lorsque celui-ci eut parl�, il lui dit tristement: --Ma femme n'est pas coupable... et moi je vous ai tromp�... je me suis introduit chez vous sous un faux nom... je dois vous faire cet aveu. --Que voulez-vous dire, monsieur?--s'�cria le vieillard en se levant brusquement. Berthe, p�le, effray�e, regardait M. de Hansfeld avec une douloureuse anxi�t�; Pierre Raimond �tait sombre et s�v�re. --Expliquez-vous, monsieur... je ne puis qualifier votre conduite avant de vous avoir entendu. --Je vous dirai tout; seulement daignez r�fl�chir que rien ne m'obligeait � l'aveu que je vous fais.... Si j'agis ainsi, c'est pour rester digne de votre amiti�. --Digne de mon amiti� apr�s un tel mensonge! N'y comptez plus, monsieur. --Peut-�tre serez-vous indulgent, veuillez donc m'�couter.... Lorsque le hasard me mit � m�me de vous secourir, et qu'� mon tour secouru par vous je fus transport� dans cette maison, mon premier mouvement fut de vous d�clarer mon v�ritable nom... mais � ce moment votre fille entra.... --Eh bien!... monsieur... que fait cela? --Je la connaissais. --Vous la connaissiez?--dit le vieillard avec �tonnement. --Moi!...--s'�cria Berthe. --De vue seulement--reprit Arnold.--Oui, quelques jours auparavant, j'avais rencontr� votre fille aux Fran�ais; on l'avait nomm�e devant moi, et plus tard j'entendis rendre un juste hommage � la noble et aust�re fiert� de son p�re. --A cette heure, monsieur... ces louanges sont de trop...--s'�cria Pierre Raimond avec impatience. --Je ne vous loue pas, monsieur... je vous explique la raison qui m'a fait vous cacher mon titre... puisque le hasard veut que j'aie un titre.... --Vous avez, monsieur, tr�s habilement tromp� la confiance d'un vieillard et la candeur d'une jeune femme; je vous en f�licite.... --J'ai eu tort; mais voici pourquoi j'ai agi de la sorte.... Connaissant votre antipathie pour certaines classes de la soci�t�... je craignais donc que ma position ne f�t un obstacle aux relations que je d�sirais d�j� si vivement nouer avec vous.... --Pour t�cher de s�duire ma fille, sans doute! abuser de ce qu'il y a de plus saint... la reconnaissance d'un oblig�... Ah! vous et les v�tres... vous serez toujours les m�mes--dit am�rement Pierre Raimond; puis il reprit avec indignation:--Et moi qui tout � l'heure encore parlais de la noble confiance qui rend certaines relations si douces entre les gens de bien.... --Ah! monsieur--dit Berthe au prince, avec un accent de tristesse profonde--vous ne savez pas tout le mal que nous cause votre conduite peu loyale.... Mon p�re avait en vous une foi si aveugle.... --Je m�rite ces reproches... et c'est volontairement que je suis venu m'y exposer. --Mais qui �tes-vous donc, monsieur?--s'�cria le graveur. --Le prince de Hansfeld!...--dit tristement Arnold en baissant la t�te. --Vous habitez l'h�tel Lambert... ici pr�s? --Le prince de Hansfeld! r�p�ta Berthe avec une surprise m�l�e d'int�r�t et d'effroi. --En vous racontant sous un nom suppos� les suites funestes de mon mariage, je vous disais vrai; mon nom seul avait �t� chang�. Alors, convaincu de la culpabilit� de ma femme, surtout apr�s la derni�re tentative que je vous ai racont�e, j'�tais d�cid� � l'obliger de quitter la France.... Aujourd'hui m�me, j'aurais fait r�pandre le bruit que je partais avec elle, abandonnant l'h�tel Lambert; conservant pr�cieusement l'incognito � l'abri duquel je m'�tais cr�� des relations si ch�res, je voulais vivre obscur�ment... ou plut�t heureusement dans une retraite voisine de la v�tre.... Quelques promenades, ma solitude et notre intimit� chaque jour plus resserr�e, voil� quelle �tait mon ambition.... Il me faut renoncer � ces r�ves.... Hier, en vous quittant, je suis entr� chez madame de Hansfeld; irrit� de voir que ses pr�paratifs de d�part n'�taient pas encore faits, exasp�r� par son audace, j'articulai enfin le terrible reproche que je n'avais jamais eu le courage de lui faire. --Et elle n'�tait pas coupable?--s'�cria Berthe.--Ah! je le savais bien... de tels crimes �taient impossibles. --Ma femme �tait innocente--r�p�ta M. de Hansfeld;--elle s'est justifi�e avec franchise et dignit�... Les raisons qu'elle m'a donn�es m'ont paru convaincantes; et un vieux serviteur, en qui j'ai toute confiance..., m'a confirm�... qu'il avait �t� mat�riellement impossible � madame de Hansfeld de faire aucune de ces trois tentatives sur ma vie.... Je ne puis dire les impressions contraires dont je fus agit� apr�s cette d�couverte.... Tant�t je m'applaudissais d'avoir, malgr� les preuves en apparence les plus positives, �cout� la voix secr�te qui me disait: Elle est innocente; tant�t je me reprochais vivement les accusations, les r�ticences bizarres qui avaient d� torturer cette malheureuse femme, et changer en haine la faible affection qu'elle me portait; je songeais avec douleur aux chagrins que mes soup�ons odieux lui avaient caus�s; je le sentais, j'avais beaucoup � expier, beaucoup � me faire pardonner. Cette d�couverte n'a pas ranim� mon amour pour ma femme..., il s'est � jamais �teint au milieu de ces doutes incessants; mais par cela m�me que je ne l'aime plus, je dois redoubler envers elle d'�gards et de soins.... Maintenant.. voici pourquoi je viens vous apprendre une chose que vous eussiez peut-�tre toujours ignor�e.... Je regarderais comme indigne de moi de surprendre, gr�ce � des faits dont � cette heure je connais la fausset�, un int�r�t qui e�t encore resserr� les liens d'affection qui nous unissaient.... Bien souvent m�me j'avais �t� sur le point de vous r�v�ler mon v�ritable nom... mais la crainte d'exciter votre indignation par cet aveu tardif m'a toujours retenu.... Maintenant vous savez tout... encore une fois, je ne veux pas nier mes torts; seulement songez � ce que je souffrais, aux consolations ineffables que je trouvais ici, et peut-�tre me pardonnerez-vous d'avoir recul� devant la crainte de perdre un pareil bonheur. Pierre Raimond �tait rest� pensif pendant que M. de Hansfeld parlait; peu � peu sa dure physionomie perdit son expression d'amertume et de col�re; un peu avant qu'Arnold e�t cess� de parler, Pierre Raimond fit m�me un signe de t�te approbatif en regardant Berthe, comme pour applaudir aux paroles de M. de Hansfeld. Berthe, les yeux baiss�s, �tait dans une tristesse profonde; elle connaissait trop son p�re pour esp�rer qu'apr�s l'aveu du prince il consentirait encore � le recevoir; il lui fallait donc renoncer � la seule consolation qui l'aid�t � supporter ses chagrins; cette id�e �tait affreuse. Apr�s quelques moments de silence, Pierre Raimond tendit la main � M. de Hansfeld et lui dit: --Bien... tr�s bien.... Vous triomphez de mes pr�ventions... car vous allez noblement au-devant d'un sacrifice... qui devra vous co�ter autant qu'� nous... et il nous co�tera beaucoup.... --Je ne dois donc plus vous revoir?--dit tristement Arnold.... --Cela est impossible.... J'ai pu accueillir chez moi mon sauveur et lier avec lui une amiti� que notre �galit� de position autorisait.... Confiant dans la loyaut� de l'homme qui m'avait sauv� la vie, j'ai pu voir sans scrupules son affection honn�te et pure pour ma fille... mais de tels rapports ne peuvent plus durer maintenant.... Un pauvre artisan comme moi ne fr�quente pas de princes. Enfin, je puis pardonner la ruse dont vous vous �tes servi pour entrer chez moi; mais ce serait l'approuver que de souffrir d�sormais vos visites. --Mon Dieu! croyez.... --Je crois que cette s�paration vous sera p�nible... bien p�nible... pas plus qu'� nous, pourtant.... --Oh! non...--murmura Berthe, qui ne put retenir ses larmes. --Et encore--reprit Pierre Raimond--vous avez, vous, les plaisirs de votre rang.... --Les plaisirs... le croyez-vous? --Les devoirs... si vous voulez. Vous avez � faire oublier � votre femme les chagrins que vous lui avez caus�s, et, pour une �me g�n�reuse, c'est une occupation noble et grande. Mais nous... que nous reste-t-il pour remplacer une intimit� bien ch�re � notre coeur? Tant que j'aurai cette pauvre femme aupr�s de moi, je vous regretterai moins; mais lorsque je serai seul! Ma fille elle-m�me devenait presque insouciante des chagrins qui l'accablaient chez elle, en songeant � la joie douce et calme qui l'attendait ici.... Maintenant, encore une fois, que lui reste-t-il? les regrets d'un pass� qu'il aurait mieux pour elle valu ne pas conna�tre. --Mon p�re, j'aurai du courage--reprit Berthe.--Ne me restez-vous pas? --Oui... et nous parlerons souvent de lui... je te le promets--ajouta le vieillard en tendant la main � Arnold, qui la serra tendrement dans les siennes. --Allons, du courage, monsieur Arnold--dit Berthe en t�chant de sourire � travers ses larmes.--Mon p�re vous l'a dit: nous ne vous oublierons jamais; nous parlerons bien souvent de vous. Adieu... et pour toujours, adieu.... M. de Hansfeld pouvait � peine contenir son �motion; il r�pondit d'une voix alt�r�e:--Adieu, et pour toujours adieu.... Croyez... et.... Mais il ne put achever; les sanglots �touff�rent sa voix, et il cacha sa figure dans ses mains. --Vous le voyez--dit-il apr�s un moment de silence � Pierre Raimond qui le contemplait tristement--faible... toujours faible.... Que vous devez me m�priser, homme rude et sto�que.... Sans lui r�pondre, Pierre Raimond s'�cria tout-�-coup: --Mon Dieu! maintenant j'y songe... votre femme est innocente... soit... mais ce crime si obstin�ment r�p�t�... qui l'a commis? A Trieste, ici, des �trangers pouvaient en �tre accus�s... mais en voyage, dans cette auberge, il faut que ce soit quelqu'un de votre maison, � moins d'une co�ncidence extraordinaire. --Je me suis fait aussi cette question, et elle est demeur�e pour moi inextricable.... En voyage, nous n'�tions accompagn�s que de trois personnes: un vieux serviteur qui m'a �lev�, une jeune fille recueillie par madame de Hansfeld, mon chasseur qui nous servait de courrier et que j'ai depuis tr�s longtemps � mon service. Soup�onner mon vieux Frantz ou une jeune fille de dix-sept ans d'un crime si noir, si inutile, serait absurde; il ne resterait donc que le chasseur.... Mais quoique bon et d�vou�, si vous connaissiez la b�tise de ce malheureux gar�on, vous comprendriez que, plut�t que de le croire coupable, j'accuserais mon vieux Frantz ou la demoiselle de compagnie de ma femme. --Mais cependant... ces tentatives.... --Tenez, mon ami, mes injustes soup�ons m'ont d�j� caus� trop de malheurs pour que j'ose encore en avoir.... --Mais ces tentatives sont r�elles.... Si on les renouvelle? --Tant mieux.... Hier je les aurais redout�es... aujourd'hui j'irais au devant.... --Ah! monsieur Arnold... et les amis qui vous restent.... Comment! vous ne ferez aucune perquisition pour d�couvrir le coupable? --Aucune.... A quoi bon?... Ne viens-je pas de vous dire: _Adieu... et pour toujours_? Et M. de Hansfeld sortit d�sesp�r�. * * * * * CHAPITRE XI. LE RENDEZ-VOUS. Ce matin-l� m�me M. de Br�vannes devait rencontrer madame de Hansfeld au Jardin-des-Plantes. Il s'y rendit vers onze heures. La lecture du _livre noir_, ce myst�rieux confident des plus intimes pens�es de Paula, avait donn� au mari de Berthe presque des esp�rances; les secrets qu'il croyait avoir surpris se r�sumaient ainsi: �Madame de Hansfeld se reprochait de ne pas ha�r assez M. de Br�vannes, meurtrier de Rapha�l. �Le prince la rendait si malheureuse, qu'elle d�sirait sa mort.� Iris avait surtout recommand� � M. de Br�vannes de ne faire en rien soup�onner � la princesse qu'il connaissait, pour ainsi dire, ses plus secr�tes pens�es. Ce conseil servait trop les int�r�ts de M. de Br�vannes pour qu'il ne le suiv�t pas scrupuleusement. --Madame de Hansfeld venait � cette entrevue avec moins de s�curit� que M. de Br�vannes; elle le savait capable de la calomnier indignement; la port�e de ses calomnies pouvait �tre terrible et arriver jusqu'� M. de Morville. Paula devait donc beaucoup m�nager cet homme qui lui inspirait une aversion profonde, et lui t�moigner une menteuse bienveillance, afin de paralyser pendant quelque temps ses m�disances. Mais madame de Hansfeld ne s'abusait pas.... Du moment o� M. de Br�vannes se verrait jou�, il se vengerait par la calomnie, et sa vengeance pouvait avoir une funeste influence sur l'amour de M. de Morville. Le plus l�ger soup�on devait �tre mortel � cet amour id�al, d�sint�ress�, romanesque, et surtout bas� sur une estime et sur une confiance r�ciproques. Madame de Hansfeld se rendit au Jardin-des-Plantes avec Iris, malgr� l'horreur que lui inspiraient les crimes de cette jeune fille. Elle n'avait pu se passer d'elle dans cette circonstance. Onze heures sonnaient lorsque Paula et la boh�mienne arriv�rent au pied du labyrinthe; le froid �tait vif, le jour pur et beau; dans cette saison les promeneurs sont rares, surtout en cet endroit; les deux femmes atteignirent le fameux _c�dre_ sans rencontrer personne. M. de Br�vannes �tait depuis une demi-heure assis au pied de cet arbre immense; il se leva � la vue de madame de Hansfeld. Celle-ci cacha difficilement son �motion; apr�s plusieurs ann�es elle revoyait un homme qu'elle avait tant de raisons de d�tester. Son coeur battit avec violence, elle dit tout bas � Iris de ne pas la quitter. M. de Br�vannes, vain et orgueilleux, interpr�ta cette �motion � son avantage; il contemplait avec ravissement l'admirable figure de Paula, que le froid nuan�ait des plus vives couleurs. Sa taille charmante se dessinait � ravir sous une robe de velours grenat fourr�e d'hermine. Le mari de Berthe se laissait entra�ner aux plus folles esp�rances en songeant qu'� force d'opini�tret� il avait obtenu un rendez-vous de cette femme, qui r�unissait tant de gr�ces � tant de dignit�, tant de charmes � une si haute position sociale; ce qui, pour M. de Br�vannes, n'�tait pas la moindre des s�ductions de la princesse. Plein d'espoir et d'amour, il s'approcha de Paula et lui dit respectueusement: --Avec quelle impatience, madame, j'attendais ce moment.... Combien je vous sais gr�... de votre excessive bont� pour moi! --Vous savez mieux que personne, monsieur, par qui cette d�marche m'est impos�e--dit am�rement la princesse en faisant allusion aux menaces de M. de Br�vannes. --Je vous comprends, madame--dit M. de Br�vannes;--mais si vous saviez dans quel �garement peut vous jeter une passion violente � laquelle on est en proie depuis des ann�es? Ah! que de fois je me suis souvenu avec d�lices de ce temps o� je vous voyais chaque jour... o�, � l'abri de l'amour que je feignais pour votre tante.... --Assez, monsieur... assez... vous ne m'avez pas sans doute demand� cet entretien pour me parler d'un pass�... que pour tant de raisons vous devez t�cher d'oublier. --L'oublier... le puis-je? Ce souvenir a effac� tous les souvenirs de ma vie. --Veuillez me r�pondre, monsieur. En insistant avec tant d'opini�tret� pour obtenir ce rendez-vous, quel �tait votre but? --Vous parler de mon amour plus passionn� que jamais, vous int�resser... presque malgr� vous, aux tourments que je souffre.... --�coutez, monsieur de Br�vannes--dit froidement Paula en l'interrompant--il y a deux ans, vous m'avez une fois parl� de votre amour... je ne vous ai pas cru.... Le silence que vous avez ensuite gard� sur cette pr�tendue passion m'a prouv� que voire aveu �tait sans cons�quence.... Lorsqu'on m'a dit votre obstination � me rencontrer ici, j'ai attribu� ce d�sir � un tout autre motif que celui de me parler d'un amour qui m'offense et qui me rappelle d'atroces calomnies.... --Eh bien! je ne vous parlerai plus de cet amour... je me contenterai de vous aimer sans vous le dire.... Attendant tout du temps, de la sinc�rit� du sentiment que je vous porte, permettez-moi seulement de vous voir quelquefois.... J'aurais pu demander � l'un de nos amis communs de vous �tre pr�sent�; j'ai pr�f�r� d'attendre votre agr�ment avant de tenter cette d�marche. --Je ne re�ois que quelques personnes de mon intimit�, monsieur--reprit s�chement Paula.--M. de Hansfeld vit tr�s seul... il m'est impossible... surtout apr�s votre �trange aveu, de changer en rien mes habitudes. M. de Br�vannes ne put r�primer un mouvement de d�pit et de col�re qui rappela � madame de Hansfeld qu'elle devait m�nager cet homme; elle ajouta d'un ton plus familier: --Songez, de gr�ce, � tout ce qui s'est pass� � Florence... et avouez qu'il m'est impossible de vous recevoir... lors m�me que je le d�sirerais. Ces derniers mots, seulement dits par madame de Hansfeld pour adoucir l'effet de son refus, parurent � M. de Br�vannes fort encourageants. Il se souvint � propos des confidences du _livre noir_, et prit la froideur contrainte de la princesse pour de la r�serve et de la dissimulation � l'endroit d'un amour qu'elle ne voulait pas s'avouer encore; il crut devoir m�nager ces scrupules, certain qu'apr�s quelques refus de pure convenance, Paula lui accorderait les moyens de la voir. M. de Br�vannes reprit: --Je n'ose vous supplier encore, madame, de permettre que je vous sois pr�sent�. Pourtant... quel inconv�nient y aurait-il? croyez-moi, loin d'abuser de cette faveur... j'en userais avec la plus extr�me r�serve.... --Je vous assure, monsieur, que cela est impraticable.... Sous quel pr�texte d'ailleurs?... que dirais-je � M. de Hansfeld? --Que j'ai eu l'honneur de vous conna�tre en Italie.... Et puis, un homme mari�--ajouta-t-il en souriant--n'inspire jamais de d�fiance. Je pourrais m�me, et seulement pour la forme, avoir l'honneur de vous amener madame de Br�vannes... quoiqu'elle ne soit pas digne de vous occuper un moment. Cette proposition de M. de Br�vannes frappa vivement Paula. Sachant le prince tr�s �pris de Berthe, elle ne put dissimuler un sourire d'ironie en entendant M. de Br�vannes parler de pr�senter sa femme � l'h�tel Lambert. Un vague pressentiment dont madame de Hansfeld ne put se rendre compte, lui dit que cette circonstance pourrait peut-�tre servir un jour sa haine contre M. de Br�vannes. Elle reprit avec un embarras affect�: --Si cela �tait possible... j'aurais le plus grand plaisir � conna�tre madame de Br�vannes... car j'ai beaucoup de raisons pour croire que vous la jugez trop s�v�rement. Aussi, dans le cas o� il me serait permis de vous recevoir, ce serait uniquement, entendez-vous bien, uniquement � cause de madame de Br�vannes; je vous en pr�viens, monsieur. --Il en est toujours ainsi, les femmes n'ont pas de meilleure amie que celle � qui elles enl�vent un mari; elle s'est trahie--se dit M. de Br�vannes--et il reprit tout haut: --Vous sentez, madame, combien je serais heureux de tout ce qui pourrait rendre mes relations avec vous plus suivies; permettez-moi donc alors, pour l'amour de madame de Br�vannes--dit-il avec un nouveau sourire--de vous la pr�senter en vous demandant la permission de l'accompagner quelquefois. --Tr�s rarement, monsieur, surtout dans les premiers temps de ma liaison avec madame de Br�vannes--ajouta madame de Hansfeld apr�s un moment d'h�sitation. --Je ne veux pas chercher les raisons qui vous obligent � agir ainsi, madame... mais je m'y soumets. Et il pensa: --C'est un chef-d'oeuvre d'habilet� sans doute; le prince est jaloux; elle veut d'abord �loigner les soup�ons