The Project Gutenberg EBook of Paula Monti, Tome II, by Eug�ne Sue

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Title: Paula Monti, Tome II
       ou L'H�tel Lambert - histoire contemporaine

Author: Eug�ne Sue

Release Date: October 14, 2005 [EBook #16876]
[Last updated on Novevember 4, 2007]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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PAULA MONTI OU L'HOTEL LAMBERT


HISTOIRE CONTEMPORAINE
PAR
EUG�NE S�E

TOME DEUXI�ME.

PARIS
PAULIN, �DITEUR
RUE RICHELIEU, 60.

1845

IMPRIMERIE DE GUSTAVE GRATIOT, RUE DE LA MONNAIE, 11.



PAULA MONTI.

DEUXI�ME PARTIE.




CHAPITRE PREMIER.

LE LIVRE NOIR.


En proposant � madame de Hansfeld de r�pondre pour elle � M. de
Br�vannes au sujet de l'entrevue qui devait avoir lieu au
Jardin-des-Plantes, non seulement Iris emp�chait la princesse de
commettre un acte imprudent, mais, � l'insu de celle-ci, elle la rendait
complice d'un projet diabolique.

On se souvient sans doute d'un _livre noir_ dont Iris avait parl� � M.
de Br�vannes, et dans lequel, disait-elle, la princesse �crivait presque
chaque jour ses plus secr�tes pens�es.

Rien n'�tait plus faux.

Jamais Paula n'avait poss�d� un livre pareil; mais il importait au
projet d'Iris que M. de Br�vannes cr�t � ce mensonge, et il devait y
croire en reconnaissant dans ce livre une �criture pareille � celle du
billet que madame de Hansfeld lui avait fait remettre.

On s'�tonnera peut-�tre de la profonde dissimulation d'Iris et de
l'opini�tre et t�n�breuse audace de ses desseins. On comprendra
peut-�tre aussi difficilement son affection sauvage, sa jalousie
furieuse, qui tournaient presque � une monomanie f�roce.

Malheureusement, les faits principaux de cette histoire, les traits
saillants du caract�re d'Iris sont d'une grande r�alit�.

Il s'est trouv� une jeune fille aux passions ardentes, implacables, qui
les a r�unies, concentr�es dans l'attachement aveugle qu'elle avait pour
sa bienfaitrice, attachement singulier, qui tenait de la v�n�ration
filiale par son religieux d�vouement, de la tendresse maternelle par sa
familiarit� charmante et pure, de l'amour par sa jalousie vindicative.

Si, dans la suite de cette histoire, on trouve chez Iris une assez
grande puissance d'imagination jointe � un esprit inventif, rus�,
adroit, hardi; si quelques-unes de ses combinaisons semblent ourdies
avec une perfidie, avec une habilet� ordinairement rares chez une fille
de cet �ge, nous le r�p�terons, la solitude avait singuli�rement
d�velopp� ses facult�s naturelles, incessamment tendues vers un m�me
but; forc�e d'agir seule et � l'ombre de la plus profonde dissimulation,
tout moyen lui semblait bon pour arriver � ce terme unique de ses
d�sirs:

_Isoler sa ma�tresse de toute affection_;

Faire, pour ainsi dire, le _vide_ autour d'elle, et lui devenir d'autant
plus n�cessaire que tous les autres attachements lui manqueraient.

Ce dernier voeu d'Iris avait �t� jusqu'alors tromp�.

Sans doute madame de Hansfeld ressentait pour sa demoiselle de compagnie
un v�ritable attachement, lui t�moignait une confiance sans bornes, se
montrait � son �gard affectueuse et bonne; mais cet attachement ne
suffisait pas au coeur d'Iris.

Elle �prouvait d'amers, de douloureux ressentiments de ce qu'elle
appelait une d�ception; mais comme elle ne pouvait ha�r sa ma�tresse,
son ex�cration s'accumulait sur les personnes qui inspiraient quelque
int�r�t � la princesse.

Ces explications �taient n�cessaires pour pr�parer le lecteur aux
incidents qui vont suivre.

Dans les deux entretiens qui succ�d�rent � sa premi�re entrevue avec M.
de Br�vannes, Iris, d'apr�s l'ordre de Paula, avait t�ch� de deviner
quelles �taient les intentions de cet homme.

Si inf�me qu'elle f�t, la calomnie qu'il pouvait r�pandre �tait
redoutable pour madame de Hansfeld. Rapha�l avait cru � son abominable
mensonge; comment le monde, ou plut�t M. de Morville (c'�tait le monde
pour Paula), n'y croirait-il pas?

Madame de Hansfeld ne savait que r�soudre.

Depuis qu'elle aimait M. de Morville, elle abhorrait plus encore M. de
Br�vannes; aussi n'eut-elle pas assez d'indignation, assez de m�pris
pour qualifier l'audace de ce dernier, lors de ses tentatives pour
obtenir une entrevue avec elle, par l'interm�diaire d'Iris. Mais
celle-ci fit sagement observer � sa ma�tresse que la col�re de M. de
Br�vannes serait dangereuse, et qu'au lieu de l'exasp�rer il fallait
t�cher de l'�conduire doucement.

Malheureusement l'amour violent et opini�tre du mari de Berthe ne
s'accommoda pas de ces m�nagements. Ainsi qu'on l'a vu lors de son
troisi�me entretien avec Iris, il lui d�clara positivement qu'il
parlerait si la princesse lui refusait plus longtemps une entrevue.

Iris avait continu� de jouer son double r�le pour augmenter la confiance
de M. de Br�vannes, feignant de pas avoir � se louer de sa ma�tresse
afin d'�loigner tout soup�on de connivence, et paraissant tr�s flatt�e
des galantes cajoleries de M. de Br�vannes.

Elle lui laissait entendre que madame de Hansfeld semblait �prouver �
son �gard une sorte de col�re m�l�e d'int�r�t... bizarre ressentiment
qu'Iris ne s'expliquait pas, disait-elle, car elle �tait cens�e ignorer
ce qui s'�tait pass� � Florence entre M. de Br�vannes et Paula. Telle
�tait la source des secr�tes esp�rances du mari de Berthe, esp�rances
n�es de son aveugle amour-propre et augment�es par les fausses
confidences d'Iris.

Ceci pos�, nous conduirons le lecteur dans la petite maison que
poss�dait M. de Br�vannes dans la rue des Martyrs, et qu'il occupait
alors tout seul.

C'�tait le lendemain du jour o� Iris lui avait remis le pr�tendu billet
de la princesse. En le recevant, M. de Br�vannes avait os� pour la
premi�re fois parler du _livre noir_, de son d�sir de le poss�der
pendant un moment.

Iris, apr�s des difficult�s sans nombre, avait r�pondu qu'il serait
peut-�tre possible de soustraire ce livre le lendemain, pour quelques
heures seulement, la princesse devant aller passer la matin�e chez
madame de Lormoy, tante de M. de Morville.

M. de Br�vannes avait demand� � la jeune fille d'apporter le pr�cieux
m�mento rue des Martyrs; il le lirait en sa pr�sence et le lui
remettrait � l'instant avec la r�compense due � un tel service,
r�compense qu'elle promit d'accepter pour ne pas �veiller les soup�ons
de M. de Br�vannes.

Ce dernier attendait donc Iris dans le petit salon dont nous avons
parl�.

Si l'on n'a pas oubli� le caract�re de M. de Br�vannes, son indomptable
opini�tret�, son orgueil, son acharnement � r�ussir dans ce qu'il
entreprenait; si l'on pense que sa volont�, son obstination, sa vanit�
�taient mises en jeu par un amour profond, exalt�, contre lequel il se
d�battait depuis deux ans, on concevra avec quelle violence passionn�e
il d�sirait �tre aim� de madame de Hansfeld, cette femme si s�duisante,
si envi�e, si respect�e.

Il �tait midi. M. de Br�vannes attendait Iris avec une extr�me
impatience dans la petite maison de la rue des Martyrs.

Madame Grassot, gardienne de cette myst�rieuse demeure, restait �
l'�tage sup�rieur. La jeune fille arriva; M. de Br�vannes courut � sa
rencontre.

Iris paraissait tremblante et effray�e. M. de Br�vannes la rassura et la
fit entrer dans le salon; elle tenait � la main un petit album reli� en
maroquin noir et ferm� par une serrure d'argent. Fr�missant de joie et
d'impatience � la vue de ce livret, M. de Br�vannes prit sur la chemin�e
une bague orn�e d'un assez gros brillant, la passa au doigt d'Iris,
malgr� sa faible r�sistance.

--De gr�ce, charmante Iris--lui dit-il--recevez ce faible gage de ma
reconnaissance. Cette jolie main n'a pas besoin d'ornement, mais c'est
un souvenir que je vous demande en gr�ce de porter.... Vous m'avez
promis de l'accepter.

--Sans doute... mais je ne sais si je dois... ce diamant....

--Qu'importe le diamant!... c'est seulement de la bague qu'il s'agit.

--Et c'est aussi la bague que j'accepte--dit Iris avec un sourire d'une
tristesse hypocrite--puisque ma condition m'expose � de certaines
r�compenses.

--Si j'ai choisi ce diamant--reprit M. de Br�vannes--c'est qu'il offre
l'embl�me de la puret� et de la dur�e de ma reconnaissance.

Et il tendit la main vers le livre noir.

--Non, non--dit Iris en paraissant encore combattue par le devoir--cela
est horrible.... Je me damne pour vous.

--Mais quel mal faites-vous?... c'est tout au plus une indiscr�tion...
ma ch�re Iris; puisque votre ma�tresse est souvent injuste envers vous,
c'est de votre part une petite vengeance permise... et innocente.

--Oh! je suis inexcusable, je le sens... et puis une fois que vous aurez
lu ce livre... vous oublierez la pauvre Iris... vous n'aurez plus besoin
d'elle.... Mais de quoi me plaindrai-je? n'aurez-vous pas d'ailleurs
pay� ma trahison--ajouta-t-elle avec amertume.

--Cette petite fille s'est affol�e de moi--pensa M. de
Br�vannes--comment diable m'en d�barrasserai-je? Est-ce que maintenant
qu'elle a ma bague elle ne voudrait plus se dessaisir du livre?

Il reprit tout haut d'un ton p�n�tr�:

--Vous vous trompez, Iris. D'abord, je ne me croirai jamais quitte
envers vous.... Quant � vous oublier... ne le craignez pas.... Pour mon
repos, je voudrais le pouvoir.... Il faut toute la gravit� des choses
dont j'ai � entretenir votre ma�tresse pour me distraire un peu de mon
amour pour vous.... Iris, car je vous aime.... Mais ne parlons pas de
cela maintenant.... De graves int�r�ts sont en jeu.... Comment se
trouve votre ma�tresse?

--Elle est r�veuse et triste depuis qu'elle vous a accord� l'entrevue
que vous demandiez si imp�rieusement.


--Elle m'y a forc�... J'�tais si malheureux de son refus que je me suis
oubli� jusqu'� lui faire cette menace, que je ne regrette plus, car j'ai
ainsi obtenu ce que je d�sirais dans son int�r�t et dans le mien....
Mais elle est r�veuse et triste, dites-vous?

--Oui... quelquefois elle reste longtemps comme accabl�e... puis tout �
coup elle se l�ve imp�tueusement et marche pendant quelque temps avec
agitation.

--Et � quoi attribuez-vous ses pr�occupations?

--Je ne sais....

--Ce livre que vous h�sitez � me confier et que je n'ose plus vous
demander nous l'apprendrait.

--Oh! je ne tiens pas � savoir les secrets de la princesse.... C'est
pour vous �tre agr�able, pour vous ob�ir que j'ai soustrait ce livre...
la clef est � son fermoir, je ne l'ai pas ouvert.

--Eh bien! ouvrons-le.... Maintenant ce que vous appelez la m�chante
action est commis. Il ne s'agit plus que de me rendre un grand service.
H�sitez-vous encore? Je sais que ne n'ai d'autre droit � cette bont� de
votre part que....

--Tenez, tenez, lisez vite--dit Iris en d�tournant la t�te et en donnant
l'album � M. de Br�vannes.

--Ce que je fais est inf�me; mais je ne puis r�sister � l'influence que
vous avez sur moi.

--Influence d'une volont� ferme--pensa M. de Br�vannes en ouvrant
pr�cipitamment le livre noir, o� il lut ce qui suit, pendant qu'Iris,
accoud�e � la chemin�e, la figure dans ses mains, et n'ayant pas l'air
de voir sa dupe, l'examinait attentivement dans la glace.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE II.

PENS�ES D�TACH�ES.


Iris avait �crit les passages suivants d'une main en apparence �mue et
mal affermie, comme si les id�es se fussent press�es confuses et
d�sordonn�es, dans la t�te de la princesse:

�Je viens de le revoir � la Com�die-Fran�aise. Toutes mes douleurs, tous
mes regrets se sont r�veill�s � son aspect.

�Il me poursuivra donc partout.... Jamais je n'ai �prouv� une commotion
plus violente; �tre oblig�e de tout cacher aux regards p�n�trants du
monde, aux regards indiff�rents de mon mari.... Est-ce la haine,
l'indignation, la col�re qui m'ont ainsi boulevers�e?

�Oui... n'est-ce pas de la haine, de l'indignation, de la col�re que je
dois ressentir contre celui qui a tu� le fianc� � qui j'�tais promise et
que j'aimais depuis mon enfance? Ne dois-je pas ex�crer celui qui m'a
d�shonor�e par une calomnie inf�me?... Oh! oui... je le hais... je le
hais, et pourtant!...�

Ici se trouvaient quelques mots absolument ind�chiffrables; ils
terminaient ce premier passage, et fournirent � M. de Br�vannes le texte
d'une foule de conjectures.

Ces mots _et pourtant_! lui semblaient surtout une r�ticence d'un
heureux augure... il continua.

�J'�tais tellement �pouvant�e de ma pens�e de tout � l'heure, que je
n'ai os� continuer--ni confier au papier.... H�las! mon seul
confident... ce qui causait mon effroi....

�Je devrais dire ma honte.... Quel ab�me que notre �me!... quels
contrastes!... Oh! non, non; je hais cet homme.... Il y a dans la
persistance avec laquelle il a poursuivi son dessein quelque chose
d'infernal;... et si ce que je ressens � son �gard diff�re de la haine,
c'est qu'un vague effroi se joint � cette haine. Oui, c'est cela sans
doute.... Et puis il s'y joint encore une sorte de regret de voir une
volont� si ferme, une opini�tret� si grande employ�es � mal faire, �
nuire, � calomnier!

�En se vouant � de nobles desseins quels admirables r�sultats n'e�t-il
pas obtenus!...

�Oui, je suis �pouvant�e quand je songe � l'habilet� avec laquelle il
est parvenu � s'introduire autrefois chez nous, � se rendre
indispensable � nos int�r�ts; avec quelle dissimulation imp�n�trable il
m'avait cach� son amour... dont il ne m'a parl� qu'une seule fois; avec
quelle indignation je l'ai accueilli....

�Ne devais-je pas croire, quoiqu'il m'ait dit le contraire, que les
soins qu'il rendait � ma tante �taient s�rieux? M'�tais-je tromp�e?
Voulais-je me tromper � cet �gard?

�L'abominable calomnie dont j'ai �t� victime ne m'a pas m�me instruite
de la v�rit�. Pauvre tante! que de chagrins elle m'a caus�s, sans le
savoir!...

�Il n'a manqu� � cet homme que de placer mieux son amour, son d�vouement
passionn�... Sans doute, il e�t vaillamment aim� une femme libre de son
coeur.... Mais pourquoi m'a-t-il aim�e, moi? N'�tais je pas fianc�e �
Rapha�l? Ne m'avait-il pas souvent entendu parler de notre prochain
mariage?... Et apr�s un premier et dernier aveu... il a recouru � la
plus inf�me calomnie pour d�shonorer celle � qui une fois, une seule
fois, il avait parl� d'amour....

�Il me semble que je suis soulag�e en �panchant ainsi les pens�es qui me
sont si douloureuses.... Oui, cela m'aide � lire dans mon coeur....

�H�las! j'�tais d�j� si malheureuse! avais-je besoin de ce surcro�t de
chagrins?... Oh! soyez maudit vous qui m'avez presque forc�e � un
mariage sans amour... en tuant mon fianc�... que j'aimais tendrement....

�Oui; je l'aimais d'un attachement d'enfance qui s'�tait chang� avec les
ann�es en un sentiment plus vif que l'amiti�, mais plus calme que
l'amour....

�Quelle est ma vie maintenant? Horrible... horrible... avec toutes les
apparences du bonheur.. si la richesse est le bonheur.... A jamais
encha�n�e � un homme qui bien souvent, h�las! me fait regretter le sort
de Rapha�l.

Pauvre Rapha�l! mourir si jeune!... H�las! en provoquant M. de
Br�vannes, il c�dait � un �lan de juste et courageux d�sespoir.... Et
pourtant son meurtrier a, de son c�t�, non sans raison, invoqu� le droit
de l�gitime d�fense....

�Il n'importe, Rapha�l au moins ne souffre plus; moi je souffre chaque
jour; chaque instant de ma vie est un supplice.... Que faire?

�Se r�signer.

�Pour sortir de ma douloureuse apathie, il m'a fallu revoir cet homme,
qui a caus� tous mes chagrins.

�Chose �trange! je m'�tais fait une id�e tout autre de ce que je devais,
selon moi, ressentir � son aspect.... Oui, je l'avoue avec horreur (qui
saura jamais cet aveu?) mon courroux, mon ex�cration, ne me semblent pas
� la hauteur de ses crimes....

�En vain je maudis ma faiblesse... en vain je me dis que cet homme m'a
calomni�e d'une mani�re inf�me; en vain je me r�p�te qu'il a tu�
Rapha�l, qu'il est presque l'auteur des maux que j'endure... qu'il peut
� cette heure me perdre.... Et malgr� moi j'ai la l�chet� de penser que
c'est l'amour que je lui ai inspir� qui l'a plong� dans cet ab�me
d'horribles actions.... Oserai-je le dire? je suis quelquefois capable
de l'excuser.�

M. de Br�vannes sentait son coeur battre avec violence, son orgueil
effr�n�, l'aveuglement de sa passion servaient Iris au-del� de toute
esp�rance.

Rien de plus vulgaire, de plus surann�, mais aussi de plus vrai que cet
adage:--_On croit ce que l'on d�sire_.

Dans ces pages qu'il supposait �crites par madame de Hansfeld, M. de
Br�vannes voyait la preuve d'une impression qui tenait � la fois de la
haine et de l'amour, de la terreur et de l'admiration.

Admiration � peine avou�e, il est vrai, mais qui, selon la vanit� de M.
de Br�vannes, n'�tait que de l'amour ignor� ou combattu.

Une circonstance assez �trange, habilement exploit�e par Iris,
contribuait � augmenter l'erreur de M. de Br�vannes: il n'avait fait
qu'un seul aveu � Paula, et, d'apr�s les fragments que nous venons de
citer, il pouvait croire que celle-ci n'avait pas r�pondu � sa passion
par jalousie des soins apparents qu'il rendait � sa tante, enfin, il
pouvait aussi croire son abominable calomnie, sinon oubli�e, du moins
presque excus�e par ces mots pr�tendus de la princesse:

�C'est l'amour que je lui ai inspir� qui l'a plong� dans cet ab�me
d'horribles actions; je me sens quelquefois capable de l'excuser.�

Quant � la mort de Rapha�l, que Paula aimait d'un _sentiment plus vif
que l'amiti�, plus calme que l'amour_, ce meurtre, presque justifi� par
l'agression de cet infortun�, �tait, il est vrai, une des causes qui
combattaient le plus vivement l'irr�sistible penchant de madame de
Hansfeld pour M. de Br�vannes.

Sans l'autorit� du _Livre noir_, il e�t fallu un complet aveuglement
pour expliquer ainsi la conduite de madame de Hansfeld; mais M. de
Br�vannes, croyant lire un �crit trac� par elle, avait trop d'orgueil et
d'amour pour ne pas accepter cette interpr�tation d'ailleurs si
naturelle.

Pourquoi M. de Br�vannes se serait-il d�fi� d'Iris? Pourquoi l'aurait-il
crue capable d'une si �trange supercherie? Quant � la princesse, dans
quel but aurait-elle �crit ces pages que personne ne devait lire?

En supposant que, d'accord avec Iris, elle e�t autoris� cette
communication afin de persuader � M. de Br�vannes que ses torts �taient
effac�s par l'amour, un tel dessein ne pouvait que le flatter.

On comprendra donc qu'il continua la lecture du livre noir avec un
int�r�t et un espoir croissants.

�Que me veut donc cet homme? Il est parvenu � se m�nager une entrevue
avec Iris; pauvre enfant, simple et ing�nue; il lui a propos� de se
charger d'une lettre pour moi, elle a refus�? Que peut-il donc me
vouloir?... quelle est donc son audace? comment supporterait-il mon
regard?

�Cet homme est fou... qu'a-t-il � me dire? penserait-il � excuser sa
conduite? mais je....

�Hier, je n'ai pu continuer; j'ai �t� interrompue par l'arriv�e de mon
mari.

�Le prince a donc toute sa vie �tudi� les effets de la douleur pour
porter des coups plus assur�s. Mais c'est un monstre... mais il a des
raffinements de tortures inou�s.... Oh! maintenant, je comprends
pourquoi je ne hais pas assez M. de Br�vannes... toute ma haine s'est
us�e contre mon bourreau.

�Et �tre pour la vie... pour la vie encha�n�e � cet homme!... Ne pouvoir
briser ces liens odieux... que par la mort....

�Oh! qu'elle me frappe donc, qu'elle me frappe bient�t... puisqu'il faut
que l'un de nous deux meure pour rompre cette horrible union, que ce
soit moi... plut�t que mon mari...�

M. de Br�vannes fr�mit � ces paroles, et s'�cria en s'adressant � Iris:

--La princesse est donc bien malheureuse?

--Bien malheureuse!...--r�pondit sourdement Iris.

--Son mari est donc sans piti� pour elle?

--Sans piti�...

M. de Br�vannes continua de lire:

�Oui, oui, la mort.... Je ne m�rite pas de vivre... j'ai �t� infid�le �
la m�moire de Rapha�l... je ne m�rite aucune commis�ration; si mon mari
est un monstre de cruaut�, que suis-je donc moi, qui ne puis d�tacher ma
pens�e de l'homme qui a caus� tous mes maux en tuant mon fianc�!...

�Oh! j'ai honte de moi-m�me.... Il faut que j'�crive ces horribles
choses... que je les voie, l�... mat�riellement... sous mes yeux... pour
que je les croie possibles....

�Arriver, mon Dieu! � ce dernier degr� d'abaissement!

�Est-ce ma faute, aussi? La douleur d�prave tant.... Oui... elle
d�prave, elle rend criminelle... car quelquefois, bris�e par le
d�sespoir, je m'�crie:--Puisqu'il �tait dans la destin�e de M. de
Br�vannes d'�tre meurtrier... pourquoi le sort, au lieu de livrer
Rapha�l � ses coups, ne lui a-t-il pas livr� mon bourreau?�

Ces pages s'arr�taient l�.

Iris avait voulu sans doute laisser M. de Br�vannes r�fl�chir m�rement
sur ce voeu homicide.

Il s'�cria vivement en fermant le livre:

--Iris, vous n'avez rien lu de ce qui est �crit l�?...

La jeune fille parut n'avoir pas entendu ces paroles; elle regardait
fixement M. de Br�vannes.

--Iris--reprit-il--vous n'avez rien lu de ces pages?...

--Rien... rien--dit-elle en sortant de sa r�verie--que m'importe ce
livre?

--Elle ne songe qu'� moi--pensa-t-il--son indiscr�tion n'est pas �
craindre.

Il referma le livre, le rendit � la jeune fille et lui dit:

--Vous avez, sans le savoir, rendu le plus grand service � votre
ma�tresse.

--Vous l'aimez?--lui demanda brusquement Iris, en attachant sur lui un
regard per�ant.

--Moi!--dit M. de Br�vannes de l'air du monde le plus
d�tach�--singuli�re preuve d'amour que de cruellement menacer la femme
qu'on aime. Non, non, je n'ai pas d'amour pour elle... l'aust�re amiti�
peut seule recourir � des moyens si extr�mes....

--Il faut bien vous croire--dit tristement Iris en reprenant le livre.

--Adieu, Iris, � demain--dit M. de Br�vannes;--vous rappellerez bien �
madame de Hansfeld l'entrevue qu'elle m'a promise.

Elle n'y manquera pas.... Mais j'y songe... au nom du ciel, que rien ne
puisse lui faire soup�onner que vous avez lu dans ce livre; je serais
perdue.

--Rassurez-vous, ma ch�re Iris, j'aurai l'air d'�tre aussi �tranger
qu'elle � ses pens�es les plus secr�tes.... Rien ne trahira la
connaissance que j'en ai. Promettez-moi seulement de m'apporter encore
ce livre... il serait pour moi de la derni�re importance de le
consulter ensuite de l'entrevue que j'aurai demain avec votre
ma�tresse.... Me le promettez-vous?

--Encore mal faire... encore abuser de sa confiance.... Ah! maintenant
je n'ai plus le droit de me plaindre de son injustice.

--Iris, je vous en supplie....

--Vous me le demandez, n'est-ce pas pour moi plus qu'un ordre.

Dans sa reconnaissance, M. de Br�vannes prit la main d'Iris, et,
l'attirant pr�s de lui, voulut la baiser au front; la jeune fille le
repoussa violemment et fi�rement, � la grande surprise de M. de
Br�vannes, qui croyait combler les voeux de la jeune fille en se
montrant si _bon seigneur_.

En arrivant sur le quai, Iris jeta � la rivi�re la bague qu'elle avait
re�ue pour prix de sa trahison.

Apr�s avoir attentivement lu le _Livre noir_, M. de Br�vannes tomba dans
une m�ditation profonde. Il n'en doutait pas, il �tait aim�, mais madame
de Hansfeld combattait de toutes ses forces ce penchant involontaire.

Son mari la rendait si horriblement malheureuse, qu'elle allait
quelquefois jusqu'� d�sirer sa mort.

Quoique le voeu lui par�t toucher � l'exag�ration, M. de Br�vannes
regardait toutes ces circonstances comme favorables pour lui, et il
attendait avec anxi�t� le moment du rendez-vous que madame de Hansfeld
lui avait donn� pour le lendemain au Jardin-des-Plantes.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE III.

ARNOLD ET BERTHE.


Madame de Br�vannes avait plusieurs fois rencontr� chez Pierre Raimond
M. de Hansfeld sous le nom d'Arnold Schneider; il avait sauv� la vie du
vieux graveur, rien de plus naturel que ses visites � ce dernier.

Berthe ayant r�solu de recommencer d'enseigner le piano pour subvenir
aux besoins de son p�re, venait chez lui trois fois par semaine et y
restait jusqu'� trois heures pour donner, en sa pr�sence, ses le�ons de
musique.

On n'a pas oubli� que Berthe avait fait sur M. de Hansfeld une
impression profonde la premi�re fois qu'il l'avait aper�ue � la
Com�die-Fran�aise. Lorsqu'il la rencontra ensuite chez Pierre Raimond,
qu'il venait d'arracher � une mort presque certaine, vivement frapp� de
la circonstance qui le rapprochait ainsi de Berthe, Arnold y vit une
sorte de fatalit� qui augmenta encore son amour.

Le charme des mani�res de M. de Hansfeld, la gr�ce de son esprit, ses
pr�venances respectueuses, presque filiales, pour Pierre Raimond,
chang�rent bient�t en une affection sinc�re la reconnaissance que le
vieillard avait d'abord vou�e � son sauveur.

Arnold �tait simple et bon, il parlait avec un go�t et un savoir infini
des grands peintres, objet de l'admiration passionn�e du graveur qui
avait employ� une partie de sa vie � reproduire sur le cuivre les plus
belles oeuvres de Rapha�l, du Vinci et du Titien; il avait montr� �
Arnold ces travaux de sa jeunesse et de son �ge m�r; Arnold les avait
appr�ci�s en connaisseur et en habile artiste.

Ses louanges ne d�celaient pas le complaisant ou le flatteur; mod�r�es,
justes, �clair�es, elles en �taient plus pr�cieuses � Pierre Raimond,
qui avait la conscience de son art; comme les artistes s�rieux et
modestes, il connaissait mieux que personne le fort et le faible de ses
ouvrages. Ce n'�tait pas tout: Arnold semblait par ses opinions
politiques appartenir � ce parti exalt� de la jeune Allemagne, qui offre
beaucoup d'analogie avec certaines nuances de l'�cole r�publicaine.

Gr�ce � ses nombreux points de contact, la r�cente intimit� de Pierre
Raimond et d'Arnold se resserrait chaque jour davantage. Ce dernier
�tait de bonne foi, il ressentait v�ritablement de l'attrait pour ce
rude et aust�re vieillard, qui conservait dans toute leur ardeur les
admirations et les id�es de sa jeunesse.

M. de Hansfeld �tait d'une excessive timidit�; les obligations de son
rang lui pesaient tellement que, pour leur �chapper, il avait affect�
les plus grandes excentricit�s. Ses go�ts, ses penchants se portaient �
une vie simple, obscure, paisiblement occup�e d'arts et de th�ories
sociales. Aussi, m�me en l'absence de Berthe, il trouvait dans les deux
pauvres chambres de Pierre Raimond plus de plaisir, de bonheur, de
contentement qu'il n'en avait trouv� jusqu'alors dans tous ses palais.

S'il avait seulement voulu dissimuler ses assiduit�s aupr�s de Berthe
sous de trompeuses pr�venances envers le graveur, celui-ci avait trop
l'instinct du vrai pour ne pas s'en �tre aper�u, et trop de rigide
fiert� pour ne pas fermer sa porte � Arnold.

Pierre Raimond n'ignorait pas que son jeune ami trouvait Berthe
charmante, et qu'il admirait autant son talent d'artiste que la candeur
de son caract�re, que la gr�ce de son esprit.

Dans son orgueil paternel, loin de s'alarmer, Pierre Raimond se
r�jouissait de cette admiration. N'avait-il pas une confiance aveugle
dans les principes de Berthe? Ne devait-il pas la vie � Arnold? Comment
supposer que ce jeune homme au coeur noble, aux id�es g�n�reuses,
abuserait indignement des relations que la reconnaissance avait �tablies
entre lui et l'homme qu'il avait sauv�.

Aux yeux de Pierre Raimond, cela e�t �t� plus inf�me encore que de
d�shonorer la fille de son bienfaiteur.

Enfin, Arnold avait dit appartenir au peuple, et, dans l'exag�ration de
ses id�es absolues, Pierre Raimond lui accordait une confiance qu'il
n'e�t jamais accord�e au prince de Hansfeld.

Berthe, d'abord attir�e vers Arnold par la reconnaissance, avait peu �
peu subi l'influence de cet �tre bon et charmant. Il assistait souvent,
en pr�sence du vieux graveur, aux le�ons de musique de Berthe; il �tait
lui-m�me excellent musicien, et quelquefois Berthe l'�coutait avec
autant d'int�r�t que de plaisir parler savamment d'un art qu'elle
adorait, raconter la vie des grands compositeurs d'Allemagne, et lui
exposer, pour ainsi dire, la po�tique de leurs oeuvres et en faire
ressortir les innombrables beaut�s.

Que de douces heures ainsi pass�es entre Berthe, Arnold et Pierre
Raimond! Celui-ci ne savait pas la musique; mais son jeune ami lui
traduisait, lui expliquait pour ainsi dire la pens�e musicale des grands
ma�tres, l'analysant phrase par phrase, et faisant pour l'oeuvre de
Mozart, de Beethoven, de Gluck, ce qu'Hoffmann a si merveilleusement
fait pour _Don Juan_.

Berthe, profond�ment touch�e des soins d'Arnold pour Pierre Raimond,
leur attribuait � eux seuls la vive sympathie qui, chaque jour, la
rapprochait davantage du prince. Celui-ci �tait d'autant plus dangereux
qu'il �tait plus sinc�re et plus naturel; rien dans son langage, dans
ses mani�res, ne pouvait avertir madame de Br�vannes du p�ril qu'elle
courait.

La conduite d'Arnold �tait un aveu continuel, il n'avait pas besoin de
dire un mot d'amour; si par hasard il se trouvait seul avec Berthe, son
regard, son accent �taient les m�mes qu'en pr�sence du graveur. Celui-ci
rentrait-il, Arnold pouvait toujours finir la phrase qu'il avait
commenc�e.

Comment madame de Br�vannes se serait-elle d�fi�e de ces relations si
pures et si paisibles? Jamais Arnold ne lui avait dit: Je vous aime;
jamais elle n'avait un moment song� qu'elle p�t l'aimer, et d�j� ils
�taient tous deux sous le charme irr�sistible de l'amour.

Nous le r�p�tons, par un singulier hasard, ces trois personnes, sinc�res
dans leurs affections, sans d�fiance et sans arri�re-pens�e, s'aimaient:
Arnold aimait tendrement le vieillard et sa fille, ceux-ci lui rendaient
vivement cette affection; tous trois enfin se trouvaient si heureux, que
par une sorte d'instinct conservatif du bonheur, ils n'avaient jamais
song� � analyser leur f�licit�, ils en jouissaient sans regarder en-de��
ou au-del�.

La seule chose qui aurait pu peut-�tre �clairer Berthe sur le sentiment
auquel son coeur s'ouvrait de jour en jour, �tait l'esp�ce
d'indiff�rence avec laquelle elle supportait les duret�s de son mari;
elle s'�tonnait m�me vaguement de ressentir alors si peu des blessures
nagu�re si douloureuses....

Lorsque son p�re, profond�ment irrit� contre M. de Br�vannes, lui avait
s�rieusement, presque s�v�rement demand� compte des proc�d�s de M. de
Br�vannes, elle n'avait pas menti en r�pondant que depuis quelque temps
elle ne s'en tourmentait plus.

Le vieillard avait eu d'autant plus de foi aux paroles de Berthe, que
peu � peu elle redevenait calme, souriante, et que sa physionomie,
autrefois si triste, r�v�lait alors la plus douce qui�tude.

Peut-�tre bl�mera-t-on l'aveugle confiance de Pierre Raimond; cette
confiance aveugle �tait une des n�cessit�s de son caract�re.

Ces ant�c�dents pos�s, nous conduirons le lecteur dans le modeste r�duit
de Pierre Raimond, le lendemain du jour o� M. de Hansfeld avait signifi�
� sa femme qu'elle devait quitter Paris dans trois jours.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE IV.

INTIMIT�.


Un bon feu p�tillait dans l'�tre, au dehors la neige tombait et la bise
faisait rage; Pierre Raimond �tait assis d'un c�t� de la chemin�e,
Arnold de l'autre; depuis que le prince �tait amoureux, ses traits
reprenaient une apparence de force et de sant�, quoique son visage f�t
toujours un peu p�le.

Une grande discussion s'�tait �lev�e entre Pierre Raimond et Arnold, car
pour compl�ter le charme de leur intimit� ils diff�raient de mani�re de
voir sur quelques questions artistiques, entre autres sur la fa�on de
juger Michel-Ange.

Arnold, tout en rendant un juste hommage � l'immense g�nie du vieux
tailleur de marbre, ne ressentait pour ses productions aucune sympathie,
quoiqu'il compr�t l'admiration qu'elles inspiraient; le go�t d�licat et
pur d'Arnold, surtout �pris de la beaut� dans l'art, s'effrayait des
sombres et terribles �carts du fougueux Buonarotti, et leur pr�f�rait de
beaucoup la gr�ce divine de Rapha�l.

Pierre Raimond d�fendait _son vieux sculpteur_ avec �nergie, et il se
passionnait autant pour la fi�re ind�pendance du caract�re de
Michel-Ange que pour la gigantesque puissance de son talent.

--Votre tendre Rapha�l avait l'�me amollie d'un courtisan--disait le
vieillard � Arnold--tandis que le rude cr�ateur du Mo�se et de la
chapelle Sixtine avait l'�me r�publicaine; et il devait menacer, comme
il l'en a menac�, le pape Jules de le jeter en bas de son �chafaudage
s'il lui manquait de respect.

M. de Hansfeld ne put s'emp�cher de sourire de l'exaltation de Pierre
Raimond, et r�pondit:

--Je ne nie pas l'�nergie un peu farouche de Michel-Ange; il �tait,
malheureusement, d'un caract�re morose, fier, taciturne, ombrageux,
altier et difficile.

--Malheureusement!... Qu'entendez-vous par ce mot... malheureusement?

--J'entends qu'il �tait malheureux, pour les sinc�res admirateurs de ce
grand homme, de ne pouvoir nouer avec lui des relations agr�ables et
douces.

--Je l'esp�re bien.... Est-ce que vous le prenez pour un Rapha�l, pour
un homme banal comme votre h�ros? Car--ajouta le graveur avec un accent
de d�dain--il n'y avait personne au monde d'un caract�re plus facile,
plus insinuant, plus aimable que votre Rapha�l.

--Vous reconnaissez au moins ses qualit�s....

--Ses qualit�s!!! c'est justement � cause de ces _qualit�s_
insupportables que je le d�teste comme homme... quoique je le v�n�re
comme artiste.

--Et moi, mon cher monsieur Raimond, c'est justement � cause des d�fauts
du caract�re diabolique de Michel-Ange qu'il m'est antipathique, comme
homme, quoique je m'incline devant son g�nie.

--Votre admiration n'est pas naturelle; elle est forc�e... elle est
exag�r�e--s'�cria le graveur.