de son mari, et capter la confiance de ma femme. --A ces conditions--reprit madame de Hansfeld en baissant les yeux--je vous permettrais de me pr�senter madame de Br�vannes... mais il serait formellement entendu que d�sormais vous ne me diriez jamais un mot... d'un amour aussi vain qu'insens�. --Je demanderais une modification � cette clause, madame.... Je m'engagerais � faire tout au monde pour vous oublier... seulement, afin de m'encourager et de me fortifier dans ma bonne r�solution, vous me permettriez quelquefois de venir vous instruire des r�sultats de mes efforts... et comme selon vos d�sirs je ne vous verrais que tr�s rarement chez vous... vous daigneriez peut-�tre quelquefois m'accorder les moyens de vous rencontrer ailleurs? --Monsieur.... --Seulement pour m'entendre vous dire que je t�che de vous oublier.... Le sacrifice que je fais n'est-il pas assez grand pour que vous m'accordiez au moins cette compensation? --C'est une �trange mani�re d'oublier les gens que celle-l�... Mais si vous la croyez d'un effet certain, monsieur... un jour peut-�tre je consentirai � revenir ici. --Ah! madame, que de bont�s! --Mais prenez garde, si je ne suis pas satisfaite des progr�s de votre indiff�rence, vous n'obtiendrez pas une seule entrevue de moi. --Je crois pouvoir vous promettre, madame, que vous n'aurez pas � regretter la gr�ce que vous m'accordez.... Apr�s un moment de silence, Paula reprit: --Vous devez trouver surprenant, monsieur, qu'apr�s ce qui s'est autrefois pass� entre nous.... --Madame.... --Je n'en veux pas dire davantage.... Un jour vous saurez le motif de ma conduite et de ma g�n�rosit�... Mais il se fait tard, je dois rentrer.... Dites-moi quelle est la personne qui me pr�sentera madame de Br�vannes? --Madame de Saint-Pierre, cousine de M. de Luceval. Elle avait bien voulu m'offrir ses bons offices. --Je la rencontre, en effet, assez souvent dans le monde. Rappelez-lui donc cette promesse, monsieur... et j'accueillerai sa demande.... --Vous vous retirez d�j�?... Mon Dieu! j'aurais tant de choses � vous dire.... Encore un mot, encore... de gr�ce!... --Impossible.... Iris, venez.... La jeune fille revint aupr�s de sa ma�tresse, et descendit les rampes du labyrinthe apr�s avoir �chang� un regard d'intelligence avec M. de Br�vannes. Le mari de Berthe devait �tre d'autant plus dupe du stratag�me d'Iris au sujet du _livre noir_, que, par suite des r�v�lations de la boh�mienne au sujet de l'infid�lit� de Rapha�l, Paula n'avait pas t�moign� l'horreur qu'elle aurait d� ressentir � la vue du meurtrier de son fianc�. Cette circonstance donnait une nouvelle autorit� au recueil des _pens�es intimes_ de madame de Hansfeld. M. de Br�vannes, aussi glorieux que ravi de l'empressement de madame de Hansfeld � se rapprocher de Berthe, se crut le seul et v�ritable motif de cette liaison, qui devait sans doute, plus tard, assurer et faciliter ses relations journali�res avec Paula. En attendant avec une vive et confiante impatience le moment de conna�tre par le livre noir l'impression _vraie_ que cette entrevue avait caus�e � madame de Hansfeld, M. de Br�vannes rentra donc chez lui le coeur l�ger et content. Peu de temps auparavant, Berthe �tait revenue de chez son p�re triste et accabl�e; elle venait de voir M. de Hansfeld, sans doute pour la derni�re fois; il lui fallait � tout jamais renoncer aux doux et beaux r�ves dont elle s'�tait berc�e. Apprenant que sa femme �tait chez elle, M. de Br�vannes s'y rendit � l'instant m�me. * * * * * CHAPITRE XII. PROPOSITIONS. M. de Br�vannes ne r�fl�chit pas un moment � tout ce qu'il y avait d'humiliant et d'odieux dans le r�le qu'il pr�parait � sa femme; nulle consid�ration, nul scrupule ne pouvait emp�cher cet homme d'aller droit � son but. Dans cette circonstance, en songeant � se servir de Berthe comme d'un moyen, il se dit avec une sorte de forfanterie cynique:--Voici la premi�re fois que mon mariage m'aura �t� bon � quelque chose. Il crut n�anmoins n�cessaire de prendre envers sa femme un ton moins dur que d'habitude pour la d�cider � se laisser pr�senter � la princesse de Hansfeld. Berthe allait peu dans le monde; elle �tait fort timide; or, s'attendant � quelques difficult�s de sa part, il pr�f�rait les vaincre par la douceur, ses menaces pouvant rester vaincues devant un refus obstin� de sa femme. Celle-ci s'attendait si peu � la visite de son mari, qu'elle donnait un libre cours � ses larmes en pensant � M. de Hansfeld qu'elle ne devait plus revoir. Pour la premi�re fois elle sentait � quel point elle l'aimait. Elle avait le courage de ne pas maudire cette s�paration cruelle, en songeant au trouble qu'une passion coupable aurait apport� dans sa vie. Ne voyant plus Arnold, du moins elle serait � l'abri de tout danger. Une _consolation_ pareille co�te toujours bien des larmes; aussi la jeune femme eut-elle � peine le temps d'essuyer ses yeux avant que son mari f�t pr�s d'elle. Berthe avait assez de sujets de chagrin pour que M. de Br�vannes ne s'�tonn�t pas de la voir pleurer; il fut n�anmoins contrari� de ces larmes, car il ne pouvait, sans transition, parler � sa femme des plaisirs du monde et de sa pr�sentation � madame de Hansfeld. R�primant donc un l�ger mouvement d'impatience, il dit doucement � Berthe, en n'ayant pas l'air de s'apercevoir de sa tristesse (cela rendait la transition d'autant plus rapide): --Pardon... ma ch�re amie.... Je vous d�range.. --Non... non, Charles... vous ne me d�rangez pas--dit Berthe en essuyant de nouveau ses larmes, qu'elle se reprochait presque comme une faute. --Ce matin, vous avez vu votre p�re? --Oui... vous m'avez permis d'y aller... quand je.... --Oh!...--dit M. de Br�vannes en interrompant Berthe--ce n'est pas un reproche que je vous fais. Je n'aime pas le caract�re de votre p�re, il me serait impossible de vivre avec lui; mais je rends justice � sa loyaut�, � l'aust�rit� de ses principes, et je suis parfaitement tranquille quand je vous sais chez lui. Berthe n'avait rien � se reprocher; pourtant son coeur se serra comme si elle e�t abus� de la confiance de son mari, qui, pour la premi�re fois depuis bien longtemps, lui parlait avec bont�; elle baissa la t�te sans r�pondre. M. de Br�vannes continua: --Et puis, enfin, ces visites � votre p�re sont vos seules distractions... depuis notre arriv�e � Paris.... A l'exception de cette premi�re repr�sentation des Fran�ais, vous n'�tes all�e nulle part...; aussi je songea vous tirer de votre solitude.... --Vous �tes trop bon, Charles; vous le savez, j'aime peu le monde... je suis accoutum�e depuis longtemps � la vie que je m�ne. Ne vous occupez donc pas de ce que vous appelez mes plaisirs.... --Allons, allons, vous �tes une enfant, laissez-moi penser et d�cider pour vous � ce sujet-l�... Vous ne vous en repentirez pas.... --Mais, Charles.... --Oh! je serai tr�s opini�tre... comme toujours, et plus que jamais; car il s'agit de vous �tre agr�able... malgr� vous. Oui... une fois votre premi�re timidit� pass�e, le monde, qui vous inspire tant d'effroi, aura pour vous mille attraits.... Berthe regardait son mari, toute surprise de ce changement extraordinaire dans son accent, dans ses mani�res. Il lui parlait avec une douceur inaccoutum�e au moment m�me o� elle se reprochait de porter une trop vive affection � M. de Hansfeld. L'angoisse, nous dirons presque le remords de la jeune femme, augmentait en raison de l'apparente bienveillance de son mari; elle r�pondit en rougissant: --En v�rit�, Charles, je suis bien reconnaissante de ce que vous voulez faire pour moi.. je m'en �tonne m�me. --Pauvre ch�re amie, sans y songer, vous m'adressez l� un grand reproche. --Oh! pardon, je ne voulais pas.... --Mais ce reproche, je l'accepte, car je le m�rite.... Oui, depuis notre retour je vous ai assez n�glig�e pour que la moindre pr�venance de ma part vous �tonne.... Mais, patience, j'ai ma revanche � prendre.... Ce n'est pas tout; on me croit un Othello; on croit que c'est par jalousie que je cache mon tr�sor � tous les yeux; je veux r�pondre � ces malveillants en conduisant mon tr�sor beaucoup dans le monde cet hiver, et prouver ainsi que vous m'inspirez autant d'orgueil que de confiance. --Je ne puis r�pondre � des offres si gracieuses qu'en les acceptant, quoiqu'� regret et seulement pour vous ob�ir... car je pr�f�rerais beaucoup la solitude; et, si vous me le permettiez, Charles, je vivrais comme par le pass�... --Non, non, je vous l'ai dit; je serai aussi opini�tre que vous.... --Eh bien! soit, je ferai ce que vous d�sirez; seulement soyez assez bon pour me promettre de ne pas me forcer de m'amuser trop--dit Berthe en souriant tristement.--J'irai dans le monde puisque vous le d�sirez vivement... mais pas trop souvent, n'est-ce pas? --Soyez tranquille; lorsque vous y serez all�e quelquefois, ce sera moi qui, j'en suis s�r, serai oblig� de mod�rer vos d�sirs d'y retourner. --Oh! ne craignez pas cela, Charles. --Vous verrez, vous verrez. --Je me trouve si g�n�e chez les personnes que je ne connais pas; il me semble voir partout des regards malveillants. --Vous �tes beaucoup trop jolie pour ne pas exciter l'envie et la malveillance des femmes; mais l'admiration des hommes vous vengera. Sans compter que parmi les personnes auxquelles je veux vous pr�senter, il en est de si hautement plac�es, de si exclusives m�me, que votre admission chez elles fera bien des jaloux. --Que voulez-vous dire, Charles? --Vous allez le savoir, ma ch�re amie, et je me fais une joie de vous l'apprendre. Je suis ravi de vous voir entrer si bien dans mes vues; je m'attendais, je vous l'avoue, � avoir plus de r�sistance � vaincre.... --Si j'ai c�d� si vite... c'est par crainte de vous d�plaire. Dites un mot, et vous verrez avec quelle facilit� je renoncerai � des plaisirs sans doute bien envi�s. --Certes, je ne dirai pas ce mot, ma ch�re amie; loin de l�, j'en dirai un qui, au contraire, vous emp�cherait de renoncer � ces vaines joies du monde dont vous semblez faire si bon march�. --Comment! ce mot.... --Vous souvenez-vous, de cette premi�re repr�sentation aux Fran�ais? --Oui, sans doute. --Je veux dire, vous souvenez-vous des choses qui ont le plus attir� l'attention du public, non pas sur la sc�ne, mais dans la salle? --L'�trange coiffure de madame Girard, d'abord. --Le sobieska, sans doute? Mais ensuite.... Berthe �tait si loin de s'attendre � ce qu'allait lui dire son mari, qu'elle chercha un moment dans sa pens�e et r�pondit: --Je ne sais.... Madame la marquise de Luceval? --Vous approchez � la fois et de la v�rit� et de la loge de la personne dont je veux parler. --Comment cela? --Dans la loge voisine de celle de madame de Luceval, n'y avait-il pas une belle princesse �trang�re dont tout le monde parlait avec admiration? --Une princesse �trang�re!--r�p�ta machinalement Berthe, dont le coeur se serra par un pressentiment ind�finissable. --Oui, madame la princesse de Hansfeld. --La princesse! comment! c'est � elle.... --Que je vous pr�senterai apr�s-demain, je l'esp�re. --Oh! jamais... jamais!--s'�cria involontairement Berthe. Profiter de cette offre, qui lui donnait les moyens de revoir le prince, lui semblait une odieuse perfidie. M. de Br�vannes, quoique �tonn� de l'exclamation de sa femme, crut d'abord qu'elle refusait par timidit�, et reprit: --Allons, vous �tes une enfant. Bien que tr�s grande dame, la princesse de Hansfeld est la personne la plus simple du monde; vous lui plairez beaucoup, j'en suis s�r. --Mon ami, je vous en conjure, ne me conduisez pas chez la princesse; laissez-moi dans la retraite o� j'ai v�cu jusqu'ici. --Ma ch�re amie, je vous en conjure � mon tour--dit M. de Br�vannes en se contenant--n'ayez pas de caprices de mauvais go�t. Tout � l'heure vous �tiez d�cid�e � ce que je d�sirais, et voici que maintenant vous revenez sur vos promesses! Soyez donc raisonnable. --Mais c'est impossible.... Non, non, Charles... je vous en supplie en gr�ce... n'exigez pas cela de moi.... --Ah ��, s�rieusement, vous �tes folle! Vous refusez avec obstination ce que tant d'autres demanderaient comme une faveur inesp�r�e? --Je le sais, je le sais.... Aussi croyez que si je refuse, c'est que j'ai des raisons pour cela. --Des raisons? des raisons?... Et lesquelles, s'il vous pla�t? --Mon Dieu! aucune de particuli�re; mais je d�sire ne pas aller dans le monde. M. de Br�vannes, stup�fait de cette r�sistance, en cherchait vainement la cause; il pressentait que le go�t de la retraite ne dictait pas seul ce refus; un moment il crut sa femme jalouse de la princesse. Aussi reprit-il avec une certaine complaisance: --Voyons, soyez franche, ne me cachez rien. N'y aurait-il pas un peu de jalousie sous jeu? --De la jalousie?... --Oui... ne seriez-vous pas assez folle pour vous imaginer que je m'occupe de la princesse? --Non, non, je ne crois pas cela... je vous l'assure. --Mais qu'est-ce donc alors?--s'�cria M. de Br�vannes avec une impatience longtemps contenue. --Charles, soyez bon, soyez g�n�reux.... --Je me lasse de l'�tre, madame; et puisque vous ne tenez aucun compte de mes pri�res, vous ex�cuterez mes ordres, et apr�s-demain vous m'accompagnerez chez madame de Hansfeld, m'entendez-vous! --Charles, un mot, de gr�ce.... C'est pour m'�tre agr�able, n'est-ce pas, que vous voulez me conduire chez la princesse? --Sans doute; eh bien? --Eh bien! puisque c'�tait pour moi que vous aviez form� ce projet... je vous en supplie, renoncez-y.... --Vous m'ob�irez. --Mon Dieu! mon Dieu! mais allez-y seul! Peu vous importe que, moi, je.... --Cela m'importe tellement que vous irez, est-ce clair? --Il me co�te de vous refuser; mais comme vous ne pourrez me contraindre � cela.... --Eh bien? --Je n'irai pas. --Vous n'irez pas? --Non. --Voil� un bien stupide ent�tement.... Et vous croyez me faire la loi? --J'agis comme je le dois. --En refusant d'aller chez madame de Hansfeld? --Oui, Charles. --Je suis peu dispos� � deviner des charades; aussi je terminerai notre entretien par deux mots: si vous persistez dans votre refus, de votre vie vous ne reverrez votre p�re... car dans huit jours vous partirez pour la Lorraine, d'o� vous ne reviendrez pas.... J'ai le droit de vous assigner le lieu de votre r�sidence.... Vous le savez, ma volont� est in�branlable; ainsi r�fl�chissez. Berthe baissa la t�te sans r�pondre. Son mari pouvait en effet l'envoyer en Lorraine, la s�parer de son p�re, dont elle �tait alors l'unique ressource, puisque, par un juste sentiment de fiert�, Pierre Raimond refusait la pension que lui avait faite M. de Br�vannes. Ce n'�tait pas tout; en ob�issant � son mari, Berthe devait cacher au graveur � quelle condition elle continuait de le voir, car celui-ci e�t cent mille fois pr�f�r� laisser sa fille partir pour la Lorraine que de l'engager � ob�ir aux ordres de son mari, puisque ces ordres la rapprochaient d'Arnold. Un moment elle voulut avouer � M. de Br�vannes le motif de la r�sistance qu'elle lui opposait; mais songeant � la jalousie f�roce de son mari, � la col�re qu'il ressentirait contre le graveur, dont il l'�loignerait peut-�tre encore, elle rejeta cette id�e. Il n'y avait, malheureusement pour Berthe, aucun moyen-terme entre ces diff�rentes alternatives. Son premier mouvement avait �t� de r�sister opini�trement aux d�sirs de son mari, parce que les larmes qu'elle versait au souvenir d'Arnold l'�clairaient sur le danger de cet amour jusqu'alors si calme; mais elle devait se courber devant une fatale n�cessit�. Elle r�pondit � son mari avec accablement: --Vous l'exigez... monsieur... je vous ob�irai.... --C'est, en v�rit�, bien heureux, madame.... --Seulement... rappelez-vous toujours... que j'ai de toutes mes forces r�sist� � vos ordres... que je vous ai conjur�, suppli� de me laisser vivre dans la retraite... et que c'est vous... vous qui avez voulu m'en tirer, pour me jeter au milieu du tourbillon du monde...--dit Berthe en s'animant;--du monde... o� je n'aurai ni appui ni conseil, o� je serai expos�e � tous les dangers qui assi�gent une jeune femme absolument isol�e.... --Isol�e!... mais moi, madame.... --�coutez-moi, monsieur: j'ai vingt-deux ans � peine... vous m'avez accabl�e de chagrins... je ne vous aime plus.... Je suis sans doute r�solue de ne jamais oublier mes devoirs... mais quoique s�re de moi... je pr�f�rerais ne pas affronter certains p�rils. Berthe, cette fois, croyait avoir frapp� juste en �veillant vaguement la jalousie forcen�e de M. de Br�vannes: elle esp�rait ainsi le faire r�fl�chir aux inconv�nients de jeter au milieu des s�ductions du monde une jeune femme sans amour et sans confiance pour son mari. En effet, M. de Br�vannes, stup�fait de ce nouveau langage, regardait Berthe avec une irritation m�l�e de surprise. --Qu'est-ce � dire, madame?--s'�cria-t-il.--Voulez-vous me faire entendre que vous pourriez avoir l'indignit� d'oublier ce que j'ai fait pour vous?... Oh! prenez garde, madame, prenez garde... ne jouez pas avec ces id�es-l�, elles sont terribles.... Songez bien que l'amour-propre est mille fois plus irritable et plus ardent � la vengeance que l'amour.... Si jamais vous aviez seulement la pens�e de me tromper.... Mais, tenez--dit-il en bl�missant de rage � cette seule id�e--ne soulevons pas une telle question... elle est sanglante.... --Et c'est parce qu'elle peut devenir un jour sanglante, monsieur, que je la soul�ve, moi, et qu'en honn�te femme je vous supplie de me laisser dans ma retraite, de ne pas volontairement m'exposer � des p�rils que je n'aurais peut-�tre pas la force de surmonter. Je vous dois beaucoup, sans doute; mais, croyez-moi, ne m'obligez pas � compter aussi les larmes que j'ai vers�es; je pourrais me croire quitte.... --Quelle audace!... --J'aime mieux �tre audacieuse avant d'avoir fait le mal qu'hypocrite apr�s une faute. Encore une fois, pour votre repos et pour le mien, monsieur, laissez-moi vivre obscure et ignor�e.... A ce prix je puis vous promettre de ne jamais faillir... sinon.... --Sinon?... --Vous m'aurez jet�e presque d�sarm�e au milieu des p�rils du monde.... Je connais mes devoirs, j'essaierai de lutter... mais je vous le dis... il peut se rencontrer des circonstances o� la force me manque. Le bon sens, la franchise de ces paroles, faisaient bouillonner la jalousie de M. de Br�vannes; il connaissait trop ses torts envers Berthe pour ne pas pr�voir qu'elle lutterait seulement et absolument par _devoir_; et le devoir sans affection est souvent impuissant contre les entra�nements de la passion. L'enfer de cet homme commen�ait. Plac� entre sa jalousie et son amour, il h�sitait entre le d�sir de nouer des relations suivies avec madame de Hansfeld, gr�ce � la pr�sentation de Berthe, et la crainte de voir sa femme entour�e d'adorateurs. La pens�e d'�tre jaloux du prince, qu'il ne connaissait que par le r�cit de ses bizarreries, ne lui vint pas un moment � l'esprit; mais � d�faut du prince il se cr�a les fant�mes les plus effrayants, c'est-�-dire les plus charmants. D�j� il se voyait moqu�, montr� au doigt; lui qui avait fait un mariage d'amour, mariage ridicule s'il en est, pensait-il, lui qui avait sacrifi� sa vanit�, son ambition, sa cupidit�, � une pauvre fille obscure, ne serait-il donc pas � l'abri du mauvais sort? Serait-il donc aux yeux du monde toujours dupe, avant et apr�s son mariage? A ces pens�es, M. de Br�vannes tressaillait de fureur. Tant�t il voyait dans la franchise de Berthe une garantie pour l'avenir, tant�t au contraire il y voyait une sorte de cynique d�fi, tant enfin il s'effrayait de ce langage d'une honn�te femme qui, d�daign�e de son mari qu'elle n'aime plus, ne s'abuse pas sur la fragilit� humaine, et pr�f�re fuir le danger que de l'affronter. Pourtant ne pas pr�senter Berthe � la princesse, s'�tait renoncer � l'avenir qu'il entrevoyait si brillant. Ce sacrifice lui fut impossible; comme ceux qui, renon�ant � se faire aimer, esp�rent se faire craindre, il essaya d'intimider Berthe, et lui dit brutalement: --Lorsqu'on a l'effronterie de professer ouvertement de tels principes, madame, on n'a pas besoin d'aller dans le monde pour tromper son mari. --Assez, monsieur... assez--dit fi�rement Berthe;--puisque vous me comprenez ainsi, je n'ai rien � ajouter.... Je vous accompagnerai quand vous le voudrez chez madame la princesse de Hansfeld. --Et prenez bien garde � ce que vous ferez... au moins.... Rappelez-vous bien ceci... je vous le r�p�te � dessein... l'amour peut �tre indulgent, g�n�reux... l'orgueil, jamais.... Ainsi je serais pour vous impitoyable... si vous aviez le malheur de vous mal conduire, je vous briserais, je vous �craserais sans piti�, entendez-vous?--ajouta-t-il, les l�vres contract�es par la col�re en saisissant rudement le bras de Berthe. Celle-ci, tr�s calme, se d�gagea doucement et lui r�pondit: --Avec toute autre que moi, monsieur, vous auriez peut-�tre tort de joindre l'attrait du danger... � l'attrait que peut offrir l'amour.... Croyez-moi, lorsque le devoir est impuissant, la terreur est vaine.... En disant ces mots, Berthe rentra chez elle et laissa M. de Br�vannes dans une irritation et dans une anxi�t� profondes. * * * * * CHAPITRE XIII. CORRESPONDANCE. Madame de Hansfeld revint assez satisfaite de son entretien avec M. de Br�vannes. En songeant � la proposition qu'il lui avait faite de lui pr�senter Berthe, Paula �prouvait des ressentiments �tranges: d'abord, sachant l'amour d'Arnold pour madame de Br�vannes, elle avait voulu jouer un perfide et m�chant tour � M. de Br�vannes, esp�rant jouir ensuite de la confusion de M. de Hansfeld lorsqu'il serait reconnu par Berthe (Paula ignorait qu'Arnold e�t r�v�l� son v�ritable nom � Pierre Raimond). Lorsqu'elle avait fait part � Iris de la prochaine pr�sentation de madame de Br�vannes � l'h�tel Lambert, la boh�mienne s'�tait �cri�e en tressaillant de joie: --Maintenant... vous n'avez plus rien � d�sirer... vos voeux seront combl�s quand il vous plaira de me faire un signe. En vain Paula avait voulu forcer Iris � s'expliquer davantage; celle-ci s'�tait renferm�e dans un silence absolu apr�s avoir seulement ajout�: --R�fl�chissez bien, marraine... vous me comprendrez. La princesse avait r�fl�chi. En arr�tant d'abord sa pens�e sur M. de Hansfeld, elle s'�tait demand� ce qu'il lui inspirait depuis qu'il l'avait soup�onn�e des crimes les plus horribles.... Elle ressentait autant de haine que de m�pris contre lui, haine contre l'homme capable de concevoir de tels soup�ons, m�pris pour l'homme assez faible pour ne pas accuser hardiment celle qu'il soup�onnait. Paula �tait doublement injuste; elle oubliait qu'Arnold l'avait passionn�ment aim�e, et qu'il n'avait tant souffert que par suite de cette lutte entre son amour et ses m�fiances.... Chose �trange, elle n'avait jamais aim� son mari d'amour: elle �tait passionn�ment �prise de M. de Morville, et pourtant elle se trouvait bless�e de l'amour du prince pour Berthe; rien de plus absurde, mais de plus commun que la jalousie d'orgueil. Si la pens�e de madame de Hansfeld se reportait sur M. de Morville, � l'instant ces trois mots sinistres flamboyaient � sa vue: --_Si j'�tais veuve_!... Et elle n'osait pas s'avouer qu'elle e�t �t� satisfaite si l'une des tentatives d'Iris avait r�ussi. Nous l'avons dit, rien de plus fatal que de familiariser sa pens�e avec de simples suppositions qui, r�alis�es, seraient des crimes; si monstrueuses qu'elles paraissent d'abord, peu � peu l'esprit les admet d'autant plus facilement qu'elles flattent davantage et incessamment les int�r�ts qu'elles serviraient. Cela est funeste... la vue continuelle d'une proie facile �veille les app�tits sanguinaires les plus endormis. Rentr�e chez elle, Paula r�fl�chit longtemps aux paroles myst�rieuses d'Iris, � propos de la pr�sentation de Berthe � l'h�tel Lambert. --�Maintenant vous n'avez plus rien � d�sirer... quand il vous plaira vos voeux seront combl�s.� Un secret instinct lui disait que du rapprochement du prince, de M. de Br�vannes et de Berthe, il pouvait r�sulter de graves complications; mais que pouvait y gagner son amour � elle, pour M. de Morville? A ce moment, madame de Hansfeld fut interrompue par Iris. --Que voulez-vous?--lui dit-elle brusquement. --Marraine, un commissionnaire vient de m'apporter une enveloppe � mon adresse; dans cette enveloppe �tait une lettre pour vous. Paula prit la lettre et tressaillit. Elle reconnut l'�criture de M. de Morville. Ce billet contenait seulement ces mots: �Les circonstances, madame, me forcent � un parti extr�me.... J'adresse � tout hasard ce billet � votre demoiselle de compagnie.... Un affreux et dernier coup accable le malheureux auquel vous avez d�j� daign� tendre la main... il n'a pas d�sesp�r� de votre piti�... aujourd'hui m�me avec ces paroles magiques: _Faust et Manfred_, vous pourrez sinon le rendre � la vie... du moins adoucir son agonie.� Un moment madame de Hansfeld ne comprit pas la signification de cette lettre. Puis tout � coup s'adressant � Iris: --Quel jour sommes-nous aujourd'hui? --Jeudi, marraine. --Jeudi... non, ce n'est pas cela...--se dit madame de Hansfeld--j'avais cru... mais...--reprit-elle avec anxi�t�--n'est-ce pas aujourd'hui la mi-car�me? --Oui, marraine... quelques masques ont pass� dans la rue. --Oh! je comprends... je comprends--s'�cria madame de Hansfeld--et courant � son secr�taire elle �crivit ces mots � la h�te: �Ce soir, � minuit et demi, � l'Op�ra, au m�me endroit que la derni�re fois, _Faust et Manfred_!... un ruban vert au camail du domino.� Puis, cachetant et donnant cette lettre � Iris, elle lui dit: --Voici la r�ponse, remettez-la.... Iris sortit. * * * * * Le soir, � minuit et demi, au bal de l'Op�ra, L�on de Morville et madame de Hansfeld, tous deux masqu�s comme ils l'�taient lors de leur premi�re entrevue, se rencontr�rent au fond du corridor des secondes loges � gauche du spectateur, et entr�rent dans le salon de l'avant-sc�ne o� avait eu lieu leur premier et leur dernier entretien. * * * * * CHAPITRE XIV. LE MARIAGE. Madame de Hansfeld fut �pouvant�e du changement des traits de M. de Morville et de l'expression de douleur d�sesp�r�e qui les contractait. --Qu'y a-t-il donc, mon Dieu?--s'�cria-t-elle en jetant son masque � ses pieds. --Un mot... d'abord--dit M. de Morville.--Je ne m'�tais pas tromp�; cette myst�rieuse amie... qui m'�crivait sans se faire conna�tre.... --C'�tait moi... oui; oui, votre coeur avait devin� juste... mais au nom du ciel qu'y a-t-il; votre vie est-elle menac�e? --Tout est menac�, ma vie, ma raison, mon amour, mon honneur. --Que dites-vous?... --Je dis que je me tuerai... je dis que les passions les plus mauvaises germent en moi... je dis que je ne me reconnais plus... je dis qu'� mon amour pour vous je veux sacrifier tout ce qu'il y a de plus saint, de plus sacr� parmi les hommes... duss�-je �tre parjure et parricide. --Mon Dieu! vous m'effrayez.... --Paula... m'aimez-vous... comme je vous aime?... --Ne suis-je pas ici?... --Vous m'aimez?... --Oui... oh! oui.... --Paula... fuyons.... Venez... venez.... --Et vos serments?... --Qu'importe! --Et votre m�re? --Qu'importe! --Ah!... que dites-vous?... --Venez, vous dis-je.... Cet amour est fatal.... Notre destin�e s'accomplira.... --En gr�ce, calmez-vous.... Songez � ce que vous m'�criviez encore il y a peu de jours: _Un obstacle insurmontable nous s�pare_... --Je ne veux songer � rien... je vous aime... je vous aime... je vous aime.... Cet amour a subi toutes les �preuves, il a grandi dans le silence, il a r�sist� � votre indiff�rence affect�e, il a p�n�tr� votre tendresse cach�e, il m'a rendu insouciant de ce que j'adorais, d�daigneux de ce que j'honorais.... Il br�le mon sang, il �gare ma raison, il d�borde mon coeur. Paula, si vous m'aimez, fuyons, ou je meurs!... --Mon Dieu! mon ami, croyez-vous �tre seul � souffrir ainsi?... Souffrir... oh! non, maintenant je puis d�fier une vie de tourments... je puis mourir... j'ai �t� aim�e... comme j'avais r�v� d'�tre aim�e... aim�e avec d�lire; aim�e sans r�flexion, sans scrupule, sans remords; aim�e avec tant d'aveuglement, que vous ne soup�onnez pas l'�normit� des sacrifices que vous m'offrez, la profondeur de l'ab�me o� vous voulez nous pr�cipiter.... --Paula, Paula, ne me parlez pas ainsi, vous me rendez fou; vous ne savez pas... non, vous ne savez pas ce que c'est que l'entra�nement d'une seule pens�e qui engloutit toutes les autres dans son courant toujours plus large, plus rapide, plus profond.... Moi qui jusqu'ici pouvais marcher le front haut... je ne l'ose plus... il y a des regards que j'�vite. --Vous?... vous?... --Savez-vous ce que je me suis dit bien souvent... depuis qu'un serment dont je ne veux plus tenir compte maintenant m'a tenu �loign� de vous? --Ne parlez pas ainsi. --Eh bien! d'abord en songeant � la fr�le sant� de votre mari, je me suis dit: M. de Hansfeld mourrait... je n'en serais pas afflig�... puis... sa vie... d�pendrait de moi... que je le laisserais p�rir.... Puis j'ai �t� plus loin... j'ai... mais non, non je n'ose vous dire cela... m�me � vous... je vous ferais horreur.... Ah! maudit soit le jour... o� pour la premi�re fois cette pens�e m'est venue. Et M. de Morville cacha sa t�te dans ses mains. Les derniers mots qu'il venait de prononcer devaient retentir longtemps dans le coeur de Paula. Elle �tait � la fois �pouvant�e, et pourtant presque heureuse de l'�trange complicit� morale qui faisait partager ses voeux homicides contre le prince par M. de Morville, lui, jusqu'alors si loyal et si g�n�reux. Dans ce bouleversement complet des principes de l'homme dont elle �tait ador�e, elle vit une nouvelle preuve de l'influence qu'elle exer�ait. Mais par une de ces contradictions, un de ces d�vouements si familiers aux femmes, madame de Hansfeld se promit de tout faire pour �loigner d�sormais, et pour toujours, des pens�es pareilles de l'esprit de M. de Morville, et cela parce que peut-�tre, de ce moment m�me, elle prenait les r�solutions les plus criminelles; quoi qu'il arriv�t, elle ne voulait pas que M. de Morville p�t se reprocher un jour les voeux qu'il avait faits dans un moment d'�garement. M. de Morville �tait tomb� la t�te dans ses mains avec accablement; madame de Hansfeld lui dit d'un ton doux et ferme: --J'aurai du courage pour vous et pour moi... je vous rappellerai des serments autrefois si puissants sur vous; la violence de votre amour m�me ne doit pas vous les faire oublier. De gr�ce, revenez � vous... vous parlez de nouveaux chagrins... quels sont-ils? votre m�re est-elle plus souffrante? --Eh! qu'importe?... --Ah! de gr�ce, ne parlez pas ainsi. Croyez-moi.... Une femme peut �tre fi�re de voir son influence un moment sup�rieure aux plus nobles principes... mais c'est � condition que ces principes reprendront leur cours.... J'aurais horreur de vous et de moi si au lieu du coeur g�n�reux que j'ai surtout ch�ri je ne retrouvais maintenant qu'un coeur �go�ste et dess�ch�... Serait-ce donc l� le fruit de notre amour? M. de Morville secoua tristement la t�te. --H�las! je le crains--dit-il d'une voix sourde--je n'ai plus la force de r�sister au courant qui m'emporte.... Rien de ce que je v�n�rais autrefois n'est plus capable maintenant de m'arr�ter.... Avant tout votre amour.... P�risse le reste.... --Heureusement... j'aurai le courage qui vous manque.... --Ah! vous ne m'aimez pas.... --Je ne vous aime pas?... Mais laissons cela, dites-moi sous quelle exaltation vous �tiez lorsque vous m'avez �crit ce billet qui m'a si fort alarm�e et qui m'a fait venir ici... ce soir.... --Ne sachant comment vous l'adresser, j'ai compt� sur la fid�lit� de votre demoiselle de compagnie.... D'ailleurs ce billet n'�tait compr�hensible que pour vous seule.... E�t-il tomb� entre les mains de M. de Hansfeld, il ne vous e�t pas compromise. --J'ai reconnu l� votre tact habituel.... Mais la cause de ce billet?... --Votre sang-froid me fait honte.... Moi aussi j'aurai du courage.... Je vous sais gr� de me rappeler � moi-m�me.... Eh bien! voici ce qui vient de nouveau m'accabler.... Hier ma m�re... m'a fait appeler.... Elle �tait plus faible et plus souffrante qu'� l'ordinaire.... Je n'ose penser que depuis quelque temps je suis moins soigneux pour elle.... --Ah! vous ne savez pas le mal que vous me faites en parlant ainsi.... --Elle me dit apr�s quelque h�sitation qu'elle sentait ses forces s'�puiser... qu'il lui restait peu de temps � vivre.... Elle attendait de moi une preuve supr�me de soumission � ses volont�s.... Il s'agissait de la tranquillit� de ses derniers instants; je la priai de s'expliquer; elle me dit qu'un de nos alli�s, qu'elle me nomma, un de ses plus anciens amis, avait une fille charmante et accomplie.... --Je comprends tout...--dit madame de Hansfeld avec fermet�.--En gr�ce, continuez. --Continuer.... Et que vous dirais-je de plus? ma m�re a voulu me faire promettre que mon mariage se ferait de son vivant, c'est-�-dire tr�s prochainement; j'ai refus�. Elle m'a demand� si j'avais � faire la moindre objection sur la beaut�, la naissance, les qualit�s de cette jeune fille; j'ai reconnu, ce qui est vrai, qu'elle �tait accomplie de tous points; mais j'ai signifi� � ma m�re que je ne voulais pas absolument me marier.... Alors... elle s'est prise � pleurer; les �motions vives lui sont tellement funestes, faible comme elle est... qu'elle s'est �vanouie.... J'ai cru, mon Dieu, que j'allais la perdre... et j'ai retrouv� ma tendresse d'autrefois.... En revenant � elle, ma m�re m'a serr� la main, et, avec une bont� navrante, elle m'a demand� pardon de m'avoir contrari� par ses d�sirs... dont elle ne me reparlerait plus.... Mais je le sais, je lui ai port� par mon refus un coup douloureux.... Je n'ose en pr�voir les suites.... Elle avait fond� de si grandes esp�rances sur ce mariage! Hier, son �tat a empir�; je l'ai trouv�e profond�ment abattue; elle ne m'a pas dit un mot relatif � cette union.... Mais, malgr� son doux et triste sourire, j'ai lu son chagrin dans son regard, je l'ai quitt�e le coeur d�chir�. Sa sant� d�faillante ne r�sistera pas peut-�tre � de si violentes secousses. Eh bien! dites, Paula, est-il un sort plus malheureux que le mien? J'ai la t�te perdue. N'�tait-ce pas assez d'�tre s�par� de vous par un serment solennel? Il m'interdisait le pr�sent, mais il me laissait au moins l'avenir. Maintenant il faut pour rendre l'agonie de ma m�re plus douce, il faut que je me r�signe � ce mariage odieux, impossible, car il d�truirait jusqu'aux faibles esp�rances qui me restent.... Encore une fois, cela ne sera pas; non, non, mille fois non. Paula, si vous m'aimez, si vous �tes capable de sacrifier autant que je vous sacrifie, nous n'aurons pas � rougir l'un de l'autre. --Non, car tous deux nous aurons foul� aux pieds nos serments et nos devoirs--dit Paula en interrompant M. de Morville. --Nous fuirons au bout du monde, et.... --Et la premi�re effervescence de l'amour pass�e, la haine, le m�pris que nous ressentirons l'un pour l'autre vengeront ceux que nous aurons sacrifi�s. Mon pauvre ami, votre raison s'�gare. --Mais que voulez-vous que je fasse? --Que vous ne soyez pas parjure... que vous ne h�tiez pas la mort de votre m�re. --Renoncer � vous, me marier.... Jamais! jamais! --�coutez-moi bien. Je vous d�clare que je ne pourrais pas aimer un homme l�che et parjure, lors m�me que ce serait pour moi qu'il se parjurerait l�chement. Mon amour-propre de femme est satisfait de ce que chez vous, pendant quelques moments, la passion a vaincu le devoir; c'est assez. Vous avez jur� de ne jamais me dire un mot qui p�t m'engager � oublier mes devoirs, vous tiendrez ce serment? --Mais.... --Je le tiendrai pour vous si vous �tes tent� d'y manquer. --Et ce mariage?--dit M. de Morville avec amertume;--ce mariage, vous me conseillez sans doute d'y consentir? --Non. --Non? Ah! je n'en doute plus... vous m'aimez! --Si je vous aime! Ah! croyez-moi, ce mariage me porterait un coup encore plus cruel qu'� vous--dit Paula avec �motion--mais--ajouta-t-elle--il faut m�nager votre pauvre m�re, ne pas refuser positivement de lui ob�ir... temporiser... lui dire que vous �tes revenu sur votre premi�re r�solution... mais que vous voulez r�fl�chir � loisir avant de prendre une d�termination aussi grave.... Gagnez du temps, enfin. --Mais ensuite, ensuite? --Ah! savons-nous ce qui appartient � l'avenir. Remercions le sort de l'heure, de la minute pr�sente; demain n'est pas � nous. --Mais quand pourrai-je vous �crire, vous revoir? Quelle sera l'issue de cet amour? il me br�le, il me d�vore, il me tue. --Et moi aussi il me br�le, il me d�vore, il me tue; vous ne souffrez pas seul... n'est-ce pas assez? --Mais qu'esp�rer? --Que sais-je! Aimer pour aimer, n'est-ce donc rien? --Mais que je puisse au moins vous voir quelquefois chez vous, vous rencontrer dans le monde. --Chez moi, non; dans le monde, votre serment s'y oppose. --Ah! vous �tes sans piti�. --Calmez votre m�re, non par des promesses, mais par des temporisations. Dans huit jours je vous �crirai. --Pour me dire?... --Vous le verrez... peut-�tre serez-vous plus heureux que vous ne vous y attendez. --Il se pourrait? Ah! parlez, parlez. --Ne vous h�tez pas de b�tir de folles esp�rances sur mes paroles. Rappelez-vous bien ceci: jamais je ne souffrirai que vous manquiez � la foi jur�e... mais comme je vous aime passionn�ment.... --Eh bien? --Le reste est mon secret. --Oh! que vous �tes cruelle! --Oh! bien cruelle, car je veux que demain vous m'�criviez que votre m�re est moins souffrante, que vous l'avez un peu tranquillis�e; j'en serai si heureuse!... car je me reproche am�rement ses chagrins; n'est-ce pas moi qui les cause involontairement? --Je vous le promets. Et vous, � votre tour? --Dans huit jours vous saurez mon secret. Je regrette moins de ne pas vous recevoir chez moi. Nous allons, je le crains, rompre nos habitudes de retraite. M. de Hansfeld m'a pri�e de recevoir plusieurs personnes, entre autres M. et madame de Br�vannes. Les connaissez-vous? --Je rencontre quelquefois M. de Br�vannes; on dit sa femme charmante. --Charmante, et je crains pour le repos de mon mari qu'il ne s'en aper�oive. --Que dites-vous! --Je le crois s�rieusement occup� de madame de Br�vannes. --Le prince? --Il est parfaitement libre de ses actions, autant que je le suis des miennes. --Et vous refusez de me recevoir chez vous... lorsque votre mari.... Paula interrompit M. de Morville. --Je vous refuse cela, d'abord parce que vous avez jur� de ne jamais vous pr�senter chez moi; et puis, condamnable ou non, la conduite de mon mari ne doit en rien influencer la mienne; il est des d�licatesses de position que vous devez appr�cier mieux que personne.... Dans huit jours vous en saurez davantage. --Dans huit jours... pas avant?... --Non. --Que je suis malheureux! --Bien malheureux, en effet! Vous venez ici accabl�, d�sesp�r�, vous reprochant votre duret� avec votre m�re, oubliant tout ce qu'un homme comme vous ne doit jamais oublier; je vous calme, je vous console, je vous offre le moyen de m�nager � la fois les volont�s de votre m�re et nos propres int�r�ts.... --Oui, oui, vous avez raison.... Pardon, j'�tais venu ici avec des pens�es mis�rables; vous m'avez fait rougir, vous m'avez relev� � mes propres yeux, vous m'avez rappel� � l'honneur, � la foi jur�e, � ce que je dois � ma m�re. Merci, merci; vous avez raison, pourquoi songer � demain quand l'heure pr�sente est heureuse? Merci d'�tre venue � moi d�s que je vous ai dit que j'�tais accabl� par la douleur, par le d�sespoir. Tout � l'heure j'�tais d�sol�, maintenant je me sens rempli de force et d'espoir; le coeur me bat noblement; vous m'avez sauv� la vie, vous m'avez sauv� l'honneur; mon courage est retremp� au feu de votre amour, je me sens aim�! Je ferme les yeux, je me laisse conduire par vous; ordonnez, j'ob�is, je n'ai plus de volont�; je vous confie le sort de cet amour qui est toute ma vie, qui est toute la v�tre. --Oh! oui, toute ma vie!