--Comment!--dit Arnold stup�fait--vous d�testez Rapha�l � cause de ses
qualit�s.... Moi, je n'aime pas Michel-Ange � cause de ses d�fauts...
et vous m'accusez d'exag�ration?

--Certainement... on n'est grand homme, on n'est Michel-Ange qu'�
certaines conditions. J'admire dans le lion jusqu'� ses instincts
sauvages et f�roces; il n'est lion qu'� condition d'�tre sauvage et
f�roce, il ne peut avoir les _vertus_ d'un _mouton_ comme votre Rapha�l.

--Mais au moins permettez-moi d'aimer dans Rapha�l ces vertus de
_mouton_, qui sont, si vous le voulez, les cons�quences de sa nature, de
son talent....

--A votre aise: admirez, si vous trouvez qu'un tel caract�re m�rite
l'admiration.... Quant � moi, physiquement parlant, je ne mets pas
seulement en balance la fade figure du beau, du c�leste Rapha�l, tout
couvert de velours et de broderies, avec le m�le visage de mon vieux
Buonarotti, sombre, farouche, h�l� par le soleil, et v�tu d'une
souquenille � moiti� cach�e par son tablier de cuir de tailleur de
pierre! Allons donc! est-ce que ces deux natures peuvent se comparer
seulement? Ah! ah! ah!... quel plaisant contraste!... Je vois d'ici...
le divin Rapha�l....

--Le divin Rapha�l aurait fl�chi le genou et respectueusement bais� la
puissante main du vieux Michel-Ange, son ma�tre et son a�eul dans
l'art--dit doucement Arnold en tendant la main � Pierre Raimond.

--Vous avez raison--reprit celui-ci en r�pondant avec effusion au
t�moignage de cordialit� de M. de Hansfeld.--Je suis un vieux fou...
aussi emport� qu'� vingt ans....

A ce moment Berthe entra.

Il e�t �t� difficile de peindre la ravissante expression de sa
physionomie en voyant son p�re et Arnold se serrer ainsi la main. Ses
yeux se remplirent de larmes de bonheur.

--Viens � mon secours, enfant--dit Pierre Raimond.--Je suis battu... ma
folle barbe grise est oblig�e de s'incliner devant cette v�n�rable
moustache blonde.... Il reste calme comme la raison, et je m'emporte...
comme si j'avais tort....

--Et le sujet de cette grave discussion?--dit Berthe en souriant et en
regardant alternativement Arnold et son p�re.

--Michel-Ange...--dit Pierre Raimond.

--Rapha�l...--dit Arnold.

--Comment, monsieur Arnold, vous ne pouvez pas c�der � mon p�re?

--Je voudrais bien voir qu'il me c�d�t sans discussion!... Je ne veux
pas qu'il c�de... mais qu'il soit convaincu....

--Quant � cela, monsieur Raimond... j'en doute... les convictions ne
s'imposent pas, et Rapha�l....

--Mais Michel-Ange....

--Allons--dit Berthe--pour vous mettre d'accord, je vais jouer l'air de
_Fidelio_, que M. Arnold aime tant... qu'il vous l'a aussi fait aimer,
mon p�re.

--Avouez, _don Rapha�l_--dit en riant le vieillard � Arnold--qu'elle a
plus de bon sens que nous.

--Je le crois, seigneur Michel-Ange; madame Berthe sait bien que quand
on l'�coute on ne songe gu�re � parler.

--Oh! monsieur Arnold, je ne suis pas dupe de vos flatteries.

--Pour le lui prouver, mon enfant, commence l'ouverture de Fidelio: tu
sais que c'est mon morceau de pr�dilection depuis que notre ami m'en a
fait comprendre les beaut�s.

Berthe commen�a de jouer cette oeuvre avec _amour_; la pr�sence d'Arnold
semblait donner une nouvelle puissance au talent de la jeune femme.

Au bout de quelques minutes, M. de Hansfeld parut compl�tement absorb�
dans une profonde et douloureuse m�ditation; quoiqu'il e�t plusieurs
fois entendu Berthe jouer ce morceau, jamais les tristes souvenirs qu'il
�veillait en lui n'avaient �t� plus p�niblement excit�s.

Berthe, qui de temps en temps cherchait le regard d'Arnold, fut effray�e
de sa p�leur croissante, et s'�cria:

--Monsieur Arnold... qu'avez-vous? mon Dieu!... comme vous �tes p�le!

--Votre main est glac�e, mon ami--dit Pierre Raimond, qui �tait assis �
c�t� de M. de Hansfeld.

--Je n'ai rien... rien--r�pondit celui-ci;--je suis d'une faiblesse
ridicule.... Certains airs sont pour moi... de v�ritables dates... et
plusieurs motifs de _Fidelio_... se rattachent � un pass� bien
triste....

--J'avais pourtant d�j� jou� ce morceau--dit Berthe en quittant le piano
et en venant s'asseoir � c�t� de son p�re.

--Sans doute.... J'�tais alors tout au plaisir d'entendre votre
ex�cution. Mais � cette heure, je ne sais pourquoi.... Oh! pardon...
pardon de ne pouvoir vaincre mon �motion....

Et M. de Hansfeld cacha son visage entre ses mains.

Berthe et le vieillard se regard�rent tristement, partageant le chagrin
de leur ami sans le comprendre.

Apr�s quelques moments de silence, Arnold releva la t�te. Il est
impossible de rendre l'expression de tristesse navrante dont son p�le et
doux visage �tait empreint. Une larme vint aux yeux de Berthe; par un
mouvement d'ing�nuit� charmante, elle prit la main de son p�re pour
l'essuyer.

--Vous souffrez--dit le vieillard � Arnold.--Que notre amiti� n'est-elle
plus ancienne! vous pourriez peut-�tre apaiser vos chagrins en les
�panchant....

--Oh! bien souvent j'y ai pens�... mais la honte m'a retenu--dit Arnold
avec une sorte d'accablement.

--La honte! s'�cria Raimond avec surprise.

--Ne vous m�prenez pas sur ce mot... mon ami--dit Arnold;--Dieu merci!
je n'ai rien fait dont j'aie � rougir.... Seulement, j'ai honte de ma
faiblesse... j'ai honte d'�tre encore si sensible � des souvenirs qui
devraient �tre aussi m�pris�s qu'oubli�s.

--Ne craignez rien; nous vous comprendrons... nous vous plaindrons. Ma
pauvre enfant a souvent aussi bien pleur� ici � propos de souvenirs qui,
comme les v�tres, devraient �tre aussi m�pris�s qu'oubli�s.

--Mon p�re!

--Tenez.... Arnold--dit le graveur--si je d�sire votre confiance, c'est
que nous aussi nous aurions peut-�tre de tristes aveux � vous faire....

--Vous aussi, vous avez �t� malheureux?--dit Arnold.

--Bien malheureux--r�pondit le vieillard;--mais, Dieu merci! ces mauvais
jours sont, je crois, pass�s. Il me semble que vous nous avez port�
bonheur. Non seulement vous m'avez sauv� la vie, mais, cette vie, vous
me l'avez rendue charmante. Oui, depuis bien longtemps je n'avais
rencontr� personne dont l'esprit e�t autant de rapports avec le mien. Je
ne sais quelle est l'influence de votre heureuse �toile; mais, depuis
que nous vous connaissons, ma pauvre Berthe elle-m�me est moins
triste... ses chagrins domestiques semblent adoucis.... Vous avez enfin
�t� pour nous l'heureux augure d'une vie douce et calme.

--Oh! ce que vous dit mon p�re est bien vrai, monsieur Arnold--dit
Berthe.--Si vous saviez combien il vous aime! et lorsque je suis seule
avec lui en quels termes il parle de vous!

--C'est vrai--dit le vieillard.--Si vous nous entendiez, vous verriez
que vous n'avez pas d'amis plus sinc�res.... Berthe vous est si
reconnaissante de ce que vous m'avez sauv� la vie, qu'apr�s moi vous
�tes ce qu'elle aime le plus au monde.

--Oh! oui... pauvre p�re--dit Berthe en embrassant le vieillard.

M. de Hansfeld �coutait Pierre Raimond avec une v�n�ration profonde. Ce
langage franc et loyal �tait aussi nouveau que flatteur pour lui. Ne
fallait-il pas qu'il inspir�t une bien noble confiance � Pierre Raimond
pour que celui-ci ne craign�t pas de lui parler ainsi devant sa fille!

Berthe elle-m�me, loin de se montrer confuse, embarrass�e, semblait
confirmer ce que disait son p�re; son front rayonnait de candeur et de
s�r�nit�.

En pr�sence de cette noble franchise, M. de Hansfeld rougit de sa
dissimulation; il fut sur le point d'apprendre � Pierre Raimond son
v�ritable nom; mais il redouta l'indignation que cet aveu tardif
exciterait peut-�tre chez le vieux graveur, dont il connaissait
d'ailleurs les pr�ventions anti-aristocratiques; il trouva donc une
sorte de _mezzo termine_ dans la demi-confidence qu'il fit � Berthe et �
son p�re.

Apr�s quelques moments de silence, il dit � Pierre Raimond:

--Vous avez raison, mon ami... vous m'avez donn� l'exemple de la
confiance... je vous imiterai.... Peut-�tre vous inspirerai-je un peu
d'int�r�t par quelques rapports entre ma position et celle de votre
fille... car vous m'avez dit que son mariage n'�tait pas heureux... et
c'est aussi � mon mariage que j'ai d� d'atroces chagrins.

--Vous �tes mari�?... si jeune--dit Raimond avec �tonnement.

--Depuis deux ans.

--Et votre femme...--dit Berthe.

--Elle est en Allemagne--r�pondit M. de Hansfeld apr�s un moment
d'h�sitation.

--Et quelques passages de l'ouverture de _Fidelio_ que jouait Berthe
vous ont sans doute rappel� de douloureux souvenirs?

--H�las! oui. Lorsque j'ai connu la femme que j'ai �pous�e, j'�tais dans
tout le feu de ma premi�re admiration pour cet op�ra de Beethoven....
J'ai toujours eu l'habitude d'attacher mes pens�es du moment � certains
passages de la musique que j'aime... pens�es qui, pour moi, deviennent
pour ainsi dire les paroles des airs que j'affectionne le plus; eh bien!
l'op�ra de _Fidelio_ me rappelle ainsi toutes les phases d'un amour
malheureux.

--Ah! maintenant je comprends votre �motion--dit Berthe en secouant la
t�te avec tristesse.

--Voyons, mon ami--dit cordialement Pierre Raimond--jamais vous ne
parlerez � des coeurs plus sympathiques.

Et M. de Hansfeld raconta ainsi qu'il suit l'histoire de son mariage
avec Paula Monti; histoire vraie en tous points, sauf la substitution du
nom d'Arnold Schneider � celui de Hansfeld.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE V.

R�CIT.


--Orphelin presque en naissant--dit le prince--j'ai �t� �lev� par un
vieux serviteur de ma famille. Nous habitions un village retir�, nous y
vivions dans une compl�te solitude. Le pasteur �tait peintre et
musicien; il reconnut en moi quelques dispositions pour ces arts
auxquels je consacrais tout mon temps.

Ces premi�res ann�es de ma vie furent paisibles et heureuses. J'aimais
le vieux Frantz comme un p�re; il avait pour moi les soins les plus
tendres; il me reprochait seulement de fuir les exercices violents, de
ne sortir de mon cabinet d'�tudes que pour quelques rares promenades
dans nos belles montagnes. Je n'avais aucun des go�ts de mon �ge;
j'�tais s�rieux, taciturne, m�lancolique; la musique me causait des
ravissements presque extatiques, auxquels je m'abandonnais avec
d�lices.... A dix-huit ans j'entrepris avec mon vieux serviteur un
voyage en Italie. Pendant deux ans j'�tudiai les chefs-d'oeuvre des
grands ma�tres dans les diff�rentes villes o� je m'arr�tai, voyant peu
de monde et me trouvant heureux de ma vie indolente, r�veuse et
contemplative.... J'arrivai � Venise; mon culte pour les arts avait
jusqu'alors rempli ma vie, l'admiration passionn�e qu'ils m'inspiraient
suffisait � occuper mon coeur.... A Venise, le hasard me fit rencontrer
une femme dont l'influence devait m'�tre funeste. Cette femme, que j'ai
�pous�e, se nommait Paula Monti....

--Elle �tait belle?--demanda Berthe.

--Tr�s belle... mais d'une beaut� sombre.... �trange contraste! j'ai
toujours �t� faible et timide, je me suis �pris d'une femme au caract�re
�nergique et viril.... C'�tait mon premier amour.... Sans doute j'ob�is
plus � l'instinct, au besoin d'aimer, qu'� un sentiment r�fl�chi, et je
devins passionn�ment amoureux de Paula Monti; elle accueillit mes soins
avec indiff�rence; je ne me rebutai pas; elle me semblait tr�s
malheureuse. J'eus quelque espoir, je redoublai d'assiduit�s, et je
demandai formellement sa main � sa tante. J'�tais riche alors, ce
mariage lui parut inesp�r�; elle y consentit. J'eus avec Paula une
entrevue d�cisive.... Je dois le dire, elle m'avoua qu'elle avait
ardemment aim� un homme qui devait �tre son mari; et quoique cet homme
f�t mort, son souvenir vivait encore si pr�sent et si cher � sa pens�e,
qu'il l'absorbait tout enti�re, et que mon amour lui �tait indiff�rent.
Cet aveu me fit mal; mais je vis dans la franchise de Paula une garantie
pour l'avenir; je ne d�sesp�rai pas de vaincre, � force de soins, la
froideur qu'elle me t�moignait.... Elle ne me cacha pas que, sans
l'incessante influence d'un pass� qu'elle regrettait am�rement, elle
aurait peut-�tre pu m'aimer.

Alors je me laissai bercer des plus folles esp�rances; ma passion �tait
vraie.... Paula Monti en fut touch�e; mais sa d�licatesse s'effrayait
encore de la disproportion de nos fortunes. La perte d'un proc�s venait
de compl�tement ruiner sa famille. Je surmontai ses scrupules; elle me
promit sa main... mais en me r�p�tant encore qu'elle ne pouvait m'offrir
qu'une affection presque fraternelle.

Cependant cette froide union fut pour moi un bonheur immense. D'abord
mes esp�rances s'accrurent, � part quelques moments de profonde
tristesse, le caract�re de Paula �tait m�lancolique, mais �gal,
quelquefois m�me affectueux. D�j� j'entrevoyais un avenir plus heureux,
lorsqu'un jour.... Oh! non, non, jamais... je n'aurai la force de
continuer--reprit le prince en cachant sa figure entre ses mains.

Berthe et son p�re se regard�rent en silence, n'osant pas demander �
Arnold la suite d'un r�cit qui lui semblait si p�nible. Pourtant il
poursuivit:

--Pourquoi cacherais-je ses crimes? Mon indulgence n'a-t-elle pas �t�
une faiblesse coupable? Je dois en porter la peine. Nous �tions all�s
passer l'�t� � Trieste. Depuis plusieurs jours, Paula se montrait d'une
humeur sombre, irritable; je la voyais � peine. Lors de ces acc�s de
noire tristesse, elle ne voulait aupr�s d'elle qu'une jeune boh�mienne
qu'elle avait recueillie par charit�. Cette pauvre enfant �tait, par
reconnaissance, tendrement d�vou�e � ma femme.

Pour l'intelligence du r�cit qui va suivre--continua le prince--il me
faut entrer dans quelques particularit�s minutieuses. Au bout du jardin
de notre maison de Trieste �tait un pavillon o� nous allions prendre le
th� presque chaque soir. Un soir Paula m'avait � grand'peine promis d'y
venir passer une heure.... J'esp�rais ainsi la distraire de ses tristes
pens�es.

Jamais je n'oublierai l'expression morne et d�sol�e de sa physionomie
pendant cette soir�e; elle accueillit presque avec col�re et d�dain
quelques mots de tendresse que je lui adressais.

Douloureusement bless� de sa duret�, je sortis du pavillon.

Apr�s quelques tours de jardin, je me calmai peu � peu, me rappelant que
Paula m'avait pr�venu qu'elle �tait encore quelquefois sous le coup de
souvenirs p�nibles. Je rentrai dans le pavillon. Elle n'y �tait plus. On
avait servi le th� pendant mon absence, je trouvai pr�par�e la tasse de
lait sucr� que je prenais chaque soir; je sus gr� � Paula de cette
attention dont pourtant je ne profitai pas.... J'avais un �pagneul que
j'affectionnais beaucoup.... Machinalement je lui pr�sentai la tasse que
Paula m'avait appr�t�e; il la but avidement, et presque aussit�t le
malheureux animal tomba par terre, trembla convulsivement, et mourut
apr�s quelques minutes d'agonie....

--Oh! je comprends... mais cela est horrible...--s'�cria Pierre Raimond.

Berthe regarda son p�re avec surprise.

--Qu'y a-t-il donc, mon p�re?...--dit-elle;--puis, �clair�e par un
moment de r�flexion, elle ajouta avec horreur:--Oh! non, non, c'est
impossible... monsieur Arnold... c'est impossible! une femme est
incapable d'un crime si affreux.

--N'est-ce pas?--reprit Arnold avec amertume.--Apr�s quelques
r�flexions, j'ai dit comme vous... c'est impossible... j'ai attribu� au
hasard ce fait effrayant, je me suis m�me cruellement reproch� d'avoir
pu un moment soup�onner Paula.

--Et lorsque vous rev�tes votre femme--dit Pierre Raimond--quel fut son
accueil?

--Il fut calme, confiant; et si j'avais alors conserv� quelques doutes,
ils eussent �t� � l'instant dissip�s: le soir j'avais laiss� Paula
sombre, presque courrouc�e; le lendemain je la trouvai tranquille,
affectueuse et bonne... elle me tendit la main en me demandant pardon de
m'avoir si brusquement quitt� la veille....

--C'est d'une inconcevable hypocrisie...--dit Pierre Raimond.

--Oh! non, non, elle n'�tait pas coupable, son calme le prouve--dit
Berthe.

--Je pensais comme vous--reprit M. de Hansfeld;--il y avait tant de
sinc�rit� dans son accent, dans son regard; ses paroles �taient si
naturelles, qu'accabl� de remords, de honte, je tombai � ses pieds en
fondant en larmes et en lui demandant pardon.... Elle me regarda d'un
air surpris. Je n'osai m'expliquer davantage. Innocente, mon soup�on
�tait un abominable outrage. Je lui r�pondis que je craignais de l'avoir
contrari�e la veille.... Elle me crut, et cette sc�ne n'eut pas d'autre
suite.

Comment vous expliquer ce qui se passa en moi depuis ce jour.... Mon fol
amour pour Paula augmenta pour ainsi dire en raison des torts que je me
reprochais envers elle; je ne pouvais me pardonner d'avoir os� accuser
une femme qui m'avait donn� tant de preuves de franchise.

--En effet--dit Berthe--lorsque vous avez demand� sa main, pourquoi vous
aurait-elle dit que son coeur n'�tait pas libre, au risque de manquer un
mariage si avantageux pour elle?... Non, non; elle �tait innocente de
cet horrible crime.

--Et vous n'aviez pas d'ennemis?--dit Pierre Raimond.

--Aucun, que je sache....

--Mais comment vous �tes-vous expliqu� la mort subite, convulsive, de
cet �pagneul, mort dans laquelle se retrouvaient tous les sympt�mes
d'un empoisonnement?

--Je parvins � m'�tourdir sur ce fait inexplicable, � emp�cher pour
ainsi dire ma pens�e de s'y arr�ter, tant je voulais croire �
l'innocence de Paula. J'expiais douloureusement cet atroce soup�on;
vingt fois je fus sur le point de lui tout avouer; mais je n'osais pas:
son affection pour moi �tait d�j� si ti�de, si incertaine... un tel aveu
me l'e�t � jamais ali�n�e. Pourtant... pour mon repos, j'aurais d� tout
lui dire, car elle commen�a de trouver quelques-unes de mes paroles
�tranges; mes r�ticences involontaires lui sembl�rent incoh�rentes;
quelquefois, profond�ment touch� d'un mot ou d'une attention tendre de
sa part, je m'�criais dans une sorte d'�garement:

--Oh! je suis bien coupable... pardonnez-moi... j'ai eu tort....

Elle me demandait la signification de ces mots; je revenais � moi, et au
lieu de m'expliquer, je lui r�it�rais les protestations les plus
passionn�es.... H�las! bient�t la p�le affection que j'en avais obtenue
par tant de soins, avec tant de peine, fit place � une nouvelle
froideur.... Elle me regardait quelquefois d'un air inquiet et
craintif... ses acc�s d'humeur sombre redoubl�rent... alors aussi... les
soup�ons que j'avais d'abord si �nergiquement repouss�s revinrent � ma
pens�e; puis je les chassais de nouveau; quelquefois j'examinais malgr�
moi avec d�fiance les mets qu'on me servait; puis, rougissant de cette
crainte si insultante pour Paula, je quittais brusquement la table....

Dans cette lutte sourde et concentr�e, ma sant� s'alt�ra, mon caract�re
s'aigrit; Paula me t�moigna un �loignement de plus en plus prononc�.

--Quelle vie... mon Dieu, quelle vie!--s'�cria Berthe en essuyant ses
yeux humides.

--H�las! dit M. de Hansfeld, cela n'�tait rien encore. Nous quitt�mes
Trieste � la fin de l'automne; ma femme voulait aller passer l'hiver �
Gen�ve, puis venir ensuite en France; surpris par un orage violent, nous
nous arr�t�mes � quelques lieues de Trieste, dans une mis�rable auberge
� la tomb�e de la nuit. La temp�te redoubla de fureur, un torrent que
nous devions traverser �tait d�bord�; il fallut nous r�signer � passer
la nuit dans cette demeure. L'endroit �tait d�sert. Il me sembla que le
ma�tre de l'auberge avait une figure sinistre. Je proposai � ma femme de
veiller le plus tard possible, et de sommeiller ensuite sur une chaise,
afin de pouvoir partir avant le jour, d�s que les chemins seraient
praticables. Notre suite se composait de deux domestiques � moi et de la
jeune fille qui accompagnait Paula. J'avais pour cette enfant toutes les
bont�s possibles, je savais en cela plaire � ma femme; d'ailleurs, Iris
(c'est le nom de cette boh�mienne) m'�tait presque aussi d�vou�e qu'� sa
ma�tresse. Nous occupions pendant cette nuit fatale... oh! bien
fatale... une petite chambre dont l'unique porte ouvrait sur un cabinet
o� se trouvait Frantz, mon vieux serviteur.... Paula ne pouvait cacher
son effroi; le vent semblait �branler la maison jusque dans ses
fondements; nous veill�mes tous deux assez tard. Seuls dans cette
chambre, je m'�tais assis sur un mauvais grabat, pendant que ma femme
reposait dans un fauteuil. Je succombai au sommeil, malgr� tous mes
efforts.

J'ignore depuis combien de temps je dormais, lorsque je fus brusquement
�veill� par une douleur aigu� � la partie interne du bras gauche.
L'obscurit� la plus profonde r�gnait dans cette pi�ce. Mon premier soin
fut de saisir la main que je sentais peser sur moi.... Cette main fr�le
et d�licate tenait un stylet tr�s aigu....

--Mon Dieu!--s'�cria Berthe �pouvant�e en joignant les mains.

--Encore... une tentative... mais cela est effroyable--dit Pierre
Raimond.

Arnold continua:

--Gr�ce � l'obscurit�, on avait enfonc� le stylet entre mon corps et mon
bras gauche, �troitement serr� contre moi. A la l�g�re r�sistance que
rencontra la lame en glissant dans cet �troit intervalle, on dut croire
qu'elle p�n�trait dans ma poitrine. Cette erreur me sauva; j'en fus
quitte pour une l�g�re blessure au bras.

--Quel bonheur!--dit Berthe.

--Je vous l'ai dit, mon premier mouvement en m'�veillant fut de saisir
la main que je sentais peser sur moi; tout-�-coup cette main devint
glac�e; j'�tendis l'autre bras, je touchai une robe de femme.... Je
sentis un parfum l�ger, mais p�n�trant, dont se servait habituellement
Paula.... Une �pouvantable id�e me traversa l'esprit.... Je me rappelai
le poison de Trieste.... Je n'eus plus aucun doute.... Cette r�v�lation
fut si foudroyante, que je ne sais ce qui se passa en moi; ma raison
s'�gara; pendant quelques secondes, je me crus le jouet d'un horrible
songe.... Durant cet instant de vertige, la main que je tenais s'�chappa
sans doute.... Quand je revins � moi, j'�tais seul, toujours dans les
t�n�bres:--Frantz.... Frantz... m'�criai-je en frappant � la cloison qui
s�parait ma chambre du cabinet o� �tait mon domestique. Frantz ne
dormait pas; en une minute il entra tenant une lampe � la main.

--Et votre femme?--s'�cria Berthe.

--Figurez-vous ma surprise... ma stupeur... c'�tait � douter de ma
raison; Paula �tait profond�ment endormie dans un fauteuil aupr�s de la
chemin�e.

--Elle feignait de dormir...--s'�cria Pierre Raimond.

--Je vous dis que c'�tait � devenir fou; elle dormait, ou plut�t elle
simulait si parfaitement un profond et paisible sommeil, que sa
respiration douce, r�guli�re, n'�tait pas m�me acc�l�r�e par la terrible
�motion qu'elle devait ressentir; sa figure �tait calme; sa bouche
l�g�rement entr'ouverte; son teint faiblement color� par la chaleur du
sommeil; et sa physionomie, ordinairement s�rieuse, �tait presque
souriante.

--Mais cela est � peine croyable--s'�cria Pierre Raimond;--comment!
votre femme dormait paisiblement apr�s une pareille tentative?

--Son sommeil �tait, vous dis-je, d'une s�r�nit� si profonde, que je ne
pouvais non plus en croire mes yeux. Debout, p�le, immobile, je la
contemplais d'un air hagard.

--Et il n'y avait pas d'autre femme que la v�tre dans cette
auberge?--demanda Berthe.

--Il n'y avait qu'elle.

--Et cette jeune fille, cette boh�mienne?--dit Pierre Raimond.

--Elle �tait couch�e dans une pi�ce qui donnait sur la chambre o�
veillait Frantz; il ne dormait pas, il avait de la lumi�re, il �tait
impossible d'entrer chez nous sans qu'il le v�t.

--Il faut donc le croire... cette fois, c'�tait bien elle,--dit
Berthe.--Un tel crime est-il possible, mon Dieu!

--Une dissimulation pareille m'�pouvante encore plus que le crime--dit
Pierre Raimond.

--Une derni�re preuve d'ailleurs ne me laissait presque aucun doute--dit
Arnold.--Sur le plancher, aux pieds de ma femme, je reconnus une dague
florentine, arme pr�cieuse, cisel�e par Benvenuto Cellini, qui avait
�t�, je crois, l�gu�e � Paula par son p�re.

--D�s lors vous n'avez plus gard� aucun m�nagement!--s'�cria le
graveur;--et c'est ensuite de ce nouveau crime que vous avez rel�gu�
cette inf�me en Allemagne.

--Si j'h�sitais � vous raconter cette horrible histoire, mon ami--reprit
le prince d'un air confus--c'est que j'avais la conscience de ma
faiblesse, ou plut�t de l'inexplicable influence que Paula conservait
sur moi....

--Comment! apr�s cette nouvelle tentative....

--Oh! si vous saviez ce qu'il y a d'affreux dans le doute....

--Mais ce coup de poignard?--dit Pierre Raimond.

--Mais ce sommeil si profond? mais ce r�veil si doux, si paisible?

--Lorsqu'elle vous vit bless�, que dit-elle?--s'�cria Berthe.

--Vous peindre son angoisse, sa stupeur, ses soins empress�s, me serait
impossible. De l'air du monde le plus naturel, elle s'�cria qu'il
fallait faire partout des perquisitions. Elle avait aussi remarqu� la
veille la sinistre physionomie du ma�tre de cette auberge; comme moi
elle s'�puisait en vaines conjectures. Frantz affirmait n'avoir vu
passer personne, et qu'on avait d� s'introduire par une fen�tre qui
s'ouvrait sur un balcon; mais cette fen�tre se trouva parfaitement
ferm�e. L'accent de Paula fut si naturel, que mon vieux serviteur, qui
ne l'aimait pas, qui avait vu mon mariage avec peine, n'eut pas un
instant la pens�e d'accuser ma femme.

--Mais cette petite main fr�le que vous avez saisie?... mais cette
senteur de parfum particuli�re � votre femme?--s'�cria Pierre Raimond.

--Je vous le r�p�te... ma raison s'�garait dans ce d�dale de
contradictions singuli�res. Paula, aid�e de Frantz, voulut elle-m�me
panser ma blessure; rien dans ses mani�res, dans son langage, n'�tait
affect�.

--Commettre un tel crime et faire montre de tant d'hypocrisie... c'�tait
l� le comble de la sc�l�ratesse--dit le graveur.

--Sans doute, et la monstruosit� m�me d'un tel caract�re �veillait
encore mes doutes, malgr� l'�vidence. Pour comble de fatalit�, Paula,
soit int�r�t, soit piti�, soit calcul, ne s'�tait jamais montr�e plus
affectueuse, je dirais presque plus tendre, qu'en me prodiguant les
premiers soins apr�s cet accident.

--Ruse, ruse infernale!--s'�cria Pierre Raimond.

--C'�tait peut-�tre le remords de son crime--dit Berthe.

--Mon malheur voulut que j'h�sitasse tour � tour entre ces convictions
si diverses.... Il e�t �t� moins funeste pour moi de croire Paula
tout-�-fait coupable ou tout-�-fait innocente; mais au contraire... par
une inconcevable mobilit� d'impressions, je passais tour � tour envers
elle de l'amour passionn� � des acc�s de haine et d'horreur; mes
angoisses de Trieste n'�taient rien aupr�s des tortures que j'endurais
alors.... Une t�te plus faible que la mienne n'e�t pas r�sist� � ces
secousses. Quelquefois, apr�s avoir t�moign� � ma femme, par quelques
paroles incoh�rentes, la terreur qu'elle m'inspirait, r�fl�chissant que,
malgr� d'effrayantes apparences, je n'avais pas de certitude r�elle et
que je me trompais peut-�tre, je poussais des sanglots d�chirants en lui
demandant pardon. Elle finit par croire ma raison �gar�e.... Que vous
dirai-je... je trouvai d'abord une satisfaction am�re � laisser prendre
quelque consistance � ce bruit, puis � l'augmenter et � l'accr�diter par
des bizarreries calcul�es. Le monde m'�tait odieux, je voulais ainsi
�chapper � ses exigences. Ce n'�tait pas tout: d�s qu'on me crut sujet �
des moments de folie, je pus, � l'abri de ce pr�texte, me livrer sans
scrupule � mes acc�s de m�fiance, sans que mes pr�cautions, ainsi
attribu�es � un d�rangement d'esprit, pussent compromettre ou accuser ma
femme. Tant�t, croyant ma vie menac�e, je m'enfermais seul pendant des
journ�es enti�res, ne mangeant que du pain et des fruits que mon fid�le
Frantz allait m'acheter lui-m�me; et encore souvent, dans ma terreur
insens�e, je n'osais pas m�me toucher � ces aliments.... D'autres fois,
rougissant de mon effroi, convaincu de l'innocence de Paula, je revenais
� elle avec un repentir d�chirant; mais son accueil �tait glacial,
m�prisant.

--Pauvre Arnold!--dit Pierre Raimond avec �motion.--Sans doute vous �tes
faible; mais cette faiblesse m�me d�rivait d'une noble source... vous
craigniez d'accuser injustement Paula. En effet, c'est quelque chose
d'effrayant que de dire � quelqu'un, et cela sans preuves certaines:
Vous �tes homicide... vous avez voulu deux fois m'assassiner....

--N'est-ce pas? surtout lorsqu'il s'agit d'adresser ces foudroyantes
paroles � une femme que l'on a passionn�ment aim�e, surtout lorsqu'�
c�t� de preuves mat�rielles presque irr�cusables, il est pour ainsi dire
d'autres preuves morales toutes contraires; lorsqu'enfin quelquefois une
voix secr�te, une r�v�lation occulte, vous dit avec une irr�sistible
autorit�: Non, cette femme n'est pas coupable.... Oh! je vous l'assure,
c'�tait un enfer... un enfer....

--Maintenant--dit Berthe--je con�ois que vous ayez feint d'�tre insens�.

--Mais--dit Pierre Raimond--une derni�re tentative ne vous a laiss�
aucun doute....

--Aucun cette fois.... Le crime me parut av�r�... ou plut�t, comme mon
amour s'�tait us� et �teint dans ces luttes, dans ces angoisses
continuelles, j'ai eu cette fois plus de courage que je n'en avais eu
jusque-l�.

--Vous ne l'aimez plus, enfin?--dit Berthe.

--Non, car, en admettent m�me que j'eusse �t� aussi insens� que je le
paraissais, je m�ritais au moins quelque piti�, quelque int�r�t... et ma
femme ne m'en t�moignait aucun. Profitant de la solitude o� je vivais
(nous habitions alors une grande ville), elle courait les f�tes et
s'informait � peine de moi. Cette duret� de coeur me r�volta.... Ou ma
femme �tait coupable, et ma g�n�rosit� � son �gard aurait d� toucher
l'�me la plus perverse, ou elle �tait innocente, alors les acc�s de
douleur auxquels je me livrais apr�s l'avoir vaguement accus�e auraient
d� l'�mouvoir.

--Mais pourquoi n'avez-vous jamais, avec elle, abord� franchement cette
question? Pourquoi n'avoir jamais nettement formul� vos reproches?--dit
Pierre Raimond.

--Songez-y; il me fallait lui dire:--Je vous soup�onne, je vous accuse
d'avoir voulu m'assassiner deux fois.... Ne pouvais-je pas me tromper?

--En effet, cette position �tait affreuse--dit. Berthe. Et le dernier
trait qui a amen� votre s�paration, quel est-il?

--Il y a tr�s peu de temps de cela--dit M. de Hansfeld en baissant les
yeux.--J'occupais avec ma femme une maison isol�e: je ne sais pourquoi
mes soup�ons �taient revenus avec une nouvelle violence; je sortais
rarement de mon appartement. Quelquefois pourtant, le soir, je montais �
un petit belv�d�re situ� au fa�te de notre demeure; c'�tait une esp�ce
de terrasse tr�s �lev�e, entour�e d'une l�g�re grille � hauteur d'appui,
sur laquelle je m'accoudais ordinairement pour regarder au loin les
tristes horizons que pr�sente une grande ville pendant la nuit; je
passais l� quelquefois de longues heures dans une r�verie profonde. Un
soir, la Providence voulut qu'au lieu de m'accouder et de me pencher
comme d'habitude sur la balustrade... j'y posai la main.... A peine
l'eus-je touch�e que, � mon grand effroi, elle c�da et tomba avec un
fracas horrible....

--Ciel!--s'�cria Berthe.

--La hauteur �tait si grande que cette grille de fer fut bris�e en
morceaux en tombant sur le pav�.

--Quelle atroce combinaison!--dit Pierre Raimond en levant les mains au
ciel.

--Ma mort �tait in�vitable si je me fusse appuy� sur cette rampe.... Qui
pouvais-je accuser, si ce n'est Paula? Personne n'avait d'int�r�t � ma
mort. Ignorant qu'une faillite m'avait enlev� presque toute ma fortune,
elle se souvenait sans doute que dans des temps plus heureux je lui
avais fait donation de mes biens. Cette id�e ne m'�tait jamais venue
tant qu'avait dur� mon amour.... Il m'a toujours sembl� impossible de
soup�onner d'une infamie les gens que j'aime.... J'aurais pu, � la
rigueur, croire ma femme capable d'ob�ir � un mouvement de haine
insens�e, mais non d'agir par un calcul si l�che et si odieux; pourtant,
une fois mon amour �teint, en pr�sence de ce nouveau pi�ge si meurtrier,
je ne reculai devant aucune supposition. Seulement, pour �viter de
tristes scandales, je me contentai de d�clarer � Paula qu'elle
quitterait � l'instant la ville que nous habitions, que je ne la
reverrais jamais, et que j'�tais assez indulgent, ou plut�t assez faible
pour la livrer � ses seuls remords.... Que vous dirai-je de plus! �
quoi bon vous indigner en vous parlant de l'audace avec laquelle cette
femme brava mes reproches, de l'horrible hypocrisie avec laquelle elle
affecta de les attribuer � l'�garement de ma raison. Tant de cynisme et
d'effronterie me r�volta... je la quittai.... De ce moment ma vie fut
bien triste... mais au moins j'�tais d�livr� d'une horrible
appr�hension.

Quelque temps apr�s je vous rencontrai--ajouta M. de Hansfeld en tendant
la main � Pierre Raimond.--Tout � l'heure vous parliez d'heureuse
�toile.... Vous aviez raison, la mienne m'a fait me trouver sur votre
chemin... avant d'avoir eu le bonheur de vous sauver la vie, j'�tais
seul, abattu et sous le coup de bien amers souvenirs; tout a chang� pour
moi, j'ai trouv� en vous un ami; mes chagrins sont pass�s, et si je
pouvais compter sur la dur�e de nos relations, je n'aurais �t� de ma vie
plus heureux....