--s'�cria madame de Hansfeld avec une exaltation contenue.--En ayant en moi une confiance aveugle, vous verrez ce que peut une femme qui sait aimer. Demain �crivez-moi des nouvelles de votre m�re, et dans huit jours vous saurez mon secret.... Jusque-l�, sauf la lettre de demain, pas un mot... je l'exige. --Pas un mot! et pourquoi? --Vous le saurez; mais promettez-moi ce que je vous demande... dans l'int�r�t de notre amour.... --Je vous le promets. --Maintenant, adieu. --D�j�? --Il le faut. N'est-il pas bien imprudent que je sois ici? --Adieu, Paula. Votre main... un baiser... un seul. --Et votre serment!--dit Paula en remettant son masque et refusant de se d�ganter. Elle sortit de la loge, traversa la foule et quitta le th��tre. Iris l'attendait dans le fiacre comme la derni�re fois. Pendant tout le temps du trajet, madame de Hansfeld fut sombre et taciturne; elle revint � l'h�tel Lambert par la petite porte secr�te, elle monta chez elle accompagn�e d'Iris. L'amour passionn� de Paula pour M. de Morville �tait arriv� � son paroxysme; elle se sentait capable des d�terminations les plus funestes; sa raison �tait presque �gar�e; elle craignait surtout que M. de Morville, malgr� sa r�pugnance pour le mariage qu'on lui proposait, ne s'y d�cid�t, vaincu par les sollicitations de sa m�re mourante. Il pourrait peut-�tre gagner quelque temps; mais avant huit jours tout devait �tre d�cid� pour Paula. Iris, voyant la sombre pr�occupation de sa ma�tresse, en devina la cause et lui dit, apr�s un assez long silence, en lui montrant une �pingle � t�te d'or constell�e de turquoises, et fich�e � une pelote recouverte de dentelle: --Marraine, souvenez-vous de mes paroles.... Lorsque vous voudrez que la pens�e que vous n'osez vous avouer se r�alise sans que vous ou moi prenions la moindre part � son ex�cution, remettez-moi cette �pingle, peu de jours apr�s, vous n'aurez plus rien � d�sirer.... Depuis que je vous ai parl�, l'id�e a germ� dans le coeur o� je l'avais sem�e; elle a grandi, elle sera bient�t m�re. Encore une fois, cette �pingle, et vous pourrez �pouser M. de Morville. --Cette �pingle?--dit madame de Hansfeld en p�lissant et en prenant sur la pelote le bijou et le contemplant pendant quelques moments avec une effrayante anxi�t�. --Cette �pingle--dit Iris en avan�ant la main pour la saisir, le regard brillant d'un �clat sauvage. Madame de Hansfeld, sans lever les yeux, dit d'une voix basse et tremblante: --Ce que vous dites, Iris, est une sinistre plaisanterie, n'est-ce pas? Cela est impossible.... Comment pourrez-vous?... --Donnez-moi l'�pingle... ne vous inqui�tez pas du reste. --Je serais folle de vous croire. Par quel miracle?... En parlant ainsi, Paula, accoud�e sur la chemin�e et tenant toujours l'�pingle, l'avait machinalement et comme en se jouant approch�e de la main d'Iris, �tendue sur le marbre. La boh�mienne saisit vivement l'�pingle. La princesse, �pouvant�e, la lui retira des mains avec force en s'�criant: --Non, non; ce serait horrible.... Oh! jamais, jamais!... meurent plut�t toutes mes esp�rances. * * * * * CHAPITRE XV. LE LIVRE NOIR. Deux jours apr�s la premi�re entrevue de madame de Hansfeld et de M. de Morville au bal de l'Op�ra, Iris avait apport�, selon sa promesse, le _livre noir_ � M. de Br�vannes; celui-ci y avait lu les lignes suivantes, attribu�es � la princesse: �Je suis si troubl�e de cet entretien, que je puis � peine rassembler mes souvenirs; j'ai peur de me rappeler ce que j'ai promis � M. de Br�vannes, ce que je lui ai laiss� deviner, peut-�tre.... �Quelle est donc la puissance de cet homme? J'�tais all�e l� bien r�solue d'�tre pour lui d'une froideur impitoyable; � peine l'ai-je vu... que j'ai oubli� tout... jusqu'� ses menaces.... �Quelle fatalit� l'a donc, pour mon malheur, ramen� ici?... �Non, non, je ne l'aimerai pas.... �Je me fais horreur � moi-m�me.... Comment! en pr�sence du meurtrier de Rapha�l... je n'ai ressenti ni haine ni fureur.... Oh! honte sur moi! il a remarqu� ma faiblesse.... �H�las! que faire?... Lorsque j'entends sa voix, lorsque son ardent regard... s'attache sur moi... mes r�solutions les plus fermes m'abandonnent... je ne pense qu'� l'�couter... qu'� le contempler.... �Il est si beau de cette beaut� virile et hardie qui, la premi�re fois que je l'ai vu, m'a laiss� une impression profonde... ineffa�able.... Tout en lui, annonce un de ces hommes passionn�ment �nergiques qui aiment... comme je saurais aimer... comme je n'ai jamais �t� aim�e.... Oh! si ma volont� et la sienne �taient unies... � quel terme de f�licit� n'arriverions-nous pas!... �B�ni soit ce livre... je puis lui dire ce que je n'oserais dire � aucune cr�ature humaine... ce que je n'oserais m�me relire tout haut.... �Il m'a demand� de me pr�senter sa femme.... D'avance, je la hais... c'est pourtant � elle que je devrai de recevoir un jour son mari... mais cette obligation m'irrite contre elle; c'est son bonheur que j'envie... elle porte le nom de cet homme qui exerce sur moi une si incroyable influence... ce nom que maintenant je ne puis entendre sans trouble.... Oh! cette femme, je la hais, je la hais... elle est trop heureuse! �Apr�s tout, pourquoi rougir de mon amour? Il ne sera jamais coupable... car il ne sera jamais heureux.... �Mon ambition de coeur est trop grande... jamais _lui_ ne saura ce qu'il aurait pu �tre pour moi, si tous deux nous eussions �t� libres! Oh! quel r�ve! quel paradis! �La passion que j'�prouve est trop puissante, trop immense, pour descendre jusqu'aux mensonges auxquels nous serions r�duits, lui et moi, si nous cherchions les plaisirs d'un amour vulgaire.... Non, non... lui appartenir au grand jour, � la face de tous, porter noblement et fi�rement son nom... ou ensevelir mon malheureux amour au plus profond de mon coeur... aucune puissance humaine ne me fera sortir de l'une de ces deux alternatives.... �Or, comme lui et moi portons les cha�nes du mariage... cha�nes bien lourdes!... or, comme le hasard; en lib�rant l'un de nous deux, ne lib�rerait pas l'autre... ma vie ne sera qu'un long regret, qu'un long supplice.... Ce que je dis est vrai; je n'ai aucun int�r�t � me mentir � moi-m�me.... Je connais assez la fermet� de mon caract�re pour �tre s�re de ma r�solution.... �Et puis, _lui_ aussi a tant de volont�, tant d'�nergie, que c'est �tre digne de lui que de l'imiter dans son �nergie, dans sa volont�, lors m�me qu'elles seraient employ�es � lui r�sister.... �Oh! il ne sait pas ce que c'est de pouvoir se dire qu'on a r�sist� � un homme comme lui. �J'�prouve un charme �trange � me rendre ainsi compte des pens�es qu'il ignorera toujours, � �tre dans ces confidences muettes aussi tendre, aussi passionn�e pour lui que je serai froide, r�serv�e en sa pr�sence; je suis contente de ma derni�re �preuve � ce sujet.... De quel air glacial je l'ai re�u! �Mais aussi quel courage il m'a fallu!... Sans la pr�sence d'Iris, j'eusse �t� plus froide encore; mais, la sachant l�, j'�tais rassur�e contre moi-m�me. �Cette jeune fille m'inqui�te, elle m'entoure de soins; pourtant je ne sais quel vague pressentiment me dit qu'il y a de l'hypocrisie dans sa conduite. Elle est sombre, distraite, pr�occup�e; que lui ai-je fait? Quelquefois, il est vrai, dans un acc�s de tristesse et de morosit�, je la rudoie.... J'y songerai... je la surveillerai. �Que viens-je d'apprendre?... Non, non, c'est impossible... l'enfer n'a pas voulu cela.... �Sa femme.... Berthe de Br�vannes, lui serait infid�le!... �Si les preuves qu'on vient de m'apporter �taient vraies.... �Oh! il est indignement jou�... La mis�rable!... avec son air doux et candide... elle ne sent donc pas ce que c'est que d'�tre assez heureuse, assez honor�e pour porter son nom? Lui!... lui tromp�... comme le dernier des hommes... lui raill�, moqu� peut-�tre.... Je ne sais ce que je ressens � cette id�e, qui ne m'�tait jamais venue. �Oh! je suis folle... folle... ce n'est pas de l'amour, c'est de l'_idol�trie_.� Le m�mento suppos� de madame de Hansfeld avait �t� perfidement interrompu � cet endroit. En lisant les derniers mots, qui avaient rapport � une pr�tendue infid�lit� de Berthe, M. de Br�vannes bondit de douleur et de rage. Par cela m�me que la lecture de la premi�re partie de ce journal l'avait plong� dans tous les ravissements de l'orgueil, et de l'orgueil exalt� jusqu'� sa derni�re puissance, ce contre-coup lui fut plus douloureux encore; il ne se poss�da pas de fureur en pensant qu'il jouait peut-�tre un r�le ridicule aux yeux de Paula; il connaissait assez les femmes pour savoir que s'il leur est doux, tr�s doux, d'enlever un mari ou un amant � un coeur fid�le, elles se soucient m�diocrement de servir de vengeance, de repr�sailles � un homme qu'on a tromp�. Iris elle-m�me avait �t� effray�e de l'expression de col�re et de haine qui contracta les traits de M. de Br�vannes lorsqu'il eut lu ce passage du livre noir; elle quitta le mari de Berthe, bien certaine d'avoir frapp� o� elle voulait frapper. En effet, elle laissa M. de Br�vannes dans un �tat d'exaltation impossible � d�crire. D'un c�t�, il se flattait d'�tre aim� par madame de Hansfeld avec une incroyable �nergie; mais il avait presque la certitude de ne pouvoir rien obtenir d'une femme si r�solue, qui puisait dans la violence m�me de son amour la force de r�sistance qu'elle comptait d�ployer, voulant et croyant fermement prouver sa passion par des refus opini�tres dont elle se glorifiait. D'un autre c�t�, son sang bouillonnait de courroux en songeant que Berthe le trompait, qu'il �tait peut-�tre d�j� l'objet des sarcasmes du monde. Les moindres circonstances de son entretien avec sa femme lui revinrent � l'esprit, il y trouva la confirmation des soup�ons que quelques lignes du livre noir venaient d'�veiller. Il ne savait que r�soudre. Le lendemain il devait pr�senter sa femme chez madame de Hansfeld; il lui fallait donc m�nager Berthe jusqu'apr�s cette pr�sentation, qu'il regardait comme si importante pour l'avenir de son amour; mais comment se contraindrait-il jusque l�, lui toujours habitu� de faire sous le moindre pr�texte supporter � sa femme ses acc�s d'humeur? Il s'�puisait � chercher quel pouvait �tre le complice de madame de Br�vannes; apr�s de m�res r�flexions, se souvenant des go�ts retir�s que Berthe avait r�cemment affect�s, il se persuada que celle-ci s'abandonnait � quelque obscur et vulgaire amour. Iris, avec une infernale sagacit�, avait justement dans le livre noir fait insister Paula sur le bonheur et sur l'orgueil qu'elle aurait � porter le nom de M. de Br�vannes.... Et c'�tait ce nom que Berthe d�shonorait. Le pi�ge �tait trop habilement tendu pour que cet homme vain, jaloux, orgueilleux, et d'une m�chancet� cruelle lorsqu'on blessait son amour-propre, pour que cet homme, disons-nous, n'y tomb�t pas, et n'entr�t pas ainsi dans un ordre d'id�es n�cessaires au plan diabolique d'Iris.... En effet, apr�s avoir pass� par tous les degr�s de la col�re et s'�tre mentalement abandonn� aux menaces les plus violentes contre Berthe et son complice inconnu, tout � coup M. de Br�vannes sourit avec une sorte de joie f�roce; il se calma, s'apaisa, plus que satisfait de la trahison de Berthe; il n'eut plus qu'une crainte... celle de ne pas pouvoir se procurer des preuves flagrantes de son d�shonneur. Il jugea n�cessaire � ses projets de cacher � madame de Br�vannes la d�nonciation qu'il avait re�ue, pour �pier ses moindres d�marches; il voulait l'endormir dans la plus profonde s�curit�. Aussi, le lendemain (jour de la pr�sentation de Berthe � madame de Hansfeld) M. de Br�vannes entra chez sa femme, apr�s s'�tre fait pr�c�der d'un �norme bouquet et d'une charmante parure de fleurs naturelles. * * * * * CHAPITRE XVI. CONVERSATION. Berthe, peu accoutum�e � de telles pr�venances de la part de M. de Br�vannes, fut doublement surprise de ce cadeau de fleurs, surtout apr�s la sc�ne de la veille, sc�ne dans laquelle son mari s'�tait montr� si grossier. Elle fut non moins �tonn�e de son air contrit et doucereux; mais dans son ing�nuit� elle se laissa bient�t prendre au faux sourire de bont� qui temp�rait � ce moment la rudesse habituelle des traits de M. de Br�vannes. Quoiqu'elle e�t fait son possible pour ne pas aller � l'h�tel Lambert dans la crainte d'y rencontrer M. de Hansfeld, Berthe se sentait int�rieurement coupable de cacher � son mari les entrevues qu'elle avait eues chez Pierre Raimond avec Arnold; aussi s'exag�rait-elle encore ses torts � la moindre bonne parole de M. de Br�vannes. Ce fut donc presque avec confusion qu'elle le remercia des fleurs qu'il lui avait envoy�es. --En v�rit�, Charles--lui dit-elle--vous �tes mille fois bon, vous me g�tez... ce bouquet �tait magnifique, cette parure de cam�lias est de trop. --Vous avez raison, ma ch�re amie, vous n'avez pas besoin de tout cela pour �tre charmante... mais je n'ai pu r�sister au d�sir de vous envoyer ces fleurs, malgr� leur inutilit�; je suis ravi que cette l�g�re attention vous ait fait plaisir.... J'ai tant � me faire pardonner.... --Que voulez-vous dire? --Sans doute: hier, n'ai-je pas �t� brusque, grondeur?... N'ai-je pas enfin fait tout ce qu'il fallait faire pour �tre ex�cr�? Mais les maris sont toujours ainsi. --Je vous assure, Charles, que j'avais compl�tement oubli�.... --Vous �tes si bonne et si g�n�reuse.... Vraiment quelquefois je ne sais comment j'ai pu m�conna�tre tant de pr�cieuses qualit�s.... --Charles... de gr�ce. --Non vraiment... cela m'explique l'incroyable, l'aveugle confiance que j'ai toujours eue en vous, � part quelques acc�s de jalousie sans motif, bien entendu.... Tenez, vous ne sauriez croire combien surtout notre conversation d'hier a augment� ma confiance en vous. --Mon ami.... --Dans le premier moment, je l'avoue... la franchise de vos craintes m'a un peu effray�; mais depuis, en y r�fl�chissant, j'y ai trouv� au contraire les plus s�rieuses garanties pour l'avenir, et une preuve de plus de votre excellente conduite.... --Je vous en prie, ne parlons plus de cela--dit Berthe avec un embarras qui n'�chappa pas � son mari. --Au contraire, parlons-en beaucoup, ce sera ma punition, car j'avoue mes torts.... J'�tais stupide de me f�cher de votre loyaut�! Pourquoi n'aurait-on pas la modestie de l'honneur comme la modestie du talent? Si je vous avais pri�e de chanter dans un salon, devant un nombreux public, m'auriez-vous dit:--Je suis certaine de chanter admirablement bien?... Non, vous eussiez manifest� toutes sortes de craintes.... Et pourtant il est certain que peu de talents �galent le v�tre.... Eh bien! vous m'avez parl� avec la m�me modestie de votre future condition dans le monde o� je vous oblige d'aller, vous m'avez dit avec raison: �--J'ai le d�sir de rester fid�le � mes devoirs, mais je redoute les s�ductions et les p�rils qui entourent ordinairement une jeune femme, et j'aime mieux fuir ces dangers que les combattre....� --Encore une fois, je vous en prie, oublions tout ceci--dit Berthe v�ritablement �mue et touch�e de la bont� de son mari. --Oh! je ne vous c�derai pas sur ce point--reprit celui-ci--je vous prouverai que je m'obstine dans le bien comme dans le mal; ma franchise �galera votre loyaut�... ce qui n'est pas peu dire, et vous saurez aujourd'hui ce que je vous ai tu hier. --Quoi donc? --Je vous parle rarement de mes affaires... mais cette fois vous m'excuserez si j'entre dans quelques d�tails. --Mon Dieu... je vous prie.... --Un des parents de madame la princesse de Hansfeld est tr�s haut plac� en Autriche et peut me servir beaucoup en faisant obtenir d'importants privil�ges � une compagnie industrielle qui se forme � Vienne et dans laquelle j'ai des capitaux engag�s. En me faisant pr�senter � la princesse, en vous priant d'�tre aimable pour elle, vous le voyez, j'agis un peu par int�r�t... mais cet int�r�t est le v�tre... puisqu'il s'agit de notre fortune. --Mon Dieu, pourquoi ne m'avoir pas dit cela hier? --Je vous l'aurais dit probablement; mais la persistance de vos refus � propos de cette pr�sentation m'a contrari�. Vous savez que j'ai un tr�s mauvais caract�re; ma t�te est partie... nous nous sommes s�par�s presque f�ch�s, et je n'ai pas eu l'occasion de vous apprendre ce que je voulais vous dire. --S'il en est ainsi, Charles, croyez que je ferai tout mon possible pour �tre agr�able � la princesse, puisqu'il s'agit de vos int�r�ts; j'aurai de la sorte un but en allant chez elle, et je redouterai beaucoup moins les p�rils que j'ai la vanit� de craindre. --Voyez, ma ch�re enfant, ce que c'est que de s'entendre, comme toutes les difficult�s s'aplanissent.... Oh! que je m'en veux de ma vivacit�; on s'explique si mal quand on est f�ch�! Mais tenez, puisque nous sommes en confiance, laissez-moi vous parler � coeur ouvert. --Je vous en prie... si vous saviez combien je suis touch�e de ce langage si nouveau pour moi. --C'est que le sentiment que j'�prouve pour vous est aussi presque nouveau pour moi. --Charles, je ne vous comprends pas. Apr�s un moment de silence, M. de Br�vannes reprit: --�coutez-moi, ma ch�re enfant. On aime sa femme de deux fa�ons, comme ma�tresse ou comme amie. Pendant longtemps je vous ai aim�e de la premi�re fa�on. Des torts que je ne veux pas nier, mais que vous avez punis par une d�cision irr�vocable, ne me permettent plus de vous aimer que comme amie; mais pour passer de l'un � l'autre de ces deux sentiments, la transition est p�nible... surtout lorsqu'il faut renoncer � une aussi charmante ma�tresse. --De gr�ce.... --Le sacrifice est fait... c'est � mon amie, � ma sinc�re amie que je parle, que je parlerai d�sormais. M. de Br�vannes dissimula si parfaitement ses mauvais desseins, et dit ces mots d'une voix si p�n�trante, qu'une larme roula dans les yeux de Berthe; un aveu de ses torts lui vint aux l�vres. Elle prit la main de son mari, la serra cordialement entre les siennes et r�pondit: --Et d�sormais votre amie fera tout au monde pour �tre digne de.... --Assez, ma ch�re enfant--dit M. de Br�vannes en interrompant Berthe;--je sais tout ce que vous valez... et qu'on est toujours s�r d'�tre entendu lorsqu'on s'adresse � votre d�licatesse.... Mais permettez-moi de terminer ce que j'ai � vous dire.... Par cela m�me qu'il y a deux mani�res d'aimer sa femme, il y a deux mani�res d'en �tre jaloux.. --Je ne vous comprends pas, mon ami. C'est ce que je crains, surtout � propos de quelques-unes de mes paroles d'hier que vous avez peut-�tre mal interpr�t�es. --Comment? --Sans doute; malheureusement notre entretien est mont� tout � coup sur un ton si haut que tout s'est �lev� en proportion; quand je vous parlais de la diff�rence de la jalousie, de l'amour et de l'amour-propre, je voulais dire que l'on n'est pas jaloux de la m�me fa�on lorsque votre femme est votre amie au lieu d'�tre votre ma�tresse; dans le premier cas, le coeur souffre; dans le second, c'est l'orgueil; et malheureusement l'orgueil n'a pas, comme l'amour, de ces retours de tendresse qui calment et adoucissent les blessures les plus douloureuses... me comprenez-vous? --Mais.... --Pas encore, je le vois. Je voudrais vous parler plus franchement... mais je crains de mal m'expliquer et de vous choquer peut-�tre. --Parlez... ne craignez rien. --Eh bien, �coutez-moi, ma ch�re enfant. Depuis longtemps vous n'�tes plus pour moi qu'une amie; mais vous avez � peine vingt-deux ans. Ces s�ductions dont vous parlez, vous avez raison de les craindre; personne plus que vous ne peut y �tre expos�e... car ma conduite envers vous, je ne le nie pas, pourrait sinon autoriser, du moins excuser vos fautes. --Ah! monsieur... pouvez-vous penser?... --Laissez-moi achever.... Si j'ai toujours le droit d'�tre, comme je le suis, horriblement jaloux par orgueil, c'est-�-dire jaloux des dehors, des apparences de votre conduite, j'ai malheureusement perdu le droit d'�tre jaloux de votre coeur; j'ai seul caus� votre refroidissement par mes infid�lit�s, par mes duret�s. Il serait donc souverainement injuste et absurde de ma part, je ne dirai pas d'exiger, mais d'esp�rer qu'� votre �ge votre coeur soit � tout jamais mort pour l'amour. Berthe regarda son mari avec stupeur. --Tout ce que je demande, tout ce que j'ai le droit d'attendre de mon amie--reprit-il--et � ce sujet elle me trouverait inexorable, c'est, par sa conduite ext�rieure, de respecter aussi scrupuleusement l'honneur de mon nom que si elle m'aimait comme le plus aim� des amants; en un mot, ma ch�re enfant, votre vie publique m'appartient parce que vous portez mon nom... la vie de votre coeur doit �tre mur�e pour moi, puisque j'ai perdu le droit d'y �tre int�ress�. Tout ce que je vous dis semble vous �tonner; pourtant, r�fl�chissez bien; souvenez-vous de notre conversation d'hier, et vous verrez que je vous dis � peu pr�s les m�mes choses... le ton seul diff�re.... Pour me r�sumer en deux mots, de ce jour vous avez votre libert� compl�te, absolue; vous vous appartenez tout enti�re... nous sommes s�par�s sinon de droit, du moins de fait. Mais par cela m�me que cette libert� intime est plus absolue, vous devez pousser jusqu'au dernier scrupule la stricte observation de vos devoirs apparents; et, je vous le r�p�te, autant vous me trouverez tol�rant ou plut�t ignorant � propos de vos int�r�ts de coeur, autant vous me trouverez rigoureux, impitoyable � l'endroit du respect des convenances. M�ditez bien ceci, ma ch�re enfant; d�s aujourd'hui nos positions sont nettement tranch�es. J'aurai sans doute plut�t besoin que vous de cette tol�rance mutuelle � laquelle nous venons de nous engager pour nos affaires de coeur... mais je n'en suis pas encore aux confidences; et plus tard j'aurai peut-�tre � solliciter l'indulgence de mon amie. A propos d'indulgence, je vous demanderai bient�t la permission de vous quitter et de vous laisser seule.... D'ici � peu de jours je partirai pour un voyage tr�s court, mais tr�s important.... --Vous partez... vous partez... dans ce moment?... --Pour tr�s peu de temps, vous dis-je, une ou deux semaines au plus.... Des affaires urgentes.... Mais pendant ce temps je vous confierai mes int�r�ts aupr�s de madame de Hansfeld, bien certain qu'ils ne peuvent �tre mieux plac�s qu'entre vos mains.... Allons, ma ch�re enfant, � tant�t. Faites-vous bien belle; car si je n'ai plus ma vanit� d'amant, j'ai ma vanit� de mari. Ce disant, M. de Br�vannes baisa Berthe au front et sortit. Quelques moments de plus, sa haine et sa rage �clataient malgr� lui. Les mille �motions qui s'�taient peintes sur la candide physionomie de Berthe pendant que son mari parlait, l'esp�ce de joie involontaire dont elle avait eu honte un moment apr�s, mais qu'elle n'avait d'abord pu cacher lorsqu'il lui avait rendu sa libert�; son inqui�tude vague, ses esp�rances tour � tour �veill�es et contenues, tout avait �clair� M. de Br�vannes sur la position du coeur de Berthe. Il n'en doutait plus, elle aimait; il �tait trop sagace pour s'y tromper. Il avait un rival... sa femme le trompait. Ce fut donc avec une secr�te et sombre satisfaction qu'il s'applaudit d'avoir plong� madame de Br�vannes dans la plus compl�te, dans la plus profonde s�curit�. FIN DE LA DEUXI�ME PARTIE. * * * * * TROISI�ME PARTIE. CHAPITRE XVII. R�SOLUTION. La passion de madame de Hansfeld pour M. de Morville avait encore augment� depuis sa derni�re entrevue au bal de l'Op�ra. Cet amour �tait chez Paula un bizarre m�lange de nobles exaltations et de funestes arri�re-pens�es. Elle aurait cru avilir l'homme qu'elle aimait, en souffrant qu'il se parjur�t, et elle �tait r�solue sinon d'ourdir, du moins de laisser tramer par Iris un complot infernal contre les jours de son mari, pour pouvoir �pouser M. de Morville, sans que celui-ci faill�t � son serment. En vain Paula restait �trang�re � cette machination, dont elle entrevoyait � peine les r�sultats; elle sentait, � la violence m�me de ses h�sitations, de ses craintes, de ses remords anticip�s, quelle part criminelle elle prenait dans cette �pouvantable action, uniquement con�ue dans l'int�r�t de son amour. Chose �trange pourtant!... Si les r�v�lations d'Iris avaient eu lieu quelques mois plus t�t, alors, que le prince �prouvait toute la premi�re ardeur de sa passion pour Paula, passion � la fois si aveugle et si clairvoyante, qu'elle ne pouvait s'affaiblir par l'apparente �vidence des crimes de sa femme, dont il pressentait l'innocence; si les r�v�lations d'Iris, disons-nous, avaient eu lieu, lorsque le seul obstacle que Paula p�t opposer � l'amour du prince �tait le souvenir de Rapha�l.... Rapha�l toujours regrett�, toujours ador�; qu'arrivait-il? Arnold apprenait l'innocence de Paula; Paula, l'indigne tromperie de Rapha�l. Que de chances alors pour que madame de Hansfeld partage�t l'amour du prince qui m�ritait tant d'�tre aim�, qui s'�tait montr� si vaillamment �pris! A force de soins, de tendresse, il se serait fait pardonner des soup�ons dont il avait le premier si g�n�reusement souffert; Paula e�t reconnu combien il avait, en effet, fallu de passion, d'opini�tre passion � son mari pour continuer de l'aimer malgr� de si funestes apparences: la vie la plus heureuse se f�t alors ouverte devant elle, devant lui. Malheureusement, les r�v�lations d'Iris avaient �t� trop tardivement forc�es; plus malheureusement encore M. de Hansfeld aimait Berthe, et madame de Hansfeld M. de Morville. Ce double et fatal amour rendait leur position intol�rable. Madame de Hansfeld devait rester � jamais encha�n�e � un homme qui ne l'aimait plus; cet homme aimait une autre femme; et pour faire oublier � Paula les odieux soup�ons dont elle avait �t� victime, il ne pouvait que l'entourer d'�gards froids et contraints. Et s�par�e de lui par un obstacle insurmontable, elle voyait � travers le prisme enchanteur de l'amour un homme jeune, beau, spirituel, passionn�... si passionn� qu'il avait voulu lui sacrifier ces deux religions de toute sa vie: _sa parole! sa m�re_! et Paula n'avait pas m�me la consolation de songer que l'accomplissement de ses devoirs ferait au moins le bonheur de M. de Hansfeld. Celui-ci, trouvant de son c�t� r�unies chez Berthe les gr�ces et les qualit�s les plus s�duisantes, se livrait sans remords � cet amour. Paula lui ayant toujours manifest� son indiff�rence. Telle �tait la position de M. et de madame de Hansfeld, au moment o� celle-ci, pour m�nager M. de Br�vannes, qui pouvait la calomnier si dangereusement, allait le recevoir � l'h�tel Lambert, ainsi que Berthe. L'exaltation de Paula �tait arriv�e � ce point qu'elle ne pouvait supporter plus longtemps sa position. Elle avait fix� � M. de Morville le terme de huit jours pour lui faire part de sa r�solution supr�me, parce qu'elle voulait qu'avant huit jours le sort de sa vie enti�re f�t d�cid�. Ou elle aurait le courage de profiter des offres d'Iris, ou elle se tuerait... si le projet de la jeune fille lui semblait exiger une complicit� pour ainsi dire trop directe, trop personnelle. Rien ne semble plus �trange, et rien n'est pourtant plus r�el que ces compositions, que ces attermoiements avec le crime.... Les juges ne sont pas les seuls � y trouver des _circonstances att�nuantes_. Madame de Hansfeld venait de faire demander Iris: celle-ci entra. * * * * * CHAPITRE XVIII. L'�PINGLE. --Vous m'avez demand�e, marraine?--dit Iris. --Oui.... Fermez la porte... et voyez si personne ne peut nous entendre. Iris sortit un instant et revint. --Personne, marraine. Le coeur de Paula battait d'une fa�on �trange; elle baissait les yeux devant le regard p�n�trant de la boh�mienne; enfin elle lui dit avec effort: --�coutez bien; la conversation que je vais avoir avec vous sera la derni�re que nous aurons au sujet de... ce que vous savez. Vous m'avez dit, il y a quelques jours: Un mot, un signe de vous... cette �pingle... je suppose, et.... Paula ne put achever. Iris reprit: --Et vous �tes libre!... --Vous m'avez dit cela.... --Je le r�p�te.... --Vous pr�tendez m'�tre d�vou�e? --Autrefois, maintenant, toujours. --Donnez-m'en une preuve. --Parlez, marraine. --Dites-moi par quel moyen vous pr�tendez _me rendre libre_... La voix de madame de Hansfeld s'alt�ra; elle reprit aussit�t et plus vivement:--Sans que ni vous ni moi soyons complices de... ce... ce qu'il faut faire pour cela. Ces mots sembl�rent br�ler les l�vres de madame de Hansfeld. --Pourquoi cette question? --Je ne crois pas � la possibilit� de ce que vous m'avez propos�; je ne songe pas � en profiter; mais je veux conna�tre par quels moyens... vous pr�tendez... enfin, vous me comprenez.... --A quoi bon vous en instruire?... --S'ils me paraissent moins horribles que je ne le suppose... peut-�tre... je ne sais...--Puis la princesse, �pouvant�e de ce qu'elle venait de dire, mit la main sur ses yeux et s'�cria:--Non, non, laissez-moi... allez-vous-en, ne revenez plus, je ne veux plus vous voir... sortez.... --Marraine, en gr�ce!... --Non... sortez, vous dis-je.... --Eh bien! je vais vous dire par quels moyens.... Et Iris baissa la voix, attendant avec anxi�t� une nouvelle injonction de sortir. Paula resta muette. Iris continua: --Oui, je puis, si vous l'exigez, vous dire par quels moyens vous pouvez �tre libre.... Mais prenez garde... prenez garde.... Madame de Hansfeld regarda fixement Iris. --Que je prenne garde? --Oui... vous pourrez am�rement regretter de m'avoir interrog�e � ce sujet.... Vous avez des scrupules, ils deviendront plus grands encore si vous �tes instruite de mes desseins.... Sans la parole que vous m'avez fait donner de ne pas agir � votre insu... je vous aurais �pargn� ces angoisses.... Quelquefois m�me je me demande s'il n'est pas insens� � moi de vous ob�ir pour cela.... Je n'ai d'autre but que votre bonheur.... L'odieux du parjure ne retomberait que sur moi... peu importe... vous seriez heureuse. --Oseriez-vous manquer � ce que vous m'avez promis? --Malheureusement je ne l'ose pas; un mot de vous est une loi pour moi.... Au moins que cette soumission � vos volont�s vous donne une foi profonde, aveugle, dans ma parole.... --Dans votre parole?--dit am�rement Paula. --Oui... et je vous jure que les �v�nements ont march� de telle sorte, sans que vous y soyez m�l�e en rien, vous le savez mieux que personne... qu'avant huit jours... vous serez peut-�tre libre... et non seulement aucun soup�on ne vous atteindra, mais l'int�r�t, mais les sympathies du monde seront pour vous.. Madame de Hansfeld regarda Iris avec surprise, presque avec stupeur. --Mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne pas me faire part de ces �v�nements, puisque j'y suis, dites-vous, absolument �trang�re? --A cause de vos scrupules, marraine. --De mes scrupules! pourquoi en aurais-je? Ne suis-je pas innocente de ce qui se passe? --Vos scrupules na�tront... quoique insens�s.... Ils na�tront, vous dis-je, et vous les �couterez. --Comment cela? --Supposez-vous instruite, par je ne sais quel prodige, de l'avenir d'une personne qui vous soit absolument indiff�rente... que vous ne connaissez m�me pas.... Cette prescience vous apprend que cette personne doit mourir dans huit jours... mourir fatalement, sans que vous soyez pour rien dans les causes de cette mort, sans qu'elle vous profite en rien... sans que vous puissiez changer le cours des �v�nements qui l'am�nent.... N'�prouverez-vous pas une sorte d'angoisse � cette r�v�lation? ne vous regarderez-vous pas pour ainsi dire comme complice du destin en voyant cette personne ignorante du sort terrible qui l'attend, tandis que vous en �tes instruite... vous? --Je ne me croirais pas complice de cette mort, mais j'�prouverais de la terreur en voyant cette personne marcher, confiante et paisible, vers un ab�me qu'elle ignore. --Eh bien! cette terreur ne deviendra-t-elle pas un remords s'il s'agit de votre mari, si sa mort comble tous vos voeux, r�alise toutes vos esp�rances? --Que dites-vous? --Quelque innocente que vous fussiez d'une telle catastrophe, ne vous regarderiez-vous pas presque comme criminelle... seulement parce que vous �tiez instruite � l'avance? Encore une fois, ne m'interrogez pas davantage... ne me forcez pas � parler... vous vous en repentiriez, il serait trop tard.... Confiez-vous � moi. --Me confier � vous... non, non, je sais ce dont vous �tes capable.... J'�tais certainement innocente de vos affreuses tentatives sur M. de Hansfeld... et les apparences me condamnaient. Pourtant je vous dis que je veux tout savoir. --�tes-vous d�cid�e � renoncer � M. de Morville? --Que vous importe?... --Il faut que je le sache... dans ce cas seulement je dois parler.... Il serait cruel de laisser p�rir pour rien... deux cr�atures de Dieu.... --La vie de deux personnes serait donc en danger?--s'�cria madame de Hansfeld. --Malheur sur moi! malheur sur vous!--dit Iris d�sol�e ou paraissant l'�tre de l'indiscr�tion qui lui �chappait.--Vous me faites dire ce que je ne voulais pas dire. Eh bien! oui, � cette heure, la vie de deux personnes est en danger.... --B�ni soit Dieu qui t'a fait parler; jamais je n'ach�terai le bonheur de ma vie enti�re � un tel prix.... Je renonce � M. de Morville, et que je sois maudite si jamais.... --Arr�tez... marraine. Je sais la puissance de vos scrupules... mais je sais aussi la puissance de votre amour.... Quoiqu'il s'agisse de la vie de deux personnes... vous pourriez �tre maudite.... --Malheureuse.... --Tenez, marraine, laissons les �v�nements suivre leur cours... ce qui sera... sera.... --Maintenant que tu m'as rempli l'�me de terreur, car je sais ce dont tu es capable, tu veux le taire.... Non, non, parle... je l'exige.... --Eh bien donc, puisque vous m'y forcez, apprenez tout.... Le prince aime Berthe et il en est aim�... Vous savez la jalousie f�roce de M. de Br�vannes.... Il hait d�j� le prince parce qu'il est votre mari.... Maintenant qu'il le sait aim� de sa femme, il le hait � la mort.... Supposez Berthe assez imprudente pour accorder un rendez-vous � M. de Hansfeld, rendez-vous innocent ou coupable, volontaire ou forc�, peu importe; M. de Br�vannes en est instruit, il les surprend tous deux par la ruse: les apparences sont contre eux.... Que fait-il? dites, que fait-il? --Mon Dieu!... mon Dieu!... --Que fait-il! Il se croit aim� de vous, il croit qu'en vous rendant libres, vous et lui, par le double meurtre qu'il peut commettre impun�ment, il obtiendra votre main.... --Mais c'est une machination infernale.... --Mais seriez-vous libre... ou non?... Et en quoi auriez-vous particip� � tout ceci?... Votre mari vous trompe... pour la femme d'un homme que vous ha�ssez.... Qu'y pouvez-vous?... Cet homme les tue tous les deux... �tes-vous sa complice? Qui vous emp�che ensuite d'�pouser M. de Morville?... En quoi lui-m�me peut-il jamais vous soup�onner d'avoir tremp� dans cette machination?... Bien plus, ainsi que je vous le disais, l'int�r�t, les sympathies du monde ne seront-ils pas pour vous?... --Vous �tes folle.... A peine M. de Br�vannes se porterait-il � une si terrible extr�mit� s'il se croyait aim� de moi, et encore il n'oserait pas m'offrir une main... teinte du sang de mon mari.... --Cet homme est d'une jalousie d'orgueil si sauvage, que dans aucune circonstance il n'aurait h�sit� � tuer sa femme et son s�ducteur; mais comme il vous aime avec d'autant plus d'ardeur qu'il se croit follement aim� de vous, il ne doute pas que vous ne braviez les convenances jusqu'� lui donner votre main, et il se h�te � cette heure de tendre le pi�ge o� sa femme et votre mari doivent infailliblement p�rir. --Mais vous perdez la raison. Cet homme, si vaniteux qu'il soit, ne se croira jamais aim� de moi. A peine lui ai-je dit quelques paroles bienveillantes pour conjurer le mal qu'il pouvait me faire. --Mais... j'ai parl� pour vous... moi! --Vous avez parl� pour moi? Et Iris raconta � madame de Hansfeld l'histoire du _livre noir_. Paula resta muette, an�antie, � cette r�v�lation. Elle ne pouvait croire � tant d'audace, � une combinaison si diabolique. --Mais c'est �pouvantable!--s'�cria-t-elle. Iris regarda sa ma�tresse en souriant d'un air �trange, et lui dit: --Vous m'aviez jusqu'ici reproch� d'agir sans votre consentement... j'ai eu tort.... Je voulais vous cacher le fil des �v�nements qui se pr�paraient, vous m'avez forc�e de vous le d�couvrir.... Vous devez vous en repentir, maintenant que vous savez tout.... Ignorante de cette trame, son succ�s �tait pour vous un coup du hasard, vous en profitiez sans remords; maintenant vous en �tes instruite... si vous ne la d�voilez pas, vous en �tes complice. --Et pourquoi m'avez vous ob�i?--s'�cria machinalement madame de Hansfeld.