--Et pourquoi, mon ami, ces relations vous manqueraient-elles jamais? Le
charme du commerce des honn�tes gens est dans sa s�ret�: qui pourrait
alt�rer notre amiti�? N'est-elle pas bas�e sur des services rendus, sur
des services r�ciproques? N'est-elle pas �galement ch�re � ma fille, �
vous, � moi?... Et puis enfin les tristes motifs qui nous font trouver
dans cette intimit� si douce une sorte de refuge contre des pens�es
cruelles, ces motifs existeront toujours: pour vous, ce sont les crimes
de votre femme; pour Berthe, la cruelle conduite de son mari; pour moi,
le ressentiment des chagrins de mon enfant....

--Vous avez raison, nous n'avons pas le droit de douter de l'avenir.

--Mon Dieu! que vous avez d� souffrir, monsieur Arnold--dit tristement
Berthe.

--Si vous avez t�moign� quelque faiblesse--dit Pierre Raimond--votre
conduite a �t� admirable de mansu�tude.... C'est le propre d'une �me
pleine de d�licatesse et d'�l�vation que de s'imposer les cruelles
tortures du doute plut�t que de risquer un reproche... terrible... bien
terrible... si contre toute probabilit� votre femme e�t �t�
innocente.... Ce long r�cit de vos infortunes me donne de nouvelles
preuves de la bont� de votre coeur; et comme on a toujours les d�fauts
de ses qualit�s, je trouve m�me dans l'esp�ce de faiblesse qu'on
pourrait vous reprocher une preuve de d�licatesse exquise.

--Vous �tes trop indulgent, mon ami....

--Je suis juste... et aussi peu flatteur que Michel-Ange.... Est-ce bien
cela--ajouta le vieillard en riant.

--Voici l'heure de mes le�ons--dit Berthe;--cette triste confidence
finit � temps; j'en suis tout attrist�e. Ah! monsieur Arnold, quelles
souffrances!... Il vous faudra bien du bonheur pour les oublier....

A ce moment deux �coli�res de Berthe arriv�rent et rompirent la
conversation.

M. de Hansfeld quitta Pierre Raimond et sa fille, un peu soulag� par
l'aveu qu'il venait de leur faire, mais regrettant encore l'incognito
qu'il gardait envers eux.

D�sirant avant tout �loigner sa femme, qu'il voulait faire partir le
lendemain, M. de Hansfeld revint � l'h�tel Lambert.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE VI.

MENACES.


Madame de Hansfeld se trouvait dans une cruelle perplexit�: son mari
exigeait d'elle qu'elle part�t le lendemain pour l'Allemagne; il lui
fallait ainsi renoncer � M. de Morville, n�cessairement retenu � Paris
par la sant� chancelante de sa m�re.

L'�loignement de Paula pour le prince se changeait en aversion, en haine
profonde; elle croyait ce sentiment presque excus� par les bizarreries
et par les duret�s de son mari. Le dernier coup qu'il lui portait �tait
surtout affreux; la forcer de quitter Paris au moment m�me o� sa passion
pour M. de Morville, si longtemps cach�e, si longtemps combattue,
allait �tre aussi heureuse qu'elle pouvait l'�tre.

Iris, en r�v�lant � sa ma�tresse que le prince se rendait souvent chez
Pierre Raimond, sous un nom suppos�, pour y rencontrer madame de
Br�vannes, avait excit� la col�re de Paula contre Berthe; c'�tait sans
doute pour garder plus facilement un incognito qui favorisait son amour
que le prince exigeait le d�part de madame de Hansfeld.

Apr�s de m�res r�flexions, Paula crut entrevoir quelque chance de salut
dans la passion m�me de son mari pour madame de Br�vannes.

Malgr� l'ordre du prince, madame de Hansfeld n'avait annonc� son d�part
� personne, et ne se pr�parait nullement � ce voyage, esp�rant que
peut-�tre son mari renoncerait � sa premi�re d�termination. Quant � ses
menaces de d�voiler les crimes de sa femme et de l'abandonner � la
justice des hommes, Paula n'y avait vu qu'une nouvelle preuve de
l'aberration de l'esprit d'Arnold.

Jusqu'alors les diff�rents acc�s de ce qu'elle appelait la _folie_ de M.
de Hansfeld lui avaient presque inspir� autant de commis�ration que
d'effroi. Mais dans son dernier entretien, le prince s'�tait montr� si
dur, si injuste, elle se voyait si cruellement sacrifi�e � l'affection
qu'il ressentait pour Berthe, que, bless�e dans ce qu'elle avait de plus
pr�cieux au monde... son amour pour M. de Morville, Paula partageait sa
haine entre son mari et madame de Br�vannes.

Telles �taient les r�flexions de madame de Hansfeld, lorsque le prince
entra chez elle; il sortait de chez Pierre Raimond; son air �tait encore
plus ferme, encore plus imp�rieux que la veille.

--Il me semble, madame, que vous ne vous h�tez pas de faire vos
pr�paratifs de d�part--lui dit-il s�chement.--Du reste, comme vous ne
verrez et ne recevrez personne au ch�teau de Hansfeld, o� je vous
envoie, vous n'avez pas besoin d'un grand attirail de toilette.... Vous
pouvez emporter vos diamants... je vous les abandonne.... Frantz, que je
charge de vous conduire en Allemagne, est incorruptible.... Si j'avais
pu h�siter � vous laisser ces pierreries... �'aurait �t� dans la crainte
de vous donner les moyens de gagner votre guide....

Madame de Hansfeld interrompit son mari:

--Je vous remercie, monsieur, de me procurer cette occasion de vous
rendre ces pierreries.

Et, se levant, elle alla prendre dans un secr�taire un grand �crin
qu'elle remit au prince.

--J'ai autrefois accept� ces pr�sents... depuis longtemps j'aurais d�
les remettre entre vos mains.

--Soit--dit le prince en les prenant avec indiff�rence;--la tendresse
la plus vive, l'affection la plus d�vou�e n'ont pu vous d�sarmer... ma
g�n�rosit� devait �tre aussi impuissante.... Il est vrai--ajouta-t-il
avec un sourire de m�pris �crasant--que j'avais par contrat dispos� en
votre faveur de la plus grande partie de ma fortune..., et qu'apr�s ma
mort vous h�ritiez de tout... des pierreries comme du reste....

--Monsieur....

--Seulement, comme vous m'avez paru un peu press�e de jouir de ces
avantages, j'ai trouv� moyen, en d�naturant une partie de ma fortune, de
neutraliser ces dons d'autrefois.... Je vous dis cela pour vous
convaincre que si je mourais demain... vos esp�rances int�ress�es
seraient d��ues. J'aurais d� vous pr�venir plus t�t... cela vous e�t
�vit�... quelques actions un peu _hasard�es_ que votre vif d�sir d'�tre
veuve explique, mais n'excuse pas--ajouta M. de Hansfeld avec une
sanglante ironie.

Ces mots cruels firent une �trange impression sur madame de Hansfeld.

Parfaitement indiff�rente aux reproches qu'ils renfermaient et qu'elle
ne comprenait pas, car elle ne les m�ritait en rien, elle ne fut frapp�e
que de leur injustice et de leur cruaut�.

M. de Hansfeld f�t alors tomb� mort � ses pieds qu'elle aurait �t� loin
de le regretter; car � ce moment m�me elle se souvint que M. de Morville
lui avait �crit: _Mon amour sera toujours malheureux, puisque je ne puis
pr�tendre � votre main_.

N�anmoins la princesse eut bient�t honte et horreur de sa pens�e, ou
plut�t de son voeu barbare; elle r�pondit froidement � son mari:

--Je ne veux pas comprendre le sens de vos paroles, monsieur; il est si
odieux qu'il en est ridicule. Quant � la question d'int�r�t, vous le
savez... c'est contre mon gr� que vous m'avez si magnifiquement
avantag�e; je trouve naturel que vous reveniez sur ces dispositions.

--Tant d'hypocrisie dans les paroles, tant d'audace dans les actions les
plus criminelles--dit le prince � demi-voix et comme s'il se f�t parl� �
lui-m�me--voil� ce qui confondait ma raison et me faisait toujours
douter des crimes de cette femme. Heureusement, � cette heure, elle est
d�voil�e tout-�-fait... car mon fatal amour est �teint....

Puis il reprit en s'adressant � Paula:

--Je suis venu ici, madame, pour vous ordonner de presser les
pr�paratifs de votre d�part. Il faut que demain soir vous ayez quitt�
Paris....

--Monsieur... je ne quitterai pas Paris....

--Vous pr�f�rez alors que je parle, madame?

--Voil� plusieurs fois que vous me faites cette menace, monsieur....
Pour l'amour du ciel, parlez donc... je saurai enfin ce que vous avez �
me reprocher....

--Vous comptez trop sur le respect que j'ai pour mon nom et sur ma
crainte d'un terrible scandale. Prenez garde... ne me poussez pas �
bout. Croyez-moi, partez... partez....

--Franchement, monsieur, je ne suis pas votre dupe... vous voulez
m'effrayer... me forcer de quitter Paris... et pourquoi? pour faire
croire aussi � voire d�part et conserver ainsi plus facilement votre
incognito....

--Que dites-vous, madame?

--Et continuer, gr�ce � cet incognito, � �tre favorablement accueilli
par Pierre Raimond, p�re de madame de Br�vannes....

--Madame, prenez garde....

--De madame de Br�vannes dont vous �tes �pris... et que vous rencontrez
souvent chez son p�re.

A ces mots, le prince resta frapp� de stupeur, son p�le visage devint
pourpre; apr�s un moment de silence, il s'�cria:

--Pas un mot de plus, madame... pas un mot de plus.

--Vous aimez cette femme--ajouta madame de Hansfeld.

--Pas un mot de plus, vous dis-je, madame.

--Ainsi, elle vous donne d�j� des rendez-vous chez son p�re; c'est un
peu prompt--ajouta madame de Hansfeld avec m�pris.

--Vous �tes indigne de prononcer seulement le nom de cet
ange!...--s'�cria le prince.

--Vraiment; eh bien! je suis curieuse de savoir ce que le mari de cet
_ange_ pensera de vos entrevues avec sa femme.

--Vous oseriez?...

--Surtout lorsqu'il saura que c'est sous un nom suppos� que vous vous
introduisez chez Pierre Raimond.

--Mais vous avez donc jur� de me mettre hors de moi!... s'�cria le
prince avec rage.--Vous parlez de folie..., mais c'est vous qui �tes
folle, malheureuse femme, de jouer ainsi que vous le faites avec votre
destin�e.

--L'avenir prouvera qui de vous ou de moi est insens�, monsieur. Il y a
longtemps d'ailleurs que vous m'avez habitu�e aux �garements de votre
raison... je ne sais si � cette heure m�me vous �tes dans votre bon
sens. En tout cas, retenez bien ceci: je vous d�clare que si vous vous
obstinez � me faire quitter Paris... je fais tout savoir � M. de
Br�vannes.

--Silence, madame... silence.

--Soit, je me tairai... mais vous savez � quelles conditions.

--Des conditions � moi... vous osez m'en imposer....

--Je l'ose, car je veux croire qu'� part votre monomanie de m'adresser
des reproches incompr�hensibles, vous �tes ordinairement un homme de bon
sens.... Nous avons des motifs de nous m�nager mutuellement sur certains
sujets.... Votre raison n'est pas tr�s saine, je pourrais me mettre sous
la protection des lois; mais il me r�pugnerait d'attirer l'attention
publique par un proc�s contre vous et d�livrer � la malignit� des
curieux les secrets de notre int�rieur.... Vous devez craindre de votre
c�t� que M. de Br�vannes n'apprenne que vous vous occupez de sa femme...
restons donc dans les termes o� nous sommes.... Je n'ai aucune
pr�tention sur votre coeur... le mien ne vous a jamais appartenu,
agissez donc librement.... S'il vous est m�me n�cessaire de feindre une
absence, je consens � me pr�ter � cette supercherie et � dire que vous
avez quitt� Paris.... Tout ce que je vous demande en retour, monsieur,
c'est de me permettre de rester ici quelque temps... mes pr�tentions, je
crois, ne sont pas exorbitantes.

M. de Hansfeld �tait stup�fait de l'assurance de Paula. Malheureusement
pour lui, elle poss�dait un secret qu'il tremblait de voir �bruiter.
Cette consid�ration, plus que la crainte des scandales d'un proc�s,
suffisait pour le mettre jusqu'� un certain point dans la d�pendance de
sa femme.

Il est impossible de peindre ses regrets de savoir la princesse
instruite des visites qu'il rendait � Pierre Raimond et du motif qui
l'attirait chez le graveur. La r�putation de Berthe �tait, pour ainsi
dire, � la merci d'une femme pour laquelle Arnold ressentait autant de
m�pris que d'horreur.

Sans doute la conduite de madame de Br�vannes �tait irr�prochable; mais
le moindre soup�on, mais la simple d�couverte du v�ritable nom du prince
suffirait pour exciter la d�fiance de Pierre Raimond, l'emp�cher de
recevoir d�sormais Arnold Schneider... d'un mot la princesse pourrait
soulever ces orages!

Qu'on juge de la col�re du prince, il se trouvait presque sous la
domination de Paula.

Celle-ci triomphait; elle sentait la force de sa position: gagner du
temps, rester � Paris, voir quelquefois M. de Morville, lui �crire
souvent, apr�s lui avoir peut-�tre avou� qu'il ne s'�tait pas tromp� sur
l'auteur de la myst�rieuse correspondance dont nous avons parl�... tel
�tait le voeu le plus ardent de madame de Hansfeld; et, gr�ce au secret
qu'elle poss�dait, elle pouvait r�aliser ce voeu. Elle profita de
l'esp�ce d'accablement de son mari pour ajouter:

--Cela est convenu, monsieur, vous emportez vos pierreries. Je renonce �
tous les avantages que vous m'avez faits; mon seul but est de vivre
aussi �loign�e et s�par�e de vous qu'il me sera possible... plus encore
m�me, si cela se peut, que par le pass�... mon silence est � ce prix....
Vous le voyez, monsieur... vous �tes venu ici la menace aux l�vres....
Les r�les sont chang�s.

--Non!--s'�cria le prince dans un acc�s d'indignation violente--non, la
femme qui a trois fois attent� � mes jours n'osera pas tenir un tel
langage... et me menacer! moi... moi, dont la cl�mence a �t� si folle...
moi qui, par un reste de m�nagement stupide, ai toujours recul� devant
cette accusation terrible qui pouvait vous mettre en face de l'�chafaud!

Madame de Hansfeld regarda son mari avec stupeur.

--Monsieur, prenez garde! votre raison s'�gare!...

--Je vous dis que, par trois fois, vous avez voulu m'assassiner, madame!

--Moi?

--Vous, madame.... Et le pavillon de Trieste?... et l'auberge d�serte de
la route de Gen�ve?... et la derni�re tentative que l'on a faite, il y a
deux jours, contre ma vie?...

--Moi, moi?... mais il est impossible que vous disiez cela s�rieusement,
monsieur--s'�cria Paula.--Dans quel but aurais-je commis un crime si
noir? mais c'est affreux, mais rien dans ma conduite n'a pu autoriser
vos effroyables soup�ons....

--Des soup�ons?... madame, dites donc des certitudes.

--Des certitudes? et sur quels faits? sur quelles preuves les
basez-vous? Mais j'ai tort de discuter avec vous; en v�rit�, c'est de la
folie.

--Vous osez parler de ma folie... mais cette folie �tait de la cl�mence,
madame... je ne pouvais ainsi m'isoler dans ma d�fiance, m'entourer de
pr�cautions, sans en expliquer la cause, car cette cause vous aurait
perdue.

Madame de Hansfeld regardait son mari avec une surprise croissante; elle
ne pouvait croire � ce qu'elle entendait.

--Maintenant, monsieur--dit-elle en rassemblant ses souvenirs--toutes
vos bizarreries, toutes vos r�ticences s'expliquent.... Cette odieuse
accusation a du moins le m�rite d'�tre pr�cise... ma justification sera
d'autant plus facile....

--Vous pr�tendez....

--Me justifier... oui, et j'exige que vous m'�coutiez.

--Cette audace me confond.... Autrefois j'ai pu en �tre dupe... mais �
cette heure....

--A cette heure, monsieur, vous allez me dire sur quoi repose votre
accusation; quelles sont vos preuves? Je les dissiperai une � une; il
n'y a pas de logique plus puissante que celle de la v�rit�.

M. de Hansfeld, confondu de cette assurance, regardait � son tour sa
femme avec un �tonnement profond. Elle �tait si calme, elle semblait
aller de si bonne foi au-devant d'explications qu'une conscience
criminelle aurait redout�es, que ses doutes revinrent en foule.

--Comment, madame--s'�cria-t-il--vous niez qu'� Trieste, un soir, apr�s
une assez p�nible discussion, vous ayez tent� de vous d�barrasser de moi
en jetant, dans une tasse de lait qu'on m'avait servie, un poison si
violent qu'un �pagneul que j'aimais beaucoup est mort un instant apr�s
l'avoir bue?

--Moi... moi... du poison?--s'�cria-t-elle en joignant les mains avec
horreur.--Mais qui a pu, grand Dieu! vous inspirer de tels soup�ons? En
quoi les ai-je m�rit�s? Comment, depuis cette �poque vous me croyez
capable d'un tel crime?

--Et ce crime n'est pas le seul, madame.

--Si les autres ne vous sont pas plus prouv�s que celui-l�, monsieur,
Dieu vous demandera compte de ces terribles accusations....

Apr�s un silence et une r�flexion de quelques moments, Paula reprit:

--Oui, oui, maintenant je me rappelle la circonstance � laquelle vous
faites allusion, et aussi une autre qui me disculpe enti�rement et dont
vous pourrez vous informer aupr�s de Frantz, en qui vous avez, je crois,
toute confiance. Je me souviens parfaitement que lorsqu'apr�s une
p�nible discussion, vous �tes sorti du pavillon, on ne nous avait pas
encore servi le th�.

--Il est vrai, c'est en rentrant dans ce kiosque que j'ai trouv� la
tasse que vous m'avez servie sans doute pendant mon absence....

--Vous vous trompez. Heureusement les moindres d�tails de cette soir�e
me sont pr�sents. Je quittai le pavillon apr�s vous; au moment o�
j'allais descendre, Frantz apporta le th�, il le d�posa devant moi sur
la table et m'accompagna jusqu'� notre maison, o� je l'occupai une
partie de la soir�e. Interrogez-le � l'instant, et que je meure s'il
contredit une seule de mes paroles.

--Mais qui a donc pu jeter ce poison dans ma tasse?

--Je pr�tends me disculper, mais non pas �clairer cet horrible
myst�re....

--Vous seriez disculp�e sans doute si Frantz confirmait vos paroles....
Mais l'assassinat de l'auberge de la route de Gen�ve?

--Apr�s votre premier soup�on--dit Paula en souriant avec
amertume--celui-ci ne me surprend pas. Pourtant vous auriez d� vous
souvenir que je dormais profond�ment et que vous avez eu beaucoup de
peine � m'arracher au sommeil. Quant aux soins que je vous ai donn�s
apr�s ce funeste �v�nement, je ne crois pas que vous les suspectiez!

--Mais ce stylet qui vous appartenait et qui a servi au crime?

--Je ne m'explique pas plus que vous cet �trange incident.... Cette
dague assez pr�cieuse et jusqu'alors fort inoffensive me servait de
couteau � papier, et je la serrais habituellement dans mon n�cessaire �
�crire.... Mais j'y songe, cette fois encore Frantz peut t�moigner en ma
faveur.... Il gardait les clefs des coffres de notre voiture, il avait
lui-m�me serr� ce n�cessaire, qu'il n'ouvrit qu'� Gen�ve. En partant de
Trieste, il l'avait mis en ordre avec Iris. Informez-vous aupr�s d'eux
si la dague y �tait enferm�e.... Ils vous l'affirmeront, j'en suis s�re.
Or, pendant ce voyage, je ne vous ai pas quitt� d'un moment, et Frantz a
toujours eu sur lui les clefs de la voiture; comment aurais-je pris
cette dague?

Ce que disait madame de Hansfeld paraissait parfaitement vraisemblable;
le prince croyait entendre de nouveau cette voix secr�te qui lui avait
si souvent r�p�t�: �Paula n'est pas coupable.�

Le prince sentit encore ses soup�ons se dissiper presque compl�tement;
quoiqu'il n'aim�t plus Paula, il avait un caract�re si g�n�reux qu'il
regrettait am�rement d'avoir accus� madame de Hansfeld, et d�j� il
s'imposait l'obligation (si elle se justifiait compl�tement) de lui
faire une �clatante et solennelle r�paration.

--Vous avez, monsieur--dit-elle--une derni�re accusation � porter contre
moi.... Veuillez vous expliquer.... Terminons, je vous prie, cet
entretien, qui, vous le concevez, doit m'�tre bien p�nible....

--Avant-hier, madame, la grille de fer qui entoure la petite terrasse du
belv�d�re de l'h�tel a �t� sci�e au niveau des dalles, elle ne tenait
plus � rien; au lieu de m'y appuyer comme de coutume, j'y portai
machinalement la main..., la balustrade est tomb�e.

--Quelle horreur--s'�cria Paula;--et vous avez cru... mais pourquoi
non..., ce crime n'est pas plus horrible que les autres... j'aurai plus
de peine � me disculper cette fois... tout ce que je puis vous dire...
c'est qu'avant-hier je suis sortie � onze heures du matin pour aller
d�jeuner chez madame de Lormoy, je suis rentr�e � quatre heures, et vos
gens ont pu voir que depuis cette heure jusqu'au moment o� je suis
partie pour l'Op�ra... je n'ai pas quitt� mon appartement... il m'aurait
fallu traverser la cour pour aller dans votre galerie qui communique
seule avec l'escalier du belv�d�re, et personne n'entre chez vous �
l'exception de Frantz... interrogez-le... peut-�tre par lui saurez-vous
quelque chose; quant � moi, je n'ai � ce sujet rien � vous dire de plus.

Apr�s quelques moments de silence, M. de Hansfeld se leva et dit � sa
femme:

--Ce que vous m'apprenez, madame, change toutes mes r�solutions. Ce
d�part, que j'exigeais, je ne l'exige plus. Lorsque j'aurai caus� avec
Frantz je vous reverrai.

Et le prince sortit de chez sa femme d'un air profond�ment abattu.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE VII.

R�FLEXIONS.


Tout enti�re � la surprise, � l'effroi que lui causaient les accusations
de son mari, madame de Hansfeld, pendant cet entretien, n'avait song�
qu'� se disculper; le prince sorti, elle put r�fl�chir plus
profond�ment.

D'abord elle sentit s'augmenter son indignation contre un homme qui
osait la croire coupable de forfaits si noirs, puis elle �prouva pour
lui une sorte de reconnaissance en songeant que, moins r�serv�, moins
g�n�reux, il aurait pu parler haut de ces soup�ons, auxquels le hasard
donnait tant de vraisemblance.

Par un rapprochement bizarre, Paula se souvint en m�me temps de ces mots
de M. de Morville: _Mon amour ne saurait �tre heureux que si je pouvais
obtenir votre main_.

Entre ces paroles et les terribles accusations de son mari, madame de
Hansfeld vit un rapprochement �trange, fatal, qui la frappa.

En admettant que les myst�rieuses et homicides tentatives auxquelles le
prince avait �t� expos� eussent r�ussi, elle se serait trouv�e libre...
elle aurait pu �pouser celui qu'elle idol�trait et le rendre ainsi le
plus heureux des hommes.

Il n'y eut d'abord rien de criminel dans les pens�es de Paula.

Que de fois les coeurs les plus purs, les caract�res les plus �lev�s, se
sont passag�rement laiss� entra�ner non pas m�me � des voeux, mais
seulement � de simples suppositions qui, r�alis�es, eussent �t� de
grands crimes.

Combien de femmes pieusement r�sign�es, endurant avec une douceur
ang�lique les plus mauvais traitements d'un mari brutal et m�chant, ont
dit: H�las! que n'ai-je �pous� un homme g�n�reux et bon!

Il n'y a rien de meurtrier dans cette supposition, elle n'exprime pas
m�me l'esp�rance ou le d�sir de voir la fin des tortures que l'on
souffre, et pourtant cette supposition contient le germe d'un voeu
meurtrier... c'est l'instinct de conservation qui s'�veille et qui
cherche vaguement les moyens de fuir la douleur.

Bien des �tres souffrants s'arr�tent � cette exclamation, et leur vie
n'est qu'un long et triste g�missement.

D'autres, bless�s plus � vif ou moins r�sign�s, s'�crient:--Oh! si
j'�tais d�livr� de mon bourreau!...--D'autres enfin:--Pourquoi la mort
ne m'en d�barrasse-t-elle pas?

Que l'on suive attentivement les cons�quences, la logique de ces
plaintes, de ces esp�rances, de ces voeux... on arrivera toujours � un
r�sultat _v�niellement_ meurtrier.

C'est toujours plus ou moins l'effrayante et fatale _n�cessit�_ qui
conduit Macbeth de crime en crime.

Que d'honn�tes gens ont fr�mi, �pouvant�s du nombre de crimes
_platoniques_ qu'ils �taient entra�n�s � commettre par une premi�re
pens�e juste en apparence!

Pour Paula, une des id�es r�sultant de son entretien avec M. de Hansfeld
fut donc celle-ci:

--Mon mari, que je n'aime pas; mon mari, que j'ai �pous� par obsession;
mon mari, qui a de moi une opinion si inf�me qu'il m'a crue capable
d'avoir trois fois attent� � ses jours... mon mari aurait pu mourir...,
et sa mort me permettait de r�compenser l'amour le plus passionn�.

En vain Paula, qui pressentait la funeste attraction de cette id�e,
voulut la fuir.... Elle y revint sans cesse, et presqu'� son insu, de
m�me qu'on revient sans cesse et malgr� soi au point central d'un
labyrinthe o� l'on est �gar�.

Nous le r�p�tons, rien de plus effrayant que l'entra�nement forc� de
certaines r�flexions.

A cette id�e succ�da celle-ci:

--La personne qui attentait avec acharnement aux jours de M. de Hansfeld
doit vivre dans notre int�rieur.... Par quel motif veut-elle cette mort?

Apr�s quelques moments de m�ditation, Paula, frapp�e d'une clart�
soudaine, se rappela certains mots myst�rieux d'Iris, l'attachement
aveugle, presque sauvage de cette jeune fille, la haine qu'elle avait
quelquefois montr�e contre le prince lorsqu'elle, Paula, lui disait ses
regrets d'avoir �pous� cet homme capricieux et fantasque; plus elle y
r�fl�chit, plus elle crut �tre sur la trace du v�ritable auteur de ce
crime.... Son premier mouvement fut bon... �pouvant�e de l'opini�tret�
f�roce avec laquelle Iris poursuivait sa trame homicide, craignant
qu'elle ne s'arr�t�t pas l�, elle voulut l'interroger et la confondre.

Une heure apr�s le d�part du prince, Iris, mand�e par sa ma�tresse,
entrait dans la chambre de celle-ci.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE VIII.

INTERROGATOIRE.


Madame de Hansfeld h�sitait sur la mani�re d'ouvrir la conversation et
d'arriver � la connaissance de la v�rit�, elle craignait qu'en lui
parlant avec rigueur, Iris, effray�e, s'obstin�t dans une n�gation
absolue. Elle crut avoir trouv� le moyen d'�viter cet �cueil.

--M. de Hansfeld sort d'ici--dit-elle tristement � Iris.--Je sais enfin
la cause de toutes les �tranget�s qui m'avaient fait croire sa raison
�gar�e.

--Ce motif, marraine?

--Trois fois on a attent� � ses jours....

--C'est un r�ve... comme il en fait tant.

--Trois fois, te dis-je, on a attent� � ses jours... il en a les
preuves....

--Alors, il conna�t le coupable?...

--Il croit le conna�tre.

--Et le coupable, marraine?

--C'est moi....

--Vous?...

--Il le croit....

--Il vous a menac�e?...

--Oui.

--Et de quoi?

--De la justice... des tribunaux....

--Vous �tes innocente, que vous importe?

--Mais le scandale d'un proc�s... mais la honte d'�tre soup�onn�e....

--Je pourrai vous suivre, au moins.... Votre pauvre Iris ne vous
abandonnera pas.. elle.... Dans un tel malheur son d�vouement vous sera
n�cessaire.

Cette na�vet� franche fit fr�mir Paula; elle commen�a d'entrevoir une
partie de la v�rit�; elle redoubla donc de prudence, de r�serve, tendit
la main � Iris, et lui dit:

--Sans doute, dans une telle extr�mit� tes soins me seraient bien doux;
mais, par int�r�t pour toi, je les refuserais....

--Marraine!...

--Rien au monde ne me les ferait accepter.

--Par int�r�t pour moi, vous les refuseriez?

--Oui, Marianne ou une autre de mes femmes m'accompagnerait.

--Mais moi, moi?

--Je prierais le prince de te renvoyer en Allemagne avant le proc�s....
Il ne me refuserait pas cela.

--Marraine... je ne vous comprends pas. Pourquoi m'�loigner de vous
lorsque tout le monde vous abandonnerait sans doute?

--Parce que ton attachement pour moi est connu... parce qu'il pourrait
te faire para�tre complice de crimes dont je suis pourtant innocente.

--Mais moi... je veux rester aupr�s de vous; tant mieux si l'on me croit
votre complice.

--Mais moi, Iris, j'exigerais ton d�part.... A tous les chagrins qui
m'accablent, � tous ceux qui vont m'accabler encore, je ne voudrais pas
joindre celui de te voir malheureuse.

Iris r�fl�chit un moment; sa ma�tresse l'examinait avec attention; la
jeune fille reprit froidement:

--Puisque le prince vous accuse, marraine, je vais aller le trouver et
lui dire que je suis votre complice.... Ainsi, l'on ne me s�parera pas
de vous.

Paula fut effray�e: Iris �tait capable de cette d�marche.

--Mais, malheureuse enfant! l'avouer ma complice, c'est te dire
coupable... c'est m'accuser... c'est peut-�tre me pousser � l'�chafaud!

--Eh bien, j'y monterai avec vous!

--Que dis-tu?--s'�cria la princesse, �pouvant�e du regard triomphant
d'Iris et de l'infernale r�solution de sa physionomie.

--Je dis--reprit la boh�mienne avec une exaltation farouche--je dis que
la part que j'ai dans votre vie, marraine, est mis�rable; je dis que
mon voeu le plus ardent serait de vous voir dans une position telle que
mon d�vouement pour vous f�t votre supr�me bonheur, votre seule joie,
votre seule consolation; je dis que j'aimerais autant vous voir morte
qu'indiff�rente � ce que je ressens pour vous... que j'aime comme ma
m�re, comme ma soeur, comme mon Dieu; je dis que ceux que vous avez
aim�s, c'est-�-dire Rapha�l et Morville, n'ont pas fait pour vous la
milli�me partie de ce que j'ai fait moi-m�me, et ils ont occup�, et ils
occupent votre vie, votre pens�e tout enti�re, tandis que moi je ne suis
rien pour vous.... Cela est injuste, marraine... bien injuste.

--Osez-vous parler ainsi, vous que j'ai recueillie, combl�e de mes
dons.... Et qu'avez-vous donc fait pour reconna�tre mes bont�s?

--Vous me demandez ce que j'ai fait, marraine! Eh bien! je vais vous le
dire � cette heure... car il faut que notre destin�e s'accomplisse. Ce
que j'ai fait? J'ai fait tuer Rapha�l par M. Charles de Br�vannes,
d'abord....

--Toi... toi.... Mon Dieu! elle m'�pouvante.

--Oui, moi.... Vous ne saviez pas ce que c'�tait que Rapha�l.... Vingt
fois, en voyant vos larmes, vos regrets, j'ai �t� sur le point de vous
dire: Vous n'avez rien � regretter.... Rapha�l �tait indigne de vous....
Mais je ne voulais pas parler... je vous dirai tout � l'heure pourquoi.

--Malheureuse! explique-toi... que veux-tu dire? Tout ceci n'est-il
qu'une sanglante raillerie?--Non, non, Iris ne raille pas lorsqu'il
s'agit de vous... �coutez-moi donc. Vous m'aviez hiss�e � Venise, cela
me fit une peine horrible; vous ne vous en �tes pas seulement aper�ue,
ou, du moins, mon chagrin vous a �t� indiff�rent... mon d�sir de vous
accompagner vous a sembl� importun.... Mon Dieu!... il fallait me
laisser p�rir dans la rue plut�t que de faire na�tre en moi une
reconnaissance dont les t�moignages vous devaient �tre � charge.

--Mais cette malheureuse est folle.... Et que faisait cela � Rapha�l?

--Vous m'aviez laiss�e � Venise; je vous l'ai dit, cela me causa une
violente douleur; je ne pus me r�signer � rester dans l'ignorance de
votre vie et � recevoir seulement de temps � autre quelque froide lettre
de vous. A force de pri�res, je parvins � obtenir d'In�s, votre
cam�riste, qu'elle me tiendrait au courant de vos actions. Vous ne savez
pas ce qu'il m'a fallu de pers�v�rance, de promesses, de s�ductions pour
int�resser � mon d�sir cette indiff�rente fille, et l'amener � m'�crire
presque chaque jour.... Par cela... jugez ce qu'est mon attachement pour
vous.

--Je ne sais s'il faut l'ex�crer, la plaindre ou l'admirer--se dit
Paula.

--Peut-�tre je m�rite � la fois la piti�, la haine et
l'admiration--reprit Iris.--Mais �coutez encore.... Par In�s, je sus que
Charles de Br�vannes vous obs�dait de soins, que le bruit public vous
accusait de l'aimer, mais que cela �tait faux.... Vous ne songiez qu'�
Rapha�l, dont vous parliez presque toujours avec votre tante en pr�sence
d'In�s.... Pendant ce temps Rapha�l vous trompait....

--Rapha�l!... oh! tu mens... tu mens....

--Il vous trompait, vous dis-je, vous en aurez la preuve. Il �tait venu
� Venise pour d�gager sa parole; il �tait fianc� avec une jeune Grecque
de Zante... nomm�e Cora.... Je vous le prouverai.... Il connaissait
votre confiance en moi, il m'attribuait sur vous une influence que je
n'avais pas.... Ce fut donc � moi qu'il fit les premiers aveux de sa
trahison, en me suppliant de vous en instruire avec tous les m�nagements
possibles. De moi... ce coup devait vous para�tre moins cruel.

--Mais son duel avec Br�vannes?

--Tout � l'heure... laissez-moi continuer. En entendant les l�ches et
parjures paroles de Rapha�l... je fus � la fois joyeuse et courrouc�e.

--Joyeuse?

--Oui, car je hais presque autant ceux qui vous aiment que ceux qui vous
sont ennemis.

--Mais c'est le d�mon... que cette insens�e.... Ah! maudit soit le jour
o� je t'ai rencontr�e sur mon chemin!...

--Maudit soit ce jour pour nous deux peut-�tre. En apprenant la trahison
de Rapha�l, je fus donc joyeuse et courrouc�e; pour vous venger �
l'instant, l�... sous mes yeux, je dis � Rapha�l qu'il avait tort de
prendre de tels m�nagements; que vous l'aviez d�s longtemps imit�, sinon
pr�venu dans son insouciance, car, depuis votre arriv�e � Florence,
vous �tiez la ma�tresse d'un Fran�ais, de Charles de Br�vannes....

--Mais In�s t'avait �crit le contraire....

--Mais elle m'avait aussi �crit que les apparences �taient contre vous,
et que le bruit public vous accusait.... Je ne croyais que porter un
coup douloureux � l'amour-propre de Rapha�l: mon attente fut
d�pass�e.... L'orgueil des hommes est si f�roce que ce tra�tre, qui vous
avait sacrifi�e, se r�volta en se croyant tromp� � son tour. J'irritai
encore sa col�re. La vanit� offens�e fit ce que l'amour n'avait pu
faire.... Rapha�l partit furieux pour Venise avec Osorio, afin de se
venger de votre pr�tendu parjure. Oui... cet homme qui nagu�re oubliait
sans remords ses promesses les plus saintes, parce qu'il se croyait
�perdument aim� de vous, se reprit d'une folle passion lorsqu'il se vit
d�daign�. Vous savez le reste... comment son erreur fut encore augment�e
par la fatuit� de Br�vannes... qui le tua apr�s l'avoir convaincu de
votre infid�lit�...

--Cela est-il possible, mon Dieu!

--Ces preuves de la trahison de Rapha�l, je vous les donnerai... vous
dis-je.... Elles consistent dans une lettre pour vous qu'il m'avait
apport�e � Venise, et dans laquelle il vous pr�venait de son prochain
mariage avec cette Grecque.... Apr�s le duel, Osorio m'�crivit pour me
supplier de ne pas vous remettre cette lettre, voulant venger son ami en
vous laissant croire que vous �tiez la seule coupable, et que Rapha�l
vous avait toujours aim�e, ainsi qu'il vous l'�crivait dans son dernier
billet.

--Mais pourquoi m'as-tu laiss�e � mes remords?... Pourquoi, en me voyant
rester si longtemps fid�le au souvenir d'un homme qui m'avait tromp�e...
ne m'as-tu pas dit qu'il �tait indigne de moi?...

--Pourquoi?...

--Oui.

--Parce que j'aimais mieux vous voir �prise d'un mort... que d'un
vivant.

--Et lorsque je te faisais part de mes scrupules d'aimer M. de Morville,
et d'�tre ainsi infid�le au souvenir de Rapha�l, pourquoi d'un mot
n'as-tu pas fait �vanouir mes regrets?

--Je vous le r�p�te... parce que j'aimais mieux vous voir �prise d'un
mort que d'un vivant... et puis j'esp�rais que le souvenir de Rapha�l
surmonterait votre amour pour M. de Morville.