--Pourquoi m'avez-vous appris ces horreurs? Ce mot �tait odieux, il r�v�lait la secr�te et homicide pens�e de Paula. --Je vous ai ob�i--reprit am�rement Iris--parce que j'attendais cet ordre avec impatience, et que si vous ne me l'aviez pas donn� je vous aurais de moi-m�me instruite de tout ceci.... --Que dit-elle? --Je ne m'abuse pas; en travaillant � votre bonheur, c'est � ma perte que je cours: lorsque vous aurez �pous� M. de Morville, je ne serai plus pour vous qu'un objet de m�pris et d'horreur.... Certes, j'aurais pu agir en silence, sans vous pr�venir, et vous laisser recueillir innocemment le fruit de cette sanglante combinaison. Mais je l'avoue... je n'ai pas eu ce courage; je veux bien mourir pour vous, mais � condition que vous me disiez au moins:--Meurs pour moi! --�trange et abominable cr�ature! --Votre bonheur causera ma perte, je le sais; mais au moins, au sein de votre heureux amour, peut-�tre aurez-vous un souvenir pour moi.... --Si vous vous sacrifiiez ainsi dans mon int�r�t, vous eussiez attendu que ce que vous appelez mon bonheur f�t assur� pour me faire cette nouvelle r�v�lation.... --Non, marraine; il se peut que vous ayez plus de vertu que d'amour, et alors votre bonheur e�t �t� � tout jamais empoisonn�. A cette heure, au contraire, en apprenant � quel prix vous auriez �pous� M. de Morville, vous pouvez choisir, vous avez entre vos mains l'avenir de votre amour pour M. de Morville, le sort de Berthe de Br�vannes et de votre mari.... Un mot de vous � M. de Br�vannes au sujet du _livre noir_... et il sait que vous ne l'aimez pas, qu'il est dupe d'une fourberie dont je suis l'auteur, et qu'au lieu de conduire sa femme � l'h�tel Lambert pour la faire plus s�rement tomber dans le pi�ge qu'il lui tend ainsi qu'� M. de Hansfeld, il doit arracher Berthe � cet amour innocent encore... puisque la mort de sa femme et du prince lui est inutile; tel est votre devoir, marraine, faites-le. Sans doute, M. de Br�vannes, furieux, r�pandra contre vous les plus atroces calomnies.... Que vous importe?... ce sont des calomnies.... Sans doute, M. de Morville pourra s'en affliger, y croire, et sourire am�rement en songeant � l'amour id�al et romanesque qu'il avait pour vous; cela est triste; que vous importe?... pendant la longue vie qu'il vous reste � passer aupr�s du prince que vous n'aimez pas, et qui ne vous aime plus... vous pourrez vous r�p�ter glorieusement chaque jour: J'ai fait mon devoir. --Oh! maudite sois-tu, d�mon vomi par l'enfer!... s'�cria madame de Hansfeld avec �garement;--laisse-moi... laisse-moi.... Pourquoi viens-tu m'enfermer dans un cercle affreux dont je ne puis sortir sans causer la mort de deux infortun�s, ou sans me jeter dans l'ab�me d'un d�sespoir sans fin? --Vous assombrissez bien les couleurs du tableau, marraine; vous pouvez sortir du cercle affreux dont vous parlez... mais pour aller le front haut et fier � l'autel avec M. de Morville, pour passer aupr�s de lui la vie la plus belle et la plus honor�e. --Oh! tais-toi... tais-toi! --Et cela sans lui faire parjurer ses serments, et cela sans le rendre coupable envers sa m�re, car elle b�nirait ce mariage, que vous pouvez contracter avec joie... sans honte, sans crime, en restant paisible � attendre les �v�nements... ne provoquant rien, ne faisant rien, ne sachant rien.... --Tais-toi! oh! tais-toi! --N'encourageant pas m�me par un mot hypocrite la vengeance f�roce et int�ress�e de M. de Br�vannes, en �tant toujours avec lui froidement polie.... Tout est pr�vu.... Le livre noir parlera pour vous: le livre noir dira que, pour rendre plus tard votre mariage possible, il ne faut pas qu'on soup�onne M. de Br�vannes de vous aimer et d'avoir calcul� la vengeance qu'il aura tir�e du prince et de Berthe.... Cela vous �pargne encore une assiduit� qui, remarqu�e dans le monde, aurait pu �veiller la jalousie de M. de Morville.... Je vous dis que tout �tait pr�vu... soigneusement pr�vu, marraine. --Mon Dieu!... mon Dieu, d�livrez-moi de l'obsession de cette cr�ature! --De sorte qu'apr�s le tragique �v�nement--reprit imperturbablement Iris--M. de Br�vannes n'a aucun reproche � vous faire, et vous lui fermez votre porte sans un mot d'explication. Br�vannes �clatera... que pourra t-il faire ou dire? Le livre noir est entre mes mains, il n'a pas une lettre de vous; d'ailleurs, pour se plaindre, il lui faudrait avouer l'inf�me calcul qui lui a presque fait provoquer son d�shonneur pour avoir le droit de tuer sa femme et votre mari.... Mais il n'oserait, car il inspirerait autant de m�pris que d'horreur, qu'en dites-vous, marraine? --Laisse-moi... te dis-je... va-t'en... va-t'en... tu m'�pouvantes! --Mon Dieu! que fais-je autre chose que de vous exposer le bien et le mal?... Maintenant vous �tes libre... choisissez! --Monstre!... tu sais bien la port�e de les paroles... et des criminelles esp�rances que tu �voques � ma pens�e. --Suis-je un monstre... pour vous dire de choisir entre le bien et le mal? La vertu est donc une terrible chose � pratiquer, qu'elle co�te autant de larmes que le crime?... --Seigneur, ayez piti� de moi! --Un dernier mot, marraine. J'ai pu mettre en jeu certaines passions, pr�parer certains �v�nements... mais il ne d�pend plus de moi de mod�rer leur marche; car... ils semblent se pr�cipiter... demain, peut-�tre, il serait trop tard.... Si vous �tes d�cid�e au _bien_... c'est-�-dire � pr�venir votre mari du danger qu'il va courir, et M. de Br�vannes de la mystification dont il est dupe... agissez sans d�lai, aujourd'hui m�me, � l'instant.... Une heure de retard peut tout perdre... c'est-� dire tout gagner dans l'int�r�t de votre amour.... A ce moment, un valet de chambre entra, apr�s avoir frapp�, chez Paula. --Qu'est-ce?--dit-elle � cet homme. --Ne sachant pas si madame la princesse recevait, j'ai pri� M. et madame de Br�vannes d'attendre. --Ils sont l�?--s'�cria madame de Hansfeld en tressaillant. --Oui, princesse. --Madame a oubli� qu'elle avait donn� rendez-vous � M. et madame de Br�vannes ce matin...--dit Iris. --En effet--reprit Paula d'une voix �mue--je... oui... sans doute. --La princesse re�oit--se h�ta de dire Iris.--Priez seulement M. et madame de Br�vannes d'attendre... un moment. Le valet de chambre sortit. * * * * * CHAPITRE XIX. D�CISION. --Jamais... jamais... je n'aurai le courage de recevoir monsieur et madame de Br�vannes--s'�cria la princesse avec d�sespoir--car.... La voix du prince interrompit Paula. Le salon o� elle se trouvait �tait s�par� des autres appartements par une longue galerie semblable � celle que M. de Hansfeld occupait � l'�tage sup�rieur. Des porti�res de velours rempla�aient les portes; Paula entendit son mari demander au valet de chambre, qui se tenait � l'extr�mit� de cette galerie, si la princesse �tait chez elle. --C'est le prince!--s'�cria Iris. --Il va se rencontrer avec cette jeune femme...--dit Paula.--Tous deux ignorent que M. de Br�vannes est instruit de leur amour, et que par un affreux calcul il doit feindre d'ignorer cet amour.... Oh! c'est horrible... les laisser dans cette funeste confiance.... Iris se h�ta de lui dire: --Vous voulez �pargner ces malheureux et renoncer � M. de Morville? Soit; tout � l'heure, au moment o� M. de Br�vannes sortira de l'h�tel, je trouverai moyen de lui parler, et en deux mots je lui apprends la fourberie du livre noir. Paula fit un mouvement. --N'est-ce pas l� votre volont�, marraine? --Oui, oui. --Pourtant, si par hasard cette volont� changeait, si vous vouliez profiter des �v�nements que cette rencontre du prince et de Berthe chez vous va pr�cipiter encore... � moins que vous ne vous y opposiez lorsque vous me verrez me lever pour aller attendre M. de Br�vannes, donnez-moi cette �pingle en me disant de la serrer... cela voudra dire que M. de Br�vannes doit rester dans son erreur.... --Mais.... --Voici le prince.... Tout � l'heure donnez-moi cette �pingle... et dans huit jours vous �tes libre, sinon... renoncez � jamais � M. de Morville. M. de Hansfeld entra chez sa femme. Iris avait l'habitude de rester aupr�s de sa ma�tresse, lors m�me que celle-ci recevait des visites. Sa pr�sence � la sc�ne suivante parut donc au prince fort naturelle. * * * * * CHAPITRE XX. LA CHASSE AU MARAIS. M. de Hansfeld �tait � la fois surpris, �mu, troubl�. Il venait de voir Berthe descendre de voiture avec M. de Br�vannes, Berthe � qui il avait cru dire � tout jamais adieu lors de sa derni�re entrevue avec elle chez Pierre Raimond. Ayant toujours ignor� que Paula connaissait M. de Br�vannes, Arnold ne pouvait concevoir pourquoi celui-ci conduisait sa femme � l'h�tel Lambert, et comment madame de Hansfeld s'�tait li�e avec Berthe, dont elle le savait �pris. Paula, pour �chapper au voyage d'Allemagne dont son mari la mena�ait, ne l'avait-elle pas menac� � son tour de r�v�ler les entrevues qu'il avait avec Berthe chez le graveur, de les r�v�ler, disons-nous, � M. de Br�vannes? Quel �tait donc le but de Paula en recevant Berthe � l'h�tel Lambert? �tait-ce affectation, indiff�rence? Arnold se perdait en conjectures; en songeant qu'il allait revoir Berthe, l'�tonnement, le bonheur, la crainte l'agitaient malgr� lui. Il dit � Paula, d'une voix l�g�rement �mue: --Il me semble que je viens de voir entrer une visite pour vous? --Oui...--r�pondit madame de Hansfeld avec embarras.--Une femme de mes amies m'a pr�sent� dans le monde madame de Br�vannes, que l'on dit charmante et que vous trouvez telle...--ajouta-t-elle en riant d'un air forc�.--Madame de Br�vannes m'a demand� quand je restais chez moi, je lui ai dit aujourd'hui et je l'avais oubli�... On l'a fait un moment attendre avec son mari.... Ne vous ayant pas vu, il m'a �t� impossible de vous pr�venir de cette visite... qui, je le crois, ne pouvait d'ailleurs vous �tre d�sagr�able. --Ma marraine me permettra-t-elle de lui faire observer que voil� d�j� bien longtemps que les personnes attendent?--dit Iris avec une sorte de familiarit� respectueuse � laquelle on �tait habitu�. --Elle a raison--dit M. de Hansfeld, imprudemment entra�n� par le d�sir de revoir Berthe; il sonna. Un laquais parut. --Faites entrer--dit le prince. Le laquais sortit. Iris et Paula �chang�rent un regard. Pour l'intelligence de la sc�ne suivante, nous dirons que quelques lignes du livre noir, toujours �crites au nom de Paula et communiqu�es le matin m�me par Iris � M. de Br�vannes, apprenaient � celui-ci que l'objet de l'amour de Berthe �tait le prince de Hansfeld, et que tr�s souvent elle avait eu des entrevues avec lui, sous un nom suppos�, chez Pierre Raimond. Quelques mots expressifs indiquaient le parti terrible que M. de Br�vannes pouvait tirer de cet amour, dont la punition, s'il devenait coupable et flagrant, pouvait assurer la libert� de M. de Br�vannes et de Paula. Apr�s cette d�couverte, M. de Br�vannes redoubla d'hypocrisie afin d'augmenter encore la s�curit� de sa femme, qu'il se promit n�anmoins d'observer attentivement, quoiqu'il ne dout�t pas qu'elle aim�t le prince. Le premier refus de Berthe de se rendre � l'h�tel Lambert, son �motion croissante en approchant des lieux o� elle allait revoir Arnold, �taient des preuves convaincantes de cet amour. M. de Br�vannes s'�tant d'ailleurs inform� aupr�s du portier de Pierre Raimond des visites que recevait le graveur, M. de Hansfeld lui avait �t� si exactement d�peint qu'il n'attendait que l'occasion de voir le prince pour s'assurer de son identit� avec le visiteur assidu de Pierre Raimond. Paula, assise aupr�s de la chemin�e, avait � c�t� d'elle une petite table sur laquelle �tait plac�e la fatale �pingle qui, remise � Iris, devait l'emp�cher de d�voiler � M. de Br�vannes la fourberie dont il �tait dupe, et le laisser dans la cr�ance qu'en se d�barrassant de sa femme et du prince il pourrait �pouser Paula. La boh�mienne, occup�e d'un travail de tapisserie, �tait demi-cach�e par les rideaux de la fen�tre aupr�s de laquelle elle se tenait; mais elle pouvait n�anmoins ne pas quitter sa ma�tresse du regard. Et il faut le dire, ce regard semblait quelquefois exercer sur Paula une sorte de fascination. Enfin M. de Hansfeld, debout devant la chemin�e, dissimulait � peine son �motion. La porte s'ouvre, un valet de chambre annonce: --M. et madame de Br�vannes. Peut-�tre trouvera-t-on un contraste assez dramatique entre la conversation futile, oiseuse, d�sint�ress�e des quatre acteurs de cette sc�ne, et les anxi�t�s, les passions diverses et profondes qui les agitaient. Madame de Hansfeld se leva, fit quelques pas au-devant de Berthe, et lui dit avec gr�ce: --Vous �tes, madame, mille fois aimable d'avoir bien voulu vous rappeler que je restais chez moi aujourd'hui. --Madame... vous... �tes bien bonne--balbutia Berthe, en baissant les yeux de peur de rencontrer ceux d'Arnold. La malheureuse femme se sentait d�faillir. La princesse ajouta: --Voulez-vous me permettre, madame, de vous pr�senter monsieur de Hansfeld, qui n'a pas eu, jusqu'� pr�sent, l'honneur de vous rencontrer? Arnold s'avan�a, salua profond�ment et dit � Berthe: --Je regrette toujours de ne pas accompagner madame de Hansfeld dans le monde aussi souvent que je le d�sirerais; mais apr�s la bonne fortune qu'elle vous a due, madame, je le regrette doublement; pourtant je me console, puisque je suis assez heureux pour pouvoir vous pr�senter mes... hommages. Voulant venir au secours de Berthe, qui de plus en plus troubl�e ne trouvait pas un mot � r�pondre � Arnold, madame de Hansfeld dit � celui-ci en lui pr�sentant M. de Br�vannes d'un geste: --Monsieur de Br�vannes.... Ce dernier salua. Le prince lui rendit ce salut et lui dit avec affabilit�: --Je serai toujours enchant�, monsieur, de vous rencontrer chez madame de Hansfeld, et j'esp�re que j'aurai le plaisir de vous y voir souvent. --Aussi souvent, monsieur, qu'il me sera possible de profiter d'une offre si aimable sans en abuser.... Apr�s ces pr�liminaires indispensables, les quatre personnages s'assirent. Paula � sa place, � droite de la chemin�e, Berthe � gauche, M. de Br�vannes � c�t� de madame de Hansfeld, et Arnold aupr�s de la fille du graveur. Le prince, sentant la n�cessit� de vaincre son �motion, faisait les honneurs de chez lui avec la plus parfaite dignit�. Berthe, de son c�t�, se rassurait peu � peu; Paula t�chait de ne pas c�der aux terribles pr�occupations que devait lui causer son dernier entretien avec Iris. M. de Br�vannes, qui avait toujours entendu parler du prince de Hansfeld comme d'une sorte d'original, farouche, bizarre, � demi-insens�, et qui s'�tait demand� comment sa femme avait pu s'�prendre d'un tel homme, M. de Br�vannes resta stup�fait de la distinction et de la gracieuse urbanit� du prince, dont la figure juv�nile et douce �tait des plus charmantes. Alors il comprit parfaitement l'amour de Berthe, et sa rage s'en augmenta contre elle et contre M. de Hansfeld. Aussi, jetait-il quelquefois sur celui-ci � la d�rob�e des regards de tigre; puis il cherchait les yeux de Paula avec un air d'intelligence tour � tour sombre et passionn� qui prouva � madame de Hansfeld qu'Iris ne l'avait pas tromp�e au sujet du livre noir. Un silence assez embarrassant avait succ�d� aux premi�res banalit�s de la conversation. Le prince le rompit en disant � Berthe: --Vous avez d�, madame, avoir bien de la peine � trouver cette demeure isol�e au milieu de ce quartier d�sert? --Non, monsieur,--r�pondit Berthe en rougissant jusqu'aux yeux;--mon p�re... habite tr�s pr�s d'ici. Cette r�ponse, que la jeune femme avait, pour ainsi dire, faite involontairement, redoubla sa confusion en lui rappelant les premiers temps de son amour pour Arnold. Celui-ci se h�ta d'ajouter: --C'est diff�rent, madame; mais venir � l'�le Saint-Louis, c'est toujours une esp�ce de voyage pour les v�ritables Parisiens. --Du moins--dit M. de Br�vannes--on est bien d�dommag� de ce voyage... comme vous dites, monsieur, en pouvant admirer cet h�tel... un v�ritable palais!... --En effet--dit Paula pour prendre part � la conversation--dans le faubourg Saint-Germain, ce quartier des beaux h�tels que nous avons habit� pendant quelque temps, on ne trouve rien de comparable � cette demeure v�ritablement grandiose. --On ne peut plus b�tir des palais maintenant--dit M. de Br�vannes--les fortunes sont beaucoup trop divis�es.... Vous avez beaucoup plus de bon sens que nous, messieurs les �trangers; en Angleterre, en Russie, en Allemagne aussi, je le suppose, le droit d'a�nesse a sagement maintenu le principe de la grande propri�t�. --Je suis s�r, monsieur--dit en souriant M. de Hansfeld--que vous n'avez jamais eu de fr�re ou de soeur? --C'est vrai, monsieur; mais qui vous donne cette certitude? --Votre admiration pour l'excellence du droit d'a�nesse. M. de Br�vannes ne comprit pas ce qu'il y avait d'aimable dans les paroles du prince, et il r�pondit: --Vous croyez, monsieur, que si je n'�tais pas fils unique j'aurais eu d'autres mani�res de voir � ce sujet? --Je crois, monsieur, que votre mani�re d'aimer vos fr�res et vos soeurs aurait compl�tement chang� votre mani�re de voir � ce sujet. Mais, pardonnez-nous, madame--dit le prince en s'adressant � Berthe--de parler pour ainsi dire politique; ainsi, sans transition aucune, je vous demanderai ce que vous pensez de la nouvelle com�die... donn�e au Th��tre-Fran�ais. Madame de Hansfeld et moi, nous avons eu le plaisir de vous y voir, je n'ose dire de vous y remarquer. --Cela ne pouvait gu�re �tre autrement--dit Berthe en reprenant un peu d'assurance--j'�tais � c�t� de madame Girard, qui avait une coiffure si singuli�re qu'elle attirait tous les regards. --Je vous assure, madame--reprit Paula--qu'en jetant les yeux dans votre loge nous n'avons vu le singulier bonnet... le sobieska de madame Girard, que par hasard. --Cette com�die m'a paru charmante et remplie d'int�r�t--dit Berthe--et, sans conna�tre l'auteur, M. de Gercourt, j'ai �t� enchant�e de son succ�s... il avait tant d'envieux! --L'auteur, M. de Gercourt, est tout � fait un homme du monde?...--demanda madame de Hansfeld. --Oui, madame--reprit M. de Br�vannes--il a �t� l'un des cinq ou six hommes des plus � la mode de Paris; on le classait m�me imm�diatement apr�s le _beau_ Morville, cet astre qui a longtemps brill� d'un �clat sans �gal; entre nous, je ne sais pas trop pourquoi; c'�tait un engouement ridicule, rien de plus, car Gercourt et beaucoup d'autres ont mille fois plus d'agr�ments que ce pr�tentieux M. de Morville. Paula tressaillit en entendant prononcer un nom si cher � son coeur. Le regard de la princesse rencontra le regard d'Iris... ce regard lui pesa sur le coeur comme du plomb. Ignorant compl�tement l'amour de Paula pour M. de Morville, et croyant d'un bon effet aux yeux de madame de Hansfeld, de faire montre de d�dain � l'endroit d'un des hommes les plus recherch�s de Paris; c�dant d'ailleurs � un sentiment d'envie et � une habitude de d�nigrement qu'il avait depuis longtemps prise � l'�gard de M. de Morville, qu'il d�testait, sans autre motif qu'une basse jalousie, M. de Br�vannes, continua: --Ce M. de Morville a une jolie figure, si l'on veut; mais il a l'air si stupidement satisfait de lui-m�me, qu'il en fait mal au coeur. On parle de ses succ�s; apr�s tout, il n'a jamais r�ussi qu'aupr�s de ces femmes faciles auxquelles on peut pr�tendre, pourvu qu'on soit du monde dont elles sont.... On a fait beaucoup de bruit de sa liaison avec cette Anglaise: il en �tait fort �pris, soit; mais elle se moquait de lui, comme fera toute femme de bon go�t; car ne trouvez-vous pas, madame, qu'on peut toujours � peu pr�s juger de la valeur d'une femme par la valeur de l'homme qu'elle distingue? --C'est g�n�ralement vrai, monsieur--dit Paula en se contenant. --Eh bien! madame, vous venez d'appr�cier les sots et ridicules enthousiastes de ce sot et ridicule Morville. Rien de plus vulgaire que ce dicton: Les petites causes produisent souvent de grands effets. Mais aussi rien de plus vrai que cette vulgarit�. En voici une nouvelle preuve: M. de Hansfeld ne connaissait pas M. de Morville, il lui �tait donc indiff�rent d'en entendre parler en mal ou en bien; mais c�dant, malgr� lui sans doute, � un vague d�sir de se mettre bien avec M. de Br�vannes, il crut lui �tre agr�able en partageant son avis au sujet de M. de Morville. Enfin, la pauvre Berthe elle-m�me, autant par envie de complaire � son mari que par suite de cette d�f�rence, de cet acquiescement involontaire qu'une femme accorde toujours au jugement de celui qu'elle aime, la pauvre Berthe, disons-nous, fut, pour ainsi dire, le na�f et timide �cho du prince dans la conversation suivante. Cette conversation fut la _cause_; nous dirons tout � l'heure l'_effet_. M. de Hansfeld reprit donc: --Je ne connais pas M. de Morville, je l'ai aper�u deux ou trois fois; il m'a paru beau, mais d'une affectation presque ridicule, et j'ai entendu dire que l'on exag�rait beaucoup son m�rite.... --C'est aussi ce que j'ai entendu dire...--ajouta la malheureuse Berthe;--il a, ce me semble, une figure tr�s r�guli�re... mais peut-�tre un peu insignifiante. Paula ne dit pas un mot; elle prit sur la petite table l'�pingle fatale et se mit � jouer avec ce bijou. Iris ne quittait pas sa ma�tresse du regard. Elle tressaillit d'une sombre joie au mouvement de sa ma�tresse. On le voit, la petite _cause_ commen�ait � produire son _effet_. --Je suis enchant� de voir une personne de go�t comme vous, monsieur--dit M. de Br�vannes au prince--rendre mon jugement d�cisif en l'approuvant. Arnold, pour achever de se mettre tout � fait dans les bonnes gr�ces du mari de Berthe, hasarda un l�ger mensonge et reprit: --Je me souviens m�me d'avoir un jour �cout� sa conversation, et je l'ai trouv�e au-dessous du m�diocre.... --Il est vrai que M. de Morville ne passe pas, dit-on, pour avoir infiniment d'esprit...--ajouta le doux et tendre �cho en baissant ses grands yeux bleus, et en rougissant � la fois et de mentir et de faire une sorte de _bassesse_ pour �tre agr�able � M. de Br�vannes. La petite cause continuait de produire son effet. Tenant dans sa main droite l'�pingle constell�e madame de Hansfeld battait pour ainsi dire sur sa main gauche la mesure du crescendo de col�re qui l'agitait, et qui enveloppait Berthe, M. de Br�vannes et le prince. Dans ce moment elle rencontra les yeux d'Iris, et, au lieu de d�tourner son regard de celui de la boh�mienne, elle la regarda un moment d'un air tellement significatif, qu'Iris crut qu'elle allait lui donner l'�pingle. M. de Br�vannes reprit, en s'adressant � madame de Hansfeld: --Mais vous-m�me, madame, que pensez-vous de M. de Morville? N'avons-nous pas raison de nous r�volter un peu contre l'admiration moutonni�re qui fait une idole d'un homme nul? --Certainement, monsieur--dit Paula--il est tr�s bien de ne pas accepter des renomm�es par cela seulement qu'elles sont des renomm�es.... --C'est qu'aussi jamais renomm�e ne fut moins m�rit�e; et je ne suis pas le seul, je vous le jure, qui proteste contre elle.... Beaucoup de personnes pensent comme moi; et ce qui indispose contre ce M. de Morville, c'est qu'il pr�tend � tous les succ�s. A l'entendre, il monte � cheval mieux que personne, il fait des armes mieux que personne, il lire � la chasse mieux que personne.... --Est-ce que M. de Morville est grand chasseur?--dit Arnold. --Il en a du moins la pr�tention, car il les a toutes; mais je suis s�r qu'il justifie aussi peu celle-l� que les autres, et qu'il chasse par ton et non par plaisir. --Il a tort--dit Arnold--car c'est un des plus vifs plaisirs que je connaisse.... --Vous �tes chasseur, monsieur?--dit M. de Br�vannes. --Nous avons de si belles chasses en Allemagne, qu'il est impossible de ne pas avoir ce go�t. Il est surtout une chasse que j'aimais beaucoup, et qui n'est peut-�tre pas tr�s connue en France.... --Quelle chasse, monsieur?... Je puis vous renseigner, car j'ai aim�, j'aime encore passionn�ment la chasse.... --La chasse au marais. Nous avons en Allemagne d'admirables passages d'oiseaux aquatiques. --Vous aimez la chasse au marais!...--s'�cria M. de Br�vannes apr�s un moment de r�flexion, et comme �clair� par une id�e subite. --A la folie... monsieur.... Mais avez-vous en France beaucoup de ces chasses? --Nous en avons, et je puis m�me dire que j'en ai une chez moi, en Lorraine, des plus belles de la province.... --Certainement--dit na�vement Berthe--ce matin m�me encore le r�gisseur de M. de Br�vannes lui a annonc� qu'il y avait en ce moment un passage extraordinaire de...--je ne me rappelle pas le nom de ces oiseaux--dit Berthe en souriant. --Un passage de halbrans; ils sont venus s'abattre sur nos �tangs par nu�es... et, tenez, monsieur--dit M. de Br�vannes avec une expression de franche cordialit�--si je ne craignais pas de passer pour un vrai paysan du Danube... pour un homme par trop sans fa�on.... Le prince regardait M. de Br�vannes avec surprise. --En v�rit�, monsieur--lui dit-il--je ne comprends pas.... --Eh bien, ma foi, arri�re la honte, entre chasseurs la franchise avant tout. Le passage des halbrans est magnifique cette ann�e, il dure toujours au moins une huitaine. J'ai quatre cents arpents d'�tangs; ma maison est confortablement arrang�e pour l'hiver.... Permettez-moi de vous offrir d'y venir tirer quelques coups de fusil; en trente-six heures nous serons chez moi.... Et, si par un hasard inesp�r�, madame de Hansfeld n'avait pas trop d'aversion pour la campagne pendant quelques jours d'hiver, madame de Br�vannes t�cherait de lui en rendre le s�jour le moins d�sagr�able possible. Vous le voyez, monsieur, lorsque je me mets � �tre indiscret, je ne le suis pas � demi.... A cette proposition si brusque, si inattendue, si en dehors des habitudes et des usages re�us, et qui, accept�e par M. de Hansfeld pouvait avoir de si terribles r�sultats, la princesse tressaillit. Berthe rougit et frissonna. Iris bondit sur sa chaise. M. de Hansfeld put � peine dissimuler sa joie; pourtant, avant d'accepter, il t�cha, mais en vain, de rencontrer le regard de Berthe. La jeune femme n'osait lever les yeux. Arnold interpr�ta cette expression n�gative en sa faveur, et r�pondit: --En v�rit�, monsieur, cette offre est si aimable et faite avec tant de bonne gr�ce... que je craindrais de vous laisser voir tout le plaisir qu'elle me fait, si, comme vous le dites, entre chasseurs on ne devait pas avant tout accepter franchement ce qu'on vous offre franchement. --Vous acceptez donc, monsieur?--s'�cria M. de Br�vannes.--Puis, s'adressant � Paula:--Puis-je esp�rer, madame, que l'exemple de M. de Hansfeld vous encouragera, si sauvage que soit mon invitation, si insolite que soit en plein hiver, je n'ose dire... une telle partie de plaisir. Je suis s�r que madame de Br�vannes ferait de son mieux pour vous faire trouver moins longs ces quelques jours de solitude au milieu de nos bois. --Croyez, madame--dit Berthe d'une voix alt�r�e--que je serais bien heureuse si vous daigniez nous accorder cette faveur. --Vous �tes mille fois aimable, madame; mais je crains de vous causer un tel d�rangement...--dit Paula dans une inexprimable angoisse. Elle sentait que de son consentement allait d�pendre son avenir, celui de M. de Morville, celui de Berthe et d'Arnold; car, ainsi que l'avait pr�vu Iris, sans s'attendre pourtant � cet incident si peu pr�vu, elle sentait que les �v�nements allaient se pr�cipiter d'une mani�re effrayante. --Soyez g�n�reuse, madame--dit M. de Br�vannes;--nous t�cherons de vous distraire... nous organiserons pour vous de v�ritables chasses de demoiselles; j'ai des furets excellents.... Si vous ne connaissez pas le divertissement du furetage, cela vous amusera, je le crois.... Le temps est assez doux cet hiver... je puis vous promettre une p�che aux flambeaux.... Enfin, j'ai une r�serve bien peupl�e de daims et de chevreuils; vous en verrez prendre quelques-uns dans les toiles. Je me h�te de vous dire que cette chasse n'a rien de barbare, car les victimes restent vivantes. Je sais, madame, que ce sont l� de rustiques et simples amusements; mais le contraste m�me qu'ils offrent avec la ville de Paris pendant l'hiver peut leur donner quelque piquant... de m�me qu'apr�s les avoir go�t�s vous trouverez peut-�tre plus de saveur aux brillants plaisirs du monde. --Croyez, monsieur--r�pondit Paula, dans une anxi�t� de plus en plus profonde--que cette partie de plaisir improvis�e me serait extr�mement agr�able par la seule pr�sence de madame de Br�vannes; mais je crains vraiment qu'elle ne consente � ce voyage impromptu que par consid�ration pour moi. --Oh! non, madame, j'y trouverai, je vous assure, le plus grand charme... le plus grand plaisir.... Encore un effet important caus� par une petite cause. Ces paroles furent prononc�es par Berthe avec une si na�ve expression de bonheur et de joie... le regard qu'elle �changea en ce moment avec Arnold (regard rapidement intercept� par Paula) trahissait une passion si profonde, si ineffable, si radieuse, que tous les serpents de l'envie et de la rage mordirent madame de Hansfeld au coeur. Paula aussi aimait avec passion, avec enivrement... et cet amour ne devait jamais �tre heureux. La vue d'un bonheur qui lui �tait interdit redoubla sa col�re; elle se souvint de la malveillance presque m�prisante avec laquelle M. de Br�vannes, M. de Hansfeld et Berthe avaient parl� de M. de Morville; elle les enveloppa tous trois dans le m�me sentiment de haine; dans ce moment d'exasp�ration, d'autant plus violente qu'elle �tait plus contrainte, elle accepta l'offre de M. de Br�vannes, et dit � Berthe d'une voix dont elle sut parfaitement dissimuler l'�motion: --Eh bien, madame, au risque d'�tre v�ritablement f�cheuse en me rendant � votre aimable insistance... j'accepte. --Oh! que vous �tes bonne, madame!--s'�cria Berthe. --Et quand partons-nous, monsieur de Br�vannes?--dit le prince sans pouvoir dissimuler sa joie;--je me fais une f�te de cette chasse. --Je serai aux ordres de madame de Hansfeld--dit M. de Br�vannes;--seulement je lui ferai observer que le s�jour des oiseaux de passage est ordinairement assez court, et que nous devrions nous rendre chez moi le plus t�t possible. --Qu'en pensez-vous, madame?--dit M. de Hansfeld � sa femme. --Mais si demain... convient � madame de Br�vannes.... --A merveille--dit M. de Br�vannes.--Moi et ma femme, nous partirons ce soir pour vous pr�c�der de quelques heures, et avoir au moins le plaisir de vous attendre. A ce moment, Iris se leva. Ce mouvement rappela � madame de Hansfeld toute la terrible r�alit� de sa position. Un nuage lui passa devant les yeux, sa respiration se suspendit un moment sous la violence des battements de son coeur; elle frissonna comme si une main de glace e�t pass� dans ses cheveux. Le moment fatal �tait arriv�. Il s'agissait pour elle de faire le premier pas dans la voie du crime. Si elle laissait sortir Iris sans lui donner l'�pingle, Iris allait tout r�v�ler � M. de Br�vannes, et Paula renon�ait � l'espoir alors si prochain, si probable, d'�pouser M. de Morville, en profitant d'un double meurtre dont elle serait toujours compl�tement innocente aux yeux du monde. Iris rangea assez bruyamment quelques objets sur sa table, pour donner un avertissement � sa ma�tresse. Paula h�sitait encore.... Iris fit un pas vers la porte.... Une lutte terrible s'engagea dans l'�me de madame de Hansfeld entre son bon et son mauvais ange. Iris fit encore un pas, atteignit la porte, leva lentement la main pour la poser sur le bouton de la serrure. Le p�ne cria.... Le mauvais ange de Paula eut le dessus dans la lutte; madame de Hansfeld dit d'une voix si basse, si basse:--Iris!... qu'il fallut toute l'attention que pr�tait la boh�mienne � cette sc�ne pour que ce mot parv�nt jusqu'� elle. Iris fut en deux pas aupr�s de sa ma�tresse. --Tenez... allez, je vous en prie, serrer cette �pingle...--dit Paula d'une voix d�faillante.... Et elle remit l'�pingle � la boh�mienne. Iris, en touchant la main de sa ma�tresse pour prendre ce bijou, la sentit humide et glac�e. * * * * * CHAPITRE XXI. LE CH�TEAU DE BR�VANNES. La terre de M. de Br�vannes, situ�e en Lorraine pr�s de Longueville, � quelques lieues de Bar-le-Duc, �tait une confortable r�sidence. Beau parc, belles r�serves de bois, magnifiques �tangs aliment�s par quelques effluvions de l'Ornain, maison d'habitation vaste et commode, tout, dans cette propri�t�, r�pondait au tableau que M. de Br�vannes en avait trac� � M. de Hansfeld. Depuis trois jours Berthe, son mari, le prince et Paula sont arriv�s au ch�teau; Iris a �t� n�cessairement comprise dans l'invitation de M. de Br�vannes, invitation que chacun de nos personnages avait de trop puissantes raisons d'accepter pour s'arr�ter � la singularit� d'un tel voyage dans cette saison. Paula avait continuellement �vit� toute occasion de se rencontrer seule avec M. de Br�vannes. Ce dernier, selon les pr�visions d'Iris, avait imit� madame de Hansfeld, afin de ne pas donner une apparence de pr�m�ditation � la vengeance qu'il calculait avec un atroce sang-froid. Berthe �tait pourtant agit�e de sinistres pressentiments. Pendant toute la route de Paris � Br�vannes, son mari avait �t� tour � tour d'une gaiet� forc�e et d'une si obs�quieuse pr�venance, que la d�fiance de Berthe s'�tait vaguement �veill�e. Un moment elle avait song� � prier son mari de la laisser � Paris; mais apr�s l'engagement formel pris avec le prince et la princesse de Hansfeld, elle abandonna cette id�e. En arrivant � Br�vannes, elle s'occupa des soins de la r�ception de ses h�tes. Chose �trange! il ne lui vint pas un moment � la pens�e que son mari p�t �tre �pris de madame de Hansfeld; cette conviction l'e�t peut-�tre rassur�e. Quoique la mani�re dont cette partie de campagne s'�tait engag�e e�t �t� assez naturelle, un secret instinct disait � Berthe que ce voyage avait un autre but que la chasse au marais. La seule personne compl�tement heureuse, et heureuse sans crainte et sans arri�re-pens�e, �tait Arnold. Un hasard inattendu servait si bien son amour nagu�re inesp�r�, qu'il se laissait aller au bonheur de passer quelques jours avec Berthe dans une intimit� de chaque instant. Iris observait tout et �piait surtout les moindres d�marches d'Arnold et de madame de Br�vannes. Malheureusement pour la boh�mienne, ces derniers, malgr� les soins incessants que M. de Br�vannes avait mis � leur m�nager des occasions de t�te-�-t�te, les avaient constamment �vit�es. Il restait � Iris un dernier et immanquable moyen de forcer Berthe et M. de Hansfeld � une entrevue secr�te et d'une apparence compromettante: d�s que la nuit approcherait, elle irait dire � Berthe que son p�re, horriblement inquiet de son d�part pr�cipit�, s'�tait mis en route, et que, pour ne pas rencontrer M. de Br�vannes, il priait Berthe d'aller l'attendre dans le chalet o�, l'�t�, celle-ci passait ordinairement ses journ�es. Cette maisonnette, situ�e au milieu d'un massif de bois, �tait proche de la grille du parc; rien de plus vraisemblable que l'arriv�e de Pierre Raimond; Berthe irait l'attendre au pavillon: au lieu du vieux graveur, elle verrait arriver Arnold; puis... pr�venu par Iris, M. de Br�vannes surviendrait.... Le reste se devine. Le troisi�me jour de son arriv�e � Br�vannes, la boh�mienne, lass�e d'�pier en vain, cherchait Berthe pour la rendre victime de la machination qu'elle avait m�dit�e, lorsqu'elle aper�ut celle-ci venant du c�t� du pavillon dont il est question, et un peu plus loin, derri�re elle, M. de Hansfeld. Iris se glissa dans un fourr� de houx et de buis �normes qui ombrageaient le parc en cet endroit et formaient une all�e sinueuse qui, longeant les murs, allait de la grille au chalet. Il est bon de dire que cette fabrique, situ�e � l'angle des murs du parc, se composait de deux pi�ces de rez-de-chauss�e. Il �tait quatre heures environ, le jour tr�s bas, le ciel pluvieux et mena�ant. Au moment o� Iris se cacha dans les buis, Arnold rejoignait Berthe. Celle-ci tressaillit � la vue du prince et fit quelques pas pour retourner au ch�teau; mais Arnold, la prenant par la main d'un air suppliant, lui dit: --Enfin... je puis avoir un moment d'entretien avec vous... depuis deux jours! On dirait, en v�rit�, que vous me fuyez... moi, si heureux de ce voyage improvis�... Tenez, Berthe, j'ai peine � croire � mon bonheur.... --Je vous en supplie... laissez-moi.... Je vous �vite parce que j'ai peur.... --Peur... et de quoi, mon Dieu?... --Tenez, monsieur de Hansfeld... vous m'aimez, n'est-ce pas?--s'�cria tout � coup Berthe. --Si je vous aime!... --Eh bien!... ne me refusez pas la seule gr�ce que je vous aie demand�e.... --Que voulez-vous dire?... --Partez.... --Partir... � peine arriv�... lorsque.... --Je vous dis que si vous m'aimez vous prendrez, bon ou mauvais, le premier pr�texte venu... et vous quitterez cette maison. --Mais je ne vous comprends pas.... Pourquoi... lorsque votre mari?... --Ah! ici... ne prononcez pas son nom.... Rassurez-vous.... Je partage vos scrupules.... Je suis ici chez lui.... Je ne vous parlerai pas d'amour; je ne vous dirai rien que votre p�re ne p�t entendre s'il �tait l�. Ce que je vous demande, Berthe, ce sont quelques-unes de ces bonnes et tendres paroles que vous adressiez � votre fr�re Arnold dans ces longues causeries que nous faisions en tiers avec votre p�re. --Silence... quelqu'un a march� dans le taillis...--dit Berthe avec inqui�tude. --Que vous �tes enfant.... C'est le vent qui agite les arbres. Tenez!... voil� le givre et la pluie qui tombent... et vous sortez sans votre manteau africain; c'est un double tort; ce burnous � capuchon vous rend si jolie.... --Je l'ai laiss� dans le vestibule... mais je vous en prie, rentrons au ch�teau.... --Il est trop loin, la pluie tombe... pourquoi ne pas aller dans le chalet, l�-bas, attendre que cette averse soit pass�e? --Non, non.... --Oubliez-vous votre promesse de me faire visiter ce pavillon, votre retraite ch�rie? Oh! je n'abandonne pas cette bonne occasion de vous forcer � remplir votre promesse.... Tenez, la pluie augmente; venez... de gr�ce? Mais qu'avez-vous donc, vous me r�pondez � peine.... Vous tremblez, c'est de froid, sans doute... imprudente!... --Je ne puis vous dire ce que j'�prouve, mais je ressens une terreur vague, involontaire.... Je vous en supplie, malgr� la pluie, retournons au ch�teau. --Mais c'est un enfantillage auquel je ne consentirai pas. Vous vous trouvez un peu souffrante, il ne faut donc pas vous exposer davantage.... Cette pluie est glac�e, le chalet est � vingt pas. --Eh bien! promettez-moi de partir demain. --Encore? --Oui.... Ne me demandez pas pourquoi; j'ai peur pour vous, pour moi; je ne serai tranquille que lorsque vous serez �loign� d'ici. Je ne m'explique pas ces craintes... mais je les �prouve cruellement. --Mais enfin... admettez que votre mari soit jaloux.. qu'avez-vous � redouter? quel mal faisons-nous? Il est d'ailleurs plein d'attentions pour vous, il ne soup�onne rien. --Ce sont justement ses bont�s... si nouvelles pour moi... et sa douceur hypocrite qui m'�pouvantent.... Lui, autrefois si brusque.... Et un jour...