--Mais tu le hais donc aussi, M. de Morville?--s'�cria madame de
Hansfeld, reculant �pouvant�e de ce que le g�nie infernal de cette fille
pouvait imaginer et ex�cuter.

Avant de r�pondre, Iris resta quelques moments silencieuse, puis elle
reprit d'un air sombre:

--Je vous l'ai dit... ceux qui vous aiment et que vous aimez, je les
hais presque autant que vos ennemis.... Cela est mon sentiment, cela est
mon impression.

--Ainsi, M. de Morville....

--Mais parce que je suis jalouse de votre affection--reprit Iris en
interrompant sa ma�tresse--mais parce que je souffre... oh! bien
cruellement, de vous voir d�penser des tr�sors d'attachement pour des
�tres qui ne vous ch�rissent pas comme moi... il ne s'ensuit pas que je
pousse l'�go�sme jusqu'� vouloir vous priver d'un bonheur, par cela
seulement que ce bonheur fait mon d�sespoir; non, non. Quelquefois, dans
mes mauvais jours..., j'ai de ces pens�es; mais je les chasse.

--Ainsi--reprit madame de Hansfeld avec amertume--vous me permettez
d'aimer M. de Morville?...

--Je ferai mieux que cela--dit la boh�mienne en jetant un regard per�ant
sur sa ma�tresse.

Sans pouvoir se rendre compte ni de ce qu'elle �prouvait, ni de la
signification de ce regard, madame de Hansfeld baissa la t�te et rougit.

Iris reprit d'un ton plus humble:

--Maintenant que je vous ai dit, marraine, ce qui concernait Rapha�l...
je dois vous dire... ce qui concerne le prince....

--Elle va tout avouer... enfin--dit la princesse.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE IX.

R�V�LATIONS.


Apr�s un moment de silence, Iris reprit, en attachant son regard
scrutateur sur madame de Hansfeld:

--Vous n'aviez �pous� le prince qu'avec regret, et pour assurer un
avenir � votre tante; plusieurs fois vous me l'avez dit.

--Cela est vrai....

--Vous m'avez dit encore que, gr�ce � la g�n�rosit� de M. de Hansfeld,
la plus grande partie de sa fortune devait vous appartenir apr�s sa
mort....

--Ah! malheureuse... vous m'�pouvantez.... Ainsi ces tentatives
r�it�r�es....

Sans r�pondre � sa ma�tresse, Iris continua.

--Peu de temps apr�s votre mariage, votre tristesse a redoubl�... Je
n'ai plus h�sit�, et un soir, � Trieste, sans que personne me v�t...
dans une tasse de lait....

--Mais vous �tes un monstre!

--J'avais pris mes pr�cautions.... Si le crime e�t �t� d�couvert, moi
seule pouvais �tre accus�e... et d'ailleurs je me serais avou�e la seule
coupable.

--C'est horrible! horrible!... Et vous n'avez pas recul� devant
l'�normit� du crime que vous alliez commettre?

--Vous d�siriez �tre veuve....

--Vous l'ai-je jamais dit? me l'�tais je seulement dit � moi-m�me?

--Vous regrettiez de vous �tre mari�e... je vous rendais votre
libert�...

--Mais vous n'avez donc aucune notion du mal et du bien?

--Le bien... c'est votre bonheur;... le mal... c'est votre chagrin....

--Qui pourrait croire, mon Dieu! � cette sauvage et f�roce
exaltation.... Comment votre main n'a-t-elle pas trembl�? comment
avez-vous pu m�diter un tel crime? Comment surtout avez-vous pu
r�cidiver?

--Apr�s la premi�re tentative... vous avez �t� encore plus triste que
d'habitude.... Vous vous �tes souvent plainte � moi de tout ce que vous
faisait souffrir l'in�galit� du caract�re du prince; devant moi bien
souvent vous avez maudit le jour o� vous aviez consenti � ce mariage;
quelquefois m�me, en d�plorant votre triste existence, vous regrettiez
de n'�tre pas morte.... Alors une seconde fois j'ai voulu le tuer...
dans cette auberge isol�e; je m'�tais introduite dans sa chambre par le
balcon de la fen�tre entr'ouverte; je l'avais presque referm�e en m'en
allant, apr�s le coup manqu�...

--Non, non, je ne puis croire � ce que j'entends... si jeune... et un
pareil sang-froid, un tel endurcissement....

--Si vous saviez la douleur que je ressens de vos douleurs... si vous
saviez combien vos larmes retombent br�lantes sur mon coeur... vous
comprendriez mon sang-froid, mon endurcissement, comme vous dites....
Oui... si vous saviez � quel point la vie me p�se depuis que j'ai la
conviction d'�tre si peu pour vous... vous comprendriez que j'ai voulu
assurer votre bonheur en risquant une vie qui m'est indiff�rente. Si je
n'ai pas tent� plus souvent, c'est que le prince s'est entour� de telles
pr�cautions....

--Assez!... assez! tu me fais horreur.... Et maintenant?... que vais-je
faire? j'ai l'aveu de ton crime....

--Peu m'importe.

--Croyez-vous que je puisse � cette heure vous garder pr�s de moi...
vous qui trois fois avez tent� de donner la mort � l'homme g�n�reux et
bon qui simulait la folie pour ne pas m'accuser?

--Maintenant comme autrefois... vous d�sirez la mort de cet homme
g�n�reux et bon....

--Taisez-vous....

--S'il mourait, vous �pouseriez M. de Morville....

Paula resta un moment comme �cras�e sous ces foudroyantes paroles; puis
elle reprit avec indignation:

--Et qui vous donne le droit de scruter ma pens�e? Et parce que la mort
de M. de Hansfeld me rendrait la libert�, est-ce une raison pour que je
la d�sire?

--Oui... vous la d�sirez....

--Sortez! sortez!...

--Oh! gr�ce! gr�ce! marraine...--dit Iris en tombant � genoux devant
Paula.--Puis elle continua d'une voix d�chirante:--Je suis bien
coupable, je suis bien criminelle; je sais toute l'�tendue, toutes les
cons�quences des actions que j'ai commises; j'ai agi avec r�flexion....
Mais, je vous le r�p�te, pour moi, le mal, c'est votre chagrin; le bien,
c'est votre bonheur... peu m'importe le reste! Pourquoi donc me
chasseriez-vous? Est-ce pour moi que j'ai cherch� � commettre les crimes
qui vous �pouvantent? N'�tait-ce pas avant tout... vous, et toujours
vous, que je voulais servir?...

--Mais, me servir par de tels moyens... c'�tait me rendre votre
complice!

--Eh bien! je me repens... je vous demande pardon � genoux... mais ne me
chassez pas; ce serait vouloir ma mort! Oui... si vous me chassez, je me
tuerai.... Vous me connaissez... vous savez si j'en suis capable.... Je
tiens � la vie, parce que je puis vous �tre utile encore....

--Non, non; va-t'en.... Tu veux mourir?... Eh bien! meurs!... ce sera un
bienfait pour le monde... et pour moi.... Depuis les accusations du
prince et tes r�v�lations, je me sens dans une atmosph�re de trahisons
et de crimes qui m'�pouvante; on dirait qu'elle m'oppresse, qu'elle me
p�n�tre.... J'aurais peur de devenir aussi criminelle que toi.
Va-t'en... va-t'en, te dis-je... va-t'en....

Iris se leva p�le et triste, prit la main de sa ma�tresse qu'elle baisa,
et fit un pas vers la porte.

Madame de Hansfeld crut lire dans les traits de la jeune fille une si
effrayante r�solution qu'elle s'�cria:

--Iris!... restez!...

Iris revint sur ses pas et interrogea Paula du regard.

--Mais enfin--s'�cria la princesse--que dire au prince? Une fois
convaincu de mon innocence... il voudra conna�tre le coupable... que lui
r�pondrai-je s'il m'interroge? Ses soup�ons, d'ailleurs, ne
t'atteindront-ils pas? Et maintenant, mon Dieu!... j'y pense... ne
pourra-t-il pas croire que tu as agi par mon ordre, ou du moins sous mon
inspiration?... Vois dans quel affreux d�dale tu m'as jet�e!...

--Marraine, permettez-moi de rester ici.... Si je suis chass�e de cette
maison, que ce ne soit pas par vous au moins: je saurai me r�signer si
le prince exige mon d�part, ou s'il m'accuse; mais que ce coup terrible
ne vienne pas de vous!

--Mais en admettant m�me que les soup�ons de M. de Hansfeld ne
t'atteignent pas, n'est-il pas criminel � moi de garder dans ma maison
une cr�ature qui trois fois a attent� � la vie de mon mari, et qui
pourrait peut-�tre, par la m�me monomanie sauvage, y attenter encore?

--Marraine, si vous l'exigez... jamais plus je n'attenterai aux jours du
prince....

--Si je l'exige.... Mon Dieu! pouvez-vous en douter?

--Eh bien!... je vous le jure _sur vous_ (c'est pour moi le seul serment
que je puisse faire), je vous jure sur vous de respecter les jours de M.
de Hansfeld comme je respecterai les v�tres...--dit la boh�mienne avec
un air singulier et en regardant Paula comme si elle e�t voulu p�n�trer
au plus profond de son coeur.--Mais si jamais vous vouliez �pouser M. de
Morville sans avoir � vous reprocher la mort du prince, mort � laquelle
je serais aussi �trang�re que vous..., dites un mot, ou plut�t... non,
pas m�me une parole...--et Iris, jetant les yeux autour d'elle comme
pour chercher quelque chose, et avisant sur la chemin�e une �pingle d'or
surmont�e d'une boule d'�mail constell�e de perles, elle la prit et
ajouta:--Vous n'auriez qu'� me remettre cette �pingle, et, sans qu'aux
yeux de Dieu et des hommes ni vous, ni moi, fussions pour rien dans la
mort du prince... vous pourriez �pouser M. de Morville.... Ce que je
vous dis ne doit pas vous �tonner.... Vous n'avez pas d'autre d�sir que
ce mariage, je n'ai pas d'autre d�sir que de vous voir heureuse.

Avant que la princesse p�t lui r�pondre, Iris disparut.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE X.

AVEUX.


Le vieux graveur et sa fille s'�taient profond�ment �mus du r�cit de M.
de Hansfeld. Berthe avait plaint Arnold, oblig� de lutter tour � tour
contre son amour et contre d'horribles soup�ons; elle trouvait entre
elle et lui une �trange conformit� de position: tous deux, encha�n�s
pour jamais � des �tres indignes de leur affection, devaient passer leur
vie dans des regrets ou des esp�rances st�riles.

Pourtant elle s'avouait que son malheur aurait �t� plus grand encore si
elle n'e�t pas rencontr� dans le sauveur de son p�re un homme qui lui
inspirait une sympathie aussi vive qu'honorable.

Elle ne pr�voyait, elle n'ambitionnait d'autre bonheur que celui de voir
souvent Arnold et de l'entendre causer avec Pierre Raimond d'une fa�on
si int�ressante et si enjou�e; nous ne disons rien du ravissement de la
jeune femme lorsque le vieux graveur, rest� seul avec elle, s'extasiant
sur le savoir et sur l'esprit d'Arnold, le pla�ait au-dessus de tous les
hommes qu'il avait connus.

Le lendemain du jour o� madame de Hansfeld avait eu avec Iris la
conversation que nous avons reproduite, M. de Br�vannes, aigri par une
pr�occupation et une anxi�t� violentes, avait de nouveau brutalis� sa
femme, dont la pr�sence lui devenait de plus en plus insupportable;
persuad� que, libre et gar�on, il aurait eu plus de loisir, plus de
facilit�s pour mettre � fin son aventure avec madame de Hansfeld, le
matin m�me du jour dont nous parlons, il avait fait � sa femme une sc�ne
violente.

Berthe n'�tait plus au temps o� elle s'�plorait sur ces injustices, elle
s'accusait m�me de s'en consoler trop facilement en songeant que chez
son p�re elle pouvait rencontrer Arnold.

Elle se rendit donc chez Pierre Raimond.

Qu'on juge de la joie du vieillard lorsqu'il vit entrer sa fille, qu'il
n'attendait que le lendemain.

--Quel bonheur! ch�re enfant, je n'esp�rais pas te voir aujourd'hui....
Allons... je devine... quelque nouvelle brutalit�. Ma foi! maintenant
que les grossi�ret�s de ce m�chant homme, auxquelles tu deviens de plus
en plus indiff�rente, me valent une longue visite de toi... je sens ma
haine de beaucoup diminuer; si tu n'es pas heureuse, du moins tu n'es
plus malheureuse... c'est un progr�s, et je ne d�sesp�re pas... de....
Mais � quoi bon te parler de ces r�veries d'un vieux fou?

--Oh! dites... mon p�re, dites.

--Eh bien! en prenant ainsi l'habitude de te laisser passer la moiti� de
ta vie chez moi, j'esp�re qu'un jour il ne te refusera pas la permission
de venir habiter tout-�-fait ici....

--Ah! je n'ose le croire... il sait trop la joie que cela me
causerait....

--Peut-�tre.... Mon Dieu! si cela �tait, juge donc aussi de ma joie, �
moi.... H�las! cette s�paration, ne saurait �tre consentie que par lui;
les lois sont ainsi faites, qu'il y a mille tortures qu'une pauvre femme
est oblig�e de souffrir et dont on peut l'accabler impun�ment.... S'il
faut tout dire, je crois que cet homme a quelque mauvaise passion au
coeur; son redoublement de brutalit�, son besoin de t'�loigner de lui,
tout me le dit. S'il en est ainsi, une s�paration ne lui co�tera pas....
Que nous faut-il de plus? Depuis le peu de temps que tu t'es remise �
donner des le�ons, tu refuses des �coli�res.... Ce gain modeste nous
suffira pour nous faire vivre.... Tu reprendras ta chambre de jeune
fille; nous verrons notre ami Arnold presque chaque jour. Que nous
faudra-t-il de plus?

--Oh! rien, mon p�re, mais ce r�ve est trop beau....

--Encore une fois... qui sait!... quoique je connaisse ton attachement
pour moi, ch�re enfant... la compagnie d'un vieillard est si triste que
j'aurais eu presque un remords � accepter ton d�vouement.... Mais don
Rapha�l Arnold,--ajouta Pierre Raimond en souriant,--�gaiera quelquefois
notre solitude, et � ce propos, mon enfant..., vois donc ce que les
coeurs honn�tes gagnent... � �tre honn�tes.... Sans la profonde estime
qui nous unit tous trois, et qui rend notre intimit� si douce, que de
bonheur perdu! Si j'avais cru Arnold capable de t'aimer criminellement
et de souiller indignement les relations sacr�es du bienfaiteur et de
l'oblig�..., il e�t �t� priv� de notre amiti�, qui lui est aussi
n�cessaire que la sienne nous l'est, � nous.

En ce moment, on frappa � la porte du graveur.

--Entrez, dit-il.

La porta s'ouvrit.... Arnold parut.

--Quel heureux hasard!--s'�cria Pierre Raimond,--vous venez � propos,
mon cher Arnold.... Mais qu'avez-vous? vous semblez soucieux, pr�occup�,
triste.

--En effet, monsieur Arnold, vous ne r�pondez pas, vous avez l'air
accabl�, auriez-vous quelque chagrin? Quelque mauvaise nouvelle de votre
femme, peut-�tre....

Arnold tressaillit, sourit tristement et r�pondit:

--Vous dites vrai... il s'agit de ma femme.

--Comment! cette mis�rable ose encore relever la t�te apr�s votre... je
dirai le mot... apr�s votre faiblesse?...--s'�cria Pierre Raimond.--Oh!
cette fois soyez sans piti�, pas de m�nagements pour des crimes
semblables. Prenez garde d'aller trop loin par exc�s de g�n�rosit�... il
y a un ab�me entre la g�n�rosit� et une indiff�rence coupable pour les
m�chants....

M. de Hansfeld �tait si abattu qu'il ne chercha pas � interrompre Pierre
Raimond; lorsque celui-ci eut parl�, il lui dit tristement:

--Ma femme n'est pas coupable... et moi je vous ai tromp�... je me suis
introduit chez vous sous un faux nom... je dois vous faire cet aveu.

--Que voulez-vous dire, monsieur?--s'�cria le vieillard en se levant
brusquement.

Berthe, p�le, effray�e, regardait M. de Hansfeld avec une douloureuse
anxi�t�; Pierre Raimond �tait sombre et s�v�re.

--Expliquez-vous, monsieur... je ne puis qualifier votre conduite avant
de vous avoir entendu.

--Je vous dirai tout; seulement daignez r�fl�chir que rien ne
m'obligeait � l'aveu que je vous fais.... Si j'agis ainsi, c'est pour
rester digne de votre amiti�.

--Digne de mon amiti� apr�s un tel mensonge! N'y comptez plus, monsieur.

--Peut-�tre serez-vous indulgent, veuillez donc m'�couter.... Lorsque le
hasard me mit � m�me de vous secourir, et qu'� mon tour secouru par vous
je fus transport� dans cette maison, mon premier mouvement fut de vous
d�clarer mon v�ritable nom... mais � ce moment votre fille entra....

--Eh bien!... monsieur... que fait cela?

--Je la connaissais.

--Vous la connaissiez?--dit le vieillard avec �tonnement.

--Moi!...--s'�cria Berthe.

--De vue seulement--reprit Arnold.--Oui, quelques jours auparavant,
j'avais rencontr� votre fille aux Fran�ais; on l'avait nomm�e devant
moi, et plus tard j'entendis rendre un juste hommage � la noble et
aust�re fiert� de son p�re.

--A cette heure, monsieur... ces louanges sont de trop...--s'�cria
Pierre Raimond avec impatience.

--Je ne vous loue pas, monsieur... je vous explique la raison qui m'a
fait vous cacher mon titre... puisque le hasard veut que j'aie un
titre....

--Vous avez, monsieur, tr�s habilement tromp� la confiance d'un
vieillard et la candeur d'une jeune femme; je vous en f�licite....

--J'ai eu tort; mais voici pourquoi j'ai agi de la sorte.... Connaissant
votre antipathie pour certaines classes de la soci�t�... je craignais
donc que ma position ne f�t un obstacle aux relations que je d�sirais
d�j� si vivement nouer avec vous....

--Pour t�cher de s�duire ma fille, sans doute! abuser de ce qu'il y a de
plus saint... la reconnaissance d'un oblig�... Ah! vous et les v�tres...
vous serez toujours les m�mes--dit am�rement Pierre Raimond; puis il
reprit avec indignation:--Et moi qui tout � l'heure encore parlais de la
noble confiance qui rend certaines relations si douces entre les gens
de bien....

--Ah! monsieur--dit Berthe au prince, avec un accent de tristesse
profonde--vous ne savez pas tout le mal que nous cause votre conduite
peu loyale.... Mon p�re avait en vous une foi si aveugle....

--Je m�rite ces reproches... et c'est volontairement que je suis venu
m'y exposer.

--Mais qui �tes-vous donc, monsieur?--s'�cria le graveur.

--Le prince de Hansfeld!...--dit tristement Arnold en baissant la t�te.

--Vous habitez l'h�tel Lambert... ici pr�s?

--Le prince de Hansfeld! r�p�ta Berthe avec une surprise m�l�e d'int�r�t
et d'effroi.

--En vous racontant sous un nom suppos� les suites funestes de mon
mariage, je vous disais vrai; mon nom seul avait �t� chang�. Alors,
convaincu de la culpabilit� de ma femme, surtout apr�s la derni�re
tentative que je vous ai racont�e, j'�tais d�cid� � l'obliger de quitter
la France.... Aujourd'hui m�me, j'aurais fait r�pandre le bruit que je
partais avec elle, abandonnant l'h�tel Lambert; conservant pr�cieusement
l'incognito � l'abri duquel je m'�tais cr�� des relations si ch�res, je
voulais vivre obscur�ment... ou plut�t heureusement dans une retraite
voisine de la v�tre.... Quelques promenades, ma solitude et notre
intimit� chaque jour plus resserr�e, voil� quelle �tait mon
ambition.... Il me faut renoncer � ces r�ves.... Hier, en vous
quittant, je suis entr� chez madame de Hansfeld; irrit� de voir que ses
pr�paratifs de d�part n'�taient pas encore faits, exasp�r� par son
audace, j'articulai enfin le terrible reproche que je n'avais jamais eu
le courage de lui faire.

--Et elle n'�tait pas coupable?--s'�cria Berthe.--Ah! je le savais
bien... de tels crimes �taient impossibles.

--Ma femme �tait innocente--r�p�ta M. de Hansfeld;--elle s'est justifi�e
avec franchise et dignit�... Les raisons qu'elle m'a donn�es m'ont paru
convaincantes; et un vieux serviteur, en qui j'ai toute confiance...,
m'a confirm�... qu'il avait �t� mat�riellement impossible � madame de
Hansfeld de faire aucune de ces trois tentatives sur ma vie.... Je ne
puis dire les impressions contraires dont je fus agit� apr�s cette
d�couverte.... Tant�t je m'applaudissais d'avoir, malgr� les preuves en
apparence les plus positives, �cout� la voix secr�te qui me disait: Elle
est innocente; tant�t je me reprochais vivement les accusations, les
r�ticences bizarres qui avaient d� torturer cette malheureuse femme, et
changer en haine la faible affection qu'elle me portait; je songeais
avec douleur aux chagrins que mes soup�ons odieux lui avaient caus�s; je
le sentais, j'avais beaucoup � expier, beaucoup � me faire pardonner.
Cette d�couverte n'a pas ranim� mon amour pour ma femme..., il s'est �
jamais �teint au milieu de ces doutes incessants; mais par cela m�me
que je ne l'aime plus, je dois redoubler envers elle d'�gards et de
soins.... Maintenant.. voici pourquoi je viens vous apprendre une chose
que vous eussiez peut-�tre toujours ignor�e.... Je regarderais comme
indigne de moi de surprendre, gr�ce � des faits dont � cette heure je
connais la fausset�, un int�r�t qui e�t encore resserr� les liens
d'affection qui nous unissaient.... Bien souvent m�me j'avais �t� sur le
point de vous r�v�ler mon v�ritable nom... mais la crainte d'exciter
votre indignation par cet aveu tardif m'a toujours retenu.... Maintenant
vous savez tout... encore une fois, je ne veux pas nier mes torts;
seulement songez � ce que je souffrais, aux consolations ineffables que
je trouvais ici, et peut-�tre me pardonnerez-vous d'avoir recul� devant
la crainte de perdre un pareil bonheur.

Pierre Raimond �tait rest� pensif pendant que M. de Hansfeld parlait;
peu � peu sa dure physionomie perdit son expression d'amertume et de
col�re; un peu avant qu'Arnold e�t cess� de parler, Pierre Raimond fit
m�me un signe de t�te approbatif en regardant Berthe, comme pour
applaudir aux paroles de M. de Hansfeld. Berthe, les yeux baiss�s, �tait
dans une tristesse profonde; elle connaissait trop son p�re pour esp�rer
qu'apr�s l'aveu du prince il consentirait encore � le recevoir; il lui
fallait donc renoncer � la seule consolation qui l'aid�t � supporter ses
chagrins; cette id�e �tait affreuse.

Apr�s quelques moments de silence, Pierre Raimond tendit la main � M. de
Hansfeld et lui dit:

--Bien... tr�s bien.... Vous triomphez de mes pr�ventions... car vous
allez noblement au-devant d'un sacrifice... qui devra vous co�ter autant
qu'� nous... et il nous co�tera beaucoup....

--Je ne dois donc plus vous revoir?--dit tristement Arnold....

--Cela est impossible.... J'ai pu accueillir chez moi mon sauveur et
lier avec lui une amiti� que notre �galit� de position autorisait....
Confiant dans la loyaut� de l'homme qui m'avait sauv� la vie, j'ai pu
voir sans scrupules son affection honn�te et pure pour ma fille... mais
de tels rapports ne peuvent plus durer maintenant.... Un pauvre artisan
comme moi ne fr�quente pas de princes. Enfin, je puis pardonner la ruse
dont vous vous �tes servi pour entrer chez moi; mais ce serait
l'approuver que de souffrir d�sormais vos visites.

--Mon Dieu! croyez....

--Je crois que cette s�paration vous sera p�nible... bien p�nible... pas
plus qu'� nous, pourtant....

--Oh! non...--murmura Berthe, qui ne put retenir ses larmes.

--Et encore--reprit Pierre Raimond--vous avez, vous, les plaisirs de
votre rang....

--Les plaisirs... le croyez-vous?

--Les devoirs... si vous voulez. Vous avez � faire oublier � votre femme
les chagrins que vous lui avez caus�s, et, pour une �me g�n�reuse,
c'est une occupation noble et grande. Mais nous... que nous reste-t-il
pour remplacer une intimit� bien ch�re � notre coeur? Tant que j'aurai
cette pauvre femme aupr�s de moi, je vous regretterai moins; mais
lorsque je serai seul! Ma fille elle-m�me devenait presque insouciante
des chagrins qui l'accablaient chez elle, en songeant � la joie douce et
calme qui l'attendait ici.... Maintenant, encore une fois, que lui
reste-t-il? les regrets d'un pass� qu'il aurait mieux pour elle valu ne
pas conna�tre.

--Mon p�re, j'aurai du courage--reprit Berthe.--Ne me restez-vous pas?

--Oui... et nous parlerons souvent de lui... je te le promets--ajouta le
vieillard en tendant la main � Arnold, qui la serra tendrement dans les
siennes.

--Allons, du courage, monsieur Arnold--dit Berthe en t�chant de sourire
� travers ses larmes.--Mon p�re vous l'a dit: nous ne vous oublierons
jamais; nous parlerons bien souvent de vous. Adieu... et pour toujours,
adieu....

M. de Hansfeld pouvait � peine contenir son �motion; il r�pondit d'une
voix alt�r�e:--Adieu, et pour toujours adieu.... Croyez... et....

Mais il ne put achever; les sanglots �touff�rent sa voix, et il cacha sa
figure dans ses mains.

--Vous le voyez--dit-il apr�s un moment de silence � Pierre Raimond qui
le contemplait tristement--faible... toujours faible.... Que vous devez
me m�priser, homme rude et sto�que....

Sans lui r�pondre, Pierre Raimond s'�cria tout-�-coup:

--Mon Dieu! maintenant j'y songe... votre femme est innocente... soit...
mais ce crime si obstin�ment r�p�t�... qui l'a commis? A Trieste, ici,
des �trangers pouvaient en �tre accus�s... mais en voyage, dans cette
auberge, il faut que ce soit quelqu'un de votre maison, � moins d'une
co�ncidence extraordinaire.

--Je me suis fait aussi cette question, et elle est demeur�e pour moi
inextricable.... En voyage, nous n'�tions accompagn�s que de trois
personnes: un vieux serviteur qui m'a �lev�, une jeune fille recueillie
par madame de Hansfeld, mon chasseur qui nous servait de courrier et que
j'ai depuis tr�s longtemps � mon service. Soup�onner mon vieux Frantz ou
une jeune fille de dix-sept ans d'un crime si noir, si inutile, serait
absurde; il ne resterait donc que le chasseur.... Mais quoique bon et
d�vou�, si vous connaissiez la b�tise de ce malheureux gar�on, vous
comprendriez que, plut�t que de le croire coupable, j'accuserais mon
vieux Frantz ou la demoiselle de compagnie de ma femme.

--Mais cependant... ces tentatives....

--Tenez, mon ami, mes injustes soup�ons m'ont d�j� caus� trop de
malheurs pour que j'ose encore en avoir....

--Mais ces tentatives sont r�elles.... Si on les renouvelle?

--Tant mieux.... Hier je les aurais redout�es... aujourd'hui j'irais au
devant....

--Ah! monsieur Arnold... et les amis qui vous restent.... Comment! vous
ne ferez aucune perquisition pour d�couvrir le coupable?

--Aucune.... A quoi bon?... Ne viens-je pas de vous dire: _Adieu... et
pour toujours_?

Et M. de Hansfeld sortit d�sesp�r�.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XI.

LE RENDEZ-VOUS.


Ce matin-l� m�me M. de Br�vannes devait rencontrer madame de Hansfeld au
Jardin-des-Plantes.

Il s'y rendit vers onze heures.

La lecture du _livre noir_, ce myst�rieux confident des plus intimes
pens�es de Paula, avait donn� au mari de Berthe presque des esp�rances;
les secrets qu'il croyait avoir surpris se r�sumaient ainsi:

�Madame de Hansfeld se reprochait de ne pas ha�r assez M. de Br�vannes,
meurtrier de Rapha�l.

�Le prince la rendait si malheureuse, qu'elle d�sirait sa mort.�

Iris avait surtout recommand� � M. de Br�vannes de ne faire en rien
soup�onner � la princesse qu'il connaissait, pour ainsi dire, ses plus
secr�tes pens�es.

Ce conseil servait trop les int�r�ts de M. de Br�vannes pour qu'il ne le
suiv�t pas scrupuleusement.

--Madame de Hansfeld venait � cette entrevue avec moins de s�curit� que
M. de Br�vannes; elle le savait capable de la calomnier indignement; la
port�e de ses calomnies pouvait �tre terrible et arriver jusqu'� M. de
Morville.

Paula devait donc beaucoup m�nager cet homme qui lui inspirait une
aversion profonde, et lui t�moigner une menteuse bienveillance, afin de
paralyser pendant quelque temps ses m�disances.

Mais madame de Hansfeld ne s'abusait pas.... Du moment o� M. de
Br�vannes se verrait jou�, il se vengerait par la calomnie, et sa
vengeance pouvait avoir une funeste influence sur l'amour de M. de
Morville.

Le plus l�ger soup�on devait �tre mortel � cet amour id�al,
d�sint�ress�, romanesque, et surtout bas� sur une estime et sur une
confiance r�ciproques.

Madame de Hansfeld se rendit au Jardin-des-Plantes avec Iris, malgr�
l'horreur que lui inspiraient les crimes de cette jeune fille. Elle
n'avait pu se passer d'elle dans cette circonstance.

Onze heures sonnaient lorsque Paula et la boh�mienne arriv�rent au pied
du labyrinthe; le froid �tait vif, le jour pur et beau; dans cette
saison les promeneurs sont rares, surtout en cet endroit; les deux
femmes atteignirent le fameux _c�dre_ sans rencontrer personne.

M. de Br�vannes �tait depuis une demi-heure assis au pied de cet arbre
immense; il se leva � la vue de madame de Hansfeld.

Celle-ci cacha difficilement son �motion; apr�s plusieurs ann�es elle
revoyait un homme qu'elle avait tant de raisons de d�tester. Son coeur
battit avec violence, elle dit tout bas � Iris de ne pas la quitter.

M. de Br�vannes, vain et orgueilleux, interpr�ta cette �motion � son
avantage; il contemplait avec ravissement l'admirable figure de Paula,
que le froid nuan�ait des plus vives couleurs. Sa taille charmante se
dessinait � ravir sous une robe de velours grenat fourr�e d'hermine.

Le mari de Berthe se laissait entra�ner aux plus folles esp�rances en
songeant qu'� force d'opini�tret� il avait obtenu un rendez-vous de
cette femme, qui r�unissait tant de gr�ces � tant de dignit�, tant de
charmes � une si haute position sociale; ce qui, pour M. de Br�vannes,
n'�tait pas la moindre des s�ductions de la princesse.

Plein d'espoir et d'amour, il s'approcha de Paula et lui dit
respectueusement:

--Avec quelle impatience, madame, j'attendais ce moment.... Combien je
vous sais gr�... de votre excessive bont� pour moi!

--Vous savez mieux que personne, monsieur, par qui cette d�marche m'est
impos�e--dit am�rement la princesse en faisant allusion aux menaces de
M. de Br�vannes.

--Je vous comprends, madame--dit M. de Br�vannes;--mais si vous saviez
dans quel �garement peut vous jeter une passion violente � laquelle on
est en proie depuis des ann�es? Ah! que de fois je me suis souvenu avec
d�lices de ce temps o� je vous voyais chaque jour... o�, � l'abri de
l'amour que je feignais pour votre tante....

--Assez, monsieur... assez... vous ne m'avez pas sans doute demand� cet
entretien pour me parler d'un pass�... que pour tant de raisons vous
devez t�cher d'oublier.

--L'oublier... le puis-je? Ce souvenir a effac� tous les souvenirs de ma
vie.

--Veuillez me r�pondre, monsieur. En insistant avec tant d'opini�tret�
pour obtenir ce rendez-vous, quel �tait votre but?

--Vous parler de mon amour plus passionn� que jamais, vous int�resser...
presque malgr� vous, aux tourments que je souffre....

--�coutez, monsieur de Br�vannes--dit froidement Paula en
l'interrompant--il y a deux ans, vous m'avez une fois parl� de votre
amour... je ne vous ai pas cru.... Le silence que vous avez ensuite
gard� sur cette pr�tendue passion m'a prouv� que voire aveu �tait sans
cons�quence.... Lorsqu'on m'a dit votre obstination � me rencontrer ici,
j'ai attribu� ce d�sir � un tout autre motif que celui de me parler d'un
amour qui m'offense et qui me rappelle d'atroces calomnies....

--Eh bien! je ne vous parlerai plus de cet amour... je me contenterai de
vous aimer sans vous le dire.... Attendant tout du temps, de la
sinc�rit� du sentiment que je vous porte, permettez-moi seulement de
vous voir quelquefois.... J'aurais pu demander � l'un de nos amis
communs de vous �tre pr�sent�; j'ai pr�f�r� d'attendre votre agr�ment
avant de tenter cette d�marche.

--Je ne re�ois que quelques personnes de mon intimit�, monsieur--reprit
s�chement Paula.--M. de Hansfeld vit tr�s seul... il m'est impossible...
surtout apr�s votre �trange aveu, de changer en rien mes habitudes.

M. de Br�vannes ne put r�primer un mouvement de d�pit et de col�re qui
rappela � madame de Hansfeld qu'elle devait m�nager cet homme; elle
ajouta d'un ton plus familier:

--Songez, de gr�ce, � tout ce qui s'est pass� � Florence... et avouez
qu'il m'est impossible de vous recevoir... lors m�me que je le
d�sirerais.

Ces derniers mots, seulement dits par madame de Hansfeld pour adoucir
l'effet de son refus, parurent � M. de Br�vannes fort encourageants. Il
se souvint � propos des confidences du _livre noir_, et prit la
froideur contrainte de la princesse pour de la r�serve et de la
dissimulation � l'endroit d'un amour qu'elle ne voulait pas s'avouer
encore; il crut devoir m�nager ces scrupules, certain qu'apr�s quelques
refus de pure convenance, Paula lui accorderait les moyens de la voir.

M. de Br�vannes reprit:

--Je n'ose vous supplier encore, madame, de permettre que je vous sois
pr�sent�. Pourtant... quel inconv�nient y aurait-il? croyez-moi, loin
d'abuser de cette faveur... j'en userais avec la plus extr�me
r�serve....

--Je vous assure, monsieur, que cela est impraticable.... Sous quel
pr�texte d'ailleurs?... que dirais-je � M. de Hansfeld?

--Que j'ai eu l'honneur de vous conna�tre en Italie.... Et puis, un
homme mari�--ajouta-t-il en souriant--n'inspire jamais de d�fiance. Je
pourrais m�me, et seulement pour la forme, avoir l'honneur de vous
amener madame de Br�vannes... quoiqu'elle ne soit pas digne de vous
occuper un moment.

Cette proposition de M. de Br�vannes frappa vivement Paula.

Sachant le prince tr�s �pris de Berthe, elle ne put dissimuler un
sourire d'ironie en entendant M. de Br�vannes parler de pr�senter sa
femme � l'h�tel Lambert.

Un vague pressentiment dont madame de Hansfeld ne put se rendre compte,
lui dit que cette circonstance pourrait peut-�tre servir un jour sa
haine contre M. de Br�vannes. Elle reprit avec un embarras affect�:

--Si cela �tait possible... j'aurais le plus grand plaisir � conna�tre
madame de Br�vannes... car j'ai beaucoup de raisons pour croire que vous
la jugez trop s�v�rement. Aussi, dans le cas o� il me serait permis de
vous recevoir, ce serait uniquement, entendez-vous bien, uniquement �
cause de madame de Br�vannes; je vous en pr�viens, monsieur.

--Il en est toujours ainsi, les femmes n'ont pas de meilleure amie que
celle � qui elles enl�vent un mari; elle s'est trahie--se dit M. de
Br�vannes--et il reprit tout haut:

--Vous sentez, madame, combien je serais heureux de tout ce qui pourrait
rendre mes relations avec vous plus suivies; permettez-moi donc alors,
pour l'amour de madame de Br�vannes--dit-il avec un nouveau sourire--de
vous la pr�senter en vous demandant la permission de l'accompagner
quelquefois.

--Tr�s rarement, monsieur, surtout dans les premiers temps de ma liaison
avec madame de Br�vannes--ajouta madame de Hansfeld apr�s un moment
d'h�sitation.

--Je ne veux pas chercher les raisons qui vous obligent � agir ainsi,
madame... mais je m'y soumets.

Et il pensa:

--C'est un chef-d'oeuvre d'habilet� sans doute; le prince est jaloux;
elle veut d'abord �loigner les soup�ons de son mari, et capter la
confiance de ma femme.

--A ces conditions--reprit madame de Hansfeld en baissant les yeux--je
vous permettrais de me pr�senter madame de Br�vannes... mais il serait
formellement entendu que d�sormais vous ne me diriez jamais un mot...
d'un amour aussi vain qu'insens�.