--Berthe tressaillit et s'�cria en s'interrompant et en mettant une main tremblante sur le bras d'Arnold:--Encore!!! je vous assure qu'on marche dans ce taillis.... On nous suit. Arnold pr�ta l'oreille, entendit en effet quelques branches crier dans l'�pais fourr� de buis et de houx; malgr� la difficult� de p�n�trer dans ce massif inextricable, Arnold allait s'y enfoncer, lorsque le bruit augmenta, le feuillage fr�mit, et � quelques pas un chevreuil bondit et sauta sur la route. Arnold ne put retenir un �clat de rire, et dit � Berthe: --Voyez-vous votre espion? La jeune femme, un peu rassur�e, reprit le bras d'Arnold; ils n'�taient plus qu'� quelques pas du chalet. --Eh bien! pauvre peureuse--dit Arnold. --Je vous en supplie, ne plaisantez pas, je crois aux pressentiments, Dieu nous les envoie. --Mais comment, parce que votre mari semble revenir envers vous � de meilleurs sentiments, vous vous effrayez? Admettez m�me qu'il feigne cette bienveillance hypocrite pour vous tendre un pi�ge, qu'avez-vous � redouter? que peut-il surprendre? Apr�s tout, que demand�-je, sinon de jouir loyalement de ce qu'il m'a offert loyalement, de passer quelques jours aupr�s de vous? Je vous le jure, je ne sais pas quels seront mes voeux dans l'avenir... mais je me trouve � cette heure le plus heureux des hommes, je ne veux rien de plus; le pr�sent est si beau, si doux, que ce serait le profaner que de songer � autre chose.... La pluie redoublait de violence. Le jour, tr�s sombre, commen�ait � baisser. Berthe et le prince entr�rent dans le chalet. * * * * * CHAPITRE XXII. LE CHALET. Berthe, pour faire honneur � ses h�tes, avait fait disposer ce petit pavillon de la m�me mani�re que lorsqu'elle l'habitait. Sur les murs on voyait quelques gravures dues au burin de son p�re, des aquarelles peintes par Berthe, ses livres, son piano. Un bon feu flamboyait dans la chemin�e, ses vives lueurs luttaient contre l'obscurit� croissante.... Une fen�tre carr�e, semblable � celles des chaumi�res suisses, garnie de plomb et compos�e de petits carreaux verd�tres, grands comme la paume de la main, laissait voir l'all�e du bois qui conduisait de la grille au chalet; la porte �tait rest�e entr'ouverte; Berthe, debout pr�s de la chemin�e, appuyait son front sur sa main, ne pouvant vaincre l'�motion qui l'accablait. Arnold, plein d'une joie d'enfant, ou plut�t d'amant, examinait avec une sorte de tendre curiosit� tous les objets dont Berthe s'entourait habituellement. --Quel bonheur pour moi--lui dit-il--de pouvoir emporter ce souvenir des lieux que vous habitez! et ce tableau sera toujours vivant dans ma pens�e.... Voil� votre piano, cet ami des longues heures de r�verie et de tristesse... ces belles gravures, oeuvres de votre p�re, o� vous avez d� souvent attacher vos yeux attendris, en vous reportant par la pens�e aupr�s de lui, dans sa modeste retraite.... --Oui, sans-doute--dit Berthe avec distraction;--mais, mon Dieu, qu'ai-je donc? je ne sais pourquoi mes id�es roulent dans un cercle sinistre. Savez-vous � quoi je pense � toute heure? aux tentatives de meurtre auxquelles vous avez si miraculeusement �chapp�... Ne savez-vous donc rien de nouveau? avez-vous pu d�couvrir l'auteur de ces criminelles tentatives? M. de Hansfeld tenait � ce moment un volume des _Ballades_ de Victor Hugo et ouvrait curieusement le livre � une page marqu�e par Berthe. Il retourna � demi la t�te, sans fermer le livre, et dit � la jeune femme avec un sourire d'une �trange s�r�nit�: --Je crois conna�tre... ce... meurtrier.... Et il ajouta:--Quel plaisir de lire les lignes o� vos yeux se sont arr�t�s... ma soeur! --Vous le connaissez?... s'�cria Berthe. --Je le crois.... Vous avez pass� la journ�e d'hier et celle d'aujourd'hui avec cette homicide personne.--Puis s'interrompant encore:--Que je suis aise que vous partagiez mon admiration pour cette ravissante ballade la _Grand'm�re_... une des plus touchantes inspirations de l'illustre po�te.... Vous avez, entre autres, soulign� ces vers, d'une na�vet� enchanteresse, que j'aime autant que vous les aimez.... Berthe croyait r�ver en voyant le sang-froid du prince.--Que dites-vous?--reprit-elle--j'ai pass� la journ�e d'hier et d'aujourd'hui avec.... --Avec une meurtri�re.... Oui.... Mais �coutez, que ces vers sont adorables.... Pauvres petits enfants! Tu nous trouveras morts pr�s de la lampe �teinte; Alors que diras-tu? Quand tu t'�veilleras, Tes enfants � leur tour seront sourds � ta plainte. Pour nous rendre la vie.... --Grand Dieu! s'�cria Berthe, en interrompant Arnold;--mais c'est donc votre femme qui est coupable de ces tentatives de meurtre? Pourtant vous nous aviez dit.... --Ce n'est pas ma femme,--reprit le prince en repla�ant le livre sur la tablette;--mais c'est, si je ne me trompe... son �me damn�e... cette jeune fille au teint cuivr�... --Iris!... --Iris... j'en suis m�me � peu pr�s s�r. --Et votre femme? --Ignorait tout.. j'aime � le croire. --Et vous gardez ce monstre aupr�s de vous, dans votre maison? Mais si elle renouvelait ses tentatives? --Eh bien!--dit Arnold avec un sourire � la fois si m�lancolique, si calme et si doux, que les yeux de Berthe se mouill�rent de larmes. --Comment, eh bien! s'�cria-t-elle;--et si...; mais cette id�e est horrible.... --Si elle recommen�ait ses exp�riences, ma ch�re soeur..., et qu'elle r�uss�t, je lui en saurais gr�. --Que dites-vous? --Franchement, quelle est ma vie d�sormais? Pendant ces quelques jours pass�s pr�s de vous, l'ivresse du pr�sent m'emp�chera de songer � l'avenir; mais apr�s? De deux choses l'une..., ou nous serons heureux.... Et, malgr� votre indiff�rence pour votre mari, mon bonheur vous co�tera tant de larmes... tant de remords..., noble et loyale comme vous l'�tes, que mon amour vous causera autant de chagrins que les cruaut�s de votre mari.... Si, au contraire, les circonstances nous forcent de nous s�parer, que restera-t-il? l'oubli!!! Malgr� les serments de se souvenir toujours, h�las! il y a quelque chose de plus horrible que la mort de ceux que nous aimons... c'est l'oubli de cette mort! Vous le voyez... quel avenir! Avec vous, il n'y en aurait eu qu'un de possible pour votre bonheur et pour le mien... c'�tait de vous �pouser.... Mais c'est un r�ve! eh bien! ne vaut-il pas mieux que cette bonne et pr�voyante boh�mienne soit l� comme une providence mortuaire, et qu'elle fasse de moi ce que, je l'avoue, je n'aurais peut-�tre pas le courage de faire moi-m�me... quelque chose qui a v�cu!... --Oh! ce que vous dites est affreux; mais dans quel but, mon Dieu, commettrait-elle ce crime? --Que sais-je? je ne lui ai jamais fait de mal... je l'ai toujours combl�e.... Mais les boh�miens sont si bizarres.... Une superstition... un rien... que sais-je! La pauvre enfant se donne bien du mal peut-�tre pour machiner son coup, tandis qu'apr�s ces huit jours, bien entendu, je serais tr�s dispos� � faire la moiti� du chemin. A ce moment, la porte se ferma brusquement. Berthe poussa un cri de frayeur. --Cette porte... qui la ferme? --Le vent...--dit Arnold. La clef tourna deux fois dans la serrure. --On nous enferme--s'�cria Berthe. Arnold courut � la porte, l'�branla; ce fut en vain. --Mon Dieu! je suis perdue.... La nuit est presque venue... et enferm�e avec vous au bout de ce parc.... --Mais la fen�tre...--s'�cria Arnold. Il y courut. --Il regarda. Il ne vit personne. Il voulut la briser.... Impossible. Le treillis de plomb �tait si serr� qu'il courbait, mais qu'il ne cassait pas; et puis cette fen�tre �tait � ch�ssis fixe et immobile. Celle qui �clairait la porte du fond avait le m�me inconv�nient. Mon Dieu! ayez piti� de moi!--dit Berthe en tombant agenouill�e. * * * * * CHAPITRE XXIII. LE DOUBLE MEURTRE. Iris, cach�e dans le taillis, avait suivi Berthe et Arnold depuis le commencement de leur entretien jusqu'� leur entr�e dans le chalet. De grands massifs de buis et de houx d�robaient la boh�mienne aux regards de ceux qu'elle �piait. C'�tait elle qui avait mis sur pied et fait bondir le chevreuil qui avait franchi l'all�e devant Berthe. Apr�s s'�tre approch�e peu � peu du pavillon, Iris ferma la porte � double tour, et triomphante alla retrouver M. de Br�vannes, qui l'attendait � une assez grande distance. Si le hasard n'e�t pas servi le d�testable dessein d'Iris en r�unissant Berthe et Arnold, elle se servait de la ruse qu'elle avait projet�e en attirant la jeune femme dans le pavillon sous le pr�texte de lui faire rencontrer Pierre Raimond. M. de Br�vannes �tait arm� d'un fusil � deux coups et v�tu d'un costume de chasse; le choix de son arme �loignait toute id�e de pr�m�ditation, rien de plus naturel que sa conduite. En rentrant de la chasse, il surprenait chez lui sa femme et M. de Hansfeld, renferm�s dans un pavillon �cart� � la nuit tombante. Il les tuait. Qui pourrait dire qu'il n'y avait rien de coupable dans leur entretien? Personne.... Qui pourrait dire que la porte �tait ferm�e en dehors? Personne.... Malgr� sa r�solution, M. de Br�vannes fr�mit � la vue d'Iris. Le moment d�cisif �tait venu. La boh�mienne dissimula sa joie f�roce, et lui dit avec un accent de douleur profonde: --Je les ai suivis � leur insu, ainsi que je faisais d'apr�s vos ordres depuis leur arriv�e ici. Ils se parlaient bas; leurs l�vres se touchaient presque... _Lui_ avait un bras pass� autour de la taille de votre femme. Tout � l'heure ils sont entr�s ainsi dans le chalet; alors j'ai ferm� la porte... et je suis venue.... M. de Br�vannes ne r�pondit rien. On entendit seulement le bruit sec des deux batteries de son fusil qu'il arma, et ses pas pr�cipit�s qui bruirent sur les feuilles s�ches dont l'all�e �tait jonch�e. La nuit �tait sombre. Il lui fallait environ un quart d'heure pour arriver au pavillon. Nous devons dire qu'� ce moment cet homme �tait autant pouss� au meurtre par les fureurs de la jalousie que par le calcul atroce et insens� de tuer M. de Hansfeld afin d'�pouser ensuite sa veuve.... Il croyait Berthe et le prince coupables. En ce moment M. de Br�vannes �tait, ivre de rage; le sang lui battait aux tempes. Apr�s une assez longue marche, il aper�ut au bout de l'all�e les faibles lueurs que jetait le feu allum� dans la chemin�e du chalet � travers la fen�tre treillag�e de plomb. Il h�ta le pas. La pluie et le givre tombaient � torrents. A mesure qu'il approchait du pavillon, il se sentait tour � tour baign� d'une sueur froide ou br�lant de tous les feux de la fi�vre. Enfin... il arriva, marchant l�g�rement et avec pr�caution: il approcha l'oeil des carreaux verd�tres. A la lueur expirante du foyer, il reconnut l'esp�ce de manteau blanc � capuchon que Berthe portait ordinairement. Assise sur un divan, la jeune femme lui tournait le dos; elle appuyait ses l�vres sur le front d'un homme agenouill� � ses pieds qui l'entourait de ses deux bras. Par un mouvement plus rapide que la pens�e, M. de Br�vannes ouvrit la porte, entra, appuya le canon de son fusil entre les deux �paules de sa victime et tira. Elle tomba sans pousser un cri sur l'�paule de celui qui la tenait embrass�e. --Maintenant � vous, beau prince, coup double!...--s'�cria M. de Br�vannes en dirigeant le canon de son fusil sur le cr�ne de l'homme qui t�chait de se relever. Au moment o� il allait tirer, la porte de la seconde chambre du chalet s'ouvrit violemment derri�re lui. Quelqu'un qu'il ne voyait pas lui saisit le bras, d�tourna le fusil et l'emp�cha de commettre un second crime. M. de Br�vannes se retourna et vit.... M. de Hansfeld! A ce moment, l'homme agenouill� devant la femme se releva, se pr�cipita sur M. de Br�vannes en criant: --Assassin! --M. de Morville!--s'�cria M. de Br�vannes en reconnaissant ce dernier � la lueur d'un jet de flammes. --Tu as tu� madame de Hansfeld, assassin!--r�p�ta M. de Morville. M. de Br�vannes recula d'un pas, tenant toujours son fusil � la main; ses cheveux se dressaient de terreur. Il se pr�cipita vers la femme dont le corps avait gliss� � terre, mais dont la t�te reposait sur le sofa.... Il reconnut Paula. En s'apercevant de cette sanglante m�prise, qui le rendait coupable d'un assassinat que rien ne pouvait excuser, en trouvant M. de Morville aupr�s de la femme dont il se croyait passionn�ment aim�, un vertige furieux saisit M. de Br�vannes; il poussa un �clat de rire f�roce et disparut. Le prince, M. de Morville, boulevers�s par cette sc�ne horrible, ne s'oppos�rent pas � son d�part. Quelques secondes apr�s, on entendit une d�tonation. M. de Br�vannes venait de se tuer. * * * * * CHAPITRE XXIV. EXPLICATION. Il nous reste � expliquer l'arriv�e de M. de Morville au ch�teau de Br�vannes, et sa pr�sence, ainsi que celle de Paula dans le chalet, o� se trouvaient Berthe et Arnold un quart d'heure auparavant. M. de Morville avait appris par madame de Lormoy, sa tante, que Paula �tait subitement partie avec son mari pour la Lorraine, au milieu de l'hiver, pour aller passer quelque temps chez M. de Br�vannes. M. de Morville ignorait compl�tement que Paula conn�t M. de Br�vannes; ce d�part si subit, si extraordinaire en cette saison, annon�ait une intimit� bien grande. De plus, il se souvenait de quelques mots, de quelques r�ticences de Paula lors de sa derni�re entrevue avec elle au bal masqu�. Il se crut sacrifi�, trahi, ou plut�t il ne put trouver une raison plausible au d�part de Paula; sa raison se perdit. Au risque de compromettre Paula par l'invraisemblance du pr�texte de son voyage, il partit pour la Lorraine, d�cid� � parler � tout prix � madame de Hansfeld et � �claircir ce myst�re. Il arriva en effet sur les quatre heures du soir, fit arr�ter sa voiture � la grille du parc qui avoisinait le chalet, ainsi que nous l'avons dit, et envoya son domestique � madame de Hansfeld avec ces mots: �Madame, �Par suite d'un pari avec ma tante, madame de Lormoy, qui, surprise de votre brusque d�part et assez inqui�te sur votre sant�, d�sirait vivement savoir de vos nouvelles, j'ai gag� que je viendrais m'en informer aupr�s de vous, et que je retournerais � l'instant � Paris rassurer madame de Lormoy. Si vous �tes assez bonne pour vous int�resser � mon pari, veuillez me le faire savoir. N'ayant pas l'honneur de conna�tre M. de Br�vannes, et ayant promis de ne pas m�me descendre de voiture, j'attends votre r�ponse � la grille du parc.� Paula re�ut ce billet au moment o� elle rentrait de la promenade. Il pleuvait. Prendre � l'instant le premier manteau venu (ce fut celui de Berthe, il se trouvait dans un vestibule), courir aupr�s de M. de Morville, tel fut le premier mouvement de Paula. Au milieu de ses terribles angoisses, elle voulait � tout prix �loigner M. de Morville d'un lieu o� pourrait se passer un �v�nement si tragique. M. de Morville descendit de voiture � la vue de Paula, entra dans le parc, prit son bras et lui fit de tendres reproches sur son d�part si brusque, la suppliant de lui expliquer cette d�termination si bizarre. Craignant d'�tre rencontr�s dans le parc, quoique la nuit commen��t � venir, Paula conduisit, tout en marchant, M. de Morville vers le pavillon o� se trouvaient enferm�s Berthe et M. de Hansfeld. En entendant ouvrir la porte, Berthe, par un mouvement de frayeur involontaire, se r�fugia dans la seconde pi�ce du pavillon; Arnold la suivit et put, en entendant le rapide entretien de M. de Morville et de Paula, s'assurer que du moins Paula n'avait jamais oubli� ses devoirs. M. de Morville, rassur� par les plus tendres protestations de Paula qui le pressait de partir, venait de lui demander un seul baiser sur le front... lorsque M. de Br�vannes la tua, tromp� par l'obscurit�, par le manteau de Berthe, et surtout par la conviction qu'il avait de la pr�sence de celle-ci dans le pavillon. On retrouva, le lendemain, le ch�le d'Iris flottant sur un des �tangs. On se souvient que M. de Morville avait dit � Paula qu'un serment sacr� le for�ait de fuir toutes les occasions de la voir. C'�tait encore une machination d'Iris. Jalouse de ce nouvel attachement de sa ma�tresse, elle �tait all�e trouver madame de Morville, lui avait fait un effrayant tableau de la jalousie cruelle et soup�onneuse du prince de Hansfeld, capable, dit-elle, de faire tomber M. de Morville dans un sanglant guet-apens s'il s'occupait plus longtemps de la princesse. Madame de Morville, �pouvant�e des dangers que courait son fils, lui fit jurer, sans lui d�couvrir la cause de son effroi, de ne plus songer � madame de Hansfeld � moins que celle-ci ne dev�nt veuve. M. de Morville, quoique ce serment lui cout�t beaucoup, vit sa m�re qu'il adorait, si �mue, si suppliante, elle �tait d'une sant� si chancelante, qu'il sentit que la refuser serait lui porter un coup terrible, peut-�tre mortel. Il c�da... il promit. * * * * * Dix-huit mois apr�s ces �v�nements, Berthe Raimond, princesse de Hansfeld, partit avec Arnold et le vieux graveur pour habiter l'Allemagne, o� ils se fix�rent tous trois. FIN. TABLE DES CHAPITRES. DEUXI�ME PARTIE. I. Le livre noir II. Pens�es d�tach�es III. Arnold et Berthe IV. Intimit� V. R�cit VI. Menaces VII. R�flexions VIII. Interrogatoire IX. R�v�lations X. Aveux XI. Rendez-vous XII. Propositions XIII. Correspondance XIV. Le mariage XV. Le livre noir XVI. Conversation TROISI�ME PARTIE XVII. R�solution XVIII. L'�pingle XIX. D�cision XX. La chasse au marais XXI. Le ch�teau de Br�vannes XXII. Le chalet XXIII. Le double meurtre XXIV. Explication FIN DE LA TABLE. IMP. DE GUSTAVE GRATIOT, RUE DE LA MONNAIE, II. End of the Project Gutenberg EBook of Paula Monti, Tome II, by Eug�ne Sue *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PAULA MONTI, TOME II *** ***** This file should be named 16876-8.txt or 16876-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/6/8/7/16876/ Produced by Carlo Traverso, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net. This file was produced from images generously made available by the Biblioth�que nationale de France (BnF/Gallica) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at https://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from the public domain (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that - You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." - You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. - You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. - You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread public domain works in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH F3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. *** END: FULL LICENSE ***