--Je demanderais une modification � cette clause, madame.... Je
m'engagerais � faire tout au monde pour vous oublier... seulement, afin
de m'encourager et de me fortifier dans ma bonne r�solution, vous me
permettriez quelquefois de venir vous instruire des r�sultats de mes
efforts... et comme selon vos d�sirs je ne vous verrais que tr�s
rarement chez vous... vous daigneriez peut-�tre quelquefois m'accorder
les moyens de vous rencontrer ailleurs?

--Monsieur....

--Seulement pour m'entendre vous dire que je t�che de vous oublier....
Le sacrifice que je fais n'est-il pas assez grand pour que vous
m'accordiez au moins cette compensation?

--C'est une �trange mani�re d'oublier les gens que celle-l�... Mais si
vous la croyez d'un effet certain, monsieur... un jour peut-�tre je
consentirai � revenir ici.

--Ah! madame, que de bont�s!

--Mais prenez garde, si je ne suis pas satisfaite des progr�s de votre
indiff�rence, vous n'obtiendrez pas une seule entrevue de moi.

--Je crois pouvoir vous promettre, madame, que vous n'aurez pas �
regretter la gr�ce que vous m'accordez....

Apr�s un moment de silence, Paula reprit:

--Vous devez trouver surprenant, monsieur, qu'apr�s ce qui s'est
autrefois pass� entre nous....

--Madame....

--Je n'en veux pas dire davantage.... Un jour vous saurez le motif de ma
conduite et de ma g�n�rosit�... Mais il se fait tard, je dois
rentrer.... Dites-moi quelle est la personne qui me pr�sentera madame de
Br�vannes?

--Madame de Saint-Pierre, cousine de M. de Luceval. Elle avait bien
voulu m'offrir ses bons offices.

--Je la rencontre, en effet, assez souvent dans le monde. Rappelez-lui
donc cette promesse, monsieur... et j'accueillerai sa demande....

--Vous vous retirez d�j�?... Mon Dieu! j'aurais tant de choses � vous
dire.... Encore un mot, encore... de gr�ce!...

--Impossible.... Iris, venez....

La jeune fille revint aupr�s de sa ma�tresse, et descendit les rampes du
labyrinthe apr�s avoir �chang� un regard d'intelligence avec M. de
Br�vannes.

Le mari de Berthe devait �tre d'autant plus dupe du stratag�me d'Iris
au sujet du _livre noir_, que, par suite des r�v�lations de la
boh�mienne au sujet de l'infid�lit� de Rapha�l, Paula n'avait pas
t�moign� l'horreur qu'elle aurait d� ressentir � la vue du meurtrier de
son fianc�.

Cette circonstance donnait une nouvelle autorit� au recueil des _pens�es
intimes_ de madame de Hansfeld.

M. de Br�vannes, aussi glorieux que ravi de l'empressement de madame de
Hansfeld � se rapprocher de Berthe, se crut le seul et v�ritable motif
de cette liaison, qui devait sans doute, plus tard, assurer et faciliter
ses relations journali�res avec Paula.

En attendant avec une vive et confiante impatience le moment de
conna�tre par le livre noir l'impression _vraie_ que cette entrevue
avait caus�e � madame de Hansfeld, M. de Br�vannes rentra donc chez lui
le coeur l�ger et content.

Peu de temps auparavant, Berthe �tait revenue de chez son p�re triste
et accabl�e; elle venait de voir M. de Hansfeld, sans doute pour la
derni�re fois; il lui fallait � tout jamais renoncer aux doux et beaux
r�ves dont elle s'�tait berc�e.

Apprenant que sa femme �tait chez elle, M. de Br�vannes s'y rendit �
l'instant m�me.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XII.

PROPOSITIONS.


M. de Br�vannes ne r�fl�chit pas un moment � tout ce qu'il y avait
d'humiliant et d'odieux dans le r�le qu'il pr�parait � sa femme; nulle
consid�ration, nul scrupule ne pouvait emp�cher cet homme d'aller droit
� son but.

Dans cette circonstance, en songeant � se servir de Berthe comme d'un
moyen, il se dit avec une sorte de forfanterie cynique:--Voici la
premi�re fois que mon mariage m'aura �t� bon � quelque chose.

Il crut n�anmoins n�cessaire de prendre envers sa femme un ton moins dur
que d'habitude pour la d�cider � se laisser pr�senter � la princesse de
Hansfeld. Berthe allait peu dans le monde; elle �tait fort timide; or,
s'attendant � quelques difficult�s de sa part, il pr�f�rait les vaincre
par la douceur, ses menaces pouvant rester vaincues devant un refus
obstin� de sa femme.

Celle-ci s'attendait si peu � la visite de son mari, qu'elle donnait un
libre cours � ses larmes en pensant � M. de Hansfeld qu'elle ne devait
plus revoir.

Pour la premi�re fois elle sentait � quel point elle l'aimait. Elle
avait le courage de ne pas maudire cette s�paration cruelle, en songeant
au trouble qu'une passion coupable aurait apport� dans sa vie. Ne voyant
plus Arnold, du moins elle serait � l'abri de tout danger.

Une _consolation_ pareille co�te toujours bien des larmes; aussi la
jeune femme eut-elle � peine le temps d'essuyer ses yeux avant que son
mari f�t pr�s d'elle.

Berthe avait assez de sujets de chagrin pour que M. de Br�vannes ne
s'�tonn�t pas de la voir pleurer; il fut n�anmoins contrari� de ces
larmes, car il ne pouvait, sans transition, parler � sa femme des
plaisirs du monde et de sa pr�sentation � madame de Hansfeld. R�primant
donc un l�ger mouvement d'impatience, il dit doucement � Berthe, en
n'ayant pas l'air de s'apercevoir de sa tristesse (cela rendait la
transition d'autant plus rapide):

--Pardon... ma ch�re amie.... Je vous d�range..

--Non... non, Charles... vous ne me d�rangez pas--dit Berthe en essuyant
de nouveau ses larmes, qu'elle se reprochait presque comme une faute.

--Ce matin, vous avez vu votre p�re?

--Oui... vous m'avez permis d'y aller... quand je....

--Oh!...--dit M. de Br�vannes en interrompant Berthe--ce n'est pas un
reproche que je vous fais. Je n'aime pas le caract�re de votre p�re, il
me serait impossible de vivre avec lui; mais je rends justice � sa
loyaut�, � l'aust�rit� de ses principes, et je suis parfaitement
tranquille quand je vous sais chez lui.

Berthe n'avait rien � se reprocher; pourtant son coeur se serra comme si
elle e�t abus� de la confiance de son mari, qui, pour la premi�re fois
depuis bien longtemps, lui parlait avec bont�; elle baissa la t�te sans
r�pondre.

M. de Br�vannes continua:

--Et puis, enfin, ces visites � votre p�re sont vos seules
distractions... depuis notre arriv�e � Paris.... A l'exception de cette
premi�re repr�sentation des Fran�ais, vous n'�tes all�e nulle part...;
aussi je songea vous tirer de votre solitude....

--Vous �tes trop bon, Charles; vous le savez, j'aime peu le monde... je
suis accoutum�e depuis longtemps � la vie que je m�ne. Ne vous occupez
donc pas de ce que vous appelez mes plaisirs....

--Allons, allons, vous �tes une enfant, laissez-moi penser et d�cider
pour vous � ce sujet-l�... Vous ne vous en repentirez pas....

--Mais, Charles....

--Oh! je serai tr�s opini�tre... comme toujours, et plus que jamais; car
il s'agit de vous �tre agr�able... malgr� vous. Oui... une fois votre
premi�re timidit� pass�e, le monde, qui vous inspire tant d'effroi, aura
pour vous mille attraits....

Berthe regardait son mari, toute surprise de ce changement
extraordinaire dans son accent, dans ses mani�res. Il lui parlait avec
une douceur inaccoutum�e au moment m�me o� elle se reprochait de porter
une trop vive affection � M. de Hansfeld. L'angoisse, nous dirons
presque le remords de la jeune femme, augmentait en raison de
l'apparente bienveillance de son mari; elle r�pondit en rougissant:

--En v�rit�, Charles, je suis bien reconnaissante de ce que vous voulez
faire pour moi.. je m'en �tonne m�me.

--Pauvre ch�re amie, sans y songer, vous m'adressez l� un grand
reproche.

--Oh! pardon, je ne voulais pas....

--Mais ce reproche, je l'accepte, car je le m�rite.... Oui, depuis notre
retour je vous ai assez n�glig�e pour que la moindre pr�venance de ma
part vous �tonne.... Mais, patience, j'ai ma revanche � prendre.... Ce
n'est pas tout; on me croit un Othello; on croit que c'est par jalousie
que je cache mon tr�sor � tous les yeux; je veux r�pondre � ces
malveillants en conduisant mon tr�sor beaucoup dans le monde cet hiver,
et prouver ainsi que vous m'inspirez autant d'orgueil que de confiance.

--Je ne puis r�pondre � des offres si gracieuses qu'en les acceptant,
quoiqu'� regret et seulement pour vous ob�ir... car je pr�f�rerais
beaucoup la solitude; et, si vous me le permettiez, Charles, je vivrais
comme par le pass�...

--Non, non, je vous l'ai dit; je serai aussi opini�tre que vous....

--Eh bien! soit, je ferai ce que vous d�sirez; seulement soyez assez bon
pour me promettre de ne pas me forcer de m'amuser trop--dit Berthe en
souriant tristement.--J'irai dans le monde puisque vous le d�sirez
vivement... mais pas trop souvent, n'est-ce pas?

--Soyez tranquille; lorsque vous y serez all�e quelquefois, ce sera moi
qui, j'en suis s�r, serai oblig� de mod�rer vos d�sirs d'y retourner.

--Oh! ne craignez pas cela, Charles.

--Vous verrez, vous verrez.

--Je me trouve si g�n�e chez les personnes que je ne connais pas; il me
semble voir partout des regards malveillants.

--Vous �tes beaucoup trop jolie pour ne pas exciter l'envie et la
malveillance des femmes; mais l'admiration des hommes vous vengera. Sans
compter que parmi les personnes auxquelles je veux vous pr�senter, il en
est de si hautement plac�es, de si exclusives m�me, que votre admission
chez elles fera bien des jaloux.

--Que voulez-vous dire, Charles?

--Vous allez le savoir, ma ch�re amie, et je me fais une joie de vous
l'apprendre. Je suis ravi de vous voir entrer si bien dans mes vues; je
m'attendais, je vous l'avoue, � avoir plus de r�sistance � vaincre....

--Si j'ai c�d� si vite... c'est par crainte de vous d�plaire. Dites un
mot, et vous verrez avec quelle facilit� je renoncerai � des plaisirs
sans doute bien envi�s.

--Certes, je ne dirai pas ce mot, ma ch�re amie; loin de l�, j'en dirai
un qui, au contraire, vous emp�cherait de renoncer � ces vaines joies du
monde dont vous semblez faire si bon march�.

--Comment! ce mot....

--Vous souvenez-vous, de cette premi�re repr�sentation aux Fran�ais?

--Oui, sans doute.

--Je veux dire, vous souvenez-vous des choses qui ont le plus attir�
l'attention du public, non pas sur la sc�ne, mais dans la salle?

--L'�trange coiffure de madame Girard, d'abord.

--Le sobieska, sans doute? Mais ensuite....

Berthe �tait si loin de s'attendre � ce qu'allait lui dire son mari,
qu'elle chercha un moment dans sa pens�e et r�pondit:

--Je ne sais.... Madame la marquise de Luceval?

--Vous approchez � la fois et de la v�rit� et de la loge de la personne
dont je veux parler.

--Comment cela?

--Dans la loge voisine de celle de madame de Luceval, n'y avait-il pas
une belle princesse �trang�re dont tout le monde parlait avec
admiration?

--Une princesse �trang�re!--r�p�ta machinalement Berthe, dont le coeur
se serra par un pressentiment ind�finissable.

--Oui, madame la princesse de Hansfeld.

--La princesse! comment! c'est � elle....

--Que je vous pr�senterai apr�s-demain, je l'esp�re.

--Oh! jamais... jamais!--s'�cria involontairement Berthe.

Profiter de cette offre, qui lui donnait les moyens de revoir le prince,
lui semblait une odieuse perfidie.

M. de Br�vannes, quoique �tonn� de l'exclamation de sa femme, crut
d'abord qu'elle refusait par timidit�, et reprit:

--Allons, vous �tes une enfant. Bien que tr�s grande dame, la princesse
de Hansfeld est la personne la plus simple du monde; vous lui plairez
beaucoup, j'en suis s�r.

--Mon ami, je vous en conjure, ne me conduisez pas chez la princesse;
laissez-moi dans la retraite o� j'ai v�cu jusqu'ici.

--Ma ch�re amie, je vous en conjure � mon tour--dit M. de Br�vannes en
se contenant--n'ayez pas de caprices de mauvais go�t. Tout � l'heure
vous �tiez d�cid�e � ce que je d�sirais, et voici que maintenant vous
revenez sur vos promesses! Soyez donc raisonnable.

--Mais c'est impossible.... Non, non, Charles... je vous en supplie en
gr�ce... n'exigez pas cela de moi....

--Ah ��, s�rieusement, vous �tes folle! Vous refusez avec obstination ce
que tant d'autres demanderaient comme une faveur inesp�r�e?

--Je le sais, je le sais.... Aussi croyez que si je refuse, c'est que
j'ai des raisons pour cela.

--Des raisons? des raisons?... Et lesquelles, s'il vous pla�t?

--Mon Dieu! aucune de particuli�re; mais je d�sire ne pas aller dans le
monde.

M. de Br�vannes, stup�fait de cette r�sistance, en cherchait vainement
la cause; il pressentait que le go�t de la retraite ne dictait pas seul
ce refus; un moment il crut sa femme jalouse de la princesse. Aussi
reprit-il avec une certaine complaisance:

--Voyons, soyez franche, ne me cachez rien. N'y aurait-il pas un peu de
jalousie sous jeu?

--De la jalousie?...

--Oui... ne seriez-vous pas assez folle pour vous imaginer que je
m'occupe de la princesse?

--Non, non, je ne crois pas cela... je vous l'assure.

--Mais qu'est-ce donc alors?--s'�cria M. de Br�vannes avec une
impatience longtemps contenue.

--Charles, soyez bon, soyez g�n�reux....

--Je me lasse de l'�tre, madame; et puisque vous ne tenez aucun compte
de mes pri�res, vous ex�cuterez mes ordres, et apr�s-demain vous
m'accompagnerez chez madame de Hansfeld, m'entendez-vous!

--Charles, un mot, de gr�ce.... C'est pour m'�tre agr�able, n'est-ce
pas, que vous voulez me conduire chez la princesse?

--Sans doute; eh bien?

--Eh bien! puisque c'�tait pour moi que vous aviez form� ce projet... je
vous en supplie, renoncez-y....

--Vous m'ob�irez.

--Mon Dieu! mon Dieu! mais allez-y seul! Peu vous importe que, moi,
je....

--Cela m'importe tellement que vous irez, est-ce clair?

--Il me co�te de vous refuser; mais comme vous ne pourrez me contraindre
� cela....

--Eh bien?

--Je n'irai pas.

--Vous n'irez pas?

--Non.

--Voil� un bien stupide ent�tement.... Et vous croyez me faire la loi?

--J'agis comme je le dois.

--En refusant d'aller chez madame de Hansfeld?

--Oui, Charles.

--Je suis peu dispos� � deviner des charades; aussi je terminerai notre
entretien par deux mots: si vous persistez dans votre refus, de votre
vie vous ne reverrez votre p�re... car dans huit jours vous partirez
pour la Lorraine, d'o� vous ne reviendrez pas.... J'ai le droit de vous
assigner le lieu de votre r�sidence.... Vous le savez, ma volont� est
in�branlable; ainsi r�fl�chissez.

Berthe baissa la t�te sans r�pondre.

Son mari pouvait en effet l'envoyer en Lorraine, la s�parer de son p�re,
dont elle �tait alors l'unique ressource, puisque, par un juste
sentiment de fiert�, Pierre Raimond refusait la pension que lui avait
faite M. de Br�vannes.

Ce n'�tait pas tout; en ob�issant � son mari, Berthe devait cacher au
graveur � quelle condition elle continuait de le voir, car celui-ci e�t
cent mille fois pr�f�r� laisser sa fille partir pour la Lorraine que de
l'engager � ob�ir aux ordres de son mari, puisque ces ordres la
rapprochaient d'Arnold.

Un moment elle voulut avouer � M. de Br�vannes le motif de la r�sistance
qu'elle lui opposait; mais songeant � la jalousie f�roce de son mari, �
la col�re qu'il ressentirait contre le graveur, dont il l'�loignerait
peut-�tre encore, elle rejeta cette id�e.

Il n'y avait, malheureusement pour Berthe, aucun moyen-terme entre ces
diff�rentes alternatives. Son premier mouvement avait �t� de r�sister
opini�trement aux d�sirs de son mari, parce que les larmes qu'elle
versait au souvenir d'Arnold l'�clairaient sur le danger de cet amour
jusqu'alors si calme; mais elle devait se courber devant une fatale
n�cessit�.

Elle r�pondit � son mari avec accablement:

--Vous l'exigez... monsieur... je vous ob�irai....

--C'est, en v�rit�, bien heureux, madame....

--Seulement... rappelez-vous toujours... que j'ai de toutes mes forces
r�sist� � vos ordres... que je vous ai conjur�, suppli� de me laisser
vivre dans la retraite... et que c'est vous... vous qui avez voulu m'en
tirer, pour me jeter au milieu du tourbillon du monde...--dit Berthe en
s'animant;--du monde... o� je n'aurai ni appui ni conseil, o� je serai
expos�e � tous les dangers qui assi�gent une jeune femme absolument
isol�e....

--Isol�e!... mais moi, madame....

--�coutez-moi, monsieur: j'ai vingt-deux ans � peine... vous m'avez
accabl�e de chagrins... je ne vous aime plus.... Je suis sans doute
r�solue de ne jamais oublier mes devoirs... mais quoique s�re de moi...
je pr�f�rerais ne pas affronter certains p�rils.

Berthe, cette fois, croyait avoir frapp� juste en �veillant vaguement la
jalousie forcen�e de M. de Br�vannes: elle esp�rait ainsi le faire
r�fl�chir aux inconv�nients de jeter au milieu des s�ductions du monde
une jeune femme sans amour et sans confiance pour son mari.

En effet, M. de Br�vannes, stup�fait de ce nouveau langage, regardait
Berthe avec une irritation m�l�e de surprise.

--Qu'est-ce � dire, madame?--s'�cria-t-il.--Voulez-vous me faire
entendre que vous pourriez avoir l'indignit� d'oublier ce que j'ai fait
pour vous?... Oh! prenez garde, madame, prenez garde... ne jouez pas
avec ces id�es-l�, elles sont terribles.... Songez bien que
l'amour-propre est mille fois plus irritable et plus ardent � la
vengeance que l'amour.... Si jamais vous aviez seulement la pens�e de me
tromper.... Mais, tenez--dit-il en bl�missant de rage � cette seule
id�e--ne soulevons pas une telle question... elle est sanglante....

--Et c'est parce qu'elle peut devenir un jour sanglante, monsieur, que
je la soul�ve, moi, et qu'en honn�te femme je vous supplie de me laisser
dans ma retraite, de ne pas volontairement m'exposer � des p�rils que je
n'aurais peut-�tre pas la force de surmonter. Je vous dois beaucoup,
sans doute; mais, croyez-moi, ne m'obligez pas � compter aussi les
larmes que j'ai vers�es; je pourrais me croire quitte....

--Quelle audace!...

--J'aime mieux �tre audacieuse avant d'avoir fait le mal qu'hypocrite
apr�s une faute. Encore une fois, pour votre repos et pour le mien,
monsieur, laissez-moi vivre obscure et ignor�e.... A ce prix je puis
vous promettre de ne jamais faillir... sinon....

--Sinon?...

--Vous m'aurez jet�e presque d�sarm�e au milieu des p�rils du monde....
Je connais mes devoirs, j'essaierai de lutter... mais je vous le dis...
il peut se rencontrer des circonstances o� la force me manque.

Le bon sens, la franchise de ces paroles, faisaient bouillonner la
jalousie de M. de Br�vannes; il connaissait trop ses torts envers Berthe
pour ne pas pr�voir qu'elle lutterait seulement et absolument par
_devoir_; et le devoir sans affection est souvent impuissant contre les
entra�nements de la passion.

L'enfer de cet homme commen�ait. Plac� entre sa jalousie et son amour,
il h�sitait entre le d�sir de nouer des relations suivies avec madame de
Hansfeld, gr�ce � la pr�sentation de Berthe, et la crainte de voir sa
femme entour�e d'adorateurs.

La pens�e d'�tre jaloux du prince, qu'il ne connaissait que par le r�cit
de ses bizarreries, ne lui vint pas un moment � l'esprit; mais � d�faut
du prince il se cr�a les fant�mes les plus effrayants, c'est-�-dire les
plus charmants. D�j� il se voyait moqu�, montr� au doigt; lui qui avait
fait un mariage d'amour, mariage ridicule s'il en est, pensait-il, lui
qui avait sacrifi� sa vanit�, son ambition, sa cupidit�, � une pauvre
fille obscure, ne serait-il donc pas � l'abri du mauvais sort? Serait-il
donc aux yeux du monde toujours dupe, avant et apr�s son mariage? A ces
pens�es, M. de Br�vannes tressaillait de fureur.

Tant�t il voyait dans la franchise de Berthe une garantie pour l'avenir,
tant�t au contraire il y voyait une sorte de cynique d�fi, tant enfin il
s'effrayait de ce langage d'une honn�te femme qui, d�daign�e de son mari
qu'elle n'aime plus, ne s'abuse pas sur la fragilit� humaine, et
pr�f�re fuir le danger que de l'affronter.

Pourtant ne pas pr�senter Berthe � la princesse, s'�tait renoncer �
l'avenir qu'il entrevoyait si brillant.

Ce sacrifice lui fut impossible; comme ceux qui, renon�ant � se faire
aimer, esp�rent se faire craindre, il essaya d'intimider Berthe, et lui
dit brutalement:

--Lorsqu'on a l'effronterie de professer ouvertement de tels principes,
madame, on n'a pas besoin d'aller dans le monde pour tromper son mari.

--Assez, monsieur... assez--dit fi�rement Berthe;--puisque vous me
comprenez ainsi, je n'ai rien � ajouter.... Je vous accompagnerai quand
vous le voudrez chez madame la princesse de Hansfeld.

--Et prenez bien garde � ce que vous ferez... au moins.... Rappelez-vous
bien ceci... je vous le r�p�te � dessein... l'amour peut �tre indulgent,
g�n�reux... l'orgueil, jamais.... Ainsi je serais pour vous
impitoyable... si vous aviez le malheur de vous mal conduire, je vous
briserais, je vous �craserais sans piti�, entendez-vous?--ajouta-t-il,
les l�vres contract�es par la col�re en saisissant rudement le bras de
Berthe.

Celle-ci, tr�s calme, se d�gagea doucement et lui r�pondit:

--Avec toute autre que moi, monsieur, vous auriez peut-�tre tort de
joindre l'attrait du danger... � l'attrait que peut offrir l'amour....
Croyez-moi, lorsque le devoir est impuissant, la terreur est vaine....

En disant ces mots, Berthe rentra chez elle et laissa M. de Br�vannes
dans une irritation et dans une anxi�t� profondes.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XIII.

CORRESPONDANCE.


Madame de Hansfeld revint assez satisfaite de son entretien avec M. de
Br�vannes. En songeant � la proposition qu'il lui avait faite de lui
pr�senter Berthe, Paula �prouvait des ressentiments �tranges: d'abord,
sachant l'amour d'Arnold pour madame de Br�vannes, elle avait voulu
jouer un perfide et m�chant tour � M. de Br�vannes, esp�rant jouir
ensuite de la confusion de M. de Hansfeld lorsqu'il serait reconnu par
Berthe (Paula ignorait qu'Arnold e�t r�v�l� son v�ritable nom � Pierre
Raimond).

Lorsqu'elle avait fait part � Iris de la prochaine pr�sentation de
madame de Br�vannes � l'h�tel Lambert, la boh�mienne s'�tait �cri�e en
tressaillant de joie:

--Maintenant... vous n'avez plus rien � d�sirer... vos voeux seront
combl�s quand il vous plaira de me faire un signe.

En vain Paula avait voulu forcer Iris � s'expliquer davantage; celle-ci
s'�tait renferm�e dans un silence absolu apr�s avoir seulement ajout�:

--R�fl�chissez bien, marraine... vous me comprendrez.

La princesse avait r�fl�chi.

En arr�tant d'abord sa pens�e sur M. de Hansfeld, elle s'�tait demand�
ce qu'il lui inspirait depuis qu'il l'avait soup�onn�e des crimes les
plus horribles.... Elle ressentait autant de haine que de m�pris contre
lui, haine contre l'homme capable de concevoir de tels soup�ons, m�pris
pour l'homme assez faible pour ne pas accuser hardiment celle qu'il
soup�onnait.

Paula �tait doublement injuste; elle oubliait qu'Arnold l'avait
passionn�ment aim�e, et qu'il n'avait tant souffert que par suite de
cette lutte entre son amour et ses m�fiances....

Chose �trange, elle n'avait jamais aim� son mari d'amour: elle �tait
passionn�ment �prise de M. de Morville, et pourtant elle se trouvait
bless�e de l'amour du prince pour Berthe; rien de plus absurde, mais de
plus commun que la jalousie d'orgueil.

Si la pens�e de madame de Hansfeld se reportait sur M. de Morville, �
l'instant ces trois mots sinistres flamboyaient � sa vue:

--_Si j'�tais veuve_!...

Et elle n'osait pas s'avouer qu'elle e�t �t� satisfaite si l'une des
tentatives d'Iris avait r�ussi.

Nous l'avons dit, rien de plus fatal que de familiariser sa pens�e avec
de simples suppositions qui, r�alis�es, seraient des crimes; si
monstrueuses qu'elles paraissent d'abord, peu � peu l'esprit les admet
d'autant plus facilement qu'elles flattent davantage et incessamment les
int�r�ts qu'elles serviraient.

Cela est funeste... la vue continuelle d'une proie facile �veille les
app�tits sanguinaires les plus endormis.

Rentr�e chez elle, Paula r�fl�chit longtemps aux paroles myst�rieuses
d'Iris, � propos de la pr�sentation de Berthe � l'h�tel Lambert.

--�Maintenant vous n'avez plus rien � d�sirer... quand il vous plaira
vos voeux seront combl�s.�

Un secret instinct lui disait que du rapprochement du prince, de M. de
Br�vannes et de Berthe, il pouvait r�sulter de graves complications;
mais que pouvait y gagner son amour � elle, pour M. de Morville?

A ce moment, madame de Hansfeld fut interrompue par Iris.

--Que voulez-vous?--lui dit-elle brusquement.

--Marraine, un commissionnaire vient de m'apporter une enveloppe � mon
adresse; dans cette enveloppe �tait une lettre pour vous.

Paula prit la lettre et tressaillit.

Elle reconnut l'�criture de M. de Morville.

Ce billet contenait seulement ces mots:

�Les circonstances, madame, me forcent � un parti extr�me.... J'adresse
� tout hasard ce billet � votre demoiselle de compagnie.... Un affreux
et dernier coup accable le malheureux auquel vous avez d�j� daign�
tendre la main... il n'a pas d�sesp�r� de votre piti�... aujourd'hui
m�me avec ces paroles magiques: _Faust et Manfred_, vous pourrez sinon
le rendre � la vie... du moins adoucir son agonie.�

Un moment madame de Hansfeld ne comprit pas la signification de cette
lettre. Puis tout � coup s'adressant � Iris:

--Quel jour sommes-nous aujourd'hui?

--Jeudi, marraine.

--Jeudi... non, ce n'est pas cela...--se dit madame de Hansfeld--j'avais
cru... mais...--reprit-elle avec anxi�t�--n'est-ce pas aujourd'hui la
mi-car�me?

--Oui, marraine... quelques masques ont pass� dans la rue.

--Oh! je comprends... je comprends--s'�cria madame de Hansfeld--et
courant � son secr�taire elle �crivit ces mots � la h�te:

�Ce soir, � minuit et demi, � l'Op�ra, au m�me endroit que la derni�re
fois, _Faust et Manfred_!... un ruban vert au camail du domino.�

Puis, cachetant et donnant cette lettre � Iris, elle lui dit:

--Voici la r�ponse, remettez-la....

Iris sortit.

       *       *       *       *       *

Le soir, � minuit et demi, au bal de l'Op�ra, L�on de Morville et madame
de Hansfeld, tous deux masqu�s comme ils l'�taient lors de leur premi�re
entrevue, se rencontr�rent au fond du corridor des secondes loges �
gauche du spectateur, et entr�rent dans le salon de l'avant-sc�ne o�
avait eu lieu leur premier et leur dernier entretien.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XIV.

LE MARIAGE.


Madame de Hansfeld fut �pouvant�e du changement des traits de M. de
Morville et de l'expression de douleur d�sesp�r�e qui les contractait.

--Qu'y a-t-il donc, mon Dieu?--s'�cria-t-elle en jetant son masque � ses
pieds.

--Un mot... d'abord--dit M. de Morville.--Je ne m'�tais pas tromp�;
cette myst�rieuse amie... qui m'�crivait sans se faire conna�tre....

--C'�tait moi... oui; oui, votre coeur avait devin� juste... mais au nom
du ciel qu'y a-t-il; votre vie est-elle menac�e?

--Tout est menac�, ma vie, ma raison, mon amour, mon honneur.

--Que dites-vous?...

--Je dis que je me tuerai... je dis que les passions les plus mauvaises
germent en moi... je dis que je ne me reconnais plus... je dis qu'� mon
amour pour vous je veux sacrifier tout ce qu'il y a de plus saint, de
plus sacr� parmi les hommes... duss�-je �tre parjure et parricide.

--Mon Dieu! vous m'effrayez....

--Paula... m'aimez-vous... comme je vous aime?...

--Ne suis-je pas ici?...

--Vous m'aimez?...

--Oui... oh! oui....

--Paula... fuyons.... Venez... venez....

--Et vos serments?...

--Qu'importe!

--Et votre m�re?

--Qu'importe!

--Ah!... que dites-vous?...

--Venez, vous dis-je.... Cet amour est fatal.... Notre destin�e
s'accomplira....

--En gr�ce, calmez-vous.... Songez � ce que vous m'�criviez encore il y
a peu de jours: _Un obstacle insurmontable nous s�pare_...

--Je ne veux songer � rien... je vous aime... je vous aime... je vous
aime.... Cet amour a subi toutes les �preuves, il a grandi dans le
silence, il a r�sist� � votre indiff�rence affect�e, il a p�n�tr� votre
tendresse cach�e, il m'a rendu insouciant de ce que j'adorais,
d�daigneux de ce que j'honorais.... Il br�le mon sang, il �gare ma
raison, il d�borde mon coeur. Paula, si vous m'aimez, fuyons, ou je
meurs!...

--Mon Dieu! mon ami, croyez-vous �tre seul � souffrir ainsi?...
Souffrir... oh! non, maintenant je puis d�fier une vie de tourments...
je puis mourir... j'ai �t� aim�e... comme j'avais r�v� d'�tre aim�e...
aim�e avec d�lire; aim�e sans r�flexion, sans scrupule, sans remords;
aim�e avec tant d'aveuglement, que vous ne soup�onnez pas l'�normit� des
sacrifices que vous m'offrez, la profondeur de l'ab�me o� vous voulez
nous pr�cipiter....

--Paula, Paula, ne me parlez pas ainsi, vous me rendez fou; vous ne
savez pas... non, vous ne savez pas ce que c'est que l'entra�nement
d'une seule pens�e qui engloutit toutes les autres dans son courant
toujours plus large, plus rapide, plus profond.... Moi qui jusqu'ici
pouvais marcher le front haut... je ne l'ose plus... il y a des regards
que j'�vite.

--Vous?... vous?...

--Savez-vous ce que je me suis dit bien souvent... depuis qu'un serment
dont je ne veux plus tenir compte maintenant m'a tenu �loign� de vous?

--Ne parlez pas ainsi.

--Eh bien! d'abord en songeant � la fr�le sant� de votre mari, je me
suis dit: M. de Hansfeld mourrait... je n'en serais pas afflig�...
puis... sa vie... d�pendrait de moi... que je le laisserais p�rir....
Puis j'ai �t� plus loin... j'ai... mais non, non je n'ose vous dire
cela... m�me � vous... je vous ferais horreur.... Ah! maudit soit le
jour... o� pour la premi�re fois cette pens�e m'est venue.

Et M. de Morville cacha sa t�te dans ses mains.

Les derniers mots qu'il venait de prononcer devaient retentir longtemps
dans le coeur de Paula.

Elle �tait � la fois �pouvant�e, et pourtant presque heureuse de
l'�trange complicit� morale qui faisait partager ses voeux homicides
contre le prince par M. de Morville, lui, jusqu'alors si loyal et si
g�n�reux. Dans ce bouleversement complet des principes de l'homme dont
elle �tait ador�e, elle vit une nouvelle preuve de l'influence qu'elle
exer�ait.

Mais par une de ces contradictions, un de ces d�vouements si familiers
aux femmes, madame de Hansfeld se promit de tout faire pour �loigner
d�sormais, et pour toujours, des pens�es pareilles de l'esprit de M. de
Morville, et cela parce que peut-�tre, de ce moment m�me, elle prenait
les r�solutions les plus criminelles; quoi qu'il arriv�t, elle ne
voulait pas que M. de Morville p�t se reprocher un jour les voeux qu'il
avait faits dans un moment d'�garement.

M. de Morville �tait tomb� la t�te dans ses mains avec accablement;
madame de Hansfeld lui dit d'un ton doux et ferme:

--J'aurai du courage pour vous et pour moi... je vous rappellerai des
serments autrefois si puissants sur vous; la violence de votre amour
m�me ne doit pas vous les faire oublier. De gr�ce, revenez � vous...
vous parlez de nouveaux chagrins... quels sont-ils? votre m�re est-elle
plus souffrante?

--Eh! qu'importe?...

--Ah! de gr�ce, ne parlez pas ainsi. Croyez-moi.... Une femme peut �tre
fi�re de voir son influence un moment sup�rieure aux plus nobles
principes... mais c'est � condition que ces principes reprendront leur
cours.... J'aurais horreur de vous et de moi si au lieu du coeur
g�n�reux que j'ai surtout ch�ri je ne retrouvais maintenant qu'un coeur
�go�ste et dess�ch�... Serait-ce donc l� le fruit de notre amour?

M. de Morville secoua tristement la t�te.

--H�las! je le crains--dit-il d'une voix sourde--je n'ai plus la force
de r�sister au courant qui m'emporte.... Rien de ce que je v�n�rais
autrefois n'est plus capable maintenant de m'arr�ter.... Avant tout
votre amour.... P�risse le reste....

--Heureusement... j'aurai le courage qui vous manque....

--Ah! vous ne m'aimez pas....

--Je ne vous aime pas?... Mais laissons cela, dites-moi sous quelle
exaltation vous �tiez lorsque vous m'avez �crit ce billet qui m'a si
fort alarm�e et qui m'a fait venir ici... ce soir....

--Ne sachant comment vous l'adresser, j'ai compt� sur la fid�lit� de
votre demoiselle de compagnie.... D'ailleurs ce billet n'�tait
compr�hensible que pour vous seule.... E�t-il tomb� entre les mains de
M. de Hansfeld, il ne vous e�t pas compromise.

--J'ai reconnu l� votre tact habituel.... Mais la cause de ce billet?...

--Votre sang-froid me fait honte.... Moi aussi j'aurai du courage.... Je
vous sais gr� de me rappeler � moi-m�me.... Eh bien! voici ce qui vient
de nouveau m'accabler.... Hier ma m�re... m'a fait appeler.... Elle
�tait plus faible et plus souffrante qu'� l'ordinaire.... Je n'ose
penser que depuis quelque temps je suis moins soigneux pour elle....

--Ah! vous ne savez pas le mal que vous me faites en parlant ainsi....

--Elle me dit apr�s quelque h�sitation qu'elle sentait ses forces
s'�puiser... qu'il lui restait peu de temps � vivre.... Elle attendait
de moi une preuve supr�me de soumission � ses volont�s.... Il s'agissait
de la tranquillit� de ses derniers instants; je la priai de s'expliquer;
elle me dit qu'un de nos alli�s, qu'elle me nomma, un de ses plus
anciens amis, avait une fille charmante et accomplie....

--Je comprends tout...--dit madame de Hansfeld avec fermet�.--En gr�ce,
continuez.

--Continuer.... Et que vous dirais-je de plus? ma m�re a voulu me faire
promettre que mon mariage se ferait de son vivant, c'est-�-dire tr�s
prochainement; j'ai refus�. Elle m'a demand� si j'avais � faire la
moindre objection sur la beaut�, la naissance, les qualit�s de cette
jeune fille; j'ai reconnu, ce qui est vrai, qu'elle �tait accomplie de
tous points; mais j'ai signifi� � ma m�re que je ne voulais pas
absolument me marier.... Alors... elle s'est prise � pleurer; les
�motions vives lui sont tellement funestes, faible comme elle est...
qu'elle s'est �vanouie.... J'ai cru, mon Dieu, que j'allais la perdre...
et j'ai retrouv� ma tendresse d'autrefois.... En revenant � elle, ma
m�re m'a serr� la main, et, avec une bont� navrante, elle m'a demand�
pardon de m'avoir contrari� par ses d�sirs... dont elle ne me
reparlerait plus.... Mais je le sais, je lui ai port� par mon refus un
coup douloureux.... Je n'ose en pr�voir les suites.... Elle avait fond�
de si grandes esp�rances sur ce mariage!

Hier, son �tat a empir�; je l'ai trouv�e profond�ment abattue; elle ne
m'a pas dit un mot relatif � cette union.... Mais, malgr� son doux et
triste sourire, j'ai lu son chagrin dans son regard, je l'ai quitt�e le
coeur d�chir�. Sa sant� d�faillante ne r�sistera pas peut-�tre � de si
violentes secousses. Eh bien! dites, Paula, est-il un sort plus
malheureux que le mien? J'ai la t�te perdue. N'�tait-ce pas assez d'�tre
s�par� de vous par un serment solennel? Il m'interdisait le pr�sent,
mais il me laissait au moins l'avenir. Maintenant il faut pour rendre
l'agonie de ma m�re plus douce, il faut que je me r�signe � ce mariage
odieux, impossible, car il d�truirait jusqu'aux faibles esp�rances qui
me restent.... Encore une fois, cela ne sera pas; non, non, mille fois
non. Paula, si vous m'aimez, si vous �tes capable de sacrifier autant
que je vous sacrifie, nous n'aurons pas � rougir l'un de l'autre.

--Non, car tous deux nous aurons foul� aux pieds nos serments et nos
devoirs--dit Paula en interrompant M. de Morville.

--Nous fuirons au bout du monde, et....

--Et la premi�re effervescence de l'amour pass�e, la haine, le m�pris
que nous ressentirons l'un pour l'autre vengeront ceux que nous aurons
sacrifi�s. Mon pauvre ami, votre raison s'�gare.

--Mais que voulez-vous que je fasse?

--Que vous ne soyez pas parjure... que vous ne h�tiez pas la mort de
votre m�re.

--Renoncer � vous, me marier.... Jamais! jamais!

--�coutez-moi bien. Je vous d�clare que je ne pourrais pas aimer un
homme l�che et parjure, lors m�me que ce serait pour moi qu'il se
parjurerait l�chement. Mon amour-propre de femme est satisfait de ce que
chez vous, pendant quelques moments, la passion a vaincu le devoir;
c'est assez. Vous avez jur� de ne jamais me dire un mot qui p�t
m'engager � oublier mes devoirs, vous tiendrez ce serment?

--Mais....

--Je le tiendrai pour vous si vous �tes tent� d'y manquer.

--Et ce mariage?--dit M. de Morville avec amertume;--ce mariage, vous me
conseillez sans doute d'y consentir?

--Non.

--Non? Ah! je n'en doute plus... vous m'aimez!

--Si je vous aime! Ah! croyez-moi, ce mariage me porterait
un coup encore plus cruel qu'� vous--dit Paula avec
�motion--mais--ajouta-t-elle--il faut m�nager votre pauvre m�re, ne pas
refuser positivement de lui ob�ir... temporiser... lui dire que vous
�tes revenu sur votre premi�re r�solution... mais que vous voulez
r�fl�chir � loisir avant de prendre une d�termination aussi grave....
Gagnez du temps, enfin.

--Mais ensuite, ensuite?

--Ah! savons-nous ce qui appartient � l'avenir. Remercions le sort de
l'heure, de la minute pr�sente; demain n'est pas � nous.

--Mais quand pourrai-je vous �crire, vous revoir? Quelle sera l'issue de
cet amour? il me br�le, il me d�vore, il me tue.

--Et moi aussi il me br�le, il me d�vore, il me tue; vous ne souffrez
pas seul... n'est-ce pas assez?

--Mais qu'esp�rer?

--Que sais-je! Aimer pour aimer, n'est-ce donc rien?

--Mais que je puisse au moins vous voir quelquefois chez vous, vous
rencontrer dans le monde.

--Chez moi, non; dans le monde, votre serment s'y oppose.

--Ah! vous �tes sans piti�.

--Calmez votre m�re, non par des promesses, mais par des temporisations.
Dans huit jours je vous �crirai.

--Pour me dire?...

--Vous le verrez... peut-�tre serez-vous plus heureux que vous ne vous y
attendez.

--Il se pourrait? Ah! parlez, parlez.

--Ne vous h�tez pas de b�tir de folles esp�rances sur mes paroles.
Rappelez-vous bien ceci: jamais je ne souffrirai que vous manquiez � la
foi jur�e... mais comme je vous aime passionn�ment....

--Eh bien?

--Le reste est mon secret.

--Oh! que vous �tes cruelle!

--Oh! bien cruelle, car je veux que demain vous m'�criviez que votre
m�re est moins souffrante, que vous l'avez un peu tranquillis�e; j'en
serai si heureuse!... car je me reproche am�rement ses chagrins;
n'est-ce pas moi qui les cause involontairement?

--Je vous le promets. Et vous, � votre tour?

--Dans huit jours vous saurez mon secret. Je regrette moins de ne pas
vous recevoir chez moi. Nous allons, je le crains, rompre nos habitudes
de retraite. M. de Hansfeld m'a pri�e de recevoir plusieurs personnes,
entre autres M. et madame de Br�vannes. Les connaissez-vous?

--Je rencontre quelquefois M. de Br�vannes; on dit sa femme charmante.

--Charmante, et je crains pour le repos de mon mari qu'il ne s'en
aper�oive.

--Que dites-vous!

--Je le crois s�rieusement occup� de madame de Br�vannes.

--Le prince?

--Il est parfaitement libre de ses actions, autant que je le suis des
miennes.

--Et vous refusez de me recevoir chez vous... lorsque votre mari....

Paula interrompit M. de Morville.

--Je vous refuse cela, d'abord parce que vous avez jur� de ne jamais
vous pr�senter chez moi; et puis, condamnable ou non, la conduite de mon
mari ne doit en rien influencer la mienne; il est des d�licatesses de
position que vous devez appr�cier mieux que personne.... Dans huit jours
vous en saurez davantage.

--Dans huit jours... pas avant?...

--Non.

--Que je suis malheureux!

--Bien malheureux, en effet! Vous venez ici accabl�, d�sesp�r�, vous
reprochant votre duret� avec votre m�re, oubliant tout ce qu'un homme
comme vous ne doit jamais oublier; je vous calme, je vous console, je
vous offre le moyen de m�nager � la fois les volont�s de votre m�re et
nos propres int�r�ts....

--Oui, oui, vous avez raison.... Pardon, j'�tais venu ici avec des
pens�es mis�rables; vous m'avez fait rougir, vous m'avez relev� � mes
propres yeux, vous m'avez rappel� � l'honneur, � la foi jur�e, � ce que
je dois � ma m�re. Merci, merci; vous avez raison, pourquoi songer �
demain quand l'heure pr�sente est heureuse? Merci d'�tre venue � moi d�s
que je vous ai dit que j'�tais accabl� par la douleur, par le d�sespoir.
Tout � l'heure j'�tais d�sol�, maintenant je me sens rempli de force et
d'espoir; le coeur me bat noblement; vous m'avez sauv� la vie, vous
m'avez sauv� l'honneur; mon courage est retremp� au feu de votre amour,
je me sens aim�! Je ferme les yeux, je me laisse conduire par vous;
ordonnez, j'ob�is, je n'ai plus de volont�; je vous confie le sort de
cet amour qui est toute ma vie, qui est toute la v�tre.

--Oh! oui, toute ma vie!--s'�cria madame de Hansfeld avec une exaltation
contenue.--En ayant en moi une confiance aveugle, vous verrez ce que
peut une femme qui sait aimer. Demain �crivez-moi des nouvelles de votre
m�re, et dans huit jours vous saurez mon secret.... Jusque-l�, sauf la
lettre de demain, pas un mot... je l'exige.

--Pas un mot! et pourquoi?

--Vous le saurez; mais promettez-moi ce que je vous demande... dans
l'int�r�t de notre amour....

--Je vous le promets.

--Maintenant, adieu.

--D�j�?

--Il le faut. N'est-il pas bien imprudent que je sois ici?

--Adieu, Paula. Votre main... un baiser... un seul.

--Et votre serment!--dit Paula en remettant son masque et refusant de se
d�ganter.

Elle sortit de la loge, traversa la foule et quitta le th��tre.

Iris l'attendait dans le fiacre comme la derni�re fois.

Pendant tout le temps du trajet, madame de Hansfeld fut sombre et
taciturne; elle revint � l'h�tel Lambert par la petite porte secr�te,
elle monta chez elle accompagn�e d'Iris.

L'amour passionn� de Paula pour M. de Morville �tait arriv� � son
paroxysme; elle se sentait capable des d�terminations les plus funestes;
sa raison �tait presque �gar�e; elle craignait surtout que M. de
Morville, malgr� sa r�pugnance pour le mariage qu'on lui proposait, ne
s'y d�cid�t, vaincu par les sollicitations de sa m�re mourante. Il
pourrait peut-�tre gagner quelque temps; mais avant huit jours tout
devait �tre d�cid� pour Paula.

Iris, voyant la sombre pr�occupation de sa ma�tresse, en devina la cause
et lui dit, apr�s un assez long silence, en lui montrant une �pingle �
t�te d'or constell�e de turquoises, et fich�e � une pelote recouverte de
dentelle:

--Marraine, souvenez-vous de mes paroles.... Lorsque vous voudrez que la
pens�e que vous n'osez vous avouer se r�alise sans que vous ou moi
prenions la moindre part � son ex�cution, remettez-moi cette �pingle,
peu de jours apr�s, vous n'aurez plus rien � d�sirer.... Depuis que je
vous ai parl�, l'id�e a germ� dans le coeur o� je l'avais sem�e; elle a
grandi, elle sera bient�t m�re. Encore une fois, cette �pingle, et vous
pourrez �pouser M. de Morville.

--Cette �pingle?--dit madame de Hansfeld en p�lissant et en prenant sur
la pelote le bijou et le contemplant pendant quelques moments avec une
effrayante anxi�t�.

--Cette �pingle--dit Iris en avan�ant la main pour la saisir, le regard
brillant d'un �clat sauvage.

Madame de Hansfeld, sans lever les yeux, dit d'une voix basse et
tremblante:

--Ce que vous dites, Iris, est une sinistre plaisanterie, n'est-ce pas?
Cela est impossible.... Comment pourrez-vous?...

--Donnez-moi l'�pingle... ne vous inqui�tez pas du reste.

--Je serais folle de vous croire. Par quel miracle?...

En parlant ainsi, Paula, accoud�e sur la chemin�e et tenant toujours
l'�pingle, l'avait machinalement et comme en se jouant approch�e de la
main d'Iris, �tendue sur le marbre.

La boh�mienne saisit vivement l'�pingle.

La princesse, �pouvant�e, la lui retira des mains avec force en
s'�criant:

--Non, non; ce serait horrible.... Oh! jamais, jamais!... meurent plut�t
toutes mes esp�rances.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XV.

LE LIVRE NOIR.


Deux jours apr�s la premi�re entrevue de madame de Hansfeld et de M. de
Morville au bal de l'Op�ra, Iris avait apport�, selon sa promesse, le
_livre noir_ � M. de Br�vannes; celui-ci y avait lu les lignes
suivantes, attribu�es � la princesse:

�Je suis si troubl�e de cet entretien, que je puis � peine rassembler
mes souvenirs; j'ai peur de me rappeler ce que j'ai promis � M. de
Br�vannes, ce que je lui ai laiss� deviner, peut-�tre....

�Quelle est donc la puissance de cet homme? J'�tais all�e l� bien r�solue
d'�tre pour lui d'une froideur impitoyable; � peine l'ai-je vu... que
j'ai oubli� tout... jusqu'� ses menaces....

�Quelle fatalit� l'a donc, pour mon malheur, ramen� ici?...

�Non, non, je ne l'aimerai pas....

�Je me fais horreur � moi-m�me.... Comment! en pr�sence du meurtrier de
Rapha�l... je n'ai ressenti ni haine ni fureur.... Oh! honte sur moi! il
a remarqu� ma faiblesse....

�H�las! que faire?... Lorsque j'entends sa voix, lorsque son ardent
regard... s'attache sur moi... mes r�solutions les plus fermes
m'abandonnent... je ne pense qu'� l'�couter... qu'� le contempler....

�Il est si beau de cette beaut� virile et hardie qui, la premi�re fois
que je l'ai vu, m'a laiss� une impression profonde... ineffa�able....
Tout en lui, annonce un de ces hommes passionn�ment �nergiques qui
aiment... comme je saurais aimer... comme je n'ai jamais �t� aim�e....
Oh! si ma volont� et la sienne �taient unies... � quel terme de f�licit�
n'arriverions-nous pas!...

�B�ni soit ce livre... je puis lui dire ce que je n'oserais dire � aucune
cr�ature humaine... ce que je n'oserais m�me relire tout haut....

�Il m'a demand� de me pr�senter sa femme.... D'avance, je la hais...
c'est pourtant � elle que je devrai de recevoir un jour son mari... mais
cette obligation m'irrite contre elle; c'est son bonheur que j'envie...
elle porte le nom de cet homme qui exerce sur moi une si incroyable
influence... ce nom que maintenant je ne puis entendre sans trouble....
Oh! cette femme, je la hais, je la hais... elle est trop heureuse!

�Apr�s tout, pourquoi rougir de mon amour? Il ne sera jamais coupable...
car il ne sera jamais heureux....

�Mon ambition de coeur est trop grande... jamais _lui_ ne saura ce qu'il
aurait pu �tre pour moi, si tous deux nous eussions �t� libres! Oh! quel
r�ve! quel paradis!

�La passion que j'�prouve est trop puissante, trop immense, pour
descendre jusqu'aux mensonges auxquels nous serions r�duits, lui et moi,
si nous cherchions les plaisirs d'un amour vulgaire.... Non, non... lui
appartenir au grand jour, � la face de tous, porter noblement et
fi�rement son nom... ou ensevelir mon malheureux amour au plus profond
de mon coeur... aucune puissance humaine ne me fera sortir de l'une de
ces deux alternatives....

�Or, comme lui et moi portons les cha�nes du mariage... cha�nes bien
lourdes!... or, comme le hasard; en lib�rant l'un de nous deux, ne
lib�rerait pas l'autre... ma vie ne sera qu'un long regret, qu'un long
supplice.... Ce que je dis est vrai; je n'ai aucun int�r�t � me mentir �
moi-m�me.... Je connais assez la fermet� de mon caract�re pour �tre s�re
de ma r�solution....

�Et puis, _lui_ aussi a tant de volont�, tant d'�nergie, que c'est �tre
digne de lui que de l'imiter dans son �nergie, dans sa volont�, lors
m�me qu'elles seraient employ�es � lui r�sister....

�Oh! il ne sait pas ce que c'est de pouvoir se dire qu'on a r�sist� � un
homme comme lui.

�J'�prouve un charme �trange � me rendre ainsi compte des pens�es qu'il
ignorera toujours, � �tre dans ces confidences muettes aussi tendre,
aussi passionn�e pour lui que je serai froide, r�serv�e en sa pr�sence;
je suis contente de ma derni�re �preuve � ce sujet.... De quel air
glacial je l'ai re�u!

�Mais aussi quel courage il m'a fallu!... Sans la pr�sence d'Iris,
j'eusse �t� plus froide encore; mais, la sachant l�, j'�tais rassur�e
contre moi-m�me.

�Cette jeune fille m'inqui�te, elle m'entoure de soins; pourtant je ne
sais quel vague pressentiment me dit qu'il y a de l'hypocrisie dans sa
conduite. Elle est sombre, distraite, pr�occup�e; que lui ai-je fait?
Quelquefois, il est vrai, dans un acc�s de tristesse et de morosit�, je
la rudoie.... J'y songerai... je la surveillerai.

�Que viens-je d'apprendre?... Non, non, c'est impossible... l'enfer n'a
pas voulu cela....

�Sa femme.... Berthe de Br�vannes, lui serait infid�le!...

�Si les preuves qu'on vient de m'apporter �taient vraies....

�Oh! il est indignement jou�... La mis�rable!... avec son air doux et
candide... elle ne sent donc pas ce que c'est que d'�tre assez heureuse,
assez honor�e pour porter son nom? Lui!... lui tromp�... comme le
dernier des hommes... lui raill�, moqu� peut-�tre.... Je ne sais ce que
je ressens � cette id�e, qui ne m'�tait jamais venue.

�Oh! je suis folle... folle... ce n'est pas de l'amour, c'est de
l'_idol�trie_.�

Le m�mento suppos� de madame de Hansfeld avait �t� perfidement
interrompu � cet endroit.

En lisant les derniers mots, qui avaient rapport � une pr�tendue
infid�lit� de Berthe, M. de Br�vannes bondit de douleur et de rage.

Par cela m�me que la lecture de la premi�re partie de ce journal l'avait
plong� dans tous les ravissements de l'orgueil, et de l'orgueil exalt�
jusqu'� sa derni�re puissance, ce contre-coup lui fut plus douloureux
encore; il ne se poss�da pas de fureur en pensant qu'il jouait peut-�tre
un r�le ridicule aux yeux de Paula; il connaissait assez les femmes pour
savoir que s'il leur est doux, tr�s doux, d'enlever un mari ou un amant
� un coeur fid�le, elles se soucient m�diocrement de servir de
vengeance, de repr�sailles � un homme qu'on a tromp�.

Iris elle-m�me avait �t� effray�e de l'expression de col�re et de haine
qui contracta les traits de M. de Br�vannes lorsqu'il eut lu ce passage
du livre noir; elle quitta le mari de Berthe, bien certaine d'avoir
frapp� o� elle voulait frapper.

En effet, elle laissa M. de Br�vannes dans un �tat d'exaltation
impossible � d�crire.

D'un c�t�, il se flattait d'�tre aim� par madame de Hansfeld avec une
incroyable �nergie; mais il avait presque la certitude de ne pouvoir
rien obtenir d'une femme si r�solue, qui puisait dans la violence m�me
de son amour la force de r�sistance qu'elle comptait d�ployer, voulant
et croyant fermement prouver sa passion par des refus opini�tres dont
elle se glorifiait.

D'un autre c�t�, son sang bouillonnait de courroux en songeant que
Berthe le trompait, qu'il �tait peut-�tre d�j� l'objet des sarcasmes du
monde. Les moindres circonstances de son entretien avec sa femme lui
revinrent � l'esprit, il y trouva la confirmation des soup�ons que
quelques lignes du livre noir venaient d'�veiller.

Il ne savait que r�soudre. Le lendemain il devait pr�senter sa femme
chez madame de Hansfeld; il lui fallait donc m�nager Berthe jusqu'apr�s
cette pr�sentation, qu'il regardait comme si importante pour l'avenir de
son amour; mais comment se contraindrait-il jusque l�, lui toujours
habitu� de faire sous le moindre pr�texte supporter � sa femme ses acc�s
d'humeur?

Il s'�puisait � chercher quel pouvait �tre le complice de madame de
Br�vannes; apr�s de m�res r�flexions, se souvenant des go�ts retir�s que
Berthe avait r�cemment affect�s, il se persuada que celle-ci
s'abandonnait � quelque obscur et vulgaire amour.

Iris, avec une infernale sagacit�, avait justement dans le livre noir
fait insister Paula sur le bonheur et sur l'orgueil qu'elle aurait �
porter le nom de M. de Br�vannes.... Et c'�tait ce nom que Berthe
d�shonorait.

Le pi�ge �tait trop habilement tendu pour que cet homme vain, jaloux,
orgueilleux, et d'une m�chancet� cruelle lorsqu'on blessait son
amour-propre, pour que cet homme, disons-nous, n'y tomb�t pas, et
n'entr�t pas ainsi dans un ordre d'id�es n�cessaires au plan diabolique
d'Iris....

En effet, apr�s avoir pass� par tous les degr�s de la col�re et s'�tre
mentalement abandonn� aux menaces les plus violentes contre Berthe et
son complice inconnu, tout � coup M. de Br�vannes sourit avec une sorte
de joie f�roce; il se calma, s'apaisa, plus que satisfait de la trahison
de Berthe; il n'eut plus qu'une crainte... celle de ne pas pouvoir se
procurer des preuves flagrantes de son d�shonneur.

Il jugea n�cessaire � ses projets de cacher � madame de Br�vannes la
d�nonciation qu'il avait re�ue, pour �pier ses moindres d�marches; il
voulait l'endormir dans la plus profonde s�curit�.

Aussi, le lendemain (jour de la pr�sentation de Berthe � madame de
Hansfeld) M. de Br�vannes entra chez sa femme, apr�s s'�tre fait
pr�c�der d'un �norme bouquet et d'une charmante parure de fleurs
naturelles.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XVI.

CONVERSATION.


Berthe, peu accoutum�e � de telles pr�venances de la part de M. de
Br�vannes, fut doublement surprise de ce cadeau de fleurs, surtout apr�s
la sc�ne de la veille, sc�ne dans laquelle son mari s'�tait montr� si
grossier.

Elle fut non moins �tonn�e de son air contrit et doucereux; mais dans
son ing�nuit� elle se laissa bient�t prendre au faux sourire de bont�
qui temp�rait � ce moment la rudesse habituelle des traits de M. de
Br�vannes.

Quoiqu'elle e�t fait son possible pour ne pas aller � l'h�tel Lambert
dans la crainte d'y rencontrer M. de Hansfeld, Berthe se sentait
int�rieurement coupable de cacher � son mari les entrevues qu'elle avait
eues chez Pierre Raimond avec Arnold; aussi s'exag�rait-elle encore ses
torts � la moindre bonne parole de M. de Br�vannes.

Ce fut donc presque avec confusion qu'elle le remercia des fleurs qu'il
lui avait envoy�es.

--En v�rit�, Charles--lui dit-elle--vous �tes mille fois bon, vous me
g�tez... ce bouquet �tait magnifique, cette parure de cam�lias est de
trop.

--Vous avez raison, ma ch�re amie, vous n'avez pas besoin de tout cela
pour �tre charmante... mais je n'ai pu r�sister au d�sir de vous envoyer
ces fleurs, malgr� leur inutilit�; je suis ravi que cette l�g�re
attention vous ait fait plaisir.... J'ai tant � me faire pardonner....

--Que voulez-vous dire?

--Sans doute: hier, n'ai-je pas �t� brusque, grondeur?... N'ai-je pas
enfin fait tout ce qu'il fallait faire pour �tre ex�cr�? Mais les maris
sont toujours ainsi.

--Je vous assure, Charles, que j'avais compl�tement oubli�....

--Vous �tes si bonne et si g�n�reuse.... Vraiment quelquefois je ne sais
comment j'ai pu m�conna�tre tant de pr�cieuses qualit�s....

--Charles... de gr�ce.

--Non vraiment... cela m'explique l'incroyable, l'aveugle confiance que
j'ai toujours eue en vous, � part quelques acc�s de jalousie sans motif,
bien entendu.... Tenez, vous ne sauriez croire combien surtout notre
conversation d'hier a augment� ma confiance en vous.

--Mon ami....

--Dans le premier moment, je l'avoue... la franchise de vos craintes m'a
un peu effray�; mais depuis, en y r�fl�chissant, j'y ai trouv� au
contraire les plus s�rieuses garanties pour l'avenir, et une preuve de
plus de votre excellente conduite....

--Je vous en prie, ne parlons plus de cela--dit Berthe avec un embarras
qui n'�chappa pas � son mari.

--Au contraire, parlons-en beaucoup, ce sera ma punition, car j'avoue
mes torts.... J'�tais stupide de me f�cher de votre loyaut�! Pourquoi
n'aurait-on pas la modestie de l'honneur comme la modestie du talent? Si
je vous avais pri�e de chanter dans un salon, devant un nombreux public,
m'auriez-vous dit:--Je suis certaine de chanter admirablement bien?...
Non, vous eussiez manifest� toutes sortes de craintes.... Et pourtant il
est certain que peu de talents �galent le v�tre.... Eh bien! vous m'avez
parl� avec la m�me modestie de votre future condition dans le monde o�
je vous oblige d'aller, vous m'avez dit avec raison: �--J'ai le d�sir de
rester fid�le � mes devoirs, mais je redoute les s�ductions et les
p�rils qui entourent ordinairement une jeune femme, et j'aime mieux fuir
ces dangers que les combattre....�

--Encore une fois, je vous en prie, oublions tout ceci--dit Berthe
v�ritablement �mue et touch�e de la bont� de son mari.

--Oh! je ne vous c�derai pas sur ce point--reprit celui-ci--je vous
prouverai que je m'obstine dans le bien comme dans le mal; ma franchise
�galera votre loyaut�... ce qui n'est pas peu dire, et vous saurez
aujourd'hui ce que je vous ai tu hier.

--Quoi donc?

--Je vous parle rarement de mes affaires... mais cette fois vous
m'excuserez si j'entre dans quelques d�tails.

--Mon Dieu... je vous prie....

--Un des parents de madame la princesse de Hansfeld est tr�s haut plac�
en Autriche et peut me servir beaucoup en faisant obtenir d'importants
privil�ges � une compagnie industrielle qui se forme � Vienne et dans
laquelle j'ai des capitaux engag�s. En me faisant pr�senter � la
princesse, en vous priant d'�tre aimable pour elle, vous le voyez,
j'agis un peu par int�r�t... mais cet int�r�t est le v�tre... puisqu'il
s'agit de notre fortune.

--Mon Dieu, pourquoi ne m'avoir pas dit cela hier?

--Je vous l'aurais dit probablement; mais la persistance de vos refus �
propos de cette pr�sentation m'a contrari�. Vous savez que j'ai un tr�s
mauvais caract�re; ma t�te est partie... nous nous sommes s�par�s
presque f�ch�s, et je n'ai pas eu l'occasion de vous apprendre ce que je
voulais vous dire.

--S'il en est ainsi, Charles, croyez que je ferai tout mon possible pour
�tre agr�able � la princesse, puisqu'il s'agit de vos int�r�ts; j'aurai
de la sorte un but en allant chez elle, et je redouterai beaucoup moins
les p�rils que j'ai la vanit� de craindre.

--Voyez, ma ch�re enfant, ce que c'est que de s'entendre, comme toutes
les difficult�s s'aplanissent.... Oh! que je m'en veux de ma vivacit�;
on s'explique si mal quand on est f�ch�! Mais tenez, puisque nous sommes
en confiance, laissez-moi vous parler � coeur ouvert.

--Je vous en prie... si vous saviez combien je suis touch�e de ce
langage si nouveau pour moi.

--C'est que le sentiment que j'�prouve pour vous est aussi presque
nouveau pour moi.

--Charles, je ne vous comprends pas.

Apr�s un moment de silence, M. de Br�vannes reprit:

--�coutez-moi, ma ch�re enfant. On aime sa femme de deux fa�ons, comme
ma�tresse ou comme amie. Pendant longtemps je vous ai aim�e de la
premi�re fa�on. Des torts que je ne veux pas nier, mais que vous avez
punis par une d�cision irr�vocable, ne me permettent plus de vous aimer
que comme amie; mais pour passer de l'un � l'autre de ces deux
sentiments, la transition est p�nible... surtout lorsqu'il faut renoncer
� une aussi charmante ma�tresse.

--De gr�ce....

--Le sacrifice est fait... c'est � mon amie, � ma sinc�re amie que je
parle, que je parlerai d�sormais.

M. de Br�vannes dissimula si parfaitement ses mauvais desseins, et dit
ces mots d'une voix si p�n�trante, qu'une larme roula dans les yeux de
Berthe; un aveu de ses torts lui vint aux l�vres. Elle prit la main de
son mari, la serra cordialement entre les siennes et r�pondit:

--Et d�sormais votre amie fera tout au monde pour �tre digne de....

--Assez, ma ch�re enfant--dit M. de Br�vannes en interrompant
Berthe;--je sais tout ce que vous valez... et qu'on est toujours s�r
d'�tre entendu lorsqu'on s'adresse � votre d�licatesse.... Mais
permettez-moi de terminer ce que j'ai � vous dire.... Par cela m�me
qu'il y a deux mani�res d'aimer sa femme, il y a deux mani�res d'en �tre
jaloux..

--Je ne vous comprends pas, mon ami.

C'est ce que je crains, surtout � propos de quelques-unes de mes paroles
d'hier que vous avez peut-�tre mal interpr�t�es.

--Comment?

--Sans doute; malheureusement notre entretien est mont� tout � coup sur
un ton si haut que tout s'est �lev� en proportion; quand je vous parlais
de la diff�rence de la jalousie, de l'amour et de l'amour-propre, je
voulais dire que l'on n'est pas jaloux de la m�me fa�on lorsque votre
femme est votre amie au lieu d'�tre votre ma�tresse; dans le premier
cas, le coeur souffre; dans le second, c'est l'orgueil; et
malheureusement l'orgueil n'a pas, comme l'amour, de ces retours de
tendresse qui calment et adoucissent les blessures les plus
douloureuses... me comprenez-vous?

--Mais....

--Pas encore, je le vois. Je voudrais vous parler plus franchement...
mais je crains de mal m'expliquer et de vous choquer peut-�tre.

--Parlez... ne craignez rien.

--Eh bien, �coutez-moi, ma ch�re enfant. Depuis longtemps vous n'�tes
plus pour moi qu'une amie; mais vous avez � peine vingt-deux ans. Ces
s�ductions dont vous parlez, vous avez raison de les craindre; personne
plus que vous ne peut y �tre expos�e... car ma conduite envers vous, je
ne le nie pas, pourrait sinon autoriser, du moins excuser vos fautes.

--Ah! monsieur... pouvez-vous penser?...

--Laissez-moi achever.... Si j'ai toujours le droit d'�tre, comme je le
suis, horriblement jaloux par orgueil, c'est-�-dire jaloux des dehors,
des apparences de votre conduite, j'ai malheureusement perdu le droit
d'�tre jaloux de votre coeur; j'ai seul caus� votre refroidissement par
mes infid�lit�s, par mes duret�s. Il serait donc souverainement injuste
et absurde de ma part, je ne dirai pas d'exiger, mais d'esp�rer qu'�
votre �ge votre coeur soit � tout jamais mort pour l'amour.

Berthe regarda son mari avec stupeur.

--Tout ce que je demande, tout ce que j'ai le droit d'attendre de mon
amie--reprit-il--et � ce sujet elle me trouverait inexorable, c'est, par
sa conduite ext�rieure, de respecter aussi scrupuleusement l'honneur de
mon nom que si elle m'aimait comme le plus aim� des amants; en un mot,
ma ch�re enfant, votre vie publique m'appartient parce que vous portez
mon nom... la vie de votre coeur doit �tre mur�e pour moi, puisque j'ai
perdu le droit d'y �tre int�ress�. Tout ce que je vous dis semble vous
�tonner; pourtant, r�fl�chissez bien; souvenez-vous de notre
conversation d'hier, et vous verrez que je vous dis � peu pr�s les m�mes
choses... le ton seul diff�re.... Pour me r�sumer en deux mots, de ce
jour vous avez votre libert� compl�te, absolue; vous vous appartenez
tout enti�re... nous sommes s�par�s sinon de droit, du moins de fait.
Mais par cela m�me que cette libert� intime est plus absolue, vous devez
pousser jusqu'au dernier scrupule la stricte observation de vos devoirs
apparents; et, je vous le r�p�te, autant vous me trouverez tol�rant ou
plut�t ignorant � propos de vos int�r�ts de coeur, autant vous me
trouverez rigoureux, impitoyable � l'endroit du respect des convenances.
M�ditez bien ceci, ma ch�re enfant; d�s aujourd'hui nos positions sont
nettement tranch�es. J'aurai sans doute plut�t besoin que vous de cette
tol�rance mutuelle � laquelle nous venons de nous engager pour nos
affaires de coeur... mais je n'en suis pas encore aux confidences; et
plus tard j'aurai peut-�tre � solliciter l'indulgence de mon amie. A
propos d'indulgence, je vous demanderai bient�t la permission de vous
quitter et de vous laisser seule.... D'ici � peu de jours je partirai
pour un voyage tr�s court, mais tr�s important....

--Vous partez... vous partez... dans ce moment?...

--Pour tr�s peu de temps, vous dis-je, une ou deux semaines au plus....
Des affaires urgentes.... Mais pendant ce temps je vous confierai mes
int�r�ts aupr�s de madame de Hansfeld, bien certain qu'ils ne peuvent
�tre mieux plac�s qu'entre vos mains.... Allons, ma ch�re enfant, �
tant�t. Faites-vous bien belle; car si je n'ai plus ma vanit� d'amant,
j'ai ma vanit� de mari.

Ce disant, M. de Br�vannes baisa Berthe au front et sortit.

Quelques moments de plus, sa haine et sa rage �clataient malgr� lui.

Les mille �motions qui s'�taient peintes sur la candide physionomie de
Berthe pendant que son mari parlait, l'esp�ce de joie involontaire dont
elle avait eu honte un moment apr�s, mais qu'elle n'avait d'abord pu
cacher lorsqu'il lui avait rendu sa libert�; son inqui�tude vague, ses
esp�rances tour � tour �veill�es et contenues, tout avait �clair� M. de
Br�vannes sur la position du coeur de Berthe.

Il n'en doutait plus, elle aimait; il �tait trop sagace pour s'y
tromper.

Il avait un rival... sa femme le trompait.

Ce fut donc avec une secr�te et sombre satisfaction qu'il s'applaudit
d'avoir plong� madame de Br�vannes dans la plus compl�te, dans la plus
profonde s�curit�.

FIN DE LA DEUXI�ME PARTIE.

       *       *       *       *       *




TROISI�ME PARTIE.




CHAPITRE XVII.

R�SOLUTION.


La passion de madame de Hansfeld pour M. de Morville avait encore
augment� depuis sa derni�re entrevue au bal de l'Op�ra.

Cet amour �tait chez Paula un bizarre m�lange de nobles exaltations et
de funestes arri�re-pens�es. Elle aurait cru avilir l'homme qu'elle
aimait, en souffrant qu'il se parjur�t, et elle �tait r�solue sinon
d'ourdir, du moins de laisser tramer par Iris un complot infernal contre
les jours de son mari, pour pouvoir �pouser M. de Morville, sans que
celui-ci faill�t � son serment.

En vain Paula restait �trang�re � cette machination, dont elle
entrevoyait � peine les r�sultats; elle sentait, � la violence m�me de
ses h�sitations, de ses craintes, de ses remords anticip�s, quelle part
criminelle elle prenait dans cette �pouvantable action, uniquement
con�ue dans l'int�r�t de son amour.

Chose �trange pourtant!... Si les r�v�lations d'Iris avaient eu lieu
quelques mois plus t�t, alors, que le prince �prouvait toute la
premi�re ardeur de sa passion pour Paula, passion � la fois si aveugle
et si clairvoyante, qu'elle ne pouvait s'affaiblir par l'apparente
�vidence des crimes de sa femme, dont il pressentait l'innocence; si les
r�v�lations d'Iris, disons-nous, avaient eu lieu, lorsque le seul
obstacle que Paula p�t opposer � l'amour du prince �tait le souvenir de
Rapha�l.... Rapha�l toujours regrett�, toujours ador�; qu'arrivait-il?

Arnold apprenait l'innocence de Paula; Paula, l'indigne tromperie de
Rapha�l.

Que de chances alors pour que madame de Hansfeld partage�t l'amour du
prince qui m�ritait tant d'�tre aim�, qui s'�tait montr� si vaillamment
�pris! A force de soins, de tendresse, il se serait fait pardonner des
soup�ons dont il avait le premier si g�n�reusement souffert; Paula e�t
reconnu combien il avait, en effet, fallu de passion, d'opini�tre
passion � son mari pour continuer de l'aimer malgr� de si funestes
apparences: la vie la plus heureuse se f�t alors ouverte devant elle,
devant lui.

Malheureusement, les r�v�lations d'Iris avaient �t� trop tardivement
forc�es; plus malheureusement encore M. de Hansfeld aimait Berthe, et
madame de Hansfeld M. de Morville. Ce double et fatal amour rendait leur
position intol�rable.

Madame de Hansfeld devait rester � jamais encha�n�e � un homme qui ne
l'aimait plus; cet homme aimait une autre femme; et pour faire oublier
� Paula les odieux soup�ons dont elle avait �t� victime, il ne pouvait
que l'entourer d'�gards froids et contraints.

Et s�par�e de lui par un obstacle insurmontable, elle voyait � travers
le prisme enchanteur de l'amour un homme jeune, beau, spirituel,
passionn�... si passionn� qu'il avait voulu lui sacrifier ces deux
religions de toute sa vie: _sa parole! sa m�re_! et Paula n'avait pas
m�me la consolation de songer que l'accomplissement de ses devoirs
ferait au moins le bonheur de M. de Hansfeld.

Celui-ci, trouvant de son c�t� r�unies chez Berthe les gr�ces et les
qualit�s les plus s�duisantes, se livrait sans remords � cet amour.
Paula lui ayant toujours manifest� son indiff�rence.

Telle �tait la position de M. et de madame de Hansfeld, au moment o�
celle-ci, pour m�nager M. de Br�vannes, qui pouvait la calomnier si
dangereusement, allait le recevoir � l'h�tel Lambert, ainsi que Berthe.

L'exaltation de Paula �tait arriv�e � ce point qu'elle ne pouvait
supporter plus longtemps sa position. Elle avait fix� � M. de Morville
le terme de huit jours pour lui faire part de sa r�solution supr�me,
parce qu'elle voulait qu'avant huit jours le sort de sa vie enti�re f�t
d�cid�.

Ou elle aurait le courage de profiter des offres d'Iris, ou elle se
tuerait... si le projet de la jeune fille lui semblait exiger une
complicit� pour ainsi dire trop directe, trop personnelle.

Rien ne semble plus �trange, et rien n'est pourtant plus r�el que ces
compositions, que ces attermoiements avec le crime.... Les juges ne sont
pas les seuls � y trouver des _circonstances att�nuantes_.

Madame de Hansfeld venait de faire demander Iris: celle-ci entra.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XVIII.

L'�PINGLE.


--Vous m'avez demand�e, marraine?--dit Iris.

--Oui.... Fermez la porte... et voyez si personne ne peut nous entendre.
Iris sortit un instant et revint.

--Personne, marraine.

Le coeur de Paula battait d'une fa�on �trange; elle baissait les yeux
devant le regard p�n�trant de la boh�mienne; enfin elle lui dit avec
effort:

--�coutez bien; la conversation que je vais avoir avec vous sera la
derni�re que nous aurons au sujet de... ce que vous savez. Vous m'avez
dit, il y a quelques jours: Un mot, un signe de vous... cette �pingle...
je suppose, et....

Paula ne put achever.

Iris reprit:

--Et vous �tes libre!...

--Vous m'avez dit cela....

--Je le r�p�te....

--Vous pr�tendez m'�tre d�vou�e?

--Autrefois, maintenant, toujours.

--Donnez-m'en une preuve.

--Parlez, marraine.

--Dites-moi par quel moyen vous pr�tendez _me rendre libre_...

La voix de madame de Hansfeld s'alt�ra; elle reprit aussit�t et plus
vivement:--Sans que ni vous ni moi soyons complices de... ce... ce qu'il
faut faire pour cela.

Ces mots sembl�rent br�ler les l�vres de madame de Hansfeld.

--Pourquoi cette question?

--Je ne crois pas � la possibilit� de ce que vous m'avez propos�; je ne
songe pas � en profiter; mais je veux conna�tre par quels moyens... vous
pr�tendez... enfin, vous me comprenez....

--A quoi bon vous en instruire?...

--S'ils me paraissent moins horribles que je ne le suppose...
peut-�tre... je ne sais...--Puis la princesse, �pouvant�e de ce qu'elle
venait de dire, mit la main sur ses yeux et s'�cria:--Non, non,
laissez-moi... allez-vous-en, ne revenez plus, je ne veux plus vous
voir... sortez....

--Marraine, en gr�ce!...

--Non... sortez, vous dis-je....

--Eh bien! je vais vous dire par quels moyens....

Et Iris baissa la voix, attendant avec anxi�t� une nouvelle injonction
de sortir.

Paula resta muette.

Iris continua:

--Oui, je puis, si vous l'exigez, vous dire par quels moyens vous pouvez
�tre libre.... Mais prenez garde... prenez garde....

Madame de Hansfeld regarda fixement Iris.

--Que je prenne garde?

--Oui... vous pourrez am�rement regretter de m'avoir interrog�e � ce
sujet.... Vous avez des scrupules, ils deviendront plus grands encore si
vous �tes instruite de mes desseins.... Sans la parole que vous m'avez
fait donner de ne pas agir � votre insu... je vous aurais �pargn� ces
angoisses.... Quelquefois m�me je me demande s'il n'est pas insens� �
moi de vous ob�ir pour cela.... Je n'ai d'autre but que votre
bonheur.... L'odieux du parjure ne retomberait que sur moi... peu
importe... vous seriez heureuse.

--Oseriez-vous manquer � ce que vous m'avez promis?

--Malheureusement je ne l'ose pas; un mot de vous est une loi pour
moi.... Au moins que cette soumission � vos volont�s vous donne une foi
profonde, aveugle, dans ma parole....

--Dans votre parole?--dit am�rement Paula.

--Oui... et je vous jure que les �v�nements ont march� de telle sorte,
sans que vous y soyez m�l�e en rien, vous le savez mieux que personne...
qu'avant huit jours... vous serez peut-�tre libre... et non seulement
aucun soup�on ne vous atteindra, mais l'int�r�t, mais les sympathies du
monde seront pour vous..

Madame de Hansfeld regarda Iris avec surprise, presque avec stupeur.

--Mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne pas me faire part de ces
�v�nements, puisque j'y suis, dites-vous, absolument �trang�re?

--A cause de vos scrupules, marraine.

--De mes scrupules! pourquoi en aurais-je? Ne suis-je pas innocente de
ce qui se passe?

--Vos scrupules na�tront... quoique insens�s.... Ils na�tront, vous
dis-je, et vous les �couterez.

--Comment cela?

--Supposez-vous instruite, par je ne sais quel prodige, de l'avenir
d'une personne qui vous soit absolument indiff�rente... que vous ne
connaissez m�me pas.... Cette prescience vous apprend que cette personne
doit mourir dans huit jours... mourir fatalement, sans que vous soyez
pour rien dans les causes de cette mort, sans qu'elle vous profite en
rien... sans que vous puissiez changer le cours des �v�nements qui
l'am�nent.... N'�prouverez-vous pas une sorte d'angoisse � cette
r�v�lation? ne vous regarderez-vous pas pour ainsi dire comme complice
du destin en voyant cette personne ignorante du sort terrible qui
l'attend, tandis que vous en �tes instruite... vous?

--Je ne me croirais pas complice de cette mort, mais j'�prouverais de la
terreur en voyant cette personne marcher, confiante et paisible, vers un
ab�me qu'elle ignore.

--Eh bien! cette terreur ne deviendra-t-elle pas un remords s'il s'agit
de votre mari, si sa mort comble tous vos voeux, r�alise toutes vos
esp�rances?

--Que dites-vous?

--Quelque innocente que vous fussiez d'une telle catastrophe, ne vous
regarderiez-vous pas presque comme criminelle... seulement parce que
vous �tiez instruite � l'avance? Encore une fois, ne m'interrogez pas
davantage... ne me forcez pas � parler... vous vous en repentiriez, il
serait trop tard.... Confiez-vous � moi.

--Me confier � vous... non, non, je sais ce dont vous �tes capable....
J'�tais certainement innocente de vos affreuses tentatives sur M. de
Hansfeld... et les apparences me condamnaient. Pourtant je vous dis que
je veux tout savoir.

--�tes-vous d�cid�e � renoncer � M. de Morville?

--Que vous importe?...

--Il faut que je le sache... dans ce cas seulement je dois parler.... Il
serait cruel de laisser p�rir pour rien... deux cr�atures de Dieu....

--La vie de deux personnes serait donc en danger?--s'�cria madame de
Hansfeld.

--Malheur sur moi! malheur sur vous!--dit Iris d�sol�e ou paraissant
l'�tre de l'indiscr�tion qui lui �chappait.--Vous me faites dire ce que
je ne voulais pas dire. Eh bien! oui, � cette heure, la vie de deux
personnes est en danger....

--B�ni soit Dieu qui t'a fait parler; jamais je n'ach�terai le bonheur
de ma vie enti�re � un tel prix.... Je renonce � M. de Morville, et que
je sois maudite si jamais....

--Arr�tez... marraine. Je sais la puissance de vos scrupules... mais je
sais aussi la puissance de votre amour.... Quoiqu'il s'agisse de la vie
de deux personnes... vous pourriez �tre maudite....

--Malheureuse....

--Tenez, marraine, laissons les �v�nements suivre leur cours... ce qui
sera... sera....

--Maintenant que tu m'as rempli l'�me de terreur, car je sais ce dont tu
es capable, tu veux le taire.... Non, non, parle... je l'exige....

--Eh bien donc, puisque vous m'y forcez, apprenez tout.... Le prince
aime Berthe et il en est aim�... Vous savez la jalousie f�roce de M. de
Br�vannes.... Il hait d�j� le prince parce qu'il est votre mari....
Maintenant qu'il le sait aim� de sa femme, il le hait � la mort....
Supposez Berthe assez imprudente pour accorder un rendez-vous � M. de
Hansfeld, rendez-vous innocent ou coupable, volontaire ou forc�, peu
importe; M. de Br�vannes en est instruit, il les surprend tous deux par
la ruse: les apparences sont contre eux.... Que fait-il? dites, que
fait-il?

--Mon Dieu!... mon Dieu!...

--Que fait-il! Il se croit aim� de vous, il croit qu'en vous rendant
libres, vous et lui, par le double meurtre qu'il peut commettre
impun�ment, il obtiendra votre main....

--Mais c'est une machination infernale....

--Mais seriez-vous libre... ou non?... Et en quoi auriez-vous particip�
� tout ceci?... Votre mari vous trompe... pour la femme d'un homme que
vous ha�ssez.... Qu'y pouvez-vous?... Cet homme les tue tous les deux...
�tes-vous sa complice? Qui vous emp�che ensuite d'�pouser M. de
Morville?... En quoi lui-m�me peut-il jamais vous soup�onner d'avoir
tremp� dans cette machination?... Bien plus, ainsi que je vous le
disais, l'int�r�t, les sympathies du monde ne seront-ils pas pour
vous?...

--Vous �tes folle.... A peine M. de Br�vannes se porterait-il � une si
terrible extr�mit� s'il se croyait aim� de moi, et encore il n'oserait
pas m'offrir une main... teinte du sang de mon mari....

--Cet homme est d'une jalousie d'orgueil si sauvage, que dans aucune
circonstance il n'aurait h�sit� � tuer sa femme et son s�ducteur; mais
comme il vous aime avec d'autant plus d'ardeur qu'il se croit follement
aim� de vous, il ne doute pas que vous ne braviez les convenances
jusqu'� lui donner votre main, et il se h�te � cette heure de tendre le
pi�ge o� sa femme et votre mari doivent infailliblement p�rir.

--Mais vous perdez la raison. Cet homme, si vaniteux qu'il soit, ne se
croira jamais aim� de moi. A peine lui ai-je dit quelques paroles
bienveillantes pour conjurer le mal qu'il pouvait me faire.

--Mais... j'ai parl� pour vous... moi!

--Vous avez parl� pour moi?

Et Iris raconta � madame de Hansfeld l'histoire du _livre noir_.

Paula resta muette, an�antie, � cette r�v�lation.

Elle ne pouvait croire � tant d'audace, � une combinaison si diabolique.

--Mais c'est �pouvantable!--s'�cria-t-elle.

Iris regarda sa ma�tresse en souriant d'un air �trange, et lui dit:

--Vous m'aviez jusqu'ici reproch� d'agir sans votre consentement... j'ai
eu tort.... Je voulais vous cacher le fil des �v�nements qui se
pr�paraient, vous m'avez forc�e de vous le d�couvrir.... Vous devez vous
en repentir, maintenant que vous savez tout.... Ignorante de cette
trame, son succ�s �tait pour vous un coup du hasard, vous en profitiez
sans remords; maintenant vous en �tes instruite... si vous ne la
d�voilez pas, vous en �tes complice.

--Et pourquoi m'avez vous ob�i?--s'�cria machinalement madame de
Hansfeld.--Pourquoi m'avez-vous appris ces horreurs?

Ce mot �tait odieux, il r�v�lait la secr�te et homicide pens�e de Paula.

--Je vous ai ob�i--reprit am�rement Iris--parce que j'attendais cet
ordre avec impatience, et que si vous ne me l'aviez pas donn� je vous
aurais de moi-m�me instruite de tout ceci....

--Que dit-elle?

--Je ne m'abuse pas; en travaillant � votre bonheur, c'est � ma perte
que je cours: lorsque vous aurez �pous� M. de Morville, je ne serai plus
pour vous qu'un objet de m�pris et d'horreur.... Certes, j'aurais pu
agir en silence, sans vous pr�venir, et vous laisser recueillir
innocemment le fruit de cette sanglante combinaison. Mais je l'avoue...
je n'ai pas eu ce courage; je veux bien mourir pour vous, mais �
condition que vous me disiez au moins:--Meurs pour moi!

--�trange et abominable cr�ature!

--Votre bonheur causera ma perte, je le sais; mais au moins, au sein de
votre heureux amour, peut-�tre aurez-vous un souvenir pour moi....

--Si vous vous sacrifiiez ainsi dans mon int�r�t, vous eussiez attendu
que ce que vous appelez mon bonheur f�t assur� pour me faire cette
nouvelle r�v�lation....

--Non, marraine; il se peut que vous ayez plus de vertu que d'amour, et
alors votre bonheur e�t �t� � tout jamais empoisonn�. A cette heure, au
contraire, en apprenant � quel prix vous auriez �pous� M. de Morville,
vous pouvez choisir, vous avez entre vos mains l'avenir de votre amour
pour M. de Morville, le sort de Berthe de Br�vannes et de votre mari....
Un mot de vous � M. de Br�vannes au sujet du _livre noir_... et il sait
que vous ne l'aimez pas, qu'il est dupe d'une fourberie dont je suis
l'auteur, et qu'au lieu de conduire sa femme � l'h�tel Lambert pour la
faire plus s�rement tomber dans le pi�ge qu'il lui tend ainsi qu'� M. de
Hansfeld, il doit arracher Berthe � cet amour innocent encore... puisque
la mort de sa femme et du prince lui est inutile; tel est votre devoir,
marraine, faites-le. Sans doute, M. de Br�vannes, furieux, r�pandra
contre vous les plus atroces calomnies.... Que vous importe?... ce sont
des calomnies.... Sans doute, M. de Morville pourra s'en affliger, y
croire, et sourire am�rement en songeant � l'amour id�al et romanesque
qu'il avait pour vous; cela est triste; que vous importe?... pendant la
longue vie qu'il vous reste � passer aupr�s du prince que vous n'aimez
pas, et qui ne vous aime plus... vous pourrez vous r�p�ter glorieusement
chaque jour: J'ai fait mon devoir.

--Oh! maudite sois-tu, d�mon vomi par l'enfer!... s'�cria madame de
Hansfeld avec �garement;--laisse-moi... laisse-moi.... Pourquoi viens-tu
m'enfermer dans un cercle affreux dont je ne puis sortir sans causer la
mort de deux infortun�s, ou sans me jeter dans l'ab�me d'un d�sespoir
sans fin?

--Vous assombrissez bien les couleurs du tableau, marraine; vous pouvez
sortir du cercle affreux dont vous parlez... mais pour aller le front
haut et fier � l'autel avec M. de Morville, pour passer aupr�s de lui
la vie la plus belle et la plus honor�e.

--Oh! tais-toi... tais-toi!

--Et cela sans lui faire parjurer ses serments, et cela sans le rendre
coupable envers sa m�re, car elle b�nirait ce mariage, que vous pouvez
contracter avec joie... sans honte, sans crime, en restant paisible �
attendre les �v�nements... ne provoquant rien, ne faisant rien, ne
sachant rien....

--Tais-toi! oh! tais-toi!

--N'encourageant pas m�me par un mot hypocrite la vengeance f�roce et
int�ress�e de M. de Br�vannes, en �tant toujours avec lui froidement
polie.... Tout est pr�vu.... Le livre noir parlera pour vous: le livre
noir dira que, pour rendre plus tard votre mariage possible, il ne faut
pas qu'on soup�onne M. de Br�vannes de vous aimer et d'avoir calcul� la
vengeance qu'il aura tir�e du prince et de Berthe.... Cela vous �pargne
encore une assiduit� qui, remarqu�e dans le monde, aurait pu �veiller la
jalousie de M. de Morville.... Je vous dis que tout �tait pr�vu...
soigneusement pr�vu, marraine.

--Mon Dieu!... mon Dieu, d�livrez-moi de l'obsession de cette cr�ature!

--De sorte qu'apr�s le tragique �v�nement--reprit imperturbablement
Iris--M. de Br�vannes n'a aucun reproche � vous faire, et vous lui
fermez votre porte sans un mot d'explication. Br�vannes �clatera... que
pourra t-il faire ou dire? Le livre noir est entre mes mains, il n'a
pas une lettre de vous; d'ailleurs, pour se plaindre, il lui faudrait
avouer l'inf�me calcul qui lui a presque fait provoquer son d�shonneur
pour avoir le droit de tuer sa femme et votre mari.... Mais il
n'oserait, car il inspirerait autant de m�pris que d'horreur, qu'en
dites-vous, marraine?

--Laisse-moi... te dis-je... va-t'en... va-t'en... tu m'�pouvantes!

--Mon Dieu! que fais-je autre chose que de vous exposer le bien et le
mal?... Maintenant vous �tes libre... choisissez!

--Monstre!... tu sais bien la port�e de les paroles... et des
criminelles esp�rances que tu �voques � ma pens�e.

--Suis-je un monstre... pour vous dire de choisir entre le bien et le
mal? La vertu est donc une terrible chose � pratiquer, qu'elle co�te
autant de larmes que le crime?...

--Seigneur, ayez piti� de moi!

--Un dernier mot, marraine. J'ai pu mettre en jeu certaines passions,
pr�parer certains �v�nements... mais il ne d�pend plus de moi de mod�rer
leur marche; car... ils semblent se pr�cipiter... demain, peut-�tre, il
serait trop tard.... Si vous �tes d�cid�e au _bien_... c'est-�-dire �
pr�venir votre mari du danger qu'il va courir, et M. de Br�vannes de la
mystification dont il est dupe... agissez sans d�lai, aujourd'hui m�me,
� l'instant.... Une heure de retard peut tout perdre... c'est-� dire
tout gagner dans l'int�r�t de votre amour....

A ce moment, un valet de chambre entra, apr�s avoir frapp�, chez Paula.

--Qu'est-ce?--dit-elle � cet homme.

--Ne sachant pas si madame la princesse recevait, j'ai pri� M. et madame
de Br�vannes d'attendre.

--Ils sont l�?--s'�cria madame de Hansfeld en tressaillant.

--Oui, princesse.

--Madame a oubli� qu'elle avait donn� rendez-vous � M. et madame de
Br�vannes ce matin...--dit Iris.

--En effet--reprit Paula d'une voix �mue--je... oui... sans doute.

--La princesse re�oit--se h�ta de dire Iris.--Priez seulement M. et
madame de Br�vannes d'attendre... un moment.

Le valet de chambre sortit.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XIX.

D�CISION.


--Jamais... jamais... je n'aurai le courage de recevoir monsieur et
madame de Br�vannes--s'�cria la princesse avec d�sespoir--car....

La voix du prince interrompit Paula.

Le salon o� elle se trouvait �tait s�par� des autres appartements par
une longue galerie semblable � celle que M. de Hansfeld occupait �
l'�tage sup�rieur.

Des porti�res de velours rempla�aient les portes; Paula entendit son
mari demander au valet de chambre, qui se tenait � l'extr�mit� de cette
galerie, si la princesse �tait chez elle.

--C'est le prince!--s'�cria Iris.

--Il va se rencontrer avec cette jeune femme...--dit Paula.--Tous deux
ignorent que M. de Br�vannes est instruit de leur amour, et que par un
affreux calcul il doit feindre d'ignorer cet amour.... Oh! c'est
horrible... les laisser dans cette funeste confiance....

Iris se h�ta de lui dire:

--Vous voulez �pargner ces malheureux et renoncer � M. de Morville?
Soit; tout � l'heure, au moment o� M. de Br�vannes sortira de l'h�tel,
je trouverai moyen de lui parler, et en deux mots je lui apprends la
fourberie du livre noir.

Paula fit un mouvement.

--N'est-ce pas l� votre volont�, marraine?

--Oui, oui.

--Pourtant, si par hasard cette volont� changeait, si vous vouliez
profiter des �v�nements que cette rencontre du prince et de Berthe chez
vous va pr�cipiter encore... � moins que vous ne vous y opposiez lorsque
vous me verrez me lever pour aller attendre M. de Br�vannes, donnez-moi
cette �pingle en me disant de la serrer... cela voudra dire que M. de
Br�vannes doit rester dans son erreur....

--Mais....

--Voici le prince.... Tout � l'heure donnez-moi cette �pingle... et dans
huit jours vous �tes libre, sinon... renoncez � jamais � M. de Morville.

M. de Hansfeld entra chez sa femme.

Iris avait l'habitude de rester aupr�s de sa ma�tresse, lors m�me que
celle-ci recevait des visites. Sa pr�sence � la sc�ne suivante parut
donc au prince fort naturelle.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XX.

LA CHASSE AU MARAIS.


M. de Hansfeld �tait � la fois surpris, �mu, troubl�.

Il venait de voir Berthe descendre de voiture avec M. de Br�vannes,
Berthe � qui il avait cru dire � tout jamais adieu lors de sa derni�re
entrevue avec elle chez Pierre Raimond.

Ayant toujours ignor� que Paula connaissait M. de Br�vannes, Arnold ne
pouvait concevoir pourquoi celui-ci conduisait sa femme � l'h�tel
Lambert, et comment madame de Hansfeld s'�tait li�e avec Berthe, dont
elle le savait �pris. Paula, pour �chapper au voyage d'Allemagne dont
son mari la mena�ait, ne l'avait-elle pas menac� � son tour de r�v�ler
les entrevues qu'il avait avec Berthe chez le graveur, de les r�v�ler,
disons-nous, � M. de Br�vannes?

Quel �tait donc le but de Paula en recevant Berthe � l'h�tel Lambert?
�tait-ce affectation, indiff�rence?

Arnold se perdait en conjectures; en songeant qu'il allait revoir
Berthe, l'�tonnement, le bonheur, la crainte l'agitaient malgr� lui. Il
dit � Paula, d'une voix l�g�rement �mue:

--Il me semble que je viens de voir entrer une visite pour vous?

--Oui...--r�pondit madame de Hansfeld avec embarras.--Une femme de mes
amies m'a pr�sent� dans le monde madame de Br�vannes, que l'on dit
charmante et que vous trouvez telle...--ajouta-t-elle en riant d'un air
forc�.--Madame de Br�vannes m'a demand� quand je restais chez moi, je
lui ai dit aujourd'hui et je l'avais oubli�... On l'a fait un moment
attendre avec son mari.... Ne vous ayant pas vu, il m'a �t� impossible
de vous pr�venir de cette visite... qui, je le crois, ne pouvait
d'ailleurs vous �tre d�sagr�able.

--Ma marraine me permettra-t-elle de lui faire observer que voil� d�j�
bien longtemps que les personnes attendent?--dit Iris avec une sorte de
familiarit� respectueuse � laquelle on �tait habitu�.

--Elle a raison--dit M. de Hansfeld, imprudemment entra�n� par le d�sir
de revoir Berthe; il sonna.

Un laquais parut.

--Faites entrer--dit le prince.

Le laquais sortit.

Iris et Paula �chang�rent un regard.

Pour l'intelligence de la sc�ne suivante, nous dirons que quelques
lignes du livre noir, toujours �crites au nom de Paula et communiqu�es
le matin m�me par Iris � M. de Br�vannes, apprenaient � celui-ci que
l'objet de l'amour de Berthe �tait le prince de Hansfeld, et que tr�s
souvent elle avait eu des entrevues avec lui, sous un nom suppos�, chez
Pierre Raimond.

Quelques mots expressifs indiquaient le parti terrible que M. de
Br�vannes pouvait tirer de cet amour, dont la punition, s'il devenait
coupable et flagrant, pouvait assurer la libert� de M. de Br�vannes et
de Paula.

Apr�s cette d�couverte, M. de Br�vannes redoubla d'hypocrisie afin
d'augmenter encore la s�curit� de sa femme, qu'il se promit n�anmoins
d'observer attentivement, quoiqu'il ne dout�t pas qu'elle aim�t le
prince.

Le premier refus de Berthe de se rendre � l'h�tel Lambert, son �motion
croissante en approchant des lieux o� elle allait revoir Arnold, �taient
des preuves convaincantes de cet amour. M. de Br�vannes s'�tant
d'ailleurs inform� aupr�s du portier de Pierre Raimond des visites que
recevait le graveur, M. de Hansfeld lui avait �t� si exactement d�peint
qu'il n'attendait que l'occasion de voir le prince pour s'assurer de son
identit� avec le visiteur assidu de Pierre Raimond.

Paula, assise aupr�s de la chemin�e, avait � c�t� d'elle une petite
table sur laquelle �tait plac�e la fatale �pingle qui, remise � Iris,
devait l'emp�cher de d�voiler � M. de Br�vannes la fourberie dont il
�tait dupe, et le laisser dans la cr�ance qu'en se d�barrassant de sa
femme et du prince il pourrait �pouser Paula.

La boh�mienne, occup�e d'un travail de tapisserie, �tait demi-cach�e par
les rideaux de la fen�tre aupr�s de laquelle elle se tenait; mais elle
pouvait n�anmoins ne pas quitter sa ma�tresse du regard.

Et il faut le dire, ce regard semblait quelquefois exercer sur Paula une
sorte de fascination.

Enfin M. de Hansfeld, debout devant la chemin�e, dissimulait � peine son
�motion.

La porte s'ouvre, un valet de chambre annonce:

--M. et madame de Br�vannes.

Peut-�tre trouvera-t-on un contraste assez dramatique entre la
conversation futile, oiseuse, d�sint�ress�e des quatre acteurs de cette
sc�ne, et les anxi�t�s, les passions diverses et profondes qui les
agitaient.

Madame de Hansfeld se leva, fit quelques pas au-devant de Berthe, et lui
dit avec gr�ce:

--Vous �tes, madame, mille fois aimable d'avoir bien voulu vous rappeler
que je restais chez moi aujourd'hui.

--Madame... vous... �tes bien bonne--balbutia Berthe, en baissant les
yeux de peur de rencontrer ceux d'Arnold.

La malheureuse femme se sentait d�faillir.

La princesse ajouta:

--Voulez-vous me permettre, madame, de vous pr�senter monsieur de
Hansfeld, qui n'a pas eu, jusqu'� pr�sent, l'honneur de vous
rencontrer?

Arnold s'avan�a, salua profond�ment et dit � Berthe:

--Je regrette toujours de ne pas accompagner madame de Hansfeld dans le
monde aussi souvent que je le d�sirerais; mais apr�s la bonne fortune
qu'elle vous a due, madame, je le regrette doublement; pourtant je me
console, puisque je suis assez heureux pour pouvoir vous pr�senter
mes... hommages.

Voulant venir au secours de Berthe, qui de plus en plus troubl�e ne
trouvait pas un mot � r�pondre � Arnold, madame de Hansfeld dit �
celui-ci en lui pr�sentant M. de Br�vannes d'un geste:

--Monsieur de Br�vannes....

Ce dernier salua.

Le prince lui rendit ce salut et lui dit avec affabilit�:

--Je serai toujours enchant�, monsieur, de vous rencontrer chez madame
de Hansfeld, et j'esp�re que j'aurai le plaisir de vous y voir souvent.

--Aussi souvent, monsieur, qu'il me sera possible de profiter d'une
offre si aimable sans en abuser....

Apr�s ces pr�liminaires indispensables, les quatre personnages
s'assirent. Paula � sa place, � droite de la chemin�e, Berthe � gauche,
M. de Br�vannes � c�t� de madame de Hansfeld, et Arnold aupr�s de la
fille du graveur.

Le prince, sentant la n�cessit� de vaincre son �motion, faisait les
honneurs de chez lui avec la plus parfaite dignit�.

Berthe, de son c�t�, se rassurait peu � peu; Paula t�chait de ne pas
c�der aux terribles pr�occupations que devait lui causer son dernier
entretien avec Iris.

M. de Br�vannes, qui avait toujours entendu parler du prince de Hansfeld
comme d'une sorte d'original, farouche, bizarre, � demi-insens�, et qui
s'�tait demand� comment sa femme avait pu s'�prendre d'un tel homme, M.
de Br�vannes resta stup�fait de la distinction et de la gracieuse
urbanit� du prince, dont la figure juv�nile et douce �tait des plus
charmantes.

Alors il comprit parfaitement l'amour de Berthe, et sa rage s'en
augmenta contre elle et contre M. de Hansfeld. Aussi, jetait-il
quelquefois sur celui-ci � la d�rob�e des regards de tigre; puis il
cherchait les yeux de Paula avec un air d'intelligence tour � tour
sombre et passionn� qui prouva � madame de Hansfeld qu'Iris ne l'avait
pas tromp�e au sujet du livre noir.

Un silence assez embarrassant avait succ�d� aux premi�res banalit�s de
la conversation.

Le prince le rompit en disant � Berthe:

--Vous avez d�, madame, avoir bien de la peine � trouver cette demeure
isol�e au milieu de ce quartier d�sert?

--Non, monsieur,--r�pondit Berthe en rougissant jusqu'aux yeux;--mon
p�re... habite tr�s pr�s d'ici.

Cette r�ponse, que la jeune femme avait, pour ainsi dire, faite
involontairement, redoubla sa confusion en lui rappelant les premiers
temps de son amour pour Arnold. Celui-ci se h�ta d'ajouter:

--C'est diff�rent, madame; mais venir � l'�le Saint-Louis, c'est
toujours une esp�ce de voyage pour les v�ritables Parisiens.

--Du moins--dit M. de Br�vannes--on est bien d�dommag� de ce voyage...
comme vous dites, monsieur, en pouvant admirer cet h�tel... un v�ritable
palais!...

--En effet--dit Paula pour prendre part � la conversation--dans le
faubourg Saint-Germain, ce quartier des beaux h�tels que nous avons
habit� pendant quelque temps, on ne trouve rien de comparable � cette
demeure v�ritablement grandiose.

--On ne peut plus b�tir des palais maintenant--dit M. de Br�vannes--les
fortunes sont beaucoup trop divis�es.... Vous avez beaucoup plus de bon
sens que nous, messieurs les �trangers; en Angleterre, en Russie, en
Allemagne aussi, je le suppose, le droit d'a�nesse a sagement maintenu
le principe de la grande propri�t�.

--Je suis s�r, monsieur--dit en souriant M. de Hansfeld--que vous n'avez
jamais eu de fr�re ou de soeur?

--C'est vrai, monsieur; mais qui vous donne cette certitude?

--Votre admiration pour l'excellence du droit d'a�nesse.

M. de Br�vannes ne comprit pas ce qu'il y avait d'aimable dans les
paroles du prince, et il r�pondit:

--Vous croyez, monsieur, que si je n'�tais pas fils unique j'aurais eu
d'autres mani�res de voir � ce sujet?

--Je crois, monsieur, que votre mani�re d'aimer vos fr�res et vos soeurs
aurait compl�tement chang� votre mani�re de voir � ce sujet. Mais,
pardonnez-nous, madame--dit le prince en s'adressant � Berthe--de parler
pour ainsi dire politique; ainsi, sans transition aucune, je vous
demanderai ce que vous pensez de la nouvelle com�die... donn�e au
Th��tre-Fran�ais. Madame de Hansfeld et moi, nous avons eu le plaisir de
vous y voir, je n'ose dire de vous y remarquer.

--Cela ne pouvait gu�re �tre autrement--dit Berthe en reprenant un peu
d'assurance--j'�tais � c�t� de madame Girard, qui avait une coiffure si
singuli�re qu'elle attirait tous les regards.

--Je vous assure, madame--reprit Paula--qu'en jetant les yeux dans votre
loge nous n'avons vu le singulier bonnet... le sobieska de madame
Girard, que par hasard.

--Cette com�die m'a paru charmante et remplie d'int�r�t--dit Berthe--et,
sans conna�tre l'auteur, M. de Gercourt, j'ai �t� enchant�e de son
succ�s... il avait tant d'envieux!

--L'auteur, M. de Gercourt, est tout � fait un homme du
monde?...--demanda madame de Hansfeld.

--Oui, madame--reprit M. de Br�vannes--il a �t� l'un des cinq ou six
hommes des plus � la mode de Paris; on le classait m�me imm�diatement
apr�s le _beau_ Morville, cet astre qui a longtemps brill� d'un �clat
sans �gal; entre nous, je ne sais pas trop pourquoi; c'�tait un
engouement ridicule, rien de plus, car Gercourt et beaucoup d'autres ont
mille fois plus d'agr�ments que ce pr�tentieux M. de Morville.

Paula tressaillit en entendant prononcer un nom si cher � son coeur.

Le regard de la princesse rencontra le regard d'Iris... ce regard lui
pesa sur le coeur comme du plomb.

Ignorant compl�tement l'amour de Paula pour M. de Morville, et croyant
d'un bon effet aux yeux de madame de Hansfeld, de faire montre de d�dain
� l'endroit d'un des hommes les plus recherch�s de Paris; c�dant
d'ailleurs � un sentiment d'envie et � une habitude de d�nigrement qu'il
avait depuis longtemps prise � l'�gard de M. de Morville, qu'il
d�testait, sans autre motif qu'une basse jalousie, M. de Br�vannes,
continua:

--Ce M. de Morville a une jolie figure, si l'on veut; mais il a l'air si
stupidement satisfait de lui-m�me, qu'il en fait mal au coeur. On parle
de ses succ�s; apr�s tout, il n'a jamais r�ussi qu'aupr�s de ces femmes
faciles auxquelles on peut pr�tendre, pourvu qu'on soit du monde dont
elles sont.... On a fait beaucoup de bruit de sa liaison avec cette
Anglaise: il en �tait fort �pris, soit; mais elle se moquait de lui,
comme fera toute femme de bon go�t; car ne trouvez-vous pas, madame,
qu'on peut toujours � peu pr�s juger de la valeur d'une femme par la
valeur de l'homme qu'elle distingue?

--C'est g�n�ralement vrai, monsieur--dit Paula en se contenant.

--Eh bien! madame, vous venez d'appr�cier les sots et ridicules
enthousiastes de ce sot et ridicule Morville.

Rien de plus vulgaire que ce dicton: Les petites causes produisent
souvent de grands effets. Mais aussi rien de plus vrai que cette
vulgarit�.

En voici une nouvelle preuve:

M. de Hansfeld ne connaissait pas M. de Morville, il lui �tait donc
indiff�rent d'en entendre parler en mal ou en bien; mais c�dant, malgr�
lui sans doute, � un vague d�sir de se mettre bien avec M. de Br�vannes,
il crut lui �tre agr�able en partageant son avis au sujet de M. de
Morville.

Enfin, la pauvre Berthe elle-m�me, autant par envie de complaire � son
mari que par suite de cette d�f�rence, de cet acquiescement involontaire
qu'une femme accorde toujours au jugement de celui qu'elle aime, la
pauvre Berthe, disons-nous, fut, pour ainsi dire, le na�f et timide �cho
du prince dans la conversation suivante.

Cette conversation fut la _cause_; nous dirons tout � l'heure l'_effet_.

M. de Hansfeld reprit donc:

--Je ne connais pas M. de Morville, je l'ai aper�u deux ou trois fois;
il m'a paru beau, mais d'une affectation presque ridicule, et j'ai
entendu dire que l'on exag�rait beaucoup son m�rite....

--C'est aussi ce que j'ai entendu dire...--ajouta la malheureuse
Berthe;--il a, ce me semble, une figure tr�s r�guli�re... mais peut-�tre
un peu insignifiante.

Paula ne dit pas un mot; elle prit sur la petite table l'�pingle fatale
et se mit � jouer avec ce bijou.

Iris ne quittait pas sa ma�tresse du regard.

Elle tressaillit d'une sombre joie au mouvement de sa ma�tresse.

On le voit, la petite _cause_ commen�ait � produire son _effet_.

--Je suis enchant� de voir une personne de go�t comme vous,
monsieur--dit M. de Br�vannes au prince--rendre mon jugement d�cisif en
l'approuvant.

Arnold, pour achever de se mettre tout � fait dans les bonnes gr�ces du
mari de Berthe, hasarda un l�ger mensonge et reprit:

--Je me souviens m�me d'avoir un jour �cout� sa conversation, et je l'ai
trouv�e au-dessous du m�diocre....

--Il est vrai que M. de Morville ne passe pas, dit-on, pour avoir
infiniment d'esprit...--ajouta le doux et tendre �cho en baissant ses
grands yeux bleus, et en rougissant � la fois et de mentir et de faire
une sorte de _bassesse_ pour �tre agr�able � M. de Br�vannes.

La petite cause continuait de produire son effet.

Tenant dans sa main droite l'�pingle constell�e madame de Hansfeld
battait pour ainsi dire sur sa main gauche la mesure du crescendo de
col�re qui l'agitait, et qui enveloppait Berthe, M. de Br�vannes et le
prince.

Dans ce moment elle rencontra les yeux d'Iris, et, au lieu de d�tourner
son regard de celui de la boh�mienne, elle la regarda un moment d'un air
tellement significatif, qu'Iris crut qu'elle allait lui donner
l'�pingle.

M. de Br�vannes reprit, en s'adressant � madame de Hansfeld:

--Mais vous-m�me, madame, que pensez-vous de M. de Morville?
N'avons-nous pas raison de nous r�volter un peu contre l'admiration
moutonni�re qui fait une idole d'un homme nul?

--Certainement, monsieur--dit Paula--il est tr�s bien de ne pas accepter
des renomm�es par cela seulement qu'elles sont des renomm�es....

--C'est qu'aussi jamais renomm�e ne fut moins m�rit�e; et je ne suis pas
le seul, je vous le jure, qui proteste contre elle.... Beaucoup de
personnes pensent comme moi; et ce qui indispose contre ce M. de
Morville, c'est qu'il pr�tend � tous les succ�s. A l'entendre, il monte
� cheval mieux que personne, il fait des armes mieux que personne, il
lire � la chasse mieux que personne....

--Est-ce que M. de Morville est grand chasseur?--dit Arnold.

--Il en a du moins la pr�tention, car il les a toutes; mais je suis s�r
qu'il justifie aussi peu celle-l� que les autres, et qu'il chasse par
ton et non par plaisir.

--Il a tort--dit Arnold--car c'est un des plus vifs plaisirs que je
connaisse....

--Vous �tes chasseur, monsieur?--dit M. de Br�vannes.

--Nous avons de si belles chasses en Allemagne, qu'il est impossible de
ne pas avoir ce go�t. Il est surtout une chasse que j'aimais beaucoup,
et qui n'est peut-�tre pas tr�s connue en France....

--Quelle chasse, monsieur?... Je puis vous renseigner, car j'ai aim�,
j'aime encore passionn�ment la chasse....

--La chasse au marais. Nous avons en Allemagne d'admirables passages
d'oiseaux aquatiques.

--Vous aimez la chasse au marais!...--s'�cria M. de Br�vannes apr�s un
moment de r�flexion, et comme �clair� par une id�e subite.

--A la folie... monsieur.... Mais avez-vous en France beaucoup de ces
chasses?

--Nous en avons, et je puis m�me dire que j'en ai une chez moi, en
Lorraine, des plus belles de la province....

--Certainement--dit na�vement Berthe--ce matin m�me encore le r�gisseur
de M. de Br�vannes lui a annonc� qu'il y avait en ce moment un passage
extraordinaire de...--je ne me rappelle pas le nom de ces oiseaux--dit
Berthe en souriant.

--Un passage de halbrans; ils sont venus s'abattre sur nos �tangs par
nu�es... et, tenez, monsieur--dit M. de Br�vannes avec une expression de
franche cordialit�--si je ne craignais pas de passer pour un vrai paysan
du Danube... pour un homme par trop sans fa�on....

Le prince regardait M. de Br�vannes avec surprise.

--En v�rit�, monsieur--lui dit-il--je ne comprends pas....

--Eh bien, ma foi, arri�re la honte, entre chasseurs la franchise avant
tout. Le passage des halbrans est magnifique cette ann�e, il dure
toujours au moins une huitaine. J'ai quatre cents arpents d'�tangs; ma
maison est confortablement arrang�e pour l'hiver.... Permettez-moi de
vous offrir d'y venir tirer quelques coups de fusil; en trente-six
heures nous serons chez moi.... Et, si par un hasard inesp�r�, madame de
Hansfeld n'avait pas trop d'aversion pour la campagne pendant quelques
jours d'hiver, madame de Br�vannes t�cherait de lui en rendre le s�jour
le moins d�sagr�able possible. Vous le voyez, monsieur, lorsque je me
mets � �tre indiscret, je ne le suis pas � demi....

A cette proposition si brusque, si inattendue, si en dehors des
habitudes et des usages re�us, et qui, accept�e par M. de Hansfeld
pouvait avoir de si terribles r�sultats, la princesse tressaillit.

Berthe rougit et frissonna.

Iris bondit sur sa chaise. M. de Hansfeld put � peine dissimuler sa
joie; pourtant, avant d'accepter, il t�cha, mais en vain, de rencontrer
le regard de Berthe. La jeune femme n'osait lever les yeux.

Arnold interpr�ta cette expression n�gative en sa faveur, et r�pondit:

--En v�rit�, monsieur, cette offre est si aimable et faite avec tant de
bonne gr�ce... que je craindrais de vous laisser voir tout le plaisir
qu'elle me fait, si, comme vous le dites, entre chasseurs on ne devait
pas avant tout accepter franchement ce qu'on vous offre franchement.

--Vous acceptez donc, monsieur?--s'�cria M. de Br�vannes.--Puis,
s'adressant � Paula:--Puis-je esp�rer, madame, que l'exemple de M. de
Hansfeld vous encouragera, si sauvage que soit mon invitation, si
insolite que soit en plein hiver, je n'ose dire... une telle partie de
plaisir. Je suis s�r que madame de Br�vannes ferait de son mieux pour
vous faire trouver moins longs ces quelques jours de solitude au milieu
de nos bois.

--Croyez, madame--dit Berthe d'une voix alt�r�e--que je serais bien
heureuse si vous daigniez nous accorder cette faveur.

--Vous �tes mille fois aimable, madame; mais je crains de vous causer un
tel d�rangement...--dit Paula dans une inexprimable angoisse. Elle
sentait que de son consentement allait d�pendre son avenir, celui de M.
de Morville, celui de Berthe et d'Arnold; car, ainsi que l'avait pr�vu
Iris, sans s'attendre pourtant � cet incident si peu pr�vu, elle
sentait que les �v�nements allaient se pr�cipiter d'une mani�re
effrayante.

--Soyez g�n�reuse, madame--dit M. de Br�vannes;--nous t�cherons de vous
distraire... nous organiserons pour vous de v�ritables chasses de
demoiselles; j'ai des furets excellents.... Si vous ne connaissez pas le
divertissement du furetage, cela vous amusera, je le crois.... Le temps
est assez doux cet hiver... je puis vous promettre une p�che aux
flambeaux.... Enfin, j'ai une r�serve bien peupl�e de daims et de
chevreuils; vous en verrez prendre quelques-uns dans les toiles. Je me
h�te de vous dire que cette chasse n'a rien de barbare, car les victimes
restent vivantes. Je sais, madame, que ce sont l� de rustiques et
simples amusements; mais le contraste m�me qu'ils offrent avec la ville
de Paris pendant l'hiver peut leur donner quelque piquant... de m�me
qu'apr�s les avoir go�t�s vous trouverez peut-�tre plus de saveur aux
brillants plaisirs du monde.

--Croyez, monsieur--r�pondit Paula, dans une anxi�t� de plus en plus
profonde--que cette partie de plaisir improvis�e me serait extr�mement
agr�able par la seule pr�sence de madame de Br�vannes; mais je crains
vraiment qu'elle ne consente � ce voyage impromptu que par consid�ration
pour moi.

--Oh! non, madame, j'y trouverai, je vous assure, le plus grand
charme... le plus grand plaisir....

Encore un effet important caus� par une petite cause.

Ces paroles furent prononc�es par Berthe avec une si na�ve expression de
bonheur et de joie... le regard qu'elle �changea en ce moment avec
Arnold (regard rapidement intercept� par Paula) trahissait une passion
si profonde, si ineffable, si radieuse, que tous les serpents de l'envie
et de la rage mordirent madame de Hansfeld au coeur.

Paula aussi aimait avec passion, avec enivrement... et cet amour ne
devait jamais �tre heureux. La vue d'un bonheur qui lui �tait interdit
redoubla sa col�re; elle se souvint de la malveillance presque
m�prisante avec laquelle M. de Br�vannes, M. de Hansfeld et Berthe
avaient parl� de M. de Morville; elle les enveloppa tous trois dans le
m�me sentiment de haine; dans ce moment d'exasp�ration, d'autant plus
violente qu'elle �tait plus contrainte, elle accepta l'offre de M. de
Br�vannes, et dit � Berthe d'une voix dont elle sut parfaitement
dissimuler l'�motion:

--Eh bien, madame, au risque d'�tre v�ritablement f�cheuse en me rendant
� votre aimable insistance... j'accepte.

--Oh! que vous �tes bonne, madame!--s'�cria Berthe.

--Et quand partons-nous, monsieur de Br�vannes?--dit le prince sans
pouvoir dissimuler sa joie;--je me fais une f�te de cette chasse.

--Je serai aux ordres de madame de Hansfeld--dit M. de
Br�vannes;--seulement je lui ferai observer que le s�jour des oiseaux de
passage est ordinairement assez court, et que nous devrions nous rendre
chez moi le plus t�t possible.

--Qu'en pensez-vous, madame?--dit M. de Hansfeld � sa femme.

--Mais si demain... convient � madame de Br�vannes....

--A merveille--dit M. de Br�vannes.--Moi et ma femme, nous partirons ce
soir pour vous pr�c�der de quelques heures, et avoir au moins le plaisir
de vous attendre.

A ce moment, Iris se leva.

Ce mouvement rappela � madame de Hansfeld toute la terrible r�alit� de
sa position.

Un nuage lui passa devant les yeux, sa respiration se suspendit un
moment sous la violence des battements de son coeur; elle frissonna
comme si une main de glace e�t pass� dans ses cheveux.

Le moment fatal �tait arriv�.

Il s'agissait pour elle de faire le premier pas dans la voie du crime.

Si elle laissait sortir Iris sans lui donner l'�pingle, Iris allait tout
r�v�ler � M. de Br�vannes, et Paula renon�ait � l'espoir alors si
prochain, si probable, d'�pouser M. de Morville, en profitant d'un
double meurtre dont elle serait toujours compl�tement innocente aux yeux
du monde.

Iris rangea assez bruyamment quelques objets sur sa table, pour donner
un avertissement � sa ma�tresse.

Paula h�sitait encore....

Iris fit un pas vers la porte....

Une lutte terrible s'engagea dans l'�me de madame de Hansfeld entre son
bon et son mauvais ange.

Iris fit encore un pas, atteignit la porte, leva lentement la main pour
la poser sur le bouton de la serrure.

Le p�ne cria....

Le mauvais ange de Paula eut le dessus dans la lutte; madame de Hansfeld
dit d'une voix si basse, si basse:--Iris!... qu'il fallut toute
l'attention que pr�tait la boh�mienne � cette sc�ne pour que ce mot
parv�nt jusqu'� elle.

Iris fut en deux pas aupr�s de sa ma�tresse.

--Tenez... allez, je vous en prie, serrer cette �pingle...--dit Paula
d'une voix d�faillante....

Et elle remit l'�pingle � la boh�mienne.

Iris, en touchant la main de sa ma�tresse pour prendre ce bijou, la
sentit humide et glac�e.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XXI.

LE CH�TEAU DE BR�VANNES.


La terre de M. de Br�vannes, situ�e en Lorraine pr�s de Longueville, �
quelques lieues de Bar-le-Duc, �tait une confortable r�sidence. Beau
parc, belles r�serves de bois, magnifiques �tangs aliment�s par quelques
effluvions de l'Ornain, maison d'habitation vaste et commode, tout, dans
cette propri�t�, r�pondait au tableau que M. de Br�vannes en avait trac�
� M. de Hansfeld.

Depuis trois jours Berthe, son mari, le prince et Paula sont arriv�s au
ch�teau; Iris a �t� n�cessairement comprise dans l'invitation de M. de
Br�vannes, invitation que chacun de nos personnages avait de trop
puissantes raisons d'accepter pour s'arr�ter � la singularit� d'un tel
voyage dans cette saison.

Paula avait continuellement �vit� toute occasion de se rencontrer seule
avec M. de Br�vannes. Ce dernier, selon les pr�visions d'Iris, avait
imit� madame de Hansfeld, afin de ne pas donner une apparence de
pr�m�ditation � la vengeance qu'il calculait avec un atroce sang-froid.

Berthe �tait pourtant agit�e de sinistres pressentiments. Pendant toute
la route de Paris � Br�vannes, son mari avait �t� tour � tour d'une
gaiet� forc�e et d'une si obs�quieuse pr�venance, que la d�fiance de
Berthe s'�tait vaguement �veill�e.

Un moment elle avait song� � prier son mari de la laisser � Paris; mais
apr�s l'engagement formel pris avec le prince et la princesse de
Hansfeld, elle abandonna cette id�e.

En arrivant � Br�vannes, elle s'occupa des soins de la r�ception de ses
h�tes. Chose �trange! il ne lui vint pas un moment � la pens�e que son
mari p�t �tre �pris de madame de Hansfeld; cette conviction l'e�t
peut-�tre rassur�e. Quoique la mani�re dont cette partie de campagne
s'�tait engag�e e�t �t� assez naturelle, un secret instinct disait �
Berthe que ce voyage avait un autre but que la chasse au marais.

La seule personne compl�tement heureuse, et heureuse sans crainte et
sans arri�re-pens�e, �tait Arnold. Un hasard inattendu servait si bien
son amour nagu�re inesp�r�, qu'il se laissait aller au bonheur de passer
quelques jours avec Berthe dans une intimit� de chaque instant.

Iris observait tout et �piait surtout les moindres d�marches d'Arnold et
de madame de Br�vannes. Malheureusement pour la boh�mienne, ces
derniers, malgr� les soins incessants que M. de Br�vannes avait mis �
leur m�nager des occasions de t�te-�-t�te, les avaient constamment
�vit�es.

Il restait � Iris un dernier et immanquable moyen de forcer Berthe et M.
de Hansfeld � une entrevue secr�te et d'une apparence compromettante:
d�s que la nuit approcherait, elle irait dire � Berthe que son p�re,
horriblement inquiet de son d�part pr�cipit�, s'�tait mis en route, et
que, pour ne pas rencontrer M. de Br�vannes, il priait Berthe d'aller
l'attendre dans le chalet o�, l'�t�, celle-ci passait ordinairement ses
journ�es. Cette maisonnette, situ�e au milieu d'un massif de bois, �tait
proche de la grille du parc; rien de plus vraisemblable que l'arriv�e de
Pierre Raimond; Berthe irait l'attendre au pavillon: au lieu du vieux
graveur, elle verrait arriver Arnold; puis... pr�venu par Iris, M. de
Br�vannes surviendrait.... Le reste se devine.

Le troisi�me jour de son arriv�e � Br�vannes, la boh�mienne, lass�e
d'�pier en vain, cherchait Berthe pour la rendre victime de la
machination qu'elle avait m�dit�e, lorsqu'elle aper�ut celle-ci venant
du c�t� du pavillon dont il est question, et un peu plus loin, derri�re
elle, M. de Hansfeld.

Iris se glissa dans un fourr� de houx et de buis �normes qui
ombrageaient le parc en cet endroit et formaient une all�e sinueuse qui,
longeant les murs, allait de la grille au chalet.

Il est bon de dire que cette fabrique, situ�e � l'angle des murs du
parc, se composait de deux pi�ces de rez-de-chauss�e.

Il �tait quatre heures environ, le jour tr�s bas, le ciel pluvieux et
mena�ant. Au moment o� Iris se cacha dans les buis, Arnold rejoignait
Berthe.

Celle-ci tressaillit � la vue du prince et fit quelques pas pour
retourner au ch�teau; mais Arnold, la prenant par la main d'un air
suppliant, lui dit:

--Enfin... je puis avoir un moment d'entretien avec vous... depuis deux
jours! On dirait, en v�rit�, que vous me fuyez... moi, si heureux de ce
voyage improvis�... Tenez, Berthe, j'ai peine � croire � mon bonheur....

--Je vous en supplie... laissez-moi.... Je vous �vite parce que j'ai
peur....

--Peur... et de quoi, mon Dieu?...

--Tenez, monsieur de Hansfeld... vous m'aimez, n'est-ce pas?--s'�cria
tout � coup Berthe.

--Si je vous aime!...

--Eh bien!... ne me refusez pas la seule gr�ce que je vous aie
demand�e....

--Que voulez-vous dire?...

--Partez....

--Partir... � peine arriv�... lorsque....

--Je vous dis que si vous m'aimez vous prendrez, bon ou mauvais, le
premier pr�texte venu... et vous quitterez cette maison.

--Mais je ne vous comprends pas.... Pourquoi... lorsque votre mari?...

--Ah! ici... ne prononcez pas son nom....

Rassurez-vous.... Je partage vos scrupules.... Je suis ici chez lui....
Je ne vous parlerai pas d'amour; je ne vous dirai rien que votre p�re ne
p�t entendre s'il �tait l�. Ce que je vous demande, Berthe, ce sont
quelques-unes de ces bonnes et tendres paroles que vous adressiez �
votre fr�re Arnold dans ces longues causeries que nous faisions en tiers
avec votre p�re.

--Silence... quelqu'un a march� dans le taillis...--dit Berthe avec
inqui�tude.

--Que vous �tes enfant.... C'est le vent qui agite les arbres. Tenez!...
voil� le givre et la pluie qui tombent... et vous sortez sans votre
manteau africain; c'est un double tort; ce burnous � capuchon vous rend
si jolie....

--Je l'ai laiss� dans le vestibule... mais je vous en prie, rentrons au
ch�teau....

--Il est trop loin, la pluie tombe... pourquoi ne pas aller dans le
chalet, l�-bas, attendre que cette averse soit pass�e?

--Non, non....

--Oubliez-vous votre promesse de me faire visiter ce pavillon, votre
retraite ch�rie? Oh! je n'abandonne pas cette bonne occasion de vous
forcer � remplir votre promesse.... Tenez, la pluie augmente; venez...
de gr�ce? Mais qu'avez-vous donc, vous me r�pondez � peine.... Vous
tremblez, c'est de froid, sans doute... imprudente!...

--Je ne puis vous dire ce que j'�prouve, mais je ressens une terreur
vague, involontaire.... Je vous en supplie, malgr� la pluie, retournons
au ch�teau.

--Mais c'est un enfantillage auquel je ne consentirai pas. Vous vous
trouvez un peu souffrante, il ne faut donc pas vous exposer
davantage.... Cette pluie est glac�e, le chalet est � vingt pas.

--Eh bien! promettez-moi de partir demain.

--Encore?

--Oui.... Ne me demandez pas pourquoi; j'ai peur pour vous, pour moi; je
ne serai tranquille que lorsque vous serez �loign� d'ici. Je ne
m'explique pas ces craintes... mais je les �prouve cruellement.

--Mais enfin... admettez que votre mari soit jaloux.. qu'avez-vous �
redouter? quel mal faisons-nous? Il est d'ailleurs plein d'attentions
pour vous, il ne soup�onne rien.

--Ce sont justement ses bont�s... si nouvelles pour moi... et sa douceur
hypocrite qui m'�pouvantent.... Lui, autrefois si brusque.... Et un
jour...--Berthe tressaillit et s'�cria en s'interrompant et en mettant
une main tremblante sur le bras d'Arnold:--Encore!!! je vous assure
qu'on marche dans ce taillis.... On nous suit.

Arnold pr�ta l'oreille, entendit en effet quelques branches crier dans
l'�pais fourr� de buis et de houx; malgr� la difficult� de p�n�trer dans
ce massif inextricable, Arnold allait s'y enfoncer, lorsque le bruit
augmenta, le feuillage fr�mit, et � quelques pas un chevreuil bondit et
sauta sur la route.

Arnold ne put retenir un �clat de rire, et dit � Berthe:

--Voyez-vous votre espion?

La jeune femme, un peu rassur�e, reprit le bras d'Arnold; ils n'�taient
plus qu'� quelques pas du chalet.

--Eh bien! pauvre peureuse--dit Arnold.

--Je vous en supplie, ne plaisantez pas, je crois aux pressentiments,
Dieu nous les envoie.

--Mais comment, parce que votre mari semble revenir envers vous � de
meilleurs sentiments, vous vous effrayez? Admettez m�me qu'il feigne
cette bienveillance hypocrite pour vous tendre un pi�ge, qu'avez-vous �
redouter? que peut-il surprendre? Apr�s tout, que demand�-je, sinon de
jouir loyalement de ce qu'il m'a offert loyalement, de passer quelques
jours aupr�s de vous? Je vous le jure, je ne sais pas quels seront mes
voeux dans l'avenir... mais je me trouve � cette heure le plus heureux
des hommes, je ne veux rien de plus; le pr�sent est si beau, si doux,
que ce serait le profaner que de songer � autre chose....

La pluie redoublait de violence.

Le jour, tr�s sombre, commen�ait � baisser.

Berthe et le prince entr�rent dans le chalet.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XXII.

LE CHALET.


Berthe, pour faire honneur � ses h�tes, avait fait disposer ce petit
pavillon de la m�me mani�re que lorsqu'elle l'habitait.

Sur les murs on voyait quelques gravures dues au burin de son p�re, des
aquarelles peintes par Berthe, ses livres, son piano. Un bon feu
flamboyait dans la chemin�e, ses vives lueurs luttaient contre
l'obscurit� croissante.... Une fen�tre carr�e, semblable � celles des
chaumi�res suisses, garnie de plomb et compos�e de petits carreaux
verd�tres, grands comme la paume de la main, laissait voir l'all�e du
bois qui conduisait de la grille au chalet; la porte �tait rest�e
entr'ouverte; Berthe, debout pr�s de la chemin�e, appuyait son front sur
sa main, ne pouvant vaincre l'�motion qui l'accablait. Arnold, plein
d'une joie d'enfant, ou plut�t d'amant, examinait avec une sorte de
tendre curiosit� tous les objets dont Berthe s'entourait habituellement.

--Quel bonheur pour moi--lui dit-il--de pouvoir emporter ce souvenir
des lieux que vous habitez! et ce tableau sera toujours vivant dans ma
pens�e.... Voil� votre piano, cet ami des longues heures de r�verie et
de tristesse... ces belles gravures, oeuvres de votre p�re, o� vous avez
d� souvent attacher vos yeux attendris, en vous reportant par la pens�e
aupr�s de lui, dans sa modeste retraite....

--Oui, sans-doute--dit Berthe avec distraction;--mais, mon Dieu,
qu'ai-je donc? je ne sais pourquoi mes id�es roulent dans un cercle
sinistre. Savez-vous � quoi je pense � toute heure? aux tentatives de
meurtre auxquelles vous avez si miraculeusement �chapp�... Ne savez-vous
donc rien de nouveau? avez-vous pu d�couvrir l'auteur de ces criminelles
tentatives?

M. de Hansfeld tenait � ce moment un volume des _Ballades_ de Victor
Hugo et ouvrait curieusement le livre � une page marqu�e par Berthe.

Il retourna � demi la t�te, sans fermer le livre, et dit � la jeune
femme avec un sourire d'une �trange s�r�nit�:

--Je crois conna�tre... ce... meurtrier.... Et il ajouta:--Quel plaisir
de lire les lignes o� vos yeux se sont arr�t�s... ma soeur!

--Vous le connaissez?... s'�cria Berthe.

--Je le crois.... Vous avez pass� la journ�e d'hier et celle
d'aujourd'hui avec cette homicide personne.--Puis s'interrompant
encore:--Que je suis aise que vous partagiez mon admiration pour cette
ravissante ballade la _Grand'm�re_... une des plus touchantes
inspirations de l'illustre po�te.... Vous avez, entre autres, soulign�
ces vers, d'une na�vet� enchanteresse, que j'aime autant que vous les
aimez....

Berthe croyait r�ver en voyant le sang-froid du prince.--Que
dites-vous?--reprit-elle--j'ai pass� la journ�e d'hier et d'aujourd'hui
avec....

--Avec une meurtri�re.... Oui.... Mais �coutez, que ces vers sont
adorables.... Pauvres petits enfants!

    Tu nous trouveras morts pr�s de la lampe �teinte;
    Alors que diras-tu?
    Quand tu t'�veilleras,
    Tes enfants � leur tour seront sourds � ta plainte.
    Pour nous rendre la vie....

--Grand Dieu! s'�cria Berthe, en interrompant Arnold;--mais c'est donc
votre femme qui est coupable de ces tentatives de meurtre? Pourtant vous
nous aviez dit....

--Ce n'est pas ma femme,--reprit le prince en repla�ant le livre sur la
tablette;--mais c'est, si je ne me trompe... son �me damn�e... cette
jeune fille au teint cuivr�...

--Iris!...

--Iris... j'en suis m�me � peu pr�s s�r.

--Et votre femme?

--Ignorait tout.. j'aime � le croire.

--Et vous gardez ce monstre aupr�s de vous, dans votre maison? Mais si
elle renouvelait ses tentatives?

--Eh bien!--dit Arnold avec un sourire � la fois si m�lancolique, si
calme et si doux, que les yeux de Berthe se mouill�rent de larmes.

--Comment, eh bien! s'�cria-t-elle;--et si...; mais cette id�e est
horrible....

--Si elle recommen�ait ses exp�riences, ma ch�re soeur..., et qu'elle
r�uss�t, je lui en saurais gr�.

--Que dites-vous?

--Franchement, quelle est ma vie d�sormais? Pendant ces quelques jours
pass�s pr�s de vous, l'ivresse du pr�sent m'emp�chera de songer �
l'avenir; mais apr�s? De deux choses l'une..., ou nous serons
heureux.... Et, malgr� votre indiff�rence pour votre mari, mon bonheur
vous co�tera tant de larmes... tant de remords..., noble et loyale comme
vous l'�tes, que mon amour vous causera autant de chagrins que les
cruaut�s de votre mari.... Si, au contraire, les circonstances nous
forcent de nous s�parer, que restera-t-il? l'oubli!!! Malgr� les
serments de se souvenir toujours, h�las! il y a quelque chose de plus
horrible que la mort de ceux que nous aimons... c'est l'oubli de cette
mort! Vous le voyez... quel avenir! Avec vous, il n'y en aurait eu qu'un
de possible pour votre bonheur et pour le mien... c'�tait de vous
�pouser.... Mais c'est un r�ve! eh bien! ne vaut-il pas mieux que cette
bonne et pr�voyante boh�mienne soit l� comme une providence mortuaire,
et qu'elle fasse de moi ce que, je l'avoue, je n'aurais peut-�tre pas
le courage de faire moi-m�me... quelque chose qui a v�cu!...

--Oh! ce que vous dites est affreux; mais dans quel but, mon Dieu,
commettrait-elle ce crime?

--Que sais-je? je ne lui ai jamais fait de mal... je l'ai toujours
combl�e.... Mais les boh�miens sont si bizarres.... Une superstition...
un rien... que sais-je! La pauvre enfant se donne bien du mal peut-�tre
pour machiner son coup, tandis qu'apr�s ces huit jours, bien entendu, je
serais tr�s dispos� � faire la moiti� du chemin.

A ce moment, la porte se ferma brusquement.

Berthe poussa un cri de frayeur.

--Cette porte... qui la ferme?

--Le vent...--dit Arnold.

La clef tourna deux fois dans la serrure.

--On nous enferme--s'�cria Berthe.

Arnold courut � la porte, l'�branla; ce fut en vain.

--Mon Dieu! je suis perdue.... La nuit est presque venue... et enferm�e
avec vous au bout de ce parc....

--Mais la fen�tre...--s'�cria Arnold.

Il y courut.

--Il regarda. Il ne vit personne.

Il voulut la briser.... Impossible. Le treillis de plomb �tait si serr�
qu'il courbait, mais qu'il ne cassait pas; et puis cette fen�tre �tait �
ch�ssis fixe et immobile. Celle qui �clairait la porte du fond avait le
m�me inconv�nient.

Mon Dieu! ayez piti� de moi!--dit Berthe en tombant agenouill�e.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XXIII.

LE DOUBLE MEURTRE.


Iris, cach�e dans le taillis, avait suivi Berthe et Arnold depuis le
commencement de leur entretien jusqu'� leur entr�e dans le chalet.

De grands massifs de buis et de houx d�robaient la boh�mienne aux
regards de ceux qu'elle �piait. C'�tait elle qui avait mis sur pied et
fait bondir le chevreuil qui avait franchi l'all�e devant Berthe. Apr�s
s'�tre approch�e peu � peu du pavillon, Iris ferma la porte � double
tour, et triomphante alla retrouver M. de Br�vannes, qui l'attendait �
une assez grande distance.

Si le hasard n'e�t pas servi le d�testable dessein d'Iris en r�unissant
Berthe et Arnold, elle se servait de la ruse qu'elle avait projet�e en
attirant la jeune femme dans le pavillon sous le pr�texte de lui faire
rencontrer Pierre Raimond.

M. de Br�vannes �tait arm� d'un fusil � deux coups et v�tu d'un costume
de chasse; le choix de son arme �loignait toute id�e de pr�m�ditation,
rien de plus naturel que sa conduite. En rentrant de la chasse, il
surprenait chez lui sa femme et M. de Hansfeld, renferm�s dans un
pavillon �cart� � la nuit tombante. Il les tuait.

Qui pourrait dire qu'il n'y avait rien de coupable dans leur entretien?

Personne....

Qui pourrait dire que la porte �tait ferm�e en dehors?

Personne....

Malgr� sa r�solution, M. de Br�vannes fr�mit � la vue d'Iris.

Le moment d�cisif �tait venu.

La boh�mienne dissimula sa joie f�roce, et lui dit avec un accent de
douleur profonde:

--Je les ai suivis � leur insu, ainsi que je faisais d'apr�s vos ordres
depuis leur arriv�e ici. Ils se parlaient bas; leurs l�vres se
touchaient presque... _Lui_ avait un bras pass� autour de la taille de
votre femme. Tout � l'heure ils sont entr�s ainsi dans le chalet; alors
j'ai ferm� la porte... et je suis venue....

M. de Br�vannes ne r�pondit rien.

On entendit seulement le bruit sec des deux batteries de son fusil qu'il
arma, et ses pas pr�cipit�s qui bruirent sur les feuilles s�ches dont
l'all�e �tait jonch�e.

La nuit �tait sombre.

Il lui fallait environ un quart d'heure pour arriver au pavillon.

Nous devons dire qu'� ce moment cet homme �tait autant pouss� au meurtre
par les fureurs de la jalousie que par le calcul atroce et insens� de
tuer M. de Hansfeld afin d'�pouser ensuite sa veuve.... Il croyait
Berthe et le prince coupables.

En ce moment M. de Br�vannes �tait, ivre de rage; le sang lui battait
aux tempes.

Apr�s une assez longue marche, il aper�ut au bout de l'all�e les faibles
lueurs que jetait le feu allum� dans la chemin�e du chalet � travers la
fen�tre treillag�e de plomb.

Il h�ta le pas.

La pluie et le givre tombaient � torrents.

A mesure qu'il approchait du pavillon, il se sentait tour � tour baign�
d'une sueur froide ou br�lant de tous les feux de la fi�vre.

Enfin... il arriva, marchant l�g�rement et avec pr�caution: il approcha
l'oeil des carreaux verd�tres.

A la lueur expirante du foyer, il reconnut l'esp�ce de manteau blanc �
capuchon que Berthe portait ordinairement.

Assise sur un divan, la jeune femme lui tournait le dos; elle appuyait
ses l�vres sur le front d'un homme agenouill� � ses pieds qui
l'entourait de ses deux bras.

Par un mouvement plus rapide que la pens�e, M. de Br�vannes ouvrit la
porte, entra, appuya le canon de son fusil entre les deux �paules de sa
victime et tira.

Elle tomba sans pousser un cri sur l'�paule de celui qui la tenait
embrass�e.

--Maintenant � vous, beau prince, coup double!...--s'�cria M. de
Br�vannes en dirigeant le canon de son fusil sur le cr�ne de l'homme qui
t�chait de se relever.

Au moment o� il allait tirer, la porte de la seconde chambre du chalet
s'ouvrit violemment derri�re lui.

Quelqu'un qu'il ne voyait pas lui saisit le bras, d�tourna le fusil et
l'emp�cha de commettre un second crime. M. de Br�vannes se retourna et
vit.... M. de Hansfeld!

A ce moment, l'homme agenouill� devant la femme se releva, se pr�cipita
sur M. de Br�vannes en criant:

--Assassin!

--M. de Morville!--s'�cria M. de Br�vannes en reconnaissant ce dernier �
la lueur d'un jet de flammes.

--Tu as tu� madame de Hansfeld, assassin!--r�p�ta M. de Morville.

M. de Br�vannes recula d'un pas, tenant toujours son fusil � la main;
ses cheveux se dressaient de terreur. Il se pr�cipita vers la femme dont
le corps avait gliss� � terre, mais dont la t�te reposait sur le
sofa....

Il reconnut Paula.

En s'apercevant de cette sanglante m�prise, qui le rendait coupable d'un
assassinat que rien ne pouvait excuser, en trouvant M. de Morville
aupr�s de la femme dont il se croyait passionn�ment aim�, un vertige
furieux saisit M. de Br�vannes; il poussa un �clat de rire f�roce et
disparut.

Le prince, M. de Morville, boulevers�s par cette sc�ne horrible, ne
s'oppos�rent pas � son d�part.

Quelques secondes apr�s, on entendit une d�tonation.

M. de Br�vannes venait de se tuer.

       *       *       *       *       *




CHAPITRE XXIV.

EXPLICATION.


Il nous reste � expliquer l'arriv�e de M. de Morville au ch�teau de
Br�vannes, et sa pr�sence, ainsi que celle de Paula dans le chalet, o�
se trouvaient Berthe et Arnold un quart d'heure auparavant.

M. de Morville avait appris par madame de Lormoy, sa tante, que Paula
�tait subitement partie avec son mari pour la Lorraine, au milieu de
l'hiver, pour aller passer quelque temps chez M. de Br�vannes.

M. de Morville ignorait compl�tement que Paula conn�t M. de Br�vannes;
ce d�part si subit, si extraordinaire en cette saison, annon�ait une
intimit� bien grande. De plus, il se souvenait de quelques mots, de
quelques r�ticences de Paula lors de sa derni�re entrevue avec elle au
bal masqu�. Il se crut sacrifi�, trahi, ou plut�t il ne put trouver une
raison plausible au d�part de Paula; sa raison se perdit. Au risque de
compromettre Paula par l'invraisemblance du pr�texte de son voyage, il
partit pour la Lorraine, d�cid� � parler � tout prix � madame de
Hansfeld et � �claircir ce myst�re.

Il arriva en effet sur les quatre heures du soir, fit arr�ter sa voiture
� la grille du parc qui avoisinait le chalet, ainsi que nous l'avons
dit, et envoya son domestique � madame de Hansfeld avec ces mots:

�Madame,

�Par suite d'un pari avec ma tante, madame de Lormoy, qui, surprise de
votre brusque d�part et assez inqui�te sur votre sant�, d�sirait
vivement savoir de vos nouvelles, j'ai gag� que je viendrais m'en
informer aupr�s de vous, et que je retournerais � l'instant � Paris
rassurer madame de Lormoy. Si vous �tes assez bonne pour vous int�resser
� mon pari, veuillez me le faire savoir. N'ayant pas l'honneur de
conna�tre M. de Br�vannes, et ayant promis de ne pas m�me descendre de
voiture, j'attends votre r�ponse � la grille du parc.�

Paula re�ut ce billet au moment o� elle rentrait de la promenade. Il
pleuvait. Prendre � l'instant le premier manteau venu (ce fut celui de
Berthe, il se trouvait dans un vestibule), courir aupr�s de M. de
Morville, tel fut le premier mouvement de Paula.

Au milieu de ses terribles angoisses, elle voulait � tout prix �loigner
M. de Morville d'un lieu o� pourrait se passer un �v�nement si tragique.

M. de Morville descendit de voiture � la vue de Paula, entra dans le
parc, prit son bras et lui fit de tendres reproches sur son d�part si
brusque, la suppliant de lui expliquer cette d�termination si bizarre.

Craignant d'�tre rencontr�s dans le parc, quoique la nuit commen��t �
venir, Paula conduisit, tout en marchant, M. de Morville vers le
pavillon o� se trouvaient enferm�s Berthe et M. de Hansfeld.

En entendant ouvrir la porte, Berthe, par un mouvement de frayeur
involontaire, se r�fugia dans la seconde pi�ce du pavillon; Arnold la
suivit et put, en entendant le rapide entretien de M. de Morville et de
Paula, s'assurer que du moins Paula n'avait jamais oubli� ses devoirs.

M. de Morville, rassur� par les plus tendres protestations de Paula qui
le pressait de partir, venait de lui demander un seul baiser sur le
front... lorsque M. de Br�vannes la tua, tromp� par l'obscurit�, par le
manteau de Berthe, et surtout par la conviction qu'il avait de la
pr�sence de celle-ci dans le pavillon.

On retrouva, le lendemain, le ch�le d'Iris flottant sur un des �tangs.

On se souvient que M. de Morville avait dit � Paula qu'un serment sacr�
le for�ait de fuir toutes les occasions de la voir.

C'�tait encore une machination d'Iris.

Jalouse de ce nouvel attachement de sa ma�tresse, elle �tait all�e
trouver madame de Morville, lui avait fait un effrayant tableau de la
jalousie cruelle et soup�onneuse du prince de Hansfeld, capable,
dit-elle, de faire tomber M. de Morville dans un sanglant guet-apens
s'il s'occupait plus longtemps de la princesse.

Madame de Morville, �pouvant�e des dangers que courait son fils, lui fit
jurer, sans lui d�couvrir la cause de son effroi, de ne plus songer �
madame de Hansfeld � moins que celle-ci ne dev�nt veuve. M. de Morville,
quoique ce serment lui cout�t beaucoup, vit sa m�re qu'il adorait, si
�mue, si suppliante, elle �tait d'une sant� si chancelante, qu'il sentit
que la refuser serait lui porter un coup terrible, peut-�tre mortel. Il
c�da... il promit.

       *       *       *       *       *

Dix-huit mois apr�s ces �v�nements, Berthe Raimond, princesse de
Hansfeld, partit avec Arnold et le vieux graveur pour habiter
l'Allemagne, o� ils se fix�rent tous trois.


FIN.




TABLE DES CHAPITRES.

DEUXI�ME PARTIE.

I. Le livre noir

II. Pens�es d�tach�es

III. Arnold et Berthe

IV. Intimit�

V. R�cit

VI. Menaces

VII. R�flexions

VIII. Interrogatoire

IX. R�v�lations

X. Aveux

XI. Rendez-vous

XII. Propositions

XIII. Correspondance

XIV. Le mariage

XV. Le livre noir

XVI. Conversation

TROISI�ME PARTIE

XVII. R�solution

XVIII. L'�pingle

XIX. D�cision

XX. La chasse au marais

XXI. Le ch�teau de Br�vannes

XXII. Le chalet

XXIII. Le double meurtre

XXIV. Explication


FIN DE LA TABLE.



IMP. DE GUSTAVE GRATIOT, RUE DE LA MONNAIE, II.






End of the Project Gutenberg EBook of Paula Monti, Tome II, by Eug�ne Sue

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PAULA MONTI, TOME II ***

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business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

*** END: FULL LICENSE ***